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27 octobre 2019 7 27 /10 /octobre /2019 16:55

Les crossettes et sculptures sur pierre (vers 1550-1556) des porches de l'église de Saint-Nic.

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— I. Voir sur l'église Saint-Nicaise de la commune de Saint-Nic les articles suivants:

 

 

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On y comprendra que l'édifice actuel a vu le début de sa construction au milieu du XVIe siècle, puisque, si nous nous  basons sur les inscriptions datées, le porche sud date de 1561 et sa charpente de 1562, tandis que la nef porte la date de 1566.

Pour dater les crossettes (pierres d'amortissement faisant saillie à la jonction entre les murs et le toit) et les sculptures en bas-relief des élévations des deux porches, nous pouvons donc proposer la période de 1550 à 1566, sous le règne de Henri II et l'épiscopat en Cornouailles de Nicolas Cajetan di Sermonetta et en Léon de Christophe et de Roland de Chauvigné  (ces évêques ayant d'ailleurs eu peu d'influence). Cette période est surtout celle la pleine activité de l'atelier landernéen des sculpteurs Henri et Bastien Prigent, dont les œuvres en kersanton sont présentes, à proximité de Saint-Nic, à Pleyben (1550) et à la chapelle Saint-Laurent de Pleyben, à Dinéault, Chateaulin, ou sans doute à Saint-Ségal, voire à Crozon (Tal-ar-Groas), tandis qu'à Saint-Nic nous reconnaissons leur style dans la Déposition conservée à l'intérieur de l'église.

Bien que cet atelier ait réalisé plusieurs porches (à Pencran en 1553, Landivisiau en 1554-1565, à Guipavas (1563), ou partiellement à Lampaul-Guimiliau en 1533, nous ne sommes pas autorisés à lui attribuer les éléments sculptés en granite des deux porches de Saint-Nic.

 

 

 

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— II. Cet article appartient à une étude des crossettes du Finistère destinée à permettre des comparaisons et à dégager des constantes stylistiques et thématiques. On consultera sur ce blog :

 

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I. LE PORCHE OUEST.

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La porte au cintre à peine brisé est sobrement soulignée par quatre moulures, dont la dernière s'élève en une  arcature ogivale à crochets d'acanthe tandis que deux pilastres trapézoïdaux puis à crochets.

De chaque coté, au dessus d'une moulure horizontale, deux sculptures en bas-relief gardent l'entrée : un lion à gauche et un ange à droite.

Le lion (identifié à sa crinière crépue, son arrière-train lisse et sa queue au fouet triple) tourne vers le fidèle sa gueule à la langue pendante.

L'ange allongé en vol déroule un phylactère  aujourd'hui muet.

Comparez avec le porche de Lampaul-Guimiliau :

http://www.lavieb-aile.com/2019/04/la-facade-du-porche-sud-de-lampaul-guimiliau.html

Ce porche de Lampaul-Guimiliau est encadré de deux anges porteurs de phylactères, se tenant debout , tandis que  6 anges couchés en vol se trouvent à l'intérieur du porche :

http://www.lavieb-aile.com/2019/04/le-porche-de-l-eglise-de-lampaul-guimiliau-ii-les-anges.html

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Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

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À gauche : un lion.

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Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

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À droite : un ange tenant un phylactère.

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Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

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LE PORCHE SUD (1561-1562).

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Il possède la même forme et la même disposition que le précédent, mais la porte est surmontée de deux gables à crochets et fleurons.

La ligne du gable inférieur se prolonge après sa traversée des pilastres pour s'achever sur le dos de deux lions sculptés en bas-relief. Le gable supérieur se termine par deux lions, appuyés sur des piliers rectangulaires.

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Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

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Les "crossettes" (?) du gable supérieur : deux lions.

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Le lion de gauche en est un, indubitablement, mais ses oreilles orientées vers l'avant, sa large langue et sa crinière à la Pierrot   lui donnent un air farceur.

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Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

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Le lion de droite a la tête tournée vers son avant. 

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Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

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Les sculptures d'encadrement du porche sud : deux lions tenant des petits êtres.

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Le coté droit : un lion tenant entre ses pattes un petit être qu'il lèche. 

J'interprète cette figure, assez courante mais rarement parfaitement lisible, comme un animal psychopompe qui s'est saisit de l'âme d'un humain qu'il emporte avec lui. Donc, comme une mise en garde contre le sort qui attend les paroissiens peu chrétiens. Mais l'interprétation reste ouverte, et chaque nouvelle occurrence du thème la questionne à nouveau. Voir par exemple les crossettes de la chapelle Saint-Nicodème à Ploéven, ou celle de l'église de Goulven.

 

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Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

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Le coté gauche : un lion tenant entre ses pattes un petit être qu'il lèche. 

 

La tête du petit être n'est jamais complètement distincte, même si on multiplie les points de vue.

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Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

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Crossette d'angle : un lion.

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Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

Église Saint-Nicaise de Saint-Nic. Photographie lavieb-aile.

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CONCLUSION.

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Le sculpteur anonyme a orné les deux porches et l'angle d'un toit d'un ange à phylactère et de six lions. Cette représentation quasi exclusive du lion (il est le plus souvent associé au dragon et à d'autres thèmes) doit être remarquée. Cinq d'entre eux sont placés sur les porches. Un seul a la tête de profil ("lion" en héraldique"), les autres tournent la tête face au fidèle ("léopard" des blasons). Deux d'entre eux tiennent une tête entre leur pattes, de chaque coté de l'entrée du porche sud. Trois ne sont pas des crossettes entre murs et toits, mais des encadrements des entrées des porches.

Cette prévalence du lion s'oppose à celle des dragons sur les sculptures sur bois des sablières du porche et de la nef. Elle mérite réflexion.

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1. Emmanuelle Le Seac'h.

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Dans sa série de 381 gargouilles et crossettes des cantons de Landerneau, Landivisiau, Ploudiry et Sizun, Emmanuelle Le Seac'h dénombre 34 anges, 67 êtres humains, 20 dragons, 5 sirènes et 45 monstres, et enfin 109 animaux non monstrueux, sans compter les 86 gargouilles-canons. Parmi les 109 animaux, le lion vient en tête (49) suivi du chien (24), du singe (comme gargouille, 20 fois), de 3 loups, d' un sanglier, d'un bouc, de quelques oiseaux, d'une chauve-souris.

À propos du lion, elle écrit :

« L'abondance du thème, 49 pièces sur 381 rejoint celle que l'on trouve dans toute la Bretagne. Le lion, roi des animaux, est donc l'animal le plus représenté. Il se tient dans différentes postures. Il est couché à Dirinon, à la chapelle Sainte-Anne de Guimiliau, à Sizun. La position couchée est ambiguë. Le lion semble aussi courir. Les pattes sont regroupées sous le corps et donnent l'impression de fuite en avant ou de repos. Il se tient debout à Landerneau 18 rue Chanoine Kerbrat, à Lampaul-Guimiliau ou à La Roche-Maurice. Il est installé quelquefois dans la position intermédiaire, assis sur l'arrière-train sur l'ossuaire de Trémaouézan, au moulin de Brézal à Plounéventer ou sur l'ossuaire de Commanan.

Il saisit bien souvent un objet : un rouleau au Tréhou, un os qu'il semble prêt à grignoter à Landivisiau, une banderole à Lampaul-Guimiliau ou un écu sur la chapelle Saint-Herbot de Saint-Thonan. Il peut devenir féroce et saisir un homme ou une femme comme à Sizun ou à Dirinon, prêt à les croquer. Il s'en mord la queue à Mézarnou en Plounéventer. Il saisit un crâne humain à La Martyre.

Le lion apparaît le plus souvent la crinière soigneusement peignée, la bouche ouverte et la langue pendante (Guimiliau). Il est parfois hirsute. Il enroule d'une manière curieuse la queue autour de son corps à la manière d'une corde qui le ficelle comme à Landivisiau. Elle se divise en son extrémité en deux ou trois ramifications qu'elle pende sic] derrière le corps de l'animal ou qu'elle enlace. Les représentations de lion les plus abouties sont à Pencran, Guimiliau Landivisiau et Sizun."

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2. Didier Jugan : le Physiologus.

Dans un commentaire de mon article, Didier Jugan suggère de voir dans les deux lions tenant une petite tête le thème médiéval, issu du Physiologus et repris dans de nombreux bestiaires, "de la naissance des lionceaux, êtres morts, que le lion (ou la lionne) amène à la vie au bout de 3 jours en rugissant ? C'est une analogie à la Résurrection du Christ, qui est souvent reprise dans l'iconographie du Moyen Âge ou au début des Temps modernes."

Le Physiologus est un bestiaire chrétien du IIe ou IVe siècle, écrit en grec, et qui fut traduit en latin, enrichi du chapitre XII De animalibus des Etymologiae d'Isidore de Séville.

Selon Isidore de Séville

Cum dormierint, vigilant oculi; cum ambulant, cauda sua cooperiunt vestigia sua, ne eos venator inveniat. Cum genuerint catulum, tribus diebus et tribus noctibus catulus dormire fertur; tunc deinde patris fremitu vel rugitu veluti tremefactus cubilis locus suscitare dicitur catulum dormientem.

Quand ils dorment, leurs yeux veillent. Quand ils marchent, ils effacent leurs traces avec leur queue, pour échapper aux chasseurs. Quand ils enfantent des petits, ceux-ci restent endormis trois jours et trois nuits, avant que leur père ne les éveille par un rugissement doux et un grondement.

Raban Maur, dans De Rerum Naturis livre VIII, est plus prolixe.

Les enluminures montrent  le rugissement du lion sur ses lionceaux par l'intermédiaire d'un geste de léchage, où la longue langue rouge balaye le dos des petits .

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© London, British Library, Royal MS 12 C. xix, ca. 1200-1210, f. 6r

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© Gallica, Paris, Bibliothèque Nationale de France, fr. 1951, 13-14 siècle, f. 18r

 

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Cette idée, si elle trouvait confirmation, renouvellerait complètement l'interprétation habituelle, en distinguant le lion des autres animaux et monstres qui l'accompagnent habituellement sur les crossettes  et qui sont vu soit comme l'expression d'un imaginaire non chrétien, autorisé par exutoire dans des espaces marginaux (partie hautes intermédiaires entre murs et toits pour les sablières et les crossettes ou gargouilles, miséricordes et appui-mains des stalles, chapiteaux), ou d'une Sur-nature, d'un monde intermédiaire peuplé d'animaux inquiétants (mais toujours d'allure débonnaires), ou encore d'un désir du clergé de terrifier les fidèles en leur représentant les prémisses de l'Enfer et le sort réservé aux mauvais paroissiens.

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En effet, l'une des particularités des crossettes est de ne jamais comporter des thèmes liturgiques (croix, instruments de la Passion, phénix, monogrammes christiques ou mariaux), ni de figures du Christ, de la Vierge, des saints, des Apôtres ou des Prophètes. Les anges souvent sculptés font exception, mais ils appartiennent à ce monde intermédiaire entre la Divinité et les Humains.

Certes, ici, trois lions (dont les deux tenant une tête)  occupent un emplacement autour de l'entrée, c'est à dire non plus un espace intermédiaire vertical entre terre et Ciel, mais   horizontal entre espace  profane et espace sacré avant de franchir le seuil du sanctuaire. Est-il plausible qu'un symbole animal de la Résurrection soit placé ici ?

Nous pouvons examiner d'autres porches de Bretagne ; mais la plupart sont entourés sur deux ou trois moulures, d'une quantité de personnages bibliques.

Le porche de Rumengol (1468) est dépourvu de sculptures d'encadrement.

Le porche de Saint-Herbot (1498-1509) n'a pas de sculptures d'encadrement, et les deux anges à phylactères sont placés en hauteur :

L'enclos paroissial de Saint-Herbot à Plonévez-du-Faou VI. Le porche sud (1498-1509) par le Second atelier du Folgoët : l'extérieur, et le revers.

Sur le porche de La Martyre (vers 1450), aux riches moulures, les anges à phylactères sont également reportés en partie haute :

 

Le porche de Penmarc'h (1509) nous intéresse car l'une des statues d'encadrement est un animal (dragon, bouc, ...ou lion après tout) tient dans ses pattes un petit personnage.

Avec du citron ! Les poissons du porche sud de l'église Saint-Nonna de Penmarc'h.

 

Celui de Landivisiau (1544-1559) est encadré par deux des quatre évangélistes, mais il est sommé en haut de gable par un dragon et un lion.

Le porche (1554-1559) de l'église de Landivisiau. II. La grande arcade extérieure .

Celui de Lampaul-Guimiliau est encadré à hauteur d'homme de deux anges tenant des phylactères à inscription pieuse.

La façade du porche sud de Lampaul-Guimiliau.

L'arcade de celui de Dirinon s'appuie,  à hauteur d'homme sur des culots aux  deux anges tenant des phylactères.

L'enclos paroissial de Dirinon X. Le porche sud. (1618).

 

Le porche de l'abbaye de Daoulas (1566) est entourée d'une frise d'anges, tandis que les statues d'une Annonciation est placée en encadrement :

 

Celui du Folgoët associe les deux consoles de l'arcade (un vieillard et un ange) et des statues de saints (Marguerite et son dragon) 

L'ancien porche sud de Goulven ne comporte pas d'encadrement :

​​​Celui de Guipavas est encadré de deux statues sous leur dais ; mais les crossettes sont des dragons, et un lion :

 

L'église de Guipavas II. Le porche de 1563 : l'extérieur.

L'église de Guipavas I. Les crossettes.

Le porche de Pencran (1553) est dotée de crossettes : des lions et des dragons tiennent des os dans leur pattes

L'enclos paroissial de Pencran I. Les crossettes du porche (1553).

Plus tardif (1604), le porche sud de Saint-Houardon de Landerneau présente deux statues sur les contrefort.

Le porche sud et la porte sud de l'église Saint-Houardon de Landerneau.

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Au total, je ne trouve pas d'autre exemple de lion tenant une tête, et placé dans cette emplacement d'encadrement d'un porche.

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Par ailleurs, on remarquera que l'iconographie de ce motif du Lion réveillant ses lionceaux est médiévale, et donc plus ancienne, que les sculptures de ce porche en pleine Renaissance au XVIe siècle.

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ANNEXE : le lion réveillant ses lionceaux, étudié par Jean Favreau :

 

"C'est la troisième caractéristique du lion — le réveil des lionceaux au souffle du lion le troisième jour après leur naissance — qui a eu la plus grande fortune en tant que figure de la Résurrection. A la suite du Physiologus tous les auteurs qui traitent des animaux en parlent : Isidore de Séville, Raban Maur, l'auteur du Physiologus, l'auteur du De Bestiis, Hildegarde ou encore Richard de Fournival. On peut lire cette même interprétation du lion comme symbole de la résurrection chez Rufin d'Aquilée, dans des écrits attribués à tort à saint Jérôme et à saint Augustin, chez Paulin de Noie, Anselme de Laon, Geoffroy d'Admont. Cette figure du lion comme symbole de la résurrection a eu d'autant plus de succès que le lion est devenu l'attribut de l'évangéliste Marc et que le lion de Marc va à son tour, sous l'influence du Physiologus, symboliser le Christ ressuscité. Irénée de Lyon avait rapproché la vision des quatre animaux d'Ézéchiel (I, 5-10) des quatre Vivants de l'Apocalypse (IV, 6-7) et il en avait fait l'application aux quatre évangélistes. Jérôme adopta l'attribution proposée par Épiphane, l'homme à Matthieu, le lion à Marc, le bœuf à Luc, l'aigle à Jean, en se fondant sur les débuts de chaque évangile : le lion est Marc parce que Jean-Baptiste paraît dans le désert, comme l'annonçait le prophète Isaïe : « Une voix crie dans le désert, préparez le chemin du Seigneur » (Marc, I, 3-4) et que le lion est l'animal du désert. Grégoire le Grand a trouvé, dans les Moralia in Job, une admirable formule pour montrer que les quatre figures des évangélistes représentent la totalité du mystère du Christ, « homo nascendo, vitulus moriendo, ko resurgendo, aquila ad caelos ascendendo ». Dans ses homélies sur Ézéchiel il voit, dans le lion qui dort les yeux ouverts, une figure de la Résurrection : le Christ peut dormir dans la mort par son humanité, mais par sa divinité il veille pour toujours. Il sera repris textuellement par Walafrid Strabon dans son Expositio in quatuor evangelia, et par Druthmar de Corbie dans son Expositio in Mattheum evangelistam. Le verbe surgere ici utilisé est celui-là même qui est employé dans la guérison du paralytique, de l'homme à la main paralysée, des dix lépreux, dans la résurrection de la fille de Jaïre et du jeune homme de Naïn, et bien sûr dans la Résurrection du Christ.

 

L'identification du lion à la Résurrection dérive évidemment du Physiologus comme le dit un commentaire sur l'Apocalypse attribué à tort à Alcuin. Les textes qui accompagnent les enluminures des évangéliaires font souvent état de l'interprétation lion-résurrection pour le symbole de l'évangéliste Marc. C'est le cas pour les évangéliaires carolingiens ou ottoniens de Saint-Emmeran de Ratisbonne, de la Sainte-Chapelle de Paris, de Gérard de Luxeuil, d'Henri II, de la cathédrale de Bamberg, comme pour ceux de l'Ambrosiana de Milan, de 996-1002, de Stuttgart, de 1020-1040, de Cologne, vers 1000, qui ont le même texte, ou encore, au xne siècle, pour les évangiles d'Henri le Lion ou la Bible d'Averboden. L'homélie de Grégoire le Grand sur la vision d'Ézéchiel entra de bonne heure dans l'office comme lecture (épître) pour les fêtes des évangélistes. La symbolique lion-Résurrection pénétra dans toute la liturgie, prose de l'Epiphanie du début du Xe siècle, tropaires de l'office de Pâques d'Apt et de Winchester, visitatio sepulchri du drame de Pâques, hymnes d'Abélard et d'Adam de Saint- Victor pour les fêtes du samedi saint et de Pâques.

Le rapprochement se trouve aussi au xiie siècle, chez Hildegarde, ou chez les poètes comme Baudri de Bourgueil et Pierre Riga. Le troubadour Rigaut de Barbezieux rappellera, lui, cette caractéristique du lion mais en y voyant une figure de l'Amour qui viendra le guérir de ses souffrances. Les inscriptions confirment dans des œuvres nombreuses et variées, que l'intention de l'auteur du programme était bien de faire du lion une figure du Ressuscité. Sur un devant d'autel de la cathédrale de Sens on pouvait lire que « le lion fort signifie le Christ vainqueur de la mort », victorem mortis christum signât leo fortis, et au début du XIe siècle l'animal symbolique de Marc est accompagné, sur l'ambon d'Henri II à la cathédrale d'Aixla-Chapelle du distique : MARCE, LEO FORTIS, FORTEM RESONARE VIDERIS CERTA RESURGENDI PER QUEM SPES VENERAT ORBI. « C'est par le lion fort qu'une espérance de résurrection est désormais assurée pour le monde. »

 

Sur un tympan roman fixé à l'extérieur du mur sud de l'église d'Armentia, près de Vitoria, l'Agneau crucifère est accompagné d'une inscription qui explique que l'agneau du Sacrifice est aussi le lion fort qui, par sa mort, a vaincu la mort : AGNUS SUM, LEO FORTIS, MORS EGO SUM MORTIS VOCOR . « Je suis l'agneau, je suis appelé le lion fort, moi je suis la mort de la mort ». Si, à Armentia, l'inscription renvoie au symbole du lion sans qu'il y ait une iconographie correspondante, au tympan de la porte occidentale de la cathédrale de Jaca le lion de droite pour le spectateur), qui foule aux pieds un ours et un basilic, est bien le lion fort de la résurrection qui a mis fin à l'empire de la mort : IMPERIUM MORTIS CONCULCANS EST LEO FORTIS. « Le lion fort terrasse l'empire de la mort », ce qui est, à deux mots près, le vers de l'évangéliaire d'Averboden. Le Physiologus et son interprétation christologique sont mis en parallèle par l'iconographie elle-même sur un flabellum en cuivre doré de la seconde moitié du xne siècle en l'abbaye de Kremsmûnster (Autriche), où l'on voit figurés d'une part un lion et ses petits apparemment mort-nés, de l'autre les saintes femmes au tombeau. Une inscription commente chaque scène, pour la première : QUID LEO VEL CATALUS SIGNENT VIX EXPRIMET ULLUS, « ce que le lion et son petit signifient on peut à peine l'exprimer » et pour la seconde : MYSTICUS ECCE LEO SURGIT BARATRO POPULATO, « voici que le lion mystique se lève de l'abîme qu'il a détruit ». A la fin du xne siècle on retrouve le Physiologus, et le rapprochement qui est fait avec la bénédiction de Jacob (Genèse, XLIX, 9) mise en rapport avec la Résurrection dans le « retable » de Klosterneubourg : la légende épigraphique qui accompagne la bénédiction de Jacob dit que « en nous rachetant l'agneau devient le grand lion de Juda » et Jacob touche de sa baguette deux lions endormis en disant : « Qui le fera lever ? ».

Deux autres exemples explicites sont fournis par des croix du xiiie siècle. Sur un crucifix de l'abbé Henri Ier (1197-1223) à Engelberg figuraient, aux quatre bras de la croix, les médaillons des quatre évangélistes, et avec Marc et le lion on pouvait lire : IN TRIDUO SURGENS LEO FIT DEUS ISTEQUE MARCUS, « le lion représente Dieu qui ressuscite le troisième jour et aussi Marc », et la croix de l'abbaye de Clairmarais à Saint-Omer porte de même l'évangéliste Marc avec le commentaire épigraphique suivant : EFFIGIAT MARCUM LEO CUJUS LITTERA CLAMAT QUANTA SURREXIT VI TUA, CHRISTE, CARO, qui est une citation du Floridus aspectus de Pierre Riga. Le rapprochement devient si évident qu'on ne le commentera plus. Dans un vitrail qui illustre la Résurrection à la cathédrale de Bourges, le lion qui donne vie à d'autres lions a une brève inscription : hoc leo formas, tandis que sur le vitrail du chœur de la cathédrale de Lyon, de 1215-1220, le lion qui souffle sur ses petits n'est plus accompagné que du mot : leo. Cette iconographie sera aussi celle que le Guide de la peinture du xve siècle recommandera aux artistes byzantins pour l'ensevelissement du Christ."

 

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SOURCES ET LIENS.

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—  DURLIAT (Marcel), 1993.. Du texte à l'image: l'exemple du lion. In: Bulletin Monumental, tome 151, n°2, année 1993. p. 429;

https://doi.org/10.3406/bulmo.1993.3374 https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1993_num_151_2_3374

"Du TEXTE À L'IMAGE. L'EXEMPLE DU LION. — Dans la pensée médiévale le lion est un être ambivalent. Parfois il est considéré comme un animal dangereux et même maléfique. Plus souvent sa signification est hautement positive. Cette ambiguïté a peut-être contribué à faire accompagner nombre de ses représentations — celles qui ne sont pas uniquement décoratives — d'inscriptions plus ou moins développées. Dans un article d'un grand intérêt, Robert Favreau montre que celles-ci se réfèrent à des textes empruntés à l'Ancien et au Nouveau Testament, à la liturgie et à des œuvres littéraires, soit qu'elles les citent, soit qu'elles les résument, soit qu'elles les commentent. L'Ancien Testament donne généralement une image négative du lion, principalement à travers des épisodes de la vie de Samson, de David et de Daniel. Le lion dont triomphe Samson symbolise les forces du mal et la mort. Le Samson fortissimus est une figure du Christ fortitudine potentissimus qui a comme lui triomphé de Satan. De la même manière, la pensée chrétienne a interprété le combat du jeune David contre le lion venu lui enlever l'une de ses brebis comme celui du Christ arrachant l'humanité aux griffes et à la gueule du démon. Enfin, le thème de Daniel sauvé des lions — le plus fréquent des trois — est depuis les origines du christianisme un exemple de salut, un motif d'espérance qui l'a fait entrer dans la première liturgie des défunts. Les représentations des figures de Samson et de David triomphant du lion, celle de Daniel dans la fosse aux lions ne demandaient qu'un minimum d'explications, étant immédiatement reconnues. Pour la dernière on se borne souvent à utiliser l'expression lacus leonum « répétée onze fois dans le livre de Daniel ». Le lion demeure un animal dangereux et malfaisant dans les Psaumes. Le verset 22 du psaume XXII (XXI) : Salva me ex ore leoms et a cornibus unicornium humilitatem meam et le verset 13 du psaume XCI (XC) : Super aspidem et basiliscum ambulabts et conculcabts leonem et draconem ont connu une grande fortune dans l'épigraphie parce qu'ils avaient été adoptés auparavant par la liturgie. Le premier constitue un répons du dimanche de la Passion et le second sert de trait à l'office du premier dimanche de Carême. La situation se renverse avec l'Apocalypse, le livre des visions eschatologiques du Nouveau Testament. Le lion n'est plus le mal. Il est devenu son principal ennemi et son vainqueur. Il représente le Christ lui-même. Avec le titre de « Lion de la tribu de Juda », le Christ triomphe de la mort par sa résurrection, alors que son autre image apocalyptique, celle de 1' « Agneau comme égorgé » symbolise sa mort sur la croix. Ce verset Vieil Leo de tribu de Juda radix Jacob (Ap. , V, 5) est lui aussi entré dans la liturgie. « A diverses reprises il est associé au répons Ecce crucem Dominifugite partes adversae dans les offices de l'Invention et de l'Exaltation de la Sainte Croix et du dimanche de Pâques ». Toujours dans l'Apocalypse, un des êtres qui entourent le trône de Dieu est « comme un lion », à l'instar de l'un des animaux de la vision d'Ezéchiel. Saint Irénée ayant appliqué aux quatre évangélistes la vision des quatre animaux d'Ezéchiel et celle des quatre vivants de l'Apocalypse, le lion deviendra le symbole de l'évangéliste Marc. Cependant, si dans l'art du Moyen Age le lion a si fréquemment une valeur positive, c'est surtout à un ouvrage profane, les bestiaires, qu'il le doit. Les bestiaires ont adopté le contenu d'un Physiologus grec, compilé sans doute à Alexandrie au IIe ou au IIP siècle, et traduit en latin dès le IVe siècle. Cet ouvrage condensait le savoir des Anciens sur la « nature » des animaux, mais il véhiculait aussi une pseudo-science issue d'une interprétation aberrante d'observations mal comprises ou supposées. Il comportait en outre un commentaire allégorique et moralisateur. Dans le Physiologus et dans les bestiaires le lion est cité le premier, car il est le roi des animaux. Sa « nature » présente dans le Physiologus trois traits caractéristiques : il dort les yeux ouverts et ne relâche jamais sa vigilance ; il épargne ceux qui sont abattus, c'est-à-dire que, de tous les fauves, il est le seul à montrer de la clémence envers les suppliants ; enfin, et ce n'est pas le moins surprenant, il donne la vie par son souffle et son rugissement aux lionceaux qui, après leur naissance, demeurent sans vie pendant trois jours. Tous ces traits ont contribué à faire du « lion fort » l'image privilégiée du Christ dans l'iconographie et dans l'épigraphie médiévales et plus spécialement en ce qui concerne sa résurrection, sa victoire sur la mort. La signification positive du lion ne cesse de s'étendre, au point de se substituer au sens négatif qui est le sien dans certains épisodes de l'Ancien Testament. C'est la démarche que conseille de suivre Rupert de Deutz, un des maîtres de l'exégèse médiévale. La où ses prédécesseurs voyaient la figure du diable, lui préférait reconnaître la figure du Christ, le « Dieu fort ». Ainsi se trouvait-on en mesure — comme à San Silvestro de Nonantola — de résoudre l'énigme proposée par l'essaim d'abeilles et le miel que Samson, à son retour de Timna, avait trouvé dans la gueule du lion qu'il avait tué : « Qu'y a-t-il de plus doux que le miel et quoi de plus fort que le lion? » (Juges, XIV, 18). Et voici la solution, d'ailleurs déjà trouvée par Paulin de Noie : cette nourriture sauvage est la figure de l'eucharistie, du Dieu fait homme et mort sur la croix, donné en nourriture aux hommes pour leur communiquer la vie. — Robert Favreau, Le thème iconographique du lion dans les inscriptions médiévales, dans Académie des Inscriptions et Belles -Lettres, Comptes rendus des séances de l'année 1991, p. 613- 636."

— FAVREAU (Robert), 1991, "Le thème iconographique du lion dans les inscriptions médiévales", Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres  Année 1991  135-3  pp. 613-636

https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1991_num_135_3_15027

— LE SEAC'H (Emmanuelle), 2014, Sculpteurs sur pierre en Basse-Bretagne. Les ateliers du XVe au XVIe siècle. Presses Universitaires de Rennes.

http://www.pur-editions.fr/couvertures/1409573610_doc.pdf

— LE SEAC'H (Emmanuelle), 1997, Les crossettes et les gargouilles dans quatre cantons du Finistère : Landerneau, Landivisiau, Ploudiry, Sizun. Mémoire de maîtrise d’histoire,  2 vol. 359 p. + 135 p. : ill. ; 30 cm. Non publié.

— ZUCKER (Arnaud), 2007  , « Morale du Physiologos : le symbolisme animal dans le christianisme ancien (IIe-Ve s.) », Rursus [En ligne], 2 | 2007, mis en ligne le 02 décembre 2009, consulté le 28 octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/rursus/142 ; DOI : 10.4000/rursus.142

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Published by jean-yves cordier - dans Gargouilles et crossettes

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  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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