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3 octobre 2012 3 03 /10 /octobre /2012 12:21

         Le retable des dix mille martyrs,

              église Saint-Pierre de Crozon (29).

  Troisième partie, étude du culte des dix mille martyrs et de l'iconographie .

Voir aussi  : 

 

 

— Note préliminaire : Le caractère "fourre-tout" de cet article est, j'en suis conscient, déplorable. Échappant à son auteur, il a grossi comme un chou-fleur monstrueux. A défaut de faire ses choux gras de ces informations indigestes, on s'en servira comme garde-manger.

 

— Note en octobre 2015.

Malgré l'absence de certitude sur la date et l'origine de ce retable, je souhaite mettre en exergue les éléments suivants, qui formulent une hypothèse :

  • En 1456, le cardinal de Coëtivy offre à la Collégiale du Folgoët (29) "de Rome un magnifique reliquaire renfermant les restes de dix mille martyrs conservés au monastère de saint-Anastase des Trois-Fontaines". Ce reliquaire est aujourd'hui perdu. Alain IV de Coëtivy (1407-1474) "l'évêque d'Avignon" fut Cardinal et Archevêque d'Avignon et Evêque commendataire de Nimes, d'Uzès et de Sabine.
  • Geoffroy de Treanna  figure parmi les clercs   familiers commensaux d'Alain de Coëtivy.  Or,  il fut  recteur de Crozon de 1486 à 1496, et chanoine de Quimper en 1494. En 1476, il est vice-chancelier et commensal du cardinal Rodrigue Borgia, évêque d'Albano, le futur pape Alexandre VI (1492-1503). (Dans un vitrail de la cathédrale de Quimper, la baie 116, qu'il offre en 1496, il se déclare "Recteur de Craon [Crozon] ...archidiacre du Mans Chanoine de ceste église [de Quimper]".
  • Entre 1503 et 1508,  Jean Bourdichon peint pour les Grandes Heures d'Anne de Bretagne une enluminure des Dix Mille martyrs.
  • En 1514, Alain Bouchard écrit dans ses Grandes Croniques et pour le compte d'Anne de Bretagne une version de la légende des Dix Mille martyrs. 
  • En 1519, Gouzien, recteur de Crozon, fait réaliser un reliquaire en l'honneur de saint Pierre et des Dix Mille Martyrs. Ce reliquaire est conservé aujourd'hui à Crozon. L'arrivée des reliques des Dix Mille martyrs est donc antérieure à 1519.

Il est possible d'imaginer qu'à une période où le culte des Dix Mille Martyrs était attesté dans l'entourage de la reine Anne de Bretagne, Geoffroy de Tréanna ait obtenu pour la paroisse dont il était recteur entre 1486 et 1496, par ses liens privilégiés avec le cardinal de Coëtivy, tout ou partie des reliques offertes au Folgöet — ou des reliques venant de Rome à l'instar de celle du Folgoët— et que son successeur ait fait réaliser en 1519 un reliquaire pour les accueillir et les vénérer. Il est vraisemblable que le retable ait été commandé dans ce créneau de 1486 à 1519, par Geoffroy de Tréanna, ou par Hervé Gouzien, ou par la famille Gouzien, seigneurs de Lamboëzer à Crozon pour une chapelle privative de l'église. 

.Je dois aussi préciser que la description et l'interprétation des panneaux, telle que je l'ai rédigée lors de ma première visite de ce retable en 2012, en m'inspirant de mes augustes prédecesseurs, devrait être re-considérée aujourd'hui à la lumière des données scripturaires de la Légende, que j'ai étudié ensuite. 

.

Introduction.

  L'église de Crozon conserve dans son transept sud un retable du XVI ou XVIIe siècle consacré "aux dix mille martyrs" du mont Ararat, légionnaires romains convertis à la foi chrétienne et martyrisés sous l'empereur Hadrien.

   Placé au dessus de l'autel,  c'est un ensemble composite regroupant le retable lui même qui est un triptyque à volets en chêne polychrome de 5 mètres de large, avec un autre triptyque beaucoup plus petit placé au dessus de lui. De plus, les deux bas-reliefs du bel autel (il aurait été  le maître-autel de l'église jusqu'en 1754) consacrés à la Passion du Christ, quoique de facture différente participent à l'ensemble en soulignant le lien entre le martyre des soldats et les souffrances du Christ.

  Le retable, dont on pense qu'il a été réalisé par des sculpteurs locaux au XVIe siècle, est classé par les  Monuments historiques à la date du 11 octobre 1906.

Après en avoir étudié les panneaux  Le retable des dix mille martyrs, (2, avec les commentaires des panneaux), église Saint-Pierre de Crozon (29)., j'essaye dans cet article de rassembler les éléments documentaires sur ce culte peu ou pas connu en Bretagne. Je veux néanmoins insister sur les plus belles "découvertes"  de ma recherche : deux textes en ancien et moyen français décrivant la Légende, et, d'autre part, et tout aussi méconnu, le cycle des  peintures murales du XVIe siècle de l'église Saint-Etienne-du-Mont, auquel je consacrerai un quatrième article.

 

 

Le retable, éclairé l'après-midi par le vitrail de la baie sud :

retable 8674cc

 

 

 

 Commentaires : Le culte des dix mille martyrs.

 

I. Questions posées par ce retable :

   1. Sa date.

Ce retable est daté par une inscription sans-doute récente sur le panneau 2  de 1624, mais le Dr Corre écrit qu'il date du début du XVIe et que son encadrement date du XVIIe. Dans l'église, un texte explicatif dit qu'il date de 1602, puis du XVIe siècle. Auguste H. Dizerbo écrit dans un document qu'il est "réalisé vers le début du 16e siècle sur un modèle flamand ou rhénan". La base Palissy PM 29000182 des Monuments historiques 1994 date le retable de 1602.

  En janvier 1974, Dizerbo et Keraudren écrivait : "En 1973, le retable a été traité et décapé. Nous avons pu déchiffrer la date de 1624 sur le châssis du volet gauche, au dessus du panneau n°1". Cela laisse à penser que la date 1624 portée à la peinture noire, directement sur le panneau n°1, de manière discutable, a pu être inscrite vers 1974 pour rendre visible la date de l'origine du retable. A.H. Dizerbo est cependant moins affirmatif qu'il auarit pu l'être s'il avait découvert avec certitude l'inscription de la date de création, et il écrit seulement : " Le retable nous paraît plus récent (que le reliquaire du début du XVIe siècle)".

On discerne encore ces chiffres 1624 portée sur le châssis, après les lettres AN, et il me paraît crédible que ce soit dû à la main de l'artiste créateur.

volet-gauche 8672cc

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.

   2. Son histoire.

Ce triptyque de chêne est équipé de deux volets à deux battants chacun, qu'on devait ouvrir à certaines occasions (à la Toussaint, ou le 22 juin) ou au contraire ne refermer que lors des jours de la Passion, où les statues des églises étaient voilées. "Au revers était peinte une crucifixion. Durant la Révolution, le curé constitutionnel Savina, qui avait fait fermer le retable, fit lessiver la peinture, «afin, écrit-il, d'ôter à certains républicains que semblent choquer la vue de ces objets, tout prétexte de nous traiter de fanatiques». L'église servait alors de lieu d'hébergement pour les soldats. Ce geste de Savina sauva probablement le retable." (Louis Le Bras, op. cit.).

 

  En Europe, le culte des dix mille martyrs est attesté en France par un manuscrit des moines de Saint-Denis au XII-XIIIe siècle, mais la Légende de martyrs du Mont Ararat, vivace dès la fin du XVe siècle, son Mystère étant joué à Amiens en 1483,  s'est surtout répandue depuis une édition de la Vita à Venise en 1493, et est illustrée en iconographie par des vitraux (Moulins, 1480 ; Berne, 1460), par des enluminures en 1508 (Anne de Bretagne) puis par des tableaux de 1508 à 1530 en Italie (Carpaccio, Pontormo, Bronzino) et en Allemagne (Dürer).

   A Crozon, où une confrérie des saints martyrs existait au XVIe siècle et où un reliquaire en l'honneur des dix mille martyrs, datant peut-être de 1519, était porté en procession chaque année le 22 juin, jour de la fête des dix mille martyrs, ce culte s'est renforcé après les Missions prêchées par le Père Maunoir entre 1654 et 1683 : un cantique des dix mille martyrs a été composé par le Père Maunoir, sans-doute en 1671 lors d'une mission à Crozon, paroisse où il a composé ses cantiques sur la Passion. Les comptes de fabrique de 1656 font état de dons pour la confrérie ("une cloche pour servir à la confrérie des dix mille martyrs...3 sols à la confrérie des dix mille martyrs et 2 sols à la confrérie du Rosaire", Abgrall, 1907.)

 

3. Un, ou deux artistes ?

  Les panneaux des volets, en bas-reliefs sur la planche qui sert de fond, sont différents des panneaux du caisson central, qui sont, sinon en ronde-bosse comme on a pu le dire, du moins en moyen-reliefs de forme découpée en suivant le contour des silhouettes. On a donc pu évoquer deux mains différentes. Et si deux artistes y ont travaillé, pourquoi ne pas penser à deux créations successives, celle du caisson central d'abord, fin XVIe-début XVIIe, puis celle des volets, en 1624 ? 

 

Geste d'affirmation de la Foi par le tribun Acace, Crozon.

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II. Tentatives d'explication sur la présence de ce retable à Crozon.

Rien n'explique la raison de l'existence de ce culte ou de ces reliques à Crozon (comme rien ne les explique dans l'église du Sap, dans l'Orne), et seules diverses hypothèses peuvent être proposées :

1.  Hypothèse d'ossements anciens suscitant un culte aux martyrs.

 C'est celle du Dr Corre (Corre, 1901), qui a fait le lien avec deux ordres de faits :

1. La notion qu'"autrefois" il y eut " de grands massacres  de populations chrétiennes sur le littoral". (¹) Mais pour expliquer que ces massacres, qui ne sont pas propres à la paroisse, et qui font peut-être référence aux invasions normandes du Xe siècle, puissent générer un culte au XVIe siècle, le médecin brestois doit imaginer que ce fut  " par la découverte de nombreux ossements, par  caprice d'imagination, par association bizarre de traditions et de légendes sans relations historiques, mais rapprochées par exemple de quelque pèlerin revenu d'Orient, ou seulement de Rome (les dix mille martyrs étaient honorés dans cette ville)". 

2. "Qu'il est certain [mais le Dr Corre ne dit pas d'où vient cette certitude] que l'autel des martyrs fut élevé sur un emplacement où l'on avait découvert beaucoup d'ossements humains accumulés depuis les lointaines époques des invasions normandes"  et surtout que "en 1900, lors de la démolition de l'ancienne église, on a retrouvé de ces ossements aux pieds de l'ancien autel en pierre brute qui avait été recouvert de bois : ils étaient mêlés à des ossements de grand quadrupèdes (une tête de cheval entre autres). Par malheur, l'attention n'était pas encore éveillé sur l'intérêt que pouvait présenter cette découverte, et on ne lui attacha pas l'importance qu'elle avait : on n'examina pas les ossements qui auraient pu fournir des indices chronologiques : ils ont été de nouveau recouverts par le sol de l'église."

      Cela évoque une autre histoire  : à Tréves, en Allemagne, où un culte est rendu aux  martyrs de la légion thébaine de saint Maurice, exécutés au nord de la ville selon une légende locale,  et où  douze des martyrs sont enterrés dans la crypte, la découverte de de nombreux crânes  dans le sous-sol de la basilique saint-Paulin semblent attester de la véracité du martyre,..jusqu'au jour où on découvrit que la basilique avait été construite sur un cimetière romain au IVe siècle.link

 

  C'est aussi cette hypothése que retient Auguste Dizerbo, en l'argumentant ainsi  (Dizerbo & Kerautren, 1974) :

" Lors des invasions normandes, des chrétiens de notre pays ont été massacrés par les païens, sans-doute après avoir défendu héroïquement leur sol. "Morts pour Dieu et la patrie", on les a honorés comme martyrs. Ce culte populaire a été plus tard contesté par certains représentants de l'autorité religieuse et il a dû être remplacé par un culte officiel rendu à des martyrs déjà vénérés dans l'église romaine; Qu'on ait d'abord songé à saint Maurice et à sa Légion, c'est fort compréhensible, car les moines de Landevennec étaient en relation avec les bénédictins de Suisse. Lorsque, plus tard, les Bollandistescont révélé aux chrétiens d'Occident l'épopée des martyrs du mont Ararat, pourquoi la piété populaire et la création artistique n'auraient-elles pas donné la préférence à ce drame plus évocateur de la Passion du Christ ? Quand a-t-on commencé à les honorer chez nous ? Certainement au début du XVIe siècle au plus tard, comme l'atteste le reliquaire que possède notre paroisse et qui est de cette époque."

 

  (¹) Impossible de ne pas citer Gustave Flaubert, ou plutôt Maxime Ducamp dont c'était le tour de tenir la plume dans la rédaction de Voyage en Bretagne : Par les champs et par les grèves" (1881, mais décrivant un voyage de 1847-48)  : "Après cette expédition qui n'était point de nature à nous réconcilier avec le celticisme, nous nous rendîmes à l'anse de Dinan. Il y a sept ans, nous avait-on dit, un coup de vent, en remuant les sables, avait mis à nu un cimetière entier que nul ne soupçonnait. Les morts étaient couchés, les pieds tournés vers la mer, la tête appuyèe sur deux pierres plates et les bras le long du corps, ils étaient en grand nombre et pressés les uns contre les autres. Quand on creuse la terre, on en retrouve encore. Nous arrivâmes, comptant rencontrer quelque vieux crâne bien désséché que nous pourrions mettre sur la cheminée à notre retour, entre la pendule et les flambeaux. Mais nous étions dans un jour de malheur et nous ne trouvâmes que des fémurs calcinés de vieillesse, des côtes brisées et des phalanges qui s'émiettaient en poussière sous nos doigts ; mais en revanche, nous vîmes la mer dont quelques vagues blanches égayaient le bleu foncé.". Les squelettes en question sont ceux, au nombre d'une centaine, mis à jour lors de fouilles effectuées le 20 septembre 1843 dans les sables proches de l'éperon barré de Lostmarc'h, et Maxime Ducamp reprend les termes du rapport présenté par le Chevalier de Fréminville, secrétaire de la commission scientifique nommée par le sous-préfet et responsable de ces fouilles. Une petite médaille à l'effigie de l'empereur des Gaules Tétricus (271-273) ou les objets et poteries romaines ou celtes qui y ont été trouvés, l 'age des cadavres (20 à 30 ans), l'enceinte dans laquelle il se trouvait, avait fait conclure à un oppidum "appartenant à la nation indigène". ( Collections de pièces inédites Saint-Brieuc, 1851). La présence d'une trépanation guérie sur l'un des crânes avait conduit P. du Châtellier à le dater du néolithique, puis P.R. Giot ramena cette date d'abord à l'Age de Fer, puis au Haut Moyen-Âge, "d'autant plus qu'il semble avoir fait suite au cimetière gallo-romain à incinération des mêmes dunes, dont les monnaies les plus récentes auraient été du IVe siècle." (P.R.Giot, Perspéctives nouvelles sur les Bretons Ann. de Bret.vol.80, n° 180-1, 1973, p. 135) .

 

 

 

  2. Hypothèse de la diffusion à Crozon d'un culte attesté en Europe.

a) Influence espagnole.

  Sans autre argument que la notion que les Espagnols voient dans les dix mille martyrs des compatriotes menés par St Hermoloas, supposé évêque de Tolède,  associée à la présence en Presqu'île de Crozon des troupes ibériques venues soutenir la Ligue et construire le Fort Espagnol (Fort el Leon) en 1594. La prise de ce fort par l'armée anglo-française fit 3000 morts, et aucun des 400 espagnols de la garnison ne fut épargné, ni les femmes et les enfants s'y trouvant en grand nombre. 

b) influence flamande ou italienne.

        Une autre hypothèse pourrait être que le culte des dix mille martyrs ait été introduit à Crozon par quelque clerc ou seigneur qui l'aurait découvert lors des guerres d'Italie (1494-1559) ou par des contacts avec la région du Forez ou du Velay, ou par les influences artistiques italiennes ou flamandes associées au commerce de la Bretagne avec ces régions, en même temps que ce culte connaissait, dans ces territoires, son apogée, entre 1480 et 1530. Si on retient la date de 1624 comme datation du retable, le recteur de Crozon de 1608 à 1622 était Jean Brient ou Briant, abbé de Landevennec,  docteur in utroque (en droit canon et droit civil) à l'université de Bologne et chanoine archidiacre de Cornouaille ; l'abbaye de Landevennec lui doit sa réparation après les dégradations de la Ligue. En 1622 (ou 1627), il résigna son abbaye, mais son successeur Pierre Tanguy ne fut nommé abbé de Landevennec qu'en mars 1630. Pierre Tanguy, aumonier du roi et conseiller d'Anne d'Autriche (ou l'inverse, selon Abgrall) hérita de la paroisse de Crozon en même temps que de l'abbaye. On voit que ces deux recteurs avaient une stature et une ouverture régionale.

c) Influence de la cour d'Anne de Bretagne.

Le même raisonnement peut faire rechercher un lien d'un commanditaire avec la cour royale puisque Anne de Bretagne vouait un culte aux dix mille martyrs, dont elle possédait des reliques et dont les Grandes Heures contiennent une oraison.

3. Hypothèse lièe au motif d'invocation des dix mille martyrs. 

 Saint Acace, ou les dix mille martyrs, sont invoqués pour s'assurer d'une bonne mort. Or, la Mort est venu donner dans la Presqu'île comme partout ailleurs de grands coups de faux qui créaient la panique dans la population, incertaine de pouvoir bénéficier des secours de la religion lors des derniers instants : la confrérie des dix mille martyrs est certainement l'équivalent des Confréries des agonisants et des Confréries du Scapulaire, et ce n'est pas un hasard si, sur le retable de 1664 situé au bras gauche du transept, la Vierge du Rosaire remet un scapulaire à sainte Catherine : le port du scapulaire garantissait celui qui le portait le jour de sa mort  d'un accès au paradis  Notre-Dame de Carmès à Neulliac et le scapulaire.

 J'ignore quelles indulgences, quelles garanties étaient accordées par le pape aux membres de la Confrérie des dix mille martyrs, mais on peut imaginer que la participation à la fête du 22 juin, ou la prière face au retable, ou les dons versés, assuraient aux membres une "bonne mort", car finalement, toute la Légende des dix mille se résume à cela  : les légionnaires exposés à la mort violente lors des combats contre les Arméniens choisissent la foi chrétienne : au lieu de mourir tués par leurs ennemis, mais sans espoir de vie future, ils meurent d'être martyrisés, mais avec la certitude d'une résurrection et d'une rédemption.

  Quelles étaient, du XV au XVIIe siècle, les menaces de mort violente ?

  En premier lieu la peste, ou les épidémies que l'on regroupe sous ce nom. Celles de 1347, à Argol notamment et 1348, de 1521 à Daoulas, de 1533, 1564, 1586, 1594 ou 1636 à Quimper, de 1598 et 1599 à Plougastel. Crozon en garde le souvenir d'une chapelle Saint-Sébastien,  le saint spécialisé pour couvrir ce risque (et dont on remarque qu'il s'agit d'un officier romain, comme nos dix mille martyrs) ; elle était située entre Lamboëzer et Crozon sur la route menant à Postolonnec, et  j'ai aussi entendu les habitants de Lamboëzer parler de murs anciens d'un village dévasté par la peste, près de chez eux. C'est aussi à la suite d'une épidémie qu'en 1760 l'ancien cimetière, "ar Vered", qui entourait l'église, fut transférer ...près de la chapelle de Saint-Sébastien

  Et puis les attaques, après celle des Normands ou des pirates anglais, des troupes anglaises venant faire le siège du Fort des Espagnols et pillant la population, ou des troupes de la Ligue jusqu'en 1597, sans compter les attaques des loups, parfaitement attestées. 

  Parmi les oeuvres que je citerais en iconographie, le contexte historique est connu pour trois d'entre elles : les tableaux de Carpaccio sont liès à une épidémie de peste, dont le couvent de Sant'Antonio  a été préservé par l'intervention des Dix mille martyrs ; le tableau de l'abbaye de Fontevraud a été réalisé après l'invocation par les religieuses des Dix mille martyrs et l'échec de l'assaut des huguenots ; et le tableau de Dürer a été commandé par un collectionneur de reliques, Frédéric le Sage.

  

 

4. Fusion / confusion avec d'autres cultes de martyrs par milliers.

   Louis Réau estime (Iconographie, 3/1 p. 13) que la Légende des dix mille martyrs est "un doublet de Saint Maurice et de ses compagnons, ou encore le pendant de Sainte Ursule massacré par les Huns.

C'est en premier lieu le culte rendu à Saint Maurice ¹ et sa légion thébaine. Il s'agit du massacre survenu sous Dioclétien entre 285 et 306  à Augaune, en Suisse, de 6500 soldats coptes originaires de Thèbes en Egypte après qu'ils aient, avec leur chef, refuser de tuer les chrétiens d'Octodurum (Martigny). Ces soldats auraient été décapités. Il ne peut y avoir confusion avec les Dix mille martyrs, qui furent crucifiés, mais la confusion est pourtant fréquemment rencontrée, et le Dr Corre écrivait en 1901 à propos du retable de crozon : "On a cru que les scènes retracées répondaient à l'histoire de saint Maurice et de ses compagnons."  En effet, Pol Potier de Courcy, dans la relation de sa visite de l'église en 1864, parle "d'un retable d'autel représentant le martyre de saint Maurice et de ses dix mille soldats de la légion thébaine" (De Rennes à Saint-Malo, Paris 1864). Louis Réau lui-même commet l'erreur en 1920 dans "Mathias Grünewald et le retable de Colmar", écrivant que le culte du saint noir [Maurice, l'Egyptien] se répandit dans toute l'Europe", atteignant même "au fond de la Bretagne, la petite église de Crozon". Même confusion dans la Grande Encyclopédie de Dreyfus et Berthelot de 1886, dans le Bulletin archéologique de l'Association Bretonne, Rennes 1851 (qui date le retable de 1602), dans le volume Bretagne de 1874, dans le Voyage en Bretagne d'Edouard Vallin de 1859, etc...

¹ A ne pas confondre, en Bretagne, avec saint Maurice Duault, vénéré à Carnoët.

  On rencontre aussi (comme dans le tableau de Dürer) une confusion avec des martyrs exécutés par le roi perse Sapor (ou Shapur II). Le martyrologe romain précise qu'outre le martyre de saint Siméon en 341, "on commémore aussi un très grand nombre de martyrs qui, après la mort de saint Siméon, furent frappés par l'épée à travers toute la Perse pour le nom du Christ par le même roi Sapor de 341 à 345".

  La confusion est également facilitée par le fait que le martyrologe romain connaît deux fêtes différentes "des dix mille martyrs", l'une le 18 mars avec la mention "A Nicomédie dix mille saints martyrs qui ont été mis à l'épée pour la confession du Christ", et qui célèbre "probablement" (Site Catholic Encyclopedia, sur lequel je trouve ces données) les victimes des premières persécutions de  Dioclétien en 303, qui accusa les chrétiens d'avoir mis deux fois le feu au palais, et l'autre le 22 juin qui correspond aux dix mille martyrs sur le mont Ararat. Dans tous les cas, ces derniers sont les seuls à avoir été, selon la légende, crucifiés.

  On se gardera de toute erreur de décompte des reliques, pour ne pas prendre pour les dix mille martyrs du 22 juin  les dix mille deux cent trois martyrs à Rome (martyrologue pour le 9 juillet), qui sont les légionnaires du tribun saint Zénon, victimes de Dioclétien le 9 juillet 298 , ou les dix sept mille martyrs à Rome (idem, le 26 avril).

  Pour compliquer les choses, il existe sous le nom de saint Acace au moins six martyrs,dont Acace d'Antioche de Pisidie (31 mars), martyr en 250, Acace martyrisé sous Aurélien au IIIe siècle, et Acace de Sébaste (9 mars) , l'un des quarante légionnaires martyrisés en Arménie romaine par Licinius, empereur d'Orient, et surtout  Acace de Bysance (8 mai), soldat martyr en 303,  également l'un des 14 saints auxiliaires, et très souvent confondu  avec notre Acace du mont Ararat  (ou Acace d'Arménie), d'autant qu'il est représenté avec une croix (alors qu'il a été décapité) et une couronne d'épines. Acace de Bysance est invoqué contre la peur de la mort et pour ouvrir à la vie éternelle tout comme son clone d'Ararat. 

     Que de martyrs ! Comme le chante le psalmiste   "Dinumerabo eos, et super arenam multiplicabuntur,  " Si je veux les compter, ils sont plus nombreux que les grains de sable !" (Psaume 139)

 

5. Hypothèse d'une forme de l'Imitation de Jésus-Christ et de l'importance du culte de la Passion.

   Il est envisageable que, dans le cadre de la Contre-Réforme, un clerc se soit soucier de recentrer le culte de ses paroissiens vers la personne de Jésus-Christ en  proposant à leur dévotion, non plus un saint local trop entaché de paganisme, mais une légende pronée en plus haut lieu (les religieux entourant Anne de Bretagne) parce qu'exemplaire d'une Imitation de Jesus-Christ menée jusqu'au sacrifice. Ce qu'un Pére Maunoir ne pouvait ultérieurement qu'approuver. 

 6. Comme simple cas particulier d'un culte rendu aux martyrs en général à Crozon.

   Lorsque l'on voit le nombre de reliquaires qui contiennent, ici ou là, parmi tant d'autres ossements, celles des dix mille martyrs, et que, d'autre part, l'église de Crozon conserve un reliquaire plus tardif renfermant les ossements de " Saint Valentin, martyr, saint Felix, martyr, sainte Candide, vierge, saint Valentin, prêtre martyr, saint Pretextat martyr, sainte Justine, vierge et martyre, saint Sévère martyr, saint Innocent, pape et martyr, plus 12 reliques récentes", on serait amené à banaliser la signification de la présence d'un reliquaire dédiés à ces dix mille martyrs pour ne retenir que la parfaite rareté d'un retable consacré à leur martyre.

 

 

  L'Ange proposant aux soldats romains la garantie  de la victoire et celle d'une Rédemption rendant secondaire le risque mortel rencontré lors du combat ; Crozon :

 retable 6644c

 

 

Le problème de la datation du reliquaire. 

Voir :  Le reliquaire des dix mille martyrs de Crozon (29).

  L'existence d'un reliquaire des dix mille martyrs est un élément important de la réflexion sur l'origine du retable, et le chanoine Abgrall s'interrogeait en 1908 pour savoir s'il était contemporain du retable. La datation de ce reliquaire est un point assez crucial pour qu'on s'y attarde. En 1835, le Chevalier de Fréminville, alias Christophe-Paulin de la Croix-Fréminville, écrit : "L'église de Crozon possède un reliquaire infiniement curieux. Il est d'argent, a la forme d'une église gothique, d'un travail et d'un fini très précieux. Il contient des reliques des dix mille martyrs. Au dessous on lit, gravée en caractères gothiques carrés, cette inscription : Gouzien faict faire ceste reliquere en loneur de Dieu, pour Sainct-Pierre et les diz mille martyrs et pour la paroisse de Crauzon. Quoique cette inscription ne porte pas de date, nous jugeons, au genre d'ornement et au style de ce beau morceau d'orfévrerie, qu'il a du être exécuté dans les trente premières années du seizième siècle. Son travail fait honneur à l'artiste qui en est l'auteur."

  La monographie écrite par Louis Le Bras parle  également d'un trés beau reliquaire offert "au début du 16ème siècle". 

  Dans un article intitulé Les paroissiens de Crozon en 1516, paru dans Les Cahiers de l'Iroise en 1965, Auguste Dizerbo link rapporte une liste des paroissiens convoqués le 2 juillet 1516 par un juge à l'occasion d'un désaccord entre la fabrique, qui veut réparer une chapelle de l'église, et un sieur Provost, sieur de Trébéron. En tête de cette liste se trouve le nom d' "Hervé Gouzian (sic), curé recteur, gouverneur de la paroisse et église paroissiale". Dizerbo étudie les patronymes cités dans la liste, et trouve Gouzien à trois reprises en comptant le recteur. Il écrit alors en note " Un petit reliquaire de Crozon porte l'inscription suivante : "Gouzien [etc..] Crauzon". Il date de cette époque et il est possible qu'il soit contemporain de l'autel des Martyrs. Il porte une petite chapelle de métal argenté. Un Gouzien cité à la Montre de 1562."

    Dans la feuille ronéotypée qu'il consacre ultérieurement à présenter l'église, Auguste Hervé Dizerbo (1913-2011), membre du réseau Musée de l'Homme pendant la Résistance, pharmacien, botaniste émérite, responsable du laboratoire d'algologie de l'Université de Bretagne occidentale, mentionne le reliquaire sans lui attribuer de date.

  Le site Topic Topos http://fr.topic-topos.com/reliquaire-en-forme-de-chapelle-crozon signale que la plaque gravée du reliquaire permet de le dater et de connaître le donateur, Hervé Gouzien. 

Le site Infobretagne http://www.infobretagne.com/crozon.htm écrit que le reliquaire date de 1519, et qu'il a été fait faire par Hervé Gouzien, recteur de Crozon en 1516.

La revue L'Oeil de 1994, qui reconnaît en la Sainte Chapelle le modèle du reliquaire,  reprend la même information.

 

  Un "Yvon Gouzien, noble sieur  de la Bouesser" est signalé à la montre de 1536, et un Yvon Gouzien, noble sieur de la Bouessière", est présent pour la paroisse de Crozon/Crauzon lors de la réformation de 1562 (site tudchentil).

Le Nobilaire et armorial de Poltier de Courcy indique :

GOUZIEN, Sr de Lambouërer, par. de Crozon, ref. et montres de 1443 à 1562, dite Ppar., évêché de Cornouailles. D'argent au chef endenté de gueules, chargés de trois annelets d'argent (Sceau 1273). Yvon, fils Rivoallon, vivait en 1273. Hervé, commis en 1511 par le Vicomte de Léon à la garde de l'Hopital de Landerneau. 

Du même auteur, le Nobiliaire de Bretagne donne les mêmes renseignements en précisant la présence aux reformations de 1426 et 1536.

 Le lieu-dit de Lambouërer, avec son manoir encore existant à 1 km à l'Est du bourg a connu plusieurs graphies dont l'orthographe actuelle Lamboezer/ Lamboëzer (IGN). La carte de Cassini écrit La Boescre (ou la Boesère), celle de l'Etat-Major (Géoportail) La Boësère. Sous la forme Labou Hether, il figure parmi les territoires de Crozon offerts par le roi Gradlon à saint Guénolé, selon le Cartulaire de Landevennec.

  Le donateur peut être le recteur (n'est-ce pas inhabituel ?) et la date de 1519 est alors valide, mais ce peut aussi être un sieur de Lamboëzer, et la date est alors moins précise.

 

Retable des dix mille martyrs, Crozon : scène des outrages.

           retable 6634v

 

III. Dossier documentaire sur le théme.     

 

  Ce dossier, débuté sans soupçonner qu'il serait si fructueux, n'échappe pas à un vent joyeux de désordre brouillon, l'auteur, nullement chartiste, étant plus habitué aux coups de suroit de la Presqu'île de Crozon qu'à la rigueur ordonnée d'une bibliothèque. 

 

1. Les sources disponibles.

a) Sur le retable : 

 

  •  Abgrall Jean-Marie et  Peyron Paul, "[Notices sur les paroisses]" Crozon, Bulletin diocésain d'histoire et d'archéologie, Quimper, 7e année, 1907, p. 468-69
  • Corre A. Le retable des dix mille martyrs dans l'église de Crozon, rubrique Notre musée religieux n° 169-173 de l'Echo paroissial de Brest, 23 juin-juillet 1901.
  • Dizerbo A.-H., s.d, Eglise paroissiale de Crozon : guide de visite, Gourin - Keltia Marketing Editions.
  • Dizerbo A.H. et Keraudren Th., L'église de Crozon, 20 pages polycopiées, janvier 1974.
  • Le Bras Louis, L'église de Crozon et son retable des dix mille martyrs, Crozon, Imp. Edigraphic, 1998. Cette première édition par Louis Le Bras, curé de Crozon a été complétée par une seconde édition revue et augmentée en 2004 par Jean-Yves Le Bras, curé de Crozon.
  • Le Thomas Louis, « Crozon et la légende des dix-mille martyrs », Les Cahiers de l'Iroise, n°45 - 1965 : 32-39.
  • Toudouze Georges G, 1933, « Le grand retable de Crozon en Finistère », L'illustration, 29 juillet 1933  n° 4717.

Par contre, le retable n'est signalé ni par Ogée (Dictionnaire de la Bretagne, 1780), ni par Émile Souvestre (Le Finistère en 1836), ni par le Chevalier de Fréminville (Antiquités de Bretagne, 1858), qui pourtant admirent tous le reliquaire des dix mille martyrs dans l'église. On en viendrait à douter qu'il fut alors visible, si on ne disposait de la description détaillée de touristes anglais, ou plus précisément de membres de l'Association archeologique du Pays de Galles visitant la Bretagne, et qui s'enthousiasmèrent sur le retable, " a monument if possible, yet more remarkable than this of Lampaul"  : 

  •  Archeologia cambrensis association  Vol. 4, third series, J. Russel Smith London,1858 link. Cette publication apporte des renseignements précieux sur les reliques et le reliquaire : je les présenterai dans l'article consacré au reliquaire.

 

 

 

 

 b) Sur la Légende et le culte des dix mille martyrs.

 

  •     Vie et passion de saint Denis, Traité des reliques, Légende de la passion des dix mille martyrs, Légende de la Véronique ; Chronique abrégée de la naissance de J.-C. à 1112, Continuation de 1120 à 1278. [traduction anonyme en français] Date d'édition 1270- 1285. Bibliothèque nationale de France, Département des Manuscrits, Français 696 :  On s'intéresse aux folio 18v-23. [Passion des dix mille martirs]. «Ici commence la passion de .X. mile martirs (rubr.) ». « Quant nostre sire Jhesus Crist sauveirres, li fiuz du verai Père pardurable, aparut ou monde, verité fu nee de terre …-… De ce soit loez Dieu li Peres et si chiers fiuz Jhesu Crist et li Saint Esperit, qui a la seigneurie et le pouoer e la victoire seur totes choses pardurablement sanz fin. Amen »                                                                     Je n'ai pas la capacité de lire tout le texte, mais j'ai pu vérifier que ces Dix mille martyrs étaient bien ceux du mont Ararat, par la mention "Quand Adrien et Antonin gouvernaient", ou par "Li angies damedieu (Damedieu = Dieu) prist ces hommes et les mena au sommet d'une montagne qui a non ararat", ou encore par la mention de saint "Achaces".  La partie théologique, c'est-à-dire la discussion entre l'empereur, voulant faire reconnaître que "Jupiter fit le ciel, Apollon la terre, Hercule les enfers, Esculape les hommes, ? fit les oiseaux, Vénus fit la lune et les étoiles, Umo (?) fit les chevaux et les vaches, Serapis créa la seigneurie des oiseaux du ciel et de paradis" et Acace qui répond, après avoir jugé que "les dieux des païens n'étaient que d'or et d'argent"  par un exposé reprennant le texte du Credo, est importante (parce qu'elle est absente du texte des petits bollandistes)  pour illustrer les panneaux de Crozon consacrés à la Profession de foi et aux confrontations verbale entre païens et nouveaux chrétiens.                                                                                                            Par sa date, par son contenu, et par le fait que ce texte n'est pas mentionné, à ma connaissance, comme source par les bollandistes, c'est à mes yeux un document de tout premier ordre dont je regrette de ne pas trouver une transcription moderne : je me suis donc livré à ce périlleux exercice ici : Les Dix mille martyrs dans le manuscrit Fr. 696 La Vie et passion de Saint-Denis : transcription, annotations, adaptation en français moderne. .

      .http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8447187m/f52.image.

  • Vincent de Beauvais (1184 ou 1194-1264) XIIIe siècle, Speculum historiale , Mirouer hystorial traduit du latin par Jean de Vignay. Bibliothèque Nationale Français 50-51  Fol.378 Livre XXII ?, 1397, enluminure du Maître de la mort et de Perrin Remet       L'illustration montre les anges ôtant les pointes de fer sous les pieds des martyrs, ce qui indique que la Légende était suffisament connue et fixée au XIIIe siècle.   Le texte se réfère dès ses premières lignes à celui d'Athanase le Bibliothécaire. L'édition intégrale moderne par Laurent Brun du Spéculum historiale est en cours.    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9059535d/f378.image  et http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9059535d/f377.image

 

  • Deux textes cités par Pierre Rézeau (Les prières aux saints en français durant le Moyen-Âge, Droz, 1982 p. 196 link ) datant du XVe siècle : l'un en prose conservé à la Bibliothèque nationale, l'autre en 72 vers De.X. mille martirs. Lay. décrivant l'habit et les attributs des "Vaillant chevaliers et preux tres eureux" comme si l'auteur décrivait une miniature ou un tableau qu'il aurait sous ces yeux, et précisant dans l'invocation que ces martyrs sont priés pour protéger de la peste ou de la male mort : "En ceste vie tant instable, misérable, gardez moi d'adversitez et de la peste incurable, redoubtable, en ce aves l'auctoritez. [...] Je vous prie en la parfin que en ma fin me veulez porter secours, et vers vous sera enclin, sans déclin, à vous honorer toujours."

 

 

  • Le Doctrinal de sapience, traduit du latin par Guy der Roye , du milieu du XVe siècle comporte aux folio 159 à 165 un récit de la Légende des dix mille crucifiés du mont Ararat en vers français, débutant par A la louenge et en l'onneur de Jhesus Crit, nostre Sauveur,/ reconteray en briefve ystoire / Affin que nous ayons mémoire,/ Comment souflrérent passion/ Dix mil chevaliers de grant nom. Ce récit est suivi de deux oraisons latines en l'honneur des martyrs. Catalogue géneral des manuscrits des Bibliothéques de France, Départements Tome XXXII. Besançon. Tome I . Introduction, Fond général (1) : Ms 254. link

 

  • Passio sanctorum martyrium : Codex du XVe siècle conservé à la Bibliothèque de la Rauner Library, Hanover, New Hampshire : il s'agit de 17 folio de 26x17 cm écrits d'une écriture gothique en Italie du Nord, contenant plusieurs lettres capitales enluminées, et assemblées dans une reliure faite de planches de bois recouvertes de cuir et de rivets de laiton. Codex 001967 ou Mc Grath 34 link

 

  • Historia Sancti Achacii vel decem milium martyrum, cycle de chants et leçons de Saint Acace et des dix mille martyrs qui ont subi le martyre vers l'an 120 en Arménie, édité à partir du manuscrit 22241 de la Bibliothèque Nationale de Bavière à Munich. XXVII p, 22p de musique, fac similé, 31 cm, Institut of medieval music, Ottawa. link

 

  • En avril 1482, Michel Le Flameng, religieux jacobin d'Amiens fait représenter en cette ville le Mystère des Dix mille Martyrs, "composé en rhétorique" ou pièce d'éloquence. En 1483, quelques jeunes gens d'Amiens obtiennent la permission de le jouer.

 

 

  • Un manuscrit en vieil allemand provenant de la région nord-rhénane link  v1500 de la Pseudo-Brigitte de Suède rassemble quinze prières à la souffrance du Christ, des prières mariales et des prières aux saints, dont, folio 95v, l'invocation des Dix mille martyrs :"Von den zehen Tusent martrer, incipit, “O Ir heiligen zehen tusent martrer o ir so teuren vnd wirdigen ritter vnnsers herrn Ihesu christi...

 

  • Petrus de Natalibus, 1534, Catalogus sanctorum et gestorum eorum, livre V, chap CIIII, juin : Google books : link : "De sanctis decem Milia martyres apud Alexandria sub Adriano et Antonia..." . Cet évêque de Equilio (Jesolo, province de Venise) est l'auteur d'une Légende des saints en 12 livres, compilé entre 1369 et 1372, dont les saints suivent le calendrier de l'église, et qui connut huit éditions de 1493 (Venise) à 1616 (Catholic Encyclopedia). Il y mentionne des vies de saints non rapportées par la Légende Dorée de Jacques de Voragine. 

 

  • Manuscrit latin reg.lat.534 de la Bibliothèque apostolique Vaticane. Dans ce manuscrit toulousain de la Legende Dorée, Louis de Vernade,  gentilhomme du Forez, conseiller et chambellan du roi, qui en fit l'acquisition en 1471, a fait recopier sur les folio 1r-2v la Légende des Dix Mille Martyrs  d'Anastase le Bibliothécaire, qu'il ne pouvait trouver dans la Légende Dorée  : cela prouve la vigueur de ce culte à la fin du XVe siècle ; culte peut-être local propre à la région lyonnaise ou du Forez, liè peut-être à la présence des reliques de saint Acace en la cathédrale du Puy-en-Velay,  mais qui peut s'étendre par les liens de ce chambellan avec la Cour royale... à l'entourage d'Anne de Bretagne. Voir l'étude critique ici par Florent Coste: link.

 

  • Manuscrit de la Médiathèque d'Arles portant sur la fondation en 1540 d'une chapelle des X. mille martirs en l'église de Graveson.link

 

  • Cornelius Schulting Steinvvichii, 1599, Bibliothecae ecclesiasticae seu Commentarium sacrorum, tome 2 : résumé de la légende en latin : link

 

  • Giry, Guerin. Les petits bollandistes : Vie des saints de l'Ancien et du Nouveau Testament, des martyrs, des auteurs sacrés et écclésiastiques. 1888, Vol. 7 p. 210. link

 

  • Desvaux Albert (1859-1916)- Les dix mille martyrs crucifiés sur le mont Ararath : leur culte et leurs reliques au pays d'Ouche.Bellême, 1890 ; consultable sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k91380c

 

  • Chaké Matossian, Des admirables secrets de l'Ararat, Vinci, Dürer, Michel-Ange sur les traces d'Er et Noé, Ed. La part de l'OEil, Bruxelles 2009 : j'y ai trouvé un certain nombre de références iconographiques dont je ne disposais pas.
  • Wikipédia, articles Dix mille martyrs et Arace du mont Ararat

 

  • sur la commune d'Ayn, d'où partait un pélerinage aux dix mille martyrs qui franchissait le col allant vers Saint Geoire en Valdaine, col marqué de la Croix aux dix mille martyrs, voir :  http://ayn.fr/LES-DIX-MILLE-MARTYRS.html
  • La légende Dorée de 1261-1266 de Jacques de Voragine  ne consacre pas de chapitre aux Dix mille martyrs crucifiés, mais les versions tardives (XVe siècle) mentionnent ces martyrs. Ainsi le manuscrit Medeltidshandskrift 19 conservé à la Lund University Library, (Jacques de Voragine , Legenda Aurea ,  , parchemin., ff. 258 , 245 x 175 mm,. Poméranie (?) , fin 14ème siècle, début  15e siècle, qui a appartenu à un couvent chartreux de Szczecin/Stettin) donne-t-il dans son folio 247r l'hagiographie des dix mille martyrs .  Voir : La légende des Dix mille martyrs dans la Légende dorée de Jacques de Voragine.
  • La Légende Dorée originaire de Strasbourg et conservée à la Bibliothèque universitaire d'Heidelberg, cote Cod.Pal.germ.144, possède au folio 397r une belle illustration de "l'atelier de 1418"des martyrs suppliciés sur des branches d'acacia.© Universitätsbibliothek Heidelberg.

                  

  D'autres textes de la Légende Dorée font mention des "Decem milibus martirum" :

Legenda Aurea, Incunable de 1487-1490 reproduit sur Gallica http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k53841h/f395.image

 

 

c) Iconographie :

Ce théme est répertorié par le système iconclass sous le code 11 H : Achatius 61 avec la définition : Le Martyre d'Acace et ses 10 000 compagnons crucifiés sur le mont Ararat.

Sous ce code, le Bildindex Marburg fournit 87 images de différentes oeuvres.

  La liste des oeuvres consacrées au Dix mille martyrs fait ressortir un point essentiel : c'est entre 1508 et 1530 qu'on les retrouve en majorité ; cela témoigne d'un moment exceptionnel de diffusion de la Légende, ou de son culte, avec un foyer italien important. Or, c'est en 1493 que la première édition à Venise du Catalogus sanctorum de Petrus de Natalibus est parue.

  • Le vitrail  de la Collégiale de Berne, vers 1450 est consacré aux Dix mille martyrs: les Bernois avaient acquis à Rome  les reliques de saint Acace, sous la forme de son chef, en 1463. 

 

  • Vitrail de la Cathédrale de Moulins (bas-coté sud) : Les Dix mille Martyrs, vers 1480.

 

  • Peintures murales des dix mille martyrs du XIV-XVe de l'église St-Margaret à Médias, Roumanie 

 

  • Peintures murales des dix mille martyrs du 2ème moitié du XVe siècle, église fortifiée de Boian, Târnava Mare, Roumanie.
  • retable de Târnava Mare, reproduit dans Chaké Matossian, 2009 op. cité p. 61.

 

  • Ventura di Moro (1395-1486, Les martyrs du Mont Ararat, Musée des Beau-Arts de  Dijon link

 

  •  Enluminure représentant Le Massacre des dix mille martyrs : découpure provenant d'un Livre d'Heures du Duc Jean Ier de Berry ( 1340-1416). Ici, p. 25 :link 

 

  •  Gérard Horenbout (1465-1541), enluminure de l'Hortulus animae Bibl. Vienne. Signalé par Louis Reau, sans date, mais Michel de l'Estoile indique (Choses mémorables, note de la page 219 du chap. IX) qu'une oraison des Dix mille martyrs est présente dans l'Hortulus animae aux folio f117v et 118 de l'édition de Strasbourg de 1509.

 

  • Albrecht Dürer :  Le supplice des Dix mille martyrs, gravure sur bois de 1496-97, Bruxelle, Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Royale de Belgique. La Bibliothèque municipale de Lyon conserve une estampe de 1496 de Dürer intitulée Le supplice des dix mille martyrs de Nicomédie en Bithinie link

 

  • Albrecht Dürer,1496-1497 Achatius et le martyr de ses 10 000 compagnons, gravure sur bois 388 x 285 Herzog Anton-Ulrich Museum
  • scalJpeg.php?ins=2&sig=a-duerer-wb2-h025

 

  • Albrecht Dürer,  toile de  1508, Le martyre des dix mille chrétiens / Marter der zehntausend Christen conservée  au Kunthistorisches Museum de Vienne. Le tableau a été réalisé à la demande de Frédéric III de Saxe, dit le Sage pour être placé à coté des reliques des martyrs dans  la chapelle du chateau de Wittenberg. Il est interprété comme représentant le martyre des chrétiens de Bithinie sur l'ordre du roi perse Sapor en 303. Le duc Frédéric III était un très grand collectionneur de reliques.  : http://de.wikipedia.org/wiki/Marter_der_zehntausend_Christen

                                         

 

 

  • Le Maître de Lucerne : Martyrium der 10 000 Ritter, v1514, Huile sur bois 138,2 x 71,1 cm Musée des Beaux-Arts de Lucerne, prêté par la Fondation Bernhard Eglin Inv M 99x © Musée d'art de Lucerne :
  •                                   Martyrium der 10'000 Ritter

 

  • Vittore Carpaccio : Apparizione dei crucifissi del Monte Ararrat nella chiesa di sant'Antonio di castello, Accademia.
  • Carpaccio-Apparizionedei10000crocefissi.                                                                Le rêve de Francesco Ottobon, prieur de Sant'Antonio di Castello. En 1511, durant un épisode de peste, Ottobon s'endort dans cette église en priant Dieu pour qu'il protège ses moines des ravages de la peste. Il fait un rêve dans lequel des dizaines de martyres chrétiens portant des croix entrent dans l'église pour être bénis par Saint-Pierre. À la fin de la procession, il entend une voix lui dire que sa communauté serait sauve. Il s'avéra en effet qu'aucun de ses membres ne contracta la peste. En guise de remerciement, il fait ériger un autel de marbre où trônera une des toiles commandées à Carpaccio.

     

    http://mescarnetsvenitiens.blogspot.fr/2009/05/santantonio-di-castello.html

 

  • Manuel Deutsch (1484-1530) Martyr des Dix mille, Fondation Gottfried Keller ou Kunstmuséeum de Berne. Il s'agit des volets d'un autel (ou retable ?) dédié à Sainte Catherine, de 1516, avec sur les deux volets extérieurs le Martyr des Dix mille martyrs, sur un volet intérieur saint Acace et sur l'autre sainte Barbe.

 

  • Juan de Matta, peintre espagnol : Il Martiro dei Diecimila martiri, première partie du XVIe siècle, Chiesa Madre de Santa Maria Maggiore, Polizzi generosa, Sicile. Le peintre espagnol, actif à Palerme vers 1536-1567, a surtout travaillé à Polizzi Generosa où il était domicilié.

 

  • Jacopo Pontormo; Le martyre des Dix mille, 1529, peint pour l'hopital des Innocents de Florence, actuellement au Palais Pitti, Florence.

 

 

  • Le Bronzino, élève de Pontormo, Le Martyre des Dix mille, 1529-1530, Florence, Offices.

 

  • Perino del Vaga, carton pour un Martyre des Dix mille, 1523, Vienne, Albertina.

 

 

  • Peintures murales datant de 1515 de l'oratoire de Cavaillon (Vaucluse) 

 

 

  • Vini Sebastiano (1525 ou 1530-1602), Martyre des dix mille sur le mont Ararat, Carton préparatoire d'une fresque de l'église San Desiderio à Pistoïa, XVIe siècle, Musée du Louvre, département Arts graphiques.                                                                      L'église de Pistoïa qui abritait cette fresque a été détruite mais la fresque Martirio di san Desiderio e dei mille martiri a été conservée par Dominico Amati, et est toujours visible.

           http://it.wikipedia.org/wiki/File:Sebastiano_Vini,_il_Martirio_di_San_Desiderio_e_dei_diecimila_martiri.jpg

  • Fichier: Sebastiano Vini, le Martyre de Saint Désir et le martiri.jpg dix mille

 

  • Antonio del Ceraiolo (actif 1520-1530), Martirio di Sant'Acacio e dei compagni del Monte Ararat : link

 

  • Abbaye de Fontevraud : Les dix mille martyrs du mont Ararat, 17e siècle tableau du Musée de Saumur en dépot à l'Abbaye : ce tableau célèbre la résistance miraculeuse et attribuée aux dix mille martyrs, de l'abbaye dirigée par Louise de Bourbon face aux troupes protestantes de son neveu Louis de Bourbon, Prince de Condé. Lors de l'attaque de l'abbaye, les huguenots se voient repoussés par "une armée qu'ils virent sur les murailles", sans-doute les vassaux de l'abbaye ; les religieuses étant en train

de prier les dix mille martyrs, elles attribuent la victoire à ces saints. Le tableau a été commandée par Jeanne-Baptiste de Bourbon (1637-1670)link

 

1000_vignette.jpg Les dix mille martyrs, anonyme, 17e siècle, Fontevraud, Centre Culturel de l’Ouest, © Ville de Saumur, cliché Bernard Renoux. 

 

  • Elisabetta Sirani (1628-1665) , Crucifix des dix mille martyrs, église Santa Maria dei Servi de Bologne, vers 1660. Cette artiste aurait consacré deux autres oeuvres à ce thème.

 

  • Alessandro Allori (élève et fils adoptif du Bronzino) , 10.000 martiri di Ararat, 1574 Chapelle Pitti de la basilique de santo Spirito à Florence. 

 

  • peintures murales de la Légende des Dix mille martyrs,  chapelle des Âmes du purgatoire, Eglise Saint-Étienne-du-Mont, Paris 5ème : Composition datée du XVIe siècle et divisée en 15 sujets avec légende explicative, 4,90m x 3,30m. Découvertes sous le badigeon en 1861, elles ont été restaurées par Charles Maillot. Seul autre exemple d'un cycle, comme pour notre retable, et non d'une image isolée, et commentées en outre par une légende paléographique,  elles méritent une description détaillée  que je donnerai dans un article séparé.

 

 

 

 

Scéne du couronnement d'épines des dix mille martyrs, Crozon.

                          retable 6623c

 

2. La Légende des dix mille martyrs.

  Tardivement traduite en latin au IXe siècle par Anastase, bibliothécaire du Vatican (mort en 886), elle a été reprise d'après un manuscrit différent par le chartreux Surius (1522-1578) à la date du 22 juin. Selon Giry-Guérin (op. cit.), sa réalité a été mise en doute par Raoul de Rivo,link doyen de Notre-Dame à Tongres au XIVe siècle († 1403), en son Observance des Canons (Canonum observantai), mais ces objections ont été réfutées par le cardinal Cesare Baronio (1538-1607), bibliothécaire du Vatican,  dans ses Annales écclésiastiques Annales Eccl., ad an. 108, n ° 2.

  Selon le site Catholic Encyclopedy, Anastase aurait traduit cette légende d'un texte grec original qui n'a pas été retrouvé, dédicacé à Pierre, évêque de Sabina (†1221). Des reliques sont revendiquées par les églises de St-Vitus à Prague, de Vienne, Scutary en Sicile, Cuenca en Espagne, Lisbonne et Coimbra au Portugal.

 

  L'historicité de la conquète par Trajan de l'Arménie, devenue "province impériale" en 114 est établie, mais l'avènement d'Hadrien (117) ne semble marqué que par un renforcement du "limes" Rhin-Danube, sans plus (Le Thomas, 1965).

 

 

                            retable 6636c

 

 

 3. Le culte rendu aux dix mille martyrs.

 

A. En Europe.

  Les dix mille martyrs n'étaient pas, comme on pourrait le penser, les saints patrons collectifs des soldats et bien qu'on évoque l'idée que les Croisades ont participé à son expansion en Occident (à cause de l'Ange donnant la victoire aux soldats convertis) , c'est essentiellement dans l'assistance lors de la mort qu'ils sont invoqués. Saint Acace appartient, pour ce motif, aux 14 Saints Auxiliaires (ou Intercesseurs) particulièrement efficaces pour ceux qui les invoquent. Certes, le site Wikipédia mentionne les maladies dartreuses et les maux de tête, et la capacité à faire la pluie ou le beau temps souhaité, parmi les spécialités d'Acace, mais cela semble bien accessoire par rapport aux secours que les martyrs qui ont "estez desprisez, batuz, flagellez, d'espines couronnez, les costez percz et finis leur vie en croix et arbre" (Prière du XVe siècle, Louis Rézeau, op. cit) apportent aux mourants.

   Comme le souligne Giry-Guérin, p. 213, note 1 : " de plus, il ne faut pas omettre ici que ces glorieux athlètes de Jésus-Christ rendent de grandes assistances aux malades, dans le temps de leur agonie, pour les rendre victorieux du démon : on peut en voir un exemple mémorable dans la vie de sainte Thérèse [d'Avila †1682]."

 

 

1. Lieux de culte

  • La basilique de Saint-Denis abritait des reliques des dix mille martyrs.

 

  • Cathédrale de Puy-en-Velay : on y conservait dans un reliquaire "byzantin en émail bleu enrichi de grenat et de saphir" les reliques de saint Acace et de ses compagnons, par un don du roi Lothaire (Francisque Mandet, Histoire du Velay, 1860).

 

  • Ancienne chapelle des dix mille martyrs, construite par Jean Palmier, riche habitant de Lyon,  dans l'église des Pères Célestins. Il y existait une Confrérie des dix mille dans l'église des Pères Célestins à Lyon, après le don du chef de saint Acace par le pape Eugène IV en 1434 à Jean Bassan, Provincial des Célestins. Le chef de saint Acace et la châsse d'argent qui le contenait ont disparu en 1562 après l'occupation de Lyon par les protestants. La chapelle prit ensuite le nom de chapelle des onze mille vierges après la reception en 1662 de plusieurs chefs de ces vierges par les Célestins de Colombiers dans le Vivarais : l'un d'entre eux fut donné aux Celestins de Lyon, qui le placèrent dans .

 

  • Au couvent des Célestins à Paris, l'église comportait, parallèle à sa nef de 45 mètres, une chapelle des dix mille martyrs, bâtie en 1482 et dédiée à cette cause par Louis de Beaumont, évêque de Paris. Cette ancienne chapelle avait été remplacée en 1621 par une chapelle construite par François, duc de Luxembourg et dédiée à la Vierge, aux dix mille martyrs et à saint Pierre de Luxembourg. Son nom de chapelle de Gesvres lui venait des ducs de Gesvres qui l'avaient fait restaurer et qui y avaient leur tombeau.  Avec la chapelle adjacente d'Orléans et la petite chapelle Saint-Martin, cela constituait un ensemble très riche en monuments funéraires princiers, que seule surpassait la basilique de Saint-Denis. Outre les ducs de Gesvres, René Potier, duc de Tresmes et Marguerite de Luxembourg son épouse, leur fils Louis Potier marquis de Tresmes ou l'évêque de Castres Gérard Manchet, confesseur de Charles VII étaient inhumés dans la chapelle des dix mille martyrs, qui contenait encore le coeur de Jean Coeur, archevêque de Bourges. La coexistence du culte des martyrs, et de nécropole, est significative. 

 

  • Une chapelle des Dix mille martyrs, sur le modèle de celle des Célestins de Paris, a été bâtie dans l'église des Célestins de Rouen par l' amiral Malet de Graville (1438-1516), bienfaiteur de l'ensemble de l'ordre des Célestins et dont le portrait figurait, avec ceux de  sa famille, sur les vitraux de cette chapelle.

 

 

  •  Chapelle des dix mille martyrs de St-Pierre d'Entremonts, Savoie.

 

  •  St-Pierre de Chandieu, près de Lyon, ancienne chapelle des dix mille martyrs (il reste une croix commémorative).

 

  • A l'Hotel-Dieu de Château-Thierry, fondé par Jeanne de Navare au XIVe siècle, , les antiphonaires de 1710 mentionnent une chapelle dédiée aux Dix mille crucifiés (link).

 

 

  • Chapelle des dix mille martyrs de Champoléon (Hautes-Alpes), 1862, base Mérimée IA00049712 link

 

  • A Apt (Vaucluse), est attesté en 1451 l'existence d'une confrérie des dix mille martyrs. link
  • A Villers-le-Chambellan est notifiée  une confrérie des Dix mille martyrs :"14 août 1509 : Association des Stes Anne, Barbe, des Dix Mille Martyrs, des Onze Mille Vierges, et du bienheureux Robert, dans la Confrérie de la très bienheureuse Vierge Marie et de S Nicolas, fondée dans l'église paroissiale de Villers du doyenné de S Georges." link

 

  • La cathédrale Notre-Dame-du-Puy à Grasse (06) avait au début du XVIIe siècle pour la confrérie* éponyme  un autel attribué aux Dix mille martyrs près du deuxième pilier nord.link  *Voici la confrèrie des Dix mille martyrs qui a son siège dans la cathédrale de Grasse. Le bref qui lui accorde des indulgences date du 14 mars 167917. Cependant, à cette date, elle existe depuis longtemps. En 1633, c'est une confrérie importante. Elle est liée au chapitre et à la cathédrale qui possède les reliques des Dix mille martyrs, c'est-à-dire, d'après le document, celles de saint Aigulfe, abbé de Lérins, et de ses compagnons martyrisés, saints invoqués contre les maladies contagieuses, en particulier contre la peste. L'évêque qui fait mention de la confrérie la cite immédiatement après celle du Saint-Sacrement, et la distingue très nettement de toutes les autres, réduites au rôle de luminaires. En 1679, tout semble différent. Les reliques des Dix mille martyrs sont devenues suspectes et la confrérie se range dans l'anonymat des «luminaires» de la cathédrale. La demande d'indulgences semble avoir répondu à un désir, de la part de confréres encore influents, de donner un second souffle à une confrérie en déclin. En effet, en 1712, on apprend que les reliques des Dix mille martyrs ont été interdites, que la dévotion aux saints protecteurs de la peste s'est déplacée sur le culte de saint Roch. L'autel des Dix mille martyrs est alors entretenu par la puissante confrérie des marchands et des tailleurs d'habits. D'une confrérie liée à la cathédrale et à l'histoire du diocèse, on est passé à une confrérie de métier. La demande d'indulgences à Rome semble avoir correspondu à ce changement. link

     

 

  • Autel des dix mille martyrs et des onze mille vierges, béni en 1442, de l'église du couvent des franciscains à Nicelink

 

  • A Strasbourg, l'un des vingt prébendes (ou bénéfice ecclesiatique) du chapître cathédral du grand Choeur de la cathédrale de Strasbourg était nommé "prébende des dix mille martyrs (en 1720) : une chapelle ou une confrérie devait exister : effectivement, un autel leur était consacré dans la chapelle Saint-Grégoire, et avait été offert au XIVe siècle par Nicolas Schurppfesack.

 

En Europe :

 

  • Chapelle des dix mille martyrs, Le Landeron, Neufchâtel. Cette chapelle construite dans le centre historique de la ville a été consacrée en 1455 aux Dix mille martyrs. Elle fut dessrvie par les Capucins de 1695 à 1992.
  • Eglise baroque Chiesa dei Diecimila Martiri de Palerme, Sicile, avec un médaillon en plâtre dédié à sant Orazio et ses 9000 + 1000 martyrs.
  • Eglise Diecimila Martiri Crocifissi de Gênes, datant de 1191, elle a été fondée par les chanoines réguliers de santa Croce detti Crucigeri ou Cruciferi.
  • Bruges : église du Saint-Sépulcre, édifiée sous le pontificat de Martin V, 1417-1431, qui en autorisa la dédicace aux onze mille vierges, aux dix mille martyrs et à Saint-Servais.
  • église gothique des Dix mille martyrs proche du Chateau Royal de Cracovie : elle fut fondée par le roi de Pologne Casimir le Grand (1309-1370).
  • Un retable était consacré, entre autre, aux Dix mille martyrs dans la cathédrale St Willibrord à Wesel.link

 

 

  • Les ossements des Dix mille martyrs seraient, selon Jean Calvin, conservés à la Scala Coeli de Rome, "avec le couteau par lequel ils furent égorgés", ce qui suscitait l'ironie critique de Calvin (Traité des reliques, 1543). C'est une confusion regrettable du fondateur du calvinisme,  les martyrs vénérés à Scala Coeli étant les 10.203 soldats de saint Zénon (San Zeno).

 

2. L'existence d'autres reliquaires.

  On a mentionné les reliques conservées dans la collégiale de Berne, dans la cathédrale du Puy-en-Velay,  au chateau de Wittenberg, dans la chapelle des Céléstins de Lyon, dans la chapelle d'Entremonts en Savoie, mais on peut y ajouter :

  •  Le reliquaire de l'église de Sap, dans l'Orne.

 

 

  • La basilique Saint-Martin d'Aynay à Lyon, contenait en 1531 dans une des chapelles une châsse renfermant les reliques des Dix mille martyrs. (Inventaire en 1531 des reliques vénérées en l'église d'Aynay : Item in capella Beatae Magdalenae et sanctae Blandinae est une casso in quo sunt rellquiae decem mil martyrum. A. Chagny : La Basilique Saint-Martin d'Ainay et ses annexes. Lyon, 1935, p. 232
  • Reliquaire d'Eyzin-Pinet (Isère), jadis conservé par un couvent des Carmes.

 

  • Reliquaire de l'abbaye de Grandesvle, près de Toulouse, du début du XIIIe siècle, contenant dans un cylindre de 13 cm de haut contenu dans une sorte de clocheton carré les reliques des dix mille martyrs cotoyant celles des onze milles vierges parmi celles de "de la sainte couronne, du Sauveur, , du précurseur, de qautre apôtres, de trois diacres martyrs, des saint Innocents, du prophète Daniel (!), des trois saints confesseurs Martin, Nicolas (l'huile qui s'écoula de.), Martial, de l'arbre de la fuite, de saint Marcel et Marcellin, de la pierre de l'Annonciation, etc... Cette dernière relique, mentionnée par une inscription sur plaque de cuivre comme foramine petrae per quod angelus intravit ad virginem, est celle du trou de la pierre par lequel l'ange pénétra à/vers la Vierge. La relique de l'arbre de la Fuite (de arbore qui Domino et S. Marie et S. Joseph supplicavit) est  celui qui, sur le chemin vers l' Egypte, s'inclina soit pour saluer les Fugitifs, soit pour proposer ses fruits. Heureuse, trois fois heureuse l'église de Bouillac (Hérault) qui reçut ce reliquaire décrit comme "une espèce de quenouille emmanché d'un bâton", selon Adolphe-Napoléon Didron qui semble ici, dans ce Manuel des oeuvres de bronze et d'orfévrerie du Myen-Âge, Paris, 1859 p.  paraphraser La Fontaine. (Oeuvre classée MH en 1897)
  • Monastère des religieuses du premier ordre à Toul. Selon Jean de Giffre de Rechac, 1647, ce monastère reçut des religieuses de Dijon des reliques des dix mille martyrs. 
  • En l'église de Saint-Quentin, demoiselle Bonne Dauquesnes, veuve de Robert de Wignacourt, ecuyer, a fondé la fête annuelle des dix mille martyrs vers 1430 ; elle a donné 450 livres tournois pour acheter des rentes et un reliquaire d'argent, dans lequel sont enchâssés des ossements des dix mille martyrs.(Charles Gomart, Histoire de l'église de Saint-Quentin,  Paris, 1834
  •  Cathédrale Notre-Dame d'Embrun (Hautes-Alpes)  : il y est décrit "un reliquaire des dix mille martyrs donné par Hardouin Meyssereau" (Abbé Gaillaud, Notre-Dame d'Embrun, Gap, 1862)
  • église de Saint-Sauveur à Aix : les reliques avaient été données par Nicolas V (pape de 1447 à 1455).
  • L' Église Saint-Jean-Baptiste à Waischenfeld (Bavière) reçut en 1502 des reliques des Dix mille  martyrs link.

 

 

3. Manuscrits .

1. Vie et passion de Saint Denis, 1270-1285  : op. cité.

voir :  Les Dix mille martyrs dans le manuscrit Fr. 696 La Vie et passion de Saint-Denis : transcription, annotations, adaptation en français moderne.

  Les soldats (en tenue de chevaliers médièvaux) sont ici attachés à leur croix en position tête en bas.

                                   légende dix mille 2

 

2 . Vincent de Beauvais, Speculum historiale, op. cité :

     Vincent de Beauvais, Speculum historiale (traduction de Jean de Vignay), Bibliothèque Nationale, département des manuscrits occidentaux, francais 50, Fol. 383.

    Sur cette superbe enluminure, la mention du nom d'Adrien montre qu'il s'agit bien de la Légende des dix mille martyrs du mont Ararat, et le motif des anges ôtant les pointes de fer le confirme.

      ConsulterElementNum?O=IFN-8100039&E=JPEG

http://marinni.livejournal.com/828773.html

 

3. Petrus de Natalibus (1493), op. cité :

 

legende dix mille 3

 

 

4. Les Grandes Heures d'Anne de Bretagne.

  On sait, par l'inventaire de ses biens le 8 mai 1508, que la reine de France possédait un "ossement des dix mille martyrs". 

 Les Grandes Heures d'Anne de Bretagne, Horae ad usum romanum,  est un livre d'heures réalisé par l'enlumineur Jean Bourdichon entre 1503 et 1508. Il est conservé au département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale à la cote Ms lat 9474, et consultable en ligne. A l'époque de sa rédaction, Anne de Bretagne, fille du duc de Bretagne François II était reine de Fance comme épouse de Louis XII (de 1499 à 1514), aprés avoir été celle de Charles VIII de 1491 à 1498. C'est dire l'importance de la présence dans son livre d'Heure d'une oraison aux Dix Mille Martyrs, aux folio 177v et 178.

Voir les illustrations et l'étude de ce document, ainsi que d'autres mentions de la Légende dans les Livres d'heures,  dans mon article 

 

 

 

 

                         retable 6637c

 

 

 

 

B. Culte des dix mille martyrs à Crozon.

    A Crozon, le culte rendu aux dix mille martyrs est attesté au XVIe siècle par l'existence du reliquaire (de 1519 ?), par l'existence de la confrérie des saints martyrs, par les dons faits par les paroissiens à cette intention, et enfin par la présence du retable vers 1602-1624.  Mais au XVIIe siècle, les Missions prêchées dans toute la Bretagne par le Père Maunoir étaient centrées sur le drame de la Passion, l'exposition théatralisée des souffrances endurées par le Christ par des tableaux, des sermons, des processions et par la mise en scène costumée du Portement de Croix ou de la Crucifixion  étant destinée à entrainer les conversions par le remords, la pénitence et la confession, puis le désir de l'imitation de Jésus-Christ. C'est dire si le le Pére Jésuite trouva à Crozon une terre d'élection déjà parfaitement prête à suivre une voie à laquelle le retable l'initiait. En effet, le martyre des légionnaires par crucifiement répétait les supplices endurés par le Christ, dans une Imitation exemplaire et sacrificielle. Si bien que l'on peut imaginer que la Légende des dix mille a vite été adoptée par les missionnaires comme un idéal support pédagogique et de prédication, mais aussi que la découverte que Julien Maunoir en a fait à Crozon a été riche d'inspiration, puisque c'est là qu'il composa ses cantiques de la Passion. 

  L'autel sous lequel se trouve le retable est décoré d'un bas-relief en bois qui illustre parfaitement l'importance donnée au XVIIe siècle au thème de la Passion : il représente autour du calice eucharistique  les Instruments de la Passion : marteau, clous et tenaille, couronne d'épine, fouet aux lanières pourvues de noeud, palme du martyre :

retable 8725x

 

 La Mission du Père Maunoir à Crozon et le Cantique des dix mille martyrs.

  La première mission eut lieu en 1654, puis le Père Maunoir revint en 1666,  1671 et 1683, alors que le curé était Mr de Coëtlogon, frère de l'évêque de Quimper, puis Mr Raguenes.  

   a) témoignage de son biographe le Pére Boschet, Le Parfait Missionnaire, Paris 1697 à propos de la Mission de 1671:

   "Il n'y avait rien de mieux réglé que cette paroisse. L'office s'y faisait aussi magnifiquement que dans une cathédrale. Les Prêtres, qui y étaient en grand nombre, vivaient d'une manière exemplaire, et instruisaient soigneusement le peuple....Ce fut dans cette mission  que le Pére composa sur les sept principaux mystères de la Passion ces  merveilleux cantiques, qui parurent si édifiants à un docteur de la Sorbonne qu'il les a traduits en vers français, pour les faire passer de la Basse-Bretagne....Le Pére marque aussi qu'on les chanta avec une si grande bénédiction du ciel dans les paroisses de Crozon, de Camaret, et de  Roscanvel que 3000 personnes apprirent par là à méditer la Passion du Sauveur.

"Il avait établi à Crozon le culte de saint Isidore, pour entretenir la piété des laboureurs, dont ce saint est le patron. Il avait érigé une confrérie en son honneur, dans une chapelle qui relève de la paroisse et qu'on appelle Notre-Dame de Port-Saint; et il avait fait un cantique exprés pour engager le monde à s'enrôler dans cette confrérie."

 

 

 

 b) le témoignage du Père Séjourné, biographe du Père Maunoir.

    "Ce fut du temps de ce Recteur que le Père Maunoir fit la première mission à Crozon, pendant laquelle fut ravivée la dévotion des Crozonais aux dix mille martyrs de la légion thébéenne. Voici comment en parle le dernier historien du Vénérable : « Les habitants de Crozon avaient honoré longtemps d'un culte particulier les martyrs de la légion thébéenne, dont ils conservent même quelques ossements dans un riche reliquaire. Mais avec les années, ce culte s'était bien affaibli. Pour le ranimer, le P. Maunoir fit représenter à la procession générale de la mission le martyre de St Maurice et de ses glorieux soldats. Leurs reliques y furent solennellement portées. Etait-ce un effet de mirage, était-ce un prodige ? la foule toute entière, et elle se composait de 7 ou 8.000 spectateurs, put voir se reproduire dans les hauteurs du ciel la scène qui se passait sur la terre ; la procession s'y déroulait dans le même ordre et la même majesté. Les Crozonais n'eurent pas de peine à se persuader que c'était là un témoignage évident de la bonté de Dieu à leur égard, et ils accueillirent par des acclamations de joie répétées le spectacle qui s'offrait à leurs yeux. A cette même procession, qui se rendait à la chapelle St Laurent, un sous-diacre, épuisé depuis longtemps par la maladie, dévoré alors par une fièvre ardente, ne voulut jamais céder à personne l'honneur d'y porter la croix et de la porter à jeun. Sa piété en fut bien récompensée, car à partir de ce jour-là, recouvra une santé parfaite » (Père Séjourné ; les italiques sont de moi).

 

    b) Le cantique des dix mille martyrs.

 

 Titre : Canticou spirituel hac instructionou profitabl evit disqui an hent da vont d'ar barados, composet gant an tat Julian Maner,... Corriget hag augmentet gant a nevez en edition diveza-man

Auteur : Maunoir, Julien (1606-1683)

Éditeur :  1686 E Quemper,  Gant Ian Perier, Imprimer ha Librer en escopti Querné.

Format : In-8° , 192 p., fig.7

  Le cantique mentionne Crozon dès le premier mot, et on ne peut douter qu'il a été composé en raison du culte rendu dans cette paroisse aux Dix mille martyrs.  On peut donc  dater sa composition de 1671 (cf texte du P. Boschet).

 

                     Cantic en enor d'an dec mill Merzer crucifiet.

Crozon, mar plich, digoret ho speret,

Trugarecat à renquer an Drindet,

Hag an  dec mill Merzer crucifiet,

Evit ar Feiz JESUS à Nazaret.

An Impalaëzr  Adrian a zavaz,

Soudardet cré, hag a vaillantis braz,

Evit songeal e vizien revolte

Pere o devos un armé destumet.

Ne oa nicun evit anezo christen

Gant oant oll é creis tevaligen

Ne oa nicun anezo badezet, 

Hoguen ezoant gant JESUS-CHRIST choaset

E creis an hent un AEl caër meurbet

A bromettas abers Groüer ar ber, 

E visent fur trec'h d'o adversourien,

Mar carsent oll dilesel o lefen,

Mar carsent oll cridi gant Feiz certen

Tri Person sacr en un Doué hep quen

Mar carsont oll adori da viquen

Ar Roué JESUS, guir doué ha guir den,

E prommitas é visent oll eurus

E Roüantelez an Impalaëzr JESUS.

Credi à reont souden guitibunan :

En hano an Tat, ar Map, ar Speret glân,

E recevont devot ar Bardiziant

O renonç gronç gant Feizd'an azraoüant.

Choasi à reont JESUS da cabiten, 

O prometti derc'hel mat d'é Lesen,

Evit o armé quemeront ar Groas

Enep ar bet, ar ch'ic, ha Satanas.

Pa glevas-se, Adrias arraget

A guemenas souden e soudardet

O lazaret dezo, tut milliguet,

Renonçit oll JESUS à Nazaret.

Renonçit gronç ar Feiz, ar badiziant,

Adorit oll Jupiter constammant

Rentet graçou d'hor beza sicouret

Da feza cren ma guizien revoltet.

Refus à reont lesel guir Map Doué,

A guemeront evit o guir Roué,

O protesti é talc'hint mat ato,

D'ar Feiz, ha d'é Lesen bete ar maro.

Pa velas-se Adrian diboellet

A ordrenas é visent tourmantet

Eguis ma oue JESUS à Nazaret

Pa savetaas gant é varo ar bet.

Condaunet viont  da veza scourgezet

Gant fouedou ha quentrou criz meurbret

Hoguen neuse an divrec'h menargars

Ar bourevien dinerz cren à chommas.

An Impalaëzr mui oc'h mui arrager

A ordrenas é vise curunet

Gant Curun spern peb unan anezo

Ebars gouzân evit Doué ar maro.

Da imita JESUS à Nazaret

Pep troat ha dorn à oue crucifiet

Teir heur er Groas à chompiont start bepret ;

O c'hofteziou gant lançou digoret.

Da veza henvel oc'h JESUS hor prenas

An heaul trist da greis deiz à semplas,

Ne dequet oll an doüar à grenas,

 

      http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86120755/f184.image

 

C. L'Arménie et le culte des Dix mille martyrs.    

  La légende des Dix mille martyrs raconte comment des légionnaires romains, pour mieux réprimer une révolte du peuple arménien contre les occupants romains, se convertirent au christianisme puis furent martyrisés par l'empereur romain, ou son représentant, sur le mont Ararat ou Mont Masis, plus haut sommet (5165m) du haut plateau arménien (ou Anatolie orientale). Elle raconte comment une armée de cent mille arméniens fut massacrée, ou mise en déroute. A l'époque (en l'an 120), l'Arménie n'était pas christianisée, et le christianisme n'y devint le culte officiel qu'en 301.

  On pourrait  donc penser que ces dix mille martyrs persécuteurs d'arméniens ne soient pas en odeur de sainteté en Arménie, mais la réalité est différente, et l'église arménienne reconnaît parmi ses saints tous ceux qui ont été martyrisés pour le Christ, a fortiori si cela s'est passé sur le mont Ararat. 

  C'est ainsi que l'on peut trouver les lignes suivantes dans L'Histoire de l'église arménienne, écrite par Monseigneur Malachia Ormanian en 1910 http://www.armenweb.org/espaces/reflexion/dossier_20.htm. Il s'agit bien-entendu une église orthodoxe.

 "III. L’ERE PRIMITIVE DE L’EGLISE ARMÉNIENNE

 

  "Ce fut, en 301, au commencement du quatrième siècle, que le christianisme devint religion dominante en Arménie. Avant cette date, il n’avait cessé d’être en butte aux persécutions. Seulement nous devons convenir que les mémoires, qui nous sont parvenus sur l’existence et les progrès du christianisme en Arménie pendant les trois premiers siècles, sont aussi rares que dénués d’importance. ils ne sauraient soutenir, au point de vue de l’abondance des informations, aucune comparaison avec les documents qui se rapportent à la même période de l’histoire gréco-romaine. mais le manque de documents ne constituent nullement une preuve de non-existence d’un fait réel."

   "Le monde gréco-romain, alors à l’apogée de sa civilisation, comptait un grand nombre d’écrivains et de savants, et par ses écoles, il était à la tête du progrès intellectuel. par contre, l’Arménie était encore plongée dans l’ignorance. loin de posséder une littérature nationale, elle en était encore à la recherche d’un alphabet. Dans ces conditions, on conviendra qu’il lui eût été difficile d’écrire des mémoires et des récits sur des événements qui ne pouvaient intéresser que l’avenir. Cependant, les quelques faits qui nous ont été transmis par la tradition nationale, auxquels sont venus s’adjoindre les récits des écrivains étrangers, sont plus que suffisants, croyons-nous, pour prouver l’existence du christianisme à certains moments. Or, le bon sens interdit de penser que l’expansion de la foi ait pu subir des éclipses intermittentes dans ce laps de temps. Ces mémoires, isolés et sans lien entre eux, se succèdent, durant cette période, prouvant l’existence ininterrompue du christianisme en Arménie."

    "C’est ainsi que nous devons mentionner une première tradition donnant pour le siège d’Ardaze une série de sept évêques, savoir : Zakaria pendant seize ans, Zémentos quatre, Atirnerseh quinze, Mousché trente, Schahen vingt-cinq, Schavarsch vingt et Ghévontios dix-sept. Ces dates nous mènent à la fin du deuxième siècle."

     "Une autre tradition assigne au prince de Sunik une série de huit évêques, comme successeurs de saint Eusthathius, premier évangélisateur de cette province. ces évêques sont Kumsi, Babylas, Moushé, qui passa ensuite au siège d’Ardaze, Movsès (Moïse) de Taron, Sahak (Isaac) de Taron, Zirvandat, Stépanos (Étienne) et Hovhannès (jean). Avec ce dernier, nous arrivons au premier quart du troisième siècle.

    "D’autre part, Eusèbe cite une lettre du patriarche Denis d’Alexandrie écrite en 254 à Mehroujan (Mitrozanès), évêque d’Arménie, successeurs des évêques susmentionnés d’Ardaze.

    "L’église arménienne contient dans son martyrologe la commémoration de plusieurs martyres arméniens de l’ère apostolique. On y relève les noms de sainte Sandoughte, issue de sang royal ; de sainte Zarmandouhte, dame noble ; de satrapes comme saint Samuel et saint Israël ; des mille arméniens martyrisés en même temps que l’apôtre saint Thadée ; de saint Ogouhie, princesse royale et de saint Terentius, militaire, martyrisés avec l’apôtre saint Barthélémy, et des saintes vierges Maryam de Houssik, Anna d’Ormisdat et Martha de Makovtir, disciples de saint Barthélémy. Le calendrier ecclésiastique contient les fêtes de saint Oski (Chryssos) et de ses quatre compagnons, de saint Soukias et de ses dix-huit compagnons, martyrisés au commencement du deuxième siècle; le martyrologe latin commémore saint Acace avec dix mille miliciens martyrisés à Ararat, en Arménie, sous le règne d'Adrien."

    "On doit ajouter à ces faits le passage de Tertullien, célèbre auteur ecclésiastique du deuxième siècle, qui, en citant le texte des Actes des apôtres (II. 9), où sont énumérés les pays dont les langues furent entendus par le peuple le jour de la pentecôte, fait mention de l’Arménie entre la Mésopotamie et la Cappadoce, au lieu de nommer la Judée, comme le fait le texte de la bible usuelle. la Judée ne saurait être rangée parmi les pays étrangers, et l’on sait quelle ne se trouve point placée entre la Mésopotamie et la Cappadoce. Logiquement parlant, la situation indiquée ne convient qu’à l’Arménie. Saint Augustin suit également la lecture de Tertullien. On voit par là que les deux pères de l’église africaine étaient pénétrés de la conviction que le christianisme s’était répandu chez les arméniens au siècle apostolique."

    "Aussi bien la conversion presqu’instantanée de l’Arménie entière au christianisme au commencement du quatrième siècle, ne peut s’expliquer que par la préexistence d’un élément chrétien établi dans le pays. En effet, l’histoire enregistre des persécutions religieuses qui auraient été exercées par les rois Artaschès (Artaxerxes) vers l’an 110, Khosrov (Khosroès) vers 230, et Tirdat (Tridate) vers 287. Elles ne se seraient pas produites s’il n’y avait eu en Arménie un nombre considérable de chrétiens. C’est au cours de la dernière de ces persécutions qu’eut lieu le martyre de saint Théodore Salahouni, mis à mort par son propre père, le satrape Souren."

    "En présence de ces données nous sommes en droit de conclure à l’existence du christianisme en Arménie, pendant les trois premiers siècles ; qu’il a compté un nombre considérable de partisans, et que ce premier noyau de fidèles a su enfin, par sa constante énergie, venir à bout des obstacles et des persécutions."

 

  Le fait que l'intitulé complet de la Légende soit Les Dix mille martyrs du mont Ararat, ou que saint Acace soit nommé, pour le distinguer de ses homonymes, Acace du mont Ararat, n'est sans-doute pas pour rien dans l'intérêt que les Arméniens portent à ce culte (si on en juge par  l'article documenté et illustré sur le retable de Crozon sur un site d'une association culturelle arménienne, l'ACAM : http://www.acam-france.org/contacts/contact_lieu.php?cle=189, ou sur l'ouvrage de Chaké  Matossian, Des admirables secrets de l'Ararat, Vinci, Dürer, Michel-Ange sur les traces d'Er et Noé (op. cit.)

  En effet, le mont Ararat, surtout connu pour moi comme étant le point d'échouage de l'arche de Noé dans la Bible (Genèse 8,4), est le symbole national des Arméniens, et sa silhouette figure au centre du drapeau arménien.

 

 

D. La légende des Dix mille martyrs et la réalité historique.

  Sous l'empereur Hadrien, l'Arménie est indépendante, elle est en dehors de l'Empire romain : la base historique d'une révolte d'un peuple d'une des Provinces, réprimée sous Hadrien, est donc sapée.

  L'Arménie fut un protectorat romain à partir de 65 av.JC, puis les Romains et les Parthes se partagèrent le royaume arménien, le roi étant choisi parmi les arsacides, mais couronné par les romains. C'est sous Trajan, de 114 à 117, que le pays redevient la Province romaine d'Armenia. Mais les conquêtes  de Trajan s'avèrèrent difficiles à tenir en raison de nombreuses révoltes, et la Mésopotamine fut évacuée : le successeur de Trajan, Hadrien fit la paix avec les Parthes et rétablit le royaume d'Arménie en nommant un arsacide, Vologèse Ier.

  A l'époque d'Hadrien (voir la carte http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d5/L%27EMPIRE_ROMAIN_125.svg,) les légions romaines présentes en Turquie dans la Province de Cappadocia à la frontière de l'Arménie sont la XV Apollinaris, à Satala et  la XII Fulminata à Mélitène.

  Ce n'est qu'en 161 que les Parthes rompirent l'entente avec Rome en attaquant la province romaine de Syrie, ce qui amena, sous les empereurs Marc-Aurèle et Lucius Verus, le gouverneur de Cappadoce Severanius à s'avancer en direction du centre de l'Arménie ; mais il fut arrété à Elegeia, au nord-est de Satala, par les troupes d'Osroés et y subit une défaite totale. C'est peut-être à cette occasion que la légion  XXII Deiotariana disparut. Le nouveau gouverneur de Cappadoce, Statius Priscus, envahit l'Arménie et détruit la capitale Artaxate en 163. L'empereur Lucius Verus est décrété par le Sénat Armeniacus, "vainqueur des Arméniens". Les Romains placent un nouveau roi arsacide, Soheamus, à la tête du royaume arménien, avec une nouvelle capitale, Kainepolis.

 

  On voit qu'il est difficile de trouver une base historique à la légende des dix mille martyrs ; certes, le texte ne dit pas que les révoltés étaient Arméniens, et il utilise l'expression "les Gadéréens et quelques peuples qui demeuraient au dessus de l'Euphrate". Mais les seuls Gadéréens -ou Gadaréens, Gadareniens, ou encore, en moyen-français du XIIIe siècle, " li gaderui"_ ne se rapportent à rien d'autres qu'aux habitants de la ville de Gadara, connus par "le miracle de Jésus au "pays des gadaréniens" (Mat.8, 28-34), ou par Philodéme de Gadara, l'épicurien. Le fait que les traductions des Évangiles donnent aussi les formes "geraséniens", en référence à la ville de Jerash, et "gergéséniens", en référence à celle de Gérgésa ne change rien, toutes ces villes étant situées à l'est du Jourdain, mais non "au dessus de l'Euphrate".

  Un autre indice, géographique cette fois, est la mention d'une ville nommée Alexandrie située à une centaine de kilomètres (500 stades) du Mont Ararat, dans le royaume arménien ; mais je n'ai pu la localiser. 

 

 On vérifiera sur cette carte l'absence de tout "gadaréniens"Fichier:Antic Anatolia.jpg

 

 

Autres liens divers.

 

 

_ L' Année Saincte, ou l'instruction de philagie pour vivre à la mode des saincts, & pour passer sainctement l'année: Paul de Barry, 1641 link

 _ Légende Dorée, Jacques de Voragine,: link

 

_  Chapelle de Gêvres :
  •  Antiquités nationales ou recueil de monuments pour servir l'histoire de l ...
    Par Aubin-Louis Millin, 1790 link
  • Les antiquités de la ville de Paris, Claude Malingre, 1640, p. 590.link

 

 

  _ L'abbé Delaunay, curé de St-Etienne-du-Mont (où se trouvent les peintures murales des dix mille martyrs), a revu un ouvrage de Léon Curmier, Les Évangiles des dimanches et fêtes de l'année, suivis de prières ..., Volume 3, 1864  link  . Il se trouve que cet abbé est aussi celui qui commenta les Grandes Heures d'Anne de Bretagne en 1841. 

 

Méditation : L'Année mystique, par B. de Vienne, 1702  Saint Acace et ses compagnons les dix mille soldats Crucifiez : link

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Published by jean-yves cordier

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  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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