L'abbaye du Relec à Plounéour-Ménez : le Jésus à la ceinture de la statue (calcaire polychrome, XVIe) de Notre-Dame-du-Relec.
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Voir les œuvres en tuffeau :
- Vierge allaitant dite Notre-Dame de Languivoa, tuffeau, XIVe siècle, chapelle de Languivoa à Plonéour-Lanvern.
- L'enclos paroissial de Saint-Herbot en Plonévez-du-Faou. V. La Pietà et les deux anges de douceur (XVIe siècle).
- Le cénotaphe de Thomas James dans l'ancienne cathédrale de Dol par Jean et Antoine Juste en 1507.
- Le retable de la chapelle Notre-Dame de La Houssaye à Pontivy (56).
- La Mise au tombeau de l'abbatiale Sainte-Croix de Quimperlé
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L'abbaye cistercienne du Relec à Pounéour-Ménez accueillait le 23 juin dernier "Voix en chœur" qui réunissait cinq chorales sous la direction artistique de Laure Leyzour : le Chœur du Kador de Crozon, l’ensemble A Cappello de Morlaix, l’ensemble vocal Choréa d’Ys de Brest, le Chœur Harmonia de Guesnou et le Chœur Voilà Voilà de Quimperlé.
Pendant cette prestation, chacun pouvait admirer, posée sur une petite estrade au centre du chœur, une très belle Vierge à l'Enfant. Une feuille épinglée en donnait le nom : NOTRE DAME DU RELEG ; renvoyant au nom breton du sanctuaire Itron Varia ar Releg, dont la pardon avait lieu traditionnellement le 15 août.
En tout cas, malgré le spectacle exceptionnel qui m'était offert par les choristes, mon regard, moins absorbé et charmé que mon ouïe, revenait sans cesse vers le visage de cette Vierge, comme vers celui d'une femme qui vous aurait troublé par son charme.
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Hélas, je n'ai trouvé que de très parcellaires informations sur cette œuvre remarquable. C'est très certainement elle qui est décrite en 1938 par Henri Pérennès, mais elle occupait alors, au dessus du tabernacle, le centre d'un très riche retable du XVIIe, entre deux cariatides et deux vertus théologales (Force et Prudence). L'auteur en souligne bien alors la valeur exceptionnelle :
"Sur le socle, soutenue par les vertus et les cariatides, repose la statue en pierre de la Vierge, grandeur nature. Le front ceint d'un diadème, vêtue d'un riche manteau d'azur, elle se révèle par sa pose "hanchée" caractéristique comme une œuvre du XVe siècle. La Vierge Marie porte sur son bras l'Enfant Jésus, le front couronné, et vêtu d'une toge verte. Il tient une banderole dorée, dont les longues branches se déroulent sur l'habit de sa mère."
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Par chance, une carte postale conservée dans les collections du Musée de Bretagne nous montre ce retable. Elle n'est pas datée, mais c'est l'une des cartes éditées par les frères Neurdein, dont l'activité cessa en 1918.
http://leonc.fr/cpa/WordPress/category/neurdein/collections-nd-phot/
http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo192401
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Mais en comparant cette description de Pérennès, et cette carte, avec l'œuvre exposée, on constate vite que cette dernière a perdu son bras droit, qui tenait un long sceptre (ajouté au XIXe avec les couronnes). L'extrémité du bras est démanché de son tenon, soit qu'il soit conservé à part en l'attente d'une restauration (à laquelle la statue se destine à l'évidence), soit qu'il ait été perdu.
La statue n'a rien perdu par contre de sa peinture très dix-neuvième, aux motifs de croix, de rinceaux et de fleurons de perles.
Le chanoine Pérennès n'a bien sûr pas pu examiner de près la statue, ni en faire le tour. Il aurait pu constater qu'elle est sculptée dans une pierre blanche, probablement un calcaire ou "tuffeau", ce qui indique donc une origine hors de Bretagne, le plus souvent en vallée de la Loire.
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Surtout peut-être, il n'aurait pas commis une erreur d'interprétation concernant un "détail" qui lui donne, à mes yeux, toute son originalité.
En effet, regardons l'Enfant Jésus. Il se tient en faux-profil , le corps s'écartant selon une ligne oblique de celui de la Vierge, qu'il ne regarde pas. Il ne porte pas "une toge verte" mais il est nu et enveloppé dans le manteau maternel ; sa main droite est tendrement posée sur la poitrine de Marie. Il a perdu le diadème dont la dévotion du XIXe siècle l'avait coiffé. Blond, cheveux bouclés, visage rond, il a tout du divin poupin qu'on attend ici.
Mais il tient dans la main, non pas "une banderole", mais un ruban doré qui descend ensuite devant le ventre puis la cuisse droite de la Vierge et s'achève en une pointe sagittée. Ce n'est rien d'autre que l'extrémité libre de la ceinture de la Vierge !
Quelle idée charmante ! quelle trouvaille touchante de la part de l'artiste pour témoigner de la grâce enfantine de Jésus, qui, comme tout enfant, joue avec l'objet attirant de la toilette de sa mère !
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Il est alors amusant de suivre des yeux le trajet de la ceinture, mais on en perd un peu la trace en amont de la main de l'enfant. Elle longe l'auriculaire de la Vierge, avec lequel on la confond, et son origine entre le petit pied et la main adulte (d'ailleurs un peu malhabile) est moins précise : j'ai cru un instant qu'il en manquait un morceau, mais non.
En somme, cette ceinture irréaliste (elle serait beaucoup trop longue si elle n'était au service d'une pensée symbolique) entoure le ventre — virginal — de Marie puis forme une boucle autour de la jambe et de l'aine du Fils, tout en passant dans le creux de sa main.
Est-ce symboliquement Jésus qui tient en main la clôture du ventre virginal, celui par qui sa Mère est jardin clos hortus conclusus et fons signatus selon la lecture typologique " ortus conclusus et fons signatus significat mariam" du Speculum humanae salvationis et Porte close d'Ezéchiel Ezechielis porta Clausa pertransitur ?
La statue inviterait alors à une méditation mystique sur le thème de l'Immaculée Conception au même titre que d'autres œuvres plus explicite :
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Un autre détail est singulier. La jambe gauche de l'Enfant-Jésus est fléchie, faisant pointer les petits orteils nus devant nous. Mais où est la jambe droite ?
La question ne s'impose pas : notre esprit imagine cette jambe dissimulée entre le bras et la hanche de la mère.
Mais l'artiste a cru bon de faire réapparaître le pied droit, à l'arrière de la hanche de Marie. C'est cette poche rose incongrue qui pend comme un accessoire dont on tente de comprendre ce qu'il fait là.
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Alors, on examine la statue de 3/4 arrière, et le peton est là, souris rose et dodue accouchant de cinq souriceaux après avoir percé la poche d'une reine.
Mais il semble bien trop bas, d'autant que la continuité de la cuisse et de la jambe a été perdue parmi les plis d'étoffe bleue dont les décors d'or semblent s'ingénier, par leur brisure, à imiter le camouflage Dazzle.
S'il y a là une "erreur" d'anatomie, on la pardonnera comme on pardonne à Ingres l'interminable dos de la Grande Odalisque ses trois lombaires de trop, comme mon maître Jean-Yves Maigne nous y incite.
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1079534/
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Après avoir décrit ces deux singularités de cette œuvre, — pour inciter les amateurs éclairés à en signaler d'autres exemples — il est temps de considérer à nouveau cette Vierge à l'Enfant. En premier lieu, son hanchement, ou contrapposto, rendu naturel par la nécessité de porter l'enfant. Le corps souple, élancé, dont l'abdomen est (légèrement ) saillant. La jambe droite, à peine avancée. Les souliers noirs pointus.
Le manteau mi-long, dont les plis imposés par l'avancée du bras droit dessinent trois bandes horizontales.
La robe, à l'encolure ronde, serrée avec la ceinture très haute. Et la poitrine, plate, aux volumes peu ou pas soulignés.
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La tête couronnée est couverte d'un voile en coque carrée aux trois plis souples symétriques.
Le visage est carré dans sa moitié haute et triangulaire en partie basse, sous des pommettes en pomme. La petite bouche fermée domine un petit menton.
Le front et les sourcils sont épilés, les boucles de la chevelure brune couvrent le haut des épaules.
Le regard de Marie est grave, pensif, comme celui de son Fils, mais l'impression du visage, une fois le spectateur placé à distance raisonnable, se transforme. La Mère de Dieu apparaît comme une jeune femme franche, accueillante, souriante, tempérant la conscience de la gravité de sa fonction par une disponibilité entière à son rôle d'intercession : c'est le regard d'une mère tenant son enfant plus jeune tout en observant les aînés avec bonté.
En conclusion, nous avons ici toutes les caractéristiques d'une Vierge à l'Enfant fidèle à l'idéal de beauté de l'art gothique, un chef d'œuvre dont nous aimerions entendre les spécialistes nous dirent l'époque (XIVe ou XVe ?), et l'origine (ateliers du Val de Loire, de Normandie ou du bassin parisien ?).
(*) Elle daterait en réalité (administration de l' abbaye du relec) du XVIe !
Le Finistère (dont les sculpteurs ont taillé le kersanton surtout à partir du XVe siècle) ne conserve pas beaucoup de sculptures religieuses anciennes en pierre calcaire.
J'ai décrit la Vierge allaitant son Fils (XIVe) de la chapelle de Languivoa à Plonéour-Lanvern ; la Pietà de la chapelle Saint-Herbot de Plonévez-du-Faou ; le cénotaphe de Thomas James à Dol (1507) ; le retable et la Sainte Apolline de La Houssaye près de Pontivy (vers 1510, atelier d'Amiens ?) ; la Mise au tombeau de Quimperlé (vers 1500).
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COMPLÉMENTS.
1. Jalons de datation.
L´abbaye cistercienne du Relec, fille de Bégar (22), fut fondée le 30 juillet 1132 et dédiée à Notre Dame. Des modifications notables ont eu lieu sous l´abbatiat de Guillaume Le Golès (ou Goalès, ou Le Goalès de Mézaubran), en charge de l´abbaye entre 1462 et 1472 . Entre 1680 et 1694, le prieur de l´abbaye, Jean-Baptiste Moreau, est à l'origine d'importants travaux : dans la partie nord du transept de l´église, il fait supprimer une chapelle afin de mettre en place, en 1691, dans l'aile nord un escalier monumental en pierre donnant accès au dortoir des moines . L'inscription suivante, en dessous du cadran d'horloge, dans une fenêtre, aujourd'hui murée, de l'escalier des moines, peint au dessus de l'escalier, en rappelle le souvenir .
Enfin, et surtout eu égard au culte marial, des peintures murales ont été récemment restaurées (2019), datant du XIIe au XVe siècle. Selon Joseph Le Bigot en 1884 puis H Pérennès, on y voyait dans la chapelle entourant le chœur la Vierge entourée d'abbés, ce qui ne s'est pas confirmé.
"Géraldine Fray, restauratrice, explique le côté remarquable des peintures. « Nous avons trouvé des fragments de peinture datant du XIIe siècle, puis d’autres datant des périodes successives jusqu’au XVe siècle. Ce qui est exceptionnel et très rare en France, ce sont ces décors peints dans une abbatiale cistercienne car cet ordre monastique se caractérise par le dépouillement et une certaine austérité architecturale. Le fait d’avoir ici des motifs peints datant de cette période est vraiment une grande chance car on peut dire qu’elles reviennent de loin ! »
Sur les murs des deux chapelles se dessinent des scènes bibliques, de type figuratif, peintes à base de pigments de terres aux couleurs ocre rouge et ocre jaune. « Nous n’en sommes qu’au début, mais on peut distinguer six ou sept périodes différentes. Les peintures sont très fragiles et nécessitent un grand soin de la part de toute l’équipe. » (Ouest-France
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" MONASTERII. AERE. REPARATA. SUNT. AUCTA. ET. ORNATA. TECTA. AETATE. CASURA. JOANNIS. BAPT(IS)TAE. CURA. ARCHIMANDRITAE. 1691.
AUX FRAIS DU MONASTÈRE ET PAR LES SOINS DU CURÉ ET ARCHIMANDRITE JEAN-BAPTISTE [MOREAU] SONT RÉPARÉS, AGRANDIS ET DÉCORÉS LES BÂTIMENTS EN MAUVAIS ÉTAT, 1691.
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L'horloge.
" EX MOMENTO PENDET AETERNITAS. "
"D'UN MOMENT DÉPEND L'ÉTERNITÉ."
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Les Peintures murales.
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1°) Inscription datée : invocation.
Sur cartouche bicolore ocre rouge et blanc, au dessus de carrés à décor floral (pochoir ?).
E IGER PRV DE
PRIEZ POVR NOVS
160-
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2°) Trois anges musiciens : instrument à vent et instrument à corde ( voûte nord) et à percussion (mur sud).
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— Sur les peintures murales (rares en Finistère) et sur les anges musiciens, voir :
Bretagne :
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Les anges musiciens des voûtes de l'église Notre-Dame de Kernascléden (ca 1440).
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L'église Saint-Salomon de La Martyre : les peintures murales du chœur (vers 1450)
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Chapelle Notre-Dame de Carmès à Neulliac : les lambris peints du XVe siècle
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L'église de Saint-Mériadec en Stivail (56) : les peintures murales.
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Les peintures murales de la chapelle de Locmaria er Hoët à Landévant (56). XIVe siècle.
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Le retable des dix mille martyrs à Crozon (4) : les peintures murales de Saint-Etienne-du-Mont.
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La peinture murale du calendrier liturgique de l'église de Vieux-Thann (Haut-Rhin) vers 1320
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L'église Saint-Mériadec en Stival : la légende de saint Mériadec en peintures murales.
Hors Bretagne :
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Les peintures murales de la collégiale Notre-Dame de Beaune.
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Les peintures murales des Sibylles de la cathédrale d'Amiens.
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Petite iconographie de Saint Christophe à Séville. II : La cathédrale. (1584)
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Les anges musiciens des baies 15-17-19 de la cathédrale dÉvreux (1360-1370)
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Joueur de chalémie ??
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Ange joueur de mandole ?
Je ne vois pas d'archet : cordes frottées.
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Deux anges dont un joue du tambour.
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Ange Gabriel de l'Annonciation (mur nord).
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Lion ou lionceau devant le bras d'un personnage.
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Visitation.
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SOURCES ET LIENS.
— COUFFON (René), LE BARS (Alfred), 1988,
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/eac06580cade2ea04093dc8ef7a6a695.pdf
“Couffon, Répertoire des églises : paroisse de PLOUNEOUR-MENEZ,” Collections numérisées – Diocèse de Quimper et Léon, consulté le 24 juin 2019, http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/items/show/980.
Diocèse de Quimper et Léon, nouveau répertoire des églises et chapelles, par René Couffon, Alfred Le Bars, Quimper, Association diocésaine, 1988.
— MORICE (Pierre-Hyacinthe)
https://books.google.fr/books?id=Ze0DAAAAQAAJ&pg=PA547&lpg=PA547&dq=%22Notre+Dame+du+Releg%22&source=bl&ots=ztGZpdQIVm&sig=ACfU3U3N9V2Ec35WSC6c_AjLfqMQMTUcsw&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjvjZyp3oHjAhXqAmMBHerlD6gQ6AEwBHoECAkQAQ#v=onepage&q=%22Notre%20Dame%20du%20Releg%22&f=false
— PÉRENNÈS (Henri), 1932, “Notre-Dame du Relec en Plounéour-Ménez : une vieille abbaye bretonne,”, Quimper
http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo192401
— PATRIMOINE : INVENTAIRE GENERAL.
http://patrimoine.bzh/gertrude-diffusion/dossier/ancienne-abbaye-de-cisterciens-le-relecq-plouneour-menez/79bbf8e4-f56c-4fbf-88dd-254cba7957d6
— BLOG DIDIERLEBRESTOIS (photo de la statue)
http://www.didier-le-brestois.com/2017/03/l-abbatiale-monument-historique-du-relecq.html
— OUEST-FRANCE
— PRIGENT, Christiane. 1981, Etude de quelques sculptures bretonnes influencées par les modes venues des pays nordiques. Dans : Bulletin de la société archéologique du Finistère, t. CVIII, 1981.
— PRIGENT, Christiane, 1982, . Les statues des vierges à l'enfant de tradition médiévale: XVe- XVe siècles dans l'ancien diocèse de Cornouaille Prigent, Christiane. - [Université de Rennes] (1982)
— Comparez avec
https://www.louvre.fr/oeuvre-notices/vierge-lenfant-de-la-sainte-chapelle
Notre-Dame de Bonne-Garde, Église Notre-Dame de Parigné (35), tuffeau, peinte polychrome, XIVe siècle.
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