Le 19 avril, j'ai assisté à une séance de baguage effectuée par le GONm sur la réserve ornithologique située sur les falaises de Carolles.
Le baguage, cette année depuis le 12 mars,étudie la migration printanière des passereaux pour la deuxième année consécutive sur ce site.
On ne s'improvise pas bagueur, cette activité interdite par la loi ne s'exerce que par dérogation délivrée par le CRBPO, ( autrement dit Centre de Recherche pour le baguage des Populations d' Oiseau issu du Muséum d'Histoire Naturelle )
sous forme d'un permis de baguer. Le baguage est pratiqué en France depuis 1911, par des équipes de bagueurs bénévoles assermentés qui ont été dûment formés.
Notre bagueur est Sébastien Provost, membre du Groupe Ornithologique Normand.
Il s'est levé tôt pour déployer sur la falaise, entre les bosquets, 14 filets de capture en nylon, tendus entre deux perches et munis de poches qui retiennent prisonniers les oiseaux qui ont rencontré le dit filet, sans les blesser.
Parfois, c'est un chevreuil qui s'y prend, sans trop de dégâts!
Dés 7 heures 15, il a débuté le travail. Il faut d'abord, comme à la pêche, relever le contenu des filets. Chaque oiseau est délivré et placé dans une poche de tissu, et bientôt Sébastien Provost se retrouve avec une demi-douzaine de petits pochons autour du cou, et qui s'animent parfois de soubresauts
Ici, c'est un rouge-gorge qui attend sa délivrance :
Tel Papageno l'oiseleur de la Flûte enchantée , il ramène ses captifs sur son camp de travail : c'est une clairière où sont disposées table et chaises. Une assistante note sur la fiche de baguage les informations sous la dictée de l'opérateur, tandis que des spectateurs passionnés en profitent pour enrichir leurs connaissances ornithologiques.
L'équipement est sommaire ; papier, crayon, pinces, réglette, colliers où sont enfilées telles des perles les bagues en aluminium . Leur poids varie de 31 mg pour les oiseaux de 15 à 20 grammes à 187 mg pour les oiseaux comme le merle, qui fait bien ses 90 grammes.
Il est temps de débuter : Sébastien _ m'en voudra-t-il de le désigner par son prénom ?_ ouvre un de ses sacs pectoraux et en extrait un premier candidat .
Ce sera un pouillot véloce (110 ont été bagués dans la seconde quinzaine de mars !), ou des fauvettes à tête noire, ou l'accenteur mouchet si expressif actuellement.
Plus rarement un pouillot fitis, une fauvette grisette. Encore des fringilles: serin cini, verdier, pinson des arbres. des bouvreuils à l'occasion, ou des bruants. Les derniers tarins et pinsons du nord ont disparu depuis fin mars . Tout à l'heure, (je n'étais pas arrivé), il a bagué une bouscarle de Cetti, que j'avais cherché en vain bien-sûr la veille tant son chant partait des buissons à toute force vers mes oreilles.
Mais voilà notre rouge-gorge de tout-à-l'heure. Sa prise est sûre : tenu entre index et majeur, il ne souffre pas, il est calme, et le bagueur dispose de son pouce et de l'index pour travailler.
Ici, une mésange charbonnière gazouille, peut-être pour protester. On notera encore la technique de préhension.
Le premier travail est d'identifier l'oiseau rare; de préciser son sexe, si possible l'âge, et de commenter son état général.
- Le sexe est déterminer par l'inspection de la taille, des couleurs du plumage, ou par l'existence d'un cloaque ou d'une plaque incubatrice, lors des périodes de reproduction.
-L'age peut être renseigné grace à plusieurs critères : positionnement régulier ou irrégulier des rémiges, couleur du plumage suite aux mues ou caractères particuliers (points sur la langue ). Les passereaux ne connaissent pas vraiment l' état immature car la reproduction peut s'effectuer dès la première année.
C'est le nom scientifique, binominal qui est noté sur la fiche. Ici, c'est le mâle de la fauvette à tête noire : Sylvia atricapilla.
On procède aux mesures biomètriques : Longueur de l'aile pliée, mais aussi parfois longueur du bec, de la queue, longueur totale, envergure, etc...
Tiens, un accenteur mouchet !
L'aile est mesurée, mais elle est aussi examinée déployée, et c'est un spectacle que j'admire : voilà la fauvette grisette .
Là, notre Sylvia articapilla.
Il ne faut pas oublier la pesée à l'aide d'une balance au gramme, où l'impétrant, avant d'obtenir son diplôme et sa bague, doit faire une plongée tête la première dans ce petit cône de carton jaune.
Parfois il s'échappe, ...ou presque.
On doit mesurer l'adiposité, et pour cela souffler sur le ventre de l'oiseau pour apprécier ses bourrelets et se poignées d'amour... plus exactement la graisse abdominale, et c'est un geste que je trouve si beau et si tendre que je ne me lasse pas de le contempler. La masse graisseuse est évaluée selon un barème allant de 1 à 4.
Ce sera aussi l'occasion de noter la présence éventuelle de la plaque incubatrice, zone dénudée de plumes et de duvets qui apparaît quelques jours avant l'incubation, et où la peau très vascularisée se gonfle : ce dispositif permettra à l'adulte de mieux transmettre la chaleur aux oeufs. Il disparaîtra après leur éclosion.
Passons au baguage: choisir une bague adaptée, la sertir à la pince, noter les coordonnées sur la fiche, et voilà le travail !
Facile à dire, mais cela semble un travail tout en délicatesse, effectué entre pouce et annulaire : un travail d'orfèvre.
Mais quelle est cette excroissance disgracieuse sur le bec de ce pouillot ?
C'est un agglomérat de pollen accumulé après les nombreuses visites gourmandes de l'oiseau, et Sébastien a décidé de prélever ce pollen, de le faire analyser par une spécialiste de pollinologie de Caen afin de préciser les habitudes du pouillot véloce, cette étude n'ayant jamais été réalisée.Une petite opération à la pince, et l'affaire est dans le sac, ou plutôt dans un flacon d'alcool.
Il ne reste plus qu'à relâcher l'oiseau et lui souhaiter longue vie.
On termine en mettant les filets en berne.
La fauvette à tête noire a la tête brun-noisette quand c'est une femelle : adieu, madame!
Le Museum donne les chiffres suivants : sur 6.300.000 oiseaux bagués en France au total et 100;000 bagués par an, on compte 5000 récupérations annuelles de bagues sur oiseaux morts et plusieurs dizaines de milliers de "contrôle" par an,c'est à dire d' oiseau capturés et relâchés après lecture de bague.
Prés du parking de la Cabane Vauban, haut-lieu des falaises de Carolles, j'ai photographié cette fauvette : en regardant plus attentivement, j'ai vu quelle avait été baguée...et je crois savoir par qui !
( Voir aussi les autres images de fauvette à tête noire de l'article Un Week-end à Carolles pour y chercher les bagues )
DERNIERE MINUTE
Alors que nous bouclions cette édition, un individu vêtu d'une pèlerine noire au capuchon homochrome et affublé d'un faux pif jaune fluo a pénétré dans la salle de rédaction, l'oeil ictérique, la voix vitupérante et bégayante. Au début nous ne comprenions que des "pic pic pic pic" colérique, était-il atteint d'un psittacisme en répétant sans cesse la phrase célèbre de Violaine de la Bigne "quelle époque épique, quelle époque épique" ?
Monsieur s'est calmé, heureusement car ce n'était pas exactement un poids-plume, et il a déclaré d'une voix soudainement aussi mélodieuse que la flûte pastorale qui retentit dans le calme du serein vespéral, qu'il se nommait Turdu merula,qu'il était là, lui aussi, lors de cette séance de baguage, qu'il avait bien vu qu'il avait été mitraillé comme les autres par un paparazzi importun et que, en réparation du préjudice causé par cette intrusion d'un sans-gêne manifeste, il exigeait que ses photos soient publiées au même titre que les autres, sinon ce serait du racisme, et il avait l'aile longue, et ses appuis à la Mairie,(il recommençait à s'exciter), nous avions intérêt à ob-tem-pé-rer !
Devant ce ton gendarme, nous donnâmes suite à sa demande : c'est donc reparti pour un tour, tant mieux pour les retardataires .
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Allez, va, beau merle moqueur, tu siffleras bien mieux, au temps des cerises.
Remerciement à Sébastien Provost pour la gentillesse de son accueil et pour son accord à la diffusion de ces images.