Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale de Beauvais. Baie 0 lancette A.
Quand six rois et une vierge essayent l'Acrobranche de Jessé.
Voir dans ce blog lavieb-aile des articles consacrés aux Arbres de Jessé de Bretagne:
Les sculptures :
- Guimaec (29) Anne trinitaire de l'église de Guimaëc.
- Priziac, Chapelle St-Nicolas (56) : Chapelle St Nicolas en Priziac.
- Arbre sculpté de Locquirec : L'Arbre de Jessé sculpté de l'église de Locquirec.
- Sculpture de L' arbre de Jessé de l'église de Saint-Aignan (56). : XVIe siècle.
- Sculpture de L' arbre de Jessé de l'église de Trédrez (22). : 1520
- Sculpture de L'arbre de Jessé de l'église Notre-Dame de Saint-Thégonnec. (29) : 1610.
- Sculpture de L'arbre de Jessé de la chapelle de La Trinité à Cléguerec (56). :1594
- Bas-relief de Chapelle St Nicolas en Priziac. (56) : XVIe siècle.
Et les vitraux :
- Vitrail de Kerfeunten (29) 1528-1530 Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de la Sainte-Trinité à Kerfeunteun :
- Vitrail de Confort-Meilars (29) c.1530 Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de Confort-Meilars.
- Vitrail de La Ferrière L'arbre de Jessé de l'église de La Ferrière. : 1551.
- Vitrail de Beignon : L'arbre de Jessé de l'église de Beignon. : 1540-1550
- Vitrail de Moulins (35) : c.1560. L' arbre de Jessé de l'église de Moulins (35).
- Vitrail des Iffs Baie 12 milieu XVIe. Les vitraux de l'église des Iffs ( seconde partie : les chapelles).
- Vitrail de Saint-Mériadec (56) : 1550 Le vitrail de la Passion de l'église Saint-Mériadec en Stival (56) .
- Vitrail de l'église de Gouesnou ( 1972) par Jacques Le Chevallier : L'arbre de Jessé de l'église de Gouesnou . .
- L'Arbre de Jessé très stylisé de Saint-Jean-du-Doigt : Les vitraux de Louis-René Petit à Saint-Jean-du-Doigt (29).
- L'arbre de Jessé de Malestroit 1530-1540: Le vitrail de l'arbre de Jessé de l'église de Malestroit.: .
- Vitrail de N.D de Lansalaün à Paule : 1528 : Le vitrail de l'arbre de Jessé de la chapelle N.D. de Lansalaün à Paule.
- Vitrail par Chauvel à Notre-Dame de Vitré : c.1868-1870 : Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église Notre-Dame de Vitré.
- Vitrail de l'arbre de Jessé de Moncontour : c.1530-1540 : Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de Moncontour.
- Vitrail de l'église Saint-Armel de Ploermel : c.1550. Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église Saint-Armel de Ploermel.
Et en comparaison avec les œuvres bretonnes :
- Vitrail de l'arbre de Jessé de Saint-Denis (1144), le premier vitrail sur ce thème. Le vitrail de l'arbre de Jessé de la basilique de Saint-Denis.
- Vitrail de l'arbre de Jessé de Chartres : (1150) Le vitrail de l'arbre de Jessé de la cathédrale de Chartres.
- Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église Saint-Pierre de Chartres.
- Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale de Soissons (1212)
- Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale du Mans (1235) : Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale du Mans.
- Le vitrail de la cathédrale d'Angers (1230 -1235) ; Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale d'Angers.
- Le vitrail de la cathédrale de Beauvais (1240) Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale de Beauvais.
- Le vitrail de la cathédrale d'Amiens (1242) : Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale d'Amiens.
- Le vitrail de la cathédrale de Moulins en Allier (v.1470) : L'étrange vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale de Moulins.
- Vitrail de l'Arbre de Jessé de Notre-Dame-du-Touchet (Manche) : Le vitrail de l'arbre de Jessé de Notre-Dame du Touchet.
- Sculpture de l'Arbre de Jessé de Burgos (Espagne), (c.1483) : L'arbre de Jessé de la cathédrale de Burgos.
I. Situation dans la cathédrale.
Comme dans la basilique Saint-Denis (1140), comme dans la cathédrale saint-Julien du Mans (1235), comme dans la cathédrale d'Amiens (v.1242), le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais, qui date de 1240, éclaire la chapelle axiale du déambulatoire qui est consacrée à la Vierge. A Soissons (1212), le vitrail de Jessé occupe, de façon comparable, la baie axiale de l'abside du chœur ; à Chartres, il est placé au début de l'axe ouest-est, sur la façade occidentale.
Cette situation privilégiée célèbre la réalisation du plan du Salut à travers une généalogie glorieuse et miraculeuse, glorieuse parce qu'elle mène de Jessé à Jésus en passant par quinze rois de Juda dont David et Salomon, prodigieuse et mystérieuse parce qu'elle réalise la prophétie d'Isaïe annonçant que l'Emmanuel naîtrait non seulement de la lignée de Jessé, mais aussi d'une Vierge par une conception virginale inouïe.
Je m'arrête un instant sur cette constance par laquelle les bâtisseurs de cathédrale du XIIe et XIIIe siècle ont donné la première place, à l'apex de l'axe ouest-est qui oriente la nef puis le chœur, à cette représentation. (On la trouve aussi, à Amiens ou à Saint-Pierre de Beauvais, sculptée dans la pierre du portail occidental). L'Arbre de Jessé est d'abord pour l'Église un point d'origine, puisqu'il illustre l'incipit de l'évangile de Matthieu (Mt 1:1-17), lequel précise la généalogie de Jésus d'Adam à Abraham, d'Abraham à Jessé et son fils le roi David puis de David à Jeconiah (les quinze rois de Juda) et enfin de Salatheil à Joseph, père juridique du Christ. Mais la succession sur le vitrail de Jessé et des Rois mène à la Vierge couronnée, faisant passer cette filiation par la virginité de Marie et par une conception d'origine divine. Enfin, elle culmine par le Christ Rédempteur. Elle témoigne de l'inscription du plan du Salut dans l'Histoire, du rachat de la faute d'Adam par le sacrifice de la Croix, et du rôle d'intercession et de médiation de la Vierge dans un condensé de la Foi qui s'amplifie de la présence latérale des prophètes. Dans ces cathédrales gothiques où c'est la lumière qui tient le premier rôle comme métaphore du Divin, les couleurs bleu et rouge du vitrail axial disent que cette Divinité a pris parole à travers la voix des prophètes annonçant le Christ qui est Verbe. Comme à Saint-Denis où Suger avait élaboré des vitraux qui étaient de profondes leçons de typologie et de théologie médiévales, les Arbres de Jessé du Mans, d'Amiens et de Chartres sont très loin du "livre d'image pour les simples", et reçoivent la lumière du soleil levant pour irradier la fine pointe de la méditation chrétienne sur les mystères de l'Incarnation et de la Rédemption.
Dans cette cathédrale comme à Saint-Denis, Le Mans et Amiens, le déambulatoire est entouré en effet de six chapelles rayonnantes, abritant souvent les reliques des saints qui y sont honorés, et entourant la chapelle axiale, la Chapelle de la Vierge aux vitraux consacrés à l'Incarnation et à la Rédemption. Mais à Beauvais, au lieu de comporter deux travées et sept baies et d'être plus grande que les autres, cette chapelle est identique aux six autres, et n'est éclairée que par trois baies. Chaque baie (désignée Baie 1 à gauche, baie 0 au centre et baie 2 à droite) comportant deux lancettes jumelles couronnées par une rose, la chapelle de la Vierge dispose de six vitraux :
— Baie 1 : Vie d'un saint ; Rose moderne.
— Baie 0 : lancette A à gauche : Arbre de Jessé Au dessus, la Rose : Crucifixion.
lancette B à droite : Vie de Marie et de Jésus
— Baie 2 : Miracle de Théophile. Rose moderne (Théophile et le diable)
Les six chapelles rayonnantes latérales sont ici, de gauche à droite :
à gauche :
- la Chapelle Saint-Denis
- la Chapelle Saint-Vincent-de-Paul ou Notre-Dame de Lourdes (Remploi d'un vitrail médiéval dans une verrière moderne.)
- la Chapelle Saint-Joseph ou Saint-Étienne
A droite :
- la Chapelle Sainte-Anne ou Saint-Jean-l’Évangeliste (Vitraux de Jacques Le Chevallier : Vie de sainte Anne)
- la Chapelle Saint-Lucien ou Saint-Sébastien (Vitraux de Barillet)
- la Chapelle Sainte Jeanne-d’Arc.
Vue d'ensemble du vitrail de l'Arbre de Jessé .
Datation : 1240 (règne de Saint Louis ; épiscopat d'Arnout succédant à Geoffroy II d'Eu (1223-1236).
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Il est divisé par de solides barlotières en neuf registres horizontaux et en trois travées verticales délimitant ainsi vingt-sept panneaux abritant chacun un seul personnage.
La travée qui s'élève au centre part de Jessé en bas, d'où naît six rois de Juda dans une mandorle formée par les branches de l'arbre, puis la vierge, et enfin le Christ entouré de sept colombes.
De chaque coté, deux personnages de l'Ancien Testament témoignent d'une lecture des Livres prophétiques comme annonçant la venue du Rédempteur, mais rappellent aussi que les prophètes, comme le clergé au XIIIe siècle, étaient les conseillers avisés des rois.
Registre inférieur : Jessé endormi et deux prophètes.
Cliquez sur chaque image pour l'agrandir.
Ici comme à Saint-Denis, à Chartres, au Mans ou à Amiens, le patriarche Jessé est allongé sur son lit, couché sur le coté droit, la tête (et le tronc) relevée par des coussins, la main sous la joue dans la posture du songeur ; mais ici, ses yeux sont ouverts. Il n'y a pas d'ambiguïté, Jessé ne dort pas, il est l'objet d'un Songe inspiré, l'un des canaux de communication préférés de Dieu lorsqu'il s'adresse à l'être humain. Et, là aussi, le rêve prophétique de Jessé visualisant la longue lignée de des descendants accédant au trône se concrétise par un tronc qui se dresse en une raide colonne blanche après s'être épanouie précocement par un bouquet initial de feuilles à forme d'acanthe, et par des rejetons formant de généreuses et élégantes volutes. Cette profusion de formes est aussi un jaillissement de couleurs : feuilles jaunes, pourpres, vertes, et rouges.
Mais, à la différence des œuvres du XIIe siècle, on ne voit ici ni architecture rappelant que la scène se passe à Bethléem, ni lampe allumée témoignant de la Lumière de l'Esprit, ni inscription.
L'architecture reprend ses droits et sa rigueur dans les deux panneaux latéraux, pour former une niche à arcade (simple cintre ou ébauche de trilobe tracés de verre blanc), et surtout pour placer au dessus de chaque prophète un édifice que deux croix, incitent à considérer comme la préfiguration de l'Église qui, dès à présent, trouve dans les Livres qu'ils écrivent ses prémisses.
Les prophètes sont nimbés, privilège d'habitude réservé aux saints néo-testamentaires.
Bien que cela soit, à cet étage, mal visible, un examen détaillé de l'image montre que les deux personnages tiennent un phylactère qui portent, sinon une inscription, du moins quelques lettres ou caractères. Ils seront plus évidents plus haut, mais nous pouvons déjà déceler leur présence ici.
Comparaison :
— Saint-Denis (1144):
— Chartres (1150) :
— Le Mans (1235) :
— Amiens (v.1242) :
Deuxième registre : Roi de Juda entre deux prophètes.
Cet arbre de Beauvais compte six rois, sur les quinze que mentionnent la généalogie de Jésus énoncée dans l'évangile de Matthieu 1: 1-17. Et aucun attribut, aucune inscription n'indiquent leur nom. Pas de harpe donc pour David, si c'est le fils de Jessé qui apparaît ici, assis sur une balancelle de tiges, se tenant des pieds et des mains aux branches et conservant son équilibre sans perdre sa couronne.
Sur le phylactère de gauche, je lis OISOISOI, et sur celui de droite OISOIOI. Sans-doute écrit dans cette "langue des oiseaux" que seuls les poètes et les prophètes entendent. Au dessus d'eux, les deux édifices, parfaitement semblables entre eux et avec les précédents.
Comparaison :
— Saint-Denis (1144);
— Chartres (1150) :
— Le Mans (1235) :
— Amiens (v.1242) :
Troisième registre : Roi de Juda entre deux prophètes.
Fils de David et petit-fils de Jessé, voici Salomon dans toute sa gloire.
Les deux prophètes vous présentent ce message : ITVOIJVOT.
Quatrième registre : Roi de Juda entre deux prophètes.
Un prophète dit OSIVO et l'autre VOISOI..
Cinquième registre : Roi de Juda entre deux prophètes.
VOIVOIVOI chante le prophète; OVIOVIO répond l'autre.
Sixième registre : Roi de Juda entre deux prophètes.
Le prophète de droite dit : .IOVOI.VO
Septième registre : la Vierge entre deux prophètes.
La Vierge est couronnée, voilée, vêtue d'un manteau jaune et d'une robe pourpre pâle. elle tient un livre fermé.
Autour d'elle, les prophètes chantent ISOI et VOVISIOV.
Comparaison :
—Saint-Denis (1144) :
—Chartres (1150):
—Le Mans (1235) :
— Amiens (1242 ?):
Huitième registre : le Christ et les sept colombes de l'Esprit.
Le Christ porte un nimbe crucifère, une robe verte et un manteau vieux-rose ; tandis qu'il trace une bénédiction de la main droite, il présente de la main gauche un livre ouvert.
Sur la double page de ce livre est représenté un arbre stylisé à cinq branches avec les inscriptions ISOI / SO.. / IOSI / S.IO. Si celles-ci restent mystérieuses, elles sont semblables à celles des prophètes. Celui de gauche tient le phylactère les lettres OISOISO et celui de droite OISOIVOI.
Puisque ces lettres sont découvertes présentées par le Christ, il n'est pas possible d'en faire, comme j'en avais la tentation en les déchiffrant sur les premières banderoles, des restaurations fantaisistes, ou la signature d'un verrier, ou des caractères aléatoire singeant un verset biblique. Leur répétition amène à penser qu'il s'agit de la langue des anges, parole divine inspiratrice qui n'est accessible qu'à celui qui a reçu de l'Esprit Saint le don de glossolalie et d'interprétation. Dés lors, leur signification sort de l'anecdotique et témoigne d'une réflexion théologique sur le travail de cette parole durant la période vétero-testamentaire, parole à laquelle la rédemption du Christ et la descente du Paraclet donne accès.
Je vous propose de jeter un coup d'œil au site suivant :http://cathedrale.gothique.free.fr/cathedrale_Chartres_Christ.htm pour constater d'une part que le panneau homologue du vitrail de Chartres est très proche de celui-ci, mais surtout pour constater qu'autour des têtes des sept colombes chartraines, dans leur nimbe, sont inscrites des lettres qui ne sont pas déchiffrables. Correspondent-elles à d'anciennes inscriptions devenues illisibles, ou, comme les constatations que nous venons de faire à Beauvais y incitent, à des lettres isolées et dépourvues de sens, autre exemple de Langue des oiseaux qui ne trouve sa résolution que par la convergence des sept messages dans la personne du Christ qui en révèle le sens ?
Comparaison (Cliquez pour agrandir):
— Abbaye de Gercy 1230-1240 ( Vitraux longtemps conservés en l'église de la Varenne-Jarcy et provenant sans-doute de l'abbaye de Gercy (établie en 1260) ; les deux panneaux de cet Arbre de Jessé se trouvent actuellement au musée de Cluny ; Image
Rosace : la Crucifixion.
Cette rose placée au dessus des deux lancettes de la baie 0 est consacrée à la Crucifixion. Je rappelle que la lancette de droite est consacrée à la Vie du Christ et de la Vierge. Le motif est donc parfaitement logique sur le plan théologique et complète parfaitement la "démonstration" de l'Arbre de Jessé en plaçant la scène princeps de la Rédemption au dessus de l'Arbre de l'Incarnation.
La rose est découpée par le remplage en un cercle central et en huit portions de cercles périphériques. Dans le cercle s'inscrit un carré et quatre demi-cercles, jouant sur le symbolisme respectivement terrestre et céleste du carré et du cercle.
Dans le carré le Christ en croix au nimbe crucifère, les reins ceints d'un périzonium pourpre, a succombé à son supplice et Longin lui donne le coup de lance dans le flanc droit qui vérifie son décès. A droite, un soldat tend l'éponge imbibée de vinaigre à l'extrémité de la tige d'hysope. Au dessus, encadré par le soleil et la lune témoignant de l'ébranlement cosmique, le titulus porte l'inscription : JE.V. =J REI.VS Dans les scènes latérales se trouvent Marie, et Jean tenant un livre (son évangile).
Au dessous, entre deux plantes, un homme se dresse hors d'une tombe dont le couvercle est rabattu ; il tient une coupe, indiquant ainsi que le sang du Christ devenu coupe de l'Eucharistie est rédemptrice.
Détails.
Discussion.
I. Les sept colombes.
Dans les cinq exemples de vitraux d'Arbre de Jessé du XII et XIIIe siècle de Saint-Denis (1144), Chartres (1150), Le Mans (1235), Abbaye de Gercy 1230-1240 et Beauvais, les colombes sont au nombre de sept, sont nimbées, sont posées sur (ou reliées à) un rameau de l'arbre, entourent la tête du Christ et le plus souvent convergent vers elle par la pointe de leur bec. Mais, et c'est ce qui m'interpelle, l'une d'entre elles, au sommet, est verticale et fait un piqué comme si elle voulait enfoncer son bec dans le divin vertex. Cette singularité m'incite à approfondir l'interprétation habituelle qui y voit "les sept dons de l'Esprit".
1°) Les colombes d'Isaïe.
Il semble parfaitement logique de voir ces oiseaux représentés sur les Arbres de Jessé puisque ce motif est intimement lié à la citation du prophète Isaïe Is 11:1-2 Et egredietur virga de radice Iesse et flos de radice eius ascendet , "Puis un rameau sortira du tronc d'Isaïe [Jessé], Et un rejeton naîtra de ses racines", puisque cette citation se poursuit par et requiescet super eum spiritus Domini spiritus sapientiae et intellectus spiritus consilii et fortitudinis spiritus scientiae et pietatis, "L'Esprit de l'Éternel reposera sur lui: Esprit de sagesse et d'intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de connaissance et de crainte de l'Éternel." (Trad. Louis Segond).
La mise en image du verset d'Isaïe associe donc la représentation de Jessé, de son rameau (l'arbre), de son rejeton mais aussi celle de l'Esprit de Dieu et de ses six modalités sous la forme traditionnellement donnée à l'Esprit Saint, la colombe. Effectivement, c'est ce que nous constatons sur l'exemple d'Arbre de Jessé le plus ancien que nous conservions, et qui date de 1085 environ, le Codex Vyssegradensis.
Le Codex Vyssegradensis (1086)
Ce manuscrit enluminé de 108 folios, aussi connu sous le nom de Codex de Vyšehrad ou Évangile du couronnement de Vratislav II, premier monarque de la Bohême qui était auparavant un duché a été réalisé à la demande de diplomates tchèques afin d'honorer l'anniversaire du couronnement du roi Vratislav qui a eu lieu en 1085. Il provient probablement du scriptorium du monastère de Saint-Emmeran à Ratisbonne. Le manuscrit est maintenant à la Bibliothèque nationale tchèque à Prague. L'Arbre de Jessé du folio 4v est précédé par six pages enluminées consacrées aux quatre évangélistes (folio 1v), aux préfigurations du Christ (trois pages de douze personnages), et à deux scènes de l'Ancien Testament (folio 4r). Ces scènes sont importantes pour la compréhension de l'Arbre de Jessé dans son contexte. L'une représente Moïse face au Buisson ardent avec l'inscription Res miranda viret rubus integer et tantam ardet ("le buisson qui était vert se mit à brûler miraculeusement") et l'autre représente la floraison du bâton d'Aaron témoignant de son élection divine, avec l'inscription contra ius solitum parit arida virgula fructum (" contre toutes les règles, le petit bâton [la verge ou le rejeton d'Aaron] produit des fruits secs").
Dans cette enluminure du folio 4v qui précède le début de l'évangile de Matthieu (Liber generationis...) le prophète Isaïe présente à Jessé un phylactère où est inscrit la prophétie egredietur virga de radice Iesse et flos de radice eius ascendet et requiescet super eum spiritus Domini, alors qu' un arbre pousse des pieds de Jessé. Il est remarquable de constater qu'au lieu de les ancêtres vus dans les représentations ultérieures, ce sont sept colombes nimbées qui sont dessinées sur les branches. Au dessus est inscrit en lettres capitales VIRGULA JESSE PROCEDIT SPLENDIDA FLORE ("un petit rameau de Jessé a fait fleurir une fleur splendide"). Le Christ n'est figuré que sous sa forme métaphorique d'une tige fleurie portant les sept oiseaux, en toute fidélité littérale avec la prophétie, et la Vierge n'est suggérée qu'à celui qui devine le jeu de mot virgula (rejeton)/virgo (vierge).
Quoiqu'il en soit, le lien entre l'Arbre de Jessé, la citation d'Isaïe et les colombes est donc parfaitement explicite dès la première apparition du motif iconographique.
Les colombes sont alignées sur un axe horizontal. Pourtant l'une d'elle, centrale, est seule sur la branche maîtresse, et les six autres sont tournées vers elles, trois tournées vers la droite et trois vers la gauche. Il existe donc déjà une hiérarchisation des sept Esprits en 1+6 , parfaitement conforme au texte d'Isaïe, la colombe centrale étant le Spiritus Domini.
Au dessus, dans le registre supérieur, un homme couronné et vêtu selon la mode carolingienne tient un bâton fleuri dans la main droite et une croix dans la main gauche ; il se tient devant la porte d'un bâtiment. Une inscription Clausam rex portam penetrat. Que respicit ortum (+/- "Le roi est passé par la porte close, celle qui regarde vers l'orient.") renvoie à une double citation des visions d'Ézéchiel :
Ez.44:1-2 et convertit me ad viam portae sanctuarii exterioris quae respiciebat ad orientem et erat clausa et dixit Dominus ad me porta haec clausa erit non aperietur et vir non transiet per eam quoniam Dominus Deus Israhel ingressus est per eam eritque clausa "Il me ramena vers la porte extérieure du sanctuaire, du côté de l'orient. Mais elle était fermée. Et l'Éternel me dit: Cette porte sera fermée, elle ne s'ouvrira point, et personne n'y passera; car l'Éternel, le Dieu d'Israël est entré par là. Elle restera fermée."
Ez 11:1 et elevavit me spiritus et introduxit me ad portam domus Domini orientalem quae respicit solis ortum. "L`esprit m`enleva, et me transporta à la porte orientale de la maison de l`Éternel, à celle qui regarde l`orient." Ces versets d'Ézéchiel sont considérés par la typologie médiévale comme annonçant la naissance virginale du Christ*. C'est donc bien lui qui est représenté ici, au sommet de l'Arbre de Jessé, tenant la croix de son sacrifice et le bâton fleuri qui est tout à la fois la verge de Moïse, la virgula du grand-prêtre Aaron et le rameau de Jessé, devant la porte close témoignant de sa conception et de sa naissance virginale. Dans la tradition de l'Église ce passage du Christ à travers la "porte close" de l'utérus et de l'hymen de Marie se poursuit lors du passage de son corps ressuscité hors du tombeau malgré la lourde pierre qui le fermait, puis encore lors de son entrée dans le Cénacle dont les portes étaient fermées (Jean 20:19).
* L'hymne latin composé par saint Ambroise (340-390) et chanté en grégorien aux temps liturgiques de Noël disait Fit porta Christi pervia Referta plena gratia : Transitque Rex, — et permanet Clausa, ut fuit, per saecula. Genus superni numinis Processit aula Virgin is, Sponsus, Redemptor, Conditor, Suae Gigas Ecclesite. Honor Matris et gaudium ...
" pour le Christ la porte s'ouvrit Qui mène à la grâce suprême. Le roi la traverse et elle reste, Comme elle fut, infranchissable pour les siècles." Voir Ambrosius, In apocalypsin expositione. De visione septima, Patrologie Latine, XVII, col. 948.
L'herméneutique ambrosienne fut reprise par Raban Maur, dans ses Allégories sur la Sainte Écriture , «Porta, Virgo Maria, ut in Ezechiele : «Porta haec clausa erat, et non aperielur», quod Maria et ante partum incorrupta, et post partum mansit illaesa ». Geoffroy de Vendôme dans un sermon pour la Nativité, Rupert de Deutz dans son commentaire sur Ezéchiel et son commentaire sur le Cantique des Cantiques, Honorius dit d'Autun dans son Spéculum Ecclesiae, Adam de Prémontré dans un sermon de l'Avent, font de même. (D'après R. Favreau)
Les deux folio 4r et 4v développent donc directement ou par allusion le thème de la Verge, virga en latin :
— virga (verge, rejeton) de la prophétie d'Isaïe 11:1 egredietur virga de radice Iesse et flos de radice eius ascendet.
— virgula (petite verge, petit bâton) d'Aaron qui apparaît dans Nombres 17:15-23. Dans la conjuration de Coré, Dathan et Abiron contre Moïse et Aaron, Dieu ordonna à Moïse (Nombres 17 :1-3) de recevoir une verge de chacun des chefs de tribu, et d'y joindre celle d'Aaron, afin que le Seigneur fit connaître par un miracle quelle était la tribu qu'il choisissait pour l'exercice de son sacerdoce. On ramassa donc douze verges, selon le nombre des tribus; celle d'Aaron faisait la treizième. On écrivit sur chacune d'elles le nom du prince de la tribu qui l'avait offerte; on les mit dans la tente de l'assemblée, où le Seigneur avait accoutumé de se manifester à Moïse; et le lendemain on retira ces verges, et on remarqua que pendant cette nuit la verge d'Aaron avait poussé des boutons fleuri, et que ces fleurs s'étaient forées en amandes. "Moïse les déposa devant l'Eternel, dans la tente de l'acte de l'alliance. Le lendemain, il entra dans la Tente et constata que le bâton d'Aaron qu'il avait déposé pour la tribu de Lévi avait produit des bourgeons, et qu'il s'y trouvait des fleurs écloses et même des amandes déjà mûres" (l'amandier fleurit avant tous les autres arbres).
— Verge de Moïse, citée dans Nombre 17:1-3 : c'est à la fois le bâton qui sert à conduire les troupeaux, celui qui se transforme en serpent afin de convaincre le peuple ou le pharaon de ses pouvoirs, et celui de sa fonction sacerdotale. Certes l'artiste représente le Buisson ardent plutôt que la scène où Dieu confère à ce bâton des propriétés miraculeuse, mais l'allusion est perceptible.
Ainsi, le Christ, Verge (rejeton) de Jessé, Grand Prêtre du Christianisme comme Aaron le premier grand prêtre de l'Ancien Testament, initiateur d'une Nouvelle Alliance comme celle conclue entre Dieu et Moïse, tient-il ici dans la main la verge fleurie. Dès la première représentation de l'Arbre de Jessé, les principales réflexions théologiques, typologiques et symboliques sont présentes. La Vierge (Virgo), non représentée elle-même, figure par la mention de Clausam Portam, Porte close qui qualifie sa virginité.
Jean Anne Hayes Williams, qui a la première étudié ces enluminures, méconnaît, à mon sens, cette allusion à la Vierge : pour elle, la Mère de Dieu n'apparaît que dans les Arbres de Jessé postérieurs (Bible de Lambeth et vitrail de Chartres). Son interprétation du registre supérieur du folio 4v est étonnante, car elle voit dans le personnage couronné le roi Vratislav II auquel elle estime que l'artiste applique la vision d'Ézéchiel. Ce serait à lui également que s'appliquerait, par un parallèle dithyrambique, les enluminures précédentes des ancêtres royaux du Christ, de Moïse et d'Aaron, et elle considère que c'est à bon droit qu'il serait représenté les pieds posés sur les branches de l'Arbre de Jessé : "ce thème politique célèbre le règne extraordianire de Vratislav II de Bohème. Le caractère unique de cette image tient à son inclusion dans un ensemble qui place le pouvoir salutaire (salvific leadership), l'élection divine et la royauté chrétienne médiévale dans la continuité de la royauté de l'Ancien Testament. Son unique thème est la partie d'un ensemble complexe se référant au couronnement en 1086 du roi Vratislav II de Bohème pour lequel le Codex était commandé." (traduction personnelle et donc non qualifiée). Cela me semble ici peu fondé, mais les liens entre les Arbres de Jessé et le pouvoir royal en exercice seront toujours, quoiqu'il en soit, complexes, comme lorsque, à Soissons, le roi Philippe-Auguste commanditera dit-on la verrière de Jessé vers 1212.
La Bible de Sainte-Bénigne (1225-1250).
Cette transcription littérale se retrouve 50 à 70 ans plus tard, dans l'initiale U du Livre d'Isaïe de la Bible de Sainte-Bénigne (1125-1150) où ne se voit que Jessé endormi, son arbre et les sept colombes, mais cette fois-ci elles ne sont plus horizontales mais placées en cercles, et elles-mêmes sont placées dans des cercles semblables aux fruits de l'arbre. L'une d'entre elles culmine dans une position centrale.
— Bibliothèque Municipale de Dijon Bible de Sainte-Bénigne Ms0002 folio 148 . © IRHT.
La Bible de Lambeth (1150-1170).
Si on peut penser que l'enluminure précédente a été réalisée avant que ne soit créé le vitrail de Jessé de Saint-Denis (1144) et celui de Chartres (1150) cette Bible de l'abbaye Saint-Augustin de Cantorbéry a été illustrée après cette date : le tronc de l'arbre se confond avec le corps de la Vierge et culmine dans un médaillon contenant le buste du Christ entouré des sept colombes qui adoptent la disposition dyonisienne de l'oiseau apical et de la convergence des becs vers le centre.
Comme l'écrit Jean Anne Hayes William, "L'arrivée de la figure de Marie dans les Arbres de Jessé du XIIe siècle témoigne de l'influence du culte de Marie qui émerge lors de ce siècle. C'est durant cette période que l'Église répond aux questions concernant son rôle comme Mère du Christ divin dans sa forme humaine. En conséquence, la Vierge devint une figure centrale du Christianisme. En plaçant Marie en position éminente sur l'arbre entre Jessé et le Christ, l'artiste souligne son rôle dans l'économie du Salut."
Dans le médaillon supérieur gauche, deux apôtres entourent la figure féminine couronnée de l'Église, alors qu'à droite la Synagogue, voilée par une main venue des Cieux, est soutenue par Moïse (aux cornes de lumière) et par un autre prophète. Aux quatre coins, deux rois (David et Salomon ?) et deux prophètes nimbés désignent du doigt le Rédempteur dont ils annonçaient la venue. D'autres prophètes occupent les médaillons, et l'un d'eux est Isaïe tenant le phylactère de sa prophétie Is. 11:1-2. Les deux médaillons qui entourent Marie reçoivent les quatre Vertus de la Bonté, la Vérité, la Justice et la Paix, dont parle le Psaume 85 verset 10 :Misericordia et veritas obviaverunt sibi ; iustitia et pax osculatae sunt "La bonté et la fidélité se rencontrent, la justice et la paix s’embrassent ". La Bonté tient un vase, la Justice sa balance. dans le commentaire de Saint Jérôme, la Bonté représente les Chrétiens et la justice les Juifs, leur rencontre symbolisant la réunion des Juifs et des gentils, de l'Ancien et du Nouveau Testament. Ce type d'image est représentateur du goût de l'époque pour les diagrammes et les arborescences diffusant les doctrines théologiques en les schématisant.
Le talent de Maître Hugo ou du Maître de Lambeth, la délicatesse des couleurs, l'inspiration byzantine et les fonds d'or sauvent cette image des risques de lourdeur qu'impliquent le didactisme studieux.
Bible de Lambeth folio 198r, :
La Bible des Capucins (1180).
On trouve une enluminure de l'Arbre de Jessé (vers 1180) dans la Bible des Capucins BNF, Manuscrits, latin 16746, f. 7 v°-8 qui montre la tête du Christ vers lequel converge les sept colombes. Une inscription indique en dessous ego flos campi et lilium convallium, citation du Cantique des Cantiques 2:1 dans un rapprochement avec Jessé qui vient de saint Jérome, In Is. exposit. et est repris dans la liturgie dans les Leçons du second Nocturne " cette Branche sans aucun nœud qui sort de la tige de Jessé, est la Vierge Marie, et la Fleur est le Sauveur lui-même, qui a dit dans le Cantique : Je suis la fleur des champs et le lis des vallons ".
Médaillons :
- L'Eglise couronnée présentée par un saint (Pierre ? notez la tonsure)
- la Synagogue perdant sa couronne, présentée par un saint ou un prophète.
- Daniel et ? ...
- Jeroniah ou Jeremiah et Habacuc
- Navon? et Jonas
- Ezechiel et Sophonias
- Euzachias ;;?; Zacharias
- Igyrus?? ?? Ogée ??
Personnages centraux : Jessé, deux rois (David et Salomon), la Vierge et Jésus.
Bible de Manerius (1180)
— Paris Bibliothèque Sainte-Geneviève Bible de Manerius folio 132 c. 1180 provenant peut-être de l'Abbaye de Saint-Loup de Troyes : un Arbre de Jessé est associé à la représentation de Matthieu recevant l'évangile des mains de son ange, dans la partie horizontale de l'initiale L de l'incipit de l'Évangile de Matthieu Liber generationis. A partir de Jessé s'élèvent deux tiges formant quatre loges losangiques qui accueillent successivement deux rois, la Vierge et le Christ.
Parmi les enluminures du fond français, ( site enluminure.culture.fr recense, mot clef "Jessé", 100 manuscrits conservés dans les bibliothèques municipales, les Bibliothèques Mazarine et Sainte-Geneviève de Paris), c'est le premier exemple d'une série très bien représentée où l'Arbre de Jessé sert de lettrine pour l'initiale L de l'évangile de Matthieu. Dans cette série, les deux tiges vont bientôt se croiser pour formes des entrelacs ovales et le nombre de rois va s'accroître.
Mais ici, les colombes disparaissent.
— Musée Condé de Chantilly, Psautier d'Ingeburge du Danemark, début du XIIIe siècle (vers 1200). Ms9 folio 14v ©MRH.
Le Psautier de la malheureuse seconde épouse de Philippe II "Auguste" (le roi enferma la jeune reine de dix-huit ans au couvent puis en prison dès le lendemain des noces célébrées à Amiens et cette détention dura vingt ans) est enluminé d'un Arbre de Jessé dont on pense qu'il servit de modèle au vitrail de Jessé de la cathédrale de Soissons. Les sept colombes sont conformes au schéma concentrique, symétrique et hiérarchisée de la Bible des Capucins, les oiseaux sont portés par les rameaux ou du moins placés dans leurs entrelacs, mais ce manuscrit ajoute un élément nouveau puisque la tête de chaque personnage latéral de l'Ancien Testament (cinq prophètes et une Sibylle) est pointée par le bec d'une colombe sym
bolisant ainsi l'Inspiration divine.
— Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève Ms 1185 vers 1220-1230 Bible folio 256. Arbre de Jessé formant le L de l'initiale de l'incipit de l'Évangile de Matthieu.
Jessé endormi, trois rois, la Vierge, le Christ. Absence de colombes.
— Voir aussi le manuscrit de la Bibliothèque de Troyes ms. 0252 folio 113v dit " la Maison de la Sagesse" avec son inscription Sapientia aedificavitr sibi domum, excidit columnas septem. Proverbes IX:1 "La sagesse s'est bâtit une maison, elle a taillé ses sept colonnes".
— De même, dans le Psautier de Scherenberg (Strasbourg) qui date de v.1260. Les sept colombes n'y sont pas hiérarchisées.
— Arras, Évangiles glosés, incipit de l'évangile de Matthieu, BMS Ms 0053 folio 1v, vers 1230 :
2°) Les colombes de l'Apocalypse.
A l'abbatiale de Saint-Denis, , ce motif des sept colombes est présent sur un autre vitrail contemporain de l'Arbre de Jessé, la fenêtre des Allégories de saint Paul, sur le panneau du Christ entre l'Église et la Synagogue : (cliquez)
Ce vitrail (ma photographie ne montre que le calque qui remplace, dans la basilique, le panneau original conservé à Champs-sur-Marne) est décrit ainsi par Louis Grodecki : "Au milieu, une grande figure du Christ couronné et nimbé, vêtu d'un ample manteau, la poitrine surchargée d'une sorte d'étoile faite de sept petits cercles reliés entre eux et contenant des oiseaux ; ce sont évidemment les dona Spiritus sancti, les colombes des sept dons du Saint Esprit" (page 69).
Mais pour cet auteur, leur origine n'est pas Isïe 11:1-2 comme pour l'Arbre de Jessé, et la disposition inhabituelle en étoile centrée sur la poitrine du Christ l'incite à y voir une référence au texte de l'Apocalypse de saint Jean :
Ap 5:5 Alors l'un des vieillards me dit: -Ne pleure pas. Voici: il a remporté la victoire, le lion de la tribu de Juda, le rejeton de la racine de David , pour ouvrir le livre et ses sept sceaux. Alors je vis, au milieu du trône et des quatre êtres vivants et au milieu des vieillards, un Agneau qui se tenait debout. Il semblait avoir été égorgé. Il avait sept cornes et sept yeux, qui sont les sept esprits de Dieu envoyés par toute la terre.
Ap 5:12 : Et ils chantaient un cantique nouveau:
Oui, tu es digne
de recevoir le livre,
et d'en briser les sceaux
car tu as été mis à mort
et tu as racheté pour Dieu,
par ton sang répandu,
des hommes de toute tribu,
de toute langue, de tout peuple,
de toutes les nations.
Tu as fait d'eux
un peuple de rois et de prêtres
au service de notre Dieu,
et ils régneront sur la terre.
Puis je vis, et j'entendis la voix d'anges rassemblés en grand nombre autour du trône, des êtres vivants et des vieillards. Ils étaient des milliers de milliers et des millions de millions .
Ils disaient d'une voix forte:
Il est digne,
l'Agneau qui fut égorgé,
de recevoir la puissance,
la richesse et la sagesse,
la force et l'honneur
et la gloire et la louange.
Et toutes les créatures dans le ciel, sur la terre, sous la terre et sur la mer, tous les êtres qui peuplent l'univers, je les entendis proclamer:
A celui
qui siège sur le trône
et à l'Agneau
soient louange et honneur,
gloire et puissance
pour toute éternité.
Si Louis Grodecki considère que les sept colombes du panneau des Allégories de saint Paul ne se réfèrent plus à Isaïe mais à l'Apocalypse de Jean, et qu'elles prennent un sens différent de celles de l'Arbre de Jessé, devenant la puissance, la richesse et la sagesse, la force et l'honneur et la gloire et la louange, que reçoit l'Agneau égorgé, pourtant, il est évident que le texte de l'Apocalypse renvoie à la prédiction d'Isaïe et à Jessé, comme en témoignent ces extraits : "le lion de la tribu de Juda, le rejeton de la racine de David " et "Tu as fait d'eux un peuple de rois et de prêtres" .
Je suis donc amené à suggérer que les deux références bibliques vont, chez les théologiens comme chez les artistes postérieurs à Suger, se réunir dans le motif des colombes, sacralisant la valeur du chiffre sept qui est capitale dans l'Apocalypse comme symbole de la totalité : nous sommes autorisés à penser qu'ils le considéraient à la fois comme une référence au texte d'Isaïe 11:1-2 (le rejeton de Jessé doté de l'Esprit de Dieu et de ses six modalités), mais aussi au texte de l'Apocalypse qui y ajoute la dimension sacrificielle de l'Agneau immolé. A l'Incarnation dont traite le Liber generationis de Matthieu s'ajoute la Rédemption.
3°) La colombe du Baptême du Christ.
Enfin, un autre texte de Jean, dans son évangile cette fois, y ajoute une autre dimension, celle de la Filiation affirmée lors du baptême de Jésus :
Jean 1:32-34 Jean rendit ce témoignage: J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe et s'arrêter sur lui. Je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser d'eau, celui-là m'a dit: Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre et s'arrêter, c'est celui qui baptise du Saint Esprit. Et j'ai vu, et j'ai rendu témoignage qu'il est le Fils de Dieu.
C'est la seule qui me semble pouvoir expliquer le motif de la colombe centrale et verticale. Les colombes de la citation d'Isaïe étaient, pour parler vite, des colombes ascensionnelles, dont la vitalité, végétale comme celle des tiges fleurs et des feuilles étaient nourries par la sève générationnelle de Jessé : elles poussaient pour venir glorifier l'Emmanuel. Les sept esprits de l'Apocalypse étaient des attributs de l'Agneau, ses sept yeux et ses sept cornes, mais ne constituaient ni un lien ni un mouvement.
Je donnerai quelques exemples de Baptêmes où la colombe de l'Esprit vient, verticalement, se planter dans le nimbe du Christ.
Bibliothèque Municipale de Troyes, Ms 0458 folio 147 Bible vers 1140-1150
Bibloithèque municipale d'Amiens Ms 0108 folio 170v vers 1197
— Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève Psautier Ms 1273 folio 010v, 13e siècle
Conclusion sur le motif des sept colombes :
Dans la série des vitraux de l'Arbre de Jessé du XII et XIIIe siècle, les sept colombes placées sur des rameaux de l'arbre et entourant la tête du Christ semblent réunir plusieurs valeurs théologiques. Elles sont d'une part la représentation de l'Esprit de Dieu reposant sur la tête du rejeton de Jessé, selon la prophétie d'Isaïe "L'Esprit de l'Éternel reposera sur lui: Esprit de sagesse et d'intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de connaissance et de crainte de l'Éternel". Le nom de "Sept Dons de l'Esprit", qui se réfère à saint Paul, semble mal adaptè puisque le Christ ne reçoit pas des Dons, mais les porte, comme la branche de l'arbre. D'autre part, par le chiffre sept qui est constant, ce motif renvoie aux sept louanges dont l'Agneau immolé est digne et renvoie ainsi à la notion de Sacrifice et de rédemption par le sang versé. Enfin, la colombe centrale dans son mouvement de descente provient de l'iconographie du Baptême du Christ et insiste sur la notion de Filiation divine et d'origine céleste de ces oiseaux. Posés sur les branches, les sept oiseaux sont le témoin de l'Alliance, dans la rencontre de la force ascensionnelle végétative qui pousse à partir de Jessé, de rois en rois juqu'à la Vierge dans une logique générationnelle, et de l'énergie descendante du don et de la grâce dans l'unité de la séquence Dieu-le-Père / Esprit Saint / Christ.
Sources et liens:
— Laissez-vous conter la cathédrale de Beauvais : http://www.beauvais-cathedrale.fr/docs/vpah-cathedrale.pdf
—Patrimoine-histoire.fr : http://www.patrimoine-histoire.fr/Patrimoine/Beauvais/Beauvais-Saint-Pierre.htm
http://www.patrimoine-histoire.fr/Patrimoine/Beauvais/Beauvais-eStPierre_v15.htm
— Le Codex Vyssegradensis en ligne.
— BARRAUD ( Abbé Pierre Constant ) 1856 et 1860 Description des Vitraux des hautes fenêtres du choeur de la Cathédrale de Beauvais, contenant en abrégé la vie des principaux saints du diocèse de Beauvais Desjardins, 39 pages (non consulté)
— COTHREN (Michael W.) 1996 "Restaurateurs et créateurs de vitraux à la cathédrale de Beauvais dans les années 1340" in Revue de l'Art Volume 111 pp. 11-24 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rvart_0035-1326_1996_num_111_1_348248
— DESJARDINS (Gustave 1865 Histoire de la cathédrale de Beauvais en ligne
— FISCHER (Elisabeth L.) 2005 The Virgin of Chartres : ritual and the cult of the virgin Mary at the thirteenth-century cathedral of Chartres. A thesis submitted in partial fulfillment of the requirements for the Degree of Bachelor of Arts with Honors in Art History Williams College Williamstown, Massachusetts Mai 2005. http://library.williams.edu/theses/pdf.php?id=50
— HAYES WILLIAMS (Jean Anne) , The Earliest Dated Tree of Jesse Image: Thematically reconsidered Athanor.XVIII(2000): 17