Les calvaires de Dirinon IV : la croix de Kerniouarn / Kerpierre (XVe siècle).
Voir la série sur Dirinon :
— L'enclos paroissial :
L'enclos paroissial de Dirinon I : les crossettes, les inscriptions et sculptures extérieures.
L'enclos paroissial de Dirinon III. la Poutre de Gloire (1623).
L'enclos paroissial de Dirinon V. Les sablières (1623), les blochets et poinçons.
L'enclos paroissial de Dirinon VI : le gisant de sainte Nonne (vers 1450-1468) et son reliquaire.
L'enclos paroissial de Dirinon VII : les vitraux, les statues et les peintures de sainte Nonne.
L'enclos paroissial de Dirinon VIII: la statue de saint Antoine par Bastien Prigent (XVIe siècle).
—Le culte de sainte Nonne :
Le culte de sainte Nonne à Dirinon I : la fontaine Sainte-Nonne et les trois pierres de Sainte Nonne.
Le culte de sainte Nonne à Dirinon II : la chapelle Saint-Divy.
Le culte de sainte Nonne à Dirinon III : la fontaine Saint-Divy ou Feunteun sant Divi (XVIe siècle)
—Les croix et calvaires de Dirinon :
Les calvaires de Dirinon . I. Le calvaire du bourg (XVe siècle).
Les calvaires de Dirinon . III. La croix de Kermélénec (1568).
Les calvaires de Dirinon IV : la croix de Kerniouarn / Kerpierre (XVe siècle).
Les calvaires de Dirinon V : La Grange, échangeur de la Voie express.(XVe siècle).
Les calvaires de Dirinon VI : la croix de Coménec ou Croas-Guénolé (vers 1610)
Les calvaires de Dirinon VII : La croix de Ty-Croas (XVIe siècle).
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Rappel :
–"Croix" : monument qui a la forme d'une croix.
–"Calvaire" : à la croix s'ajoutent deux personnages sur des croisillons (souvent la Vierge et Jean) ou les deux croix des larrons, voire ("Calvaire monumental") les scènes historiées de la Passion.
Dirinon possède seize croix et calvaires, restaurés par les soins de recteur Guillermou entre 1956 et 1960 puis par la commune. Elles sont décrites par l'Atlas des croix et calvaires sous les n° 418 à 433. Y-P. Castel distinguait en 1993 les croix simples (Croix de Mondragon n° 430, croix de Pen-ar-Run n°431, croix de Trébéolin n°432), les "Croix à Christ" (de Kerniouarn n°428, du bourg n°422, de Ty-Croas n°433, de Kermélénec n°424 et de Croas-Guénolé n°418), les six "Petits Calvaires" (de la Croix-Neuve n°419, de la Croix-Rouge n°420, du cimetière de l'enclos n°421, de la Grange ou Croas ar Vossen n°423, de Lesquivit n°429), sans compter les 5 croix disparues signalées sur le cadastre.
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Situation.
Street View Maps
En venant de Dirinon, prendre la route vers la voie express N165 passant par Lannuzel, et atteindre l'embranchement du hameau de Kerpierre. La croix se trouve alors à droite. La route vers Kerniouarn débute une cinquantaine de mètres plus loin. Mais sur les cartes du XIXe siècle, et même sur le Scan 50 IGN de 1950, seul le lieu-dit Kerniouarn est indiqué, avec la graphie Kerneouarn.
L'examen de la carte de Cassini (vers 1780) montre qu'au XVIIIe siècle, ce qui deviendra la Route Impériale N° 170 Lesneven -Landerneau-Daoulas-Le Faou (Route Nationale de Lesneven) n'existait pas, et que le voyageur allant à Daoulas pouvait passer alors par Dirinon sous la forme d'une route indiquée en marron sur la carte. Elle va de Lesneven à Landerneau et se termine à Daoulas (alors qu'une route Lesneven-Landerneau-Le Faou passait par Saint-Urbain). On la suit, sur le territoire de Dirinon à partir de Landerneau et on la voit passer par Kermélénec, Lannuzel, (longeant la chapelle Saint-Divy et les fontaines sacrées), Kernéouarn, La Grange. Or, ce trajet est jalonné des croix de Kermélénec, Kerneouarn et La Grange, qui trouvent ainsi leur cohérence dans une unité de géographie humaine. Il est possible, par la fonction de juxtaposition des cartes IGN et Cassini, de suivre le trajet de cette route sur Cassini avec le curseur, et de constater que son trajet est encore attesté par des tronçons de chemin.
Kernéouarn ou Kerniouarn signifie probablement "Le lieu habité par Nihouarn", le patronyme Nihouarn est la modification par article résiduel agglutiné de Yhouarn, provenant lui-même d'un saint ermite du XIe siècle, Ehuarn. On trouve Lanniouarn en Plouarzel. (D'après Albert Deshayes, Dict. des noms de famille bretons) Un lieu-dit Kerniouarn se trouve aussi à Melgven et à Le Trévoux.
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Description.
Cette croix est décrite par l'Atlas de croix et calvaires du Finistère sous le numéro 428 comme une croix de kersanton de 4 m de haut, sur un emmarchement de deux degrés qui reçoit un socle cubique.
Une plaque y est adossée avec l' inscription : RESTAURE AVEC TOUS LES CALVAIRES. MISSION 1957. Cela correspond à l'action du recteur François Guillermou en faveur des croix et calvaires de sa paroisse.
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La face ouest.
La croix du crucifix est de section hexagonale, à fleurons et à dais sommaire. La face occidentale porte un Crucifié très érodé. La couronne d'épine est faite d'un entrelacs de deux brins. Le Christ a la tête inclinée à droite, les cheveux longs, une barbe très courte, un pagne court à quatre plis croisés au milieu et noué à gauche. Les côtes sont inclinées en V à sommet xyphoïdien. Les pieds sont superposés en rotation interne. Les trois clous sont à tête prismatique.
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La face est porte une Vierge à l'Enfant.
La Vierge est couronnée, elle tient sur le bras gauche son Fils dont le visage est tourné vers le ciel. L'ensemble est si envahi par la lèpre de lichens blancs que cela crée une confusion désagréable.
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Le socle.
C'est peut-être l'élément le plus intéressant, car il est décrit par l'Atlas d' Yves-Pascal Castel comme "avec cupules pour un jeu". Je me permet de reproduire ici le relevé graphique qui accompagne l'Atlas. on voit que l'un des coins du socle est creusé par une marche en trapèze, et qu'une vingtaine de cupules sont disposés selon un tracé géométrique évoquant vaguement celui du jeu du "drapeau anglais" :
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Faut-il y voir la récupération d'une pierre à cupules comme celle proche de la fontaine Sainte-Nonne ? Ces pétroglyphes, en écuelles parfois associées à des rigoles, datent de l'époque mégalithique (Néolithique et Bronze) et sont parfois réparties pour former des figures schématiques ; leur signification n'est pas connue. Je n'abandonnerai pour ma part cette hypothèse qu'après le désaveu formel d'un archéologue.
Ou bien faut-il voir plutôt ici une authentique marelle , comme le suggère Yves-Pascal Castel dans un article de 1993 ?
J'imagine mal des paroissiens taillant un bloc de pierre et le creusant de cupules, uniquement pour pratiquer un jeu dont l'une des caractéristiques principales est de pouvoir se jouer partout et sans plateau spécifique, en traçant des lignes sur le sol ou ailleurs. Je les imagine encore moins récupérant sans vergogne leur table de jeu pour y élever un calvaire. Et encore moins jouant avec leur pions au pied de la croix. En outre, la marche trapézoïdale resterait inexpliquée.
Pourtant, l'abbé Castel a relevé au total en Bretagne douze exemples de socles ou de marches de croix creusés de cupules de diverses tailles. (En Bretagne Croix et Calvaires 1997 page 42) Elles n'adoptent un schéma marelliforme qu'à Dirinon, mais sont parfois alignées selon des lignes, des cercles irréguliers ou des points de dès ou de dominos. Sans aucune régularité compatible avec un jeu précis.
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Yves Pascal Castel 1997 :
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Il me paraît séduisant de penser que les pierres à cupules ont été considérées comme des pierres sacrées à l'époque pré-chrétienne, puis christianisées au même titre que les menhirs l'ont été. Leur forme de cube aurait alors favorisé leur emploi comme socle de croix.
La "marelle" médiévale.
Elle ne doit pas être confondue avec le jeu enfantin consistant à suivre à cloche-pied un palet de terre à ciel, et retour. On préférera, pour les différencier, le terme de "jeu de mérelles" ou "jeu du moulin".
Selon Patricia Muhouse 1985,
"Parmi les innombrables jeux de société pratiqués dans l'Occident médiéval, le plus répandu, celui auquel on joue partout, à tout moment, dans toutes les classes de la société, n'est pas le jeu de dés — contrairement à ce qui est souvent affirmé — mais bien le jeu de marelle.
C'est le jeu de société par excellence, celui qui pendant plusieurs siècles emblematise le mieux l'activité ludique de la civilisation européenne. Contrairement aux dames, aux échecs et aux tables (un des ancêtres du backgammon actuel), il ne doit en effet rien à l'Orient. Il est en outre plus ancien que tous les jeux de cartes et moins réprouvé que les jeux de dés. A l'époque moderne, il prend le nom de jeu du moulin; et ses épigones contemporains sont le morpion (avec toutes ses variantes) et le jeu dit « du drapeau anglais ». Ainsi la marelle, inconnue de la plupart des historiens et des anthropologues, et très souvent absente des répertoires, manuels ou encyclopédies consacrés aux jeux de société, est-elle bien, dans la longue durée, le jeu de l'homme européen. A la différence des dés, la marelle n'est pas un jeu de hasard mais un jeu de réflexion. Elle oppose deux joueurs possédant chacun trois ou cinq (parfois neuf) pions qu'ils doivent essayer d'aligner (verticalement, horizontalement ou diagonalement) sur une figure géométrique de forme variable et dont les versions les plus employées au Moyen Age sont reproduites ici. Les joueurs jouent à tour de rôle en ne plaçant ou déplaçant qu'un pion à la fois sur la figure. Le vainqueur est celui qui le premier a réussi à aligner ses trois ou cinq pions sur une des lignes de cette figure. Du moins tels sont les principes généraux du jeu car il y a évidemment de nombreuses variantes, et une évolution des règles allant vers la diversification."
Le mot marelle est rattachée à un préroman * marr- (pierre, caillou) et à la généralisation du féminin de merel, marel, "jeton, palet, pièce de monnaie".
La figure formée de trois carrés inscrits les uns dans les autres et coupés par leurs médianes est à l'origine de la chaîne mérellée des armoiries des anciens rois de Navarre, déjà étudiée dans ce blog à propos des vitraux de Chartres.
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SOURCES ET LIENS.
— CASTEL (Yves-Pascal), "Dirinon", Atlas des croix et calvaires du Finistère.
http://croixetcalvaires.dufinistere.org/commune/dirinon/dirinon.html
— CASTEL (Yves-Pascal), 1993 (3 septembre) Croix et calvaires de Dirinon
“0954 Dirinon, Croix et Calvaires... 03.09.93.,” Collections numérisées – Diocèse de Quimper et Léon, consulté le 21 février 2017, http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/items/show/2456.
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/71f7516bf9d58e7cc2eaa4246f072eb5.jpg
— CASTEL (Yves-Pascal), 1997, En Bretagne. Croix et Calvaires. Minihy Levenez
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/c7ab1cc53d0ef299b5bb65ed3764d18c.pdf
—MULHOUSE (Patricia), 1985, Jeux (jeux) : La marelle Médiévales Année 1985 Volume 4 Numéro 8 pp. 103-106
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