La verrière de la Création ou baie 120, offerte vers 1550-1560 par la Confrérie de la Charité à l'ancienne collégiale Notre-Dame du Grand-Andely aux Andelys. Un document ethnologique, la procession de la Confrérie.
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Voir aussi :
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PRÉSENTATION.
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Les verrières de l'ancienne collégiale Notre-Dame (d'après Gatouillat 2001)
L'église Notre-Dame des Andelys, appelée collégiale à cause de la présence d'un collège de chanoines au Chapitre, a été construite, — alors que le duché normand avait été rattaché à la France par Philippe-Auguste par la prise de Château-Gaillard en 1204 —, en 1215-1220 sur les ruines d'une abbaye de femmes fondée en 511, par sainte Clotilde, épouse de Clovis Ier, et détruite vers 900 par les vikings . Il ne reste rien des vitraux du XIIIe siècle où fut bâti l'essentiel de la nef et du chœur Une seconde grande campagne de construction vers 1330-1345 concerna l'achèvement des façades est et ouest, et la mise en place des voûtes . Au tout début du XVIe siècle, l'édifice connut de grandes transformations , dont témoignent en baie 16 des éléments d'un vitrail dû au verrier Arnoult de Nimègue.
La campagne concerna le coté sud de l'édifice, correspondant à la reconstruction des baies et à l'ouverture des chapelles. L'ensemble des baies sud furent vitrées de couleur entre 1510 et 1560.
Les six baies hautes du coté sud de la nef illustrent les premiers Livres de la Bible se succèdent ainsi :
- baie 120 : Genèse : la Création ; offerte par la Confrérie de la Charité vers 1540-1560.
- baie 122 : Genèse, l'histoire d'Adam et Ève, vers 1550-1560.
- baie 124 : Genèse, l'histoire de Noé, offerte vers 1550-1560 par Georges Le Picart de Radeval.
- baie 126 : Genèse et Exode : Isaac, Joseph et Moïse, datée de 1560, réalisée par Romain Buron.
- baie 128 : Exode et Deutéronome : histoire de Moïse, datée vers 1560.
- baie 130 : Deutéronome, Moïse , datée vers 1560, offerte par donateurs non identifiés.
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Parmi ces six baies, la verrière la plus proche du chœur se distingue par la représentation en son soubassement de la Confrérie de la Charité en procession sur quatre lancettes.
On connaît l'ampleur de développement de ces confréries en Normandie, et en particulier dans l'Eure, dont les membres ou charitons se vouent à la participation aux inhumations et au soutien des familles en deuil, et qui se distinguent par leur costume et par le port d'un chaperon, par leur hiérarchie (maître, prévôt, clerc, tintenellier sonnant ses clochettes et frères), par leurs bannières et leurs torchères ouvragées.
J'ai présenté ces confréries dans un article sur Hauville où je les ai découvert :
Nous voyons une procession semblable à Louviers où défile pour la Fête-Dieu la confrérie des Drapiers (vers 1495).
...ou à Pont-Audemer où la procession de la confrérie de l'Eucharistie occupe le soubassement de deux verrières en baie 18 et 20 (vers 1515).
http://www.lavieb-aile.com/2018/12/la-verriere-de-l-eucharistie-de-l-eglise-de-pont-audemer.html
Mais sur cette baie 120 des Andelys, nous avons bien affaire à une procession des Charitons des Andelys, à but d'entraide funéraire, comme l'atteste les draps mortuaires que nous allons découvrir. Leur confrérie avait été fondée en 1539, mais une autre, dite du Saint-Sacrement avait été fondée en 1316 en l'église Saint-Sauveur des Andelys.
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Description de la baie 120.
Haute de 5,20 m et large de 3,80 m, elle se compose de 4 lancettes trilobées et d'un tympan à 4 quadrilobes, 2 mouchettes et 6 écoinçons.
Au tympan débute le récit de la Création : dans les quadrilobes, Dieu sépare les éléments, puis sépare la lumière d'avec les ténèbres et crée les anges, puis il crée le soleil, la lune et les étoiles et enfin les oiseaux et les poissons.
Au registre supérieur, Dieu crée les animaux de la terre (deux lancettes de gauche) puis Adam et Ève (deux lancettes de droite).
Le registre inférieur montre la procession de la Confrérie de la Charité.
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Verrière de la Création et de la Procession des charitons, 150-1560 en baie 120 de l'ancienne collégiale du Grand-Andelys. Photographie lavieb-aile 27 août 2018.
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TYMPAN.
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"De même que celles du chœur, les fenêtres méridionales de la nef sont ornées de peintures sur verre. Mais si tout parle, sur les premières, du Fondateur et des premiers défenseurs de la Loi nouvelle, tout parle, sur les secondes, de l'Auteur et des prévaricateurs, depuis Adam jusqu'à Nabab, de l'ancienne Loi. Nous allons examiner, l'un après l'autre, les sujets représentés.
Première fenêtre, 1er vitrail, au sommet de l'ogive : « Dieu séparant les éléments. » Dieu est représenté sous la figure d'un vieillard à chevelure et barbe blanches, revêtu d'une tunique de même couleur et d'un manteau rouge flottant, pieds nus, les bras étendus, planant dans une gloire rayonnante, ayant le nimbe entourant, à rayons d'or. La lumière est figurée par des nuages lumineux, les ténèbres par des nuages obscurs, les eaux par un torrent, et la terre par une sphère enverdurée.
2e vitrail : « Dieu, créant la terre. » Dieu vêtu de même, porté sur les nues et entouré d'anges sous la forme de têtes ailées; la terre sous celle d'un globe cerclé horizontalement par le milieu et à demi par la partie haute. La moitié supérieure contient les mers, la moitié inférieure les continente.
3e vitrail : « Dieu créant les astres. » Dieu vêtu de même, debout, marchant sur la terre couverte de plantes; le soleil sous la forme d'une masse ignée et radieuse ; la lune sous la forme d'un disque incandescent et radié; les étoiles sous celle d'escarboucles scintillantes.
4* vitrail: « Dieu créant les oiseaux et les poissons. » Dieu vêtu de même, debout, bénissant; paysage avec rivière où nagent des poissons et un cygne et avec des arbres où sont perchés toutes sortes d'oiseaux." (Brossard de Ruville)
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Verrière de la Création et de la Procession des charitons, 150-1560 en baie 120 de l'ancienne collégiale du Grand-Andelys. Photographie lavieb-aile 27 août 2018.
LES LANCETTES.
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Lancette A : Dieu crée les animaux terrestres.
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Inscription :
TOUT FUT CRÉE PAR DIEU EN SA BONTÉ.
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Elle appartient à une phrase qui court tout le long des quatre lancettes : "Tout fut créé par Dieu en sa bonté, Ciel, terre et eau et tout ce qui a vie, Lune, soleil, homme hélas frivole Et les pr[ieres] o-- de vi-- pour leur vie". Mais ni E. Didron ni Brossard de Ruville n'ont pu en déchiffrer entièrement le texte avant la restauration en 1864 par Oudinot, j'ignore donc la part qui est réellement ancienne. Je n'en trouve pas la source.
"5e et 6e vitrail : « Dieu créant les animaux terrestres. » Dieu revêtu d'un manteau en forme de chape, attaché avec une riche agrafe, debout et bénissant, ayant le nimbe à double cercle, traversé par mille rayons pressés; groupe d'animaux, tels que chevaux, taureau, vache, âne, mouton, chien et lapin; le paradis représenté par un site couvert de plantes, d'arbres, d'un champ de blé mûr, traversé par une rivière et borné par une montagne." Au-dessous des 4 derniers sujets existe une inscription trop mutilée pour être reproduite." (Brossard de Ruville)
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Verrière de la Création et de la Procession des charitons, 150-1560 en baie 120 de l'ancienne collégiale du Grand-Andelys. Photographie lavieb-aile 27 août 2018.
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Lancette B. Dieu crée les animaux terrestres, suite.
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Inscription :
SIEL TERRE ET EAU TOUT CE QUI AT VIE.
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Verrière de la Création et de la Procession des charitons, 150-1560 en baie 120 de l'ancienne collégiale du Grand-Andelys. Photographie lavieb-aile 27 août 2018.
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Lancette C et D : Dieu crée la femme à partir de la côte d'Adam.
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Inscription :
LUNE SOLLEIL ET HOM[M]E LAS FRIVOLLE ET LES PR[IERES ?] DE V--- POUR LEUR VIE.
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"7e et 8e vitrail : « Dieu créant la première femme. » Dieu, vêtu de même, un genou en terre, bénissant; Adam jeune, imberbe, cheveux courts et châtains, couché sur la terre et endormi, la main droite passée sous sa tête et la gauche reposant sur sa cuisse; Ève, longue chevelure blonde, vue à mi-corps, tournée vers son créateur, qu'elle adore; le premier père et la première mère du genre humain entièrement nus : le peintre n'ayant pas su éviter la partie scabreuse du sujet; continuation du paysage précédent, où se voient des lions, une licorne, un renard, un singe et un perroquet.
Les écoinçons représentent des nuages et de la verdure.
Il ne faut pas chercher, dans chaque cadre, la reproduction fidèle de chaque jour de la création.A la vérité tous s'y trouvent, mais point d'une manière tranchée. Le peintre-verrier, on peut le remarquer, a presque toujours fait figurer les êtres avant l'époque fixée par les Livres saints. Ainsi, selon la Bible, le 1e jour la terre n'était qu'une masse informe et vide; sous le pinceau de l'artiste elle a pris la forme d'un globe et s'est couverte de gazon; le 2e jour s'est fait seulement le partage des eaux du ciel, le peintre y ajoute le partage du globe en mers et en terres, qui se fit le 3e. Ce même 3e jour ne furent créés que les plantes et les arbres portant fruits: ils figurent ici en même temps que les animaux aquatiques et amphibies, qui n'ont été créés que le 5e. En dernier lieu, nous ne voyons point la création d'Adam, mais celle d'Eve, qui s'opéra plus tard." (Brossard de Ruville)
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Verrière de la Création et de la Procession des charitons, 150-1560 en baie 120 de l'ancienne collégiale du Grand-Andelys. Photographie lavieb-aile 27 août 2018.
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REGISTRE INFÉRIEUR : LA PROCESSION.
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Lancette A. La tête de la procession.
Un enfant de chœur tient le goupillon et le seau d'eau bénite. Puis vient un prêtre (en surplis, l'étole autour du cou, coiffé de la barrette) tenant un missel ouvert, puis le tintenellier portant un manteau à manches mi-courtes bariolé de croisillons, et agitant ses deux cloches. il est suivi de deux confrères portant des bannières ou plutôt des torches. Ceux-ci portent le chaperon bleu en bandoulière sur leur manteau ; ils sont coiffés de la barrette.
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"Plus bas encore est représenté le portement en terre d'un membre de la confrérie de la Charité. En tête marche un prêtre vêtu d'un surplis et portant un livre à demi ouvert, accompagné d'un acolyte, vêtu de même et portant bénitier et goupillon. Ensuite vient un tintérelleux, vêtu d'une tunique courte et à larges manches, agitant deux clochettes. Suivent deux massiers, vêtus d'une tunique et d'un pardessus ouvert" (Brossard de Ruville)
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"Le sonneur de tintenelles, le « cliqueteux », bénéficie d’une dalmatique byzantine, d’une mandille plus riche encore. Tout cela, il y a seulement vingt ans, s’en allait au travers des campagnes, sans corbillards, mettant son orgueil à promener à bras les plus lourdes châsses et par les plus mauvais chemins." (Jean de la Varende)
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Verrière de la Création et de la Procession des charitons, 150-1560 en baie 120 de l'ancienne collégiale du Grand-Andelys. Photographie lavieb-aile 27 août 2018.
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Lancette B. Six "frères servants" précédés de l'échevin et du prévôt portent le cercueil recouvert du drap noir à tête de mort et tibias entrecroisés.
Les quatre premiers frères portent des torchères ; le dernier tient un livre sous le coude.
Curieusement, les 8 personnages portent la tonsure, comme des clercs. Les frères servants sont vêtus d'une robe flottante gris-noir serrée à la taille par un ruban de même étoffe : c'est sans doute la soutanelle (décrite infra par Jean de la Varende). L'échevin et son prévôt portent leur vêtement civil, un court manteau dégageant aux avant-bras les manches d'une tunique, et des chausses moulantes et de couleur vive et variée.
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" quatre frères, vêtus d'une longue robe ceinte aux reins et le chaperon doctoral sur l'épaule gauche, portant sur deux bâtons le cercueil du défunt, recouvert du drap mortuaire; "(Brossard de Ruville)
Extrait des statuts de la confrérie :
» Pour gouverner la Charité seront établis un prevost, un échevin, douze frères servants, un greffier et un clerc du nombre des associés en icelle confrairie, demeurant au Grand Andely où en la Madeleine, lesquels, moitié pour le prevost et l'autre moitié pour l'eschevin; tous auront chacun un chaperon bleu, aux dépens de la Charité, qu'ils porteront sur les épaules senestres, toutes les fois qu'ils s'assembleront en corps et feront service à la charité; et, pour distinction des charges, le chaperon du prevost sera bordé de trois passemens bleus et celui de l'eschevin de deux et des autres frères servants, greffier et clerc, d'un seul passement.
Le prevost, l'échevin et les douze frères servants auront chacun une torche de cire, les deux premiers aux frais de la Charité et les autres à leurs dépens , à laquelle torche sera attaché un écusson de bois où sera dépeint la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres.
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J'ai beau scruté le vitrail, je ne vois pas sur les torchères l'écusson de bois peint de la Pentecôte. Mais je me les représente facilement puisque les Processions des autres vitraux me les ont montré, comme l'ont fait les documents consultés, ou le Musée de Honfleur.
Je scrute encore, et je ne vois pas les passements simple, double ou triple des chaperons, sous forme de bandes de tissu plat "formé par l'entrelacement réguliers de fils d'or, d'argent ou de soie" (CNRTL)
Je poursuis ma lecture des statuts :
"Le prevost et l'echevin serviront pendant quatre années et les autres frères servants chacun deux ans.
Si quelqu'un des frères ou sœurs devient nécessiteux et tellement pauvre qu'il ne puisse gagner sa vie, les prévost et echevin luy pourront subvenir des deniers de la Charité.
Que si quelqu'un des associés à la dite confrairie décédait pauvre et sans aucun moyen, il lui sera baillé un drap aux dépens de la Charité, pour estre enseveli par les parents du défunt, ou à défaut d'iceux en cas de nécessité, par le frère semainier à l'aide et assistance des autres frères du e mois.
Si c'est un étranger ou autre pauvre personne, encore qu'il ne soit associé, sera assisté par les dits chapelains et porté par les dits frères."
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"On ne sait pas très exactement quels furent jadis leurs uniformes. Aujourd’hui, leurs signes distinctifs datent, et au plus tard, de la Restauration. C’est cependant très particulier. Ils revêtent d’abord une soutanelle, une blouse longue et flottante de lustrine noire, avec des galons aux manches qui indiquent les grades et les anciennetés. Ils se couvrent d’une barrette ecclésiastique à trois cornes et houppette de soie, galonnée aussi. Enfin la pièce essentielle, le chaperon : une énorme étole deux fois large comme celle des prêtres, qu’ils se passent en écharpe tel un baudrier. L’étoffe est en velours rouge ou vert, plus rarement noir, entourée de larges franges d’or. Là-dessus, le goût fastueux des brodeurs anciens s’est donné libre cours. Ce sont des épis et des acanthes en ronde-bosse, des raisins et des roses, avec, au centre, un saint Sébastien de carnation. Un saint Sébastien de soie charnelle, de pourpre pâle, dont l’épiderme bien normand, la peau phosphorescente, luit comme une nacre. Les bras levés et attachés, il est tout empenné de flèches, tout tacheté de mouchetures sanguinolentes ; mais ses pieds reposent sur un gazon de vert émail, mitraillé de corolles, de pâquerettes et de coquelicots.
Saint Sébastien est le patron des charitons ; le soldat torturé, le saint des archers normands qui ne le cédaient qu’aux archers d’York, et pour lesquels on plantait dans chaque propriété deux ifs destinés à leurs arcs, bien que l’if empoisonne le bétail. Le saint qui satisfait à la fois notre cruauté et notre habileté, notre santé, puisqu’il échappa à tant de sagettes si bien placées et si justes, et notre chance irréfutable." (Jean de la Varende)
Cette importance de saint Sébastien décrite en 1954 en Pays d'Ouche est également attestée dans les statuts de la Charité des Andelys en 1539 :
"Et si aucuns d'iceux associés devenoient ladres [lépreux], la confrairie leur fera dire un service pour infirmes où assisteront les dits frères servants et à la fin seront distribués treize deniers aux pauvres et de là les dits servants convoieront le dit ladre jusqu'à la maladrerie et assisteront le curé à toutes les cérémonies, prières et œuvres qu'il fera pour le dit ladre.
La Charité fera dire tous les ans trois messes hautes, deux dans l'église Nostre-Dame à l'honneur de monsieur saint Sébastien le mardi devant les Rogations et la troisième dans l'église Saint-Jean, en l'honneur de monsieur saint Rocq, le jour de sa feste."
Saint Sébastien et saint Roch sont les deux saints invoqués contre la peste, ce qui atteste ici du rôle crucial des épidémies ("lèpre", "peste" se confondaient à l'époque) de peste et de la peur de mourir sans être inhumé par des paroissiens qui craindraient la contagion. Ce rôle fondateur des maladies contagieuses est clairement spécifié dans les statuts :
"L'institution principale de la confrairie a été pour enterrer sainctement les corps des frères associés, de quelque maladie qu'ils soient morts, soit de peste ou autre maladie contagieuse dont, par la grâce de Dieu, il ne s'est jamais ouï parler qu'il en soit mal pris à un des frères servants depuis l'institution de la Charité jusqu'à présent, ce qu'il plaira à Dieu continuer tandis que la Charité durera, afin que les corps ne demeurent sans sépulture, il est arrêté que les dits servants assisteront aux inhumations des trépassés en la manière qui suit."
Selon Jean de la Varende, les cloches du tintennelier, aussi nommée "cliquette" dans les statuts, est précisément destinée à l'origine à écarter les passants face au danger des émanations pestilentielles du défunt, comme devait le faire les lépreux lorsqu'ils s'éloignaient des maladreries où ils étaient réunis :
"Les paysans du pays d’Ouche disent « campunelles », parfois, pour leur cloche processionnelle, et c’est évidemment une altération rurale de « campanelle », la petite cloche ; mais il y a plus significatif. Un des sonneurs spécialisés, qui remporta le grand prix du tournoi sonore, nous assurait que son père disait « tartavelle », et cela pourrait faire réfléchir. La tartavelle, en effet, dans les glossaires, désigne en langage courant, patoisant, la crécelle des lépreux ; la cliquette au moyen de laquelle le lépreux faisait le vide autour de sa promenade. L’emploi de la tintenelle aurait donc eu pour dessein, non d’appeler les gens à concourir au convoi, mais, bien au contraire, à les en écarter."
La confrérie est une sorte de mutuelle, payante, pour se protéger du risque de manque d'inhumation digne, mais se charge-t-elle en équivalent de Pompes Funèbres paroissiale de l'enterrement de tout un chacun ?
"Toute personne de l'un et de l'autre sexe indifféremment, peuvent être associez en icelle confrairie, payant toutes les semaines chaque personne un dénier et en donnant quelque argent selon sa dévotion, lorsqu'elle sera reçue et associée en la dite confrairie; laquelle en se faisant amortir paiera pour une fois quatre livres au profit de la Charité." (Ier article des statuts)
La confrérie a un vrai monopole des funérailles :
"Il est ordonné que, à toutes les inhumations où elle assistera, la Charité sera préférée, pour porter le corps des trépassés, à toutes les autres confrairies érigées à Nostre-Dame ou à la Madeleine, soit qu'elles soient anciennes ou non; sans qu'il soit permis aux autres confrairies ou charités des villages voisins de s'introduire ou de s'entremettre de façon quelconque, pour venir dans Andely porter les corps en terre, ou d'assister en corps de confrairie au convoi, sous ombre que les trépassés seraient de leur confrairie, pour éviter aux abus et inconvéniens scandaleux qui pourraient survenir"
Mais la confrérie de la Charité mérite néanmoins son nom :
"Le jour du Saint Sacrement, après les vespres du chœur, les dit frères servants laveront les pieds de douze pauvres dans la chapelle de madame sainte Clotilde, en commémoration de ce que Nostre Seigneur a fait avec ses apostres; à chacun desquels pauvres sera distribué trois deniers, un pain d'un sol et un morceau de chair et outre sera fait de même par le semainier à tous les pauvres nécessiteux qui se trouveront à la dite solennité; mesme sera bény un pain parle curé semainier, le quel sera distribué aux chapelains, frères servants et à tous ceux qui se trouveront aux dites cérémonies, le tout aux dépens de la Charité."
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Verrière de la Création et de la Procession des charitons, 150-1560 en baie 120 de l'ancienne collégiale du Grand-Andelys. Photographie lavieb-aile 27 août 2018.
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Lancette C. Sept chapelains, livre sous le bras, suivent le cortège, tout en discutant. Ils sont tous vêtus de la même robe noire serrée à la taille par un cordon, portent le chaperon bleu rejeté par dessus l'épaule gauche, et sont tous coiffés de la barrette.
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"huit frères, vêtus de même, ayant un livre sous le bras," (Brossard de Ruville)
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Extrait des statuts :
"Seront établis sept chapelains, prestres, pour faire le service de la dite Charité, lesquels auront pareillement un chaperon bleu, aux dépens de la dite Charité, qu'ils porteront sur l'épaule senestre toutes les fois qu'ils seront employés pour la Charité et si auront chacun une torche à leurs dépens aux écussons de la dite Charité, qu'ils seront tenus de porter allumée aux inhumations des frères servants trépassés et seront les dits chapelains nommés par le prévost, échevin et frères servants, à la pluralité des voix et presteront serment devant le curé semainier de l'église Nostre-Dame.
Sera tenu le clerc de la dite Charité d'avertir les chapelains et frères servants deux heures avant l'enterrement, de se trouver aux inhumations, services et prières que la Charité est tenue de faire pour ses frères trépassés, en allant aux maisons d'un chacun, vestu d'une robe bleue avec le chaperon sur l'épausle que la Charité lui fournira.
Le dit clerc sera tenu toutes les semaines à la minuit des dimanches, mardis et jeudis, aller par les rues d'Andely avec sa robe et cliquette, pour avertir par un cri public qu'il fera à chaque carrefour les frères et associés de prier Dieu pour les trépassés et sera tenu de faire le cri à la porte des prevost, échevin et frères semainiers."
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Verrière de la Création et de la Procession des charitons, 150-1560 en baie 120 de l'ancienne collégiale du Grand-Andelys. Photographie lavieb-aile 27 août 2018.
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Lancette D. Huit charitons, richement vêtus de costumes civils.
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Les bas, ces collants multicolores, les amples manteaux courts au dessus de tuniques également courtes, les petites fraises du col, les barbes et les coiffures, ou les chaussures à extrémités élargies, témoignent de la mode sous Henri II.
Le chaperon bleu de l'épaule "senestre" descend jusqu'à la cuisse ; il s'épanouit en son sommet dans une sorte de rosace rappelant celle de l'épitoge des avocats.
La gravité des frères servants en tête du cortège n'est plus de mise ici. Les regards se mobilisent, chacun observe son voisin et réajuste sa tenue comme s'il arrivait précipitamment. Le peintre-verrier n'est pas dépourvu d'humour.
"et au dernier rang plusieurs bourgeois, vêtus comme les massiers. Tous les assistants sont coiffés d'une petite toque carrée." (Brossard de Ruville)
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Verrière de la Création et de la Procession des charitons, 150-1560 en baie 120 de l'ancienne collégiale du Grand-Andelys. Photographie lavieb-aile 27 août 2018.
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La procession de la Confrérie à la Pentecôte
Je ne suis pas convaincu qu'il s'agisse sur ce vitrail de la représentation d'un cortège funèbre (qui ne convoquerait pas l'ensemble des membres au grand complet), et je pense plutôt à la procession annuelle de la confrairie. Celle-ci est bien spécifiée dans les statuts :
"Tous les ans après la feste de la Pentecoste, à la commodité des frères, l'on fera le voyage à Nostre-Dame de Grâce, auquel assisteront tous les membres de la confrairie. Et iront en corps avec leur chaperon les dits chapelains et servants depuis l'église de Nostre-Dame jusqu'à la croix du mont de Cléry, depuis la croix de Port-Mort jusqu'à la croix de Saint-Pierre la Garenne et depuis le haut du village de Grâce jusque dans l'église où sera dite une haute messe par le curé semainier en l'honneur de la glorieuse vierge Marie. Et les dittes prières accoutumées estant dites, les dits chapelains et frères reviendront en corps en même ordre que dessus jusque dans Nostre Dame d'Andely en laquelle l'on chantera devant l'autel de la Vierge derrière le chœur Salve Regina avec l'oraison."
C'est un trajet considérable allant du Grand-Andely à Saint-Pierre-de-Bailleul soit 40 km aller et retour, nécessitant de traverser la Seine (entre Port-Mort et Saint-Pierre-la-Garenne, mais il n'y a pas de pont), avec des dénivelés (la Croix de Clery est à 148 m) et la traversée de la Forêt des Andelys.
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Il est intéressant de constater que de nombreux éléments de cette séquence se retrouve dans l'enluminure de l'Office des Morts des Heures d'Étienne Chevalier peinte par Jean Fouquet entre 1452 et 1560 :
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SOURCES ET LIENS.
— AZARD (Marie-Magdeleine), 1983, Histoire des Andely et de ses hameaux. Horvath editions
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3325844b.texteImage
http://tresorscolores.com/wp-content/uploads/2018/03/histoire-des-andelys-et-ses-hameaux1.pdf
— BROSSARD DE RUVILLE, 1863, Histoire de la ville Andelis et de ses dépendances,Volume 1, Delcroix, 987 pages, page 435.
https://books.google.fr/books?id=IEIbAAAAYAAJ&dq=armoiries+longuemare+d%27azur&hl=fr&source=gbs_navlinks_s
et les statuts page 385:
https://books.google.fr/books?pg=PA386&dq=ruville+andelys+%22Le+jour+du+Saint+Sacrement%22,&id=IEIbAAAAYAAJ&hl=fr&output=text
— DIDRON (Edouard), 1862, Les vitraux du Grand-Andely, dans Annales archéol., XXII (1862), 260-293. ou édition de 1863 par V. Didron, page 13
https://archive.org/details/annalesarcholo22pariuoft/page/260
https://books.google.fr/books?id=1AMtAAAAYAAJ&dq=%22saint+l%C3%A9ger%22+andelys&hl=fr&source=gbs_navlinks_s
— FOSSEY (abbé Jules) 1914, L'Art religieux dans les diocèses de Rouen et d'Evreux... La Bible illustrée par les vitraux et bas-reliefs de la Haute-Normandie
Édition : Evreux, Impr. de l'Eure , 1914. In-8°, 129 p.
— GATOUILLAT ( Françoise), CALLIAS-BEY (Martine), CHAUSSÉ (Véronique), HÉROLD (Michel), 2001, Eglise Notre-Dame du Grand-Andely, ancienne collégiale in Les Vitraux de Haute-Normandie, Corpus vitrearum / Recensement des vitraux anciens de la France vol. VI, Paris, CNRS, 2001. p. 103.
HEROLD (Michel) ; Verdier Hélène ; Thomas Sarah ; Chéron Philippe © Monuments historiques, 2005 : Notice PM27001971
http://www.inventaire.culture.gouv.fr/public/mistral/palissy_fr?ACTION=RETROUVER&FIELD_98=DENO&VALUE_98=verri%e8re&NUMBER=27&GRP=7&REQ=%28%28verri%e8re%29%20%3aDENO%20%29&USRNAME=nobody&USRPWD=4%24%2534P&SPEC=3&SYN=1&IMLY=&MAX1=1&MAX2=200&MAX3=200&DOM=Tous
— LA VARENDE (Jean de), 1954, Une révolte de Charité, Revue de Paris 61e année n°1
http://www.biblisem.net/narratio/lavarevo.htm
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