La baie 11 figure, avec les baies 13, 17 et 19, parmi celles qui ont été vitrées vers 1493-1495 lors de la campagne d'agrandissement et de remise au goût du jour de l'église qui a conduit à l'ouverture des chapelles nord de la nef dans une sorte de second bas-coté.
Haute de 4,20 m et large de 2,40 m, elle comporte 3 lancettes trilobées et un tympan à 4 mouchettes et 3 écoinçons ; elle est consacrée à la légende de saint Nicolas .
Des confréries et de riches particuliers (où les Le Roux, famille de magistrats, tiennent une place éminente) sont à l'origine de l'ensemble des vitraux anciens de l'édifice ; les drapiers figurent en procession sur la baie 26, tandis que cette baie 11 aurait été offerte par les mégissiers. Néanmoins, cette information présente dans Hérold 1995 mais , accompagnée dans "Les Vitraux de Haute-Normandie", d'un point d'interrogation (?), est effectivement à prendre avec prudence d'autant que je n'en ai pas retrouvé la source. Le patron des mégissiers était saint Roch, guérisseur de maladies de peau,, ou parfois l'apôtre Barthélémy, dont la légende dit qu'il a été écorché vif : c'était le cas pour les maîtres mégissiers de Chartres. Le vitrail comporte, sur le soubassement de la lancette médiane un écu rouge en bouche-trou, avec des armoiries qui on été interprétées comme celles des mégissiers (information accompagné d'un nouveau (?) dans la notice du Vitraux de Haute Normandie.
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Verrière de saint Nicolas (v.1495), baie 11, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Emplacement.
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La baie 11 fléchée sur un plan photographié in Hérold 1995.
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Les trois lancettes.
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Une grande figure centrale de saint Nicolas est encadrée par quatre scènes narratives dans les lancettes latérales et d'autres vignettes narratives dans le tympan. La couleur prédominante est le bleu, associé au blanc et au jaune pour les éléments architecturaux.
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Verrière de saint Nicolas (v.1495), baie 11, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Lancette centrale : Saint Nicolas bénissant les trois enfants sortant du saloir.
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La niche architecturale gothique est très riche, avec sa tenture bleue damassée de rinceaux et pommes de pins, son sol carrelé jaune et blanc, et surtout ses piédroits où six personnages tiennent des phylactères (inscriptions SANTE NICOLA) : sont-ce des prophètes, des apôtres, ou plutôt des pèlerins (plusieurs portent chapeaux et pèlerines) ?
Le saint est figuré en évêque de Myre, avec sa chape rouge à orfrois et à fermail en pierre précieuse sur une tunique dorée : il bénit les trois enfants qui ressuscitent dans leur saloir en joignant les mains (têtes des enfants restituées).
Le verre rouge gravé se remarque (discrètement) sous forme de perles sur le col du saint et de motifs de damas sur son épaule droite.
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Verrière de saint Nicolas (v.1495), baie 11, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Verrière de saint Nicolas (v.1495), baie 11, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Le visage est remarquable par ses yeux en étroite amande effilée, aux paupières inférieures bouffies.
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Verrière de saint Nicolas (v.1495), baie 11, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Les scènes narratives.
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Pour suivre l'ordre proposé par Hérold 1995, il faut grimper au tympan et débuter par la troisième mouchette gauche.
Légende de la coupe.
Partie supérieure restituée.
Sujet : un enfant tenant une coupe d'or tombe à l'eau d'une nef, sous les yeux de deux passagers aux mains jointes.
Interprétation :
"Un noble avait prié saint Nicolas de lui faire obtenir un fils, promettant qu’en récompense il se rendrait avec son fils au tombeau du saint et lui offrirait un vase d’or. Le noble obtient un fils et fait faire un vase d’or. Mais ce vase lui plaît tant qu’il le garde pour lui-même et, pour le Saint, en fait faire un autre d’égale valeur. Puis il s’embarque avec son fils pour se rendre au tombeau du saint. En route le père ordonne à son fils d’aller lui prendre de l’eau dans le vase qui d’abord avait été destiné à saint Nicolas. Aussitôt le fils tombe dans la rivière et se noie. Mais le père, malgré toute sa douleur, n’en poursuit pas moins son voyage. Parvenu dans l’église de saint Nicolas, il pose sur l’autel le second vase ; au même instant une main invisible le repousse avec le vase, et le jette à terre : l’homme se relève, s’approche de nouveau de l’autel, est de nouveau renversé. Et voilà qu’apparaît, au grand étonnement de tous, l’enfant qu’on croyait noyé. Il tient en main le premier vase, et raconte que, dès qu’il est tombé à l’eau, saint Nicolas est venu le prendre, et l’a conservé sain et sauf. Sur quoi le père, ravi de joie, offre les deux vases à saint Nicolas." (Légende dorée)
Il s'agit d'un miracle posthume, et non d'un épisode de la vie du saint. Il mériterait en fait d'être placé plus tardivement.
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Verrière de saint Nicolas (v.1495), baie 11, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Saint Nicolas dotant les trois pucelles pour leur éviter la prostitution. Tympan, deux mouchettes gauche .
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"À la mort de ses parents, devenu très riche, il chercha un moyen d’employer ses richesses, non pour l’éloge des hommes, mais pour la gloire de Dieu. Or un de ses voisins, homme d’assez noble maison, était sur le point, par pauvreté, de livrer ses trois jeunes filles à la prostitution, afin de vivre de ce que rapporterait leur débauche. Dès que Nicolas en fut informé, il eut horreur d’un tel crime, et, enveloppant dans un linge une masse d’or, il la jeta, la nuit, par la fenêtre, dans la maison de son voisin, après quoi il s’enfuit sans être vu. Et le lendemain l’homme, en se levant, trouva la masse d’or : il rendit grâces à Dieu, et s’occupa aussitôt de préparer les noces de l’aînée de ses filles. Quelque temps après, le serviteur de Dieu lui donna, de la même façon, une nouvelle masse d'or. Le voisin, en la trouvant, éclata en grandes louanges, et se promit à l’avenir de veiller pour découvrir qui c’était qui venait ainsi en aide à sa pauvreté. Et comme, peu de jours après, une masse d'or deux fois plus grande encore était lancée dans sa maison, il entendit le bruit qu’elle fit en tombant. Il se mit alors à poursuivre Nicolas, qui s’enfuyait, et à le supplier de s’arrêter, afin qu’il pût voir son visage. Il courait si fort qu’il finit par rejoindre le jeune homme, et put ainsi le reconnaître. Se prosternant devant lui, il voulait lui baiser les pieds ; mais Nicolas se refusa à ses remerciements, et exigea que, jusqu’à sa mort, cet homme gardât le secret sur le service qu’il lui avait rendu." (Légende dorée)
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Verrière de saint Nicolas (v.1495), baie 11, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Autres mouchettes à droite du tympan. Saint Nicolas calmant la tempête ; le jugement de trois soldats innocents ; le saint suspendant leur exécution.
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Verrière de saint Nicolas (v.1495), baie 11, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Lancette de gauche. Le débiteur parjure.
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Verrière de saint Nicolas (v.1495), baie 11, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Lancette gauche, scène supérieure. Le débiteur parjure.
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" Certain homme avait emprunté de l’argent à un Juif, en lui jurant, sur l’autel de saint Nicolas, de le lui rendre aussitôt que possible. Et comme il tardait à rendre l’argent, le Juif le lui réclama : mais l’homme lui affirma le lui avoir rendu. Il fut traîné devant le juge, qui lui enjoignit de jurer qu’il lui avait rendu l’argent. Or l’homme avait mis tout l’argent de sa dette dans un bâton creux, et, avant de jurer, il demanda au Juif de lui tenir son bâton. Après quoi il jura qu’il avait rendu son argent. Et, là-dessus, il reprit son bâton, que le Juif lui restitua sans le moindre soupçon de sa ruse. Mais voilà que le fraudeur, rentrant chez lui, s’endormit en chemin et fut écrasé par un chariot, qui brisa en même temps le bâton rempli d’or. Ce qu’apprenant, le Juif accourut : mais bien que tous les assistants l’engageassent à prendre l’argent, il dit qu’il ne le ferait que si, par les mérites de saint Nicolas, le mort était rendu à la vie : ajoutant que lui-même, en ce cas, recevrait le baptême et se convertirait à la foi du Christ. Aussitôt le mort revint à la vie ; et le Juif reçut le baptême." (Légende dorée)
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Verrière de saint Nicolas (v.1495), baie 11, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Lancette gauche, scène inférieure. Le débiteur parjure (suite).
Verrière de saint Nicolas (v.1495), baie 11, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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La lancette droite a été restituée par M. Muraire, lequel y a placé quelques éléments de la tête de lancette et des bordures d'origine.
Lancette droite, scène supérieure.
Tandis qu'un roi donne un banquet, un enfant vêtu d'une robe verte survient, tenant un vase et une coupe en or.
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Verrière de saint Nicolas (v.1495), baie 11, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Lancette droite, scène inférieure.
Un couple et leurs enfants sont agenouillés devant une statue du saint, qui apparaît dans une nuée, accompagné de l'enfant en robe verte tenant la vaisselle d'or de la scène précédente.
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Verrière de saint Nicolas (v.1495), baie 11, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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SOURCES ET LIENS.
— CALLIAS BEY (Martine), CHAUSSÉ (Véronique), GATOUILLAT (Françoise), HÉROLD (Michel), 2001,"Les vitraux de Haute-Normandie", Corpus vitrearum Recensement VI, CNRS éditions, page 171
— FOSSEY (abbé Jules), 1896, L'église Notre-Dame à Louviers, La Normandie monumentale.
— LAFOND Jean, 1963, Les vitraux de Notre-Dame de Louviers, par Jean Lafond . Louviers et Pont-de-l'Arche. Nouvelles de l'Eure, n° 15, Pâques 1963. (pp. 42-47). Non consulté.
— LE MERCIER (E.) Monographie de l'église Notre-Dame de Louviers Ch. Hérissey et fils, 1906 - 212 pages
Les chapelles nord de la nef ont été ouvertes , selon le "Mémorial" de l'abbé Pelet, sous la direction du maître d'œuvre Jehan Gillot, à partir de 1493, formant ainsi une sorte de second bas-coté. Cette baie 13, qui est restée, comme sa voisine la baie 11, en place, doit donc être datée vers 1495.
Son auteur (rouennais ?) est resté anonyme, mais le carton à grandeur de la Vierge se retrouve utilisé dans la baie 6 de l'église de Saint-Pierre-d'Autils, près de Vernon.
Cette baie de 4,20 m de haut et 2,35 m de large se compose de 3 lancettes trilobées et d'un tympan à 6 mouchettes et un soufflet supérieur. Trois personnages y figurent, la Vierge à l'Enfant au centre, entourée de deux apôtres, saint André à gauche et saint Barthélémy à droite.
"Les regards des saints convergent vers la Vierge, placée dans la niche la plus somptueuse sous le cortège des anges musiciens du tympan" (M. Hérold)
Ces trois personnages sont placés dans des niches d'architecture gothique, dont le soubassement est remarquable car il repose sur un gazon à petites fleurs.
Pour continuer à décrire ces niches, disons que leur sommité se détache sur un fond alternativement rouge, bleu et rouge, qu'elle reçoivent une tenture damassée tombant sur un sol carrelé de motifs géométriques, et que les piédroits sont creusés de niches à pinacles à crochets, vides ou occupées.
Enfin, la photographie est compliquée par la présence d'un obstacle central ; et le photographe, dans son embarras, a oublié de prendre le tympan, ses quatre musiciens et séraphins.
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Verrière de la Vierge entre deux apôtres, (vers 1495), baie13, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
Verrière de la Vierge entre deux apôtres, (vers 1495), baie13, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Lancette droite : saint André.
L'apôtre est vite identifié par sa croix en X. Il est en grande partie restitué par Maurice Muraire en 1903, pour la tête et le panneau inférieur. Les écritures coufiques de la bordure de la robe bleue sont sans doute d'origine.
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Verrière de la Vierge entre deux apôtres, (vers 1495), baie13, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Lancette centrale : la Vierge et son Fils tenant un œillet et un fruit.
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Cette lancette fait mon bonheur, tant j'aime partir à la recherche des petits détails. C'est d'abord le charmant œillet blanc tenu par l'Enfant comme s'il offrait la fleur à sa mère, c'est ensuite la pomme (ou quelque fruit qui pommelle) ; je ne m'attarde pas aux jambes un peu malingres tenues par une main maladroitement peinte, pour observer le verre rouge gravé du nimbe du Jésus.
Mais l'amateur de verres gravés va s'émerveiller devant la robe damassée dont les grenades sont peintes au jaune d'argent sur les espaces gravés.
De part et d'autre du nimbe de Marie couronnée, la bordure de la tenture porte des lettres A entourées de croix.
Le visage incliné, pensif et doux, est admirable également dans son encadrement de cheveux blonds.
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Verrière de la Vierge entre deux apôtres, (vers 1495), baie13, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Verrière de la Vierge entre deux apôtres, (vers 1495), baie13, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Verrière de la Vierge entre deux apôtres, (vers 1495), baie13, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Verrière de la Vierge entre deux apôtres, (vers 1495), baie13, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Les quatre personnages des niches des piédroits n'ont pas été identifiés par les auteurs de Vitraux de Haute-Normandie : libre à nous d'y voir deux soldats, dont un archer, et deux prophètes. À notre guise.
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Verrière de la Vierge entre deux apôtres, (vers 1495), baie13, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Verrière de la Vierge entre deux apôtres, (vers 1495), baie13, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Verrière de la Vierge entre deux apôtres, (vers 1495), baie13, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Verrière de la Vierge entre deux apôtres, (vers 1495), baie13, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Pour être complet, signalons le cartouche mentionnant la restauration de 1903 :
RESTAURATION OFFERTE PAR M. G. HUVEY
RECONNAISSANCE A MARIE.
G. Huvey, entrepreneur à Louviers, a été chargé de la restauration de l'église de Louviers, et aussi de celle de Saint-Etienne du Vauvray en 1855.
C'est l'occasion d'observer les petites fleurs du gazon.
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Verrière de la Vierge entre deux apôtres, (vers 1495), baie13, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Lancette de droite : saint Barthélémy.
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Je ne décrirai ici, pour le seul plaisir de placer ici un vocabulaire tout récemment découvert, que la mitre de têteet la mitre de pied frappée d'un rivet, tout deux peints au jaune d'argent, du coutelas du saint.
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Verrière de la Vierge entre deux apôtres, (vers 1495), baie13, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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SOURCES ET LIENS.
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— CALLIAS BEY (Martine), CHAUSSÉ (Véronique), GATOUILLAT (Françoise), HÉROLD (Michel), 2001,"Les vitraux de Haute-Normandie", Corpus vitrearum Recensement VI, CNRS éditions, page 171
— FOSSEY (abbé Jules), 1896, L'église Notre-Dame à Louviers, La Normandie monumentale.
— HÉROLD (Michel),1995, Louviers, église Notre-Dame, les verrières, Rouen, 16p
— LAFOND Jean, 1963, Les vitraux de Notre-Dame de Louviers, par Jean Lafond . Louviers et Pont-de-l'Arche. Nouvelles de l'Eure, n° 15, Pâques 1963. (pp. 42-47). Non consulté.
— LE MERCIER (E.) Monographie de l'église Notre-Dame de Louviers Ch. Hérissey et fils, 1906 - 212 pages
À l'extrémité ouest du bas-coté nord de la nef, et difficile d'accès, cette baie comporte une seule lancette trilobée de 4,30 m de haut et 0,70 m de large. Elle a été offerte par Guillaume II Le Roux vers 1495, et provient de la chapelle propre à cette grande famille dont le mécénat permis la reconstruction de la façade sud de l'église. Le registre principal montre un saint archevêque, qui serait a priori saint Claude, puisque le fils et successeur de Guillaume II est Claude Ier Le Roux (voir la baie 24 où figure également saint Claude, et Claude Le Roux).
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Verrière de saint Claude (vers 1495), baie 19 de l'église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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L'archevêque et les donateurs occupent une niche d'architecture, dont le soubassement et les piédroits portent des panneaux ornés de prophètes, et dont le fond est tendu d'un étoffe damassée rouge (motif à trois feuilles découpées).
Le prélat est figuré selon Recensement VI en archevêque, mais ne peut-on dire qu'il est ici en abbé, avec son bâton pastoral tenu à droite, et doté d'une croix latine à une seule traverse ? Le saint porte les gants ou chirothèques (avec houppe dorée au poignet) avec, sur le dos de ces gants, la plaque de métal ouvragée en quadrilobe. Une bague est portée au pouce gauche (première phalange). Saint Claude est vêtu d'une chape au dessus d'une dalmatique verte à fentes latérales frangées d'or. Les fanons (théoriquement réservés aux évêques et non aux abbés) de la mitre sont larges et descendent assez bas sur les épaules.
La plus grande attention peut être portée aux détails de ces panneaux : non pas tant aux délicats rehauts de jaune d'argent de l'architecture qu'au verre rouge gravé de la mitre , et, surtout, aux nombreuses pièces en chef d'œuvre, ces verres colorés insérés à l'intérieur d'une autre pièce de verre grâce à une découpe audacieuse.
C'est un plaisir de les recenser sous forme de rubis, d'améthystes, de saphir, d'émeraudes et autres joyaux, en cabochon sur les pointes de la mitre précieuse , sur la croix, sur les orfrois de la chape.
On retrouvera cette technique pour les croisettes des armoiries.
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Verrière de saint Claude (vers 1495), baie 19 de l'église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Verrière de saint Claude (vers 1495), baie 19 de l'église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Verrière de saint Claude (vers 1495), baie 19 de l'église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Verrière de saint Claude (vers 1495), baie 19 de l'église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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LES DONATEURS.
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Au premier plan, le couple est vêtu du même manteau rouge fourrée. C'est un manteau identique que porte Claude Le Roux en donateur sur la baie 24 : renvoie-t-elle à une fonction honorifique ? Guillaume, comme Claude, fut Lieutenant-général du vicomte d'Elbeuf, et Conseiller au Parlement normand, l'Échiquier. Les Conseillers portaient-il un manteau rouge, long et fourré d'hermine ?
Il s'agit de Guillaume II Le Roux et de son épouse Jeanne Jubert, comme l'indique le blason sous-jacent : d'azur au chevron d'argent accompagné de trois têtes de léopard d'or (Guillaume Le Roux) et écartelé aux 1 et 4 d'azur à une croisette d'or qui est du Thil ; aux 2 et 3 d'azur à cinq fers de lance d'argent, 3 et 2 qui est de Jubert (Jeanne Jubert ). Ce blason est donc celui de Jeanne Jubert,
Jeanne Jubert est née le 15 août 1469 de Guillaume Jubert (mort en 1503), lieutenant général à Vernon du bailli de Gisors, puis conseiller à l'échiquier de Normandie. Elle épousa Guillaume Le Roux à 17 ans, le 27 juin 1486, et eut seize enfants.
Derrière eux, nous voyons quatre enfants, deux garçons (tête nue) et deux filles. Trois fils nous sont connus, Guillaume, Claude et Nicolas.
Les Le Roux et le Parlement de Normandie.
rappel :
En 1499, l’Echiquier est composé de quatre présidents, compris le premier président, de treize conseillers clercs et de quinze conseillers laïcs (ou lays) ; choisis parmi les hommes « vertueux, justes, coustumiers, sachans, cognoissans et intendans les coustumes et usages, styles et chartes dudit pays » de Normandie, ils sont majoritairement originaires de la province et tout particulièrement de Rouen, du pays de Caux et du Vexin normand. Les membres du Parlement sont pourvus d’une charge publique qui prend la forme d’un office. Malgré une interdiction ancienne, l’office devient un élément du patrimoine et, comme tel, transmissible moyennant rémunération. En résignant leurs offices, présidents et conseillers désignent leurs successeurs ; par la vénalité des charges, ils garantissent leur inamovibilité. De véritables dynasties se constituent ainsi. En février 1515, quelques jours après son avènement, François Ier confirme la création de son prédécesseur, en modifiant toutefois sa titulature : le terme d’échiquier, symbole de l’identité normande, disparaît, la Cour devient un parlement à l’instar des autres cours souveraines du royaume. Son ressort géographique, son rôle juridictionnel et politique, son pouvoir réglementaire et son organisation interne sont alors en partie définis.
— Guillaume Le Roux, Conseiller au parlement en 1499, alors que Jacques Calenge était président. Je note qu'il fut prince (président) des Palinods de Rouen, ou en tout cas, il fut le premier à doter d'un fonds fixe cette confrérie vouée à l'Immaculée Conception. Le concours de poésie (ou Puy, ou Palinod) en l'honneur de la Conception de la Vierge avait été institué en 1489. C'est un argument de poids pour interpréter certains vitraux de Louviers comme une défense de l'Immaculée Conception.
— Robert (fils de Claude), conseiller clerc au parlement de Normandie en 1553.
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L'inscription placée en légende au pied de la vitre n'a pas été(à ma connaissance) décryptée. Dommage !
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Verrière de saint Claude (vers 1495), baie 19 de l'église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Le couronnement du dais et les anges de la tête de lancette ont été composés en 1903 par Maurice Muraire. Les philactères portent les inscriptions TE DEUM LAUDAMUS et IN DOMINUM CONFITEMUR.
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Verrière de saint Claude (vers 1495), baie 19 de l'église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
— HÉROLD (Michel),1995, Louviers, église Notre-Dame, les verrières, Rouen, 16P
— LAFOND Jean, 1963, Les vitraux de Notre-Dame de Louviers, par Jean Lafond . Louviers et Pont-de-l'Arche. Nouvelles de l'Eure, n° 15, Pâques 1963. (pp. 42-47). Non consulté.
— LE MERCIER (E.) Monographie de l'église Notre-Dame de Louviers Ch. Hérissey et fils, 1906 - 212 pages
— PREVOST (Gustave-Amable ), 1896, L'influence de la fortune et de l'initiative privées sur l'architecture : une famille normande et la Renaissance en Haute-Normandie, impr. de C. Hérissey (Évreux) pages34 et suiv.
Cette baie à 3 lancettes trilobées et un tympan à 3 ajours et 2 écoinçons est haute de 3 m. et large de 2,40 m est attribuée à Nicolas Le Prince et datée vers 1530. Elle a été restaurée par Maurice Muraire en 1903. Elle est consacrée à la Légende de Théophile.
Quelle est cette Légende ?
La légende de Théophile.
Théophile (mort vers 538), économe (ou vidame) au service d’un évêque d'une église à Adana en Cilicie, était reconnu pour sa bonté et sa grande dévotion à la Vierge. Son évêque étant mort, il avait refusé de lui succéder, bien qu'on voulût l'élire. Un autre fut nommé mais ce nouvel évêque, par une mauvaise inspiration ou par jalousie ... priva le pauvre Théophile de ses fonctions. Tombé en disgrâce, réduit au désespoir, abandonné de tous, Théophile, autrefois si pieux et si vertueux, consent, par l'entremise d'un Juif, à faire un pacte avec le diable : il promet de renier Dieu et de devenir l'homme de Satan, à condition que celui-ci lui fera rendre ses honneurs. Le pacte signé, Théophile retrouve sa situation mais regretta toutefois son geste — très vite ou après après sept ans, selon Rutebeuf —. Les remords viennent le torturer, il se repent, s'adresse à la Sainte Vierge et, par ses prières et par ses plaintes, il l'émeut à tel point qu'elle lui rend le pacte qu'il avait signé. Théophile confessa ses péchés devant l’évêque et le peuple. La charte fut brûlée et Théophile mourut peu de temps après.
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L'histoire de Théophile a été écrite d'abord en grec. Une traduction latine fut faite au IXe siècle par Paul Diacre de Naples et offerte à Charles le Chauve, connu pour sa dévotion mariale. Cette traduction, qui semble provenir d'une rédaction réunissant des traits des deux manuscrits grecs que nous connaissons, constitue la source, directe ou indirecte, de la plupart des versions plus récentes, soit en latin, soit en des langues modernes .
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Une diffusion privilégiée dans le Nord et dans l'Ouest.
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Le nombre de ces versions plus récentes atteste la grande popularité de la légende de Théophile. Presque toutes les
grandes collections des Miracles de la Vierge, en latin et en langue vulgaire, la reproduisent. En latin, nous connaissons plus de vingt-cinq rédactions diverses en prose et en vers.
"La morale illustrée dans ses poèmes suggère l’importance de la confession et de la prière, qui constituent les deux voies privilégiées contre le diable et le péché."
Dans le domaine de la poésie, Marbode (1040/45-1123), évêque de Rennes, relata la légende de Théophile. Son contemporain Hildebert de Lavardin (1056-1133), évêque du Mans et archevêque de Tours, traita de ce miracle dans son œuvre.
En anglais, il y a une grande quantité de poèmes narratifs renfermant au moins quatre versions diverses de la légende ; en allemand, nous connaissons trois poèmes narratifs et trois drames - ; en italien, un drame et diverses versions en prose; en espagnol, au moins quatre versions, deux en vers, deux en prose ; en hollandais, un poème et au moins une version en prose ; en anglo-saxon, une version en prose ; en islandais, trois rédactions en prose, etc.
Vincent de Beauvais lui consacre un chapitre du Speculum historiale (1244-1250), De Theophilo vicedomino et chirographo quod dedit diabolo (XXI, 69) ; Jacques de Voragine, vers 1265, intégra la légende dans le chapitre De nativitate beatae Mariae virginis de sa Légende dorée. Jean Miélot, copiste, enlumineur, traducteur et compilateur au service de Philippe III le Bon, duc de Bourgogne la place dans ses Miracles de Notre-Dame en prose compilés en 1456.
La légende de Théophile dans la liturgie et la musique sacrée.
Comme l'a démontré Émile Mâle, dans L'Art religieux du XIIIe siècle, 4e éd., p. 306 et suiv., « la légende ne fut si populaire que parce que l'Église la choisit entre beaucoup d'autres et l'adopta." Dès le XIe siècle, on chantait à l'office de la Vierge Tu mater es misericordiae / De lacu faecis et miseriae / Theophilum reformans gratiae. Au XIe et au XIIe siècle, la légende était devenue un exemple et figurait dans les sermons, comme celui de Fulbert de Chartres pour la Nativité ou ceux de Pierre Abélard et d'Honorius d'Autun pour la fête de l'Assomption, puis ceux de Geoffroy de Vendôme et Bernard de Clairvaux (Tractatus ad laudem gloriosae V. Matris).
"Théophile était à la fois un modèle et un contre-modèle pour chaque chrétien. Son histoire montrait le mal et la manière d’atteindre le salut et de se faire pardonner. Elle révélait qu’il n’y a pas de péchés irrémissibles s’il y a pénitence et que la sainteté n’est jamais acquise". (Coté)
Vers 1460, Johannes Régis, maître de chœur à Soignies près de Cambray puis secrétaire de Guillaume Dufay, compose sur cet office un motet à 5 voix (il en est l'initiateur) , Ave Maria... Virgo serena.
Au début du XVIe siècle, le compositeur picard Jean Mouton, ami de Josquin des Près et musicien préféré d'Anne de Bretagne composa un motet Ave Maria dont la seconde partie débute par Tu civitas regis justitiae, Tu mater es misericordiae, de lacu faecis et miseriae, Theophilum reformans gratiae.
Le motet de Josquin des Près Ave Maria... virgo selena ne comprend pas cette seconde partie.
Le Miracle de Théophile de Gautier de Coincy et de Rutebeuf.
En français, on a signalé quatre poèmes narratifs, dont celui de Gautier de Coincy (Miracles de Nostre-Dame, 1218), plusieurs versions en prose, deux soi-disant Prières de Théophile en vers, et le Miracle deThéophile de Rutebeuf à la fin du XIIIe.
Dans le texte de Rutebeuf, "tout est fait pour mettre en valeur ces trois moments : le débat intérieur de Théophile sur le point de renier Dieu, et plus encore les deux autres, le repentir de Théophile suivi de sa prière à la Vierge." (M. Zink)
"La pièce de Rutebeuf prend toutes les caractéristiques du miracle traditionnel : Vierge médiatrice, mère et Reine prenant place aux côtés d'un Dieu violent, inaccessible à l'homme. Notre-Dame permet à Théophile de renouer un dialogue rompu avec Dieu : avocate de l'homme auprès de Dieu, elle fait œuvre de charité et de bonté. Mais dans ce miracle par personnages, elle prend une forme originale et neuve, prenant vie par rapport à d'autres personnages et dans ses interactions avec ceux-ci : Marie devient une femme accessible et présente aux yeux du pécheur, mais aussi du spectateur, et devient surtout un objet de rire et de spectacle : face à Théophile, son refus inquiète et apporte l'espace d'une réplique un suspens dramatique. Face au diable, la scène devient burlesque et le diable est tourné en ridicule par une Vierge masculine et violente. La richesse de ce miracle est d'avoir apporté à la Vierge un nouveau visage comique, le poète jouant sur sa propre ambiguïté face à une religion qui ne lui convient plus et éveillant le public à une nouvelle forme de piété." (F. Frou)
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La légende de Théophile dans le théâtre religieux médiéval.
Nous ne connaissions que trois représentations du miracle de Théophile en France, celle d'Aunai (Eure-et-Loire) en 1384, celle de Limoges en 1533, celle du Mans (Sarthe) en 1539, mais il faut y ajouter celle données à Paris au Collège de Navarre en 1426, à Lyons-la-Forêt (Eure) citée par M de Maulde, et à Caen entre 1502 et 1510 : la prépondérance de l'Ouest de la France est notable, et les quelques témoignages d'une réalité plus vaste attestent que les habitants de Louviers pouvaient, lorsque les vitraux de leur église furent posés, assister encore dans leur région à de telles représentations.
Le Miracle de Théophile fut joué à Caen "à l'exaltation de la Vierge glorieuse". C'est bien l'ardeur du culte marial des Normands qui explique ce renouveau du Miracle au XVIe siècle, culte centré, notamment à Rouen, sur la défense de l'Immaculée Conception.
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Iconographie : La légende de Théophile dans les vitraux.
a) Aux XIIe-XIIIe : dans les cathédrales essentiellement.
Cathédrale de Lincoln, déambulatoire du chœur, fin XIIe -début XIIIe siècle.
Cathédrale Notre-Dame de Laon, baie 1, lancette gauche, chapelle axiale du chœur, 1210-1220. : 18 médaillons sur une lancette de 24 médaillons.
Cathédrale Saint-Etienne d’Auxerre, baie 2, chapelle axiale du chœur, vers 1240 .
Cathédrale Saint-Pierre de Beauvais, baie 2, chapelle axiale du chœur, 1240-45 .
Cathédrale Notre-Dame de l’Assomption de Clermont-Ferrand, chapelle axiale du chœur , 1248
Cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Troyes, fenêtre haute du chœur, 1240-1250.
Église paroissiale Saint-Pierre de Saint-Julien-du-Sault, (Yonne) baie 4, chapelle du chœur, milieu du XIIIe siècle.
Cathédrale Saint-Julien du Mans, verrières hautes du chœur baies 105 et 110, milieu du XIIIe siècle
b) Au XIVe siècle, dans les églises de l'Eure essentiellement.
Église paroissiale Notre-Dame de Louviers, (Eure) façade occidentale, 1530-1540.
Église paroissiale Saint-Martin de Montangon (Aube) , baie 3, chœur, 1530.
Église paroissiale Saint-Nicolas de Beaumont-le-Roger, (Eure) Haute-Normandie, Chœur ?, baie 7, 1540-1550.
Église paroissiale Notre-Dame du Grand-Andely, Les Andelys, (Eure) Haute-Normandie, bas-côté sud de la nef, baie 18, 1540.
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Le Miracle de Théophile (Nicolas Le Prince, vers 1530), baie 21, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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LA LANCETTE GAUCHE : LE RENVOI DE THÉOPHILE PAR SON ÉVÊQUE.
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Renvoi et désespoir de Théophile
"Fortement restituée ; décor architectural en grande partie moderne, panneau inférieur restitué." (Recensement).
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La scène se déroule dans ce qui doit être le bas-coté nord d'une église ; deux curieux petits personnages sont visibles dans le triforium. Une fenêtre donne vue sur le toit et la galerie d'une tour, délicatement peinte sur un verre bleu clair, selon l'usage des Le Prince.
Parmi les sept personnages, il est aisé d'identifier l'évêque, ainsi que le vidame Théophile, portant le surplis blanc (ou plutôt l'aumusse fourrée) des chanoines. Ce prélat avance les mains en signe de refus du renouvellement du poste, face au vidame qui tente d'argumenter pour conserver sa fonction.
Je rappelle à qui correspond cette fonction de "vidame" : le titre de vidame, ou vidomne, — vice-dominus, ou "vice seigneur" conférait à son titulaire la fonction de représenter un comte, un duc ou, comme ici un évêque dans son administration temporelle de ses biens et en matière de justice.
Le vitrail ne nous montre donc pas le refus de Théophile d'occuper la charge épiscopale, mais ce refus, cette dérobade sous couvert d'humilité a pu choquer ou irriter certains.
"L’archevêque, déconcerté par sa résistance, lui accorda trois jours pour réfléchir. Le temps venu, il trouvait le saint homme plus entêté que jamais dans son refus, et se voyait obligé d’engager le peuple à un autre choix. Le nouvel évêque mena grande joie de son élection puis, pressé par l’envie et les mauvais conseils, ne craignit point de chasser Théophile de l’emploi où cet humble serviteur avait voulu demeurer." (Gautier de Coincy)
Nous voyons ce conseiller, vêtu de la même aumusse et portant la même tonsure que Théophile, se pencher vers l'oreille de l'évêque pour lui susurrer de ne pas favoriser son collègue. Un autre conseiller, un clerc vêtu de bleu, jette un regard torve qui laisse préjuger de ses états d'âme — s'il lui en reste une — tandis que les autres personnes, des laïcs barbus habillés en seigneur et coiffés de toques, tiennent des conciliabules malsains.
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Le Miracle de Théophile (Nicolas Le Prince, vers 1530), baie 21, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Le Miracle de Théophile (Nicolas Le Prince, vers 1530), baie 21, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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LA LANCETTE MÉDIANE : LE PACTE DE THÉOPHILE AVEC LE DIABLE.
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"Verre gravé rouge pour le pacte. Partie supérieur du 2ème panneau restitué." (Recensement)
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Là encore, l'artiste estime que les épisodes intermédiaires sont connus du public. Théophile, éconduit de son juteux poste de vidame, regrette son geste, enrage, voue sa foi aux gémonies, et, désespéré, prend contact avec un Juif qui lui propose une conversion radicale et une allégeance aux forces du Mal.
"Or, quelqu’un se réjouit de l’affaire : l’Ennemi qui guette les âmes et s’afflige dès qu’il voit un fidèle s’entremettre pour servir Dieu ou se tenir au ferme propos de bien se conduire. Jour et nuit, insidieux et tenace, invisible et toujours agissant, il se glisse auprès de Théophile, l’entoure, le circonvient, le tente et si durement le presse que le pauvre clerc, embrasé de mauvais désirs ou enflammé de colère, ne se connaît plus et se met au point de renier Dieu et de s’étrangler de fureur.
– « Ah ! fait-il, ah ! hélas, me voici bien échec et mat. J’étais brillant parmi les prêtres et je suis devenu zéro en chiffre, victime de ma propre stupidité. Quel sot je fus, quel démon me trompa quand je refusai d’être évêque ! Que mon âme se perde et que je brûle au feu d’enfer pourvu que je retourne à ma dignité première. Holà ! Satan, voici ton heure. Ton homme je me déclare, prêt à te servir chaque jour pourvu que tu m’indiques le moyen de prendre ma revanche. Car, je le sens trop maintenant, ni Dieu, ni sa Mère ne me sont plus d’aucun secours. »
Il y avait dans la ville un juif fécond en artifices, expert en sorcellerie et qui savait évoquer, sans qu’ils pussent résister à ses incantations, les diables d’enfer. Il avait déçu les plus sages de l’endroit et mainte âme lui avait dû d’aller griller pour l’éternité. C’est à son huis que Théophile se décida de frapper.
Il ne fallut pas un long examen au nécromant pour deviner que le démon possédait cet esprit devenu tout mondain. Le clerc, d’ailleurs, tombé à ses pieds, le suppliait.
– « Seigneur, s’écria-t-il, seigneur, grâce ! Près de succomber au courroux de mon cœur, je vous implore. L’évêque, mon nouveau maître que Dieu confonde, m’a dépouillé de mon grade, m’a privé de mes biens et m’a jeté à la rue. Que, par vous, je vienne à bout de me venger ou, sûrement, je succombe de désespoir. »
À quoi le juif mielleux répondit :
– « Ami, vous tiendriez encore votre haute place si vous étiez, comme tant d’autres, usurier, avare, flatteur ou esclave. Mais tous vos prélats, je ne le sais que trop, n’ont que faire de gens de bien. Les gros bénéfices vont aux grosses bourses, et nul n’a rien s’il ne l’achète ou s’il ne le paye en bassesses, en médisances ou en flatteries. Chaque jour la chose empire. Vos chefs ne prisent nul mérite. Ample déshonneur, certes, vous leur devez. Mais si vous voulez m’en croire et vous fier à mon conseil, bientôt vous retrouverez des trésors et des titres plus grands que ceux que vous avez perdus. »
Théophile acquiesça et le perfide reprit :
– « Beau doux ami, l’homme prudent ne révèle à personne ses affaires et, entre mille, sait faire choix d’un ami. Revenez demain soir tout seul, je veux mener la chose avec tant de secret et de diligence que, si méfiant que soit votre évêque, vous deveniez avant peu maître de lui et de ses biens. J’ai assez de crédit à la cour de mon Seigneur à moi pour vous obtenir satisfaction. Je vous y conduirai, vous pourrez vous y plaindre. Évêque vous désirez d’être, c’est la tiare peut-être et les clefs qu’on vous offrira. Ils sont nés sous une heureuse étoile ceux qui apprennent à profiter d’un tel pouvoir. »
Le malheureux Théophile prend congé puis s’en retourne furtivement chez lui. Le lendemain, à la nuit, animé du mauvais esprit, il revient chez le juif qui lui saute au cou, le baise et lui fait fête.
– « Ah, dit le mécréant, réjouissez-vous. Je me suis déjà occupé de votre affaire : j’ai vu Messire et l’en ai entretenu. Il vous salue et, par moi, vous mande qu’il vous attend parmi sa cour à la grande fête qu’il va donner. »
La nuit est épaisse et semble peuplée d’ombres hideuses. Où va le misérable que son noir compagnon tient étroitement serré, qu’adviendra-t-il de lui si Notre-Dame ne s’en mêle ? Il tremble de tous ses membres en attendant. « Ne crains donc rien, lui répète le maudit juif, et quoique tu entendes, quelque merveille que tu voies, garde-toi bien surtout de faire nul signe de croix ni d’appeler Dieu, ni sa Mère. »
Théophile promet tout ce qu’on veut. « Lève la tête maintenant, reprend le juif qui l’a saisi par la main, tu peux déjà voir la fête que je t’ai promise et la haute joie que mènent tous ceux qui servent Monseigneur. »
Un sourd tumulte, un bruit funèbre ébranlent tout le pays. Autour de la ville, dans une clarté livide, des processions vont et viennent, et on dirait qu’un sombre incendie dévore le sol. Ils sont bien là cent mille démons, revêtus d’un lourd manteau blanc et tenant au poing cierges et chandeliers. Ils glorifient leur Seigneur et celui-ci, au milieu d’eux, se dresse, si gigantesque et si épouvantable qu’à sa vue Théophile, claquant des dents, se demande s’il ne va pas succomber à l’effroi. Ah, il s’en retournerait bien volontiers ! Mais son juif ne le lâche pas et lui recommande sans cesse de n’invoquer aucun saint.
– « Ami, dit le Diable au juif, quel est cet homme et d’où vient-il ?
– Seigneur, répond le maudit, c’est celui qu’hier soir j’ai promis de vous amener. Il est à vous si vous le voulez et il a grand besoin de vos conseils. Vous lui accorderez d’ailleurs bien plus qu’il n’ose demander. Quant à son grief le voici. Son évêque lui a fait injure et il en a le cœur tout furieux et dolent. »
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C'est ce contexte qu'il faut connaître pour identifier ici le beau personnage qui se tient en bas et à gauche du vitrail. Toque bleue, manteau long de belle étoffe rouge, chemise à col de dentelle, tunique verte, chausses bleues, il a l'allure d'un jeune noble du XVIe siècle, mais la main qu'il pose sur son aumônière le désigne comme le Juif perfide.
La scène se passe dans un palais Renaissance (pilastres à bas-reliefs et moulures, entablements sculptés) , mais la partie droite, et le deuxième plan sont teintés d'une couleur rougeâtre en reflétant les feux de l'Enfer : nous sommes chez le Diable.
Celui-ci est assis sur un trône. Il est vêtu, sur une robe rouge, d'une pelisse qui pourrait être celle d'un riche bourgeois, mais son visage est celui d'un faune, envahi par les poils, avec deux oreilles velues, et un regard détourné. Ce sont ses mains velues et griffues, et surtout ses pieds, semblables à une patte de reptile, qui trahissent le plus sa nature immonde.
Théophile se damne devant nos yeux en tendant au démon la Charte, écrite de son sang.
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"Et Satan aussitôt :
– « Puisque tu le veux, dit-il, si tu renies sans délai ton baptême, ta croyance en Dieu, en sa Mère, en ses saintes et saints, je te rends des honneurs à l’infini au-delà de ceux que tu as perdus. Et quant à l’évêque, ton maître, tu ne lui demanderas rien qu’il ne soit contraint de t’accorder. Mais tout cela je ne te l’octroie qu’au prix d’un abandon complet et de Jésus et surtout de Marie qui jour et nuit m’opprime et me poursuit et que je hais de toutes mes forces. Et tes promesses ne me suffisent point : trop de chrétiens m’ont déçu déjà, se rangeant sous ma loi pour gagner mes faveurs et se dérobant après, moi quinaud, par la confusion ou par le repentir. Ce que j’exige, c’est une belle et bonne charte, signée de ton nom, scellée de ton sceau et telle que tu ne la puisses désavouer. À ce prix seul tu participeras à ma haute puissance et à mes innombrables trésors. »
À toutes ces conditions, le clerc égaré souscrivit. Tombant aux pieds du Diable et les baisant de façon très humble, il renia foi et sacrements, puis, consommant l’irréparable, il livra le parchemin où la marque de son anneau attestait le pacte odieux. Satan emporta la pièce en enfer, riant à l’idée que nul ne viendrait la rechercher jusque-là et tout heureux d’avoir enlevé à Notre-Dame un des plus fervents et des plus connus de ses serviteurs."
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Le Miracle de Théophile (Nicolas Le Prince, vers 1530), baie 21, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Le Miracle de Théophile (Nicolas Le Prince, vers 1530), baie 21, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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LA LANCETTE DROITE : LA VIERGE RÉCUPÈRE LA CHARTE.
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Description.
Verres rouges gravés pour la charte, et pour les griffes du Malin . Panneau inférieur restitué.
La peinture est construite sur l'opposition des triangles limités par les diagonales : à droite et en haut, la Vierge à l'Enfant et l'église, métonymie de l'Église, mais aussi sur le verre bleu cet édifice qui revient sans cesse dans les peintures de l'atelier Le Prince. Les couleurs dominantes sont le blanc, le bleu et le jaune d'or. Les visages très blanc et les rehauts au jaune d'argent, également spécifiques de cet atelier, n'atteignent pas les sommets de virtuosité propres à Engrand, père de Nicolas Le prince
À gauche, tenant dans sa patte le Pacte signé du sang et du sceau de Théophile, le Diable, reptilien, à ailes de chiroptères, et à queue de renard. Aux constructions urbaines s'oppose ici la forêt, la nature profonde. Le rouge et le vert, mêlé au jaune, dominent. Le visage de Satan est démoniaque et satanique à souhait.
Sur la ligne médiane, en champ neutre, la charte fait scintiller l'opposition du rouge et du blanc
Cette bipartition de l'espace rappelle celle des théâtres médiévaux :
"Le rapport entre la prise de parole et la mention spatiale est un des traits spécifiques de la dramaturgie médiévale où la mise en scène repose sur une répartition en mansions, c’est-à-dire en plusieurs lieux, présentés simultanément à la vue du public placé soit en rond autour de la « scène » soit face à elle. Il suffisait que les personnages se tiennent devant ou dans l’espace qu’ils délimitent pour être identifiés avant de s’avancer dans ce que la critique nomme « l’aire de jeu » : espace vide et neutre où s’effectuent les déplacements. Pour le Théophile, on peut donc imaginer, par exemple, une opposition entre l’espace du diable et l’espace marial de l’église, entre la demeure du juif et celle de l’évêque, avec un Théophile balloté de l’un à l’autre." (Françoise Laurent)
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Le Miracle de Théophile (Nicolas Le Prince, vers 1530), baie 21, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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C'est peut-être Rutebeuf qui a introduit la lutte de la Vierge avec Satan pour la possession du pacte .
Théophile est absent. "Si l'histoire doit être contée en trois actes, les seules images sont la destitution, la conjuration et la restitution du pacte à la Vierge". (L. Riviale). Certes. Mais cela suppose que nous connaissions les épisodes manquants.
Il y a d'abord la conversion de Théophile au Mal. Le Diable suggère à l'évêque de rendre à Théophile son cher emploi, et ses honneurs, et sa richesse, mais il est désormais un suppôt de Satan :
"Théophile écoute cette voix subtile et trompeuse, Théophile ni ne chante plus l’office ni même n’entre dans l’église, Théophile préfère la joie à la pénitence et le siècle à Sainte Marie que jusque-là il aimait tant, Théophile laisse le Christ pour l’Antéchrist, Théophile erre et s’égare, Théophile prend un cœur de pierre : à grands sauts et à grand galop, Théophile se précipite au feu d’enfer.
Quelle honte pour qui l’a connu ! Lui, renier Dieu et se vendre au Diable ! Ce dignitaire si charitable, Satan l’a tellement changé, lui a mis au cœur si grand orgueil qu’à peine il daigne se tourner vers les pauvres gens à qui jadis il distribuait argent, cottes et chaussons. Il baisait les mains et les pieds jusqu’aux lépreux ; il a délaissé les bonnes œuvres pour se vouer à l’Ennemi. D’humble et doux le voilà devenu fier et cruel, de franc débonnaire, cauteleux et plein de malices, de religieux, luxurieux. Il chasse ceux qu’il recueillait, et il ne reste plus rien en lui de ce qu’on y admirait tant. L’enfer a fait cet autre miracle : Dieu et sa mère muets, il tient entière la débile créature qui ne songe plus à donner contentement qu’à son corps." (Gautier de Coincy)
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Puis il est pris de remords, puis de repentance, et il se tourne vers la Vierge pour la supplier de lui pardonner : c'est la Prière de Théophile. Mais les prières portant ce titre n'ont qu'un rapport indirect avec le Miracle du chanoine et vidame : ce sont des prières destinées aux fidèles, qui invoquent Marie, sous de nombreux qualificatifs repris à Rutebeuf, tout en lui rappelant son indulgence envers Théophile "Très doulce vierge gracieuse, qui Theophilus confortas", simple citation de l'oraison Theophilum reformans gratiae. Une version du XVe siècle en a été publiée en 1843 à Bruxelles puis en 1872 par Félix Herbert à Châteauroux, mais on en trouve l'original dans les Heures de Françoise de Foix, comtesse de Chateaubriant vers 1455 (Rennes BM 2050 folio 267-288) :
Glorieuse vierge royne,
En qui, par ta vertu divine,
Jhesu Crist prist humanité
Tu qui es fontaine et racine,
De tous biens, mon cuer enlumine
Doulce dame, par charité
[...]
Dame plus que nulle autre belle,
Qui le filz Dieu Vierge pucelle,
Enfantas sens dolour avoir,
A ceste arme qui cy t’apelle ,
Dont l’ange t’aporta novelle,
Fay mercy et pardon avoir
[...]
Dame, en qui toute bonté maint,
Qu'as par ta prière maint
Conforté, et sauvé jadiz,
Prie ton filz que il me maint
A bonne fin, et qu'il m'amaint
En la joye de Paradis
A jointes mains mercy vous cry,
Dame, qu'ayes de moy mercy,
Et de ceulx qui vous serviront,
Et de cellui qui ce dit cy
A fait, et de moy qui sui cy,
Et de tous ceulx qui le diront.
Amen.
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Dans Rutebeuf, Théophile prie ainsi
Sainte roïne bele,
Glorieuse pucèle,
Dame de grâce plaine
Par qui toz biens revèle, .
La Vierge refuse d'abord :
Je n’ai cure de ta favèle ; Va-t’en, is fors de ma chapèle.
Puis elle se laisse attendrir et accorde son pardon. C'est peut-être l'essentiel de cette histoire : la Repentance d'un renégat, et la Miséricorde divine obtenue par l'intercession de Marie, dans un récit comique où la Vierge apparaît très humaine. Mais sur le plan dramatique, l'essentiel, c'est la Charte, cet objet transitionnel ou objet navette qui confère le pouvoir et la vie à son détenteur ! la Vierge accepte d'aller la récupérer :
Théophile, je t’ai séu Çà en arrière à moi éu ; Saches de voir, Ta charte te ferai ravoir Que tu baillas par non savoir : Je la vois querre.
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Aller la récupérer ? Même pour la Vierge, ce n'est pas gagné ! Satan s'en est emparé et l'a emmené en Enfer.
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Sathan, Sathan ! es-tu en serre ?
S’es or venuz en ceste terre
Por commencier à mon clerc guerre,
Mar le penssas.
Rent la chartre que du clerc as,
Quar tu as fet trop vilains cas.
— sathan parole.
Je la vous rande !…
J’aim miex assez que l’en me pende.
Jà li rendi-je sa provande
Et il me fist de lui offrande
Sanz demorance,
De cors et d’âme et de sustance.
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Mais la Vierge n'a pas sa langue dans sa poche et elle terrasse — comme elle sait si bien le faire — le vilain Satan en une seule réplique :
— nostre-dame.
Et je te foulerai la pance.
Nous ne voyons pas le moment émouvant (surtout dans Gautier de Coincy) où elle rend à Théophile sa charte .
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Le Miracle de Théophile (Nicolas Le Prince, vers 1530), baie 21, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Le Miracle de Théophile (Nicolas Le Prince, vers 1530), baie 21, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Dans le ciel, Satan s'enfuit dans une gesticulation hurlante :
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Le Miracle de Théophile (Nicolas Le Prince, vers 1530), baie 21, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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. TYMPAN.
Il est d'une autre main que les lancettes, et est attribué à l'auteur de la baie 28.
Anges musiciens dans les ajours latéraux et les écoinçons. Ange de l'ajour droit et de l'écoinçon gauche moderne.
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Le Miracle de Théophile (Nicolas Le Prince, vers 1530), baie 21, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Ajour central : le couronnement de la Vierge .
Têtes de Dieu le père et du Christ restituées.
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Le Miracle de Théophile (Nicolas Le Prince, vers 1530), baie 21, église de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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CONCLUSION.
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Le sujet de ce vitrail, placé du coté nord, est bien différent de ceux du coté sud (baies paires 18 à 28) centrés la Vie du Christ, puisqu'il s'intègre dans la défense du culte de la Vierge et de sa Conception Immaculée, et au culte des saints, propre à la Normandie du XVIe siècle confrontée à la Réforme. Le seul point commun est que, dans les deux cas, ces thèmes donnaient matière à des représentations théâtrales, soit dans les Mystères médiévaux de la Passion et de la Résurrection, soit sur le Miracle de Théophile et les Miracles de Notre-Dame.
Faut-il y voir un témoin de ces drames liturgiques anciens de plusieurs siècles (les trois scènes figurées ici n'étant alors qu'un rappel des textes, ou des représentations truculentes et animées connues de tous) désormais plus accessibles grâce à l'imprimerie, ou au contraire, une nouvelle figuration de ces légendes pour s'éloigner de leur aspect fabuleux et prosaïques afin d'en formuler un discours théologique moderne, recentrant la Foi sur le culte de la Vierge et du Christ ? La confrontation avec les verrières homologues de Beaumont-le-Roger et des Andelys, mais surtout avec l'ensemble de la production normande de vitraux, et de l'effervescence religieuse rouennaise, incite à privilégier la seconde option, et d'y voir le témoin des mutations des esprits "entre Renaissance et Réforme" (Laurence Riviale 2007).
Pour ma part, un peu déçu de ne pas trouver ici les grandes émotions esthétiques de l'atelier Le Prince de Beauvais, ce vitrail aura été l'occasion d'une lecture roboratives de textes poétiques en ancien français qui annoncent le drame de Faust, et de leurs didascalies qui nous les rendent si animées. Oyez, bonnes gens !
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ci list l’Évesque la chartre, et dist :
Oiez, por Dieu le filz Marie :
Bone gent, si orrez la vie
De Théophiles
Qu’anemis servi de guile.
Ausi voir comme est Évangile
Est ceste chose :
Si vous doit bien estre desclose.
Or escoutez que vous propose :
« A tos cels qui verront ceste lettre commune
« Fet Sathan à savoir que jà torna fortune,
« Que Théophiles ot à l’évesque rancune,
« Ne li lessa l’évesque seignorie nesune.
« Il fu désespérez quant l’en li fist l’outrage ;
« A Salatin s’en vint qui ot el cors la rage,
« Et dist qu’il li feroit mult volentiers hommage
« Se rendre li pooit s’onor et son domage.
« Je le guerroiai tant com mena sainte vie,
« C’onques ne poi avoir desor lui seignorie.
« Quant il me vint requerre, j’oi de lui grant envie,
« Et lors me fist hommage, si r’ot sa seignorie.
« De l’anel de son doit séela ceste lettre ;
« De son sanc les escrist, autre enque n’i fist metre,
« Ains que je me vousisse de lui point entremettre
« Ne que je le féisse en dignité remettre. »
Issi ouvra icil preudom.
Délivré l’a tout à bandon
La Dieu ancele ;
Marie, la virge pucele,
Délivré l’a de tel querele :
Chantons tuit por ceste novele.
Or levez sus ;
Disons : Te Deum laudamus ! (Rutebeuf)
— CALLIAS BEY, Martine, CHAUSSÉ, Véronique, GATOUILLAT, Françoise et Michel HÉROLD. Les vitraux de Haute-Normandie. Publié sous la direction du Comité international d’histoire de l’art et sous le patronage de l’Union académique internationale. Paris, Édition du Centre national de la recherche scientifique, 2001, p. 178-182. Coll. : « Corpus vitrearum medii aevi : France : Série recensement des vitraux anciens VI ».
— COTHREN (Michael W. ) « The Iconography of Theophilus Windows in the First Half of the Thirteenth Century », Speculum, vol. 59, no 2 (Avril 1984), p. 308-341.
— COTÉ (Mélanie), 2014, La légende de Théophile dans l’occident médiéval (IXe-XVIe siècle) : analyse textuelle et iconographique, Mémoire de Maîtrise en histoire de l’art Maître ès arts (M. A.) Université Laval, Québec, Canada
— COMBARIEU (Micheline de), Le diable dans le "Comment Theophilus vint à penitance" de Gautier de coinci et dans le "Miracle de Theophile" de Rutebeuf, LE DIABLE AU MOYEN ÂGE, in Doctrine, problèmes moraux, représentations, Coll. Senefiance, Presses Universitaires de Provence.
— PROU Fanny La Vierge dans le Miracle de Théophile : Du récit au drame, une nouvelle représentation de la Vierge : entre représentation collective et piété personnelle
— RIVIALE (Laurence), 2007, Le vitrail en Normandie entre Renaissance et Réforme (1517-1596), Corpus vitrearum France Etudes VII, Presses Universitaires de Rennes, pages 158-163.
—RUTEBEUF LE MIRACLE DE THÉOPHILE , édition de 1925, Miracle du XIIIes siècle édité par Gracé Franck, Les classiques français du Moyen-Âge publiés sous la direction de MARIO ROQUES
—RUTEBEUF LE MIRACLE DE THÉOPHILE : Ci commence Le Miracle de Théophile in Rutebeuf - Œuvres complètes, Texte établi par Achille Jubinal, Chez Édouard Pannier, 1839, 2 (p. 79-105).
La verrière des Trois Marie ou de la Parenté de la Vierge (Arnoult de Nimègue, vers 1510-1515), ou baie 18 de l'église de Louviers. Photo lavieb-aile.
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PRÉSENTATION.
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Le visiteur remontant le bas-coté sud depuis le fond de l'église examine successivement les baies 28, 26, 24, 22 et 20 puis parvient à cette baie 18 juste avant le porche sud pour constater une rupture de style : les n°26, 24, 22 et 20 relevaient de l'atelier rouennais du Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, avec leurs verdures aux mille fleurs fréquentées par les perdrix, tandis que nous abordons l'œuvre du flamand Arnoult de Nimègue (1445-1540), et le mécénat du cardinal Georges II d'Amboise lors de son archiépiscopat à Rouen (1513-1550). Georges II est le richissime "neveu" du cardinal Georges d'Amboise, introducteur du style italien Renaissance en France, notamment par son mécénat sur le château de Gaillon, résidence d'été des archevêques de Rouen.
Arnoult de Nimègue installa son atelier à Rouen entre 1503 et 1513, au service de l'abbé de Saint-Ouen de Rouen Antoine Bohier (qui sera abbé de Fécamp puis d'Issoire, archevêque de Bourges en 1514 puis cardinal). [C'est son frère Thomas qui fit construire Chenonceau.]
"Son style (d'Arnoult de Nimègue) se caractérise par des visages au modelé subtil, l'emploi de la sanguine pure et surtout par l'utilisation très étendue de la grammaire décorative de la première Renaissance, apprise sur le chantier de Gaillon : Guichardin voit en lui « le plus grand imitateur des dessins d'Italie ». Son influence dans la peinture sur verre normande, particulièrement forte, se fait sentir pendant un demi-siècle. L'imitation des maîtres romains conduit, dans ses dernières œuvres (cathédrale de Lichfield), à un certain dessèchement de la forme et à un assombrissement de la tonalité." (Françoise Perrot, E. Universalis) https://www.universalis.fr/encyclopedie/arnoult-de-nimegue/
"Il emprunte les tissus damassés, les lourdes étoffes chargées de cabochons et de fermoirs orfévrés au vocabulaire nordique. En revanche, l'architecture qui se déploit au dessus des personnages s'attache aux formes antiques : grotesques et pilastres corinthiens ornés de putti. les visages peints à la sanguine montrent des figures assez caractérisées, mises en valeur par des traits de couleur brune. Il domine également le travail du verre : la subtilité de la palette employée confère à ses œuvres une grande clarté." (Caroline Blondeau).
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Le peintre expérimente de nouvelles peintures et Jean Lafond identifie "un émail de couleur rosâtre, une sanguine utilisée à Saint-Godard, puis à Fécamp, à Louviers et aux Andelys.
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Datée vers 1526 par Jean Lafond, et entre 1510-1515 par Callas-Bey et al. , cette baie relève, comme les précédentes, de la campagne de reconstruction de la façade sud.
C'est une ouverture de 3,80 m de haut et 2,20 m de large divisée par son remplage en trois lancettes et un tympan à 8 mouchettes et 3 soufflets. Elle représente les trois filles de sainte Anne : Marie Jacobé fille de Cléophas, la Vierge Marie fille de Joachim, et Marie Salomé fille de Salomas : ces "trois Marie" forment donc, avec leurs enfants, une Sainte Parenté de la Vierge selon une tradition du triple mariage de sainte Anne détaillée dans la Légende dorée au XIIIe siècle, et que rejettera le Concile de Trente.
Les panneaux inférieurs des lancettes, qui devaient nous présenter les donateurs dont la devise figure au tympan, ont été perdus et remplacés en 1903 par Maurice Muraire : deux anges jouant de la harpe encadrent un angelot tenant un cartouche avec cette précision édifiante : RESTAURATION OFFERTE PAR LES DAMES DE LA CONFERENCE SAINT VINCENT DE PAUL LES ENFANTS DE MARIE LES MERES CHRETIENNES.
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La partie supérieure des lancettes et le tympan reçoit un arc de triomphe tripartite portant un couronnement architectural, déclinant le vocabulaire de colonnes-candélabres cannelées à chapiteaux, de médaillons à l'antique ou florentins, d'inscriptions sur les entablements imitant le marbre, etc.
La construction privilégie une composition très frontale, dont la profondeur est faible (surtout rendu sous le cintre des arcs latéraux par de petits paysages clairs), dont les principales et rares lignes de perspective convergent sur le sommet de la main de la Vierge. Ce point focal est aussi celui vers lequel se dirige l'axe des deux sœurs de la Vierge. D'autres lignes ne respectent pas ce point de construction. La Vierge à l'enfant est aussi droite et hiératique que les colonnes qui l'entourent. Les deux Marie semblent des mannequins tournés de trois-quarts. Aucune des trois mères n'ébauche l'un de ces gestes familiers et tendres par lesquels les peintres des enluminures traitant du même thème (le Maître de Jouvenel BnF lat 3211, Fouquet dans les Heures de Chevalier) animent la scène.
Seuls les enfants introduisent un peu d'humanité dans cette verrière, et on comprend que Le Mercier ait émis l'hypothèse (non confirmée) que les trois femmes étaient des allégories de la Bienfaisance, de la Foi et de la Sagesse.
On remarquera aussi l'absence de sainte Anne.
Le caractère froid et énigmatique s'accentue à la lecture des inscriptions, qui renvoient (tout comme la devise De tout Rien) à la vanité de l'existence : rien à voir avec l'oraison des Heures d'Angers (vers 1450) : Troys seurs de noble lignage// Par ce nom Marie nommees// ...-... Vous requerra devotement.// Amen" (cf. Annexe)
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Anne et les trois Marie, Heures d'Angers BnF NAL 3211 p. 27 reproduit dans Reynaud 2006
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La verrière des Trois Marie ou de la Parenté de la Vierge (Arnoult de Nimègue, vers 1510-1515), ou baie 18 de l'église de Louviers. Photo lavieb-aile.
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La verrière des Trois Marie ou de la Parenté de la Vierge (Arnoult de Nimègue, vers 1510-1515), ou baie 18 de l'église de Louviers. Photo lavieb-aile.
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LA LANCETTE GAUCHE : MARIE JACOBÉ (OU MARIE CLEOPHAS) ET SES QUATRE ENFANTS .
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Inscription :
SVB SOLE NIL ALIVD Q[am] BENEFACERE
ET LETARI ECCLESIASTES 3° CAPITVLO
Ecclésiaste 1 Sub sole nil novi, "rien de nouveau sous le soleil".
Ecclésiaste 3:12 Et cognovi quod non esset melius nisi laetari, et facere bene in vita sua "J'ai reconnu qu'il n'y a de bonheur pour eux qu'à se réjouir et à se donner du bien-être pendant leur vie; "
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Marie Cleophas est coiffée d'un turban rejeté (maladroitement à mes yeux) très en arrière. Son manteau pourpre agrafé sur l'épaule droite et sa robe bleu-vert ne montrent aucune ornementation.
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La verrière des Trois Marie ou de la Parenté de la Vierge (Arnoult de Nimègue, vers 1510-1515), ou baie 18 de l'église de Louviers. Photo lavieb-aile.
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Les quatre enfants de Marie Jacobé et de son mari Alphée : saints Simon (scie), Jacques le Mineur (bâton de foulon) Jude Thaddée (hallebarde), et Joseph le Juste — ou Barsabas— (croix).
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Comme dans l'enluminure du Maître de Jouvenel (et donc d'une manière médiévale et naïve que Fouquet évita d'imiter), les quatre enfants portent la tenue ou l'attribut qui les caractérisent dans leur vie adulte, y compris les pieds nus propres aux apôtres.
Tête de Joseph restauré anciennement. Médaillon des colonnes modernes..
La verrière des Trois Marie ou de la Parenté de la Vierge (Arnoult de Nimègue, vers 1510-1515), ou baie 18 de l'église de Louviers. Photo lavieb-aile.
Vidi cuncta quae fiunt sub sole, et ecce universa vanitas et afflictio spiritus.
"J'ai vu tout ce qui se fait sous le soleil; et voici, tout est vanité et poursuite du vent."
Il est difficile de comprendre pourquoi ces inscriptions ne se conforment que de façon fragmentaire au texte de la Vulgate.
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La verrière des Trois Marie ou de la Parenté de la Vierge (Arnoult de Nimègue, vers 1510-1515), ou baie 18 de l'église de Louviers. Photo lavieb-aile.
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La Vierge semble tenir un objet (tige d'une fleur) entre pouce et index, mais ce dernier est absent.
Tête, médaillons et une partie de la robe restitués.
Ses monogrammes MA (restitués) sont à ses pieds.
La verrière des Trois Marie ou de la Parenté de la Vierge (Arnoult de Nimègue, vers 1510-1515), ou baie 18 de l'église de Louviers. Photo lavieb-aile.
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Lancette gauche : Marie Salomé et les deux fils de Zébédée, saints Jean l'évangéliste et saint Jacques le Majeur.
Inscription :
SVPER SOLEM ET STELLAS SPECIOSOR
ST SAPIENCIA ECCLESIAST. VII. CA IO
Ce texte ne correspond à rien dans l'Ecclésiaste 7.
Voir Ecclésiaste 3:12 Et cognivi quod non esset melius nisi laetari et facere bene in vita sua "Et j'ai reconnu qu'il n'y avait rien de meilleur que de se réjouir et de bien faire durant sa vie".
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La verrière des Trois Marie ou de la Parenté de la Vierge (Arnoult de Nimègue, vers 1510-1515), ou baie 18 de l'église de Louviers. Photo lavieb-aile.
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Marie Salomé est coiffé d'un turban agrémenté de colliers de perles, et elle porte une robe bleue dont le décolleté est richement souligné par des perles et des pendeloques. Elle tient un livre.
La tranche dorée du livre est obtenue par gravure à l'outil du verre coloré violet : le verrier a ôté par meulage ("gravure") le verre violet jusqu'à faire apparaître le verre blanc (de doublage), puis il a peint ce verre blanc au jaune d'argent.
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La verrière des Trois Marie ou de la Parenté de la Vierge (Arnoult de Nimègue, vers 1510-1515), ou baie 18 de l'église de Louviers. Photo lavieb-aile.
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Les enfants de Marie Salomé sont les fils de Zébédée, Jean l'évangéliste et Jacques le Majeur.
Saint Jean tient la coupe de poison et Jacques porte la tenue de pèlerin (bourdon, besace, pèlerine).
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La verrière des Trois Marie ou de la Parenté de la Vierge (Arnoult de Nimègue, vers 1510-1515), ou baie 18 de l'église de Louviers. Photo lavieb-aile.
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LE TYMPAN.
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Angelots tenant soit des étendards évoquant les bannières des légionnaires romains, soit des guirlandes.
Cartouche avec la devise DE TOVT RIEN.
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La verrière des Trois Marie ou de la Parenté de la Vierge (Arnoult de Nimègue, vers 1510-1515), ou baie 18 de l'église de Louviers. Photo lavieb-aile.
La verrière des Trois Marie ou de la Parenté de la Vierge (Arnoult de Nimègue, vers 1510-1515), ou baie 18 de l'église de Louviers. Photo lavieb-aile.
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CONCLUSION.
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Laurence Riviale consacre les pages 149 à 158 de Le Vitrail en Normandie entre Renaissance et Réforme à "La parenté de la Vierge : l'Arbre de sainte Anne ou les Trois Marie." Ce titre de paragraphe mériterait un point d'interrogation car il expose plus de difficultés qu'il n'en résout.
En effet, les 13 verrières normandes illustrant ces deux thèmes se divisent en deux groupes : soit A. une arborescence généalogique de sainte Anne, soit B des niches d'un arc de triomphe.
A.
Rouen, Saint-Maclou , baie 5, 1440-1450
Evreux, baie 3, 1467-1469, dans une Vie de la Vierge
Rouen, Saint-Vincent , baie 4, 1520-1530
Rouen, Saint-Nicaise
Rouen, Saint-Eloi
Darnétal (Seine-Maritime) Saint-Ouen de Longpaon , 1555. Arbre à 14 pers.
Houppeville (Seine-Maritime), baie 2, vers 1544
B.
Louviers baie 18 ,1510-1515
Serquigny , baie 5, 1561
Dans la verrière de Serquigny (Eure) , Marie Salomé et Marie Jacobé encadrent sainte Anne, et non la Vierge. Mais le vitrail est désigné sous le terme des Trois Marie, et peut-être Anne était-elle accompagnée initialement de la petite Marie?
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En définitive, la baie 18 de Louviers est la seule à mériter le titre de Trois Marie, la seule à ne pas présenter sainte Anne. D'autre part, cette singularité s'accompagne d'un corpus d'inscription parfaitement étranger au thème de la Sainte Parenté, ou de toute invocation. Enfin, elle n'est pas intégrée à un cycle de la Vie de la Vierge.
Au contraire, elle fait suite à deux verrières des Apparitions du Christ ressuscité.
Or, dans ce cycle, on remarque l' absence d'une scène absolument majeure, celle de l'apparition des anges aux trois saintes femmes, au Sépulcre. Cette scène est cruciale car c'est sur la constatation du tombeau vide et sur les paroles des anges que se fonde la certitude de la Résurrection, conforté par les apparitions qui vont suivre, à Marie, à Marie Madeleine, aux Apôtres, à Pierre, à Thomas, aux Apôtres au Cénacle, avant l'Ascension devant les Apôtres. Cette scène est majeure car c'est sur elle que repose la liturgie, la liturgie chantée et la dramaturgie liturgique de la Semaine Pascale. C'est elle qui donne son nom à l'Office du Saint-Sépulcre suivant l'usage de Rouen, et de sa musique à notation carrée (Graduale rhotomagense BnF latin 904 du XIIIe siècle), c'est elle qui est l'objet de la dramaturgie "des trois Marie" (Coussemaker p.256), elle qui fait l'objet d'une très riche iconographie.
Seulement, les trois Marie sont alors Marie-Madeleine, Marie Jacobé et Marie Salomé.
Laurence Riviale présente longuement ce culte des trois Marie autour de Rouen (page 156-158) et évoque plus rapidement, à Louviers, "une confusion entre deux cultes" celui des Trois Marie découvrant le tombeau vide, et celui des trois Marie filles de sainte Anne. Il faut reconnaître que ces deux cultes sont bien proches.
L'absence de la scène des saintes femmes au Sépulcre dans le cycle de la Résurrection à Louviers me semble être un argument très fort pour suspecter cette "confusion". Les commanditaires auraient-ils commandé une verrière "des trois Marie" du tombeau vide, et le peintre-verrier Arnoult de Nimègue aurait-il réalisé ces "Trois Marie" de la Parenté dans une incompréhension telle qu'il aurait peint un tableau très neutre et désincarné des saintes et y aurait associé des considérations sur l'Ecclésiaste ?
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ANNEXE. L'oraison aux Trois Marie.
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Pierre Rezeau, Les prières en français adressées aux saints dans les Livres d’Heures du xive au xve siècle.
https://books.openedition.org/pup/2835?lang=fr
Après une invocation aux Trois Maries, qui rappelle leur ascendance et leur parenté avec le Christ (str. l et 2), l’auteur s’adresse à chacune d’elles : la Vierge Marie (str. 3), Marie-Cléophas (str. 4), Marie-Salomé (str. 5) et dit la confiance que doit avoir en elle le chrétien (str. 6). Mettant à part la Vierge, il détaille ensuite les cas où leur intercession est particulièrement efficace (str. 7 et 8), pour terminer par un appel à leur patronage (str. 9).
1. O trois seurs de noble lignage,
par ce nom Maries nommées,
chascun doibt a vous de courage
recourir pour vos renommées.
Jhesucrist vous a tant amees
que de vous trois a voulu faire
ses mere et antes tant famées
qu’on ne pourrait vos sains noms traire,
2 Vous estes, selon l’Escripture,
de saint Abraham descendues
et par degrés selon nature
des roys et des prestres venues.
Oncques ne fu dessoubz les nues
lignie plus digne de mémoire :
filles estes de Anne tenues,
de trois maris comme on doibt croire.
3. Marie, roÿne des cieulx
l’ainsnee, eustes Joachim pere,
Joseph espous et Jhesus fieulx,
sans corruption ne misère.
Nul ne pourroit ce hault mistere
assés prendre, tant soit soubtilz,
car sur nature, vierge et mere,
enfantastes Dieu vostre filz.
4. Vous secunde Marie, fille
Cleophas et d’Alphëus femme,
quatre filz selon l’Euvangille
eustes de luy, très sainte dame :
Joseph, le juste sans diffame,
saint Jaques le mineur, saint Jude
et Symon, qui de corps et d’ame
ont mis en Dieu tout leur estude.
5. Salomas, vous, tierce Marie,
eustes pere, et en mariage
Zebedee, en qui compaignie
enfantastes selon l’usage,
saint Jaques le grant, et, le sage
euvangeliste Jehan après ;
bien eureux est tel saint lignage,
qui est de Jhesucrist tant prés.
6. Puis que de Jhesus, roy céleste,
vous estes doncques tant prochains,
je tien pour certain que requeste
ne vous refuse entre aultres sains,
pour quoy doivent pécheurs humains
vous servir en grant confiance.
Les malades rendes tous sains,
qui en vous ont bonne espérance.
7. Quant est a vous, c’est une mer,
mere de Dieu, pour ce m’en tais.
Si doibt on vos seurs reclamer
pour leurs miracles et beaux fais
qu’elles montrent sur clers et lais
qui du cueur les veullent requerre :
aveugles, fiévreux, contrefais
guérissent, aussi de la pierre.
8. De ces choses a leur trespas
leur fist Dieu ottroy, don et grâce,
et de plusieurs qu’on ne peult pas
dire, qui n’auroit grant espace. 60
Entre aultres, femme ne trespasse,
grosse d’enfant, qui les reclame
de bon cueur, mais naist tout en place
par l’ottroi de chascune dame.
9. O miroir de virginité
et de l’estat de mariage
et aussi de viduité,
sainctes dames de hault parage,
impetrés a l’umain lignage
paix en tous lieux generalment
et pardon a qui de courage
vous requerra dévotement.
Amen.
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Voir aussi :
— PARIS, Bibl. nat., lat. 1147, f. 8-9v°
— Heures des trois Maries, (1529) : f. 14v° (PARIS, Bibl. nat., Rés. H 1010
— GASTÉ (A.), 1893 , les Drames liturgiques de la cathédrale de Rouen, dans les Annales de la Faculté des lettres de Caen, 4e année, n° 1 et 2; réimpr. avec additions dans la Revue catholique de Normandie, et tiré à part (Évreux, 1893, in-8°) ;, p. 65-68; d'après le ms. Y. 110 et Y108 de Rouen.
— HÉROLD (Michel),1995, Louviers, église Notre-Dame, les verrières, [16] p. Édition : [Rouen] : Connaissance du patrimoine de Haute-Normandie , cop. 1995, France. Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France. Commission régionale Haute-Normandie Illustrateur : Thierry Leroy (photographe) .
— LAFOND Jean, 1963, Les vitraux de Notre-Dame de Louviers, par Jean Lafond . Louviers et Pont-de-l'Arche. Nouvelles de l'Eure, n° 15, Pâques 1963. (pp. 42-47). Non consulté.
— LAFOND (Jean), 1930, Arnoult de Nimègue et son œuvre : études sur l'art vitrail en Normandie, Rouen, Lecerf, , 20p.
— LE MERCIER (E.) Monographie de l'église Notre-Dame de Louviers Ch. Hérissey et fils, 1906 - 212 pages
— MÂLE (Emile), 1898, L'art religieux du XIIIe siècle en France: étude sur l'iconographie du Moyen -Age...
— REYNAUD Nicole, 2006, Jean Fouquet, Les Heures d'Etienne Chevalier, Ed Faton.
.— RIVIALE (Laurence), 2007, Le vitrail en Normandie entre Renaissance et Réforme (1517-1596), Presses Universitaire de Rennes.
En l'église de Louviers, onze verrières du XVIe siècle témoignent de l'opulence de la ville à la fin du Moyen-Âge, grâce à l'industrie drapière. Ces verrières ont été commandées aux meilleurs peintres-verriers du moment, l'atelier d'Arnoult de Nimègue (baie 18), celui de Jean, Engrand et Nicolas Le Prince à Beauvais, ou du Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, à Rouen (N° 20, 22, 24 et 26).
"Pour être bien comprise, ces verrières doivent être regardées avec quelque prudence et une particulière attention critique. En effet, de mai 1902 au début de l'année 1904, le peintre-verrier Maurice Muraire, qui vient tout juste de racheter l'atelier Duhamel-Marette d'Évreux, restaure l'ensemble d'une manière véritablement déroutante. Même s'il fait preuve d'une grande habileté à renouveler et à compléter les parties dégradées ou perdues, il n'hésite pas à déplacer de nombreux panneaux, sans aucune raison archéologique. Il a ainsi fixé la disposition actuelle, dont la cohérence est factice. Les grisailles de Muraire, en très mauvais état de conservation, sans doute mal cuites et que l'on distingue aujourd'hui souvent en négatif, nous indiquent l'importance de son travail. L'état des parties originales n'est malheureusement pas toujours meilleur : elles sont vivement attaquées par des micro-organismes, dont le développement est favorisé par l'humidité de l'édifice." (Hérold, 1995)
Cette baie n°20, de 4 m de haut et 2,90 m de large occupe le bas-coté sud, à la suite de la baie 22, 24 et 26. Ces baies suivent donc la construction de l'élévation sud et de son splendide portail, commencé en 1506 grâce au mécénat de Guillaume II Le Roux.
Avec la baie 22 de l'Apparition du Christ à Marie-Madeleine, elle forme un ensemble homogène attribué à un atelier de Rouen, également auteur deux verrières de l'église Saint-Godard de Rouen (baie 5 des Apparitions du Christ, 1500-1510 et baie 6 de la Vie de la Vierge v.1506) et des baies 3, 4 5 et 6 de la Vie de la Vierge de Saint-Jean d'Elbeuf vers 1500 (offertes par les Le Roux). La reprise de cartons à grandeur, d'origine parisienne (Jean d'Ypres ?) est patente dans plusieurs des panneaux de cet atelier. (Caroline Blondeau propose le nom de Cardin Jouyse pour cet atelier ; on parlait aussi, depuis Jean Lafond, du "Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste").
Ce n'est pas encore un sujet unique ou à registres mono-thématiques, mais, sur deux registres, une composition narrative à huit compartiments, dans la tradition du XVe siècle, et consacrée aux huit Apparitions du Christ ressuscité, lors de sa Vie Glorieuse : un thème dont j'ai exploré l'iconographie dans mon article sur la baie 32 de Strasbourg. Ce choix entre, de la part du commanditaire, dans une réflexion théologique qu'il reste à approfondir, ; elle s'exprime aussi à Saint-Godard de Rouen, ou à Saint-Vincent de Rouen (actuellement dans l'église Jeanne d'Arc). Mais il est en partie lié à l'attachement pour le culte de sainte Marie-Madeleine, qui se manifeste à Louviers (baie 18, baie 22 du Noli me tangere) ou à Bourg-Achard.
a) les Verrières et les drames liturgiques.
J'avais constaté, à Strasbourg, l'influence des représentations théâtrales des Passions, attestée dans l'Apparition aux pèlerins d'Emmaüs. Je vais tenter de poursuivre cette recherche, mais en l'élargissant au drame liturgique associé aux chants de l'octave de Pâques.
En effet, le théâtre médiéval occidental a connu deux phases bien distinctes : le drame liturgique et les mystères. Le premier, qui n'est qu'une liturgie dialoguée, se jouait dans l'intérieur de l'église et en latin. Les acteurs étaient les clercs eux-mêmes. Ils se partageaient les rôles masculins et féminins. Dans le drame de Pâques, dont il s'agira ici, les Saintes Femmes au Sépulcre étaient jouées par trois jeunes diacres et le Christ ressuscité par un prêtre, sacerdos canonicus. Le théâtre des Mystères se passait au contraire en plein air, sur le parvis et - différence essentielle - était joué par des laïcs, en langue vulgaire. (A. Trotzig).
Une réflexion préalable est de constater que, dès la baie 28, la procession des Drapiers lors de la Fête-Dieu ouvre la discussion sur les liens entre verrières et jeu dramatique religieux, puis au XVe siècle, cette fête était l'occasion de cycles de représentations théâtrales, parfois durant plusieurs jours.
Cette réflexion sur les liens entre les verrières et les drames liturgiques permet de tisser des liens non seulement avec les images qui nous sont restées et les jeux des acteurs, leurs mouvements, leurs répliques et la mise en scène, mais aussi avec leurs chants et avec la tradition chorale monodique en grégorien puis polyphonique : une sacrée ouverture !
b) Les verrières et la mystique monastique puis individuelle.
Ce cycle des Apparitions trouve son origine dans une œuvre phare du Moyen-Âge, les Méditations du Pseudo-Bonaventure, et cela nous donne accès non plus à des évocations auditives (les répliques des acteurs dans le chœur, les chants des solistes ou des chantres réunis, l'accompagnement des instrumentistes) ou visuelles voire olfactive des cérémonies et jeux théâtraux, mais cette fois-ci à des évocations émotionnelles et poétiques puisque les textes franciscains suscitent un élan empathique et de gratitude et beaucoup d'autres sentiments larmoyants ou plein d'allégresse que les mots latins, les enluminures ou sculptures venaient immédiatement rappeler à la mémoire et surtout au cœur des fidèles. Les verrières, qui exposent ces supports émotionnels à la lumière solaire, les subliment par une sorte d'irradiation divine.
c) un art global.
C'est donc un art global, s'adressant par le recrutement des compétences artistiques, théologiques et spirituelles à tous les canaux sensoriels, qu'il faut tenter de retrouver en examinant ces vitraux, non pas comme des peintures isolées, mais comme une partie d'un immense concert spirituel dont l'église de Louviers devenait année après année, le cadre.
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La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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LES QUATRE LANCETTES.
J'en décrirai les scènes telles qu'elles sont, en débutant par le registre inférieur, de gauche à droite. Mais la logique narrative placerait en deuxième place la Sortie du tombeau du registre supérieur.
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1. La Descente de Jésus aux Limbes.
2. Apparition du Christ à Pierre.
3. Apparition du Christ aux Pèlerins d'Emmaüs.
4. Apparition du Christ aux Apôtres dont saint Thomas ["Incrédulité de Thomas"].
5. La Sortie du tombeau.
6. Apparition du Christ à la Vierge.
7. Apparition du Christ à Marie-Madeleine : Noli me tangere.
8. L'Ascension.
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La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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I. La Descente de Jésus aux Limbes.
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Les limbes, du latin limbus (frange, marge) désignent pour l’Eglise Catholique un lieu ou un état à côté de l’Enfer dont ils ne font pas partie. Les limbes concernaient donc les âmes des justes, morts avant la Résurrection du Christ - limbus patrum - mais aussi celles des enfants morts sans avoir reçu le baptême -le limbus puerorum, dont il ne s'agit pas ici
La notion de limbes se fonde sur 1 Pierre 3:18-19 : Christ aussi a souffert une fois pour les péchés, lui juste pour des injustes, afin de amener le fidèle à Dieu, ayant été mis à mort quant à la chair, mais ayant été rendu vivant quant à l'Esprit, dans lequel aussi il est allé prêcher aux esprits en prison.
Ou bien sur Paul, Ephésiens 4:8-10. "C'est pourquoi il est dit: Étant monté en haut, il a emmené des captifs, Et il a fait des dons aux hommes. Or, que signifie: Il est monté, sinon qu'il est aussi descendu dans les régions inférieures de la terre?"
À partir du IIème siècle, pour les apocryphes et les Pères de l’Eglise, par sa Descente dans les Enfers (le shéol des hébreux), le Christ libère les Justes du péché originel, leur permettant ainsi d’accéder au Paradis fermé depuis la Faute d’Adam.
Au IXème siècle, la phrase « est descendu aux Enfers » est introduite dans le Credo Catholique. La tradition chrétienne situe la Descente du Christ dans les Limbes le Samedi Saint, ou du moins entre le Vendredi saint et le jour de Pâques. Donc, avant la scène de la Sortie du Tombeau.
À Strasbourg, elle débute — comme ici — le cycle des Apparitions.
Dans la tradition iconographique, où les Limbes sont souvent figurées par la gueule béante du Léviathan, les deux premières personnes à sortir des Limbes sont Adam et Ève : ici, nous voyons le premier couple agenouillé, Adam tenant un lys en signe de pureté ou d'innocence. C'est bien complexe sur le plan théologique, la faute d'Adam venant d'être rachetée par le sacrifice du Christ...
Voici le très beau récit de cet épisode dans Emile Mâle page 293-295. Les sources sont l'évangile de Nicodème, repris par Vincent de Beauvais (Speculum historiale livre VII chap. 56), par Jacques de Voragine dans la Légende Dorée chap. 54.
"Leur récit commence ainsi : « Lorsque nous étions avec tous nos pères au fond des ténèbres de la mort, nous avons été soudain enveloppés d'une lumière dorée comme celle du soleil, et une lueur royale nous a illuminés. Et aussitôt, Adam, le père de tout le genre humain, tressaillit de joie ainsi que les patriarches elles prophètes, et ils dirent : « Cette lumière, c'est l'auteur de la lumière éternelle, qui nous a promis de nous transmettre une lumière qui n'aura ni déclin ni terme ». Et tous les justes de l'Ancienne Loi se réjouirent en attendant l'accomplissement de la promesse. Cependant l'Enfer s'inquiétait ; le prince du Tartare craignait de voir arriver celui qui avait déjà bravé sa puissance en ressuscitant Lazare. « Lorsque j'ai entendu la force de sa parole, disait-il, j'ai tremblé. Nous n'avons pu retenir ce Lazare ; mais, nous échappant avec la vitesse de l'aigle, il est sorti d'entre nous ». Comme il parlait ainsi, il se fit une voix comme celle des tonnerres, comme le bruit de l'ouragan ; « Princes, enlevez vos portes, et élevez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera »..,. Et le prince de l'Enfer dit à ses ministres impies : « Fermez les portes d'airain et poussez les verrous de fer, et résistez vaillamment ». De nouveau il se fit une voix comme celle des tonnerres, disant : « Princes, enlevez vos portes, et élevez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera ».... Et le Seigneur de majesté survint sous la forme d'un homme, et il illumina les ténèbres éternelles, et il rompit les liens, et sa vertu invincible nous visita, nous qui étions assis dans les profondeurs desténèbres des fautes, et dans l'ombre de la mort des péchés ». Le prince du Tartare, la Mort, et toutes les légions infernales sont saisies d'épouvante. « Qui es-tu ? » crient-ils à Jésus, « D'où viens-tu ? » Mais Jésus ne daigne pas répondre. « Alors, le Roi de gloire, écrasant dans sa majesté la Mort sous ses pieds, et saisissant Satan, priva l'Enfer de toute sa puissance, et amena Adam à la clarté de la lumière. Et le Seigneur dit : « Venez à moi tous mes Saints qui étiez mon image et ma ressemblance ». Et tous les Saints réunis dans la main de Dieu chantèrent ses louanges. David, Abacuc, tous les prophètes, récitaient des passages de leurs anciens chants où ils annonçaient en paroles mystérieuses ce qui s'accomplissait en ce jour. Et tous, guidés par l'archange Saint-Michel, entrèrent dans le Paradis où les attendaient Hénoch et Elie, les deux justes qui ne furent pas soumis à la mort, et le bon larron qui portait sur les épaules le signe de la croix. Tel fut le récit qu'écrivirent sur le parchemin Carinus et Leucius. Quand leur œuvre fut terminée, ils la remirent entre les mains de Nicodème et de Joseph. « Et tout d'un coup ils furent transfigurés, et ils parurent couverts de vêtements d'une blancheur éblouissante, et on ne les vit plus »." (Mâle)
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Description.
Le Christ est nu sous le manteau rouge de la résurrection et il tient la lance et la bannière de sa victoire sur la Mort.
La scène se déroule devant des murailles, d'où un diable tente de repousser les justes de sa pique. La précieuse rareté de ce panneau est le verre blanc tacheté de rouge qui est utilisé pour figurer son corps : un verre "aspergé" obtenu par soufflage en manchon en projetant des gouttes de verre rouge, pour imiter les gouttes de sang.
Le panneau inférieur a été refait.
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Dans le drame liturgique : les "Jeux de Pâques" (Osterspiel en allemand).
a) Les premières pièces connues des drames liturgiques en sont, précisément, la "Visite au Sépulcre" (Visitatio Sepulcri). Un trope anonyme (*) consistant en un bref dialogue chanté entre l'ange et les trois Marie visitant le tombeau du Christ (visitatio sepulchri) fut assorti d'une gestuelle, ce trope donna naissance au premier drame liturgique pascal (Saint-Gall, vers 975). La scène du tombeau fut complétée par la course entre les deux disciples Pierre et Jean, et par l'apparition de Jésus sous les traits d'un jardinier.
(*) datant de 915 et attribuée au moine Tutilon et les œuvres hagiographiques de Hrotsvitha von Gandersheim, puis décrite dans une centaine de manuscrits.
Initialement, les églises et les habits sacerdotaux tiennent lieu de décors et de costumes. Mais on imagine bientôt des aménagements plus complexes, la scène étant constituée de la "mansion" et de la "platée". La mansion est une petite structure scénique (généralement une tente), symbolisant un lieu particulier (le jardin d’Éden, Jérusalem, etc.), et la platée une zone neutre, utilisée par les interprètes pour jouer autour de la mansion.
Lors des "mystères de la Passion et de la résurrection, des mansions (petite structure scénique, comme une tente, ) spécifiques sont dressées autour de la nef, le paradis étant généralement situé au pied de l’autel, et une gargouille (tête monstrueuse avec une gueule béante) représentant l’entrée de l’enfer de l’autre côté de la nef. Acteurs et spectateurs se déplaçaient d’un bout à l’autre de l’église selon les nécessités du récit.
Ici, la porte et les murs de l'entrée des limbes, placée en début de la verrière, peut nous laisser imaginer ce jeu d'acteurs où le prêtre jouant le rôle du Christ se rendait, pendant qu'un cantique était entonné, jusqu'à la mancion et ouvrait la porte aux justes, malgré les gesticulations de diables impuissants.
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b) Deux cérémonies ont été insérées dans la liturgie carolingienne au IXe siecle : la Depositio et l'Elevatio Crucis.
— La Depositio n'est qu'un élargissement d'un rite déjà existant - I'Adoratio Crucis, célébrée à Jerusalem au IVe siecle, et pratiquée en Occident au VIle siecle. La Depositio avait lieu le Vendredi Saint quand la croix était symboliquement enterrée, parfois avec une hostie.
— L'élévation des objets symboliquement enterrés avait lieu avant Matines, le Samedi Saint dans le rite de l'Elevatio : l'abbé ou l'évêque et quelques diacres allaient en procession chercher l'objet déposé, en chantant Tollite portas, principes, vestras ; et elevamini, portae, aeternales et introibit rex gloriae , et le rapportaient à l'autel principal. Là, le célébrant, offrant au regard des assistants l'Imago Christi, entonnait l'antienne, Cum rex Gloriae Christus infernum, qui donne son sens à la cérémonie : Jésus, descendu aux enfers pour y chercher les âmes dans l'attente de Dieu, en surgit, vainqueur du mal et de la mort. L'Imago resurrectionis était sans doute une sculpture du Christ ressuscité avec la croix triomphale où flotte l'oriflamme."
Cum rex glorie cristus infernum debellaturus intraret et chorus angelicus ante faciem eius portas principum tolli preciperet sanctorum populus qui tenebatur in morte captivus voce lacrimabili clamaverat advenisti desiderabilis quem exspectabamus in tenebris ut educeres hac nocte vinculatos de claustris te nostra vocabant suspiria te larga requirebant lamenta tu factus es spes desperatis magna consolacio in tormentis alleluia.
"Lorsque le roi de gloire, le Christ, entra vainqueur aux enfers, et que le chœur des anges, devant lui abattit les portes des puissants, le peuple des saints, qui était tenu captif dans la mort, d’une voix plaintive s’est écrié :
"Tu es venu, désirable, toi que nous avons attendu dans la ténêbre, pour nous libérer cette nuit, captifs, de cette forteresse. C’est toi qu’appelaient nos soupirs, toi que désiraient nos longues plaintes. Tu t’es fait l’espoir des désespérés, la grande consolation dans les souffrances." Alleluia.
Le fils de Dieu triomphe de l’ennemi plein d’orgueil, revenant de la mort, effaçant la faute d’Ève. Le malfaiteur tard repenti, associé au très bienheureux, il l’a mené aux cieux, là où il devait aller, il rend visite à Pierre et aux autres, tous ceux qui pleurent, il les console toujours d’une voix pieuse. Alleluia." (trad. Musica Nova)
Il m'est facile d'imaginer l'effet spectaculaire d'une dramaturgie sacrée où l'ouverture de la porte des Enfers sur l'injonction de l'ange Tollite portas (un baryton ?), et du début du Cum rex par un soliste, donnerait le signal d'un chœur entonnant le Canticum triumphaleAdvenisti desiderabilis ! Un effet si marquant qu'il revient immédiatement à la mémoire du fidèle qui regarde le vitrail. Ecouter Cum rex gloriae
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Incidemment, l'enluminure de Jean Fouquet (le martyre de sainte Apolline, vers 1460) montre, lors d'un Mystère médiéval, l'Enfer à droite avec la gueule du Léviathan et les diables et le Paradis avec ses anges à gauche, mais aussi les musiciens au centre gauche avec trois trompettes, des busines, un orgue portatif, et, surtout, une ambiance festive voire débridée. Des éléments que les paroissiens avaient obligatoirement aussi en mémoire sensorielle (visuelle, auditive et de mouvement) en regardant ces vitraux.
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Comparez : l'enluminure des Méditations du Pseudo-Bonaventure (vers 1420) :
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British Library Royal 20 B Iv f.137
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La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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2. Apparition du Christ à Pierre.
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Description.
Le Christ, nu sous le manteau rouge, tenant l'étendard de la Résurrection, se détache sur fond de verdure devant saint Pierre, qui est assis devant un arrière-plan rocheux.
La tête du Christ a été restituée.
Rien ne permet de préciser le moment de cette apparition : après la pêche sur le lac de Tibériade ?
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Dans la dramaturgie, la rencontre avec Pierre est mentionnée dans le Cum rex gloriae :
.... Petrum cum ceteris visitat, I omnesque flebiles consolat semper voce pia, Alleluia.
Selon Emile Mâle, "On disait que saint Pierre, après la mort du Maître, s'était réfugié dans une caverne de la montagne. Là, il pleurait sur la mort du Seigneur et sur sa propre lâcheté, quand Jésus ressuscité vint se montrer à lui et le consoler. À Notre-Dame de Paris, un rocher en forme de grotte, d'où saint Pierre émerge, rappelle la légende." (Mâle p.296)
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COMPARAISON.
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Eglise Sainte-Jeanne d'Arc à Rouen.
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La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Blason aux armoiries d'un donateur de la famille Le Pelletier (?).
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C'est un blason dont les armoiries peuvent se lire d'argent à la fasce d'azur chargée de trois besants d'or. Michel Hérold donne ce blason comme celui d'un "membre non identifié de la famille Le Pelletier, de Louviers", mais ne cite pas sa source. Le moteur de recherche dirige vers la famille Frémin, dont un membre, Richard, fut échevin de Rouen en 1611.
Une devise y est répétée trois fois : TELLE QUE JE LA PRISE.
Je n'ai trouvé aucune référence à cette devise, qui a plongé les érudits de Louviers dans le même embarras
"D'argent, à la fasce d'azur, chargée de trois besans d'or avec cette devise, deux fois répétée, au-dessus et à gauche, dont personne n'a pu nous donner le sens énigmatique d'une façon satisfaisante: "Telle que je la prise ». On avait pensé tout d'abord pouvoir attribuer ce blason à Binot—Briselet bailli de Louviers et de Gaillon en 1436 etc “ (E. Le Mercier 1906 p. 118).
Il faut (bien-sûr, mais cela m'a pris du temps) y voir le subjonctif du verbe "priser" au sens d'aimer, affectionner : "Telle que je l'aime" : à défaut de l'attribuer à son propriétaire, je peux déjà fort priser. Mais qui est l'objet de cette affection ? La ville de Louviers ? Une femme ? La Vierge Marie ?
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La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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3. Apparition du Christ aux Pèlerins d'Emmaüs : le Repas.
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Description.
Les auteurs de Vitraux de Haute Normandie signalent d'importantes restaurations, dont une partie de la tête du Christ.
La scène, décrite par Luc 24:28-31, se passe à Emmaüs (Lc 24:13) et la tradition la situe dans une auberge :
13 Et voici, ce même jour, deux disciples allaient à un village nommé Emmaüs, éloigné de Jérusalem de soixante stades ;
"Lorsqu’ils furent près du village où ils allaient, il parut vouloir aller plus loin. Mais ils le pressèrent, en disant : Reste avec nous, car le soir approche, le jour est sur son déclin. Et il entra, pour rester avec eux. Pendant qu’il était à table avec eux, il prit le pain ; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent ; mais il disparut de devant eux."
Les murs, les fenêtres, le sol carrelé et le plafond à caisson placent ce cadre, sans souci de perspective. Une table est dressée, où sont posés des plats, une assiette, un gobelet, un pain, un pichet et deux couteaux.
Comme nous l'avons vu à Strasbourg, la tradition assimile les deux disciples à des pèlerins, et donne parfois à Jésus un habit de pèlerin également. C'est le cas ici, où chacun des protagonistes porte le bourdon , la pèlerine, et la besace, dont le baudrier passe en diagonale, serré par une boucle jaune. Les deux disciples sont coiffés du chapeau large, alors que le Christ est tête nue, mais nimbé de fleurons en croix. Les experts ne signalent pas quelle est la partie de la tête du Christ qui a été refaite, et si nous pouvons supposer auparavant la présence d'un chapeau. Quoiqu'il en soit, c'est bien en pèlerin que Jésus est représenté.
Le Christ rompt la miche de pain, et c'est par ce geste qu'il se fait reconnaître.
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Dramaturgie liturgique des Pèlerins d'Emmaüs.
Elle a fait l'objet de nombreuses études. Je citerai la plus récente, celle de Claire Bonnotte :
"Selon une hypothèse largement adoptée, le berceau originel de cette pièce serait la Normandie, et plus précisément la cathédrale de Rouen. [Nous conservons la trace de trois drames liturgiques des Pèlerins d’Emmaüs provenant de la cathédrale de Rouen et conservés aujourd’hui à la Bibliothèque municipale de Rouen : le ms. 222 (f°43v-45r), le ms. 382 (f°73r-v) et le ms. 384 (f°86 r-v). Le plus ancien drame rouennais que nous conservons remonte au xiiie siècle (ms. 222), mais il s’agirait selon Gustave Cohen d’une copie d’un texte antérieur, en date du siècle précédent (cf. Gustave Cohen, Anthologie du drame liturgique en France au Moyen-Âge, Paris, Le Cerf, 1955, p. 66). ]. Interprété en latin de la fin du xie siècle [Rappelons cependant que le plus ancien témoignage connu remonte au début du xiie siècle. L’hypothèse défendue ici repose sur l’évolution concomitante du thème iconographique. ] jusqu’au xve siècle environ, le drame des Pèlerins se jouait durant les premiers jours de l’octave pascale. Conformément au récit lucanien, la représentation avait généralement lieu le soir durant lequel l’apparition du Christ était censée s’être produite. Elle intervenait, selon les coutumes locales, durant les vêpres du lundi de Pâques (Rouen, Beauvais [Paris, Bibliothèque nationale de France, nouvelles acquisitions latines 1064 (f°8r-11v). ]) ou plus rarement au cours de celles du mardi (Saint-Benoît-sur-Loire [Orléans, Bibliothèque municipale, 201 (f°225-230). ]) . L’intérêt essentiel de ces pièces réside dans les éléments de paratexte fournissant diverses indications « scéniques », généralement indiquées en couleur dans les sources. Plusieurs pièces se distinguent par la grande richesse de ces annotations: ainsi celles provenant de la cathédrale de Rouen ou celle provenant du monastère de Saint-Benoît-sur-Loire. Ces indications fournissent, à divers degrés et registres, un éclairage sur les « acteurs » et la « mise en scène » de ces représentations.
Selon une hypothèse largement adoptée, le berceau originel de cette pièce serait la Normandie, et plus précisément la cathédrale de Rouen. Interprété en latin de la fin du xie siècle jusqu’au xve siècle environ, le drame des Pèlerins se jouait durant les premiers jours de l’octave pascale. Conformément au récit lucanien, la représentation avait généralement lieu le soir durant lequel l’apparition du Christ était censée s’être produite. Elle intervenait, selon les coutumes locales, durant les vêpres du lundi de Pâques (Rouen, Beauvais) ou plus rarement au cours de celles du mardi (Saint-Benoît-sur-Loire). L’intérêt essentiel de ces pièces réside dans les éléments de paratexte fournissant diverses indications « scéniques », généralement indiquées en couleur dans les sources. Plusieurs pièces se distinguent par la grande richesse de ces annotations: ainsi celles provenant de la cathédrale de Rouen ou celle provenant du monastère de Saint-Benoît-sur-Loire, Ces indications fournissent, à divers degrés et registres, un éclairage sur les « acteurs » et la « mise en scène » de ces représentations." (C. Bonnotte, 2017)
Pour l'étude du vitrail de Louviers, il faut donner beaucoup d'importance au fait que les premiers témoignages de ce jeu des Pèlerins soient attestés en Normandie, à Rouen (localisation de l'atelier du peintre-verrier). Surtout, il faut noter que les deux manuscrits de l'Officium peregrinorum de Rouen datent de la fin du XVe siècle, c'est à dire très peu de temps avant la réalisation du vitrail de Louviers. Et encore que l'autre copie de ce vitrail a été fait pour Saint-Godard de Rouen.
Dans cet Officium, joué le Lundi de Pâques, deux chanoines du deuxième rang (des stalles du chapitre), dont le nom était inscrit sur un tableau (in tabula ad placitum scriptoris) devait s'habiller d'une tunique, recouverte d'une cape (une pèlerine) et porter , chacun un bâton et une besaces "à la manière des pèlerins », ainsi qu'un chapeau et une barbe : Et desuper cappis transversum portantes baculos et peras in similitudinem peregrinorum et habeant capellos super capita et sint barbari.
Sur le vitrail, les pèlerins se conforment à ces exigences, sauf celui qui n'a pas de barbe (Le port de la barbe étant interdit aussi bien aux moines qu’aux chanoines, on peut supposer, dans le jeu de Pâques, le recours à des barbes postiches pour les besoins de la représentation).
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Les deux chanoines (ou chantres) devaient sortir du vestiaire (vestario : sacristie) en chantant un hymne :
Jesu, nostra redemptio,Amor et desiderium, Deus creator omnium, Homo in fine temporum. Quae te vicit clementia, Ut nostra ferres crimina, Crudelem mortem patiens Ut nos a morte tolleres!
Puis, ils se dirigeaient à pas lents vers l'aile droite de l'église jusqu'au portail ouest . Ils y rencontraient alors, venant de l'aile droite, un prêtre jouant le Christ, vêtu d'une aube blanche et d'un amict, portant une croix sur l'épaule droite, qui s'adressaient à eux :
Sacerdotes : Qui sunt hii sermones [Luc 24:17]
P : Tu solus peregrines ..
S : Que ?
P : De jhesu nazareto
S : O stulti et tardi corde
P (montrant de leur bâton le village) : mane vobiscum [reste avec nous]
Les pèlerins continuant à chanter guident le Christ vers le milieu de la nef, où se trouve un montage (une estrade) semblable à l'auberge d'Emmaüs. Ils y montent, s'asseyent, et le Christ rompt le pain : Et ita cantantes ducant eui:, usque ad tabernaculum in medio navis ecclesie in similitudinem castelli Emaus proparatum. Quo cum ascenderint, et ad mensam ibi paratam sederint, et Dominus inter eos sedens panem eis fregerit, (et) fractione panis agnitus ab illis, subito recedens ab oculis eorum evanescat. "Et chantant de cette façon, ils le conduiront jusqu'à une petite estrade dressée au milieu de la nef de l'église, représentant la ville d'Emmaüs. Quand ils y seront montés, qu'ils se seront assis à la table préparée là, le Seigneur assis entre eux rompt le pain, et alors qu'ils le reconnaissent à cette fraction du pain il disparaît subitement à leurs yeux . Ils se lèvent alors, stupéfaits, se regardant, et chantant d'un air abattu "Alleluia".
Illi autem, quasi stupefacti surgentes, versis vultibus inter ipsos, cantent lamentabiliter :Alleluía, cum versu : Nonne cor nostrum.
Sur le vitrail, les mains jointes et la bouche entrouverte du disciple de droite illustrent cette consigne : les pèlerins sont montrer par leur expression et leurs gestes qu'ils sont frappés de stupeur (« quasi stupefacti surgentes »).
Il est possible aussi de se demander si la représentation assez rudimentaire de l'arrière-plan du vitrail, sans perspective ni ombres portées, ne trahit pas le fait que l'artiste veut faire figurer ici le décor théâtral "le tabernaculum" de l'église plutôt qu'une vue réelle d'une auberge de village. D’après Gustave Cohen, ce tabernaculum serait une « sorte de praticable ou d’échafaud, présentant un espace libre suffisant pour y placer une table et trois chaises, et dominé par une muraille ou une tour crénelée dont l’aspect était subordonné aux ressources et à l’ingéniosité des pieux organisateurs » (cf. Gustave Cohen, « La scène des pèlerins d’Emmaüs… »).
Même les plats représentés sur la table peuvent être confrontés aux indications scéniques. "Dans le drame de Saint-Benoît-sur-Loire, il est prescrit que les actants devaient être assis dans des sièges prévus à cet effet (« eant sessum in sedibus ad hoc preparatis »). La table dressée (« mensa bene parata ») à leur attention devait comporter un pain non découpé (« panis inscissus »), trois hosties (« tres nebule ») et un calice contenant du vin (« calix cum vino »). " (Bonnotte)
Bien que la scène représentée dans le vitrail s'arrête ici, il faut néanmoins lire la suite de l'Officium . Les deux pèlerins retournent au pupitre et chantent :
Dic nobis Maria, quid vidisti in via ? "Dis-nous, Marie, qu'as-tu vu en chemin ?"
C'est un chanoine du premier rang des stalles ( quidam de majori sede), vêtu de la dalmatique et de l'amict, qui répond, la tête recouverte à la manière d'une femme :
Sepulcrum Christi viventis, et gloriam vidi resurgentis : "J'ai vu le tombeau du Christ vivant, et la gloire de sa résurrection". Angelicos testes, sudarium, et vestes.
L'épisode s'insère donc dans le cycle global des Apparitions, comme sur la verrière.
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COMPARAISON
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Eglise Sainte-Jeanne-d'Arc à Rouen.
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Baie 5, église Saint-Godard à Rouen.
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La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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4. Apparition du Christ aux Apôtres dont saint Thomas ["Incrédulité de Thomas"].
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Description.
Le Christ, à droite, se tourne vers sa droite pour présenter son flanc à saint Thomas. La tête de ces deux personnages a été restituée.
Thomas, un genoux à terre, tend le doigt vers la plaie, guidé par la main du Christ.
Derrière lui sont sept apôtres, dont Pierre en premier.
Sur le galon du manteau de Thomas, d'or à beau motif de damas, une série de lettres se joue de notre pulsion à déchiffrer les inscriptions. Les A, les Z et les N (rétrogrades) y dansent parmi les R et les I. Est-ce pour singer une étoffe orientale ?
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Liturgie.
Le récit de cette apparition à Thomas dans Jean 20:24-29 est lu à la messe du premier dimanche après Pâques, dimanche in albis ou de la Quasimodo. Le chant grégorien Mitte manum tuam et cognosce loca clavorum alleluia : et noli esse incredulus sed fidelis "Approche ta main et reconnais l'emplacement des clous ; et ne sois pas incrédule, mais fidèle" était d'abord une antienne des Vêpres de la semaine pascale avant de devenir le chant de communion de la Quasimodo, fête instituée vers 625.
Le Quia vidisti me, Thoma, credidisti (parce que tu m'as vu, Thomas, tu as cru) est précocement mis en musique en chant grégorien avant d'être chanté en polyphonie dans des compositions de Monteverdi, Palestrina, Roland de Lassus, Jacob Handl, etc. On le trouve dans l'antiphonaire de la bibliothèque de Saint-Gall (vers 990-1000).
St. Gallen, Stiftsbibliothek, Cod. Sang. 391, p. 46 – Antiphonarium officii http://www.e-codices.ch/fr/csg/0391/46
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St. Gallen, Stiftsbibliothek, Cod. Sang. 391, p. 46 – Antiphonarium officii
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Dramaturgie liturgique.
L'apparition à saint Thomas figure dans les drames liturgiques de la Résurrection conservés en France à Beauvais, Tours, Saint-Homer (Orléans ms 201), en Bavière à Benedicktbeuern (les fameux Carmina Burana de 1230), ou en Sicile.
Dans les Carmina Burana ( Meyers partie I 26a p.185-186 ), la scène est jouée par 17 acteurs : un clerc, récitant, les apôtres, Thomas, les trois Maries (Tertio), et Jésus. De nombreuses répliquent du texte sont chantées, mais non le Mitte manum.
Tunc Iesus appareat discipulis eum vexillo et cantet:
Post dies octo ianuis clausis ingressus Dominus et dixit eis:
Tertio apparet:
Pax vobis. (Alleluia, alleluia.)
Tunc dicit ad Thomam:
Mitte manum tuam et cognosce loca clavorum. Alleluia. Et noli esse incredulus, sed fidelis. Alleluia.
Et Thomas procidendo ad pedes Domini cantet:
Dominus meus et Deus meus. Alleluia.
Iesus dicit:
Quia vidisti me, Thoma, credidisti. Beati, qui non viderunt et crediderunt. Alleluia.
Tunc apostoli simul cantent hymnum:
Iesu, nostra redemptio et cetera.
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COMPARAISONS :
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British Library Royal 20 B IV.
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La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Cartouche à inscription :
"RESTAURATION OFFERTE PAR Mme CASTILLON EN MEMOIRE DE LEOPOLD CASTILLON 1902."
Léopold Castillon fut notaire honoraire à Louviers en 1854, et il est mentionné encore en 1885.
La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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5. La Sortie du tombeau : Résurrection.
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Description.
Globalement, le vitrail est éblouissant, et ce n'est bien-sûr pas un hasard, avec une prépondérance de verres blancs, alliés aux verres bleu clair des armures. Et il est comme fracassé par des lignes diagonales, celles des lances et des hallebardes, celles de la hampe de l'étendard, celle, très agressive, de l'épée, et enfin l'éclatement des rayons jaunes autour du Ressuscité.
Trois couleurs prédominent : le rouge, le bleu et le jaune. Le vert est accessoire.
Le blanc éblouissant du Christ sortant du tombeau est souligné par tous les auteurs médiévaux. Ici, il n'enjambe pas la tombe, et ses pieds ne sont pas non plus posés sur le rebord : il s'élève surnaturellement. Un déhanché en contraposto tourne son tronc vers la droite, et ce mouvement s'accentue par celui de la tête et surtout du tronc.
La cuve du tombeau est semblable à un sarcophage romain en marbre, mais ses cotés sont sculptés de médaillons qui rappellent les successions d'apôtres des tombes princières de la fin du Moyen-âge.
La posture des trois soldats est soigneusement observée dans sa diversité. Deux d'entre eux dorment, appuyés sur leur hallebarde. Le garde le plus proche de nous porte une armure quasi complète, dont il ne manque que les solerets, le tout étant allégé par la gracieuse corolle de la jupe rouge.
Le troisième garde est debout, mais se renverse en arrière sous l'effet de l'aveuglante apparition. Il porte en bandoulière grâce à sa guiche un bouclier en amande orné d'un mufle mordant une chaîne à grelot. Ses jambes ne sont pas protégées, si ce n'est pas des chausses jaunes moulantes, sur lesquelles on remarquera l'inscription ABXMZ dépourvu de sens mais non de dessein, celui d'indiquer que nous avons affaire à un "étranger", un qui n'est pas des nôtres.
Un certain nombre de pièces rondes, peintes ou en verre de couleur, sont dispersées soit comme ornement du tombeau, soit comme accessoire des armures.
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La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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6. Apparition du Christ à la Vierge.
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Description.
L'arrière-plan situe la scène dans une pièce semblable à une église, aérée par des baies à deux lancettes et oculus, et dont la voûte se distingue, appuyée sur des contreforts. Le sol est carrelé d'un pavement à motifs jaunes.
À droite, devant une tenture verte damassée suspendue à un dais, la Vierge est peinte agenouillée devant un prie dieu ; devant elle, un livre est ouvert (fermoirs, lettrines). Elle est vêtue d'un manteau bleu sur une robe rouge.
Elle se retourne et joint les mains, surprise par l'apparition du Christ entouré de deux anges. Le Ressuscité porte le même nimbe, le même étendard et le même manteau rouge à fermail que sur les autres scènes, et montre de l'index la plaie de son flanc droit.
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Dramaturgie.
a) La dramaturgie liturgique : je n'ai pas de données, hormis la tradition lors de l'Office des ténèbres d'éteindre un à un quatorze des quinze cierges d'un chandelier triangulaire, sauf un qui est caché dans une lanterne parmi la foule . Dans le Ci nous dit (BnF fr.425 f.22r) datant de 1400-1410, l'auteur interprète cette lumière non éteinte comme la foi préservée de la Vierge en la résurrection ("excepté la doulce Vierge Marie que vraye foi fu ades li") et cite cela comme un témoignage de "comment le débonnaire ihesu Crist s'apparut à sa tendre mère de nuit".
b) Le théâtre médiéval religieux : l' Apparition du Christ à sa mère n'appartient pas à la Passion d'Arras de Mercadé, mais on la trouve dans le Mystère de la Passion nostre Seigneur d’Arnoul Gréban, datant de 1452, et dans le Mystère de la Résurrection (Angers, 1455, BnF fr.972) dans la Passion de Jean Michel (Angers 1486) ou dans la Passion bretonne de 1530.
La Passion d'Arnoul Gréban a été plusieurs fois éditée, comme à Paris en 1539 (BnF Arsenal GD-1747) où l'apparition du Christ à la Vierge suit immédiatement sa sortie du tombeau : voir les folio 12r-12v :https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8626147q/f34.image
Dans la Passion bretonne (traduction Yves Le Berre), le récitant déclare, juste après le récit de la passion, ceci : "Après la Passion, Notre vraie Seigneur, Selon sa promesse solennelle, Se releva de la tombe, Et le troisième jour, Se manifesta A la mère qui le mit au monde, Après ses grands tourments Ses souffrances et sa douleur, Et à la Madeleine, Et à ses disciples, Et à chacun. " Puis suivent deux longs monologues de Marie puis de Jésus, et le récitant annonce alors comment Jésus envoya à sa mère Gabriel accompagné d'anges pour lui annoncer "après l'humiliation, sa résurrection". Ce n'est qu'ensuite que Jésus rend visite à sa mère pour la couronner. Le passage en question (pages 349 à 363) précède le récit de toutes les autres apparitions. La présence des anges est remarquable puisque nous la retrouvons sur le vitrail.
Littérature.
La présentation des sources littéraires s'impose ici, et notamment celle d'une œuvre majeure, les Méditations de la Vie du Christ du Pseudo-Bonaventure ; d'une part car c'est elle qui a inspiré la Passion d'Arnoul Bréban (et les autres Mystères), ainsi qu'une bonne partie de l'iconographie des Apparitions du Christ, d'autre part car elle a nourri les prédicateurs qui la connaissait par cœur (saint Vincent Ferrier en 1416) mais aussi parce que sa lecture nous donne accès à la mystique franciscaine de contemplation des souffrances du Christ : c'est cette mystique familière, bouleversante d'humanité et de tendresse qui veut susciter, chez le fidèle qui lit le texte, —mais a fortiori qui contemple une enluminure, une peinture ou, comme ici, un vitrail—, une ambiance émotionnelle pleine d'empathie et d'effusions égale à celle provoquée en musique liturgique par l'audition du Stabat Mater Dolorosa. Lire, voir, écouter, penser, prier, chanter, ressentir appartiennent à une même démarche de foi participative et de conversion intérieure.
D'elle découlera dans la mystique jésuite, les exercices d'Ignace de Loyola.
Dans la recherche des sources de l'atelier rouennais du Maître de la vie de saint Jean-Baptiste, auteur de ces verrières des Apparitions de Louviers ou de Rouen, il est capitale de considérer que les Meditationes vitae Christi furent publiées à Rouen par Guillaume Le Talleur vers 1487 : des exemplaires de cet incunable sont conservés à Rouen (Inc m 68), à Paris (Arsenal) et à Saint-Omer.
On les distinguera de la Vita Christi de Ludolphe Le Chartreux (vers 1324 ou 1350), dont l'influence fut également considérable, et dont le texte sur l'apparition à la Vierge est également une source possible de ce vitrail.
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a) Les Méditations de la Vie du Christ du Pseudo-Bonaventure = Johannes de Caulibus.
Les Meditationes Vitae Christi , longtemps attribuées à saint Bonaventure,ont été composées en Italie au milieu du XIVe siècle (vers 1336 à 1364) par un franciscain (identifié comme étant Johannes de Caulibus), et la première traduction française fut donnée par Jean Galopes en 1420. Jean Galopes se qualifie comme doyen de l'église collégiale Saint-Louis de la Saussaie, (dans le diocèse d'Evreux), et comme le chapelain du roi Henry V d'Angleterre durant son occupation de la France.
La popularité de l'œuvre au Moyen Âge est attestée par la survie de plus de deux cents exemplaires manuscrits , dont dix-sept enluminés. La popularité de l'œuvre a encore augmenté avec les premières éditions imprimées, dès 1497.
Les évocations détaillées des instants évangéliques de l'œuvre ont influencé l'art et ont été montrées comme étant à l'origine d'aspects de l' iconographie du cycle de fresques de la vie du Christ dans la chapelle des Scrovegni de Giotto.
Le manuscrit Royal 20 B.IV de la British Library à Londres contient un programme de 98 miniatures, qui sont remarquables pour leur innovation. Beaucoup des sujets étant nouveaux à l'atelier, on trouve encore dans les marges des esquisses qui indiquent la disposition des figures. Nous voyons les liens qui unissent ces Meditationes avec l'iconographie !
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Méditations du Pseudo-Bonaventure, Royal 20 B.IV de la British Library folio 141.
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Au chapitre concernant la Résurrection, l'auteur envisage d’abord le moment où le Seigneur, entouré d’une multitude d’anges, reprit son corps et s’élança hors du tombeau. À la même heure, c’est-à-dire au petit jour, poursuit-il, Marie-Madeleine, Marie mère de Jacques et Salomé prenaient le chemin du tombeau avec des onguents, après en avoir demandé la permission à Notre-Dame, et celle-ci resta seule à prier. Jean de Caulibus l’imagine s’adressant d’abord au Père,en l’implorant de mettre en œuvre sa puissance pour lui rendre son fils sans plus tarder, puis à Jésus lui-même :
Meditaciones vite Christi chap.82 : De revelacione Domini et primo quomodo apparuit matri :
« O fili midilectissime, quid est de te ? Quid agis ? Quid moram contrahis ? Rogo te neamplius differas redire ad me : tu enim dixisti :Tercia die resurgam. Nonne, fili mi,est hodie tercia dies ? [...] Exurge igitur gloria mea (Ps 56, 9), et omne bonummeum, et redi. Super omnia desidero te videre. Consoletur me tuus reditus quamsic contristavit discessus. Consoletur me tua presencia quam sic contristavit tua absencia. Revertere igitur dilecte mi (Ct 2, 17), veni Domine Iesu, veni spes mea unica, veni ad me, fili mi. »
"Ô mon fils chéri, où en es-tu ? Que fais-tu ? Pourquoi tardes-tu ? Je t’en prie, ne diffère pas davantage de revenir à moi, car tu as dit en effet : « Le troisième jour je ressusciterai ». Mon fils, est-ce que ce n’est pas le troisième jour ? [...] Que surgisse donc ma gloire et tout mon bien, reviens. Je désire par-dessus tout te voir. Que ton retour me console, moi que ton départ a tant attristée. Que ta présence me réjouisse, moi que ton absence a tant attristée. Reviens donc mon bien-aimé (cf. Ct 2,17), viens seigneur Jésus, viens mon unique espérance, reviens-moi, mon fils"
Bnf 922 f. 59 . S. Bonaventure, Livre des Meditacions de la vie Nostre Seigneur Jhesu Crist (trad.Jean Galopes), volume II., chapitre 72 folio 59r à 60v
BnF NAF 6529 f.96v Livre doré des Meditacions de la vie de nostre seigneur Jhesucrist, selon BONNEADVANTURE, translaté de latin en françois, » par Jean GALOPES. chapitre 72 : Le lxxii chapitre est de la résurrection notre seigneur et de sa première apparition qui fut à sa mère.
"Notre seigneur et sauveur Jésus Christ, le dimanche après sa passion au plus matin accompagnée d'une honorable multitude d'autres vint reprendre son tres saint corps, et par sa propre vertu ressuscité et issy [sortit] hors du monument tout clos. A cette même heure au plus matin Marie Madeleine, Marie Jacobé et Salomé au cougie de la bonne dame sa mère perudient a aller à tout leurs vrugnement au monument et la bonne dame demeura à l'hôtel.
Et fist prière la Vierge Marie à Dieu le père disant ainsi :
"Très doux et débonnaire père comme vous savez mon fils est mort, lequel a été fichié à la croix entre deux larrons et l'ai enseveli de mes mains et je supplie à votre majesté qu'elle excite votre puissance si que vous me le veuillez restituer et rendre tout sain et huitié. Hélas et ois est-il sire pourquoi tarde il tant venir à moi. Sire je vous le fennores le moi car mon âme n'a point de repos si je ne le vois.
Oh mon très doux enfant qu'en est il de toi ?
Que fais tu maintenant ?
Avec qui demeures tu ?
Je te prie ne diffère plus à retourner à moi !
Tu dis au devant de ta passion que trois jours après tu ressusciterais, et mon enfant n'est-il pas huy le tiers jour ? Nonne hier mais devant hier fut ce très mauvais et amer jour de pouvreté, de pleurs, de ténèbres et d'obscurité. Le jour de la séparation et mort. Et donc mon fils il est hui le troisième jour Vessoure toi donc ma gloire et tout mon bien et retourne à moi car sur toutes choses je te désire à voir. Je te prie mon enfant, que ton retour me vienne réconforter car ton département m'a trop désafortée. Retournez donc mon fils.
Viens-t'en Jésus mon fils.
Viens t'en à moi mon espoir.
Viens t'en à moi mon enfant.
Et ainsi quelle p-ort et par dehors douloureusement des larmes guettait.
Veci soudainement venir notre seigneur Jésus Christ en vêtements blancs le visage bel et joyeux. Et lui dit ainsi à coté d'elle : Salve sanctat parens c'est à dire ma sainte mère je te salue. Et tantôt elle en se retournant dit : es-tu mon enfant Jésus ? et en le adouvant s'agenouilla ; semblement aussi il fléchit le genou à elle en disant ainsi : Je mat-- doulce mère resurrexi et ad huc tecum sum Je suis ressuscité et encore suis-je avec toi. Et après de ils furent levés et jouis elle l'embrassa joyeusement.
"En appliquant et joignant son visage fort au sien et en l'étreignant de force et du tout en tout reposant sur lui, et il la soutenait aleigrement et joyeusement . Après de ils se asseyèrent ensemble et puis elle feyvdoit molt diligeamment et curieusement au visage et des fittus de ses mains en regardant et querrant par tout le corps de lui se toute sa douleur s'en était allée. A laquelle sa mère il dit ainsi : « Ma mère vénérée sachez que toute douleur et toute mes angoisses sont guéries et hors d'entour moi, et dorénavant je ne souffrirai ni ne sentirai plus telle chose. Adonc elle dit ainsi : « Béni soit ton père mon fils qui t'a ainsi rendu et restitué à moi exaucée et loué soit ton nom et magnifié à toujours. Ainsi se maintient il et parlent ensemble molt joyeux en demeurant la pasque delitablement et aimablement et lui raconte notre seigneur Jésus Christ comment il a délivré son peuple de enfer et toutes les grandes choses qu'il avait en l'espace de trois jours par l'esgineux il fut mort vecy donc la grande pasque."
resurrexi et ad huc tecum sum http://gregorien.info/chant/id/7077/1/fr
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b) Le poème du religieux carme Jean de Venelle (1357) Histoire des Trois Maries, BnF fr. 12468 folio 86v-88v.
cf. infra Annexe.
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c) Le Livre de Vita Christi, de Ludolphe le Charteux,
Dans cet ouvrage, Ludolphe de Saxe, dit aussi Ludolphe le Chartreux (1300-1378), religieux originaire de l'Allemagne septentrionale, relate les divers épisodes de la vie du Christ. Il les épure partiellement des ajouts apportés par les différentes traditions et tente de les ramener à la stricte filiation évangélique, en les enrichissant toutefois d'explications théologiques. Ce texte a eu une large diffusion dans les cercles spirituels des XVe et XVIe siècles.
— Ludolphe de Saxe, Vie de Jésus-Christ illustré par Le Maître du Boèce flamand, enlumineur à Gand, vers 1480 manuscrit appartenant à Louis de Gruuthuse, Paris, BnF, fr. 181.
Dans ce manuscrit, copié dans l’officine de David Aubert, la traduction de la Vita Jesu Christi de Ludolphe de Saxe, comprend sept parties qui correspondent aux sept jours de la semaine, chacune présentant un thème à méditer, inspiré des Évangiles : de l’Incarnation (le lundi) à la Résurrection (le dimanche). C'est donc le dimanche que le fidèle est amené à débuter sa lecture par le premier chapitre Et comment il se apparut à nostre dame la très glorieuse mère. "Et la vierge marie demeura en oraisons à l'hôtel. Ainsi donc que la très glorieuse vierge marie était en oraisons et doucement et pitoyablement larmoyait. Voici tout soudainement que Jésus Christ notre seigneur a cler viaux très beau très glorieux et éblouissant y survint. Et incontinent elle saoura et se leva et larmoient par grande consolation etc..." i.Il offre un cycle de dix-sept miniatures, dont dix sont à mi-page et sept petites. Le second texte, plus court, contient les biographies de Judas et de Pilate puis le récit du siège et de la destruction de Jérusalem, chacune de ces deux parties étant illustrée par une miniature à mi-page.
Le manuscrit doit sa renommée aux grisailles, d’une excellente facture, réalisées par le Maître du Boèce flamand. Certaines sont traitées dans des tons clairs, d’autres s’assombrissent pour évoquer une scène nocturne telle l’arrivée de Marie et de Joseph à Bethléem (f. 25) ou des événements plus dramatiques comme la Crucifixion (f. 116) ou Judas tuant son propre père (f. 176). Les contrastes d’ombre et de lumière revêtent une valeur symbolique avec la Résurrection (f. 153) placée sous un ciel noir et tourmenté. Une lueur irradie l’horizon devant lequel se détache le visage du Christ ressuscité ; le luminisme participe alors de la vision surnaturelle.
Le grand "Vita Christi" en françoys. T. 2 / , par Ludolphe le Chartreux, traduit par Guillaume Lemenand -- 1493-1494 Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares, RES-D-1985 (2) Chapitre LXX folio XCII : Que jésus Christ apparut à sa mère :
La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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7. Apparition du Christ à Marie-Madeleine : Noli me tangere.
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Description.
Le Christ (tête partiellement restaurée) se tient à droite, de face, la hampe de l'étendard sur l'épaule gauche. Les plaies sont visibles sur le dos des pieds.
Un arbre divise verticalement l'espace en son milieu. Cet espace est celui d'un jardin, limité par une palissade de planches, dans laquelle une porte nous laisse deviner un paysage à demi aquatique.
Marie-Madeleine est agenouillé et écarte les bras sous l'effet de sa surprise, non sans tendre une main timide vers son Rabouni.
Aucun phylactère n'indique les paroles de Jésus et de sa principale disciple, mais l'échange intense des regards et le rapport des trois mains sont éloquents.
Sur le flacon de parfum se lit l'inscription MARIEN (le N est rétrograde) alors que le galon du manteau porte des signes NZIZ EL--- qu'il ne faudra pas lire comme 1515 ou 1313.
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La représentation traditionnelle de la Madeleine, a étét fermement établie par Gregoire le Grand: la pécheresse convertie, image de l'Eglise, justifiée par sa foi et son amour (Grégoire le Grand, Homilia XXXIII, PL 76, col. 1242 ). Elle est à la fois la pécheresse convertie, l'esprit contemplatif, la femme associée au Mystère de Pâques, l'apôtre des apôtres (apostola apostolorum), qui, selon les Pères de l'Eglise, pourrait symboliser l'Eglise et la nouvelle Ève. Car Marie Madeleine était considérée a l'époque romane comme la nouvelle Ève, du fait que le Christ, après sa résurrection, l'avait favorisée de sa première apparition et l'avait chargée d'annoncer la nouvelle aux disciples
Le motif qui représente le Paradis, indiqué quelquefois par deux arbres qui localisent la scène dans un paysage, ou par une variante où le Christ et Marie Madeleine se rencontrent et sont séparés par un arbre, comme Adam et Ève dans le Paradis terrestre, nous met en présence d'une interprétation de Marie Madeleine personnifiant la nouvelle Ève — le Christ étant le nouvel Adam — et du parallélisme entre le Paradis terrestre et le jardin de la Résurrection."
Dramaturgie liturgique.
Le motif du Noli me tangere apparait dans l'art en même temps - au milieu ou dans la seconde moitié du IXe siècle - que la nouvelle liturgie carolingienne de Pâques .
L'inclusion du culte de Marie-Madeleine dans la dramaturgie liturgique pascale est très riche, mais je ne pourrai la développer.
Le passage d'Évangile qui rapporte l'apparition du Christ à Marie Madeleine (Jean XX, 11-18) est lu le jeudi de la semaine de Pâques.
La séquence Victimae paschali laudes - introduite dans la liturgie de Pâques à l’époque carolingienne et en relation avec l’évolution du culte de Marie-Madeleine en Occident . Ensuite, le motif prit une nouvelle typologie symbolique (le Christ comme nouvel Adam), auquel s’ajoutait le thème du jardin d’Eden, et enfin la représentation du jardinier avec sa pelle (13-14e s.). C'est à la troisième étape seulement (XIIIe siècle) que la Visitatio Sepulchri a admis le thème du Noli me tangere. À partir de ce moment, les relations entre drame et iconographie paraissent plus claires et le théâtre liturgique semble modifier le motif et sa place dans les cycles de l'art médiéval.
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COMPARAISON.
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British Library, Royal 20 b IV f.143v
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Eglise Sainte-Jeanne d'Arc à Rouen.
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Baie 5, église Saint-Godard à Rouen.
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La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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8. L'Ascension.
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Description.
Au premier plan, occupant plus de la moitié du panneau, la Vierge, nimbée et voilée, et saint Pierre. En deuxième plan, quatre disciples, dont deux apôtres barbus, et saint Jean , imberbe, mais aussi une femme.
En troisième plan, environ neuf autres disciples, tête nue sauf un.
Tout le monde regarde vers le haut, mais nous ne voyons dans la tête de lancette où des verres récents comblent des trous, que les pieds du Christ marqués de leur plaie qui disparaissent dans une nuée zébrée de rayons.
Les disciples forment, sur la verdure d'un lieu manifestement en plein air, un grand V où se tendent des mains, mais qui est surtout occupé par un groupe incongru de trois perdrix nous fixant de leur œil jaune.
L'emplacement de ces perdrix semble bien être celui d'origine, mais c'est vraiment une drôle d'idée, même pour le Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste dont les petits animaux égayant les sous-bois sont comme une signature, de choisir ce point de focalisation des regards, cet axe vertical de l'Ascension, pour y peindre ses volatiles, dont il est difficile de suspecter une signification métaphorique.
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La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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LE TYMPAN
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La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Mouchette sommitale : la Trinité : Dieu le père tenant son fils crucifié. (refait).
Mouchettes latérales : anges musiciens (XXe) : deux joueurs de viole de gambe (?), deux joueurs de harpe, deux chanteurs.
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détails : les anges.
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La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Sainte vierge et martyre (palme) tenant un livre ; attribut : un porc (ou rat).
Tête restaurée. Sainte Agnès ?
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La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Saint Jacques le majeur.
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La baie 20 des Apparitions du Christ ressuscité (Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, vers 1505-1510) , église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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ANNEXE L'APPARITION DU CHRIST À SA MÈRE.
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1. Thème scripturaire.
—Voir Mimouni 2011. La croyance en l'Apparition du Christ à sa Mère est défendu par Rupert de Deutz et Eadmer de Canterbury au XIIe siècle ...
—Voir JEAN-PAUL II, 1997, "Catéchèse de Jean Paul II sur l'apparition du Christ à sa mère".
L’idée selon laquelle le Christ serait apparu à la Vierge après sa Résurrection est peu répandue dans les sources textuelles. Les évangiles canoniques n’en font pas mention, pas plus que les évangiles apocryphes à l’exception du Livre de la Résurrection de Jésus-Christ par l’apôtre Barthélemy :
—Le Livre de la Résurrection de Jésus-Christ par l'apôtre Barthélémy est un apocryphe copte rassemblant des traditions d'origines diverses, probablement pour un usage liturgique, et exprimant la piété de la communauté copte des V et VIe siècles. La traduction est faite sur un texte établi à partir de trois manuscrits : Londres, British Library, Oriental 6804; un manuscrit fragmentaire conservé en divers feuillets des manuscrits coptes de Paris (12917, 61.51.63.31.33-36.66), Vienne (K 9424 et Κ 9425) et Berlin (16083); un autre manuscrit fragmentaire conservé en divers feuillets des manuscrits coptes de Paris (12917, 59.60.32; 78, 5-8).
— Livre de la Résurrection de Jésus-Christ par l'apôtre Barthélemy, in Écrits apocryphes chrétiens Tome I Trad. de différentes langues par un collectif de traducteurs. Édition publiée sous la direction de François Bovon et Pierre Geoltrain 1997 Bibliothèque de la Pléiade, n° 442
— L'Évangile de Barthélemy, d'après deux écrits apocryphes traduit et annoté par Jean-Daniel Kaestli, Pierre Chérix Brépols, 1993 - 281 pages
:
" Le dimanche matin, alors qu'[il faisait sombre],encore, les saintes femmes sortirent pour aller au tombeau... Elles se tenaient dans le jardin de Philogène le jardinier. ...Le Sauveur vint en leur présence, monté sur le grand char du Père de l'Univers. Il s'écria dans la langue de sa divinité : « Mari Khar Mariath ! », ce qui se traduit par « Mariham, la mère du Fils de Dieu ». Or, Marie comprit la signification de la parole et elle dit : « Hramboun[ei] Khatiathari Miôth ! », ce qui se traduit par : « Le Fils du Tout-Puissant, le Maître et mon Fils ! » " (in Mimouni p.147) Cette théophanie est l’occasion de longues louanges que le Ressuscité adresse à sa mère. À la demande de cette dernière, il bénit le ventre qui l’a porté. Pour finir, Jésus ordonne à sa mère d’aller apporter la bonne nouvelle de sa Résurrection aux disciples, un rôle qui est traditionnellement dévolu aux saintes femmes ou, dans la tradition johannique, à Marie-Madeleine.
— Dans la Vie de la Vierge de Maxime le Confesseur l’apparition a lieu aux abords du sépulcre et Marie assiste à la Résurrection de son Fils. Sa présence en ce lieu s’inscrit dans la continuité du récit de la Mise au tombeau, dans lequel l’auteur indique que Marie reste près du tombeau pour prier après que le corps du Christ a été enseveli. À la suite de cette première apparition, la Vierge retourne dans la maison de Jean où Jésus lui apparait encore à plusieurs reprises.
— saint Ambroise (340-397), dans son traité sur la virginité ( Liber de Virginitate ) écrit " Vidit ergo Maria resurretionem Domini: et prima vidit, et credidit " ( "donc Marie vit la résurrection du Seigneur : elle le vit d' abord et elle a cru " )
— Sedulius (Ve siècle), Carmen Pascale.
Pour les premiers auteurs, il est inconcevable que la Vierge, présente dans la première communauté des disciples (cf. Ac 1, 14), ait pu être exclue du nombre de ceux qui ont rencontré son Fils divin, ressuscité d'entre les morts. L'absence de Marie du groupe des femmes qui se rend au tombeau à l'aube (cf. Mc 16, 1 ; Mt 28, 1), ne pourrait-elle pas constituer un indice du fait qu'elle avait déjà rencontré Jésus ?
Carmen Pascale, 5, 357-364, CSEL 10, 140s
http://www.thelatinlibrary.com/sedulius5.html
Discedat synagoga, suo fuscata colore,
Ecclesiam Christus pulchro sibi iunxit amore,
Hæc est conspicuo radians in honore Mariæ:
Quæ cum clarifico semper sit nomine mater, 360
Semper virgo manet; huius se visibus astans
Luce palam Dominus prius obtulit, ut bona mater,
Grandia divulgans miracula, quæ fuit olim
Advenientis iter, hæc sit redeuntis et index.
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— Jacques de Voragine, XIIIe siècle, Légende Dorée, Résurrection de Notre-Seigneur.
« On croit que J.C. apparut avant tous les autres à la Vierge Marie, quoique les évangélistes gardent le silence sur ce point. L'Eglise romaine paraît approuver cette opinion puisque, au jour de Pâques, la station a lieu à Sainte-Marie-Majeure. Or, si on ne le croit pas en raison qu'aucun des évangélistes n'en fait mention, il est évident qu'il n'apparut jamais à la sainte Vierge après être ressuscité, parce qu'aucun évangéliste n'indique ni le lieu ni le temps de cette apparition. Mais écartons cette idée qu'une telle mère ait reçu un pareil affront d'un tel Fils.
Peut-être cependant les évangélistes ont-ils passé cela sous silence parce que leur but était seulement de produire des témoins de la Résurrection; or, il n'était pas convenable qu'une mère fût appelée pour rendre témoignage à son Fils : car si les paroles des autres femmes, à leur retour du sépulcre, parurent des rêveries, combien plus aurait-on cru que sa mère était dans le délire par amour pour son fils. Ils ne l’ont point écrit, il est vrai, mais ils l’ont laissé pour certain : car J.C. a dû procurer à sa mère la première joie de sa résurrection; il est clair qu'elle a souffert plus que personne de la mort de son Fils; il ne devait donc pas oublier sa mère, lui qui se hâte de consoler d'autres personnes. C'est l’opinion de saint Ambroise dans son troisième livre des Vierges : « La mère, dit-il, a vu la résurrection; et ce fut la première qui vit et qui crut ;Marie-Magdeleine la vit malgré son doute. » Sedulius s'exprime comme il suit en parlant de l’apparition de J.-C. : Semper virgo manet, hujus se visibus astans Luce palan Dominus prius obtulit, ut bona mater, Grandia divulgans miracula, quae fuit olim Advenientis iter, haec sit redeuntis et index . "Le Seigneur apparaît à Marie toujours vierge tout aussitôt après sa Résurrection, afin qu'en pieuse et douce mère, elle rendit témoignage du miracle. Celle qui lui avait ouvert les portes de la vie dans sa naissance, devait aussi prouver qu'il mail. quitté les enfers. (Carmen Paschale, v, p. 361.)". "
Dans les Méditations sur la vie du Christ [ Méditations 257-258, 2nd quart XIVe ] , le récit de l’apparition du Christ à sa mère possède une véritable vocation narrative et s’enrichit de nombreux détails. Au matin du dimanche qui suit la mort du Christ, Marie-Madeleine, Marie mère de Jacques et Salomé se rendent au sépulcre, conformément au récit évangélique de Marc. La Vierge, quant à elle, reste à la maison et prie Dieu avec ferveur pour qu’il lui accorde la joie de revoir son Fils. C’est alors que Jésus lui apparait, revêtu de vêtements blancs. « Son visage est serein ; il est beau, glorieux, joyeux ». Marie s’agenouille pour adorer le Christ ressuscité mais celui-ci s’agenouille également devant sa mère. Après s’être relevés, ils s’embrassent, « visage contre visage », et la Vierge enlace étroitement son Fils. Tous deux s’assoient ensuite et conversent pendant un moment. Le récit s’achève avec le départ de Jésus qui doit aller consoler Marie-Madeleine car elle vient de constater la disparition de son corps au sépulcre. (S. Ferraro 2012)
— IGNACE DE LOYOLA, Exercices spirituels.
Bien que ces écrits soient postérieurs au vitrail de Louviers, il est intéressant de découvrir que dans ses Exercices spirituels, saint Ignace (1491-1556) parle de l’apparition du Christ ressuscité à Notre-Dame en deux endroits : au début de la quatrième semaine (Ex. 218-225) et dans le livret des « Mystères de la vie du Christ Notre-Seigneur » (Ex. 299-312).
"Quatrième semaine Premier jour Première contemplation Comment Jésus-Christ, notre Seigneur, apparut à Notre-Dame."
"Le premier prélude est l'histoire de la contemplation. Ici, je me rappellerai comment, Jésus ayant rendu le dernier soupir sur la Croix, son corps resta séparé de son âme, sans cesser d'être uni à la Divinité; comment son âme bienheureuse, unie aussi à la Divinité, descendit aux enfers, délivra les âmes des Justes et revint au Sépulcre; comment, enfin, le Sauveur, étant ressuscité, apparut en corps et en âme à sa Mère bénie. Le second est la composition de lieu. Dans la contemplation présente, je me représenterai la disposition du saint Sépulcre, et la maison où se trouve Notre-Dame; considérant en particulier les appartements qui la composent et spécialement la chambre et l'oratoire de la Mère du Sauveur. Le troisième est la demande de ce que l'on veut obtenir. Dans cet exercice, je demanderai la grâce de ressentir une vive allégresse et une joie intense de la gloire et de la joie immense de Jésus-Christ, notre Seigneur. Le premier, le second et le troisième point seront les mêmes que dans la contemplation de la Cène. Dans le quatrième, je considérerai comment la Divinité, qui semblait se cacher dans la Passion, paraît et se manifeste dans la Résurrection par des effets de puissance et de sainteté qui n'appartiennent qu'à elle. Dans le cinquième, je considérerai comment Notre-Seigneur Jésus-Christ exerce auprès des siens l'office de consolateur, le comparant à un ami qui console ses amis.Je terminerai par un ou plusieurs colloques conformes au sujet de la contemplation, et je réciterai le Notre Père."
Ces "exercices" montrent que les verrières, loin d'être décoratives, sont des supports de méditations spirituelles, de participation imaginative, visuelle et sensorielle ou affective de la Vie du Christ.
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2. Iconographie détaillée de l'Apparition à la Vierge.
Dans l'image , nous voyons que, comme cela est décrit dans le Miroir de la vie bienheureuse de Jésus - Christ (Meditationes Vitae Christi) , Marie était en prière quand Jésus est apparu. Son livre de prière se trouve sur le banc à côté d' elle. Elle est tombée à genoux et lève les mains en signe de surprise ou de prière. Jésus se tient à côté d' elle, enveloppée dans un manteau rouge, les plaies de ses mains, les pieds et le côté clairement visible. Les deux figures sont positionnés dans un cadre gothique comme une porte. Derrière eux , on peut voir dans un plus grand espace ouvert, une salle voûtée avec des colonnes et du carrelage. Il y a des fenêtres et une porte ouverte qui donne sur un paysage de jardin tranquille où Jésus peut être vu sortant de la tombe en présence d'un ange et des gardes endormis. Au loin, les trois femmes peuvent être vues en train d'approcher. Cela donne à penser que l'apparition de la Vierge se passe en même temps que l'événement de la Résurrection, ce qui en fait la première apparition de Jésus ressuscité.
— Rogier van der Weyden, Apparition du Christ à sa Mère ca 1496, Metropolitan Museum of New-York
— Cristoforo Casolani, v.1552-1606, chœur de Sainte-Marie-Des-Monts
— Le Guerchin, église Saint-Nom-de-Dieu, Cento, 1629, Cento, Pinacothèque Municipale
— Nicolas Halins actif 1513-1540, Vallant-Saint-Georges,
b) Sculpture
— Chartres, Cathédrale, tour du chœur, 1516-1517. (plusieurs points communs avec ce panneau, mais la Vierge est en compagnie de saint Jean, et les anges sont absents).
— Brou (Bourg-en-Bresse, Ain): église Saint-Nicolas-de-Tolentino, chapelle de Marguerite d'Autriche : retable en albatre des Sept Joies de la Vierge , vers 1528.
— Melun Baie 0, la verrière des Apparitions du Christ, XVIe siècle (baie 0) est aujourd'hui considérée comme une oeuvre du maître verrier parisien Jean Chastellain. Le carton de la scène inférieure, "L'Apparition du Christ à sa mère", peut être attribué au peintre Gauthier de Campes.
"Voici d'abord une légende très ancienne que l'on a déjà rencontrée dans la Passion des Jongleurs, l'apparition de Jésus à sa mère après la Résurrection. Si on prend la peine de suivre cette légende depuis ses origines, on reconnaîtra qu'elle pouvait très facilement être mise en scène sans les Meditationes, puisqu'on fait elle y a été mise sans elles ; mais on reconnaîtra également qu'à cette légende connue les Meditationes ont ajouté des détails nouveaux, et ce sont précisément ces détails qui reparaissent, d'ailleurs très modifiés, dans le drame de Greban. Cette scène peut donc servir de spécimen pour les imitations les plus éloignées des Méditations.
La légende de l'apparition de Jésus à sa mère, en opposition avec le verset bien connu de l'Evangile de saint Marc XVI, 9, se présente à nous sous deux formes distinctes :
1° La Vierge accompagne les Saintes Femmes au sépulcre, et c'est là qu'elle retrouve la première son fils. Telle est la version adoptée par quelques Pères de l'Eglise grecque et par l'auteur du drame bysantin, Christus patiens. Dans l'Eglise latine, on la retrouve dans le Carmen Paschale de Sedulius (l. V., v. 322 et 361, Patr. Migne, t. 19, col. 738 et 743) et dans l' Elucidarium d'Honorius d'Autun (1. I, ch. 24, P. Migne, t. 172, col. 1127).
2° Les saintes Femmes vont seules au sépulchre, et la Vierge, qui a foi en la Résurrection, reste en prières dans sa maison. Jésus vient l'y visiter la première au sortir des Limbes, puis retourne consoler Madeleine. Cette version a été beaucoup plus répandue que la précédente en Terre-Sainte (d'après le Saint Voyage en Hierusalem de Saladin d'Anglure, 1395, éd. Bonnardot et Longnon, p. 27-28), en France et en Italie. Les représentations artistiques (vitrail de Chartres, xiiie siècle, clôture du chœur de Notre-Dame de Paris, xive siècle), etc., ont été récemment décrites par M. Emile Mâle (l'Art religieux, etc., p. 296). Quant aux textes des théologiens du moyen-âge, on les trouvera à peu près tous réunis par Suarès (éd. Vives, t. 19, p. 876). Ils dérivent en majorité d'un contre-sens sur un passage célèbre de saint Ambroise, De Virginitate (1. I, ch. 3, Patr. Migne, t. 16, col. 283). Les textes français sont plus rares. On peut rappeler cependant la Passion des Jongleurs et le Ci nous dit déjà reproduit in extenso, et surtout
le poème inédit de Jean de Venelle (1357) sur les trois Maries, dont suit un extrait largement suffisant (Bib. Nat. ms. fr. 12,468).
— F. 86 v°, col. 1. « Comment nostre sire Jesu Christ s'apparu ressuscité a la Vierge Marie, sa mère doulce, et tout premièrement, selon les docteurs, combien que l'evangille n'en face nulle mencion et pour cause
Mieulx déüst estre premeraine
Que ne feûst la Magdalaine,
Mais qui a droit y pensera
Ja de ce ne se doubtera
Qu'a li ne soit sans arester
Premier venu manifester:
Devant doit estre confortée
Celle qui tant desconfortee
Fu pour son fils l'autre sepmaine,
Et saint Ambroise s'i acorde
Qui bien le dit et si accorde
Qu'elle le vit premièrement
Ressusciter nouvellement,
Mais l'euvangille si s'en taist
Car tesmoignaige de la mère
Envers son fils n'envers son père
N'est pas reçeu communément.
—87 r°, col. 2 : « Comment la Vierge prie Dieu le Père qu'il lui doint aucune revelacion de son fils Jesu Crist, et lors, comme en la fin de son oroison J. Crist lui apparu resuscité a grant joie et a grant clarté, endermentiers que les deux suers et la Magdeleine estoient aleez au sépulcre. »
—87 v et 88 r° : Interminable prière de la Vierge à Dieu le Père.
— 88 v, col. 2 : Jésus apparait a sa mère et retourne ensuite vers la Madeleine.
Avec le texte très connu de Saint Ambroise et surtout avec l'ouvrage extrêmement répandu de Jean de Venette on peut déjà expliquer les mentions rapides de l'apparition chez les sermonnaires de la fin du xive siècle (Ex.: Gerson éd. EUies Du Pin, t. III, p. i2o6, Sermo in Festo Paschae, Fax vobis : Nec etiani dubium est quin apparuerit gloriosae Mariae. Et hoc modo dicit sanctus Ambrosius...). La même explication vaut pour les brèves allusions à la légende de l'apparition dans la Résurrection de la B. Sainte Geneviève (éd. Jubinal, t. 2, p. 3^8), dans la Passion de Semur (v. 8826), et même pour l'apparition longuement développée, mais banale, sans citations latines, de la Résurrection d" Angers, 1456, (Bib. Nat. Réserve Yf i5, cahier fiiii, fol. 4^"- — Extraits dans Frères Parfait, t. II, 5i2), si longtemps attribuée par erreur à Jean Michel, et qui est probablement de Jehan de Prier, dit le Prieur (Romania, 1898, p. 623)'. Mais on n'expliquera nullement de cette façon les détails précis de la même scène dans la Passion de Greban, p. 382, où la Vierge non seulement prie, mais récite des versets des psaumes faciles à identifier : Essurge, gloria mea... psalterium et cithara. — Exsurgam, diluculo, v. 29,155.
Nulle part, à ma connaissance, dans aucun des commentateurs des psaumes imprimés dans les Patrologies latine et grecque de Migne, ces deux versets ne sont mis dans la bouche de la Vierge.
Cette adaptation, je ne l'ai pas rencontrée avant les Meditationes du pseudo-Bonaventure, tandis qu'il est relativement facile de la retrouver plus tard. Je me bornerai à citer in extenso, en raison de la rareté de cet imprimé, un passage d'un sermon de Saint Vincent Ferrer qui fut prononcé à Toulouse, le jour de Pâques 1416, et qui fit grand bruit, suivant la curieuse déposition de Jean de Saxis dans le procès de canonisation — «J'assistais à ce sermon... Le soir il me prit fantaisie d'aller entendre un autre sermon prêché par un Religieux d'un autre Ordre. Il prononça d'abord son texte sur un ton plein de suffisance, puis dès le début rappelant certaines paroles dites par Maître Vincent, mais sans le nommer, il dit que ce qui avait été prêché le matin même par quelqu'un était apocryphe et devait s'entendre différemment, comme il se faisait fort de le démontrer sans plus tarder,..». — Il sera très facile de voir que ce sermon « apocryphe » de Saint Vincent Ferrer est composé avec les chapitres 87 et 97 des Meditationes :
I. Ch. 87. De Resurrectione Domini et quomodo primo apparait Matri, Dominica die. Veniens Dominus Jésus cum honorabili multitudine Angelonim, ad monumentum, die Dominica, summo mane, et reaccipiens corpus istud sanctissimum, ex ipso monumenlo clause processit, propria virtute resurgendo. Eadem aulem hora, scilicet summo mane, Maria Magdalene et Jacobi et Salome, licentia petita prius a Domina coeperunt ire cum unguentis ad monumentum. Domina autem domi remansit et orabat dicens : « Pater clementissime... rogo majestatem vestram ut filium mihi reddatis... O filii mi dulcissime, quid est de te, quid agis?... Est hodie tertia dies; Exsurge ergo gloria rnea et omne bonum meum » .
Ch. 97 : « Et etiam forte ipsi sancti Patres, maxime Abraham et David veniebant cum [Christo] ad videndum illam suam excellenlissimam filiam matrem Domini ».
Il sera plus facile encore de constater que le passage correspondant du sermon de Barelette sur la Résurrection est copié littéralement dans celui de saint Vincent.
Sermones H. Vincentii, etc. Estivales, etc. (Lugduni, Trechsel, 1493, in-4'°, f. aa ij, r", col. 2); sermo : « Surrexit, non est hic. Marc XVI, 6 ».
« Virgo... Maria certissima erat quod Filius suus resurgeret die tertia ut ipse praedixerat ; sed forte nesciebat horam suae resurrectionis, quia non Jegitur quod Christus dixerit horam suae resurrectionis, si hora prima, etc. Ideo Virgo Maria in nocte praesenti, quae sibi fuit longa nox, expectabat resurrectionem Filii sui ; et coepit cogitare qua hora surgeret et uescivit. Et sciens quod inter alios Prophetas David plus locutus fuit de Christ! passione et resurrectione, posuit se ad legendum psalterium, ut inveniret si aliquid dixisset de hora Tandem legendo fuit in psalmo 56, ubi loquitur David in persona Patris ad filium dicens : Exurge gloria mea, exurge psalterium et cithara. Et responsio Filii ad Patiem : Exurgam diluculo. Nota quod Pater vocat Filium tripliciter, scilicet gloriam, psalterium et citharam propter tria quae Christus habuit in hac yita. 1° Deus Pater vocat Christum gloriam suam, et hoc quia Christus in sua vita in omnibus quae fecit et dixit diligebat et proGurabat honorem Patris. Ideo dicebat : Ego gloriam meam non quaero, sed honorifieo Patrem meum. Joan , 8. Ideo Pater dixit : Exurge gloria mea.
Respondit Filius Patri : Exurgam diluculo Cogitate, quando Virgo Maria scivit horam resurrectionis, quomodo surrexit deoratione ad visendum si erat aurora et vidit quod non Et perfecit psalterium. Deinde voluit videre si aliquis aliorum prophetarum aliquid dixisset de hora resurrectionis ; et invenit in Osée, 6 ; qui loquitur in persona apostolorum : Victjîcabit nos post duos dies, et tertia die suscitabit nos Tune Virgo Maria surrexit dicens : sufficit mihi habere très testes de hora resurrectionis et paravit cameram et cathedram pro Filio dicens : hic sedebit Filius meus et hic loquar ei Et respexit per fenestram et vidit incipere auroram et gavisa est Et Christus misit statim Virgini Mariae Gabrielem nuntium Etstatimpost venitad eam Filius benedictus cum omnibus sanctis Patribus Christus autem dixit matri ea quae egit in inferno, quomodo ligaverunt diabolum, et ostendit sibi sanctos Patres quos inde extraxerat qui fecerunt Virgini Mariae magnam reverentiam. Cogitate quomodo Adam et Eva dixerunt Virgini Mariae : Benedicta vos estis filia nostra et Domina, etc. »
a. Les éditions de Barelette sont nombreuses et communes, donc inutiles à reproduire. — Sermones fr. G. Barelete. . . tam quadragesimales quam de sanctis. . . Lyon, Jacques Myt., 1624 ; Feria, l Resurrectionis... j). igS r» col. i : Contcmplari possumus quod [VirgoJ expectabat resurrectionem sed ignorabat horam... Invenit psalmum
LVL... Exsurge gloria mea, etc. » — Barelette a souvent pillé S. Vincent Ferrer, après avoir prononcé son panégyrique.
Que conclure de ces textes ? Si Saint Vincent Ferrer a certainement imité les chapitres 87 et 97 des Meditationes, il est beaucoup moins certain que Greban ait imité directement le seul chapitre 87, et, en tout cas, les deux imitations ne se ressemblent guère. Le grand prédicateur Valencien prodigue le merveilleux ; le dramaturge le restreint, le prépare et, à force d'art et d'ingéniosité, le rend presque vraisemblable. Dans la douleur et dans l'espérance, la Vierge attend la Résurrection de son fils en récitant des versets du Psautier :
Exsurge, gloria mea.
Et voici qu'aux premières clartés du jour, le Christ apparaît, seul ; le dialogue ne dure qu'un instant ; c'est un rêve, c'est une ombre qui brille et qui s'évanouit. Ainsi conduite la scène est très supérieure au chapitre 87 des Meditationes, long, traînant, et il semble bien que Greban n'ait emprunté en somme qu'une interprétation ou glose des psaumes qui paraît avoir été imaginée par le pseudo-Bonaventure. Rien ne prouve d'ailleurs que ledit Greban l'ait empruntée directement aux Meditationes, le contexte très différent de ces Meditationes et du mystère indiquerait plutôt le contraire. La glose était sans doute devenue populaire, et il a pu la recueillir dans l'enseignement de l'école. Nous allons proposer une explication analogue pour la scène suivante, qui, elle non plus, ne vient pas directement des Meditationes ; mais ici l'imitation plus longue et mieux caractérisée permettra d'arriver à plus de précision.
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Récapitulatif. Sources du cycle des Apparitions avant l'année 1500 :
1°) Les textes.
Les textes évangéliques.
Les textes apocryphes. L'évangile de Nicodème.
L'Elucidarium d'Honorius d'Autun, fin XIe siècle : livre I chapitre 24 : 12 apparitions.
L'Historia Scholastica (1169-1173) de Pierre le Mangeur (Petrus Comestor).
La Bible de Saint Louis (v. 1229-1235) Tolède III folio 69v-79v
Le Speculum historiale (1258) de Vincent de Beauvais.
La Legenda aurea (1261-1266) de Jacques de Voragine
Les Postilles ou Postilla (1322-1331) de Nicolas de Lyre : 10 apparitions. Edition en 1480 1485, 1488.
Les textes mystiques :
Les Meditationes Vita Christi du Pseudo-Bonaventure. Traduction par J. Galopes vers 1422 : Bnf fr 923 et NAF.6529.
Ludolphe le chartreux, Vita Christi.
Jean de Venelle (1357) sur les trois Maries, (Bib. Nat. ms. fr. 12,468). https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9061520r/f92.item.zoom
2°) Les Jeux liturgiques:
Manuscrits de Beauvais, Saint-Homer [Fleury], Rouen, Carmina Burana, etc.
3°) Les Mystères médiévaux.
La Passion d'Arras (joué en 1420-1430 à Arras) d'Eustache Marcadé : 10 apparitions.
— CAZAL (Yvonne) , 1998, Contribution a une etude du bilinguisme latin langue vulgaire au moyen age. Epitres farcies et drames bilingues en france de la fin du onzieme siecle a la fin du treizieme siecle, Librairie Droz, 1998 - 336 pages par Yvonne Cazal, 1996, thèse de linguistique
— COHEN (Gustave), 1956, Etudes d'histoire du théâtre en France au Moyen Age (Paris, 1956), p. 204-230
— CORBIN (Solange), 1953, Le manuscrit 201 d'Orléans, drames liturgiques dits de Fleury Romania Année 1953 293 pp. 1-43 . Le manuscrit contient 4 quaternions pour les drames liturgiques, notés entièrement sur portées de quatre lignes rouges, 9 à 13 portées par page dont le jeu de la Résurrection, p. 220,
— COLETTE (Marie-Noël ), 2000, Les Jeux liturgiques: Sens et représentations Source: Revue de Musicologie, T. 86, No. 1 (2000), pp. 5-8 http://www.jstor.org/stable/947276
— DU CANGE , Glossarium med. et inf. lot., éd. Henschel, t. V, p. 201.
— COUSSEMAKER (E. de ) . Drames liturgiques du moyen âge, p. 195-200; d'après le ms. d'Orléans et avec transcription de la musique.
— DUMÉRIL (ÉDÉLESTANG ) 1849, Origines latines du théatre moderne publiées et annotées , Franck, 1849 - 418 pages p. 120-126; d'après le ms. 178 d'Orléans, p. 225.
— DOLAN (Diane), 1975, Le drame liturgique de Pâques en Angleterre et en Normandie au moyen âge, PUF. . In: Annales de Normandie, 26ᵉ année, n°3, 1976. pp. 311-312; https://www.persee.fr/doc/annor_0003-4134_1976_num_26_3_5190
— ELDERS ,(Willem ) 1964, Gregorianisches in liturgischen Dramen der Hs. Orléans 201, Acta Musicologica Vol. 36, Fasc. 2/3 (Apr. - Sep., 1964), pp. 169-177
— FOSSEY (abbé Jules), 1896, L'église Notre-Dame à Louviers, La Normandie monumentale., page 6
— GASTÉ (A.), 1893 , les Drames liturgiques de la cathédrale de Rouen, dans les Annales de la Faculté des lettres de Caen, 4e année, n° 1 et 2; réimpr. avec additions dans la Revue catholique de Normandie, et tiré à part (Évreux, 1893, in-8°) ;, p. 65-68; d'après le ms. Y. 110 et Y108 de Rouen.
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— LAMY (Marielle) L’apparition du Christ réssuscité à sa Mère. Un « épisode inédit » de la vie de Jésus et de Marie »
— MÂLE (Emile), 1898, L'art religieux du XIIIe siècle en France: étude sur l'iconographie du Moyen ...
"La plupart des séries évangéliques s'arrêtent à la Résurrection, mais quelques-unes s'étendent au delà. Les fameux bas reliefs du chœur de Notre-Dame de Paris nous montrent, avec un détail qu'on ne trouve nulle part ailleurs, toutes les apparitions qui suivirent la résurrection de Jésus-Christ: apparition aux saintes femmes, aux disciples d'Emmaüs, à saint Thomas, aux apôtres réunis dans le cénacle, à saint -Pierre et à ses compagnons au bord de la mer de Tibériade. Il ne faut pas voir là une fantaisie de maître Le Bouteiller, tailleur d'images. De pareilles représentations se rattachent étroitement à la fête de Pâques. La semaine qui suit Pâques était tout entière, au xiiie siècle, une semaine de fêtes, dont les fidèles suivaient assidûment les offices. Une cérémonie étrange et symbolique, la procession du serpent, qu'on portait triomphalement au bout d'une perche jusqu'aux fonts baptismaux, excitait la curiosité populaire . Or, chacun des jours de cette semaine, on lisait, à l'évangile, une des apparitions de Jésus-Christ '. La fête de Pâques se prolongeait donc en réalité jusqu'au dimanche suivant ; et c'est précisément cette semaine liturgique que l'artiste avait été chargé de rappeler à la clôture du chœur de Notre-Dame de Paris."
— OMONT ( Henri), 1913, . Le mystère d'Emmaüs (Ordo ad Peregrinum), d'après un manuscrit du XIIe siècle de la cathédrale de Beauvais. In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1913, tome 74. pp. 257-266; doi : https://doi.org/10.3406/bec.1913.448497 https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1913_num_74_1_448497
— ROY (Emile), 1903, Mystère de la passion du 14e au 16e siècle, étude sur les sources et le classement des mystères de la passion.I et II. I page 62 et 96 et II page 244.
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— BNF Latin 904 Graduale Rotomagense, Graduel à l'usage de Rouen / Litanies à l'usage de Rouen Mystère des bergers Mystère des rois mages, XIIIe siècle. Notation musicale carrée sur quatre lignes, F. 2-183 Temporal (incompl. du début) : — Mystère des bergers (11v) et des rois mages (28v). — Litanies de Rouen (128).F. 183 Dédicace.F. 185v « De s. Audoeno sequentia. »F. 187-237v Sanctoral : — s. Ouen (225) ; — « Festum Romani » (232).F. 237v Commun des saints. F. 263v « Pro defunctis ».F. 264 Kyrie, Gloria, Sanctus, Agnus Dei (XIVe-XVe s.).
— Ordinaire à l'usage de Rouen, vers 1491, Rouen BM, 0382 (Y.108) Breve per totum annum secundum usum Rothomagensem ; semble une copie de Rouen Y110. Jean Lebas (destinataire) ; Copiste "J. Elys". Ordinaire diocésain ? (J.-B. Lebigue)
office des Ânes : Officium pastorum (Office des pasteurs -ou des bergers- des fêtes de Noël) ; Officium Infantum (office des enfants, et des diacres et des chapelains, pour la Saints Innocents, la Saint Etienne etc) ; Officium stellae ( l'Office de l'Etoile pour l'Epiphanie); Officium Sepulchri (le jour de Pâques) ; Officium Peregrinorum (Office des Pèlerins, le Lundi de Pâques)
http://initiale.irht.cnrs.fr/codex/3812
— Ordinaire à l'usage de Rouen Rouen, BM, 0384 (Y. 110) Ordinarium seu liber ordinarius ecclesiae Rothomagensis
L'' Ordo ad Peregrinum, ou mystère de l'apparition à Emmaüs, a été copié sur quatre feuillets ajoutés au volume et dont l'écriture, différente de celle du reste du manuscrit, plus fine et d'une encre moins noire, peut cependant dater aussi du xne siècle. Le texte du manuscrit de Beauvais publié plus loin offre de ce drame liturgique, qui se déroulait à vêpres le lundi de Pâques, une rédaction nouvelle, qui sera utilement comparée avec celles dont on doit la publication à Du Gange, E. Duméril, E. de Coussemaker, A. Gasté, et plus récemment à M. Karl Yung.
Oro ad peregrinum in secunda feria pasche, ad vesperas.
Duo discipuli eunles dicant : « Jhesu, nostra redemptio. »
Usque : « Nos tuo vultu saties. » Quibus appropinquans peregrinus dical : « Qui sunt hi sermones quos confertis ad irrvicem ambulantes, et estis tristes? » Cleophas discipulus solus respondit : « Tu solus peregrinus es in Jerusalem, et non cognovisti que facta sunt in ilia his diebus? » Et peregrinus : « Quç? » Et duo discipuli : « De Jhesu Nazareno, qui fuit vir propheta, potens in opère et sermone coram Deo et omni populo3. » Tune unus : « Quern Judei dampnaverunt Et in cruce occiderunt, Et nos quidem sperabamus Quod nos esset redempturus. » Tune alter dicat : « Jam très dies abierunt, Pacta ista quod fuerunt, Et nos quçdam terruerunt, Qu§ sepulchrum reviserunt Vacuumque reppererunt. » Item alter : « Se vidisse narraverunt Angelorum visionem,
Qui et eis indixerunt Ejus resurrectionem, Sex ex nostris cucurrerunt1 , Qui sic cuncta reppererunt, Sicut ille retulerunt, Sed ipsum non invenerunt. » Tune peregrinus dicat : « 0 ! cum sitis ejus discipuli, Our tarn stulti, tardi, increduli, Ignoratis ab ortu seculi Quç prophète dixere singuli? Nonne Christum pati oportuit Et intrare gloriam decuit? » Sic in eundo dicat eis : « Hçc Moyses significaverat, Oum paschalem agnum occiderat ; Isaias idem predixerat, Oum ut agnum illum clamaverat Flagellari et obmutescere, Et occisum peccata tollere. Oblatus est, inquit, cum yoluit Et peccata nostra sustinuit. Sic et cunctis prophetis testibus, Christus, moilis solutis nexibus, Quod sit vivus, et hoc perhenniter. Jam debetis credere firmiter. » Tune quasi recedere volens peregrinus dicat eis : « Ne moremur, fratres, diutius, Jam oportet nos ire longius. » Tune retineant eum et dicat unus : « Déclinante vespera, Noctis instant tempora,
etc
— Le Carmina Burana (vers1230) :
MEYERS (Wilhem), 1970, CARMINA BURANA Mit Benutzung der Vorarbeiten WILHELM MEYERS kritisch herausgegeben von ALFONS HILKA und ÜTTO SCHUMANN I. Band: Text 3. Die Trink- und Spielerlieder- Die geistlichen Dramen Nachträge Herausgegeben von ÜTTO ScHUMANN t und BERNHARD BrsCHOFF HEIDELBERG 1970 CARL WINTER · UNIVERSITÄTSVERLAG