Le jubé (vers 1493-1495) de la chapelle de Kerfons en Ploubezre.
Voir sur cette chapelle :
PRÉSENTATION.
"Le plus beau jubé de Bretagne" Site Patrimoine.bzh.
S'il subsiste encore une douzaine de jubés en bois en Bretagne, celui de la chapelle Notre-Dame de Kerfons à Ploubezre est sans doute l’un des plus remarquables dans le travail du bois ajouré et de la polychromie. Ce jubé de style gothique flamboyant a été réalisé dans les années 1493-1495 puis, recoupé et déplacé, probablement dans la seconde moitié du 16e siècle ou au début du 17e siècle, pour s’adapter aux transformations de la chapelle.
Pour Jérôme Lafeuille et Christian Kermoal (voir bibliographie), "si le maître de Kerfons n’est pas un étranger - Florence Piat évoque le Breton Jean Jouhaff dans sa thèse - le jubé de Notre-Dame de Kerfons témoignerait de la présence d’une culture savante et francophone dans le diocèse de Tréguier à la fin du Moyen Âge et, grâce à la sculpture religieuse, de sa diffusion au plus profond des campagnes bretonnes".
Selon Jérôme Lafeuille et Christian Kermoal, son décor s’inspirerait d’une illustration du Calendrier des Bergers, ouvrage populaire de référence publié en 1493. Le jubé porte le message théologique suivant : la proclamation de la foi par les apôtres et l’annonce de la Résurrection du Christ par Marie-Madeleine.
Selon des observations in situ, il apparaît que le jubé a été recoupé et déplacé depuis un emplacement d’origine plus proche du chœur et plus large (vraisemblablement dans la seconde moitié du 16e siècle ou au début du 17e siècle ?). Par comparaison iconographique, il manquerait aujourd’hui à la composition du jubé de Kerfons, le Christ de la Passion et le Christ en majesté "de façon à constituer avec le Christ ressuscité un triptyque symbolisant la rédemption opérée par la mort et la Résurrection du Christ embrassant les douze apôtres " (Jérôme Lafeuille, 2019).
Le jubé sépare la nef du chœur et sert de support à une tribune.Il mesure 6 m. de long et 4,60 m de large.
Il est en bois, sculpté et peint, de style gothique flamboyant composé d'une clôture à cinq arcatures ajourées en arc brisé, séparées par des colonnes torsadées. L’arcature centrale s’ouvre par une porte à claire-voie. La clôture supporte une tribune en encorbellement, accessible par un petit escalier en vis encore doté de sa porte.
Quinze niches abritent des bas-reliefs en bois polychromes qui représentent de gauche à droite : sainte Barbe, les douze apôtres avec les instruments de leur martyre (Pierre, André, Jacques le Majeur, Jean, Thomas, Jacques le mineur, Philippe, Barthélémy, Matthieu, Simon, Jude, Matthias), sainte Marie-Madeleine et le Christ ressuscité (placé à l’extrême droite). Au-dessus de la tribune, se dressent les statues de la Vierge et de l’apôtre Jean, entre lesquelles se trouvait à l’origine une statue du Christ en croix.
Classé Monument historique dès 1899, le jubé a été restauré de 1978 à 1979."
Ce jubé ayant été parfaitement étudié et décrit par Jérôme Lafeuille et Christian Moal, le but de cet article est de fournir mes clichés aux internautes, et de venir compléter, dans ce blog, mes séries sur les jubés bretons, et sur les Credo apostoliques :
Voir :
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Le jubé de la chapelle Saint-Fiacre du Faouët. I. Le coté de la nef.
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Le jubé de la chapelle Saint-Fiacre du Faouët. I. Le coté de la nef (Ouest). B. La tribune.
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Le jubé de la chapelle Saint-Fiacre du Faouët. II. Le coté du chœur.
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Le jubé de l'église Saint-Yves de La Roche-Maurice (29). I. La tribune.
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Le jubé de l'église Saint-Yves de La Roche-Maurice (29).II. La clôture de chœur.
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Le jubé de l'église Saint-Yves de La Roche-Maurice III. Les retables aux licornes.
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La chapelle Notre-Dame de Berven en Plouzévédé V. Le chancel .
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La chapelle Notre-Dame de Berven en Plouzévédé VI. La tribune ou jubé .
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L'église de Goulven IV : la tribune d'orgue, ancien jubé du XVIe siècle.
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La croix de chancel ( fin du Xve siècle) de la chapelle Notre-Dame-du-Loc à Saint-Avé.
DESCRIPTION.
I. LE CÔTÉ VISIBLE DEPUIS LA NEF (face occidentale).
A. LA TRIBUNE ET SES QUINZE PANNEAUX.
On y trouve, comme à La Roche-Maurice, Lambader, N.D de Berven, ou Saint-Nicolas en Priziac, les 12 apôtres, dans l'ordre des Credo apostoliques, mais associés de chaque côté à deux saintes, sainte Barbe et sainte Marie-Madeleine, et à l'extrême droite, au Christ ressuscité :
1. Sainte Barbe
2. Saint Pierre
3 Saint André
4. Saint Jacques
5. Saint Jean
6. Saint Thomas
7. Saint Jacques le Mineur
8. Saint Philippe,
9. Saint Barthélémy,
10. Saint Matthieu.
11. Saint Simon.
12. Saint Jude.
13. Saint Mathias
14. Sainte Marie-Madeleine.
15. Le Christ ressuscité.
L'identification des apôtres se fait, lorsque leur nom n'est pas indiqué d'après leur attribut, ou par leur rang (fixé par le Credo apostolique"), ou par le texte de ce Credo lorsque les apôtres présentent leur article sur un phylactère, ce qui n'est pas le cas ici. (L'absence de ces phylactères pourrait penser que nous n'avons pas affaire à un Credo). Il pourrait s'agir de la présentation des saints personnages auxquels le Christ est apparu après sa résurrection : les Apôtres, et Marie-Madeleine. Sainte Barbe serait alors l'intruse.
Quoiqu'il en soit, les douze apôtres s'identifient, comme l'a montré Jérôme Lafeuille, par les illustrations du Credo des Apôtres du Calendrier des bergers de 1493, édité par G. Marchant à Paris (première édition en 1491).
On peut penser que le commanditaire a remis au sculpteur cet imprimé ( ou une copie) et que l'artisan a suivi ce modèle, avec de légères difficultés d'interprétation pour Jacques le Mineur ou Philippe par exemple.
1. Sainte Barbe , sa tour, son livre, sa palme du martyr .
Sainte Barbe est très largement invoquée à la fois par les fidèles dans leurs oraisons privées — dans les livres d'Heures — pour prévenir les dangers de la mort brutale, et dans les édifices pour les protéger de la foudre. Sa présence n'est pas surprenante. On la trouve sur la tribune de La Roche-Maurice, avec les mêmes trois attributs.
Son front est ceint d'un diadème, ses cheveux noirs retombent en nattes jusqu'à sa taille ; elle désigne son livre d'un index décidé, sans doute pour affirmer sa foi dans le dogme de la Trinité.
2. Saint Pierre et sa clef.
3. Saint André et sa croix en X .
4. Saint Jacques le Majeur en tenue de pèlerin.
Chapeau à large bord timbré d'une coquille Saint-Jacques, pèlerine, bourdon et besace.
5. Saint Jean bénissant la coupe pour en neutraliser le poison (signalé par un serpent) .
6. Saint Thomas et sa lance.
7. Saint Jacques le Mineur avec un "bâton de foulon" en crosse.
Jacques le Mineur tient habituellement un "bâton de foulon", dont l'extrémité dilatée en club est tournée vers le bas. Mais ici, au bout d'un bâton à écot, c'est l'extrémité supérieure qui se recourbe comme une crosse végétale, presque épiscopale. C'est inhabituel, mais insuffisant pour nous tromper : soyons indulgents.
8. Saint Philippe et sa croix .
Au lieu d'une croix à traverse orthogonale, notre sculpteur, un peu gêné par le format dont il dispose, a créé une croix en T de traviole. Heureusement, il suit l'ordre du Calendrier, et finalement, son écart du modèle est minime. Notez par exemple l'index placé sur le bois de la croix.
9. Saint Barthélémy et son coutelas de dépeçage.
10. Saint Matthieu et sa hache.
11. Saint Simon et sa croix à longue hampe.
12. Saint Jude et sa scie.
13. Saint Mathias et sa hallebarde.
14. Sainte Marie-Madeleine et son pot d'onguent.
Elle s'identifie à son pot d'onguent, ou d'aromates destinés à l'embaumement du corps du Christ, mais elle trouve le tombeau vide, et le Christ ressuscité lui apparaît, sous les allures d'un jardinier : elle est le premier témoin de la Résurrection.
Ses longs cheveux blonds fait aussi partie de ses attributs, car c'est avec ses cheveux qu'elle essuya, chez Simon, les pieds de Jésus qu'elle avait trempé de ses larmes de repentir.
Elle trouve donc toute sa place à côté des apôtres, comme Témoin, et comme figure de la gratitude envers le Rédempteur.
15. Le Christ ressuscité.
Vêtu du manteau glorieux, de pourpre doublé d'or, de sa victoire sur la mort il tient la croix (remplaçant l'étendard marqué de la croix) et il bénit. Dans la figure traditionnelle du ressuscité, les plaies des mains et des pieds sont exposées ; ici, seule la plaie du flanc, et celle du poignet droit, sont visibles.
B. AU DESSUS DE LA TRIBUNE, LA VIERGE ET SAINT JEAN.
C. SOUS LA TRIBUNE, ONZE ANGES EN VOL.
L'un, à droite, porte un blason (muet), l'autre, à gauche, prie les bras croisés sur la poitrine, quatre portent les Instruments de la Passion un tient un livre ouvert, les autres tiennent des rectangles qui ont perdu leurs peintures. Ce sont des écus en bannière, portant jadis des armoiries des prééminenciers et autres familles nobles influentes.
En effet, René Couffon fait remarquer ceci :
"La tribune est supportée par des arcs soutenus par des angelots tenant entre leurs mains des écussons soigneusement rabotés à la Révolution.
Ce jubé ne porte ni date ni inscription. Il a été daté par quelques auteurs du xve siècle, le plus généralement du xvie siècle sans preuve déterminante.
Or un acte nous permet aujourd'hui de préciser l'époque de sa construction (Archives départementales des Côtes-du-Nord, E. 1644). Un ouragan ayant détruit en 1769 l'une des verrières de la chapelle, le gouverneur fit mettre soigneusement de côté tous les morceaux afin de faire dresser l'état des prééminences, qui fut exécuté le 10 septembre 1771 par un expert héraldiste, François Bahic de Lannion.
Celui-ci mentionna dans la verrière les armes de Bretagne, d'Avaugour, de Coëtmen, de Penhoët et du Parc et ajouta que ces mêmes armes se voyaient également sur le jubé, très précieuse indication. Elles permettent, en effet, d'attribuer le jubé soit à Guillaume de Penhouët, chambellan du duc François Ier et vivant encore en 1470, ainsi qu'à sa femme Beatrix de Coëtmen, soit plutôt à leur fils Jean, époux de Beatrix Péan dont les armes étaient écartelées du Parc et de la Roche-Jagu, ces dernières semblables d'ailleurs à celles de la Maison de Coëtmen de sa belle-mère.
Ce Jean, baron de Coëtfrec en 1475, était décédé en 1489. Or l'examen du jubé de Kerfaoues indique qu'il est légèrement postérieur à celui de Saint-Fiacre du Faouët daté très exactement par une inscription de 1480 et qu'il convient ainsi de le dater d'entre 1481 et 1489."
Si la datation a été précisée par Jérôme Lafeuille en la rapportant aux dates de parution des Calendrier des bergers, la pièce d'archive nous permet d'assurer que ces anges tenaient bien au moins huit panneaux rectangulaires armoriés, ou écus en bannière, et un blason.
Nous avions donc ici :
Bretagne : d'hermines plain
D'Avaugour :D'argent au chef de gueules chargé d'une macle d'or
De Coëtmen : De gueules à neuf annelets d'argent posés 3, 3, 3.
De Penhoët : d'or à la fasce de gueules.
https://bibliotheque.idbe.bzh/data/cle_140/Les_Seigneurs_de_Penhoet_en_Saint_Thegonnec_.pdf
Lignée des Penhoët baron de Coetfret :
—Guillaume de Penhoët, décédé en 1475, épouse Béatrice de Coëtmen.
—Jean de Penhoët, leur fils, épouse vers 1465 Guillemette Péan (De sable à deux fasces d'or accompagnées de six quintefeuilles d'argent posées 3, 2 et 1 ), d'ou Pierre de Penhoët, marié avec Louise du Juch (pas d'enfant), et Jeanne de Penhoët.
— Jeanne de Penhoët, dame de Kerimel, 4ème baronne de Coëtfrec, épouse François de la Touche, seigneur de La Touche-Limouzinière (d'or à trois tourteaux de gueules).
—La branche des Penhoët-Coatfrec se fond en 1492 dans la famille de La Touche-Limousinière en Loire-Atlantique. Un des fils épouse en 1522 un membre d 'une des plus grandes familles bretonnes, Marquise de Goulaine qui meurt en 1531 et est enterrée dans la chapelle Saint-Yves de Kerfons, c'est-à-dire dans la chapelle sud du transept. En 1533, leur fille Françoise de La Touche est inhumée dans la même chapelle aux côtés de sa mère et leur deuxième fille Claude fera rebâtir en 1559 la chapelle funéraire de la famille. Ces travaux nécessitent la surélévation de la nef avec des modillons et l'aménagement d'une sacristie au bas de la nef.
https://gw.geneanet.org/zardoz?lang=fr&p=guillaume&n=de+penhoet&oc=4
https://gw.geneanet.org/gilles101?n=de+penhoet&oc=2&p=jean
De gauche à droite :
1. Ange orant.
2. Ange tenant la colonne de la Flagellation et sans doute jadis les fouets et verges.
3. Ange tenant un panneau.
4. Ange tenant la croix, les clous (et jadis sans doute un marteau).
5. Ange tenant un panneau.
6. Ange tenant la lance de Longin et ?.
7. Ange tenant un panneau.
8. Ange tenant un objet perdu. La tunique qui fut tirée au sort par les soldats ? Le voile de Véronique ?
9. Ange tenant un panneau.
9. Ange tenant un livre ouvert.
11. Ange tenant un écusson (muet).
D. LA CLÔTURE AJOURÉE À CINQ TRAVÉES.
Quatre travées ont la forme d'ogives étroites ajourées de deux lancettes à découpes gothiques. La porte rectangulaire occupe la travée centrale sous un tympan ajouré à feuilles d'acanthes et fleurons. Chaque colonne reçoit une ornementation différente, et la porte est entourée d'une frise de pampres et grappes, symbole eucharistique.
II. LE CÔTÉ VISIBLE DEPUIS LE CHŒUR (face orientale).
De ce côté, la tribune ne comporte plus que 13 panneaux, mais ceux-ci se prolongent par ceux, identiques en couleur et en décor, de l'escalier à vis qui y donne l'accès par le côté droit.
D'autre-part, ces panneaux ne sont pas à personnages, mais seulement ornementaux.
Par contre, nous retrouvons la succession de neuf anges en vol, tenant là encore alternativement des panneaux vierges, et des objets souvent perdus.
Séparant les panneaux de tribune et les anges, une frise de branches écotés à phylactères et d'épis s'enrichit de groupes d'animaux et de personnages non religieux.
A. Dans les arcades à feuilles d'acanthes séparées de pinacles, les panneaux décoratifs de la tribune, à entrelacs végétaux, surmontés d'une frise de pampres et de grappes.
B. Les neuf anges.
1. Ange tenant un panneau muet.
2. Ange tenant la colonne de Flagellation.
3. Ange bras écartés tenant un objet perdu.
4. Ange tenant un objet perdu .
5. Ange tenant un panneau muet.
6. Ange tenant un objet perdu .
7. Ange tenant un panneau muet.
8. Ange tenant une croix et une tige.
9. Ange tenant un objet perdu.
C. La frise intermédiaire.
Un homme coiffé d'un bonnet jaune, allongé, tient l'extrémité de la tige de feuillages et d'épis.
Un dragon vert (échine dentelée) et un animal jaune à pelage lisse (bœuf? Lapin?)
D. L'escalier à vis donnant accès à la tribune.
E. La clôture et la porte.
SOURCES
— COUFFON (René), 1959, Note sur la chapelle Notre-Dame de Kerfaoues en Ploubezre et la chronologie de quelques jubés, Bulletin Monumental Année 1959 117-1 pp. 51-54.
https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1959_num_117_1_3854
—LE LOUARN, Geneviève. "La chapelle Notre-Dame de Kerfons". Rennes, Mémoires de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Bretagne, t. LX, 1983, p. 301-305.
https://www.shabretagne.com/scripts/files/6699bf90f223f4.47423932/1983_25.pdf
—LAFEUILLE, Jérôme. KERMOAL, Christian. "Le Calendrier des bergers modèle du Jubé de Notre-Dame de Kerfons. Son interprétation à la lumière du Symbole des apôtres". Société d'émulation des Côtes-d'Armor, 2019, p. 271-294.
—LAFEUILLE, Jérôme. "Le jubé de Notre-Dame de Kerfons : un chef-d’oeuvre tronqué". Société d'émulation des Côtes-d'Armor, 2019, p. 295-310.
https://patrimoine.bzh/gertrude-diffusion/dossier/IM22005238
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jub%C3%A9_de_la_chapelle_de_Kerfons-en-Kerfaou%C3%ABs
https://pop.culture.gouv.fr/notice/palissy/PM22000878