L'Arbre de Jessé de l'église de Plourin-les-Morlaix (Finistère).
On le boude peut-être un peu parce qu'il s'agit d'une copie de l'œuvre du XVIe siècle, copie demandée par un recteur qui trouvait l'ancienne trop vétuste. Seule la Vierge date du XVIe siècle. On ignore s'il s'agit d'une copie fidèle.
Je le trouve néanmoins très beau et très intéressant à découvrir, et je l'aborderai en toute naïveté, sans m'appuyer sur des études précédentes —que je n'ai pas trouvé— dans le seul plaisir de l'exploration du regard.
Il est à la fois semblable aux Arbres de Jessé sculptés que j'ai déjà étudiés en Bretagne, et —comme tous—, il présente des singularités. La principale est que, au lieu de trouver 12 rois de Juda échelonnés sur les branches, associés à Isaïe et Jérémie, nous voyons deux rangées de six personnages de chaque coté, et quatre personnages "au sol" soit 28 personnages dont seuls certains sont identifiés par des phylactères. Donc, un petit jeu de déduction nous attend.
Voir dans ce blog lavieb-aile des articles consacrés aux Arbres de Jessé de Bretagne:
Les sculptures :
- Guimaec (29) Anne trinitaire de l'église de Guimaëc.
- Priziac, Chapelle St-Nicolas (56) : Chapelle St Nicolas en Priziac.
- Arbre sculpté de Locquirec : L'Arbre de Jessé sculpté de l'église de Locquirec.
- Sculpture de L' arbre de Jessé de l'église de Saint-Aignan (56). : XVIe siècle.
- Sculpture de L' arbre de Jessé de l'église de Trédrez (22). : 1520
- Sculpture de L'arbre de Jessé de l'église Notre-Dame de Saint-Thégonnec. (29) : 1610.
- Sculpture de L'arbre de Jessé de la chapelle de La Trinité à Cléguerec (56). :1594
- Bas-relief de Chapelle St Nicolas en Priziac. (56) : XVIe siècle.
Et les vitraux :
- Vitrail de Kerfeunten (29) 1528-1530 Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de la Sainte-Trinité à Kerfeunteun :
- Vitrail de Confort-Meilars (29) c.1530 Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de Confort-Meilars.
- Vitrail de La Ferrière L'arbre de Jessé de l'église de La Ferrière. : 1551.
- Vitrail de Beignon : L'arbre de Jessé de l'église de Beignon. : 1540-1550
- Vitrail de Moulins (35) : c.1560. L' arbre de Jessé de l'église de Moulins (35).
- Vitrail des Iffs Baie 12 milieu XVIe. Les vitraux de l'église des Iffs ( seconde partie : les chapelles).
- Vitrail de Saint-Mériadec (56) : 1550 Le vitrail de la Passion de l'église Saint-Mériadec en Stival (56) .
- Vitrail de l'église de Gouesnou ( 1972) par Jacques Le Chevallier : L'arbre de Jessé de l'église de Gouesnou . .
- L'Arbre de Jessé très stylisé de Saint-Jean-du-Doigt : Les vitraux de Louis-René Petit à Saint-Jean-du-Doigt (29).
- L'arbre de Jessé de Malestroit 1530-1540: Le vitrail de l'arbre de Jessé de l'église de Malestroit.: .
- Vitrail de N.D de Lansalaün à Paule : 1528 : Le vitrail de l'arbre de Jessé de la chapelle N.D. de Lansalaün à Paule.
- Vitrail par Chauvel à Notre-Dame de Vitré : c.1868-1870 : Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église Notre-Dame de Vitré.
- Vitrail de l'arbre de Jessé de Moncontour : c.1530-1540 : Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de Moncontour.
- Vitrail de l'église Saint-Armel de Ploermel : c.1550. Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église Saint-Armel de Ploermel.
Et en comparaison avec les œuvres bretonnes :
- Vitrail de l'arbre de Jessé de Saint-Denis (1144), le premier vitrail sur ce thème. Le vitrail de l'arbre de Jessé de la basilique de Saint-Denis.
- Vitrail de l'arbre de Jessé de Chartres : (1150) Le vitrail de l'arbre de Jessé de la cathédrale de Chartres.
- Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église Saint-Pierre de Chartres.
- Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale de Soissons (1212)
- Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale du Mans (1235) : Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale du Mans.
- Le vitrail de la cathédrale de Beauvais (1240) Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale de Beauvais.
- Le vitrail de la cathédrale d'Amiens (1242) : Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale d'Amiens.
- Vitrail de la cathédrale de Moulins en Allier (vers 1480) L'étrange vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale de Moulins.
- Tympan sculpté de l'abbatiale Saint-Riquier : 1511-1536 L'Arbre de Jessé de l'Abbaye de Saint-Riquier (Somme).
- Vitrail de l'Arbre de Jessé de Notre-Dame-du-Touchet (Manche) : Le vitrail de l'arbre de Jessé de Notre-Dame du Touchet.
- Sculpture de l'Arbre de Jessé de Burgos (Espagne), (c.1483) : L'arbre de Jessé de la cathédrale de Burgos.
Je traiterai plus tard de :
- Vitrail de l'Arbre de Jessé de la Chapelle St-Fiacre de La Faouët : c.1480.
Le docteur Louis le Thomas (cf. Sources) a recensé les Arbres de Jessé de Bretagne
Parmi les 19 Arbres sculptés recencés en Bretagne dont 6 en Finistère (outre Plourin-les-Morlaix, Locquirec, Plounevezel, Plouzevedé/Berven, St-Thégonnec, St-Yvi) celui-ci appartient au sous-groupe à Démones, comme 13 de ces 19 Arbres.
Ces Démones fascinent Louis Le Thomas, qui leur a consacré un article particulier, et les classe en deux figurations anthropomorphiques, celle de Démone-Serpent ou anguiforme, ou ophioure (ou "Echidna"), et celles, plus rares, de Démone-poisson (ou "Néreïde"). Il voit dans ces formes qui "relèvent d'une gynécomorphie du Serpent de la tentation" "l'occasion rare, dans l'iconographie religieuse; d'une étude du nu féminin, bustes et torses de démones ayant été, dans les Arbres de Jessé bretons, traités avec une verve évidemment complaisante et un réalisme particulièrement suggestif" car elles ont "pour attribut principal des mamelles orthomorphes, discoïdes, d'un galbe partout très exagéré" dont le mérite est néanmoins de consoler le fidèle des démons et démones de l'iconographie religieuse, très souvent affligées de mamelles pendantes, à titre péjoratif, et d'inspiration probablement monacale". Souvent, hélas, ces "exubérance mammaire a servi de prétexte à une chirurgie iconographique correctrice particulièrement tenace afin, presque partout, de réduire —sinon de supprimer— cette exubérance en pratiquant des amputations, alors qu'aux personnages "cacheurs" de Molière suffisait...le mouchoir".
Le docteur remarque aussi que ces Démones ne peuvent être figurées entières, pour s'effacer derrière Jessé, et que le sculpteur devant les réduire à un torse ou buste plus ou moins étriqué, à caractère féminin amenuisé, accentue leur galbe mammaire par compensation.
A la question qu'avait posée le chanoine Abgrall (Est-ce Éve ? Est-ce le serpent qui l'a trompé ?), Louis Le Thomas répond : c'est le Serpent, car il tend la pomme plutôt qu'il ne s'en saisit, mais aussi en raison de ses caractères chtoniens : main griffue, tête cornue, animalité.
Étude de l'Arbre de Jessé de l'église Notre-Dame de Plourin-les-Morlaix (Finistère).
N.b : on pardonnera la qualité des images, prises dans une église non éclairée un matin de janvier.
Il occupe le bras gauche du transept, au dessus de l'autel, et est encadré de deux bâtis à pilastres, médaillons monogrammés, angelots, où court l'inscription en breton Itron Varia Plourin Hor Patrones, "Vierge Marie de Plourin, notre Patronne". Il occupait jadis sans-doute une niche à volets, comme à Locquirec, mais il a été replacé dans une niche dont le fond est peint en bleu-nuit.
Dieu-le-Père —sous-titré YAWHÉ — culmine dans les Nues soutenues par deux anges.
Au centre se trouve la Vierge et l'Enfant ; la Vierge, couronnée, traitée en Vierge de l'Apocalypse, les pieds reposant sur un croissant lunaire, fait un geste d'accueil et de don de la main droite. Je reconnais dans la manière dont son voile passe derrière sa nuque pour rassembler les cheveux cette façon que j'ai si souvent notée dans les Vierges bretonnes du XVIe siècle (voir Vierges allaitantes : le bandeau de cheveu.) et si rarement ailleurs. Les cheveux s'en échappent pour descendre en deux mêches devant les épaules et en un ruisseau sur le dos.
Elle est vêtue d'une longue chemise ou tunique blanche, d'une robe dorée, et d'un manteau bleu aux pans réunis par un fermail de lourds anneaux d'or.
L'Enfant, blond et bouclé, vêtu d'une robe mauve, trace de la main droite une bénédiction vers l'assemblée.
La Vierge foule la Démone, dont les traits bestiaux ne sont pas trop soulignés ici, si on excepte la main ou patte tridactyle griffue du premier plan. Les voltes maléfiques de sa queue ne sont pas visibles, ses seins "discoïdes" sont à peine soulignés, et son visage possède la grâce de celui des sirènes. Elle brandit, comme toujours, la pomme de la Tentation, et, demi-dressée, elle n'accepte pas sa défaite.
L'ancêtre Jessé, couché sur le coté, sommeille, les yeux clos, la main gauche sous la tête ; il est vêtu d'une tunique aux manches de belle étoffe grise, d'une robe rouge et d'un scapulaire gris. Le tronc de son arbre ne prend pas ostensiblement racine de son thorax, mais apparaît derrière son dos, pour se scinder rapidement en deux branches latérales.
Il reste à identifier les quatre personnages qui ne font pas partie de l'Arbre généalogique, mais sont tournés vers le spectateur dans des gestes de témoignage. Qui sont ces Témoins, et qu'attestent-ils ? La Tradition répond qu'il s'agit d'Isaïe et de Jérémie, proclamant la véracité de leurs prophèties Isaïe 11,1 "Puis un rameau sortira de la branche de Jessé, et un rejeton naîtra de ses racines".
Je considère que les deux personnages en robe rouge ou lie-de-vin, à coiffure "de prêtre juif", barbus, sont les deux prophétes.
Je dois donc m'interroger sur le personnage à robe noire, vêtu d'un scapulaire, portant une aumônière bien remplie à la ceinture. Je propose : ABRAHAM ?
De même, qui est son vis-à-vis ? Le visage glabre —le seul des 28 visages— pourrait correspondre à saint Jean, mais la présence d'une aumônière (qui est souvent un attribut du Juif vétéro-testamentaire) contredit cette idée. ISAAC ?
J'étudie maintenant les personnages disposés sur l'arbre; ses deux branches se sont rapidement divisées encore en deux rameaux tournicotants qui donnent de gros boutons floraux servant de coussins à certains, alors que d'autres sont posés sur les branches elle-mêmes.
Le groupe de gauche (à la droite de la Vierge):
Douze personnages sont donc répartis en deux ensembles verticaux, mais on constate vite que chacun de ces ensembles est différent : au centre, ce sont des rois, les rois de Juda, coiffés de couronne et porteurs de sceptres. Deux tiennent des livres. A l'extérieur, ni sceptres, ni couronnes ni livres, mais, pour certains, des phylactères : de bas en haut ARAM, ESROM et PHARES.
Le groupe de droite :
Il obéit à la même organisation ; parmi les "rois", on identifie le premier, David, qui tient sa harpe. A l'extérieur, les phylactères de JESÉE, OBED, BOOZ, SALMON, NAASON, et AMINADAB.
Ces phylactères nous permettent de nous référer à la généalogie de Jésus donné par Matthieu dans l'incipit de son Évangile : la succession est la suivante (je surligne les noms cités plus haut) :
1) les Patriarches : Abraham - Isaac - Jacob - Juda - Pharès - Esrom - Aram - Aminadab - Naasson - Salmôn - Booz - Obed - Jessé .
2. Accession à la Royauté : David - Salomon - Roboam - Abia - Asa - Josaphat - Joram -Osias - Jotham - Achaz - Ézéchias - Manassé - Amon - Josias - Jeconiah.
3. Déportation à Babylone et perte de la Royauté : - Salathiel - Zorobabel - Abioud - Eliaqim - Azor - Sadoq - Ahim - Elioud - Eléazar - Matthan - Jacob - Joseph - Jésus.
On comprend donc que douze des Rois de Juda sont figurés dans les deux groupes du centre, au plus près du Christ et de sa mère ; que les ancêtres avant David sont placés en périphérie ; que Jessé est représenté deux fois ; que le Salmon en haut à droite n'est pas le roi Salomon fils de David, mais Salmôn, celui qui épousa Rahab, prostituée de Jéricho.
Alors que la Généalogie de Jésus dans les Évangiles est basée sur le chiffre symbolique quatorze ("Il y a donc en tout quatorze générations depuis Abraham jusqu'à David, quatorze générations depuis David jusqu'à la déportation à Babylone, et quatorze générations depuis la déportation à Babylone jusqu'au Christ" Matthieu 1:17), celle des Arbres de Jessé est consacrée à la célébration du chiffre douze. Cela explique sans-doute pourquoi Abraham et Isaac sont placés au pied de l'arbre et non pas dedans.
Sources et Liens.
— Site Topic-topos : Plourin
— Louis Le Thomas, Les Démones bretonnes, iconographie comparée et étude critique, Bulletin de la société Archéologique du Finistère t. 87 p. 169-221, 1961.
— Louis Le Thomas, Les Arbres de Jessé bretons, première partie, Bulletin de la société Archéologique du Finistère 165- 196, 1963.
— Louis Le Thomas, Les Arbres de Jessé bretons, troisième partie, Bulletin de la société Archéologique du Finistère pp. 35-72, 1963.