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7 avril 2018 6 07 /04 /avril /2018 11:10

Les sablières de l'église de Bodilis. II. S5. L'attelage fantastique du coté sud (anonyme, 1567-1576).

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Sur les sablières de Bodilis, voir :

 

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Voir aussi les cinq autre scènes de labour à la charrue des sablières de Bretagne : celles de La Martyre, de La Roche-Maurice, celle du Tréhou, celle de Sainte-Marie-du Ménez-Hom et de Pleyben. 

 

 

 

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Vous pourrez lire aussi, sur le sujet des sablières de Bretagne, les articles suivants :

 

 

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PRÉSENTATION.

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La nef est divisée par 8 entraits (ces poutres qui la traversent), et, entre le  4ème et le 5ème entrait, par deux blochets. Le 4ème entrait porte en son milieu la date 1567, et le 6ème celle de 1576. J'ai numéroté les sablières (ces pièces de bois formant corniche, entre deux entraits, ou un entrait et un blochet) de N1 à N10 au nord de la nef vers le chœur, et, bien-sûr, de S1 à S10 au sud de la nef, dans le même sens.

Selon ce procédé, la scène des semailles et du labour occupe la sablière N5, au nord de la nef, entre le quatrième entrait et le blochet nord, et en vis à vis et donc au sud, en S5,  un autre attelage, tirant des tonneaux, lui répond.  C'est à ce dernier que je consacre cet article.

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 Numérotation des sablières de la charpente de la nef de l'église de Bodilis. Photographie lavieb-aile août 2017.

Numérotation des sablières de la charpente de la nef de l'église de Bodilis. Photographie lavieb-aile août 2017.

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La sablière S5 répond par symétrie à la scène de semailles et labour N5 car on y voit un attelage, tiré par trois animaux, qui semblent menés par un guide. Mais vous n'y trouverez ni laboureur ni charrue, et ni semeur.

Les différentes sautent au yeux avec autant de vivacité que les ressemblances. La charrette — réduite à un support sans ridelles entre deux roues à sept rayons — porte deux tonneaux, sans doute remplis de vin. Elle est tirée par trois animaux sauvages et fantastiques. Elle n'est conduite  ni par un cocher, ni par un conducteur qui, à pied, mènerait l'attelage de son fouet. Et l'homme qui, en tête, donne la direction, ne tient pas les guides.

Sablière S5 de la nef de l'église de Bodilis. Photographie lavieb-aile août 2017.

Sablière S5 de la nef de l'église de Bodilis. Photographie lavieb-aile août 2017.

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Sablière S5 de la nef de l'église de Bodilis. Photographie lavieb-aile août 2017.

Sablière S5 de la nef de l'église de Bodilis. Photographie lavieb-aile août 2017.

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La charrette, disais-je, est un simple assemblage de madriers posés entre deux roues. Ses deux bras incurvés rentrent dans les boucles d'une dossière. Sur le dos de l'animal tracteur, cette dossière est renforcée par deux arceaux ( à boucle supérieure), qui semblent soutenir aussi les bras du brancart, et qui forment à eux deux comme une bâtière. Ce dispositif était celui du premier cheval de l'attelage de N5.

Il n'y a par contre ni collier d'épaule, ni harnachement, ni rènes.

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Sur le harnachement et les attelages à l'époque médiévale, voir Bardoneschi, et BnF fr. 1538 f.32r

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La surprise est de découvrir que c'est une licorne qui est attelée ici. De l'Unicorne, elle possède les caractéristiques fabuleuses décrites dans le Physiologus, non seulement sa corne frontale, mais sa barbiche de bouc, et ses sabots de chèvre.

Sur les licornes en général, voir :

 

Sur les licornes des sablières, voir :

 

 

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Sablière S5 de la nef de l'église de Bodilis. Photographie lavieb-aile août 2017.

Sablière S5 de la nef de l'église de Bodilis. Photographie lavieb-aile août 2017.

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Les bras, anormalement longs, du brancard se prolongent pour être soutenus par la dossière d'un deuxième animal. Cette dossière, à sous-ventrière, maintient aussi une sellette de fourrure, mais dont l'interprétation est difficile.

En effet, cette sorte de crinière dorsale se poursuit vers le haut en un buste et une tête humaine. 

Enfin, le quadrupède a une tête de lion (de chien, de chameau), et des sabots bifides.

Comment interpréter cette composition ?

Soit il s'agit d'un animal fabuleux à tête humaine, comme le manticore. Ou bien comme le centaure. Mais dans les deux cas, le buste humain n'est pas greffé sur le dos, mais tient lieu de tête à l'animal.

Soit il s'agit d'un être humain qui apparaît en arrière-plan, un paysan qui accompagne l'attelage sur son coté droit. 

Soit ce buste est porté par l'animal, comme un trophée, fixé par la dossière.

Dans tous les cas, cette tête affronte la licorne. Il ne semble pas possible d'associer cet affrontement aux scènes de chasse à la licorne où celle-ci est attirée par une jeune vierge.

Si l'artiste, en se plaçant dans le domaine fantastique, libère son imagination, il a parfaitement "le droit" de créer à son grée ce que lui inspire sa créativité ludique et onirique et de nous le soumettre afin de susciter un effet de rupture avec le réel et une entrée dans le féerique. 

Selon une autre possibilité, déjà évoquée pour comprendre l'étrange  "labour" de N5, l'artiste illustrerait ici un proverbe, un récit légendaire ou une chanson, qui ne nous seraient pas parvenus.

Dernière hypothèse, le sculpteur créerait ici des portraits en rébus ou caricatures des paroissiens ou des commanditaires par des allusions à leur patronyme ou à leur surnoms. Je n'y crois guère.

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Sablière S5 de la nef de l'église de Bodilis. Photographie lavieb-aile août 2017.

Sablière S5 de la nef de l'église de Bodilis. Photographie lavieb-aile août 2017.

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Le troisième animal est un lion, supportant les bras du brancard par une dossière incomplète. Du lion, il possède la crinière, la queue terminée par un fouet, les pattes velues, et la gueule.. léonine. 

Il lève la patte droite vers l'homme qui se trouve devant lui, et ce dernier se défend en levant sa massue.

Par sa tenue vestimentaire, par sa coiffure, par sa posture tournée vers l'arrière, il est très proche des deux personnages (le semeur et le guide d'avant) de la sablière N5. Il est même, par ses traits butés, le frère jumeau du guide des chevaux.

Le couple du lion et de la licorne affrontés est fréquent, mais nos trois animaux ne rentrent pas dans ce schéma

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Voici donc cette sablière S5 et son étrange charroi de barriques. Là encore, je ne trouve aucun auteur à s'être interroger avant moi sur sa signification. Sauf l'auteur anonyme de l'APEVE, qui écrit à propos de N5 et S5 ceci :

"Sur une sablière sculptée en haut relief, trois imposants chevaux de trait tirent une charrue à roue que conduit un laboureur. Devant l’attelage, un homme sème des céréales. Cette poutre rappelle la vocation agricole de la terre léonarde, l’arrivée précoce des innovations techniques dans la contrée et la richesse des laboureurs. Peut-être fut-elle commandée par l’un d’eux. L’artiste se joue des contraintes liées au type de support. Les chevaux sont bien proportionnés et les hommes semblent plus courbés par l’âpreté du labeur que par l’exiguïté de la poutre.

Face à cette corniche, un homme conduit un curieux attelage formé d’un lion, d’une licorne et d’un animal difficilement identifiable. Ils tirent une charrette chargée de grandes barriques. Celles-ci évoquent les quantités de vin parfois importantes que commandait la fabrique en vue de rassemblements paroissiaux.

On peut aussi imaginer que ces deux poutres forment un ensemble, allégorie du pain et du vin de l’Eucharistie, « fruits de la vigne et du travail des hommes »." (APEVE)

 L'interprétation naturaliste ou réaliste qui se propose le plus facilement à nous, et qui y voit à gauche le travail de semailles et de labours de cette paroisse agricole du Léon consacrée à la culture et la vente des toiles, et à droite le transport de tonneaux de vin rappelant le rôle de Landerneau et de Roscoff dans le commerce maritime des vins d'Espagne et de Bordeaux vers le Nord, ne résiste pas à l'examen attentif des sculptures. 

En définitive, je place cet attelage fantastique dans le cadre des drôleries et les grimaces que les artistes sculpteurs savent créer, en partant d'un répertoire ou des catalogues pour imaginer des œuvres pleines d'audace et de fantaisie. Loin de s'autoriser des écarts ou des libertés personnelles, ils répondent ainsi aux attentes des commanditaires. Le contrat des stalles de la cathédrale de Tréguier en témoigne clairement. 

Il me reste à dire que ces deux scènes figuratives N5 et S5 sont entourées d'éléments inspirés de l'ornementation de Fontainebleau et qui relèvent du style du Maître de Pleyben (cf. articles suivants). Seul en témoigne, de façon minimale, ici, la frise inférieure de feuillages bagués deux à deux.

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Sablière S5 de la nef de l'église de Bodilis. Photographie lavieb-aile août 2017.

Sablière S5 de la nef de l'église de Bodilis. Photographie lavieb-aile août 2017.

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SOURCES ET LIENS.

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ABGRALL (Chanoines Jean-Marie) et PEYRON (Paul), 1903,  "[Notices sur les paroisses] Bodilis", Bulletin de la commission diocésaine d'histoire et d'archéologie, Quimper, 3e année, 1903, p. 192-208.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k109982z/f180.image

https://diocese-quimper.fr/images/stories/bibliotheque/bdha/bdha1903.pdf

http://diocese-quimper.fr/images/stories/bibliotheque/pdf/pdf_notices/bodilis.pdf

APEVE, Association pour la promotion des enclos paroissiaux de la vallée de l'Elorn

http://www.bodilis.org/patrimoineetsites.php

http://www.apeve.net/spip/spip.php?article127

COUFFON (René), 1958,  Notre-Dame de Bodilis. In: Bulletin Monumental, tome 116, n°2, année 1958. pp. 121-133; doi : 10.3406/bulmo.1958.3832 http://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1958_num_116_2_3832

http://www.persee.fr/docAsPDF/bulmo_0007-473x_1958_num_116_2_3832.pdf

COUFFON  (René), LE BARS (Alfred)  1988,  Nouveau répertoire des églises et chapelles, : paroisse de Bodilis,” Collections numérisées – Diocèse de Quimper et Léon, 

http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/fdf52c93c4ad292cf14cbf5068677c87.pdf

— DUHEM (Sophie), 1997, Les sablières sculptées en Bretagne: images, ouvriers du bois et culture paroissiale au temps de la prospérité bretonne, XVe-XVIIe s. ; préf. d'Alain Croix, Rennes :Presses universitaires de Rennes, 1997 : thèse de doctorat en histoire sous la direction d'Alain Croix soutenue à Rennes2 en 1997. 

BARDONESCHI (Floriana ),2015, « Les images du cheval attelé au travail dans les campagnes : réalités anatomique et morphologique et construction artistique à travers les enluminures (Europe, XIIe-XVIe siècle) », In Situ [En ligne], 27 | 2015, mis en ligne le 02 novembre 2015, consulté le 04 avril 2018. URL : http://journals.openedition.org/insitu/12073 ; DOI : 10.4000/insitu.12073

LAUDREN (Thierry), dossier photo de son travail de restauration de la charpente

https://www.thierrylaudren.fr/pages/monuments-historiques.html

http://thierrylaudren.pagesperso-orange.fr/monumentshistoriq2.htm

 

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Published by jean-yves cordier - dans Sablières

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  • : Le blog de jean-yves cordier
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  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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