Le Machaon Papilio machaon Linnaeus, 1758 ( (Papilionidae, Papilioninae/Papilionini ) de 1304 dans le Bréviaire à l'usage de Verdun, BM Verdun Ms 107.
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A Madame Colette Bitsch, avec toute ma gratitude.
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Voir :
- Zoonymie du papillon Machaon ou Grand Porte-Queue, Papilio machaon Linnaeus, 1758.
- Hoefnagel et les entomologistes du XVIIIe siècle
Les Papillons d'Europe peints d'après nature , 1779-1792 par J. L. Engramelle et J.J Ernst.
Histoire des noms français de papillon I : Étienne Louis Geoffroy 1725-1810.
Les papillons décrits par Aldrovandi en 1602. Étude des noms propres.
- Un Machaon Papilio machaon prête ses ailes à saint Michel dans une allégorie de la victoire de la mort. La Vanité (vers 1535) de Jan Sanders van Hemessen au Musée de Lille.
- Les papillons en Enfer : la Petite Tortue et le Vulcain prêtent leurs ailes au Diable.
- Les papillons en Enfer : quand le Vulcain et la Petite Tortue prêtent leurs ailes au Diable. A propos du Jugement Dernier de Hans Memling (vers 1467) Traduction et l'adaptation d'un article d' Alcimar do Lago Carvalho*:
- Le papillon dans la Délie de Maurice Scève (1544) et les livres d'emblèmes du XVIe siècle.
- Papillons et littérature de 1400 à 1600.
Les "Papillons" de Rémy Belleau et de Francis Ponge. Poésie et papillons.
Le papillon Vanessa atalanta, Jonathan Swift et Vladimir Nabokov.
Le Crabe et le Papillon dans les marques et devises : hâtes-toi lentement.
Les caudataires Machaon et Phaéton de la Marine : délices de l'onomastique navale.
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Les artistes rivalisent depuis longtemps pour représenter l'un de nos plus beaux papillons, le Machaon. Par exemple l'illustrateur allemand Jacob Hübner (1761-1815), Das Kleine Schmetterlingsbuch, planche 17 n°3 et 4, ou Sammlung europäischer Schmetterling n°390-391:
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Quelles sont les premières représentations exactes (fidèles au modèle naturel) du Machaon ? Depuis juillet 2013, lorsque j'écrivais mon article de zoonymie (ou "origine du nom"), et où je découvrais les illustrations de Réaumur (1734), je n'ai cessé de repousser la date de cette première image. Je crus que c'était celle de Claude Aubriet, (1715-1735)
http://www.lavieb-aile.com/2015/11/claude-aubriet-et-les-papillons-les-velins-du-roy-museum-d-histoire-naturelle-1710-1735.html
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Ou bien celle de Joris Hoefnagel, autre enlumineur (1575-1582) ?
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Ou bien Thomas Moffet, dans son Theatrum insectorum publié en 1634, mais dont les aquarelles du manuscrit original préparé sur les travaux de Thomas Penny et sur la collection de Gessner étaient réalisées une cinquantaine d'années auparavant :
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Ou bien la médiocre gravure publiée dans De Animalibus insectis d'Aldrovandi, le premier livre imprimé d'entomologie, en 1602 ?
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Bien-sûr, il y avait cette peinture de Jan Sanders dans laquelle les ailes de l'archange Saint Michel étaient celles d'un Machaon. Elle datait de 1535.
Était-ce là l'exemple le plus ancien de ma collection ?
Je me suis intéressé, à la suite de Vazrick Nazari, à explorer les pages des manuscrits médiévaux. Ce dernier auteur a interrogé les principales bibliothèques européennes à la recherche de papillons sur les manuscrits et il a obtenu 32 manuscrits , dont le plus ancien, le Bréviaire de Belleville, date de 1323-1326. J'ai exploré pour ma part le site Mandragore de la Bnf, qui m'a sélectionné (Classement thématique/Zoologie/ autre insecte/ papillon) 767 légendes soit 681 images numérisées. Ah, j'avais le choix ! Je n'ai pas ouvert les 681 liens, car la très grande majorité des papillons des manuscrits ornaient des marges ("encadrements" et "décors marginaux"), ou des lettrines sous formes de papillons stylisés, imaginaires et stéréotypés. On reconnait parfois la Petite Tortue Aglais urticae.
J'ai ensuite interrogé la base de données Enluminure regroupant les manuscrits de Bibliothèques Municipales françaises. Là encore, je fus comblé, mais de même, parmi les 400 réponses (ce qui ne veut pas dire 400 manuscrits ou 400 images de papillons) d'Aix-en-Provence à Verdun, je voyais se succéder des lépidoptères d'ornement, non identifiables, mais qui animaient souvent des drôleries, ou que des manants tentaient d'attraper. Après plusieurs heures passées à cliquer sur les images pour les copier, je me suis arrêté bien avant d'avoir atteint Paris, vers Clermont-Ferrand (Missel à l'usage de Clermont), à la 102ème image. On va bientôt comprendre que j'ai eu tort.
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J'ai longtemps pensé (et je le crois encore confusément) que nos semblables, pendant la période médiévale, ne VOYAIENT pas les différentes espèces de papillons, car ils ne disposaient pas de moyens pour les NOMMER (le premier à nommer le Machaon est James Petiver en 1699 avec Royal William, puis vient Maria Sybilla Merian avec le Papillon Basse la Reine de 1730, et Réaumur avec son "papillon à queüe de la belle chenille du fenouil" de 1734). Linné ne donnera le nom de Machaon qu'en 1758 , mais en 1746, dans Fauna suecica page 240 il le désignait encore à l'aide d'une longue formule latine, la diagnose : papilio hexapus alis flavo nicroque variegatis : secundariis angulo subulato maculaque fulva. !
J'ai aussi pensé que nos ancêtres médiévaux étaient aveuglés, dans leur esprit si moyenâgeux, par les présupposés qui associaient les papillons soit avec les âmes qui s'échappent du corps lors de la mort, soit avec les miasmes, les pestes qui abimaient les vêtements et les biens. Ces animaux étaient trop suspects pour devenir objet de curiosité.
Mais il y a des exceptions à toute généralisation, c'est heureux. Madame Colette Bitsch, l'auteure de l'étude sur le Manuscrit Cocharelli , vient de m'en adresser la preuve, en m'offrant un superbe cadeau : la découverte du Bréviaire à l'usage de Verdun. Un manuscrit de 1304 conservé à la Bibliothèque Municipale de Verdun sous la cote Ms 107... C'est exactement la dernière des 400 images dont j'avais débuté la consultation !
Ai-je jamais lu le bréviaire avec un tel plaisir gourmand ?
Un indiscutable Papilio machaon m'attendait au folio 18. (ou folio 1)
Il occupait le bas de la page, enchâssé dans l'orbe d'un rinceau, et un lièvre coiffé d'un bonnet doré et vêtu d'une cape rouge lui donnait lecture d'un ouvrage savant, comme dans un épisode d'Alice au pays des merveilles.
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Le Ms 107 de la BM de Verdun est le tome II d'un Bréviaire d'été, fut enluminé à Metz vers 1302-1305 sur l'ordre de Marguerite de Bar pour son frère Renaud de Bar, haut personnage allié à plusieurs grandes familles d'Europe. Il fut nommé chanoine à Reims, Laon, Verdun et Cambrai, puis, avant 1298, archidiacre à Bruxelles, puis archidiacre à Besançon en 1299. En 1301 il fut nommé chanoine et princier de Metz, puis en 1302 prévôt de la Madeleine à Verdun. Le folio 1 (ou folio 18) qui nous intéresse est précédé d'un calendrier de 12 pages paginées A à F. Le Bréviaire débute donc par notre folio 1 et porte en rubrique (c'est à dire à l'encre rouge) et en incipit le mot INVITATORIUM : L’invitatoire est l’exhortation à la louange et à la prière, généralement chantée, qui ouvre la première ‘heure’ de l’office divin de la journée.
Le texte est disposé en deux colonnes de 28 lignes : nous lisons ensuite Adoremus Dominum qui fecit nos ("Adorons Dieu qui nous fit"), puis Venite Servite. Vient ensuite la lettrine, ou lettre ornée, qui est le B majuscule initiant la phrase Beatus vir qui no[n] abiit i[n] consilio impiorum et in via peccatorum non stetit et in via peccatoru[m] non stetit et in cathedra pestilentie non sedit. C'est le premier verset du psaume 1 : "Heureux l’homme qui ne marche pas selon le conseil des méchants, qui ne s’arrête pas sur la voie des pécheurs, et qui ne s’assied pas en compagnie des moqueurs". Un vermisseau bicéphale sert de bout-de-ligne .
L'enluminure de la lettrine montre David jouant de la harpe à la Vierge, tandis que Renaud de Bar se tient agenouillé devant elle en position de donateur. Il est vêtu d'une tunique de clerc à capuche à ses couleurs et à ses armes, "'d'azur semé de croisettes au pied fiché d'or, à deux bars adossés du même, au lambel à trois pendants de gueules". La présence de David est parfaitement justifiée, puisque ce Bréviaire va largement faire appel à ses psaumes. La Vierge, couronnée, nimbée, cheveux longs, robe d'or et manteau bleu, tient une fleur (celle de la vertu et de la pureté ?) qu'elle tend à Renaud, qui vient peut-être de lui remettre en présent le luxueux manuscrit dont elle tient le codex sous le bras droit. Un ange nimbé, aux ailes vertes, lève les bras d'émerveillement, entre les deux voûtes ogivales.
Le texte du Psaume 1 se poursuit, seulement égayé par les bouts-de-ligne cocasses à hybrides anthropomorphes :
Sed in lege Domini voluntas eius et in lege eius meditabitur die ac nocte
Et erit ta[m]quam lignum quod plantatum est secus decursus aquarum q[uo]d fructu[m] suum dabit in tempore suo.
Et folium eius n[on] defluet : / et omnia quecumq[ue] faciet prosperabuntur /
Non sic impii non sic; sed tamquam pulvis quem // proicit ventus a facie terrae.
"Mais qui trouve son plaisir dans la loi de l’Éternel, et qui la médite jour et nuit !
Il est comme un arbre planté près d’un courant d’eau, qui donne son fruit en sa saison, et dont le feuillage ne se flétrit point : tout ce qu’il fait lui réussit.
Il n’en est pas ainsi des méchants : ils sont comme la paille que le vent dissipe."
En bas de cette colonne de droite, nous trouvons les armoiries de Renaud de Bar, barrée d'une crosse épiscopale. Renaud de Bar fut le 67e évêque de Metz de 1302 à 1316. Il était fils de Thiébaut II, comte de Bar et de Jeanne de Toucy.
Ideo non resurgent impii in iudicio neque peccatores in consilio iustorum
Quoniam novit Dominus viam iustorum et iter impiorum peribit
C’est pourquoi les méchants ne résistent pas au jour du jugement, ni les pécheurs dans l’assemblée des justes ;
Car l’Éternel connaît la voie des justes, et la voie des pécheurs mène à la ruine.
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SOURCES ET LIENS.
— Site Enluminure , interrogé sur "papillon" :
http://www.enluminures.culture.fr/public/mistral/enlumine_fr?ACTION=RETROUVER_TITLE&LEVEL=1&GRP=0&REQ=%28%28papillon%29%20%3aTOUT%20%29&USRNAME=nobody&USRPWD=4%24%2534P&SPEC=9&FIELD_1=REFD&VALUE_1=&FIELD_2=Caut&VALUE_2=&FIELD_3=TITR&VALUE_3=&FIELD_4=SUJET&VALUE_4=&FIELD_5=DATDEB&VALUE_5=&FIELD_6=DATFIN&VALUE_6=&FIELD_7=ATTRIBUTION&VALUE_7=&FIELD_8=TOUT&VALUE_8=papillon&FIELD_9=DOMN&VALUE_9=%20&SYN=1&IMAGE_ONLY=&MAX1=1&MAX2=1&MAX3=100&DOM=All
http://www.enluminures.culture.fr/public/mistral/enlumine_fr?ACTION=RETROUVER&FIELD_98=POSS&VALUE_98=%20Renaud%20de%20Bar%20&NUMBER=32&GRP=0&REQ=((Renaud%20de%20Bar)%20%3APOSS%20)&USRNAME=nobody&USRPWD=4%24%2534P&SPEC=1&SYN=1&IMLY=&MAX1=1&MAX2=1&MAX3=100&DOM=All
— http://www1.arkhenum.fr/images/dr_lorraine_ms/MS0107/index.html
— NAZARI Vazrick, 2014, "Chasing butterflies in medieval Europ", Journal of the Lepidopterists' Society n°68-4
https://www.academia.edu/19623264/Chasing_Butterflies_in_Medieval_Europe,
— STONES Alison, 2010," Les Manuscrits de Renaud de Barpage" in L'écrit et le livre peint en Lorraine de Saint Mihiel à Verdun IX- XV e siècles , Actes du colloque de Saint Mihiel 25-26 octobre 2010 Sous la direction d'Anne-Orange Poilpré avec la collaboration de Marianne Besseyre Brepol pages 269-310
https://www.academia.edu/16293275/Les_manuscrits_de_Renaud_de_Bar