Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec.
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Voir, du même sculpteur :
- Le calvaire (granite et grès arkosique, vers 1500, Maître de Quilinen) de l'église de Mellac.
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Le calvaire (granite, Maître de Quilinen, vers 1500) de l'église de Motreff.
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Le calvaire de Saint-Hernin (granite et grès arkosique, XVIe et XXe siècle).
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Et du Maître de Brasparts, qui s'en rapproche :
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Sur les Credo apostoliques :
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La façade de l'ossuaire de l'enclos paroissial de Sizun et son Credo apostolique. 1585-1588.
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Le Credo prophétique et apostolique et l a maîtresse-vitre de l'église de Quemper-Guezennec (22).1460-1470.
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L'enclos paroissial de Saint-Herbot en Plonévez-du-Faou IV. Le porche sud : les Apôtres. (1498-1509) par le Second atelier du Folgoët .
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La chapelle saint-Jacques de Merléac : la maîtresse-vitre IV : le tympan. (1402)
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Vierge allaitante II : Chapelle Notre-Dame de Kergoat, Quéméneven: I. les vitraux.
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Le porche de Pencran (XVIe siècle) : les apôtres du Credo apostolique.
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Le porche de l'église de Lampaul-Guimiliau II : les Apôtres.
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Le vitrail du Credo apostolique de la cathédrale du Mans, ou baie 217 du transept nord. I. Les lancettes : Credo apostolique et donateurs. entre 1430 et 1435.
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Situation.
Elle correspond, à 125 m. d'altitude, à la source d'un ruisseau qui se dirige vers l'ouest pour se jeter dans le Steir.
Les cartes de Cassini et d'Etat-Major montrent mieux ce relief et ces rapports avec l'hydrographie.
Toponymie : Kilinenn
A. Deshayes renvoie, pour Quilinen, à Quelenen : correspondant au gaulois Celynen, sans doute dérivé de Celyn, "houx" en gallois. Il indique la graphie Quillynen en 1540. Pour l'auteur de l'article Wikipedia "Selon une légende apocryphe, le nom Quilinen proviendrait de "Ki (chien en breton) ar linen (ligne en breton)" car un chien aurait déplacé une ligne tracée au sol pour dessiner le plan de la future chapelle. Bernard Tanguy, dans son "Dictionnaire des noms de communes, trèves et paroisses du Finistère" écrit que le nom "Quillinen" correspond à celui du saint gallois Celynin, honoré à Llanpumsaint, dans le Carmarthenshire, également honoré à Saint-Quilinan-Bihan, à Louargat (Côtes-d'Armor)."
Matériau.
Le calvaire est entièrement en granite (leucogranite sous réserve).
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Datation.
Elle est incertaine. La chapelle elle-même est attestée dans les sources dès 1495 mais elle porte les armoiries épiscopales et la devise de Jean de Lespervez, évêque de Quimper de 1451 à 1472.
Y.-P. Castel donnait, en 1980, pour le calvaire la date du début du XVIe (Atlas), mais s'est prononcé ensuite pour une datation plus précoce "au milieu du XVe siècle"..., "vers 1450" (Vidéo RCF. Rivages), en se basant sur l'absence de l'emploi du kersanton, alors que ce matériau est présent, associé au granite, à Tronoën (1450-1470). Cette hypothèse est reprise par D. Kernaleguen, qui en juillet 2019 (après la restauration du calvaire achevée en janvier 2019, et les recherches qu'elle engendra) indique une datation vers 1450.
E. Le Seac'h donne la date vers 1500 pour les quatre calvaires du Maître de Quilinen (Quilinen, Motreff, Mellac et Saint-Hernin). Quelque soit la date adoptée, l'unité stylistique de ces quatre œuvres est indiscutable et suppose qu'elles se rassemblent dans un créneau temporel étroit.
Ces caractéristiques stylistiques très fortes de ces calvaires peuvent-elles suggérer des datations ?
a) les anges hématophores . On les trouve dès 1450-1470 sur le calvaire de Tronoën. Y.-P. Castel qui en dénombre une quarantaine d'exemple entre le XVe et le XVIe siècles y voit l'influence des Franciscains par le culte des stigmates de saint François et de la prédication des frères mineurs centrés sur la croix. Or l'établissement des Recollets en Finistère date de 1458 (couvent de Cuburien à Saint-Martin des Champs) et de 1507 (Notre-Dame-des-Anges à Landéda). Mais la dévotion au sang du Christ s'écoulant des plaies dans le milieu monastique médiéval est bien plus ancien, comme le montre la Crucifixion de Giotto peinte en 1320, ou celle des fresques de l'Arena de Padoue (1303-1306), où des anges recueillent le sang en voletant. Voir mes commentaires sur le Puits de Moïse de la Chartreuse de Champmol (vers 1400).
Une enluminure de la Somme du roi datant de 1464, montre Isabelle Stuart, duchesse de Bretagne, agenouillée avec ses filles devant la Vierge de pitié, à laquelle elle est présentée par saint François : elle reçoit l'onction du sang des plaies du Christ, car sa poitrine est sur le trajet des lignes rouges sui réunissent un séraphin crucifix, et les stigmates du saint.
C'est ce culte qui s'exprime par le fameuse oraison Anima Christi ...Sanguis Christi inebria me, Aqua lateris Christi lava me, attesté depuis le XIVe siècle dans de nombreux Livres d'Heures pour sa récitation à l'elevacion du corps Nostre Seigneur. Un exemple breton est trouvé dans le Livre d'Heures de Madeuc de Guémadeuc, vers 1500 (J. L. Deuffic, Le livre enluminé en Bretagne), juste après l'enluminure de la Messe de saint Grégoire (f. 121), représentant le miracle par lequel un jet de sang jaillit du flanc du Christ peint sur le retable et remplit le calice posé sur l'autel. (voir un exemple ici)
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b) les livres-ceintures ou livres-aumônières de saint Jean et de saint Barthélémy. Ils sont utilisés au XVe siècle avant leur déclin au XVIe.
c) les détails des costumes. Ce sont eux qui ont permis d'affiner la datation du calvaire de Tronoën. Mais ici, hormis le costume des marmousets qui pourrait nous éclairer, mais ici, nous n'avons ni soldats, ni bourreaux ni personnage civil en costume d'époque.
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C'est, dans tous les cas, l'un des premiers calvaires de Bretagne.
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Dimension.
Hauteur : 6,50 mètres.
Côtés du triangle de base : 5 mètres.
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Numérologie ternaire ou binaire.
Base triangulaire dans laquelle s'inscrivent deux triangles formant une étoile à six branches.
Trois fûts : le fût central et ceux des deux gibets.
Trois sections successives pour le fût central : carrée (4 = terre), octogonale (8 = transition) et ronde (1 =ciel).
Deux groupes successifs de trois marmousets avec leur trois écus.
Trois fois quatre apôtres au premier étage
Trois saints personnages au troisième étage
Trois saints personnages au quatrième étage.
Mais au sommet deux faces de la Rédemption : Mort et Résurrection.
Coiffées par une unique banderole pliée.
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La typologie et la succession chronologique des calvaires de Basse-Bretagne aux XVe-XVIIe siècles.
On nomme calvaire les croix qui adjoignent au Christ crucifié la Vierge et saint Jean, ou bien les deux larrons.
On peut distinguer les petits et les grands calvaires.
Parmi les 15 grands calvaires bretons, il est classique de distinguer 7 calvaires monumentaux (Tronoën, Pleyben, Plougonven, Saint-Thégonnec, Plougastel-Daoulas, et Guimiliau, tous en Finistère, ainsi que Guéhenno en Morbihan). Les autres grands calvaires sont selon Y.-P. Castel p.113 ceux de Kerbreudeur à Saint-Hernin, de Quilinen, de Cléden-Poher, de Lanrivain, de Saint-Venec à Briec, de Kergrist-Moëlou, et enfin de Senven-Lehart.
Le seul Finistère compte près de 3300 croix et calvaires (Atlas) et leur décompte chronologique n'est pas disponible. Les premières datations fiables sont celles d'une croix du cimetière de Scaer en 1400 et d'un petit calvaire de Saint-Gilles en 1409. Y.-P. Castel signale " Les inscriptions du XVe siècle, ne sont guère plus nombreuses. Dater les sculptures de ce siècle se fera par l'analyse des styles. Ainsi se reconnaissent les croix en granit dites du Maître de Tronoën naguère appelé atelier de Scaër. Au XVe siècle se rattachent aussi un certain nombre de sculptures dues à l'atelier du Folgoët, dont les croix se reconnaissent aux fleurons feuillagés parfois assortis d'un dais sommital. Au début du XVIe siècle, éclot la formule du petit calvaire classique, avec ses fleurons-boules, ses statues géminées, ses inscriptions nombreuses, 143 croix et calvaires datés pour le seul Finistère, un chiffre qui augmente légèrement pour le XVIIe siècle avec 156 dates. La chute du XVIIIe siècle, avec 53 croix datées en Finistère, n'en est que plus spectaculaire. "
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Néanmoins, en s'appuyant sur les travaux de Castel (1997) et Le Seac'h (2014), la production de calvaires des XVe au XVIIe siècle en Basse-Bretagne peut être tracée à très gros traits ainsi :
— Les calvaires de l'atelier ducal du Folgoët (1423-1509) : Chapelle de Rumengol (kersantite, 1433-1157) ; Le Folgoët (kersantite, v. 1443), Plomodiern (kersantite, v.1433-1457).
— Les calvaires sous l'influence de l'atelier du Folgoët : église d'Argol (kersantite), église Notre-Dame de Châteaulin (kersantite entre 1450 et 1500), Plougoulm (kersantite, XVe), cimetière de Sibiril (kersantite, XVe).
— Le calvaire de Tronoën (granite, rare kersantite) (vers 1450-1470) et les calvaires du Maître de Tronoën dont Kerbreudeur à Saint-Hernin, Béron et Le Moustoir à Châteauneuf-du-Faou, Le Moustoir (22), Croas-an-Teurec à Saint-Goazec ; Les calvaires du suiveur du Maître de Tronoën (XVe) à Guengat, Croas-Guernévez à Quéménéven, église de Quéménéven, et Langonnet (56)
— Les 4 calvaires du Maître de Quilinen (v.1500) à Quilinen en Landrévarzec (granite), Motreff (granite), Mellac (granite et grès arkosique), Saint-Hernin (grès arkosique) ainsi que la croix de Lothey.
— Les 5 calvaires à maces (massif d'implantation) triangulaires outre celui de Quilinen : à Saint-Vénec en Briec, Kergoat à Quéménéven (fin XV-déb. XVIe), Trois-Fontaines à Gouezec et Confort-Meilars.
— Les 3 calvaires, très inspirés de ceux du Maître de Quilinen, mais utilisant le kersanton, du Maître de Braparts vers 1490-1520) à Brasparts, Loqueffret et Croas Keranguen à Plouénan.
— Calvaire de Saint-Maudez à Edern (XVe)
— Les calvaires du Maître de Laz (v.1527) à Briec, Laz, et Saint-Hernin.
— Les calvaires (kersantite) de l'atelier Prigent de Landerneau (1527-1577), dont Pleyben et Plougonven.
— Les calvaires du Maître de Lanrivain (V. 1548)
— Les 3 calvaires du Maître du Moustoir (v.1550)
— Calvaire de la chapelle N.-D. du Traon à Plouguerneau (1511)
— Calvaire de la chapelle de Locmaria-Lan (1537), et de Lesquelen à Plabennec
— Calvaire de Camaret (1538)
— Calvaire de la chapelle Saint-Eloy de Plouarzel (v.1548)
— Calvaire de Guéhénno (1550)
— Calvaire du cimetière d'Ergué-Gabéric (1553)
— Calvaire de la chapelle de Kerdévot en Ergué-Gabéric (XVIe)
— Calvaire de Kergrist-Moëlou (1578)
— Calvaires de Rungléo à Logonna-Daoulas (v.1578) et de Le Tréhou.
— Les calvaires du Maître de Saint-Thégonnec (1550-1610)
— Les calvaires de l'atelier du Maître de Guimiliau (1575-1589)
— Les calvaires (kersantite) du Maître de Plougastel (1570-1621)
— Les calvaires (kersantite) de l'atelier landernéen de Roland Doré (1618-1663) dont Senven-Léhart, vers 1630.
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L'essentiel est d'abord de visualiser l'emploi de trois matériaux, la kersantite majoritairement autour de la rade de Brest et de la vallée de l'Elorn (Landerneau), le granite et leucogranite ailleurs et notamment en Cornouaille, et le grès arkosique limité au bassin de l'Aulne en amont de Châteaulin.
Puis, pour situer le calvaire de Quilinen, de remarquer que sa datation estimée le place parmi les premiers tandis que sa taille incite à le comparer à celui de Tronoën à Saint-Jean-Trolimon.
Nous le plaçons à l'intersection de trois sous-ensembles :
-chronologique : 2ème moitié XVe.
-stylistique : "maître de Quilinen"
-conceptuel : maces triangulaires.
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VUE GÉNÉRALE.
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La composition est marquée par une réduction de taille des statues en allant vers le haut : les apôtres sont plus grands que le Crucifié.
Un banc fait la transition entre le soubassement et le massif.
Deux triangles sont superposés, le premier plus large que le second, et leurs sommets sont opposés les uns aux autres pour former une étoile.
Le point de vue sur la face principale et occidentale, celle qui est privilégiée dans un calvaire car le Christ en croix y apparaît, est occupée par un arbre volumineux. La face opposée, celle du Christ ressuscité, est visible depuis la route par laquelle arrive le visiteur. Mais la structure en étoile brouille cette vision bipolaire, et pour observer le monument, il faut tourner pour se présenter successivement sur l'une des six faces du double triangle. Et pour constater que les pointes des triangles, qui s'avancent telles des proues, sont souvent de meilleurs points d'observation que ces faces.
Ces déambulations nous font sentir physiquement que ce calvaire est animé d'un dynamisme remarquable.
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Commençons par le coté ouest, devant la base du premier triangle. Nous avons devant nous quatre apôtres du Credo (Pierre et André à droite), plus haut la Déploration, un peu décentrée, et plus haut encore deux groupes de saintes femmes et enfin le Christ en croix, orientés vers notre droite.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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À la pointe nord-ouest du triangle inférieur du monument.
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Aucun personnage n'est orienté sur cet axe, mais il prend la croix en enfilade, et le visage du Christ est tourné vers nous.
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Le coté nord-est du triangle inférieur.
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De ce point-de-vue, quatre apôtres nous font face, ainsi que la Vierge à l'Enfant.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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À la pointe est du triangle inférieur du monument.
Nous faisons face désormais, au sommet du calvaire, au Ressuscité. La règle qui veut que la Résurrection soit tournée vers l'Orient, signe de lever du soleil et du renouveau, est respectée.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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La base sud-est du triangle inférieur, le long de la route.
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Nous nous trouvons devant quatre apôtres, dont Jacques le Majeur à gauche et Jacques le Mineur à droite. Notre regard, qui suit l'axe de la pointe du triangle supérieur, prend la croix en enfilade.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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À la pointe sud du triangle inférieur du monument.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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Sur le plan strictement descriptif, nous avons un calvaire à 47 personnages (en incluant anges et marmousets) disposés selon la succession horizontale suivante :
— 1er étage ou double triangle inférieur : les 12 Apôtres (sur 2 niveaux) sur 12 "marmousets" ou "cariatides",
— 2ème étage ou Triangle supérieur : la Déploration à 4 personnages,
— Fût central à section carrée, puis octogonale, interrompue par une danse de 3 marmousets tenant des écus et formant console pour les statues du 1er étage.
— 3ème étage : Fût central à section ronde, entouré de trois statues féminines en ronde-bosse de la Vierge à l'Enfant, de Marie Jacobé et Marie Salomé.
— 4ème étage : après une nouvelle danse de 3 marmousets tenant des écus et formant console sur le fût cylindrique, trois nouvelles statues, celle de la Vierge et saint Jean (face à l'ouest) et de Marie-Madeleine (face à l'est).
— 5ème étage séparé du précédent par un disque évasé ; le fût forme la croix du Christ crucifié, tourné vers l'ouest, entouré de 2 anges recueillant son sang, tandis que le Christ ressuscité montre la plaie du flanc du coté est. Les deux statues sont taillées en haut-relief dans le même bloc qui forme le fût.
De chaque coté et ne dépassant pas le niveau du 3ème étage, les croix du Bon et du Mauvais Larron avec deux marmousets à leur base.
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Par rapport au calvaire de Motreff, dont la disposition ascensionnelle et à étage est proche, nous trouvons un élément absent (saint Michel terrassant le démon), mais un développement considérable puisque nous passons de 16 personnages à 47 , avec l'introduction des 3 Marie du 3ème étage, et surtout des 12 apôtres avec leurs marmousets-consoles, sur un large soubassement en étoile.
En outre, une différence mineure mais loin d'être minime est la présence, autour des apôtres, de nombreux banderoles, dont les inscriptions, aujourd'hui perdues, ne peuvent être sous-estimées.
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Pour expliquer ce changement et cette ampleur du programme, l'hypothèse pourrait se discuter que les calvaires de Mellac et de Motreff (qui partagent avec celui-ci tant d'éléments stylistiques qu'ils sont attribués au même sculpteur) aient précédé celui de Quilinen qui en est l'aboutissement spectaculaire.
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Je pose aussi l'hypothèse d'un changement d'orientation théologique. Les deux premiers étaient consacrés à la Passion et incitaient les fidèles à la compassion et à la conversion du cœur devant les souffrances du Christ, à la participation émotionnelle avec le chagrin de Marie, Jean et Marie-Madeleine, et à une méditation mystique sur le sang versé pour la Rédemption de l'Humanité. Des thèmes très présents, on l'a vu, dans la tradition monastique médiévale.
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La nouveauté principale, l'introduction des 12 Apôtres, incite à voir ce calvaire comme un Credo Apostolique, c'est à dire l'énonciation des 12 articles du Symbole des Apôtres exposant les vérités de la Foi et le résumé de l'Histoire du Salut. Si on en doutait, (puisque les 12 articles, attribués chacun à un apôtre, sont effacés), on se reportera aux autres grands calvaires triangulaires, et notamment à celui de Saint-Vénec, dont les statues portent sculptés sur des phylactères les articles en question (les autres calvaires triangulaires sont ceux de Trois-Fontaines en Gouezec, aux 12 niches désormais vides, et de Confort-Meilars, où les statues des apôtres aux phylactères ont été transférés sur la façade occidentale de l'église).
"Calvaires aux apôtres et. .. non point apôtres au calvaire, car sur la colline du Golgotha, Jean fut le seul des Douze à braver le cordon des soldats et des gardes. L'envoi en mission des apôtres et leur martyre leur donneront le droit de figurer sur les calvaires. L'Esprit de Pentecôte balayant les peurs, la tradition les montre portant chacun au Monde un des articles du symbole des Apôtres, le condensé de la foi chrétienne. Carhaix, Plouhinec, Melrand, accrochent ainsi douze masques le long de leurs fûts. Pléchâtel accorde aux apôtres une figuration en pied dans douze niches ogivales soulignées du nom qui les désigne sans erreur. À Quilinen, leur taille grandit et Saint-Vennec grave sur chaque phylactère un article du Symbole. Ailleurs, la mace architecturale réserve douze niches, souvent vides comme à Kerdévot, en Ergué-Gabéric, à Trois-Fontaines en Gouézec [et Confort-Meilars]." (Castel 1997 p.161)
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Cette hypothèse interprétative fondée sur le Credo permet d'expliquer la présence du 3ème étage où la Nativité (Vierge à l'Enfant) introduit le dogme de l'Incarnation (et la conviction, qui n'est pas encore un dogme, de la Virginité et de l'Immaculée Conception).
Elle permet aussi, et ce n'est pas accessoire, de donner enfin une explication convenable à la disposition en double triangle en y voyant la métaphore de l'envoi vers l'Apostolat. Il faut "raconter" ce calvaire en débutant par l'Incarnation et l'Immaculée-Conception —j'y reviendrai—, en poursuivant par la Crucifixion et la Mort (Déploration), puis par la Résurrection et par Marie-Madeleine, premier témoin de celle-ci, avant de redescendre à ce qui correspond à la Pentecôte ou au temps, terrestre, de l'Église, c'est à dire à la mission confiée aux 11 apôtres par Jésus lors de son apparition : "Allez, faites de toutes les nations des disciples" (Mt 28:19) ou "Allez par tout le monde, et prêchez la bonne nouvelle à toute la création" (Mc 16:15) ou "Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie" (Jn 20:21). Donc une lecture non plus ascensionnelle, mais de haut en bas. (Ou "ascensionnelle" par rapport à l'Ascension, qui suit l'envoi des apôtres dans Luc 24:49-51)
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La disposition des 12 apôtres sur les axes radiants de l'étoile dont le Christ incarné, mort et ressuscité est le pilier central correspond donc à l'Envoi et à l'éclatement universel du ministère apostolique, dans une inversion du concept précédent : la méditation centrifuge sur le sang versé s'inverse dans un élan centripète vers le Monde. Je prends ainsi, — sans le vouloir !—, le contre-pied de l'opinion d'Henri Quéfellec lorsqu'il écrivait : "Avec une extraordinaire puissance, il met l'accent sur la verticalité, sur le détachement d'avec le monde".
Toute croix est un omphalos, un axis mundi , un arbre-monde (et la croix du Golgotha est depuis sainte Hélène rapprochée de l'Arbre de la Connaissance) qui centre un enclos paroissial — ou le territoire d'une communauté dans le sens du rassemblement, et lui fournit le but d'une visée commune ; mais ces calvaires stellaires et apostoliques complètent cette fonction par une incitation au départ, à l'extériorisation vers le Monde et les Autres, et — pour l'Église — à l'apostolat et l'évangélisation : un changement de paradigme qui n'eut pas de suite, mais qui s'illustre encore en constatant que toutes les statues des Apôtres, et celles des saints personnages, sont tournés vers l'extérieur selon des axes radiants (alors que les Apôtres auraient pu être tournés vers la Croix et contempler le Christ).
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Un peu plus tard, dans de très nombreuses églises et chapelles bretonnes, les 12 statues des Apôtres portant leur article du Credo seront placées à l'entrée du sanctuaire, de part et d'autre du porche sud, comme un parcours transitionnel avant le bénitier, l'affirmation des articles de la Foi et le signe de croix allant de paire pour les fidèles.
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Voir ici sur ce thème du Credo apostolique, parmi beaucoup d'autres, ces articles.
- Le vitrail du Credo apostolique de la cathédrale du Mans, ou baie 217 du transept nord. I. Les lancettes : Credo apostolique et donateurs.
- Le Credo prophétique et apostolique et la maîtresse-vitre de l'église de Quemper-Guezennec (22).
- Vierge allaitante II : Chapelle Notre-Dame de Kergoat, Quéméneven: I. les vitraux.
- La verrière occidentale de la cathédrale de Metz (1384)
- L'enclos paroissial de Saint-Herbot à Plonévez-du-Faou IV. Le porche sud (1498-1509) par le Second atelier du Folgoët : les Apôtres et le Credo apostolique.
- Les Apôtres (1624-1626) du porche sud de l'église de Plomodiern.
- Le porche de l'église de Lampaul-Guimiliau II : les Apôtres, la Vierge et les Saints (kersanton, vers 1533).
- La Collégiale Notre-Dame du Folgoët. III. Le Porche des Apôtres. (1423-1433)
- L'église Notre-Dame de Rumengol . III. Le porche sud (vers 1468).
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L'église Saint-Salomon de La Martyre. I. L'Arc de Triomphe et le Porche sud. (1450-1468).
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L'enclos paroissial de Saint-Herbot en Plonévez-du-Faou IV. Le porche sud : les Apôtres(1481).
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Le porche de l'église de Landivisiau III. Les apôtres et leur dais.(1554-1565)
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Sculpture sur pierre de l'Abbaye de Daoulas. I. Le Porche aux Apôtres (1566).
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Le porche sud et la porte sud de l'église Saint-Houardon de Landerneau.
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L'église de Guipavas III : les Apôtres du porche nord (1563).
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Pour présenter ma vision du calvaire de Quilinen, je le décrirai en débutant par le 3ème étage de l'Incarnation et je terminerai par l'envoi des Douze.
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LE TROISIÈME ÉTAGE : LA VIERGE À L'ENFANT ET SES DEUX "SOEURS".
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Ce troisième étage réunit, sur les consoles formées par les têtes des marmousets, trois femmes dont la Vierge à l'Enfant. Il s'agit des "Trois Marie", selon un thème médiéval associant les Saintes Femmes des textes évangéliques et la légende de la Sainte Parenté (Légende Dorée de Jacques de Voragine, XIIIe siècle). Selon celle-ci, sainte Anne serait non seulement la mère de Marie (la Vierge), mais aussi de Marie Jacobé et de Marie Salomé.
—La Vierge Marie serait née miraculeusement de la rencontre sous la Porte Dorée de Jérusalem d'Anne et de son mari Joachim, un couple frappé de stérilité ; cette conception par un baiser ou une étreinte permet à la Vierge d'échapper au Péché originel, c'est l'Immaculée-Conception, proposée par les Pères de l'Église, très en vogue au Moyen-Âge notamment par les Franciscains et à Rouen, mais combattue, avant de devenir un dogme en 1854.
— Marie Jacobé serait née du deuxième mariage de sainte Anne avec Cléophas. Elle aurait épousé Alphée et aurait donné naissance à trois apôtres Jacques le Mineur, Simon et Jude, ainsi qu'à Joseph le Juste.
— Marie Salomé serait née du troisième mariage de sainte Anne avec un homme nommé aussi Salomé. Elle serait la femme de Zébédée et la mère des deux apôtres Jacques le Majeur et Jean, qualifiés dans l'évangile de "fils de Zébédée".
Les Saintes Femmes des évangiles sont Marie de Magdala (assimilée à Marie-Madeleine), Marie mère de Joset et de Jacques ou Marie femme de Cophas (assimilée à Marie Jacobé) et Salomé (assimilée à Marie Salomé) : elles sont présentes au Golgotha lors de la mort du Christ (Mc 15:40 et 15:47 : Jn 19:25) :
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Mc 15,40 : « Il y avait aussi des femmes qui regardaient à distance, parmi elles Marie de Magdala, et Marie, mère de Jacques le petit et de Joset, et Salomé… »
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Mc 15,47 : « Or Marie de Magdala, et Marie, mère de Joset regardaient où on l’avait mis.»
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Jn 19,25 : « Près de la croix se tenaient sa mère, la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala. »
Elles sont également présentes (ou Marie de Magdala seule) au Sépulcre pour embaumer le corps du Christ, et un ange leur annonce, devant le tombeau vide, la Résurrection :
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Mt 28,1 : « Marie de Magdala et l’autre Marie vinrent visiter le sépulcre. »
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Mc 16,1 : « Lorsque le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé, achetèrent des aromates, afin d'aller embaumer Jésus. »
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Lc 24,10 : « Celles qui dirent ces choses aux apôtres étaient Marie de Magdala, Jeanne, Marie, mère de Jacques, et les autres qui étaient avec elles. »
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Le terme de "Trois Marie" peut certes désigner Marie-Madeleine, Marie Salomé et Marie Jacobé, souvent représentées devant la Vierge à l'Enfant. Mais il réunit aussi (de façon non exclusive) les "trois sœurs de noble lignage" que sont la Vierge, Marie Salomé et Marie Jacobé.
Le thème des Trois Marie est attesté à Gouezec aux Trois-Fontaines (l'une des fontaines porte le nom de fontaine des Trois Marie).
Le vitrail de la chapelle Saint-Fiacre du Faouët, daté de 1550, est consacré à la Sainte Parenté.
Une gwerz des Trois Marie est collecté par Luzel à Pluzunet en 1867 :
https://fr.wikisource.org/wiki/Chants_populaires_de_la_Basse-Bretagne/Les_trois_Marie
Des chapelles leur sont consacrées à Vitré, Bécherel ou Montsûrs.
Le culte est aussi attesté autour de Rouen au XVe et XVIe siècle (y compris sous la forme d'un Arbre de Parenté analogue aux Arbres de Jessé), ou à Bruges vers 1500 :
- La verrière des Trois Marie ou de la Parenté de la Vierge (Arnoult de Nimègue, vers 1510-1515), ou baie 18 de l'église de Louviers.
- Les vitraux du XVe siècle de la cathédrale d'Évreux : la baie 213 (1450) "des trois Marie" offerte par Pierre de Brézé et Robert de Floques.
- Le vitrail de l'Arbre de Sainte Anne, 1520-1530, vitraux de l'église Saint-Vincent de Rouen reposés dans l'église Sainte-Jeanne-d'Arc.
- Le retable de l'Arbre de la Sainte Parenté de la cathédrale Saint-Sauveur de Bruges.
Ici, à Quilinen, Marie-Madeleine est placée au 2ème étage sous le Christ ressuscité ; il semble peu logique de la reconnaître aussi dans ce groupe.
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Un emplacement charnière.
Les trois filles de sainte Anne témoignent de la maternité et de la nativité : elles débutent l'histoire de la Vie de Jésus. Les trois femmes sont présentes au pied de la Croix, puis au Sépulcre : elles sont liées aux deux scènes du 4ème et 5ème étage, la Mort et la Résurrection, ainsi qu'au 2ème étage, la Déploration.
Mais Marie Salomé et Marie Jacobé, comme mères de 5 des 12 apôtres, sont reliées aussi au premier étage, l'envoi des Apôtres.
Toutes les deux font un geste de la main droite désignant l'espace qui les sépare.
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LA VIERGE À L'ENFANT : L'INCARNATION.
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Elle fait face à l'est, au premier étage du fût. Elle est couronnée et voilée, et porte l'Enfant sur son bras droit. Ce dernier est nu, et tient une boule dans la main droite.
Le voile est en réalité le manteau, et celui-ci descend verticalement du coté gauche, tandis que le pan droit fait retour vers le coté gauche de la taille, où il est vraisemblablement attaché par une agrafe, avant de tomber en tablier par une cascade de plis obliques.
Le visage incliné sur la droite mais légèrement tourné à gauche fait une moue triste ou dubitative, comme pour témoigner de sa connaissance du destin tracé pour son Fils. Ainsi, elle annonce déjà le niveau supérieur : la Passion.
Elle renvoie au troisième article du Credo : "il est né de la Vierge Marie".
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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MARIE JACOBÉ ?
Rien n'indique qui est Jacobé et qui est Salomé : désignons arbitrairement celle de droite comme Jacobé.
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Autre hypothèse, qui est séduisante : ce serait la Vierge Marie avec ses cheveux non voilés (comme celle de l'Annonciation) et sa voisine, qui est voilée, serait sa mère sainte Anne (dans son geste typique de la Porte Dorée). Nous restons encore dans la représentation d'une Sainte Parenté.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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MARIE SALOMÉ ?
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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CINQUIÈME ÉTAGE, COTÉ OUEST. LE CHRIST CRUCIFIÉ.
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Le Crucifié a la tête penchée vers la droite (le coté où se trouve sa Mère) mais il est aussi tourné vers ce coté, par une rotation de la jambe gauche qui avance l'hémi-bassin gauche, et se poursuit au niveau de l'abdomen (comme en témoigne la position du nombril), du thorax (par l'épaule qui est plus haute et antérieure de ce coté), et de la tête, très fortement tournée.
Les bras sont fins, les jambes sont longues et effilées, se confondant avec le fût, avec des cuisses presque malingres. Au contraire, le ventre est rond, dilaté, et projeté en avant par la cambrure.
Les trous des plaies des mains traversent entièrement la branche de la croix, et se retrouvent visibles sur le coté opposé. Les extrémités de la croix sont aplaties et convexes en forme d'écu.
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"Les bras de la croix ronds se terminent par des fleurons en forme d’écus qui à l’origine devaient porter des armoiries peintes. On s’étonnera peut-être de voir au revers de la potence horizontale deux trous qui témoignent sans doute de quelque remontage. Le Christ est serein. Pagne serré bien médiéval, il étend les bras. Quant aux anges « hématophores » ainsi nommés parce qu’ils recueillent le sang dans des calices, celui de gauche aux deux coupes tend l’une vers la plaie du côté. Au somment de la croix, le titulus porte les lettres INRI, (initiales du motif de condamnation imposé par Pilate qui déclara devant les objecteurs : « ce que j’ai écrit, je l’ai écrit ! » (Jésus Nazaréen Roi des Juifs) (Jean, 19, 22). Les caractères gothiques sont en relief sur une large banderole flottante. Celle-ci se rabat sur l’arrière de la branche haute de la croix, un mouvement relativement rare qui est à ajouter aux particularités relevées sur le calvaire de Quilinen. (Lubin et Castel)
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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Le titulus.
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Il est remarquable par sa forme, qui n'est pas celle d'un écriteau placardé au sommet, mais d'une banderole, repliée quatre fois puisqu'elle débute derrière la tête du Crucifié, se plie alors pour présenter les quatre lettres INRI en masquant le haut du fût, se plie à nouveau pour contourner le sommet et revenir du coté opposé où elle se replie une dernière fois derrière la tête du Christ ressuscité. Elle masque, de ce fait, la branche haute de la croix, et celle-ci adopte la forme d'un T, coiffé de ce voile.
Cette forme très originale se retrouve à Motreff et Mellac, ainsi qu'à Brasparts. Elle évoque un linge liturgique (le pale placé au dessus du calice de l'Eucharistie ?), ou encore ces étoffes de respect et d'honneur par lesquelles les anges portent les instruments de la Passion. Son trajet reliant la tête du Crucifié et celle du Ressuscité lui confère la valeur d'un discours théologique. Mais sa largeur et sa taille lui donne le statut d'un oriflamme, l'allure glorieuse d'un drapeau kérygmatique.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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Les anges aux calices (anges hématophores).
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Ils sont vêtus d'une longue tunique dont la partie basse bouillonne en s'ancrant au fût de la croix, tandis que leur corps est stylisé en arc de cercle pour rejoindre, à l'extrémité de la traverse, la plaie de chaque main du Crucifié. L'ange de droite tend aussi un calice vers le flanc droit.
La croix avec ses deux traverses, son support, le Crucifié, le Ressuscité, et les deux anges sont taillés dans un seul blog de granite, et on imagine la taille du monolithe initial, et la délicate tâche effectuée par le sculpteur.
Ils forment avec la croix une forme quasi graphique, comme la lettre grecque Psi, barrée.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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QUATRIÈME ÉTAGE : LA VIERGE ET SAINT JEAN (AU PIED DE LA CROIX).
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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La Vierge.
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La Vierge au pied de la Croix porte comme c'est l'usage le voile et la guimpe ; elle croise ses bras devant la poitrine en signe d'affliction. La bouche est concave.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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Saint Jean.
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La statue a perdu sa tête, mais nous pouvons l'imaginer en nous basant sur les statues homologues de Motreff et de Mellac. Comme sur ces deux calvaires, Jean porte le Livre dont il est le rédacteur (l'Évangile selon saint Jean) dans un étui qui se resserre en boule, permettant de le tenir dans une main. La ferrure de la reliure est nettement visible.
Ce "livre-ceinture" appartient au vocabulaire stylistique du Maître de Quilinen ; nous le retrouvons sur la statue de Jean comme apôtre, et aussi sur celle de l'apôtre Barthélémy.
Je renvoie à mon article sur le calvaire de Mellac pour l'étude de ce livre-ceinture.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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DEUXIÈME ÉTAGE, COTÉ OUEST. LA DÉPLORATION À QUATRE PERSONNAGES.
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C'est ici une Déploration à quatre personnages que nous pouvons comparer à celles de Mellac de Motreff et de Brasparts.
Nous constatons d'abord qu'elle n'est pas orientée dans l'axe du crucifix, mais vers sa droite, dans l'axe de la pointe du triangle supérieur ; et que les personnages sont inclinés vers ce coté.
Nous voyons aussi que ces personnages sont debout, ou plutôt qu'ils le semblent, car la Vierge est peut-être à demi-assise sur un bloc qui est visible en se plaçant derrière le groupe (et qui peut n'être que sa robe) C'est également le cas à Mellac et Motreff et encore d'avantage à Brasparts, tandis que dans la majorité des Vierges de Pitié et Déploration du Finistère, la Vierge est assise ou agenouillée.
De ce fait, la Mère ne porte pas son Fils sur son genou fléchi, il n'est tenu (ou retenu d'une chute annoncée) que par Jean, qui tient le bras droit, par la main sans force de Marie, placée sous l'aisselle, et par Marie-Madeleine, qui tient le bras gauche. Le déséquilibre qui contraste avec la position hiératique et figée crée un effet poignant, car le Christ en chancelant ébranle le spectateur, même à son insu.
Le corps du Christ est efflanqué, le thorax aplati, les épaules rentrées, les bras décharnés, et nous retrouvons le ventre dilaté du Crucifié. La tête tombe sur le coté, et n'est qu'à peine retenue par l'avant-bras de Jean. Le visage n'est pas arrondi, à la différence de la plupart des visages de ce sculpteur, et une barbe pointue accentue cela. Les cheveux forment d'épaisses mèches devant les épaules. L'impression générale est celle d'un effondrement.
Jean, aux traits et à la chevelure nattée féminine, regarde ailleurs, en direction de Marie.
La Vierge a, comme il se doit, la tête couverte d'un voile qui descend au dessus des reins. L'érosion du granite m'incite à être prudent dans la description de ses traits.
Marie-Madeleine a les cheveux libres, et l'image prise de l'arrière en montre la longueur. Son pot d'aromates, qui l'identifie, est bien là, aux pieds du Christ. Son élégance vestimentaire ne s'évalue bien, aujourd'hui, que par la dentelle de ses poignets.
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" Saint Jean et Marie Madeleine encadrent la Vierge qui vient de recevoir le corps du Christ descendu de la croix. Elle s’appuie à un bloc de pierre qui se voit pour qui observe le groupe sur l’arrière entre le fût de la croix et la statue de saint Thomas. La Vierge des douleurs soutient de la main droite le corps de son divin Fils. Jean de son côté saisit de manière ferme le bras de Jésus, un geste assez peu courant dans ce genre de représentation. Quant au Christ lui-même son corps se raidit tendu tel un arc, comme si Jean et la Vierge ne se résolvaient pas à le montrer abandonné, vraiment mort, désarticulé, comme on peut le voir dans tant d’autres pietà. On admirera au passage la délicatesse des plis de la tunique de la Vierge qui se déploient en motif étoilé à l’arrière du buste du Christ." (Lubin et Castel)
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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CINQUIÈME ÉTAGE, COTÉ EST. LE CHRIST RESSUSCITÉ MONTRANT SA PLAIE.
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Dans la logique d'une structure en spirale, échappant à la symétrie binaire et frontale, le Christ est tourné vers la droite, dès la position des pieds. Il lève le coude pour désigner de la main ouverte la plaie du coté droit. L'artiste utilise ainsi la face postérieure de l'ange de la Croix pour y sculpter l'avant-bras, puisque je rappelle que les deux Christ, la croix et les anges sont taillés dans un bloc monolithique. Le geste de bénédiction, et d'ostentation de la plaie, par la main gauche, et le visage, accentuent la rotation vers la droite. Le visage est très humain, et la bouche, quoique concave, semble sourire. Le Ressuscité porte, sous un ventre dilaté, un pagne dont les pans et les plis se croisent au centre. Le manteau couvre l'avant des épaules et retombe jusqu'à mi-jambe. Le corps est étiré en hauteur et les jambes sont fines.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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QUATRIÈME ÉTAGE, FACE EST : MARIE-MADELEINE.
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(rappel : on trouve à l'ouest Marie et Jean au pied de la Croix)
Elle tient de la main droite le flacon d'aromate (cylindrique et à couvercle à boule) et place sa main gauche paume en avant, comme Marie Salomé précédemment. Ce geste et sa posture générale n'est pas celle de Marie-Madeleine au pied de la Croix (où elle est éplorée, les yeux levés, et où elle tord ses mains en signe de chagrin). C'est pourquoi je la place, dans ma description, après la Résurrection, et je suis convaincu que c'est délibérément que l'artiste l'a placé du coté oriental. Son geste paume en avant est celui de l'émerveillement face au Tombeau vide (comme pour Marie Salomé). On sait que Marie-Madeleine est, dans les évangiles, le Premier Témoin de la Résurrection, lors de la scène de la rencontre avec Jésus qui lui apparaît en jardinier, puis lui dit noli me tangere, "ne me touche pas". Indirectement, la paume en avant reflète cette exigence de réserve et de recul propre à cette scène.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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LES LARRONS SUR LEUR GIBET.
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Les larrons, les bras passés au dessus des potences en tau et les poignets et la cheville droite liés en arrière par des cordes, se tordent dans les affres de l'agonie. Comme dans les enluminures du début du XVe siècle, comme à Motreff et Mellac, et comme cela sera souvent repris sur les calvaires bretons postérieurs, la jambe gauche est fortement fléchie pour témoigner du verset de l'évangile de Jean chap.19 mentionnant que Pilate ordonna qu'ils eurent les jambes brisées afin de provoquer leur mort : "Aussi les Juifs demandèrent à Pilate qu'on enlève les corps après leur avoir brisé les jambes. Les soldats allèrent donc briser les jambes du premier, puis de l'autre homme crucifié avec Jésus. Quand ils arrivèrent à Jésus, voyant qu'il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes.". En effet, les suppliciés, ne pouvant s'appuyer sur leur jambes pour respirer, meurent par suffocation.
La jambe droite et les deux bras sont liées au gibet par un cordage dont le nœud parfois gancè est soigneusement détaillé.
Ils ont le crâne rasé ; ils portent une culotte à rabat formant braguette. Le Bon Larron regarde Jésus, le Mauvais s'en détourne. Il est plus contorsionné, le dos en hyperextension ou opisthotonos.
On les trouve également, avec quelques différences, à Saint-Hernin et à Mellac tandis que le calvaire de Motreff ne montre plus que la base des gibets mais non les personnages.
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"Dans leur position acrobatique, le traitement du mouvement des larrons, malheureux condamnés décharnés, témoigne de l’audace de l’ « imagier ». Son habileté se joue du granite avec une virtuosité incomparable. Les corps des suppliciés se tordent, renversés par-dessus la potence du gibet, les mains liées derrière le dos. Dans le travail du sculpteur il y a aussi de la finesse. Il suffit de suivre le jeu de la cordelette au pied du mauvais larron. Elle vient avec un nœud de cabestan bien observé s’enrouler sur le gibet, et l’on voit son extrémité s’enfiler sous la boucle qui maintient le pied serré contre le fût. Quant à la cordelette de la jambe qui libérée par la douleur, se replie sur elle-même on en voit pendre les brins finement sculptés." (Lubin et Castel)
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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Le Bon Larron.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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Le Mauvais Larron.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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LES "MARMOUSETS" ET LES ANGES DES DEUX NOEUDS DES FÛTS.
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Le fût est d'abord octogonal, sur deux mètres environ, puis il devient cylindrique et un premier nœud marque ce changement. Trois personnages y forment les supports des trois statues que j'ai nommé ici "les Trois Marie". Dans cette fonction d'atlantes, ce sont des petits messieurs au ventre proéminent, coiffés et vêtus comme des écuyers, et qui forment une ronde en se prenant par le poignet, les bras dressés. Le père Castel, qui leur trouve une allure grotesque, les qualifie du terme de "marmousets", que je reprends puisqu'il est consacré. On les retrouve en leitmotiv sur les autres réalisations du Maître de Quilinen et de son successeur le Maître de Brasparts.
Un deuxième trio supporte plus haut, les statues de la Vierge, de Jean et de Marie-Madeleine. Ils sont bien différents, et leur tunique plissée sans ouverture d'encolure, ou leur sveltesse évoque la représentation habituelle des anges, quoiqu'ils soient aptères. Ils nous présentent des écus, muets mais qui devaient être peints.
Plus haut encore, le fût s'affine, après une virole tulipée, pour devenir la croix du Christ.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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1. Les marmousets du premier étage.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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1. Les anges du deuxième étage.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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LES DOUZE APÔTRES, UN CREDO APOSTOLIQUE. PRÉSENTATION.
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L'association des douze apôtres, placés dans un ordre canonique, avec des phylactères portés par les saints eux-mêmes dans au moins cinq cas, ou par les anges qui leur servent de supports, impose de voir ici un Credo apostolique, représentation assez réglée, depuis Saint Augustin dans les textes et depuis le XIIIe siècle en iconographie, d'une attribution à chacun des douze apôtres de l'un des douze articles du Credo, ou Symbole des Apôtres.
Les douze articles se suivent dans un ordre immuable. L'attribution des articles est codifiée, mais on observe quelques variantes. Par contre, l'identification des apôtres par leur attribut (la clef de Pierre, la croix de saint André), quoique qu'elle soit constante pour les personnages princeps, est plus souple. L'un des documents de référence est la figure des Calendriers des bergers, accompagnée du texte du Credo. Mais ces Calendriers ou Compost ont été imprimés (et très diffusés) de 1491 à 1589 à Paris, Genève, Lyon, Rouen et Troyes, non sans des variations, voire des confusions. Auparavant, il faut rechercher les références par exemple dans les images classificatrices du Verger de Soulas BnF 9220, du XIIIe siècle, ou dans le Bréviaire de Belleville (1323-1326).
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Ce qui m'importe de souligner, c'est que, si nous admettons la date de 1450 pour ce calvaire, il s'agit d'une présentation précoce de ce thème iconographique en Bretagne dans la statuaire avant qu'elle ne devienne presque la règle à partir du début du XVIe siècle et jusqu'au XVIIe siècle, mais en désertant les calvaires et en se transférant aux porches des sanctuaires. Quilinen pourrait être un essai, qui a été réajusté vers les porches : on passe alors d'une circumambulation à un passage entre deux rangs.
Certes, il existe d'autres calvaires à Credo apostolique : celui de Saint-Vénec en Briec, et celui de Confort-Meilars. Mais le premier possède des points communs avec Quilinen (son soubassement en étoile ; l'appartenance à la même paroisse initiale).
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Le Credo apostolique, un ars memoriae.
On regarde ces successions d'apôtres et leurs banderoles de manière différente si on comprend qu'il répond à un souci de faire réciter au fidèle, mais surtout de lui faire mémoriser et ressentir les douze articles, fondement de la Foi.
En effet, au début de la Renaissance, les théologiens et humanistes re-découvrent les techniques de mémorisations exposées, pour servir à la Rhétorique, attribués à Simonide de Céos, dans les écrits de Cicéron, de Quintilien ou de la Rhétorique à Herennius. Il s'agit de créer des lieux ou palais de mémoire, "loci", divisés en sites que la vue retient facilement, et que l'orateur associe aux parties successives de son argumentation. Lorsqu'il doit l'exposer, il parcourt mentalement ce monument, et revoit les images des endroits où il a placé ses arguments. Pour cela, il faut certes un lieu, mais aussi une déambulation. Daniel Arasse, traducteur de l'ouvrage fondamental de Frances Yates, The Art of Memory (1966) a fait connaître l'importance de cette technique en peinture, non seulement comme aide-mémoire, mais pour convaincre et émouvoir. Il n'est pas indifférent à notre réflexion qu'il nous donne en exemple la Cène de Léonard de Vinci, avec ses apôtres.
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Ici, la déambulation inscrit l'image des statues dans le corps et l'esprit ( c'est cette association des stimuli kinesthésiques, voire intéroceptifs, des émotions visuelles et d'une narration qui en permet l'ancrage, tandis que les jeunes visages et les gestes insistant des anges désignant le texte (hélas effacé aujourd'hui) des banderoles y associe les fondements de la foi en "formulettes" mnésiques.
La formule vers lequel la sculpture va évoluer, celle du franchissement d'un seuil, entre les deux rangs de six apôtres des porches, chacun des personnages, et donc des arguments, occupant une niche, a du s'avérer plus puissante encore, et cela me paraît être le cas.
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LES 12 APÔTRES.
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Ils sont disposés, par deux (les apôtres sont alors adossés) à chaque pointe du triangle inférieur, et, par statue individuelle plus haute, sur les cotés de ce triangle.
En tournant dans le sens inverse des aiguilles d'une montre :
Saint Pierre, en hauteur sur la droite du coté Ouest
Saint André et Saint Jacques le Majeur, adossés à la pointe Sud-Ouest.
Saint Jean puis saint Matthieu, en hauteur sur le coté Sud-ouest.
Saint Jacques le Mineur et saint Philippe, adossés à la pointe Est.
Saint Barthélémy et saint Thomas, en hauteur sur le coté Nord-est
Saint Simon et saint Jude, adossés à la pointe Nord-ouest
Saint Mathias, en hauteur sur la droite du coté Ouest.
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Note. Seuls les saints Pierre, André, Jacques le Majeur, Jean, Jacques le Mineur, Philippe, et Barthélémy, sont identifiés avec certitude, et Thomas et Simon avec une bonne probabilité.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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1. Saint Pierre.
Premier article du Symbole des Apôtres : Credo in Deum patrem omnipotentem, creatorem cœli et terrae. "Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre"
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Il tient dans la main droite et contre son épaule une grosse clé dont l'anneau est losangique et le panneton savamment dentelé. Le livre (qui renvoie au Livre des Apôtres) est tenu fermé de la main gauche, tranche vers le haut.
La barbe, caractéristique du style du Maître, est, comme la chevelure, faite de boules serrées. Une autre caractéristique tient à la forme des sourcils, deux arcs très développés formant un auvent sous lequel les yeux paraissent creusés dans les orbites. Le nez des apôtres est large, épaté ; les lèvres dont les commissures sont légèrement tombantes, sont plus ou moins visibles.
Pierre est vêtu d'une robe et d'un manteau descendant si bas que les pieds (nus en principe) ne sont pas visibles. La robe est fermée par un bouton rond devant la poitrine, tandis que la fente de la manche est fermée par deux boutons ronds. Le manteau, qui ne couvre que l'épaule gauche, revient en large pan d'où émerge le poignet gauche.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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Le marmouset ressemble à ceux du fût du calvaire, avec son visage très rond, ses cheveux en masses latérales, sa fonction de console, son torse dilaté et ses bras écartés. Il maintient une banderole repliée sur elle-même, et semblable à celle du titulus. Aucune inscription n'y est portée, mais il est vraisemblable qu'un texte y était peint. Mon hypothèse est qu'il s'agissait du premier article du Credo, en français ou en latin.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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2. Saint André.
Deuxième article : Et in Jesum Christum, Filium ejus. "Et en Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur"
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Il tient ferme à deux mains la croix en X à la croisée de laquelle pend une pièce d’étoffe (le pan de son manteau, ou plutôt la banderole portant jadis l'article du Credo).
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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André est placé dos à dos avec saint Jacques le Majeur.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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La face sud-est et ses quatre apôtres.
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3. Saint Jacques le Majeur.
Troisième article : Qui conceptus est de Spiritu Sancto, creatus ex Maria Virgine. "Qui a été conçu du Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie "
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Il tient des deux mains son livre ouvert, ce qui l'oblige à serrer son bâton (le fameux bourdon des pèlerins de Compostelle) entre poignet et poitrine. Un autre de ses attributs est la besace, suspendue à la ceinture et timbrée de la coquille Saint-Jacques.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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4. Saint Jean et sa coupe de poison.
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C'est bien à Jean qu'est confié le quatrième article : Passus sub Pontio Pilato, crucifixus, mortuus et sepultus est. " A souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort, a été enseveli."
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On l'identifie d'une part car c'est le seul des apôtres à être imberbe, et d'autre part car il tient en main gauche une coupe rappelant qu'il montra ses pouvoirs en buvant, sans en souffrir, le poison que lui tendait Aristodème, grand prêtre du temple d'Artémis à Éphèse (Matthieu 20:20-24 et Marc XVI :17-18) .
La console qui soutient saint Jean est faite d’un petit personnage, le poing gauche à la hanche l’index droit montrant sur une large banderole aux souples replis, un texte lisible avant que le calvaire ne perde sa polychromie.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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5. Saint Matthieu.
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Traditionnellement, c'est Thomas qui occupe la cinquième place, correspondant à l'article : Descendit ad inferna. Tertia die resurrexit a mortuis. Thomas porte comme attribut l'équerre, ou (sur les Calendriers des bergers) la lance. La statue du saint que nous voyons en cinquième place ne peut pas être identifiée, en l'absence de tout attribut. D'autre part, elle peut avoir été placée ici lors d'une restauration. J'ai suivi l'identification du père Castel :
"N°5. Saint Matthieu se distingue par le livre de son évangile et un phylactère tombant droit sur lequel jadis s’inscrivait peint quelque verset du Symbole des Apôtres." (Lubin et Castel)
Mais le livre n'est pas un attribut spécifique de Matthieu, puisque presque tous les apôtres en portent un.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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6. Saint Jacques le Mineur et son bâton de foulon.
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Le sixième article, propre à Jacques le Mineur, est: Ascendit ad cœlos, sedet ad dexteram patris omnipotentis. L'apôtre occupe sa place canonique.
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L'apôtre se reconnaît à son bâton de foulon, dont l'extrémité dilatée est caractéristique. Une banderole verticale descend sur la ligne médiane.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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La face nord-est et ses quatre apôtres.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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7. Saint Philippe tenant sa croix à longue hampe.
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L'article n°7 du Credo, propre à Philippe, est : Inde venturus est judicare vivos et mortuos.
Castel lui attribue le 8ème rang. Mais une restauration a été postérieure à sa description et a modifié l'ordonnancement :
"8. Saint Philippe se tient au dos de saint Jacques, livre fermé en main droite, croix à longue haste dans l’autre. Parmi les douze apôtres du calvaire c’est le seul doté d’une coiffure. Une sorte de bonnet de toile, enserrant la tête ajustement médiéval que les personnes de qualité portaient sous un large chaperon. L’association sur notre calvaire de saint Philippe et de saint Jacques le Mineur est loin d’être fortuite. Ils sont tous deux fêtés aujourd’hui le 3 mai, alors qu’auparavant leur était réservé le 1er jour de mai. Ce léger déplacement dans le calendrier fut décrété en 1955, lorsque Pie XII déclara saint Joseph patron des Travailleurs, tenant à associer la commémoration religieuse chrétienne de la manifestation civile du fameux Premier Mai." (Lubin et Castel)
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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8. Saint Barthélémy et son couteau à dépecer.
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À Barthélémy est confié le huitième article : Credo in Spiritum Sanctum. "Je crois en l'Esprit Saint".
L'un des éléments remarquables est le "livre ceinture", déjà commenté à propos de saint Jean. La ferrure (avec un cabochon losangique) et les nerfs du dos sont bien visibles, ce qui montre que nous n'avons pas affaire à un sac de transport (qui masquerait ces détails), mais à une étoffe de préhension intégrée à la partie haute de la reliure.
"9. Saint Barthélemy bénéficie d’une statue indépendante. Il tient en main droite le coutelas qui servit à le dépouiller de sa peau lors de son martyre. Il porte aussi un long phylactère. Le revers de sa statue, non affiné est laissé comme on dit, sous le coup de l’outil." (Lubin et Castel)
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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9. Thomas et son équerre.
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Si on identifie, par l'équerre, l'apôtre Thomas, il devrait occuper la cinquième place et présenter le cinquième article : Descendit ad inferna. Tertia die resurrexit a mortuis. "Le troisième jour, est ressuscité des morts ."
Au contraire, nous devrions trouver ici Matthieu (identifié parfois par une balance et parfois, comme dans le Calendrier des bergers, par une hache. C'est lui qui présente le neuvième article Sanctam Ecclesiam catholicam, sanctorum communionem, "[je crois] à la Sainte Église catholique, à la communion des saints".
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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10. Saint Simon et sa scie.
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Simon est ici à sa place, la dixième, correspondant à l'article Remissionem peccatorum. "À la rémission des péchés"
Saint Simon, tient en main gauche un livre ouvert. Sa droite s’appuie sur une scie qui compte une dizaine de dents. Cette scie rappelle que Simon au jour de son martyre fut scié, fermement serré entre deux lourdes planches.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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11. Saint Jude et sa hallebarde.
Saint Jude Thaddée est également )à sa place traditionnelle correspondant au onzième article Carnis resurrectionem, "À la résurrection de la chair".
Il exhibe dans sa main droite la hallebarde, l’instrument de son supplice.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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12. Saint Mathias.
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C'est toujours lui qui termine le Credo, avec l'article Vitam eternam. "[et à] la Vie éternelle [Amen]".
Mais comment l'identifier avec certitude ? Il tient la hampe d'un objet que je présume être une hampe (nous voyons la base du fer).
L'attribut de Mathias est habituellement la hallebarde ...
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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Les anges aux phylactères servant de culots aux apôtres.
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Nous avons vu que nous devons distinguer deux types de statues d'apôtres : celles qui sont placées, par paires, à la pointe du triangle inférieur (André et Jacques le Majeur, Jacques le Mineur et Philippe, et Simon et Jude), sont plus basses. Les autres sont placées contre le massif rectangulaire.
Je leur applique la même numérotation que les titulaires.
Chacune de ces statues est posée sur la tête d' anges, mais du fait de leur disposition, il faut y distinguer là encore six qui sont taillés dans les pierres en pente du triangle, et six qui desservent les statues plus hautes et indépendantes, et qui s'appuient sur le massif vertical du rectangle. J'indique leur numéro en chiffres romain pour le premier groupe, et en chiffre latin pour les autres.
Tous, sauf quatre, présentent des phylactères en en désignant le texte (peint et actuellement effacé) d'un index péremptoire.
Les quatre qui s'en dispensent appartiennent au premier groupe, ce sont ceux de André (II) et Jacques le Majeur (III), Simon (X) et Jude (XI). Ce sont des personnages en bustes, portant des aubes plissées à capuches rabattus sur la tête, et qui lèvent les deux bras pour soutenir, comme des atlantes, leur statue.
Comme ils occupent les pointes des triangles, ils forment des duos.
Au total, nous avons un ensemble de 8 phylactères, qui portaient certainement un texte peint au vu de l'insistance des anges à le désigner. Il faut y ajouter un phylactère qui ceinture le chanfrein du triangle supérieur. Et bien-sûr les banderoles de cinq apôtres. Le nombre total (13 ou 14) est trop élevé pour correspondre uniquement aux articles du Credo, mais cela ne me semble pas remettre en cause mon hypothèse.
Par contre, il faut — c'est évident — aller au delà d'un édifice simplement mnémotechnique et évaluer comment ces textes entrainent le fidèle à une pratique cultuelle dynamique, une procession alliant la récitation, incorporation ou manducation des paroles liturgiques et l'imprégnation émotionnelle de la participation aux souffrances de la Passion. Si on considère que tout le calvaire est pris dans ce mouvement, dans cette aspiration ascensionnelle ou cet élan spirituel, et si, comme il faut le faire, on en place le culte dans une dimension collective, on voit comme il donne une autre dimension (alors inédite) à la devotio moderna propagée par les chartreux, la lecture méditative, l'oraison et la contemplation individuelle des moines devant le Crucifix et les Plaies du Christ ou la lecture des Livre d'Heures.
Il faudrait pouvoir y ajouter toute la liturgie chantée, l'éclairage (cierges, flambeaux), et bien-entendu la polychromie pour évaluer la puissance cultuelle d'un tel monument.
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Voici II et III ensemble, puis II, et III.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile.
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Et voici X (sous Simon) et IX (sous Jude).
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile
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Bien qu'ils occupent la même position inclinée et inconfortable, VI (subalterne de Jacques le Mineur) et VII (celui de Philippe) s'entendent comme larrons en foire pour renoncer à se redresser, comme leurs collègues, et pour s'allonger sur la dalle tout en croisant leurs bras.
Mais c'est pour la bonne cause : car la couverture dont ils semblent enveloppés est un phylactère, dont ils pointent le texte de leur doigt.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile
Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile
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Les anges à phylactères de la rangée supérieure.
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On peut les considérer par couples de part et d'autres des pointes du triangle supérieur. Chacun maintient l'extrémité repliée du phylactère contre son torse, et déploie largement l'autre extrémité avec sa main droite, en se tournant vers elle. Mais ils écartent les bras en levant les coudes, comme les marmousets du premier étage. Leur chevelure est bouclée, mais ramassée en boules latérales. Leur visage et rond et joufflu, plus encore que ceux des autres marmousets ou de tous les personnages taillés par ce sculpteur.
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Voici par exemple, vue de l'ouest, le couple 12 (Mathias) et 1 (Pierre).
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile
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Le n°12.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile
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Le n°1.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile
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Le couple 4 (Jean) et 5 (Matthieu).
Ils portent des chapeaux, à bords évasés. Ils sont franchement tournés vers la droite.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile
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Le couple 8 (Barthélémy) et 9 (Thomas).
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Le n°8 porte une coiffe évasée. Notre n° 9, aux cheveux en boule, fait exception, en tenant son texte de la main gauche.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile
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N°8.
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile
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N°9
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Le calvaire (granite, vers 1450-1500, Maître de Quilinen) de la chapelle de Quilinen en Landrévarzec. Photographie lavieb-aile
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SOURCES ET LIENS.
—ABGRALL (Chanoine J.M.), 1914, Excursion archéologique du 10 mai 1914. Compte rendu, Bulletin de la Société Archéologique du Finistère tome 41 - Pages 211 à 237.
https://societe-archeologique.du-finistere.org/bulletin_article/saf1914_0283_0309.html
"Le monument que nous avons sous les yeux est d'un intérêt tout particulier; on peut le classer comme le premier et le plus harmonieux des calvaires de second ordre; on ne peut rien imaginer de plus heureux comme groupement de personnages et comme silhouette originale. La base est composée de deux massifs triangulaires se superposant et se compénétrant,
les angles du second correspondant au milieu des côtés du massif inférieur; et tout autour de la deuxième base, sur des culs-de-lampe en cariatides, les apôtres sont diversement étagés, pour donner plus de mouvement à l'ensemble. La plupart des cariatides tiennent de longues banderolles qui courent contre les parois du socle et qui ont pu recevoir autrefois des inscriptions en couleur, mais ne portant pas de traces de gravure.
Au pied de la croix, par devant, est Notre-Dame de Pitié, tenant le corps de son fils et accompagnée d'une des Saintes Femmes; plus haut, à deux niveaux différents, deux autres Saintes-Femmes et l'apôtre saint Jean. Au dos de la croix on voit la Sainte-Vierge tenant l'Enfant-Jésus dans ses bras, plus haut la Madeleine tenant un vase d'aromates, et au sommet, derrière le crucifix, Notre-Seigneur ressuscité. Les larrons, surtout celui de gauche, se tordent dans des convulsions étranges, et il y a peu de sculpteurs modernes qui auraient assez de hardiesse et d'habileté pour traiter et mouvementer les corps humains comme l'a fait le vieil imagier du XVIe siècle. Les traces de peinture conservées sur les statues, demeurées surtout plus visibles dans les replis de leurs draperies, indiquent que primitivement tout ce calvaire était peint et doré: Qu'on ne se récrie pas à cette idée. Ce n'était point un exemple isolé. Au Moyen-âge comme au temps de la vieille Grèce classique, on a aimé l'architecture polychrome.
Les temples en marbre de la Grèce étaient rehaussés d'une décoration colorée. Au XIIIe siècle, la façade de N-D. de Paris était en grande partie dorée et peinte, et pour ce qui est de notre pays, nous retrouvons les témoins de rehauts de peinture et de dorure aux porches de Lampaul-Guimiliau et de Rumengol, et au portail de l'évêque Alain à l'église du Folgoët, sans compter une foule d'autres croix ou statues extérieures."
— CASTEL (Yves-Pascal), 1980, Atlas des croix et calvaires du Finistère.
http://croix.du-finistere.org/commune/landrevarzec.html
1017. Quilinen, g. 6,50 m. Début XVIè s. Massif architecturé de plan triangulaire, le sommet pyramidant, statues des douze apôtres en ronde bosse, une Vierge de Pitié. Gibets des larrons. Fût central, marmousets, Jean et la Vierge, au sommet, sainte femme, saint au livre, Marie-Madeleine. Croix, fleurons carrés, crucifix, anges aux calices, Christ ressuscité. Oeuvre exceptionnelle. [YPC 1980]
—CASTEL (Yves-Pascal), 1997, En Bretagne croix et calvaires ... Kroaziou ha kalvariou or bro, édition bilingue Minihi Levenez, Saint-Thonan.
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/c7ab1cc53d0ef299b5bb65ed3764d18c.pdf
— CASTEL (Yves-Pascal), LUBIN (Joël) 2013 Patrimoine du Finistère, Landrévarzec.
http://patrimoine.du-finistere.org/art2/ypc_landrevarzec_quilinen.html
— CASTEL (Yves-Pascal), LUBIN (Joël) 2014, Landrévarzec. La chapelle Notre-Dame de Quilinen, Bull. Société archéologique du Finistère 133-154 ; 4
— CASTEL (Yves-Pascal), GARGAM (Y.), LUBIN (Joël), 2014, "Landrevarzec, le grand calvaire de Quilinen", vidéo de 20 minutes à partir de deux émissions sur RCF Rivages.
— FAVÉ (A), 1898, Un procès-verbal des prééminences à Landrévarzec et à Quilinen (1648), Bull. Société archéologique du Finistère , 14-29.
— KERNALEGUEN (Daniel), 2019, visite guidée
https://www.dailymotion.com/video/x7l6lyc
— MALO-RENAULT (Emile) 1907, L'art chez les Bas-Bretons, Le tour de France, tome troisième, 1907, n°40, p. 259-276 :
« Sur l'angle du mur bas, entourant le velours vert d'un carré d'herbe, [le calvaire de Quilinen ] dresse deux massifs triangulaires superposés aux plans inclinés desquels grimpent les statues des apôtres. Pierre, plus grand que les autres de toute sa tête, pour marque de son autorité, porte sur l‘épaule droite une clé géante ; André tient devant lui sa croix en X, les autres disciples dans le même mouvement ascensionnel se groupent avec la Mère Douloureuse et les saintes femmes autour des trois croix : tandis que courbés en arc sur le thau de leur supplice, les deux larrons sont dominés de très haut par le Maître. Mais où le mysticisme triomphe, c’est dans l’arrangement des croix. En effet, si en sortant de la chapelle on regarde le calvaire, il est impossible d’apercevoir la croix du mauvais larron, elle disparaît totalement derrière la croix du Christ. Le génie de l’imagier s’est attaché à empêcher ainsi la vision du réprouvé. Ceux qu’on nomme les Grands Calvaires : Tronoën, Plougonven, Guimiliau, Plougastel etc…nul de ces groupements, de ces grouillements de statuettes dans le Léon ou , ne vaut l’élégance hardie, l’ordonnance rationnelle du calvaire de Quilinen. Et ne faut-il pas noter à part, la grâce, flamande un peu, de la Vierge à l’Enfant appuyée au revers de la croix , la noblesse d’attitude de certains apôtres et le charme fin des petites figures à demi effacées qui leur servent de support, l’intensité de torture qu’expriment les larrons ? Certes on ne trouvera point ici la souplesse et la science sûre des imagiers de ou de l’Ile de France. Mais comme le sentiment remplace tout cela et comme celui qui regarde, sans mesquinerie d’analyse, se sent vite empoigné par la beauté de l’œuvre ! »
(in Charles le Goffic, 1921 L'âme bretonne édition 2017 page 113)
—MAUGUIN (M.) ) 2016, Les armoiries de la chapelle de Quilinen, alias Kilinenn, en Landrévarzec, Bull. Société archéologique du Finistère , 203-219.
— (calvaire de Quilinen) 1893, Bull. Société archéologique du Finistère 128
—SITE DE LA COMMUNE
http://www.landrevarzec.fr/spip.php?article25
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A PROPOS DU CREDO APOSTOLIQUE :
— LAFEUILLE (Jérôme), 2020... Un nouveau regard sur le jubé de Kerfons, ARSSAT n°4
— LAFEUILLE (Jérôme), Le Calendrier des bergers modèle du Jubé de Notre-Dame de Kerfons. Son interprétation à la limière du Symbole des apôtres / in Société d'émulation des Côtes d'Armor. Bulletins et mémoires ; Histoire et Archéologie, Vo 148, Septembre 2020 (01/09/2020)
— MÂLE (Emile) Le Credo des apôtres in L'art religieux à la fin du Moyen-Âge en France page 246-296
https://archive.org/stream/lartreligieuxdel00mluoft#page/250/mode/2up/search/credo
— PSAUTIER DE JEAN DE BERRY, Bnf fr. 13091, 1380-1400. Enluminures d'André Beauneveu.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84546905/f16.image.zoom
— GRAND CALENDRIER DES BERGERS
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k84894z/f88.item
— GRANDES HEURES DE JEAN DE BERRY ou Horae ad usum Parisiensem , 1400-1410
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b520004510/f11.item
— BREVIAIRE DE BELLEVILLE : Breviarium ad usum fratrum Predicatorum, dit Bréviaire de Belleville. Bréviaire de Belleville, vol. I (partie hiver), 1323-1326
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8451634m/f13.image
— GAY (Françoise) 1993, Le choix des textes des prophètes face aux apôtres au Credo", in Actes du Colloque Pensée, image et communication en Europe médiévale. A propos des stalles de Saint-Claude - Besançon
— HASENORH (Geneviève), 1993 "Le Credo apostolique dans la littérature française du Moyen-Âge", Actes du Colloque Pensée, image et communication en Europe médiévale. A propos des stalles de Saint-Claude - Besançon
— LACROIX (Pierre) , Renon, Andrée, Mary, Marie-Claude, Vergnolle, Éliane [Publ.] Pensée, image et communication en Europe médiévale. A propos des stalles de Saint-Claude - Besançon (1993).Sommaire en ligne
— RENON F, relevé du Credo du chœur de la cathédrale de Cambray en 1404 Revue de l'art chrétien: recueil mensuel d'archéologie religieuse, Volume 8 Arras ; Paris 1864 page 262.