Ploéven VIII. Les six crossettes (granite, XVIIe siècle) de la chapelle Saint-Nicodème.
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— Sur Ploéven, voir :
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La chapelle Sainte-Barbe de Ploéven. Son calvaire, son vitrail, sa statuaire, son Pardon.
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Ploéven II. L'église de Ploéven, la Déploration (pierre polychrome, 1547 ).
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Ploéven III. L'église : le calvaire (kersanton, vers 1550) du placître.
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Ploéven V : Les statues de l'église et ses inscriptions lapidaires (ou non), ses blasons.
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Ploéven VII : les inscriptions lapidaires (et campanaire) de la chapelle Saint-Nicodème.
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— Cet article appartient à une étude des crossettes du Finistère destinée à permettre des comparaisons et à dégager des constantes stylistiques et thématiques. On consultera sur ce blog :
- L'église Sainte-Marie-Madeleine de Dinéault VII. La crossette.
- Les deux crossettes de l'église du Tréhou (Finistère).
- L'église de Guipavas I. Les crossettes.
- L'enclos paroissial de Pencran I. Les crossettes du porche (1553).
- L'enclos paroissial de Brasparts. II. Le clocher et ses gargouilles. L'ossuaire et les crossettes.
- La Collégiale Notre-Dame du Folgoët VI : les crossettes du Doyenné.
- L'enclos paroissial de Dirinon. I. Les crossettes.
- La charmante petite sirène de Saint-Urbain (29).
- L'enclos paroissial de Lannédern I. Les sculptures extérieures : le calvaire, l'ossuaire et les crossettes.
- Sculpture sur pierre de l'église de l'Hôpital-Camfrout : les gargouilles et crossettes du clocher, et la façade.
- Sur la piste des crossettes de Landerneau.
- Les sculptures extérieures de l'enclos paroissial de Sizun (29).
- Le porche de l'église de Landivisiau. I. L'extérieur.
- Les Sirènes et Démones de l'église de Sizun (29).
- L'église Notre-Dame de Rumengol. V : les gargouilles et crossettes.
- L'église Saint-Salomon de La Martyre. IV. L'ossuaire, les inscriptions et les crossettes.
- Les sculptures sur pierre de l'abbatiale de Daoulas.
- Les crossettes de l'église Notre-Dame-de-Croas-Batz à Roscoff (1522-1545).
- La chapelle Notre-Dame de Berven en Plouzévédé III. Les crossettes (1573-1579).
- Les crossettes des maisons du XVIe et XVIIe siècle de Roscoff. (vers 1560)
- Les crossettes de l'église de Plougourvest (29).
- Les crossettes et l'inscription gothique (kersanton, 1533) de l'église de Pont-Christ à La Roche-Maurice.
- Les crossettes et les gargouilles de l'église de Loc-Envel (22).
- Les crossettes et gargouilles de l'église de Lampaul-Guimilau.
- L'église de Goulven I : les crossettes
- La sirène et l'ange de l'église de Landévennec. Les deux crossettes nord et sud (pierre de Logonna, 1693 ?) de l'église de Landévennec
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La sirène et l'ange de l'église de Trégarvan. Les deux crossettes nord et sud (pierre de Logonna, vers 1690) de l'église de Trégarvan :
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PRÉSENTATION.
Les crossettes ne doivent pas être confondues avec les gargouilles, qui sont creuses et servent à évacuer les eaux pluviales. Ce sont des pierres d'amortissement, nécessaires à la structure et à l'équilibre d'un fronton ou d'un pignon, situées à la terminaison de leurs rampants . Elles peuvent être figurées, à thème zoomorphe, fantastique ou anthropomorphe, mais leur thème, loin d'être laissé au bon plaisir du sculpteur, répond à une tradition où les dragons et les lions prédominent, suivi des chiens, des sirènes et des représentations des vices comme la lubricité et la coquetterie dans les deux sexes. Exception faite pour les anges à phylactère, on y trouve aucune figure biblique ou chrétienne. Leur position marginale et intermédiaire (entre murs et toiture) les placent, à l'extérieur des bâtiments, en parallèle avec les sablières à l'intérieur. Elles n'atteignent jamais la grivoiserie débridée ou la scatologie des miséricordes des stalles.
Quoique spectaculaires, les crossettes de Saint-Nicodème n'ont pas été étudiées.
Leur datation est déduite de celle de l'édifice : entre 1592 et 1607.
Leur matériau est le granite.
La liste est est :
n° 1 : rampant droit du pignon ouest : acrobate
n° 2 : rampant gauche du pignon ouest : animal à pattes palmées
n° 3 : rampant droit du pignon du transept nord : lion.
n° 4 : rampant gauche du pignon du transept nord : lion.
n° 5 : chevet : gargouille non figurée (géométrique)
n° 6 : chevet : gargouille non figurée (géométrique)
n° 7 : rampant droit du pignon du transept sud : lion.
n° 8 : rampant gauche du pignon du transept sud : lion tenant un petit être (âme).
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I. L'élévation occidentale.
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1. rampant droit du pignon ouest : acrobate en bragou.
C'est le motif le plus pittoresque et le plus intéressant. Vu de droite, ce personnage un peu ventru semble descendre en glissant (malgré les crochets) sur la rampe de l'escalier qui mène à la chambre des cloches, mais vu de l'ouest, il devient clair qu'il se tient cambré pour attraper ses chevilles : c'est l'attitude bien connue de l'acrobate de crossette (et de sablière) souvent rencontré, soit nu, soit vêtu, et déjà présente sur les modillons romans . Et cette attitude est si stéréotypée, si provocante, qu'elle a probablement une signification obscène, peut-être en relation avec une expression verbale ( comme "prendre son pied") disparue. C'est de toute façon une attitude de renversement (la figure d'acrobatie est un renversement postérieur).
On la rencontre , par exemple deux fois sur l'église de Dirinon, une fois à l'angle de l'arc de triomphe de La Martyre, à l'église de Lampaul-Guimiliau, à Daoulas ou au Doyenné du Folgoët (cf. liens).
Ici, il porte des chausses bouffantes et plissées (en breton bragou braz) et une tunique courte, serrée par une épaisse ceinture. Ses cheveux sont longs. L'attaque de la pierre par divers lichens ne nous permet plus de voir l'expression béate de son visage.
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n° 2 : rampant gauche du pignon ouest : animal ou femme hybride à pattes palmées.
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Cette crossette n'a pas d'équivalent ailleurs. L'animal au corps fin et allongé a les pattes palmées, une queue passe entre les pattes postérieures et fait retour sur l'abdomen (comme elle le fait pour les lions de crossettes) mais la partie antérieure est plus anthropomorphe, (voire gynomorphe si on me pardonne cet écart), car la tête est arrondie par une possible chevelure et le volume d'une franche poitrine est présente, quoique trop géométrique et sans rondeur .
Le visiteur se hâte de changer de point de vue, ... mais lorsqu'il se trouve de face, il est dépité : l'érosion éolienne, les lichens, l'imprécision de la taille ne permettent pas d'aller plus loin, même si la poitrine se confirme. La position des pattes antérieures est celle du Sphinx.
Chacun y va de son hypothèse, mais rien ne permet d'être péremptoire. Dommage de voir s'échapper la certitude d' avoir ici une sirène palmée à placer dans la longue série des créatures féminines semi-humaines des crossettes de Basse-Bretagne!
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Le pignon du transept nord.
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n° 3 : rampant droit du pignon du transept nord : lion tirant la langue.
De face, avec sa tête triangulaire aux yeux en grosses perles creuses et le long T pyramidal de son museau, il évoque une sculpture de l'art cycladique. Mais de profil, c'est bien un lion, —avec la crinière méchée du tronc —, tenant sa langue (ou quelque proie) entre ses pattes antérieures, et dont le fouet dressé revient sur la courbe de l'arrière-train en la suivant.
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n° 4 : rampant gauche du pignon du transept nord : lion léchant ses pattes..
De l'autre coté, c'est le même animal, à la gueule incertaine et au pelage ras. Chien ? Lion ? Comme on voudra : seul le sexe est certain.
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n° 5 et 6 : chevet : gargouille non figurée (géométrique en double volute)
Une gorge permet l'écoulement de l'eau.
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Le pignon du transept sud.
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n° 7 : rampant droit du pignon du transept sud : lion léchant ses pattes.
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n° 8 : rampant gauche du pignon du transept sud : lion tenant un petit être.
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Nous retrouvons ici un modèle fréquemment illustré ailleurs, celui d'un lion dévorant ou emportant un homoncule (comme à Goulven), et la langue des lions précédents s'est transformée en une forme polycyclique où des yeux se devinent. Le lion devient alors un être psychopompe, ou un domestique du Malin prompt à emporter aux Enfers l'âme de celui qui néglige ses devoirs de chrétien. Mais d'une manière générale, les crossettes ne sont pas les auxiliaires d'un discours moral ou d'un prêche.
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Avant de conclure : le masque du fronton du porche ouest.
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CONCLUSION.
La chapelle Saint-Nicodème peut se vanter de posséder le plus bel ensemble de crossettes de la commune, puisque l'église Saint-Méen n'en n'a pas, et que Sainte-Barbe ne montre que 2 ou 3 exemples. Néanmoins, par rapport aux superbes collections du Léon ou des rives de l'Elorn, qui bénéficient de la qualité exceptionnelle de la kersantite, ces crossettes de granite usées par l'érosion ne peuvent prétendre aux premiers rangs. Pénalisées par le matériau, elles le sont peut-être aussi par un artisan de second ordre, dont les animaux peinent à ressembler vraiment aux lions qu'ils tentent d'imiter.
Leur découverte reste un moment passionnant, pendant lequel l'esprit en alerte cherche à résoudre les six énigmes successives qui lui sont soumises.
Le bonhomme acrobate, l'ambiguë sirène palmée, le lion à la face primitive, le psychopompe et sa proie restent gravés dans sa mémoire dans ce vaste musée de l'imaginaire breton.
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SOURCES ET LIENS.
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— LE SEAC'H (Emmanuelle), 2014, Sculpteurs sur pierre en Basse-Bretagne. Les ateliers du XVe au XVIe siècle. Presses Universitaires de Rennes.
http://www.pur-editions.fr/couvertures/1409573610_doc.pdf
— LE SEAC'H (Emmanuelle), 1997, Les crossettes et les gargouilles dans quatre cantons du Finistère : Landerneau, Landivisiau, Ploudiry, Sizun. Mémoire de maîtrise d’histoire, 2 vol. 359 p. + 135 p. : ill. ; 30 cm.
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