Sortir d'une épidémie de peste (1598) et sortir d'une guerre (1598 ET 1944) : le calvaire monumental (microdiorite de Logonna et kersantite, Maître de Plougastel, 1602-1604) de Plougastel-Daoulas .
Première partie. le soubassement.
C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
Moi si j'y tenais mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien. Aragon.
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Voir :
et sur Plougastel :
Voir dans ce blog les œuvres du Maître de Plougastel :
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Les navires sculptés (leucogranite, v.1547) et la statue d'apôtre (v.1621) de l'église de Plogoff.
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Wallace et Gromit à Plougastel : où le calvaire en voit de toutes les couleurs !
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PRÉSENTATION.
En 1598, la population de Plougastel-Daoulas décida la construction d'un calvaire, probablement (ou selon la tradition) pour honorer un vœu si le fléau de la peste s'achevait.
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Le rôle de la peste. rumeur ou vérité ?
On peut en effet attribuer ce monument à la Peste, car dans la niche principale de son soubassement se voient les statues de saint Sébastien et de saint Roch, dont la peste est la spécialité, à coté de saint Pierre, patron de la paroisse. La chapelle Saint-Sébastien en Saint-Ségal a été bâtie dans la seconde moitié du XVIe siècle pour conjurer la peste. Saint Sébastien, tout comme saint Roch, sont invoqués contre les épidémies meurtrières regroupées sous le nom de "peste". On pense que la chapelle "Saint-Côme et Saint-Damien" de Saint-Nic fut aussi construite au début du XVIe siècle pour la même raison. À Plougasnou, la croix de Kergreis dite aussi "croix de la peste noire", est datée de 1598 ; elle a également été réalisée par le "Maître de Plougastel".
Un autre argument, discuté, est la présence de bosses sur le fût de la croix : ces croas ar bossen, comme celle de Kerzivez Huella à Plougastel témoigneraient des bubons de peste.
Surtout, Charles Le Goffic avance deux preuves.
La première, c'est la mention de cette peste de 1598 par le chanoine Moreau, auteur de référence sur les Guerres de la Ligue : « Après ce troisième fléau (la guerre, la famine, les loups), dit-il, s’ensuivit la peste, qui était le quatrième, qui fut l’année 1598, un an après la paix, qui commença par les plus pauvres, mais enfin elle attaqua, sans exception de personnes, aussi bien aux riches qu’aux pauvres et en moururent les plus huppés…, et ce en punition des péchés des hommes qui y étaient si débordés que l’on n’y savait plus prier Dieu que par manière d’acquit.[Histoire de ce qui s’est passé en Bretagne durant les guerres de la Ligue, ch. xliii. p. 340] Mais Le Goffic ne précise pas que Moreau parle ici de la ville de Quimper.
La seconde, c'est l'existence, sur une dalle funéraire de schiste du manoir de Kerérault, aujourd'hui bien connu à Plougastel pour abriter le Rocher de l'Impératrice et son site archéologique unique) portant l'inscription : CY GIST LE FEU SIEUR DE KERERAULT MORT DE LA PESTE LE DIMANCHE 27 SEPTEMBRE 1598. Le Goffic a vu cette dalle, même si il n'y a lu correctement que le mot PESTE. La dalle existe-t-elle toujours ? Parfaitement. Elle est signalée dans la chapelle (1780) du manoir de Kerérault et l'abbé Castel en a donné un relevé graphique et descriptif très précis et une analyse critique de l'inscription
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Six autres calvaires monumentaux.
L'édification du calvaire a été entreprise de 1602 à 1604 selon un plan octogonal prolongé par des ailes, aménageant un escalier permettant aux prédicateurs d'accéder à la plateforme. Ce n'est pas, tant s'en faut, le premier "calvaire monumental" à "mace" associant aux calvaires à un ou deux croisillons les multiples personnages des scènes de la Passion, puisqu'il est précédé par celui — en granite— de Tronoën en 1450-1470, par celui de de Plougonven en 1554 par Bastien et Henri Prigent, par celui de Pleyben en 1555 par le même atelier, de Guimiliau en 1581-1588. Il sera suivi par celui de Saint-Thégonnec en 1610.
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Un atelier de Landerneau spécialisé dans la taille du kersanton.
Emmanuelle Le Seac'h a établi le catalogue raisonné d'un sculpteur anonyme qu'elle a nommé le "Maître de Plougastel". Ce catalogue est mis en ligne avec des photographies sur le site en.wikipedia
https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_the_works_of_the_Ma%C3%AEtre_de_Plougastel
Elle divise la carrière de ce sculpteur en trois parties : 1) période de jeunesse de 1570 (porte d'entrée du porche de Bodilis) à 1588 (Croix de Kerangroas de Plougasnou et calvaire de Guimaec), 2) maturité jusqu'en 1602 (calvaire de Plougastel), puis 3) maîtrise avec l'arc d'entrée de Guimiliau (1606-1617). Voir plus de détails dans l'article sur Saint-Tugen.
Je suis tenté de voir dans ce Maître un élève de l'atelier, également de Landerneau, celui de Bastien et Henry Prigent, actif de 1527 à 1577.
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Style du Maître.
E. Le Seac'h le caractérise d'un mot : le hiératisme.
" Dans la plupart des cas, les personnages [du calvaire de Plougastel] respectent une frontalité rigoureuse. Une impression d'ordre et de rigueur se dégage de leurs attitudes. Ici, l'exubérance n'est pas de mise et les personnages défilent en scènes bien structurées. Le Maître de Plougastel, qui n'a pas souhaité exploiter la veine caricaturale de Guimiliau, n'a pas non plus basculé dans la candeur ou l'innocence. On est loin également du réalisme empreint de tristesse [cf. les trois larmes propres aux Prigent] des Prigent. Ici, tout est homogène et précis."
Pourtant, je pense que cet adjectif ne s'applique que pour une partie, certes conséquente, du calvaire.
Je peux décrire à ce monument quatre parties :
1. Au centre de la partie occidentale du soubassement, désigné par le terme de "mace"), une niche en demi-cintre avec les trois saints Pierre, Sébastien et Roch. Cela forme un petit sanctuaire : l'invocation ou l'expression de la gratitude des fidèles.
2. Un registre du soubassement, où les statues (ronde-bosse) occupent une bande aménagée sur fond des blocs jaune de pierre de Logonna. Ce registre est scandé aux angles par les quatre évangélistes. Les personnages sont regroupés par trois ou quatre pour illustrer la Vie de Jésus avant sa Passion ( Adoration des Rois, la Cène, le Lavement des pieds) puis le début de celle-ci : Comparution, Nuit à Gethsémani, Arrestation, .... Le hiératisme y règne.
3. Le registre supérieur, implanté sur la plateforme, où sont montrés les moments les plus tragiques de la Passion : Flagellation, Couronnement, Ecce Homo, Comparution, ainsi que la Descente aux Limbes et la Résurrection. Le changement est grand : les personnages sont sculptés pour la plupart de façon individuelle, ils s'animent de gestes expressifs. Ce que je vois alors, c'est l'immobilité de postures théâtrales, comme si les habitants, participant à jouer devant leur parvis le Mystère de la Passion, avaient posé, non sans humour et complicité, pour un photographe. Un caractère, très baroque, de distanciation et de théâtralisation que je n'éprouve pas devant d'autres calvaires monumentaux.
4. Le calvaire proprement dit, où le Christ crucifié entre les deux larrons est entouré des deux cavaliers (Longin et le Centenier), de Jean, de Marie et Marie-Madeleine. Le hiératisme s'impose à nouveau, en phase avec la gravité du moment.
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Cet ensemble, dont l'orientation principale se fait vers l'ouest, est centré de haut en bas par la Croix et l'inscription de son fût, par le Christ ressuscité / par l'inscription de son socle et l'inscription tout le long du bord supérieur du soubassement / la statue de Sébastien.
Ces trois inscriptions ne portent aucune oraison, aucun texte liturgique, mais exclusivement les noms des Plougastelois (fabriciens et recteur).
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Conclusion.
Après avoir connu l'épidémie, sa peur, ses décès, ses recherches de protection, les paroissiens qui ont survécu, et qui accèdent à la reprise de la Vie utilisent les figures du Martyre (Sébastien), de la Maladie (Roch), de la Mort et de la Résurrection du Christ pour sublimer en Récit, non dépourvue d'espérance chrétienne et de Foi bien-entendu, leur épreuve.
Toute épidémie est déstructurante pour le collectif, car elle rompt le ciment relationnel d'inter-dépendance ; et elle conteste la validité des Fictions qui l'anime vers l'avenir, lors d' un temps d'attente bloqué sur le Présent.
Toute épidémie est déstructurante pour l'individu, en lui faisant perdre sa construction identitaire.
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Je pose l'hypothèse que leur décision de se cotiser pour élever un monument grandiose est parfaitement judicieuse pour célébrer la Sortie d'épidémie, et qu'il est fructueux d'en comprendre les mécanismes pour passer d'une attitude d'inspection et d'émotion esthétique à une participation cathartique des mécanismes en jeu devant tout Traumatisme collectif.
Ces mécanismes sont pour moi les suivants :
1. Recentrer le territoire par un point crucial et refonder la cosmogonie du microcosme. (Cela s'associe à un autre impératif, celui de borner les frontières : il n'est pas en jeu ici mais ce serait amusant d'en rechercher les manifestations).
2. Revaloriser l'identité en inscrivant des patronymes sur l'axe spirituel de la Croix. Ces patronymes sont individuels, mais ces noms locaux sont ceux d'une constellation de familles solidaires.
3. Jouer ( au sens scénique) la Fiction qui s'impose à la collectivité pour la réunir. Je propose l'hypothèse de voir, dans les personnages de la Passion du registre supérieur, des portraits (ou des miroirs) des paroissiens, ce qui expliquerait leurs attitudes si théâtrales.
Autrement dit, je propose de voir dans le Calvaire monumental de Plougastel un Mystère de la Passion pétrifié permettant un double mouvement : de participation émotionnelle aux souffrances (Devotio moderna) , mais surtout de distanciation spéculaire par le jeu scénique. Un processus parfaitement baroque.
Yves Le Berre a traduit en 2011 une Passion Bretonne en vers qui parût d'abord en 1530, mais qui reparût en 1609 et 1622, au moment même, écrit-il dès les premières lignes de son Introduction, où "le baroque fleurit dans tous les arts". La Passion contient 50 rôles différents. La Résurrection ajoute 9 nouveaux rôles. Un Récitant (an test, "le témoin") intervient régulièrement. Les répliques sont hautes en couleurs, riches en interjection, en jurons, et le texte, truculent, hyperbolique, est très éloigné des versets évangéliques. Les paroissiens de Plougastel ont certainement participé à ces Jeux.
Le Maître de Plougastel a sculpté le registre inférieur et les croix à croisillons en respectant la retenue digne et sévère des saints personnages qu'il donne à voir, mais s'est inspiré pour le registre supérieur de la liberté de ton et d'action des Mystères, pour que les paroissiens s'approprie ce monument comme l'expression de leur propre jeu.
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Flaubert et son M. Genès avant moi.
Lors de sa visite, Flaubert se montre sensible au coté comique et très vivant des scènes, dont il ne décrit — ce n'est pas là hasard — que le registre supérieur. Mais c'est finalement leur guide et compagnon de route, un monsieur Genès de Brest "qui fait pour soixante mille francs d'affaire par an" et dont il écrit "rien n'est plus plat, plus nul, plus incolore et plus insipide que M. Genès. Il est bête comme un juge.", qui se montre le plus clairvoyant : "Ils jouent ! C'est farce !"
"A Plougastel cependant il s'arrêta comme nous, pour que nous puissions voir le calvaire, petit monument de granit, carré, dont chaque face représente un tableau de la vie de Jésus, et dont les quatre coins sont occupés par les évangélistes dans leurs attributions. Les personnages un peu lourds, n'en sont pas moins mouvementés, vivants, amusants : les hommes qui tiennent le Christ tirent de toute leurs forces, à faire éclater leurs muscles ; celui qui lui grimace au nez en tirant la langue grimace si bien qu'il fait rire ; l'âne qui porte Notre-Seigneur entrant à Jérusalem a une vraie mine d'âne, bonasse et pacifique ; les soldats qui le mènent au calvaire, en soufflant de la trompe et battant du tambour, sont précédés d'un officier chevauchant, la figure en l'air, avec une arrogance sublime : aux pieds (sic) de la croix la Madeleine en pleurs répands sa belle chevelure tressée. Mettez à tous ces personnages les costumes des tableaux de Teniers, les petits chapeaux ronds retroussés, les bons pourpoints serrant de grosses bedaines, de grandes manches, des hautes chausses, de larges visages, des yeux ouverts, et vous aurez un ensemble d'une fantaisie solide, quelque chose de très naïf, de très élevé et d'une poésie toute moyen âge, quoique le monument n'ait été construit qu'en 1602 en acquittement d'un vœu fait quatre ans auparavant à propos de je ne sais quel épidémie qui ravageait la Basse-Bretagne. Tout cela fut complètement perdu pour M. Genès [leur Monsieur touriste moyen]. Il ne se doutait même pas de ce que cela voulait dire ; en regardant la Cène, il prit les plats pour des cartes, les coupes pour des dés, et dit, fort ébahi : « Ils jouent. C'est farce! » " (Par les champs et les grèves)
Et dans ses notes : "Calvaire de Plougastel. — Amusant ; animaux lourds, chevaux et ânes ; mine d'un homme qui..... . le Christ en lui tirant la langue ; air raide de deux hommes qui vont le souffleter — Mr Genès prenait la Pâque pr une scène de jeu «ils jouent» — un tambour un joueur de [mot illisible] trompe, un cavalier la figure toute levée en l'air précédant Jésus allant au mont des Oliviers."
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Yves-Pascal Castel avant moi. Fantaisie ; théâtre médiéval.
L'abbé Castel conclut un passionnant article sur la symbolique cachée du Calvaire (symbolique des nombres, nombre d'or, étoile de David etc...), en tempérant le qualificatif de "hiératisme" qui colle au Monument : "Fantaisies dans un ensemble hiératique. D'une manière curieuse, le calvaire de Plougastel, considéré par tous comme le plus hiératique des monuments du genre, fait place à des fantaisies de détail que ne manquent pas de faire observer les guides plus attentifs au piquant qu'au message profond" [ce sont les descendants de M. Genès...]. "De ces fantaisies, la plus remarquée est l'enfournement dans l'enfer de Katell Gollet, la catin punie de ses péchés. On signale volontiers dans la Montée au calvaire inspirée des Passions médiévales des trompes et des tambours. Et pour les guides en mal de détail piquant, je compte sept personnages, gardes et soudards un pied chaussé et l'autre nu, héritiers encore du théâtre."
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La Sortie de guerre.
Une inscription raconte un autre épreuve : car le Calvaire de Plougastel témoigne aussi du drame de la Seconde Guerre Mondiale et de la destruction de Brest, et, surtout, de la re-fondation du monde local par la re-construction de leur monument emblématique.
Il avait été restauré en 1860 par le sculpteur et marbrier Lapierre de Brest, et vous ne verrez pas facilement les chiffres qu'il a gravé au revers des statues de la plate-forme.
Le 23 août 1944, lors de l'avancée de l'armée américaine, le calvaire ainsi que l'église et le monument aux morts furent touchés par les obus. La partie supérieure fut sérieusement endommagée, plusieurs statues cassées et il ne restait plus que des moignons des trois croix. "Seule, la pietà, restée en place, semblait pleurer sur ce sinistre".
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Heureusement, un officier américain, John D. Skilton, conseiller d'art aux Etats-Unis, et le maire Jean Fournier mirent en lieu sûr les pièce cassée. J. D. Skilton, rentré dans son pays, fonda la Plougastel Calvary restoration fund Inc et recueillit les fonds nécessaires à la réfection du calvaire.
Engagée pour une durée de quatre mois, la restauration s’est achevée en mars 2004, pour l’ouverture des célébrations du 400ème anniversaire du « Grand Calvaire » le 4 avril 2004. Elle a été réalisée par une entreprise bretonne spécialisée, sous la direction de l’Architecte en chef des Monuments Historiques, et a consisté en la dépose complète, le nettoyage et la restauration du socle et de toute la statuaire, notamment la réparation des pierres éclatées et la réfection des joints d’étanchéité. (gebete29)
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Mais cette restauration, ce sauvetage aux jours mêmes de la Libération rappelle que le Calvaire de Plougastel a été construit également juste après la fin des Guerres de la Ligue. Qui cessèrent ... en 1598. Cette après-guerre sous le roi Henri IV fut féconde pour de nombreuses chapelles de Plougastel, puisqu'à Saint-Trémeur s'observent les dates de 1581 et 1636, à Saint-Claude celles de 1574, 1630 et 1632, à Saint-Guénolé celle d'un calvaire de 1654, à Saint-Adrien la date de 1616, à Sainte-Christine celle de 1605, au Languis celle de 1603 et 1622, à Saint-Jean celle de 1607.
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VUES GÉNÉRALES.
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Mes schémas illustrent les 4 parties que j'ai décrit plus haut, avec au centre, l'inscription de fondation de 1604 et le Christ sortant du Tombeau.
De très nombreuses descriptions du calvaire sont disponibles en ligne, ainsi que de très belles photos. Je ne me livrerai pas ici à une description méthodique.
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LES SAINTS PIERRE, SÉBASTIEN ET ROCH.
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Désolé pour les photos ! Si ces statues restent à l'ombre, au fond de cette niche-cave, ce n'est pas un hasard. Et c'est dans cette pénombre qu'il faut les découvrir.
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LES INSCRIPTIONS.
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Le calvaire porte plusieurs inscriptions : sur la frise du massif en 1602, au dos de la croix en 1603 et sur la pierre du tombeau en 1604. Sept fabriques ( deux par année ?) et deux curés y ont leur nom. Devoir de mémoire après un trauma ? On comprend que je leur accorde toute l'importance nécessaire.
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Inscription de 1602.
Elle est placée sur la face occidentale (celle du couchant, celle de la Mort du Christ, la face principale comme pour tout calvaire), au dessus de la table d'offrande et des trois saints. Et sous le tombeau dont le Christ sort vainqueur.
Elle dit :
CE: MACE: FVT: ACHEVE: A: A: 1602 FABRIQVES LORS M: A: CORR: F: PERIOV: I: BAOD: CVRE.
Je transcris "Ce mace fut achevé à l'an 1602 les fabriques étant alors messieurs A. Corre, F. Periou, et I. Baod étant curé".
Le curé.
Je pense que la graphie BAOD doit renvoyer au patronyme (LE) BAOT, BAUD, BAULT, LE BOT, bien attesté à Plougastel sur geneanet, mais à partir du XVIIe siècle. L'initiale du prénom peut correspondre à Ian (Jean), ou à Yves. La liste des prêtres et curés de Plougastel donnée par Pérennès débute par un Yves Baod, curé, 1602, mais sans doute par référence à cette inscription.
En juillet 1657, parmi les quinze prêtres de Plougastel figure un Yves Le Baot et Alain Le Baot (H. Pérennès).
Les fabriciens ou fabriques.
A. CORRE : le nom est courant à Plougastel. Voir infra F. Corre 1616-1619. La chapelle Saint-Claude porte l'inscription "IAN CORRE fabrique 1632".
F. PERIOU. Le patronyme PERIOU est attesté en Bretagne vers 1084-1131 sur le cartulaire de Quimperlé, puis en 1427 avec la graphie PERRIOU à Ploumgoar et PERYOU à Ergué-Gabéric. Ses variantes sont (LE) PIRIOU, PERIO, PERRIO. Le site geneanet me procure un François PIRIOU, né en 1580 d'Yves PIRIOU, et marié à ... Catherine Corre.
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2. L'inscription de 1603 sur le dos de la croix.
H : ROLLANT : I : LE MO AL : 1603
Soit "H. Rollant et I. Le Moal 1603".
-Hervé ROLLAND, ou Henri ROLLAND ? À Plougastel nous connaissons bien Antoine Rolland, le facteur d'orgue né vers 1585, ou son fils Hervé, né en 1621. Mais je vois bien que les archives manquent pour la période antérieure à 1600. Les archives lapidaires comblent cette carence. La chapelle Saint-Adrien de Plougastel fut agrandie en 1616-1619, date d'une inscription portant le nom de Iac Davit, curé, H. ROLLANT et F. CORRE étant gouverneurs (de la fabrique).
-Quant I. LE MOAL, ce n'est pas Joseph LE MOAL de Plougastel, né vers 1600.
Si ce n'est lui, c'est bien quelqu'un des siens.
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Je n'ai pas photographié cette inscription. J'aurais dû.
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3. L'inscription de 1604.
C'est sur le tombeau, d'où sort le Christ ressuscité, que nous lisons une des inscriptions qui datent le calvaire :
1604
I : KGVERN :
L : THOMAS :
0 : VIGOV FAB
ROUX : CURÉ:
Soit "1604, I. Kerguern, L. Thomas (et) O. Vigouroux fabriques, Roux Curé."
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-I. KERGUERN : pour Jean Kerguern.
-L. THOMAS : là encore, le patronyme est renseigné vers 1600 mais je ne trouve aucun Louis, voire Luc dans cette famille. Par contre, une inscription lapidaire de la chapelle Sainte-Christine (porte sud) datant de 1605 porte le nom de FRANCES THOMAS, fabricien, tandis que le socle du calvaire porte A. THOMAS 1587.
-O. VIGOUROUX. Ah, les Vigouroux à Plougastel, c'est comme les Kervella et les Le Gall ! Mais les archives restent muettes sur ce fabricien.
Interrogez-moi sur la période d'après 1600, là je serai bavard !
Puisque les archives papiers sont muettes, il reste — c'est dire leur importance— les archives lapidaires.
Ainsi, la chapelle Saint-Trémeur porte l'inscription "Y. VIGOVROVX F.F: FAICT : FAIRE : CESTE CHA[PELL]E 1581".
- ROUX, curé.
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Il y a plusieurs façons de visiter le monument, soit face par face en quatre étapes, soit, comme le suggère l'abbé Castel, en en faisant huit fois le tour. Mais pour suivre mon idée, je le découpe en tranche, comme les gâteaux quand j'étais petit.
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LA FRISE DU SOUBASSEMENT : LES QUATRE ÉVANGÉLISTES.
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On comparera ces évangélistes à ceux de la chapelle Saint-Tugen de Primelin.
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Matthieu et l'homme.
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Marc et son lion.
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Luc et son taureau. Pas de photo.
Jean et son aigle (qui tient le plumier dans son bec).
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L'angle nord-ouest.
Une grille protège l'accès à la plate-forme par l'escalier.
Un évêque donne sa bénédiction : saint Corentin, patron du diocèse ?
À droite, saint Jean l'évangéliste.
En haut, la scène de la Flagellation.
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LA FRISE DU SOUBASSEMENT .
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Le tour du monument débute par la face orientale.
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La frise Est.
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— La Vierge de l'Annonciation; La Visitation; pas d'image.
— Le Mariage de la Vierge.
Plougastel est le seul calvaire à traiter du Mariage de la Vierge et de Joseph, qu'on voit debout entre le prêtre coiffé d'une mitre et habillé comme un moine, d'une longue tunique, d'un rochet et d'un camail. Le prêtre, beaucoup plus grand que les époux, les tient par la main.
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La Nativité
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La Circoncision.
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La fuite en Égypte de la Sainte Famille ; L’Ange de l’Annonciation ;
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La frise Nord.
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La description débute à gauche.
Jésus en prière au Jardin des Oliviers, alors que les trois apôtres qui devaient veiller avec lui, Pierre, Jean et Jacques, se sont endormis.
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Puis viennent de gauche à droite huit personnages :
- Un garde retient saint Pierre qui vient de couper l’oreille de Malchus.
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- Jésus redresse le serviteur du grand prêtre Malchus, qui a dans la main son oreille coupée. Il est adossé à une lanterne (la scène se déroule la nuit). Judas s'approche de Jésus, tenant la bourse des trente deniers.
- Un officier et des soldats, ou des notables pharisiens.
Notez les culottes (chausses) à taillades, témoignant de la mode —lancée en Allemagne par les lansquenets suisses,— des crevés, ces petites fentes assurant à la fois assouplissement et aération (taillades d'aisance) et aussi décor, surtout lorsqu'on prenait soin d'y laisser passer la doublure, ou chiquetade. Ici, ces taillades sont plus modestes : bien attestée au XVIe siècle sous François Ier et Henri II, la mode en disparaît à partir du début du XVIIe siècle.
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La comparution de Jésus devant Caïphe.
Notez l'apathie des gardes, qui semblent frappés par une indifférence lasse et nous fixent de leur regard absents. Rien à voir avec la vigueur musclée de la même scène sur les Passions des gravures de Dürer ou Schongauer, ou des verrières bretonnes du XVIe siècle. Et rien à voir avec ce qui va survenir sur la plate-forme. J'ai dû faire exprès de prendre des photos un peu floues, embuées dans une ombre triste.
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Le grand prêtre Caïphe sur son trône.
Le Maître de Plougastel ne rigole pas et impose à ses modèles un frontalité impassible : inutile de tenter de les dérider, ils sont façonnés à la règle, par des traits exclusivement verticaux : mèches de la barbe, mèches des cheveux, plis de la tunique, pans de l'habit, geste du doigt et axe du sceptre, axe des jambes et plis à peine évasés au dessus des chaussures : ver-ti-cal. "J'veux voir qu'une seule ligne !".
Bon. Faire rire un grand prêtre, même chez d'autres artistes, c'est pas gagné.
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Sur la frise Ouest :
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Entrée de Jérusalem à gauche. Adoration des Mages à Droite.
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1. L'Entrée à Jérusalem.
Les remparts de la ville sont représentés par une petite tour crénelée. Jésus s’apprête à entrer dans la ville, accompagné de saint Jean (imberbe, devant), de saint Pierre et de trois autres apôtres. Les habitants (en échelle réduite) accueillent le Christ comme un roi en tendant leurs manteaux sous les pattes de l'ânon.
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Ce sont les mêmes apôtres que le Maître a sculpté à Confort-Meilars et à la chapelle Saint-Tugen de Primelin.
Avec les deux boutons ronds de leur robe, leurs moustaches tombantes, leurs mèches de barbe tombantes, leurs plis tombants, et leurs regards ... Ah, mais ces rudes pêcheurs de Tiberiade n'avaient pas encore eu la visite de l'Esprit Saint !
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2. L'Adoration des Mages.
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L'ordre chronologique n'est pas respectée puisque cette scène devrait venir juste après la Nativité, et appartient à la Vie privée du Christ,, tandis que l'Entrée à Jérusalem appartient à la Vie Publique.
On veut l'expliquer par des théories théologiques. C'est peut-être simplement dû aux différents remontages des groupes en ronde-bosse sur cette corniche. Mais force est de constater que l'Ordre, celui de la Chronologie, est ici défait. Et que ça me parle.
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Enfin un peu de tendresse, grâce à l'âne qui frotte son museau sur celui du bœuf.
Les artistes s'ingénient d'habitude à souligner les différences entre les trois rois, du vieux Melchior agenouillé au jeune Gaspard et à Balthazar l'africain. À glisser une boucle à l'oreille de ce dernier. Et à conférer au petit Jésus une expression charmante de gratitude. Ou, du moins, à éclairer le visage de l'heureuse Mère d'un joli sourire.
Ce n'est pas le genre de la maison.
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La frise Sud :
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1. La Cène. Elle est représentée par trois groupes de quatre personnages. Deux apôtres font un geste d'énonciation, l’index sur le pouce indiquant, ainsi, qu’ils discutent des paroles que Jésus vient de prononcer, annonçant sa trahison .
Les Apôtres et le Christ s'alignent à l'identique derrière une table à festons où l'agneau pascal disposé dans un plat est difficilement reconnaissable. Certains tiennent le couteau à la main, d'autres font le geste de l'argumentation, lèvent un verre ou un pain. Deux Apôtres sont assis en bout de table dont Judas, à droite, assis plus bas que les autres, la bourse à la main. La tête du disciple préféré de Jésus est couchée sur sa poitrine. Jésus tient un morceau de pain à la main : selon Matthieu 26, celui qui a mis la main dans le plat en même temps que lui est le traître. Ou bien chez Jean :
"Il y avait à table, appuyé contre Jésus, l’un de ses disciples, celui que Jésus aimait.
Simon-Pierre lui fait signe de demander à Jésus de qui il veut parler.
Le disciple se penche donc sur la poitrine de Jésus et lui dit : « Seigneur, qui est-ce ? »
Jésus lui répond : « C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper dans le plat. » Il trempe la bouchée, et la donne à Judas, fils de Simon l’Iscariote.
Et, quand Judas eut pris la bouchée, Satan entra en lui. Jésus lui dit alors : « Ce que tu fais, fais-le vite. » (Jean 13:23-27)
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2. Le Lavement des pieds.
Le Lavement des pieds des Apôtres précède en fait la Cène. C'est un geste de purification et de sollicitude donné comme une métaphore aux Apôtres. Placé avant le repas, cela n'a plus de sens.
Jésus est à genoux devant Pierre. Trois groupes constituent la scène. Ils sont onze, puisque Judas a trahi .
Faut-il, devant cet excès de passivité atone, cet effacement de toute individualité des visages, parler encore de "hieratisme", cette digne raideur propre aux choses sacrées ?
Et si cet étage, ce registre enfoui sous la plate-forme exprimait quelque chose du vécu des bretons lors de l'épidémie et de la guerre ? Et s'il donnait à percevoir la perte identitaire, la pensée blanche, la parole désincarnée ou la froideur des sentiments propre à la sidération traumatique ? S'il témoignait d'un désinvestissement émotionnel ? D'un profond désintérêt ? D'une désertion des interactions? D'une interruption de l'élan temporel?
S'il était la couche psychique sous-jacente, que l'élaboration d'une plate-forme de projets collectifs se donnait le but de dépasser ?
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LA PLATE-FORME.
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Le Récit, le Storytelling déjà bouleversé dans le soubassement va perdre d'avantage encore son Ordre. Mais l'abbé Castel, auteur de référence du lieu, nous incite à reprendre la visite par le coté oriental. Pourquoi pas ? Le fil narratif est brisé.
J'aurai pu le reconstituer en allant d'une face à l'autre. Remettre du bon sens. Mais le monument nous joue un théâtre de la perte provisoire et éprouvante de ce dernier.
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La plate-forme Est .
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La Mise au Tombeau (Jean 19:38-42) voisine le Baptême de Jésus (premier chapitre de l'évangile de Jean)....
Il est toutefois possible de justifier cette position de la Mise au Tombeau puisqu'elle est diamétralement opposée à la Sortie du tombeau qui centre la face occidentale, et qui est la fin glorieuse de ce récit : son Ouverture à la Vie.
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—Le Baptême de Jésus, où un ange tient la tunique. Le Christ barbu se tourne légèrement vers Jean-Baptiste.
Pas de photo.
— La Mise au Tombeau
Elle est très ordonnée avec huit personnages autour du Christ dont la dépouille repose sur un linceul. Joseph d'Arimathie, levant la main droite vers la tête du Christ et tenant un linge, porte le bonnet conique à oreillette à glands des Juifs en tant que membre du Sanhédrin. Il est secondé par une femme coiffée d'un turban et qui tient un linge.
À coté, Jean soutient Marie qu'il entoure de son bras gauche. Il porte la robe à deux boutons sur une fente en S que le sculpteur fait revêtir à tous les apôtres. Je crois que des larmes s'échappent de ses yeux, mais mon cliché ne permet pas de m'en assurer.
Madeleine tient son flacon d'aromates pour l'embaumement. Son visage est encadré par le voile très rigide et à angles droits qui est l'un des traits stylistiques des Prigent. Ses cheveux sont torsadés par plusieurs tours d'un linge plissé.
Vient ensuite un homme dont le chapeau conique indique qu'il est Juif : c'est Gamaliel, un pharisien que la tradition iconographique place dans ces Mises au Tombeau. Voir tous les renseignements dans mon article :
Dès lors, je suis amené à rejoindre l'opinion courante qui voit dans le deuxième personnage un homme et non une sainte femme comme je l'ai fait. Cet homme jeune serait Abibon, fils puîné de Gamaliel.
Ensuite, nous voyons une sainte femme : Marie Cléophas ou Marie Salomé, comme on veut.
Enfin, Nicodème tend les mains protégées par un linge par respect vers les pieds du Christ. Curieusement, il n'est pas coiffé du bonnet conique, mais sa longue barbe et sa robe fendue latéralement depuis un bouton, comme Joseph d'Arimathie, indique qu'il appartient aussi aux pharisiens.
Le groupe est représentatif de l'art du Maître de Plougastel, et de son "hiératisme", de la sobriété de l'expression du chagrin, des visages graves penchés vers le cadavre, ou des gestes peu variés puisque toutes les mains ne s'éloignent pas de plus de 20 cm de la ceinture (sauf les mains croisées de Marie).
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J'interromps la première partie sur cette Mise au Tombeau. Je teste mon hypothèse image après image, et j'ai justifié à mes yeux son premier argument : dans le soubassement le sculpteur a mis en scène, par la pénombre, par son style désincarné et figé, son ton plus envoûtant, plus monocorde que le terpnos logos, par le regard éteint des personnages désindividualisés, dé-visagés, par le bris des repères narratifs, l'épreuve vécue par la population lors d'un temps de guerre, de peste, de famine et de carence. Une hantise.
Ma deuxième partie poursuivra la visite de la plate-forme : y montrerais-je un changement de style témoignant d'un réveil des habitants se libérant en jouant la Passion ?
La troisième partie sera consacrée aux trois croix du Christ et des Larrons, pour en comparer les figures avec celle des autres ateliers de sculpture de Basse-Bretagne.
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SOURCES ET LIENS.
— ABGRALL (Jean-Marie), 1904, "Le calvaire de Plougastel-Daoulas", Bulletin de la Société archéologique du Finistère t. XXXI p. 182-189
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k207669n/f239
— CASTEL (Yves-Pascal), 1980, Atlas des croix et calvaires du Finistère.
http://croix.du-finistere.org/commune/plougastel_daoulas.html
— CASTEL (Yves-Pascal), 2005 (trad. Lorañs Stefan, Job an Irien, photogr. Jean Feutren), « Guide des sept grands calvaires bretons / Ar seizh kalvar braz », Minihi-Levenez, août 2005, p. 0-106 (ISSN 1148-8824)
— CASTEL (Yves-Pascal), articles du Progrès de Cornouaille / Courrier du Léon
-thèse Michel Hamonic Plougastel-Daoulas 13.10.79,” Collections numérisées – Diocèse de Quimper et Léon, consulté le 6 avril 2020, https://diocese-quimper.fr/bibliotheque/items/show/1479.
-CASTEL 1336 Auscultation des Calvaires à Plougastel et Guimiliau par la CGG... 18.10.97.
https://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/bfdc8148eb09d0bc7254d5705e51fd16.jpg
-1014 Plougastel-Daoulas, Calvaire, Évangile de Pierre... 26.03.94.
https://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/c1955e8d223fda5940d8ef924d117b36.jpg
— LE SEAC'H (Emmanuelle), 2014, Sculpteurs sur pierre en Basse-Bretagne. Les ateliers du XVe au XVIe siècle. Presses Universitaires de Rennes.
http://www.pur-editions.fr/couvertures/1409573610_doc.pdf
— LE GOFFIC (Charles), 1924, -Édouard Champion série 4 - L'Âme bretonne page 10
https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99%C3%82me_bretonne_s%C3%A9rie_4/Une_cellule_de_l%E2%80%99organisme_breton_II_Le_calvaire
— PÉRENNÈS Henri, “Plougastel-Daoulas,” Collections numérisées – Diocèse de Quimper et Léon, consulté le 6 avril 2020, https://diocese-quimper.fr/bibliotheque/items/show/9785.
— LIST OF THE WORKS OF THE MAÎTRE DE PLOUGASTEL
https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_the_works_of_the_Ma%C3%AEtre_de_Plougastel
— INFOBRETAGNE
http://www.infobretagne.com/plougastel-calvaire.htm
— WIKIPEDIA
https://fr.wikipedia.org/wiki/Calvaire_de_Plougastel-Daoulas