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1 avril 2014 2 01 /04 /avril /2014 21:36

L'église de Rosporden ? Sainte Madeleine et ses boucles d'oreille : impénitente ?

 


           sainte-madeleine 1217v

 


      Chacun connaît la Madeleine pénitente sculptée par Donatello (1455), et celle qui, sous les titres de La Madeleine à la flamme filante, La Madeleine à la veilleuse, La Madeleine au miroir et La Madeleine aux deux flammes, ont été peintes par Georges de La Tour entre 1638 et 1652. 

Madeleine repentante, tableau du Caravage (1593-1594).

 

Image illustrative de l'article Madeleine pénitente (Donatello)

George de la Tour, La Madeleine aux deux flammes, Metropolitan Museum of Art, New York, États-Unis  

Image illustrative de l'article La Madeleine aux deux flammes

 

 

 

 

  Lorsqu'elle ne s'habille pas de serpillières, ne se couvre pas la tête d'un seau de cendres, ne vit pas dans sa grotte de la Sainte-Baume comme une sauvage émaciée et vêtue de sa seule chevelure, elle pleure, lit Jean de la Croix et goûte, devant son miroir, à l'auto-complaisance de l'ascèse. Dénouant ses cheveux, endossant le cilice, ôtant ses bijoux qu'elle pose sur sa console, caressant un vieux crâne dérobé au cimetière, elle prend la pose devant son quinquet. Elle se fait réciter le Sermon sur  la mort de Bossuet, elle n'y résiste pas, elle pleure encore ; elle s'habitue à la douceur de cette amertume, aux charmes lancinants du remords. 

  Et puis elle souffle la bougie, essuie ses yeux, refait son maquillage et remet ses bijoux. Son confesseur se satisfera de cet exercice quotidien auquel elle se soumet avec délices. "Elle fait pénitence".

Ou bien, elle demande au peintre si elle peut se relever. Elle est la modèle du Caravage pour sa  "Madeleine repentante" (1593), elle se nomme Anna Annuncia Bianchini, "courtisane" c'est à dire prostituée romaine.

 

Galerie Doria-Pamphilj, Rome,Italie

  http://fr.wikipedia.org/wiki/Madeleine_repentante_(Le_Caravage)

  Image illustrative de l'article Madeleine repentante (Le Caravage)

 

 

      A Rosporden, Madeleine est toute autre, et porte fièrement sa robe grise qui souligne la convexité de son abdomen, le manteau vert céladon qui découvre habilement ses épaules, et son flacon de parfum ou d'onguents.  Les perles de jade de son collier s'accordent à la couleur de son manteau, et au bleu-vert de ses yeux. La liberté de ses longs cheveux suit celle de son cœur. Elle n'a renoncé ni à la gaieté foncière de son caractère, ni à son goût pour les belles choses, ni à sa beauté ; depuis qu'elle suit le Christ et qu'elle boit ses paroles, elle ne l'a jamais entendu conseiller de devenir triste et laide. Elle est fraîche comme les lis des champs, joyeuse comme les oiseaux du ciel, et Salomon dans toute sa gloire n'eut pas l'éclat de son teint.


                        sainte-madeleine 1226v

 

 

                      sainte-madeleine 1224c

      Elle s'est endimanchée pour son Seigneur, et les boucles que ses consœurs adeptes des macérations jettent sur leur tapis, pendent comme deux cerises d'or à ses oreilles. De son amour de la Beauté et la Vie, elle  est, résolument Madeleine impénitente.

 

     sainte-madeleine 1222c

 

Sources et liens :

http://doudou.gheerbrant.com/?p=16575

http://www.insecula.com/oeuvre/O0026928.html 

 


 

 


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Published by jean-yves cordier
1 avril 2014 2 01 /04 /avril /2014 16:11

La Mise au tombeau de l'église de Rosporden (29).

  Le haut-relief à neuf personnages de la Mise au tombeau intégré dans le coffre de l'autel de l'église Notre-Dame de Rosporden est l'œuvre d'art la plus intéressante de cet édifice. Réalisé en bois polychrome, il est daté de la fin du XVe siècle ou (Couffon) du XVIe siècle. 

Comme toute sculpture abritée derrière une vitre plus ou moins propre mais qui réfléchit tous les reflets des vitres du chœur ou l'oculus du pignon ouest, sa photographie n'est pas aisée.

retable-Mise-au-tombeau 1238c

 

Nous voyons neuf personnages, de gauche à droite deux saintes femmes, puis Joseph d'Arimathie soutenant la tête du Christ, la Vierge se penchant vers son Fils, saint Jean (imberbe) prêt à soutenir la Mère du Christ si elle défaille, un personnage à identifier (cf infra), et Nicodème qui soutient les pieds du Christ. Enfin la personne à genoux, le corps projeté en avant par le chagrin, presque ensevelie par son manteau, est Marie-Madeleine, terrassée par la perte indicible de celui auquel elle avait voué sa vie, et qu'elle suivait depuis sa conversion.

 

retable-Mise-au-tombeau 1239c

 

Le visiteur trouve dans l'église un pannonceau lui donnant les indications suivantes :

L'église de Rosporden possède une « Mise au tombeau » que l'on peut dater de la fin du XVe siècle. C'est la dernière période de l'âge gothique qui est encore en Bretagne, le Moyen-Âge, auquel se rattache visiblement cette œuvre remarquable. La Mise au tombeau de Rosporden serait donc un mémorial, un souvenir laissé par les Rospordinois d'un « Mystère » joué par eux devant l'église. Les personnages du groupe sont les Rospordinois qui remplirent les rôles des acteurs et qui furent aussi les donateurs de cette œuvre d'art.

 

La mise au tombeau de Rosporden présente encore un autre intérêt artistique. Dans ses études sur l'art religieux, Émile Male cite deux autres du même genre. On y reconnaît en effet, à la place occupée par Madeleine, une œuvre de l'école flamande. La traditions française la mettait de l'autre coté du tombeau, au pieds de Notre Seigneur. Elle a été restaurée de 1978 à 1981 et remise en place fin 1981.

 

On peut rapprocher ces lignes des renseignements procurés par l'article Mise au tombeau de Wikipédia (consulté le 1er avril 2014) : Wikipédia: article Mise au tombeau :

 Le xve siècle voit se développer des représentations assez stéréotypées, où le corps du Christ est allongé sur son linceul que tiennent Nicodème (aux pieds) et Joseph d'Arimathie (à la tête du Christ). La Vierge, saint Jean et une ou plusieurs saintes femmes, parfois des soldats, assistent à la scène ou y participent. Ces nombreuses Mise au tombeau sculptées conservées dans les églises sont souvent désignées par le nom de « Saint-Sépulcre » ou simplement le « Sépulcre ».

Jusqu'au xve siècle, les Mises au tombeau d'Europe du nord, comme les mises en scène des Mystères, habillent les personnages de vêtements contemporains. Même les centurions romains sont en armure médiévale. En Italie d'abord apparaissent des vêtements à l'antique, par exemple dans une Mise au tombeau d’Andrea Mantegna qui date d'environ 1470-1475, au burin et à la pointe sèche, conservée à la National Gallery of Art de Washington. Ce sera bientôt le cas dans toute l'Europe, comme en témoigne la Mise au tombeau de Jean de Joigny qui combine la mise en scène traditionnelle des sépulcres avec les draperies et les lignes sinueuses de l'art maniériste.

1. Le commentaire sur la place qu'occupe ici Marie-Madeleine demande à être précisé ; il est pourtant repris par le site Topic-Topos : "L'inspiration flamande se reconnaît par la position de sainte Marie Madeleine, qui est agenouillée devant le Tombeau, alors que la tradition française la place, avec les autres femmes, aux pieds du Christ." Marie-Madeleine est pourtant bien placée "aux pieds du Christ" (le lien qui unit Madeleine, et sa chevelure, avec les pieds de Jésus est indissoluble), mais elle est placée entre le spectateur et le tombeau, ce qui représente une difficulté à laquelle la plupart des artistes ne se confronte pas. Elle est éplorée, les deux mains jointes, vêtue exactement de la même façon que la Vierge d'un manteau bleu recouvrant sa tête. Son attribut principal, le flacon d'aromates, est absent.

Cette place en avant-scène s'observe, par exemple, ici :

 

Mise au tombeau du Christ dans le livre d'Heures de Marie de Bourgogne (1477)    Wikipédia

On l'observe aussi au Relecq-Kerhuon (29), à Saint-Pierre de Solesmes (Sarthe).

  2. Un autre détail a été souligné par le chanoine Abgrall dans les Notices rédigées pour le Bulletin diocésain d'histoire et d'Archéologie ou pour la Société Archéologique du Finistère ; il concerne la coiffure de la seconde Sainte Femme, à l'arrière-plan : il la rapproche de celle d'une femme portant une lanterne dans le  retable de Kerdévot, celle de l'une des Saintes-Femmes de la descente de croix de Quilinen. de celle de sainte Barbe de Guengat et des Piéta du Pénity de la chapelle de Bonne-Nouvelle de Locronan. Il oublie celle de sainte Marthe de l'église Saint-Nonna de Penmarc'h, ou celle des femmes des sablières de Notre-Dame de Quimperlé. Décrivant la photophore de Kerdévot, il écrit : "Sa tête est couverte d'une coiffure semblable à un turban, retenue par un ruban formant mentonnière, noué sur le sommet du chef et retombant sur le dos." 

 Ce "ruban formant mentonnière" est nommé Touret ou barbette, et il peut retenir une coiffe à corne, un turban ou balzo, ou devenir un bandage austère semblable à une guimpe. Comme il a également retenu mon attention, j'en donnerai les images suivantes :


retable-Mise-au-tombeau 1248c

 

Les femmes qui sont présentes autour du saint Sépulcre sont désignées sous le nom de "saintes femmes", mais elles portent parfois aussi le nom de Marie Salomé la Myrophore, femme de Zébédée et mère de Jacques et de Jean de Zébédée,  ou de Marie Cléophas, sœur de la Vierge et la mère de saint Jacques-le-Mineur. En effet, l'évangile de Jean 19, 25, signale sa présence au pied de la croix : "Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cl[é]opas, et Marie de Magdala". On trouve aussi autour du tombeau sainte Véronique, présentant son voile.

Au premier plan, la sainte femme (Cléophas ou Salomé) porte une robe mauve à décolleté carré, aux manches courtes évasées par un plissé, un tablier d'étoffe d'or ; selon la mode, elle arrondit le ventre et le projette en avant en un élégant arc convexe. Sa coiffe est un balzo dont le bourrelet est entouré de tissu blanc à ligne dorée, porté très en arrière, presque vertical, et maintenu sur les cheveux par une coiffe dégageant le front soigneusement épilé.

Au second plan, sa collègue porte un somptueux manteau de satin doré, une robe au même décolleté carré que sa voisine qui s'ouvre sur une chemise fine au col en V, et, surtout, une toque couleur brique formée de deux parties : un fond arrondi, centré par un bouton sommital, et une couronne à laquelle est fixée la mentonnière (barbette* ?), ici plus large en haut et s'affinant sous le menton.

* la barbette est (CNRTL)  "une guimpe, sorte de mentonnière attachée sur la tête, couvrant le col et encadrant le visage que portaient les religieuses, les femmes âgées et les veuves." Cette description austère d'une pièce d'étoffe  destinée à cacher les chairs et les cheveux ne semble pas convenir à l'accessoire de mode que nous voyons ici.

Mes exemples : cliquez pour agrandir.

Sainte Barbe, Guengat (fin XVe). Sainte Marthe, Penmarc'h (XVIe?). 2 femmes des sablières de Quimperlé (1430).

L'église de Guengat II : Statues, sablières et inscriptions.

L'église Saint-Nonna à Penmarc'h : bannières et statues.


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3. Le chaperon et ses métamorphoses.

Je m'intéresse maintenant aux deux hommes de droite : Nicodème est au pied du caveau, mais qui est le personnage barbu ? Si on se reporte à la Mise au tombeau de la crypte de sainte-Croix de Quimperlé, qui réunit autour du Christ en plus des personnages habituels Gamaliel et Abibon, il peut s'agir d'un de ces deux noms. Saint Gamaliel, rabbin et docteur de la loi  et Saint Abibon ou Abibas son fils étaient fêtés le même jour que saint Nicodème dans les martyrologes, car leurs corps avaient été découverts à Capharmagale avec celui de Saint-Étienne. La tradition chrétienne (Clément, Recognitiones, 1, 65) prête à Gamaliel une conversion secrète au christianisme avec un de ses fils Abibas/Abibon/Diboan. Tous deux auraient été baptisés en même temps queNicodème par les apôtres Pierre et Jean.

La tradition chrétienne garde le souvenir de l'apparition de Gamaliel au prêtre Lucien, curé de Cafargamala (Kfar-Gamala) le vendredi 3 août 415, le rabbi indiquant où se trouvait sa relique qui aurait été alors retrouvée dans le même tombeau que celle de son fils Abibas, ainsi que saint Étienne et saint Nicodème. Saint Étienne reposerait depuis à Pise en Italie. Une représentation de cette tradition figure sur des tapisseries conservées au Musée national du Moyen Âge à Paris.

Quoiqu'il en soit, ce qui m'intéresse ici, c'est d'approfondir ma découverte toute récente de ce que c'est qu'un chaperon, un guleron, une patte et une cornette. 


retable-Mise-au-tombeau 1244c

 

Il n'est pas exagéré de dire que le chaperon a été, à travers ses divers et complexes avatars, la coiffure portée dans toute l'Europe occidentale du Moyen-Âge jusqu'à la fin du XVe siècle (qui correspond à notre retable). Il est omniprésent dans la peinture flamande, mais, lorsqu'on a appris à le reconnaître, on le retrouve aussi dans chaque chapelle et église, réservant la surprise de sa trouvaille dans un détail de sculpture, au sommet d'une sablière, sur un vitrail ou uns statue, et jusque sous la forme de l'épitoge des avocats.

 On le trouve d'abord comme une capuche, qui s'enfile par la tête, couvre les épaules par une cape aux bords crantés ou fendus, et couvre aussi la tête qui n'apparaît que par l'orifice central qui entoure le visage. C'est la capuche qui a donné aux moines le nom de Capucins, cappucino en italien. Pendant tout le Moyen-Âge, c'est le couvre-chef des paysans et des gens du peuple des deux sexes, chaud, protecteur contre le vent et la pluie. Si Mère-Grand vous en a taillé un dans une belle étoffe rouge cerise, on vous nomme "le Chaperon Rouge".

 Mais si le quidam rabat le capuchon, il pend derrière son dos comme une poche. On trouva amusant de laisser cette capuche s'hypertrophier en une longue trompe, une corne traînant jusqu'aux reins, voire d'avantage. Ou bien, l'ouverture verticale de la capuche, qui entourait le visage, fut utilisée pour être posée sur le crâne, horizontalement, comme un bandeau. Mais que faire alors du cône de tissu, allongé en cornette ? Chacun pouvait soit l'enrouler en écharpe, soit le plier au dessus de la tête comme un turban, soit le passer dans sa ceinture.

 Étalé sous forme d'un patron de couturière, le chaperon (petite chape) prend la forme suivante : (source : A. Harmand 1929)

 Le Rozier des Guerres 1461-1483

On lui décrit alors trois parties : la pointe du capuchon prolongée en tuyau, c'est la cornette. La partie qui couvrait les épaules comme une courte pèlerine, une chape, c'est la goule, la goulée, le guleron (c'est pareil) ou la "patte". Le trou pour la tête, c'est la visagière. On comprendra mieux en allant voir chez Hemiole.com.

C'est donc après avoir utilisé le trou visagier à l'envers et l'avoir transformé en serre-tête que cet accessoire n'a plus ressemblé du tout à un capuchon, mais s'est transformé en ce chapeau innommable, sans queue ni tête, qui hante la peinture flamande (ou italienne, et française) :

       

 

Mieux encore, on se mit à l'ôter de sa tête, pour en garnir son épaule : la cornette le retenait devant, et la visagière  (dont le revers s'est transformé en bourrelet) ainsi que ce qui restait de la cape frangée nommée guleron ou patte pend comme un sac vide derrière l'épaule. C'est du dernier chic.

                                          


  Observons la coiffure de nos deux personnages : "Abibas" porte ce qui ressemble à n'importe quel chapeau, mais sa nature de chaperon se trahit par le guleron, porté sur l'épaule droite, et par la cornette si longue qu'il en fait revenir avec la main droite un repli sous son coude gauche afin qu'elle ne traîne pas. Quand à Nicodème ( il est à l'origine de notre adjectif "nigaud"), il laisse son guleron tomber de son galurin comme un Tartarin coinçant son mouchoir sous son béret pour se protéger du soleil.

 

                               retable-Mise-au-tombeau-1241ccc.jpg

 

retable-Mise-au-tombeau 1249c

 

 

      Il me reste à soumettre ces improvisations au feu de vos observations rectificatives et de vos sages critiques.

 

 

 

Sources et liens :

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Published by jean-yves cordier
30 mars 2014 7 30 /03 /mars /2014 18:47

Les sablières, entraits et poinçons de l'église Notre-Dame et Saint-Michel de Quimperlé.

 

 

Pour une visite, amenez vos jumelles, et sept vertèbres cervicales neuves ! 

 

  Généralités.

   En 2003, Christel Douard a rédigé la notice Sablières, entraits et poinçons de l'église Notre-Dame pour l'Inventaire général du patrimoine culturel, avec un dossier photographique complet. C'est à cette notice que j'emprunte la présentation générale qui suit. Une restauration est manifestement intervenue depuis lors, ce qui suffit à justifier cet article. En outre, cet auteur n'avait donné que quelques indications sur l'identification des armoiries, et j'ai tenté de reprendre ce questionnement. 

1. L'église Notre-Dame :

 Dédiée à Notre-Dame, cette ancienne chapelle de la communauté des bourgeois de la ville prendra également le vocable de Saint-Michel en souvenir de l´ancienne église paroissiale voisine ruinée en 1765. On distingue, pour l´essentiel, deux campagnes de construction. D´un premier édifice bâti vers 1280 ne subsistent que les murs de la nef percés de baies et de grandes portes au nord et au sud et sans doute les traces d´un porche ouest (oculus sud), les autres parties ayant été ruinées au cours des guerres de Succession qui touchent la ville au milieu du 14e siècle. A la charnière des 14e et 15e siècles, une reprise hésitante et par endroits malhabile débute par la reconstruction du porche sud qui remplace un porche plus ancien probablement à étage, comme l´indique une porte haute bouchée qui pourrait correspondre à l´accès à un jubé de l´édifice originel. Egalement témoins du début de la reprise du chantier, les piliers ouest de la croisée du transept, cantonnés de colonnettes à chapiteaux, se greffent sur des piles carrées qui semblent correspondre à l´emplacement de l´ancien choeur.

Une campagne d´agrandissement décisive, affectant le couvrement de la nef et surtout la construction de la partie orientale de l´édifice, débute en 1416 ou 1418 et se termine au milieu du 16e siècle. Grâce aux libéralités du duc Jean V, de Henry de Lespervez, l'abbé de Sainte-Croix de Quimperlé et de familles bourgeoises et aristocratiques de la ville (leurs armoiries figurent aussi bien à l´extérieur qu´à l´intérieur), le chantier inclut la mise en place du porche nord (achevé en 1425), de la charpente de la nef (datée 1430), de la partie orientale de la croisée du transept (piliers circulaires portant des voûtes à pénétration directe), du massif de la tour et du chœur dans lequel est inhumé Henry de Lespervez en 1434. 

 

2. Les sablières et entraits.

 Couvrant la nef construite à la fin du 13e siècle, l'ensemble a été mis en place en 1430 dans le cadre de la reconstruction de l'édifice. Une partie des armoiries figurant sur les poinçons n'a pu être identifiée. L'édifice a été classé parmi les monuments historiques en 1915. 

L'église conserve les plus anciennes sablières sculptés de Bretagne (1430). Ensemble composé de 16 sablières et de 7 entraits à poinçons faisant partie d'une charpente de type à chevrons-portant-fermes lambrissée en berceau. Certains poinçons portent des marques de charpentiers. Les sablières sont numérotées de 1 à 16, en commençant par le mur sud, partie est, et en tournant dans le sens des aiguilles d'une montre. Les sablières 4, 5 et 12 ne portent qu'un décor floral stylisé. Les poinçons sont identifiés de A à G, d'est en ouest : armoiries ; hermine ; animal fabuleux ; homme ; femme ; cerf ; porc ; mouton ; bœuf ; chien ; lune ; sanglier ; loup (?) ; hybride ; phylactère Armoiries ducales et hermine héraldique (mur nord, partie est). Armoiries identifiées sans certitude : Lohéac et Jubin de Kervily. Par endroits, un cochon entouré d'un phylactère remplace l'hermine.Vermoulure généralisée. Polychromie (moderne) abîmée. Renforcement partiel des entraits et des poinçons par des pièces métalliques. oeuvre restaurée ; repeint

 

 

      I. Les sablières.

 

  Les sablières, comme les gargouilles, sont souvent le lieu où se déploie le "Ça" de la conscience collective, la partie animale des humains, alors que le "Surmoi" se réserve le décor à hauteur d'homme (statues pieuses) et que le Sacré et la nature angélique de l'être possède le chœur. A plusieurs mètres de hauteur, près de la voûte couverte en chataîgnier, la rencontre d'animaux monstrueux, grimaçant et menaçant n'est pas rare, tout comme celle des acteurs d'un théâtre des vices. Aussi, l'observateur ne sait jamais si ce qu'il découvre apporte une documentation sur la société de l'époque, ou bien sur le monde onirique qui l'habite.

 

A. Les motifs non emblématiques : personnages.

Ils permettent une découverte des costumes du début du XVe siècle. C'était alors (1430) le règne du roi Charles VI (1388-1422) et Charles VII (1422-1461), du duc de Bretagne Jean V le Sage (1389-1442), sous l'épiscopat de l'évêque de Cornouailles Bertrand de Rosmadec (1416-1444) ; la Bretagne est sous domination de l'Angleterre, mais l'équipée de Jeanne d'Arc conduit au sacre de Charles VII à Reims en 1429.

 

 

1. Homme en chapeau breton et cheveux longs ?

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2. Femme à coiffe en hennin à cornes à barbette.

Caricature de la Coquetterie, ou simple portrait d'une paroissienne ? 

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3. Autre élégante en hennin à fourche,  à barbette.

 

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4. Homme à chaperon en bonnet, avalé par un monstre aux allures d'engoulant.    

      Le chaperon  était une forme de cagoule ou, plus tard, de chapeau  très polyvalent porté dans toutes les parties de l'Europe occidentale au Moyen-Age. Initialement utilitaire, il a vu la pointe du capuchon venir former une longue queue en partie décorative qui pendait à l'arrière, puis il s'est développé en un casque protéiforme, complexe et onéreux  après que, vers 1300, ce qui était à l'origine l'ouverture verticale pour le visage a commencé à être utilisé comme une ouverture horizontale de la tête. Il était particulièrement en vogue dans le milieu du 15e siècle en Bourgogne, avant de cesser peu à peu d'être la mode à la fin du 15e siècle et de revenir à son statut utilitaire. Il est le couvre-chef le plus couramment porté par les hommes dans la peinture primitive flamande , mais sa construction complexe est souvent mal comprise.

 

  Le chaperon, très à la mode en 1430 quand ces sablières furent sculptées, est une sorte de cercle rembourré en turban qu'accompagne une bande de tissu qu'on peut rabattre sur l'épaule ou laisser pendre librement et  que l'on peut cranter ou agrémenter de franges, et qui  portait le nom de patte ou de guleron. Une autre partie, dérivée de la pointe du capuchon prolongée en longue corne, se nomme cornette. Pendant les guerres civiles à la fin du règne de Charles VI, le chaperon devint un signe de ralliement par la position respective de la patte et de la cornette. La cornette était portée à droite par les Bourguignons, et à gauche par les Armagnacs. 

Dans la gueule de ce monstre à la dentition de caïman, notre homme a coiffé un modèle dont le guleron se dresse en sac obscène ou évoquant un bonnet phrygien.


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5. Homme à chaperon à cornette déployée.

 Ici la cornette, d'étoffe blanche, réunie au guleron qui pend à droite, se déploie en un plissé complexe au dessus de la tête. Cela semble si extravagant que l'on est tenté de penser qu'il s'agit, sur cette sablière, d'une singerie, mais l'iconographie des couvre-chefs flamands, bourguignons, ou bien bretons en fournit des exemples tout aussi inattendus. On ne lésinait pas sur la quantité de tissu et un chaperon florentin de 1515 est connu pour avoir utilisé plus de dix mètres de drap. Comme on le voit ici, les chaperons, ou du moins les cornettes, sont la plupart du temps de la même couleur, mais l'emploi de soie damassée pouvait signaler la richesse du propriétaire.

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L’homme au chaperon bleu, vers 1429, Jan van Eyck, (Bucarest, Muzeul National de Artà) : cette œuvre est parfaitement contemporaine des sablières.

 

 6. Autre homme à chaperon.

Les sablières de Quimperlé vont nous offrir toute une gamme de chaperons, montrant l'étonnante diversité de l'évolution de ce chapeau dérivé initialement de la capuche des paysans et des moines. Le bourrelet qui ceint la tête est ici enroulé dans une étoffe bleue à rayure or, alors que la cornette de tissu blanc tombe sur le coté droit du visage en un pli soigneusement étudié. 

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 7. Homme à chaperon.

Variante du modèle précédent où la cornette forme un pli du coté gauche du visage avant de laisser pendre un pan godronné, symétriquement du coté droit.

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8. Homme à chaperon.

Le bourrelet forme un turban d'étoffe aux rayures multicolores, alors que la cornette  tombe comme un plumet blanc et mou sur le coté gauche. 

 

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9. Homme à chaperon.

Souriant sans redouter le voisinage de l'engoulant, celui-ci a replié ensemble  sa longue cornette kaki et son guleron en circonvolutions savamment tressés pour former un turban oriental.

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 Van Eyck 1433 

 

10. Homme à chaperon.

      Encore une variante : autour de la visagière façonné en rondel beige-vert, la cornette est dressée comme un bonnet bifide. 

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Voir aussi : 

La Mise au tombeau de l'église de Rosporden (29) : barbette et chaperon.

L'évolution du chaperon vers l'épitoge des avocats : statue de saint Yves in :  L'église Saint-Nonna à Penmarc'h : bannières et statues.

 


B. Les motifs non emblématiques : animaux et feuillages.

 

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C. Les hermines emblématiques. 

        Une série d'hermines passantes, emblème des ducs de Bretagne, montrent le rôle de commanditaire et mécène tenu par Jean V, mais aussi les liens de Quimperlé avec les Monfort, auxquels la ville s'était montrée fidèle lors de la guerre de succession.

 Cette hermine, comme en héraldique*, est  "passante" , c'est à dire "semblant marcher", de profil, trois pattes au sol décalées dans le sens de la marche et la patte avant dextre levée, et dirigé vers dextre (vers la gauche du spectateur) ; elle est "contre-passante" sur les sablières nord, où elle se dirige vers senestre, puisqu'elle doit obligatoirement se diriger vers le chœur de l'église.

*En héraldique, on parle de l'hermine, qui est un "meuble" (la figure de l'animal sur le blason), et d'hermines, qui qualifie une "fourrure".

Elle est "au naturel", c'est à dire dans la couleur naturelle de son meuble, blanche (et souvent, mais non ici, avec l'extrémité de la queue noire). Dans un exemple, la joue est colorée d'une marque tannée (brun cuir).

Elle est parfois colletée (portant un collier), ce collier — marqué de points jaunes comme autant de pièces d'or— servant de point d'attache à une cape flottante sur son dos ; cette cape ou manteau, mantelet,  est souvent qualifiée d'écharpe. A la différence d'hermines passantes qui figurent dans les armoiries des villes d'Auray (Hozier), de Vannes (depuis 1696) ou de Saint-Malo (depuis 1591), cette cape n'est pas mouchetée d'hermines (une "fourrure" en terme héraldique, blanc à tâches noires) mais dorée avec des lignes rouge et bleu.

Ces hermines traversent les boucles de phylactères aux rayures jaunes : trois d'entre elles portent des inscriptions.

La première, coté nord, indique la date de 1430 (transcription partielle) : LAN MIL § CCCC XXX 

Les deux autres, l'une au nord et l'autre au sud, portent   :  A MA VIE, devise des ducs de Bretagne. 

 

 

 

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Les "à la façon" : chien et cochon.

Il est difficile de dire s'il s'agit d'une caricature humoristique faite par le sculpteur, ou si (comme à Guengat avec le lièvre blanc traduisant Gwen gat) ces animaux sont emblématiques d'autres familles. 

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II. Les poinçons et entraits : armoiries et figures.

 


A. Eléments non héraldiques.

 

Les visages encapuchonnés dans la "visagière" du chaperon et peints en or  évoquent les astres, lune et soleil.

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Acanthes et pommes de pin.    

sablieres 8866c

 

 

 

B. Armoiries.    

Attention, ce chapitre est écrit par un néophyte roturier avec les moyens du bord, mais toute remarque et correction  par un héraldiste chevronné sera la bienvenue. Mes épaules de nain donneront volontiers appui à une grande pointure pour que nous y voyons plus clair et que mes bévues soient corrigées.

B1. En poinçons.

 

1. Armoiries de Bretagne d'hermine plain.

des ducs de Bretagne

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2. D'hermines au lambel de gueules.

Armoiries de la famille de Bretagne, c'est à dire des héritiers des ducs de Bretagne à partir de Jean V. 

Peut-être Arthur de Bretagne (1393-1458), fils de Jean IV et de Jeanne de Navarre, comte de Richemont puis duc de Bretagne de 1457 à 1458, connétable de France

sablieres 8863c

 

3. Armoiries des Rohan-Guéméné ou de Rohan-Gié.

      Écartelé : en 1 et 4 : contre-écartelé : en 1 et 4 : de gueules aux chaînes d'or posées en orle, en croix et en sautoir, chargées en cœur d'une émeraude au naturel (qui est de Navarre) ; en 2 et 3 : d'azur semé de fleurs de lys d'or à la bande componée d'argent et de gueules (qui est d'Évreux) ; en 2 et 3 : de gueules à neuf macles d'or, posés 3, 3, 3 (qui est de Rohan) .  

Je suppose que, lors d'un restauration, les armes de Navarre dont les rais d'escarboucles d'or doivent ressortir sur un fond rouge, ont été peintes avec un fond bleu comme les fleurs de lys voisines par un peintre peu au courant des subtilités de l'héraldique.

 

 

 

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      Cela se rapproche des armoiries de Charles de Rohan dit « Charles Ier de Rohan-Guéméné » (1375-1438), seigneur de Guéméné et auteur de la branche du même nom, fils de Jean Ier de Rohan (1324-1396), vicomte de Rohan, seigneur de Guéméné, et de Jeanne d'Évreux dite « Jeanne de Navarre » (1339-1409). Il adopta les armes de sa mère, plus prestigieuses, et mit un parti de Rohan et de Bretagne en abîme. 

  C'est cet élément central (en abîme) qui fait ici défaut.

Blason fam fr Rohan-Guéménée.svg wikipedia.Armorial_de_la_famille_Rohan

 armes de Rohan-Guéméné : voir armoiries penmarch maitresse-vitre

 

 

 

 

4.  Le même parti avec des armes d'argent à l'aigle éployé de sable  à la bande de gueules.

Du Guesclin (1320-1380) : d’argent à l’aigle bicéphale éployée de sable becquée et membrée de gueules, à la cotice du même brochant sur le tout 

Catherine du Guesclin  († 1461) dame du verger, seigneur et dame de la Morlière, de Châtelain épousa en 1406 Charles Ier de Rohan-Guéméné († 1436), fils de Jean II de Rohan-Guéméné et de sa seconde femme Jeanne de Navarre.

 

 

 

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B2 Sur les  entraits.

 

1. Armoiries de Henry de Lespervez De sable à trois jumelles d'or.

Henry de Lespervez a été abbé de Sainte Croix de Quimperlé entre 1409 et 1434, et il fut inhumé dans le chœur de l'église Notre-Dame ; la dalle funéraire se trouve aujourd'hui dans la crypte de l'abbatiale Sainte-Croix. Il est désigné comme commanditaire, avec le duc de Bretagne, du chantier de (re)construction de l'église menant à son agrandissement décisif, affectant le couverture de la nef et surtout la construction de la partie orientale de l´édifice, débute en 1416 ou 1418 et qui se termina au milieu du 16e siècle

 

 sablieres 8871c

 

2. d'argent aux six macles de gueules à la fasce d'hermines.

 

???

sablieres 8867c

 

3. Pallé d'argent et d'azur de six pièces

de Rosmadec :

 

Bertrand de Rosmadec : aumônier du Duc Jean IV et évêque de Quimper en 1416. Il mourut le 07.02.1445 .

sablieres 8872c

 

4. De gueules à trois bandes d'or

 De Boessière, seigneur de Pleyben en Cornouaille ????

sablieres 8874c

 

5. D'argent à trois fusées de gueules.

 

KERGOULOUARN (DE), sr dudit lieu, de Kerlavan et du Rosmeur, par. de Plouvorn, Réf. et montres de 1448 à 1503, dite par., év. de Léon. D'argent à trois fusées de gueules. La branche aînée fondue dans Simon, puis Le Rouge. Moderne : Alain de la Marre, puis Berthou et la Bourdonnaye-Montluc.

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6. D'azur à deux poissons d'argent ?

sablieres 8869c

 

 

 

7. d'azur au Greslier d'argent , accompagné de trois Molettes de même,

Jourdain, S" de Couedoc, de Kericu , Rr de Hennebond et Quimper , de Couëdo, Kermadenay, le Bodelan, Kerrain, la Villeneuve ( inMémoires sur l'état du clergé et de la noblesse de Bretagne, Volume 3  Par Toussaint (de Saint-Luc), et in Nobiliaire et armorial de Bretagne. Edition 2, Tome 2) 

sablieres 8868c

 

 

Je n'ai sans-doute pas photographié l'ensemble des entraits  : l'Inventaire signale y identifier "sans certitude" les armoiries de Jubin de Kervily et de Louhéac, soit, respectivement, De gueule à la fasce d' argent accompagnée de trois quintefeuilles du même, deux et un (Jubin de Kervily).    et de vair plain (Loudéac). Je ne les ai pas observé.

 

Sources et liens :

Inventaire général du patrimoine, article Ensemble de sablières photographies Xavier Scheinkmann.

 

 

Sur le chaperon :

— Article Wikipédia Chaperon (headgear) :  http://en.wikipedia.org/wiki/Chaperon_(headgear)

— Adrien Harmand  Jeanne d'Arc, son costume, son armure : essai de reconstitution  Paris, Editions Leroux, 1929   in : http://lerozier.free.fr/chaperon.htm#haut

— France pittoresque :http://www.france-pittoresque.com/spip.php?article1538

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Published by jean-yves cordier
28 mars 2014 5 28 /03 /mars /2014 22:11

Exposition des sculptures d'Anna Quinquaud à Brest. Maternité malgache.

 

 

 1932 : Troisième voyage d'Anna Quinquaud. : Somalie, Ethiopie, Madagascar.

 

 Cartel de l'exposition :

 

Maternité malgache ou Farizara et son Zakakely. Plâtre, 1933. Musée du Quai-Branly, Paris. Ce modèle en plâtre d'une maternité sera taillé dans un granit pour l'hôtel de ville de Tananarive, ce qui explique son format. Il est inspiré d'une scène observée et photographiée par Anna Quinquaud. Son titre originel est Farizara et son Zazakely*. La manufacture de Sèvres la choisira pour une édition un grès tendre haut de trente centimètres. Les Antaisaka sont un peuple côtier de Madagascar. Ils vivent principalement dans le sud-est de l'île.

Zakakely signifie "enfant" en malgache : j'en déduis que Farizara est le nom de la jeune maman.

 


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27 mars 2014 4 27 /03 /mars /2014 23:38

 

            Nénégalley du Futah-Djalon :

 L'exposition

 Anna Quinquaud, une sculptrice en Afrique

au Musée des Beaux-Arts de Brest (5 février-17 mai 2014).

Voir aussi :

Premier voyage : Enquête sur une femme Bellah : l'exposition Anna Quinquaud au Musée des Beaux-Arts de Brest.

Troisième voyage : Sur la piste du Papango : la danse de l'oiseau par Anna Quinquaud à Brest.

 

Deuxième voyage 1930-1931 : le Fouta-Djalon.

 

J'emprunte au dossier pédagogique de l'exposition cette présentation :

Voyages de la maturité. 1930-1931 : peuples foulah, coniagui et bassari.

Anna Quinquaud a besoin de quatre années pour préparer son retour en Afrique, d’autant que cette fois elle part sans bourse, sur ses propres deniers, pour huit mois chez les peuples des montagnes du Fouta-Djallon, en Guinée française. Elle y vit, dans le chef-lieu de Pita, au milieu des Peuls sédentarisés, les Foulahs, aux profils racés et aux silhouettes longilignes.

Une expédition la mène vers les Coniaguis et les Bassaris, tribus marquées par l’art de la chasse et de la guerre. Les sculptures exécutées trahissent une belle plénitude, que ce soient Aïssatou, femme de Mamadou Alpha, d’une beauté altière, Kadé, fillette de Tougué, un peu boudeuse, Nénégalley, fille de Tierno Moktar, chef de Pita, et une Fillette foulah dans toute la saveur de la jeune enfance, ou encore une Maternité Pita, à l’élégance taillée dans un beau bloc de bois exotique, ceinte d’un voile que l’on peut imaginer bleu-clair. Bijoux et coiffures sont très justement rendus. L’Archer coniagui au repos à Youkounkoun semble leur protecteur. L’artiste a gagné en pureté et en simplicité. Les critiques sont unanimes à louer la beauté des sculptures rapportées de ce deuxième voyage en particulier lors de l’Exposition coloniale internationale de 1931.

 

 

 I. Nénégalley, fillette du Fouta-Djalon.


                               expo-anna-quinquaud-brest 0568c

 

Cartel de l'exposition : 

Nénégalley, fille de Tierno-Moktar chef de Pita (Guinée).

Bronze à patine verte, 1930.

Musée des Années Trente, Boulogne-Billancourt Dépôt du Fond National d'Art Contemporain.

 

La séduction de ce bronze tient à la simplicité des traits du visage autant qu 'aux précisions accordées aux bijoux. L'attention d'Anna Quinquaud pour les parures avec lesquelles les femmes africaines ornaient leur corps était entretenue par son frère, administrateur colonial, qui les avait étudiées en détail dans un mémoire.

 

 Bronze H. 0,40 x L. 0,17 x P 0,17 m   

 

  Le frère d'Anna Quinquaud, Joseph Quinquaud (1885 – 1946) était administrateur en chef de la France d'outremer. Il est l'auteur du tome I de  L'expansion française en Afrique occidentale : les missions de Beeckmann au Fouta-Djallon, Société de l'histoire des colonies françaises, Paris, 1942 puis Larose, Paris.  Il est aussi l'auteur d'un long article  intitulé "La pacification du Fouta-Djallon"  Revue d'histoire des colonies 1938 Volume 26  n° 116  pp. 49-134. (Persee.fr). On voit donc combien il connaissait le Fouta-Djalon. Hélas, je n'ai pas trouvé le mémoire de Quinquaud sur les parures africaines que signale le Musée. A défaut, je prends note de ce qu'indique Wikipédia dans l'article "Peul" :

 

Les femmes portent le pagne, bleu indigo, et le boubou de couleur très foncée, parfois noire. Les Peuls sédentaires adoptent parfois le style des ethnies avec lesquelles ils cohabitent. Les femmes portent le pagne, et le boubou, et attachent sur leurs têtes un morceau de tissu qui est la version féminine du turban, moussor.

Les femmes peules pratiquent le tatouage des lèvres et des gencives à l'indigo, des paumes de la main et des pieds. Elles percent leurs oreilles et y insèrent des anneaux d'or, ou des boucles d'oreille d'or imposantes et torsadées. Elles mettent un petit anneau en or ou en argent aux narines. Les jeunes filles ont à leurs poignets et à leurs chevilles, plusieurs anneaux d'argent ou de cuivre symbolisant leur richesse.

Les Peuls sont un peuple à cheveux longs, lisses à ondulés permettant un type de coiffure particulier où les cheveux sont ramenés sur le sommet du crâne, formant une coiffure en "gourde" célèbre chez les Wodaabe et les Bororos. Les femmes bororos ramènent en chignon leurs cheveux à l'avant, le reste des cheveux est sectionné en plusieurs parties qu'elles tressent, et qui retombent sur les côtés de la figure et à l'arrière de la tête. Les métissages ont multiplié les styles de coiffures. Celles-ci sont nombreuses, en forme de losange, triangle, et plusieurs noms leur sont donnés. Malgré la diversité des coiffures chez les femmes peules, le plus souvent les hommes et les femmes sont coiffés de la même façon. Chez les femmes, l'art de la coiffure est très développé. Pour la coiffure elles se servent de pièces de monnaie, de cauris, de beurre de karité, de perles. Les femmes portent des Saris comme les femmes Touaregs au Sahel, des robes multicolores à volants, des pagnes et des blouses indigo clair au Burkina Faso. Chaque groupe possède ses propres couleurs à base d'indigo plus ou moins clair, ses propres liserés, le graphisme est souvent à base de frises, de triangles, de losanges colorés. Les femmes sédentaires réalisent des coiffures en cimier. Les Peuls rasent parfois leurs cheveux suivant la mode arabe de piété, les femmes portent deux ou trois nattes simples avec un voile fin à l'arrière de la tête, simple ou richement décoré. Le "cheveu" est très investi chez les Peuls, et si leur nature le permet, la femme préfère les porter aussi longs que possible. Cependant, la coiffure féminine sera toujours « nattée », richement décorée ou semi-couverte en public.

 


 

Mais connaissez-vous le Fouta-Djallon ? Moi, j'en ignore encore tout, et je dois partir à la découverte du pays de la charmante Nénégalley, de son papa qui est le chef de Pita, et des surprises qui m'y attendent.


 II. A la découverte du Fouta-Djalon grâce à Foutapedia.

 

Foutapedia est, comme son nom l'indique, une encyclopédie sur le Fouta-Djallon de Guinée. Le nom me plait, ce sera mon guide.

Le Fouta-Djallon (avec un seul l, ou bien deux) est encore appelé Moyenne Guinée et est principalement peuplé de Peul. Je trouve dans Foutapedia une carte, et, sur celle-ci, la ville de Pita  maps, celle de la petite Nénégalley.

 

On voit que le relief est montagneux. Pita est à 998 mètres d'altitude et compte aujourd'hui 15 000 habitants. En-effet, "Grand comme deux fois la Suisse à laquelle il est parfois comparé («la Suisse africaine»), le Fouta Djallon est un plateau divisé en plusieurs massifs coupés par des vallées profondes. Le point culminant du Fouta est le Mont Loura, dans la préfecture de Mali, avec 1.515 mètres d'altitude. Son relief et sa pluviosité font du Fouta le château d'eau de l'Afrique de l'Ouest. Bafing-Sénégal, Gambie, Konkouré, Tinkisso-Niger y prennent leur source."

  Cette pluviométrie élevée (1771 mm/an sur 110 jours) crée déjà, pour un brestois, une affinité de bon aloi (1100mm/an en 211 jours). Je poursuis.

 "Éleveurs de tradition, les Peuls se sont peu à peu sédentarisés et ont développé une activité agricole basée sur la culture du fonio. L'élevage reste, malgré tout, une activité importante avec un cheptel abondant mais peu mis en valeur, le troupeau étant avant tout un signe de richesse et de prestige. La culture du riz, du maïs et du mil s'est aussi progressivement développée mais dans une moindre mesure.

En dehors de l'agriculture et de l'élevage, l'artisanat et le commerce sont les deux domaines d'activités des populations locales. Les principaux artisans sont les tisserands, les teinturières, les cordonniers, les vanniers, les potiers et les forgerons." 

Mais qu'est-ce que le fonio ?  une céréale (graminée) de terrains pauvres, de couleur blanche cultivée pour ses graines, qui doivent être décortiquée au pilon et au mortier, travail laborieux revenant aux femmes. On la fait cuire comme du riz (11 minutes) pour préparer bouillies, couscous, boulettes, pain et beignets. La tige mesurant 80 cm, on récupère aussi de la paille, bien utile.

  De l'histoire, je retiens (pour resituer le contexte du voyage d'Anna Quinquaud) que la région est devenue colonie française en 1893 : "Elle fut intégrée, avec le Sénégal, le Soudan français (Mali) la Côte d'Ivoire, à l’Afrique Occidentale Française (AOF) en juin 1895, avec Saint Louis (puis Dakar) comme capitale. La France imposa un système d'administration coloniale identique à celui appliqué dans les autres territoires africains de son empire colonial. L'émiettement en multiples chefferies rivales facilita l'emprise française sur le pays. La Guinée française devint par la constitution française du 7 octobre 1946 un «territoire d'outre-mer»."

Auparavant, avant la colonisation, "Après la fondation de l’Etat confédéral théocratique du Fouta Djallon, l’Etat a été subdivisé en neuf provinces ou diwé (en pular, singulier diwal) à savoir Bhuria, Fodé Hadji, Fougoumba, Kébali, Koïn, Kolladhè, Labè, Timbi et Timbo. Chaque chef de diwal exerçait son pouvoir avec une certaine autonomie politique en relations avec le pouvoir central de Timbo, capitale du Fouta Djallon."  Pita appartenait au diwal de Timbi. 

 Pour comprendre qui était "Tierno-Moktar", papa de Nénégalley, Futapedia me dirige vers l'article de Gilbert Vieillard, Notes sur les coutumes des peuls au Fouta-Djallon, Larose, Paris, 1939. "L'ancien Fouta compte actuellement 50 chefs de canton Peuls, dans les 5 cercles issus de son démembrement ; ils sont désignés par le mot lando, ou par leur titre personnel, généralement Alfâdyo, parfois Tierno ou Mobiddo. leur personnalité est double, ils ont un aspect fonctionnaire français, un aspect princier indigène. Le chef de canton est responsable d'un territoire qui souvent ne peut être traversé qu'en une semaine de marche et qui est situé à une distance du chef-lieu encore plus grande : il doit, sur ce territoire, percevoir les impôts, fournir les hommes, assurer des transports de matériel et de message, surveiller des travaux, entretenir la sécurité des personnes et des biens, recevoir et aider tous les gens de l'administration et des service techniques...il a donc à son service un secrétaire, lettré en arabe et en peul, et des hommes désignés sous le nom de batula, "hommes de cour". 

 Toujours selon Gilbert Vieillard, dans le Fouta-Djallon musulman, on compte "2/3 de "nobles", ci-devant pasteurs, conducteur de peuple et amis du loisirs, et 1/3 de serfs, de race agricole, mais abrutis par la servitude." 

 Tierno-Moktar, "chef Moktar" doit être un de ces nobles lettrés. Wikipédia m'indique : Le Fouta-Djalon fut un centre de culture théologique peul. Les grands poètes-théologues sont Thierno Samba de Mombéya, Thierno Saadou de Dalein, Thierno Aliou Bhoubha Ndian et Thierno Diawo de Pellel, ouThierno Mawiatou de Maci et Ramatoulaye de Télico. Ils sont considérés comme d'illustres personnalités issues de la noblesse du Fouta et prêchant le bon exemple (le Peul savant et pieux, fervent dans la religion).

On cite un marabout qui porte ce nom de Thierno Moktar : "Tierno Moktar, de Dalen (Hoore Komba) né vers 1850, de la famille Seleyanke (Dialluɓe) fils de Chékou Saadou, Karamoko réputé et auteur d'ouvrages foula. Tierno Moktar est un marabout instruit et intelligent qui continue à Dalen l'enseignement de son père, et donne entre temps des consultations juridiques. Il est le conseiller attitré du chef de province, Modi Gandou, et se flatte d'avoir été appelé à plusieurs reprises par Alfa Yaya à régler des procès difficiles. Il est le cousin de Tierno Ibrahima Dalen. Il a de nombreux disciples dans la province même à Dalen, et à Tunturun."

      Aujourd'hui,  la préfecture de Pita dispose d’une superficie de 4.320 km2 pour une population de 239.236 habitants dont 92% en zones rurales, 85% engagés dans l’agriculture et 55,7% femmes. L'une des fiertés du patrimoine traditionnelle, outre les tissus peuls teints à l'indigo (le lépi), le bonnet peul ou Puutoo et les cases en tenté ou en motifs dits meltol bitti, est la coiffure féminine en cimier nommée Dioubadé.

      

   Signification de " Foulah".

On rencontre lors de la visite de l'exposition le terme "foulah" ( "filette foulah", "femme foulah"). Il s'avère qu'il s'agit simplement d'un synonyme de "peul", en usage au XIXe siècle chez les voyageurs occidentaux : les Foulahs ou fellans. L'article Peul de Wikipédia cite une longue liste de synonymes, débutants par F (Foules, Fulah, Foullah, Fellah, etc.) ou par P (les Peules ou Poules, Pholeys, Peuhl, Poullar, Pullo, etc.). On lit en 1840 : "Les Foulahs , de sang pur, ont la taille svelte et élevée, la figure ovale, le nez aquilin, la peau colorée mais non pas noire, les extrémités des membres fines et petites."  

 

 

Un sénateur français  en visite au Foutah-Djallon en 1931 :

 

   "Le pays montagneux qu'habitent les Foulahs est dans l'Afrique tropicale une exception singulière. C'est un amas de hautes roches, hautes de plus de 1.000 mètres, dont la structure et les contours annoncent une antiquité plusieurs fois millénaire.

Dressé sous le soleil des tropiques, ce château fort de montagnes allongées et arrondies contient des vallons d'une végétation magnifique et variée : feuilles pourpres du manguier, fleurs jaunes des acacias, cannas pourpres, fleurs vieil argent, fleurs lilas, champs de jasmins naturels. Les routes n'ont plus l'aridité nue de la brousse des côtes : baobabs, fromagers, tulipiers, bambous, arbustes aux odeurs violentes, tous ajoutent à la montagne une vie forestière qu'accroissent les cours d'eau se ruant en cascades aux plaines de la Basse-Guinée. Dans les vallées, a culture vivrière et les pâturages se développent en agglomérations agricoles dont la vie pastorale tient à la fois de celle du paysan et de celle du chasseur. Le long des rives des cours d'eau s'accumule une verdure de jungle, toute tressée de lianes illuminées, d'orchidées sauvages, d'où s'envolent par milliers des oiseaux verts, rouges, or : perroquets, tourterelles, ramiers., etc. Le soleil et la pluie, ces deux grandes forces des tropiques, sont si dominateurs qu'en une journée, après la tornade, le paysage change d'aspect, les feuilles poussent, vert pâle ou rose, tellement vite qu'elles suivent un rythme régulier en s'épanouissant et donnent une décoration toute stylisée. Qu'elles sensations neuves que de traverser ces paysages portée en hamac par de robustes noirs, par vals et par rocs, sur des « ponts de singes » faits de lianes entrelacées souvent à 10 mètres au-dessus des torrents jaillissants ! Volupté forte et âpre de ces immensités en deçà desquelles on devine d'autres immensités aussi solitaires, aussi primitives !

 

Les agglomérations, très rares, sont traversées de sentiers étroits bordés de pieux ou de haies d'arbustes avec quelques grands arbres de-ci de-là ; dans les enclos, les orangers multiplient leurs pommes jaunes, leurs parfums pénétrants autour des maisons coniques de chaumes tressés d'où s'élève la mosquée primitive de l'Islam, le Missidi."

 in L'Illustration27 juin 1931 par Henry Bérenger, sénateur de la Guadeloupe, président de la Société coloniale des artistes français.

 

 

 III. Maternité, Pita. 


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   "Dans ce paysage vit la race foulah, race antique de sang mêlé, d'allure austère et plutôt triste remontant à des origines seigneuriales de grands ancêtres nomades venues d'Egypte et d'Éthiopie. Les femmes, longues et minces, ont une élégance qui les distingue très nettement du reste des négresses africaines. Un pagne blanc et bleu roulé à la hauteur des hanches, elles ont la tête le plus souvent encadrée d'un voile bleu clair : l'harmonie de ce bleu avec leur chair ambrée que cerclent des colliers d'ambre est une joie pour les yeux. Leurs coiffures sont savantes : cimiers aigus de métal posés sur des nattes tressées comme de la dentelle et encadrées de pièces de bois, de piécettes d'argent d'un effet original et vraiment esthétique. Le grain de leur peau est très fin, leurs grands yeux sont noirs et un peu bridés, le cou haut et gracile, la bouche petite et large, les attaches élégantes et rehaussées de henné, la démarche lente et hanchée, presque féline en son apparente langueur. Les hommes sont grands, minces, d'une singulière agilité, avec des figures allongées et méditatives qui respirent souvent la dureté et la duplicité un peu dédaigneuse des aristocraties musulmanes." 

  in L'Illustration27 juin 1931 par Henry Bérenger, sénateur de la Guadeloupe, président de la Société coloniale des artistes français.

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III. Femme de Fouta-Djalon.

      Cette sculpture, d'abord réalisé en terre cuite sur place en 1930, a été très célèbre pour avoir fait la couverture de L'Illustration du 27 juin 1931. Puis elle a été reproduit en grès par  la  La Hubandière (HB) qui a  sorti de ses ateliers en 1931 une dizaine de modèles en noir, rehaussés quelquefois d’or et de platine, puis en 1957, dix nouveaux exemplaires édités cette fois uniquement en faïence et noir.  Les établissements Jules Henriot, ont fait appel également à l’artiste. Puis en 2012, les faïenceries Henriot à Quimper procèdent à une nouvelle édition.

 

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IV. Fillette Foulah.

 

La quasi nudité contraste avec la présence d'un bracelet et d'un collier, et surtout avec la complexité du tressage des cheveux.

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V. Kadé, fillette de Tougué, 1931.

   Tougué est une préfecture  du Foutah-Djalon située à une centaine de kilomètres au nord-est de Pita est également peuplée en majorité de peuls, mais aussi de Djallonkés et de Diakankés. Malgré une richesse minière importante (bauxite), elle vit d'élevage, de la culture de fonio, de riz, de pomme de terre, d'oignons et d'arachide. C’est une zone privilégiée pour la production de fruits (mangue, agrumes, papaye, avocats, banane, goyave) et plusieurs d'autres productions potagères. Lire l'article de Foutapédia qui lui est consacrée.

 

  J'admire la retenue avec laquelle Anna Quinquaud evite toute recherche d'exotisme spectaculaire ( s'abstenant de représenter la fameuse coiffe en cimier) pour rendre l'intériorité  grave et fière de son modèle. En reprenant chacune des statues que j'ai photographiées, je constate que les yeux, s'ils ne sont pas réellement fermés, sont occultés, ne mettant pas en évidence le regard : de ce fait, puisque le contact oculaire ne s'établit pas, nous restons à distance, contemplant avec respect un recueillement dont on ne sait s'il traduit la souffrance (la jeune esclave Bellah), la lassitude résignée de peuples colonisés, le repli sur soi d'un être confronté aux intrusions des "blancs", une tristesse native, la difficulté d'être femme, ou (et c'est mon sentiment) la profondeur qu'atteint la vie intérieure lorsqu'un muet dialogue s'établi entre un modèle et un artiste, la contemplation attentive de l'un suscitant l'écoute réflexive de l'autre. 

 

La coiffure est faite de trois parties : en avant, les trois nattes tressées sur un crâne presque rasé ;  en arrière, un casque de mèches serrèes ; devant l'oreille, cet élément rectangulaire divisé par deux rainures et dont je ne sais s'il s'agit d'un décor en bois, ou bien à un tressage de cheveux comme sur cette photographie. On trouvait le même emploi dans la Maternité de Pita.


                               expo-anna-quinquaud-brest 0671c

 

      On trouve aussi cet élément pré-auriculaire de coiffure dans le Portrait de jeune femme de profil en bleu :

 

                             expo-anna-quinquaud-brest 0577cx

 

 

 

VI. Archer coniagui.

"La colonisation s'était heurtée à une très forte résistance, en particulier chez les Peuls du Fouta-Djalon, les Coniaguis et les Guerzés."     

 Le cartel de l'exposition indique :

Archer coniagui au repos à Youkounkoun (Guinée).

 Bronze, patine brune, vers 1930. Musée d'Art et d'Archéologie, Guéret. Autant dans ses sculptures masculines que dans ses représentations féminines, Anna Quinquaud s'attache, comme ici, à une sobriété distinguée, faite de réserve et d'émotion retenue, ce qui montre sa distance à l'égard du naturalisme. Ici, pas de réalisme scrupuleux ou anecdotique, mais une expression générale, des volumes simplifiés, une attitude suggestive plus que décrite.


      Youkounkoun est une sous-préfecture du Nord de la république de Guinée, à quelques kilomètres de la frontière sénégalaise. Chef-lieu de préfecture au temps de la colonisation française, la « ville » perdit ce statut dans les années 1980 au profit de Koundara. Youkounkoun est la bourgade principale du pays Coniagui. 

Les cases sont aussi resserrées les unes par rapport aux autres, ce qui change des villages traditionnels Peuls et les soubassements des maisons sont en pierre et non en terre. Les Coniaguis et les Bassaris sont deux groupes ethniques cousin, d’origine Djallonké qui ont résisté à la vague de migration Peule, en se retranchant dans les zones arides. Ce sont des agriculteurs, des chasseurs, des cueilleurs au physique petit et trapu. Coiffés de leurs immenses chapeaux de plumes, ils perpétuent encore leurs cérémonies de rites initiatiques,  qui ont traditionnellement lieu en Avril et Mai. Ils conservent encore leurs coutumes et leurs habillement : les Hommes portent les étuis péniens, et les Femmes des petits caches sexe en perle ce qui témoigne de leur éloignement de l’ère moderne (Texte trouvé en ligne, daté du 19 juillet 2013).

 

Dans le numéro du 27 juin 1931 de L'Illustration, le sénateur radical-socialiste Henry Bérenger écrivait :

 

  "Au nord-ouest de cette contrée, au confins du massif du Fouta-Djallon, Mlle Quinquaud a séjourné dans les curieuses tribus des Coniaguis et des Bassaris, où elle a pris quelques-unes de ses sculptures les plus expressives. Races noires, encore fétichistes, où survivent les traditions de la guerre et de la chasse."

  "Les jeunes archers de quinze à vingt ans ont la souplesse musclée des félins, nus, portant seulement autour des reins la frange de cuir terminée par des pattes de scorpion, l'arc sur l'épaule, se reposant sur une seule jambe à la façon des échassiers. Après la circoncision, ces jeunes gens restent en brousse de deux à trois ans pour « l'initiation ». Cela consiste à lancer la flèche, à manier la lance, à supporter toutes fatigues, à endurer toutes souffrances, à mépriser la femme, à oublier tout ce qui a été la vie d'enfant pour devenir un être nouveau. Un geste symbolise cette transformation : au retour,, ils ne doivent pas reconnaître leur mère, même ils la battent pour bien montrer qu'ils l'ignorent. Alors elle, la mère, enivre son enfant avec du dolo et ils se reconnaissent sous l'emprise de l'alcool. Après cette initiation seulement, le jeune homme a droit à la femme. Ces jeunes guerriers sont de véritables génies de la montagne, frères des fauves, et qui conservent en eux l'hérédité de la cruelle Afrique noire et rouge d'autrefois." Henry Bérenger, sénateur de la Guadeloupe, président de la Société coloniale des artistes français.

 

                          expo-anna-quinquaud-brest 0607c

QUINQUAND Anna Archer Coniagui Au Repos À Youkounkoun (guinée)

 

      Il m'est difficile de ne pas évoquer l'Athena pensive du Musée de l'Acropole (460-450 av. J.C.), ce qui me prouve  combien Anna Quinquaud possède cette capacité de dépasser son regard de touriste coloniale pour dégager, dans un classicisme paradoxal, des types humains d'une grande profondeur. 


Archer au repos à Youkounkoun.


                   expo-anna-quinquaud-brest 4051c

 

expo-anna-quinquaud-brest-4093c.jpg

 

  Poursuivant les évocations que l'œuvre précédente a fait naître, je pense, devant celle-ci, au topos du Chevalier pensif, dont la figure principale est Lancelot dans le Chevalier à la charrette, mais dont l'exemple qui me fascine le plus est celui de Perceval contemplant trois taches de sang laissées dans la neige par une oie sauvage. On peut aussi penser à Pinabel dans le chapitre II du Roland furieux de l'Arioste, découvert par la jeune Bradamante. Dans tous les cas, nous avons affaire à un "amant esbahi" que la découverte d'un signal donné plonge dans une stupeur méditative et peut-être mélancolique. Le jeune Marcel de la Recherche se rapproche de cet état face aux arbres d'Hudimesnil, ou lorsqu'il s'exclame "Zut, zut, zut zut" en brandissant son parapluie refermé après avoir vu "sur l'eau et à la face du mur un pâle sourire répondre au sourire du ciel". Il est un âge où le spectacle de la nature sauvage et des forces sexuelles qui l'animent plongent le héros dans l' abîme du mystère de Monde, et cette plongée précède en général ses exploits. Lorsque nous voyons l'Archer pensif de Quinquaud faire à son tour cette expérience de la mystique de la Nature, nous présumons que bientôt sa chasse sera fructueuse.

 


 VI. Laptot du Niger.

Je fais un écart pour placer ici une sculpture qui date du premier voyage, au Niger. Elle viendra en contrepoint de la précédente.

 

 

                   expo-anna-quinquaud-brest 0690c

 

Cartel de l'exposition : 

Laptot du Niger.

Bronze, 1925.

GAM fondeur.

Collection particulière.

Précédée d'un dessin, cette représentation d'un rameur à bord d'une barque à fond plat sur le fleuve Niger a été abordée en 1925 par un plâtre, une terre-cuite et ce bronze dont on connaît trois épreuves. La volonté d'Anna Quinquaud de traduire l'effort du marin qui doit peser sur la perche pour propulser sa barque est exprimée par le parallélisme entre la perche et le corps, qui fait contraste avec les lignes inclinées qui parsèment l'espace de la sculpture. La tension des muscles n'affecte en rien l'élancement du corps, conformément au désir de la sculptrice d'exprimer l'élégance physique de ses sujets.

« A son retour, Anna Quinquaud fit une fort belle exposition à la Galerie d'art contemporain boulevard Raspail. Une des pièces dominantes était ces laptots, ces nautoniers à la pagaie qui peuvent pendant tout un jour remonter le Niger en chantant la même chanson à six notes, accompagnée de six coups de rame » R. Rey, L'art et les artistes, novembre 1935.

 


expo-anna-quinquaud-brest 0682c

 

 

Source et liens.

— Dossier pédagogique de l'exposition de Brest :http://www.musee-brest.com/les-services/publics/expositions-temporaires/

— REY (Robert) "De la renaissance de l'exotisme : Anna Quinqaud" L'Art et les Artistes 1935/10 p. 57-65. Gallica  

—  Olivier de Sanderval, (Aimé) (1840-1919)  Conquête du Foutah-Djalon : ouvrage illustré de 200 gravures (photographies de l'auteur) carte gravée par Hansen. A. Challamel (Paris) :1899

On y voit la photographie d'une femme à coiffure en cimier

— PATENOTRE Dr H. — "La coiffure chez les Peulhs du Fouta-Djallon", Paris, in : Outre-mer, n" 4, Paris, t.III 1930  p. 406-419. (non consulté)

— Photographie de coiffure du Foutah 

— Couverture de la revue L'Illustration 27 juin 1931 n° 4608, et article de Henry Bérenger : voir le dossier pédagogique de l'exposition de Brest, page 20.

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Published by jean-yves cordier
27 mars 2014 4 27 /03 /mars /2014 22:02

 Enquête sur une femme Bellah, esclave et porteuse d'eau :

                      L'exposition

 Anna Quinquaud, une sculptrice en Afrique

au Musée des Beaux-Arts de Brest (5 février-17 mai 2014).

   En 1980, au terme de l'exposition Regards sur l'Afrique au Musée de Brest, Anna Quinquaud faisait donation d'une partie de son atelier (sculptures, dessins, photographies et documents)  au musée des Beaux-Arts de Brest. Certaines de ces œuvres ont été prêtées pour être exposées à Gray, Mont-de-Marsan, Roubaix, La Rochelle, Quimper, et Gueret dont l'hôpital a été baptisé du nom de l'artiste. La ville de Brest a baptisé Rue Anna Quiinquaud une artère du quartier de l'Europe.

                      expo-anna-quinquaud-brest 4182c

Anna Quinquaud est la fille du docteur et académicien Charles-Eugène Quinquaud et de Thérèse Caillaux, sculpteur, élève de Rodin et de Boucher. En 1924 elle obtient un deuxième grand prix de Rome en sculpture, mais aussi le prix de l'Afrique Occidentale Française. A la villa Médicis et à l'École de Rome, elle préfère  l’aventure lointaine et solitaire en Afrique. Elle s’immerge dans la découverte du continent africain qui s’avérera être pour elle une puissante source d’inspiration. Son œuvre est un hymne à la beauté de l’Afrique et à ses traditions ancestrales.

 Elle effectuera trois voyages :

1925-1926 Premier voyage en Afrique : Sénégal (Dakar), Soudan français [actuel Mali] (Djenné, Tombouctou), Niger et Mauritanie.

1930-1931 Deuxième voyage en Afrique. Choix de la Guinée française : Foutah-Djallon. Peuples Foulahs, Coniaguis et Bassaris  

1932 : Troisième voyage : Somalie, Ethiopie, Madagascar.

                                 

 

 

I. Femme Bellah, esclave et porteuse d'eau.

Lors du premier voyage, elle observe près de Tombouctou une jeune esclave et elle en réalise un plâtre : c'est celui qui illustre l'affiche de l'exposition : 

                                       

                      expo-anna-quinquaud-brest 0560c


Cette œuvre est accompagnée du cartel suivant :

 

Femme bellah, captive de Touareg

(Tombouctou, Mali)

Plâtre, Musée des beaux-arts, Brest Métropole océane.

 

La femme captive dite Femme bellah est un plâtre qui introduit des lignes obliques et verticales, suggestives d'un abandon résigné et calme. Observée sans aucun doute, cette scène représente une de ces captives que les chefs de tribus foulah s'arrogeaient à la manière de l'esclavage comme l'atteste les fers qu'elle porte au pieds*.

 

      * Je m'interroge sur la validité de cette interprétation : les esclaves africaines sont enchaînées par d'autres fers  qui sont la tradition, les relations de pouvoir, la dépendance économique, l'absence de possibilité de survivre en cas de fuite, les réseaux d'allégeance, la complexité des relations de servage mélant intimité familiale, concubinage, servitudes domestiques,  mais je n'ai pas trouvé confirmation qu'elles portent des fers aux pieds. Certes, René Caillé écrivait dans  son Voyage à Tombouctou  au sujet des Mandingues "dès qu'on soupçonne dans un esclave le projet de déserter, on lui met les fers aux pieds", mais je conserve un doute : peut-être s'agit-il sur cette sculpture seulement de bracelets de cheville.

 

Cette femme est torse nu, vêtue d'un pagne. Elle porte un bracelet — de cuivre ou d'argent— de bras à gauche et d'avant-bras à droite. La chaîne ou le bracelet qu'elle porte à la cheville passe facilement inaperçue. Les yeux clos, elle somnole, le bras gauche soutenu par une vasque ronde dont nous voyons le fond. 

J'ignore, lors de ma visite, la nature de l'objet rond sur lequel elle s'appuie et je néglige de m'en préoccuper ; peut-être une meule, peut-être l'équivalent du boulet de nos forçats ? 

Cette sculpture peut être rapprochée d'un détail d'un bas relief sculpté par A. Quinquaud pour la résidence Lucien Paye (pavillon de la France d'outre-mer) dans la Cité Internationale Universitaire de Paris (1951) : c'est ainsi que je comprends qu'il s'agit de la jarre d'une porteuse d'eau :


                        

  •  

     159-quinquaud-anna.jpg

 Poteries des femmes Songhay, Gorom-Gorom, Burkina Faso.

 

 

 

   Ayant négligé cet élément, c'était la coiffure qui avait attiré mon attention. En 1996, Madeleine Joret décrivait, dans les enclos des Bellah, dans des cases de bancos ou de vannerie couvertes de paille,  une femme en train de tresser en une multitude de nattes fines la toison crépue d'une jeune maman : "scène paisible d'une séance de coiffure qui dure plusieurs heures, se fait en famille, demande patience et habileté, se renouvelle tous les deux à quatre semaines.". Les cheveux sont parfois lustrés au beurre de karité.

  Rentré chez moi, ayant identifié la jarre, ce ne fut encore qu'après une longue observation que je constatais l'essentiel : la taille énorme et disproportionnée du récipient, qui, une fois rempli, doit être beaucoup trop lourd pour cette (très) jeune femme ; peut-être s'épuise-t-elle à puiser à longueur de journée l'eau afin de faire boire les dromadaires ? 

 Par ce détail, cette sculpture d'une femme Bellah rejoint la série des Porteuses d'eau d'Anna Quinquaud, observées tant au Soudan que lors de son second voyage.

Il suffira de cette sculpture pour nous faire ressentir l'empathie du regard de l'artiste observant combien cette jarre pleine est excessivement pesante :

Porteuse d'eau songoï (Tombouctou, Mali), Bronze. Collection Pierre et Dohti Dumonteil.

  1. Comme l'empire Mandingue l'empire Songoï (Songhaï, Songhay) a été puissant jusqu'au XVIe siècle autour de Gao, sa capitale, et Tombouctou, sa capitale culturelle. Il s'est opposé aux Peuls et aux Touaregs. Depuis, le peuple sanghaï constitue un groupe ethnique important du Mali et du Niger, pratiquant l'agriculture et l'élevage, ou la pêche sur le Niger. Quoiqu'il existe des classes privilégiées (noblesse, classe maraboutique), on trouve aussi des classes serviles, les tyindikata et les gabibi. Les Songhaï ayant été souvent rassiés par les Touaregs, beaucoup de Bellah sont d'origine songhaï.

2. La collection Pierre et Dohti Dumonteil a été constitué par les propriétaires de la célèbre galerie Dumonteil (Paris, New-York, Shangaï) spécialisée en bronzes animaliers ; Dohti Dumonteil, ambassadrice de l'art et de la haute-couture d'origine vietnamienne, ancienne égérie d'Yves Saint-Laurent, s'est éteinte en 2013.

Le visage exprime la souffrance, la poitrine plate témoigne de l'âge, le pagne autour des reins et l'absence de tout bijou disent le dénuement. Le pied cambré pour soulever le genou gauche fait physiquement ressentir la lourdeur du fardeau. Les tresses des cheveux sont la seule concession, si ce n'est à la coquetterie, du moins à la préoccupation de soi. 

                            expo-anna-quinquaud-brest 0585v

 


II. Autres femmes porteuses d'eau du Soudan par Anna Quinquaud :

 

1. Femme songoï. (Tombouctou, Mali). Bronze, 1926.

Cachet Grandhomme-Andro* fondeur. Collection particulière.

*Paris (1924-1929).

Le récipient à col étroit semble moins lourd, mais le visage de la jeune fille la montre à peine sortie de l'enfance. Elle porte des bracelets épais et plats (cuivre ?) au poignet et aux chevilles, et sur sa longue tunique, un pectoral en dessous d'un collier de billes ; La tête, aux cheveux réunis en chignon, est ceinte d'un cerceau de métal à trois masses rondes.

La pénibilité du travail n'apparaît pas ici, au profit d'une certaine fraîcheur juvénile, ou de la conviction de ses charmes, et de la supériorité relative de sa condition. On sentirait presque ce "Cœur à l'ouvrage" qu"évoque le sociologue Jean-Paul Kaufmann dans son analyse des tâches domestiques, où la répétitivité et les charmes de "l'habitude" atténue la rudesse du travail. 


                      expo-anna-quinquaud-brest 0589c

Les collections de Sèvres — Cité internationale de la céramique—  possèdent sous le titre Négresse à l'amphore ou femme porteuse d'eau songoï une version en plâtre peint et patiné de 1925, H. 49 cm,

 

 

 

2. Laveuse du Niger, (Soudan) Bronze. Collection Pierre et Dohti Dumonteil :

Pagne, collier de grosses perles, bracelet rond, bracelet de cheville, coiffure rassemblée à l'apex en chignon torsadé sur un crâne rasé. Charme de la petite main aux doigts écartés, image de la confiance et de l'abandon d'un enfant dans son sommeil.

                      expo-anna-quinquaud-brest-0581c.jpg

Le Musée de Brest possède un plâtre patiné qui porte le même titre :

Laveuse du Niger (Soudan).

Plâtre patiné. Musée des beaux-arts, Brest métropole océane.. Cette figure féminine associant deux attributs de la femme en Afrique, l'enfant et l'eau est l'une des premières d'une longue série de maternités qui passionnent Anna Quinquaud.

 

III. La femme et l'eau, deuxième et troisième voyages d'Anna Quinquaud.


  1.     Femme à la fontaine.

Bronze à patine brun-clair ; Cachet « Susse fondeurs ». Collection Pierre et Dohti Dumonteil.

La fonderie Susse-Fondeur, créée en 1758, est toujours en activité à Paris.

    expo-anna-quinquaud-brest 0596c

 

      2. Sur les route du Sud.

Bronze à patine brune, 1934, Musée d'Art et d'Archéologie, Guéret.

                        expo-anna-quinquaud-brest 0630c

 

3. Jeunes antandroy (Madagascar).

Les Antandroy – « ceux qui vivent dans les épines » – sont un peuple de Madagascar présent dans l’extrême sud de l'île, dans une région aride couverte de ronces.  

                      expo-anna-quinquaud-brest 0633c

 


Les Bellah, "anciens" esclaves des Touaregs.

Wikipédia m'apprend que

"Les Bellas (Bella ou bela en songhaï, Bouzou en haoussa, Ikelan en tamasheq) sont un groupe ethnique ou une caste issu du statut servile dans la société touareg. Affranchis depuis l'époque coloniale, les Bellas sont parfois encore victimes d'esclavage au Mali et au Niger, sans qu'il existe de statistiques à ce sujet."

J'apprends aussi que les Touaregs ont souvent razzié les Songhaïs, peuple métissé de la vallée du fleuve Niger, et la plupart des esclaves touaregs, les bellah, sont d'origine Songhaï.

Lors du voyage d'Anna Quinquaud, Tombouctou appartenait, comme colonie, au Soudan français, mais l'esclavage préexistait à la colonisation. En 1892, le Commandant Réjou écrivait (Huit mois à Tombouctou) ceci :

 BELLAHS. - La condition du bellah vis-à-vis du Touareg rappelle celle du captif de case chez les noirs du Soudan. Le bellah est un métis touareg et indigène. Il cultive pour l'Echaggaren auquel il est attaché, surveille ses troupeaux, exerce les différents métiers nécessaires au bien-être de son seigneur, l'accompagne à la guerre, et combat à son côté.  CAPTIFS. - La condition du captif chez les Touaregs est la même que partout ailleurs au Soudan. Le captif doit son travail à son maître; mais le maître est tenu à remplir certaines obligations vis-à-vis de son captif . La Case de l'oncle Tom et quelques romans ont faussé nos idées en France sur l'esclavage, tout au moins sur ce qu'il est au Soudan. La liberté vaudrait certainement mieux pour le captif, cela n'est point douteux ; mais il n'est pas malheureux. La loi musulmane le protège, et c'est un capital que le maître conserve avec soin.Le maître doit au captif le logement, la nourriture, les vêtements, et est contraint de lui accorder à certains jours de la semaine le droit de travailler pour lui. Le Coran défend les mauvais traitements; et, s'il est avéré qu'un maître a maltraité son captif, le conseil des anciens qui fonctionne dans chaque village le lui retire. Le captif peut toujours se racheter.

Plus tard, en 1955, Henri Lhote écrivait dans Les Touaregs du Hoggar, Paris, Payot à propos des iklans (Les Touaregs utilisent pour désigner leurs esclaves le terme d' iklan,ou  aklids.) que "Le Touaregs ont rendu une semi-liberté à un certain nombre d'entre eux. Ce sont les Iklan-n-Egef, ou captifs de dune. Au Soudan, on les désigne souvent sous le nom de Bellah ou de Bouzous."

Aujourd'hui, la persistance de l'esclavage chez les Touaregs reste un sujet très discuté mais aussi très actuel. Un article paru dans l'Express le 17 mai 2013 sous le titre Mali, La révolte des esclaves  sous la plume de  Boris Thiolay signalait ceci :

 

Dans un pays accablé de tant de maux, la tradition séculaire de l'esclavage, officiellement interdit, reste un fléau. Avec courage, une association lutte pour rendre la liberté à au moins 300 000 personnes et traîner leurs "maîtres" en justice. Un combat sans relâche.  [...] Au Mali, l'esclavage est un tabou absolu, un abcès qui ronge la société. A l'exception de quelques ethnies du Sud, il se pratique encore dans quasiment toutes les communautés. Les chiffres sont effarants. "Il y a au moins 300 000 esclaves à part entière dans le pays, assure Naffet Keïta, anthropologue à l'université de Bamako et directeur de l'ouvrage L'Esclavage au Mali (L'Harmattan, 2012). Mais, en incluant les descendants et les affranchis, méprisés en raison de leurs origines, la question concerne plus de 850 000 personnes, soit près de 7 % de la population (14,5 millions d'habitants)." Au terme de plusieurs mois d'enquête de terrain, Naffet Keita est parvenu à esquisser une géographie régionale de l'ampleur du problème : de 30 à 35 % de la population autour de Tombouctou (nord du pays), 30 % à Mopti (centre), 20 % à Gao (nord-est), de 12 % à 15 % à Kayes (ouest).

Ce phénomène, ancré depuis des siècles, est qualifié d'"esclavage par ascendance" : "La condition servile se transmet par la mère, poursuit l'anthropologue. Tout enfant né d'une femme esclave le sera à son tour, quel que soit le statut de son père." Ainsi, de génération en génération, ces enfants deviennent les serviteurs des descendants du maître. Ils sont leur propriété, à l'instar d'un animal ou d'un objet. Certes, ils sont assimilés culturellement - les Bellahs parlent tamacheq, la langue touareg ; les Harratines sont arabophones ; les Dyons connaissent le bambara... - et vivent auprès de leurs maîtres, mais ils n'ont aucun droit. "L'esclave ne possède rien, n'hérite de rien, reprend Intamat ag Ikadewan, le "sauveur" de Bellahs. Il ne peut pas se marier librement et ses enfants peuvent lui être pris à tout moment." Il y a aussi les brimades, les humiliations, les mauvais traitements. Sans compter les coups, parfois mortels, le droit de cuissage et les viols.  Face à cette réalité insoutenable, Intamat, le "Spartacus" touareg, a sonné, en lien avec Temedt, l'heure de la révolte des esclaves. Une fronde encore balbutiante, mais qui commence à rallier des partisans. Créée en 2006 par des militants et des notables originaires du Nord malien, l'association est à la pointe du combat, revendiquant aujourd'hui 38 000 membres. Dans ses antennes ouvertes à Gao, Kidal, Mopti, Ségou ou Sikasso, des correspondants locaux mènent des campagnes de sensibilisation auprès des esclaves, mais également des chefs traditionnels de différentes ethnies. Une tâche ardue. "Nous avons mis deux ans avant de simplement faire admettre aux autorités publiques l'existence du problème", explique Ibrahim ag Idbaltanat, le président, qui reçoit au siège de l'association, à Magnambougou, un quartier populaire de Bamako. "Nous devons aussi être prudents pour ne pas éveiller la suspicion des maîtres. Car le plus compliqué reste d'approcher les personnes réduites en esclavage."

En dépit de ces craintes, entre octobre 2011 et mars 2012, 22 personnes ont accepté de porter plainte auprès des tribunaux de Tombouctou, de Gao et de Menaka. Une première dans l'histoire du Mali. Leur demande, jugée recevable par la justice, a été soutenue par Temedt et des avocats locaux. Chaque dossier dont L'Express a eu connaissance révèle une vie bafouée, une litanie de souffrances venues d'un autre âge...  

Dans un document très complet édité en 2007 par Abdoulaye Macko et  la Coopération Allemande sous le titre "Etude de la communauté Bellah de Gourmah Rharous" ( région au sud-est de Tombouctou, l'auteur donne les éléments suivants :

  "On peut dire sans exagération que les Kel Tamacheq représentent près de 80% de la population dont 55% sont des Bellahs ou Kel Tamacheq noirs.

-Présentation des Bellahs

 L’histoire des Bellahs est l’une des plus méconnues du fait de l’absence d’écrits spécifiques. Dans les ouvrages consacrés aux Tamacheq et aux Touareg les Bellahs sont toujours dépeints comme des esclaves des Touareg. Bien que fondée sur des faits établis, cette affirmation n’est pas toujours vérifiée. Par le passé, en milieu Tamacheq, l’esclave ou « Akli » est la propriété de son maître. Ce dernier a le droit de vie ou de mort sur lui. Il est taillable et corvéable à merci. Il peut être vendu à volonté par son maître. Il a le droit de posséder des biens. Une fois mort, les biens de l’esclave reviennent non pas à sa descendance mais à son maître. L’esclave s’occupe des travaux domestiques, du gardiennage des troupeaux. L’esclave femme peut aussi allaiter les enfants de son maître, ce qui crée des liens de fraternité entre les enfants de la femme et ceux du maître. La femme esclave est souvent une concubine.  

Les Bellahs sont aujourd’hui organisés en fractions ou villages issus de l’éclatement des tribus.

Les différentes tribus sont :

- Les tribus des Touareg guerriers 

- Les tribus des Touareg vassaux 

- Les tribus du clergé musulman ou tribus marabouliques 

A ces tribus Kel Tamacheq on peut ajouter les deux groupes Kounta d’origine maure .

Les critères de répartition sociologique de la communauté Bellah sont très variés. Aussi pour la compréhension du texte nous avons choisi de repartir les Bellahs en 3 groupes : les Bellahs libres, les Bellahs affranchis et les Bellahs esclaves.

1-Les Bellahs libres. [...]

 

2-Les Bellahs Affranchis : Le statut d’affranchis s’acquiert de plusieurs manières :

- religieuse : certains marabouts Touareg affranchissent des esclaves pour se conformer aux règles et préceptes de l’islam,

- politique : les chefs des tribus ou de fractions affranchissent des esclaves et leur confèrent ainsi un rang supérieur à leurs frères. Ces affranchis seront chargés de la gestion des biens et intérêts de leurs chefs (contrôle des troupeaux et des champs, récupération des impôts). Fidèles et redoutables à la tâche, ces hommes de paille sont craints par les esclaves et les métayers.

3-Les Bellahs esclaves :

    Chaque fraction Touareg possède ses esclaves. Certains Bellahs libres ont eux-mêmes des esclaves. L’esclavage par ascendance fait que même émancipé l’ancien esclave continue à porter le nom de la fraction de son maître. Ainsi le statut d’esclave se perpétue de génération en génération bien que cela ne correspond à aucune réalité aujourd’hui. Aussi nous pouvons répartir les esclaves en deux groupes : les anciens esclaves et les esclaves.

3-1-Les anciens esclaves

Les Diambouratanes usités surtout à Menaka pour désigner les habitants Bellahs des quartiers de liberté créés par les colons français qu’on trouve dans tous les chefs lieu de cercle du Nord du Mali. A Rharous il existe un quartier nommé « diambourou » : il s’agit d’esclaves des Imghads (vassaux) qui ont été affranchis par les Français. Ce sont les premiers habitants de la ville.

Les Bellahs esclaves qui se sont émancipés d’eux-mêmes sont nombreux.

On a :

- des Bellahs qui ont créé des hameaux de culture ou qui ont profité de hameaux de culture créés pour eux par leurs maîtres pour s’émanciper. Le hameau de culture ou « Dabaye » est transformé par la suite en village dirigé par un Bellah. C’est le cas de plusieurs villages dont Dabaye Foumba et Koro Bellah dans la commune de Bambara Maoudé, de Djérel dans la commune de Fifo et de la ville de Gossi ;

- des esclaves qui se sont affranchis après la maîtrise du coran.

Il existe plusieurs fractions Bellahs créées par d’anciens esclaves. Plusieurs familles Bellahs ont abandonné la fraction de leur maître pour s’installer dans des villes et des villages, ce qui explique la croissance rapide des villes commeGossi, Bambara Maoudé, Rharous.

 

3-2-Les Bellahs esclaves

Dans la plupart des campements Imochagh (guerriers), des Inesleman (clergé musulman) et des Imghad (vassaux) nous avons aujourd’hui encore des Bellahs esclaves. Dans les campements, on reconnaît leur présence par leurs petites huttes situées à la périphérie. Ces esclaves généralement démunis dépendent entièrement de leurs maîtres. Ils s’occupent des travaux domestiques et des animaux. Lors du mariage de la fille du maître, celle-ci est accompagnée de jeunes esclaves filles et garçons qui se mettent à son service. Le ou la jeune esclave peut être affecté selon les besoins au fils ou à un parent du maître. Ces esclaves qu’ils soient esclaves de tente (Eklane-n-han) ou esclaves de dune (Eklane-n-edjef) font partie intégrante de la famille du maître. Ce sont des biens qui sont transmis par héritage. Leur sort est le plus préoccupant. Au moment où le cercle de l’esclavage se rétrécit, les maîtres veillent sur ceux qui leur restent fidèles. Il existe dans le Gourma de nombreux esclaves qui vivent indépendamment du maître mais qui restent toujours soumis à sa volonté. Ils demeurent à la fois esclaves et tributaires."

 

expo-anna-quinquaud-brest-0563c_2.jpg

 


 

Sources et liens :

http://www.brest.fr/uploads/tx_pmpresse/CP_Quinquaud.pdf   

http://www.quimper.co/docs/itinerairesafricains.pdf

http://www.loisiramag.fr/actualite/expositions/395/anna-quinquaud-itineraires-africains-dans-les-annees-30

Mont-de-Marsan :file:///C:/Users/jean-yves/Downloads/Dossier%20presse%20expo%20Anna%20Quinquaud.pdf

La Rochelle : http://www.alienor.org/musees/var/storage/original/application/4bf9be30a0d3c2515f55dcbbc5ed5ca9.pdf

 

Roger Botte, "Les habits neufs de l'esclavage", Cahiers d'études africaines, 2005 pp.651-666.

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Published by jean-yves cordier
24 mars 2014 1 24 /03 /mars /2014 23:24

A la recherche du Papango : La danse de l'oiseau, sculpture de Anna Quinquaud exposée à Brest.

 

Lors de ma visite de l'exposition Anna Quinquaud (1890-1984) au Musée des Beaux-Arts de Brest, j'ai admiré l'une des pièces maîtresses, intitulée Danse La Papanga (Oiseau). L'œuvre étant abritée par une vitrine, je n'ai obtenu qu'une photographie médiocre, mais qui témoigne bien de la curiosité que suscite le sujet, une danse exécutée en équilibre sur une étroite colonne à peine évasée en son sommet, comme des stylites anachorètes.

 

                    expo-anna-quinquaud-brest 0660c

 

Elle était accompagnée d'un titulus remarquable indiquant ceci : 

Danse « la Papanga » (oiseau) Plâtre, 1933. Musée des Beaux-Arts, Brest métropole océane.

 

   "«La « Papanga » ou « danse de l'oiseau » qui expose le corps à une gymnique d'exception, est un exercice complexe de sculpture au cours duquel l'artiste témoigne expressément de son admiration pour une danse scrupuleusement observée à Madagascar. Expression identitaire de l'Île Rouge, cette chorégraphie est traitée en sculpture avec la suggestion d'une action en train de se faire. Ainsi, par un léger débordement du pied droit, par la position allongée des bras et leur savante asymétrie, par le subtil décollement des pieds qui prélude au mouvement du danseur, pas la légère inclinaison avant du buste, elle rejoint la pensée de Gaston Bachelard pour qui le corps de l'oiseau « est fait de l'air qui l'entoure, sa vie est faite du mouvement qui l'emporte. En Afrique, l'oiseau offre aux populations une dimension symbolique associée à la vie, à la fécondité ainsi qu'à l'envol des âmes.." (© Musée B-A Brest)

                           expo-anna-quinquaud-brest 0656c

On voit que les responsables de l'exposition s'étaient très justement consacrés à décrire l'œuvre et la technique plutôt que le sujet représenté.  Il me restait donc à mener mon enquête sur cette curieuse danse, que Anna Quinquaud avait observé lors de son voyage à Madagascar en 1932. La documentation fournie par le Musée me permit ainsi d'apprendre que :

"Cette sculpture en plâtre de la sculptrice Anna Quinquaud  est un défi à la statuaire. Aux volumes stables, l’artiste préfère l’expression ample et la mobilité précaire d’un danseur, dont le corps, tout en légèreté et équilibre, incarne la grâce d’un mouvement arrêté. Anna Quinquaud témoigne ici de son admiration pour une danse qui figure parmi les expressions rituelles et identitaires de Madagascar. Elle découvre l’île en 1932, à l’occasion de son troisième et dernier voyage sur le continent africain. Observée au sein de l’ethnie Antaisaka, la danse de la Papanga, ou Danse aux oiseaux, représente une forme culturelle propre à ce peuple dont les traditions ont essaimées dans toute l’île."

 

Mon atlas m'apprend vite que les Antaisaka – « ceux qui viennent des Sakalava » – sont un peuple côtier de Madagascar. Ils vivent principalement dans le sud-est de l’île dans la province de Fianarantsoa. Il me reste à découvrir d'où vient ce nom de "papanga", et, comme dans un jeu de piste, au lieu de trouver tout de suite la réponse, le fil d'Ariane me fut fourni par une expression malgache. Sur l'île, si vous restez immobile au lieu de progresser, vous pouvez entendre un passant pressé vous lancer : " Eh, tu va rester encore longtemps à faire le papanga ?".

Car c'est au masculin que le terme est utilisé. "faire le papanga", c'est faire comme cet  oiseau de proie qui peut rester longtemps les ailes déployées sans presque bouger, bien connu à Madagascar et à la Réunion, la Papangue (au féminin cette fois-ci !).

 

I. La Papangue, rapace.

On le trouve dans les traités d'ornithologie sous les noms de Circus maillardi maillardi Verreaux, 1862,  le Busard de Maillard, quoique ce nom corresponde plutôt à son cousin endémique de la Réunion, et qu'à Madagascar et aux Comorres, il faille plutôt parler de Circus macrosceles Newton, 1863. On le trouve décrit par Milne-Edwards avec des lithographies de John Gerrard Keulemans.  C'est un rapace de grande taille, à l'œil et aux pattes jaunes, au bec noir et crochu, le mâle est bigarré brun-noir et gris clair teinté de touches blanches, la femelle brun clair avec des ailes grises. Le mâle est plutôt brun/noir.

Il se nourrit de petits mammifères, de petits oiseaux, d'amphibiens et de reptiles. Il était jadis la terreur des basses-cours.

"Histoire naturelle des oiseaux Vol. XII", in  Histoire physique, naturelle et politique de Madagascar 1876 publiée par Alfred Grandidier ; par MM. Alph. Milne Edwards et Alf. Grandidier, atlas 1, pl. 77 page 90  et planche XXVII.

                                    Description de cette image, également commentée ci-après

 

Source image :http://www.classicnatureprints.com/pr.Keulemans%20Birds/mad.circus.maillarde.html

 

                circus.maillarde.

 

Busard de Maillard (Circus maillardi) mâle, 1867 lithographie de Louis Antoine Roussin http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Circus_maillardi_male_lithograph.jpg

 

                         File:Circus maillardi male lithograph.jpg

 

 

II. La danse  papangue, Papango .

      Curieusement, je n'ai pas trouvé de description de "la danse Papanga" chez les Antaisaka. Il existe à Madagascar de nombreuses danses traditionnelles, accompagnées par le tambour langoro ou amponga, le violon (lokanga), la flûte (sandina), l'arc musical (jejolava), la cithare Marovany, la mandoline triangulaire, et l'accordéon introduit après l'époque coloniale.  Chaque ethnie a sa danse propre, comme  la danse du fusil chez les Sakalava, la danse des Antandroy , celle des Merina avec leurs les danseurs Mpilalao, et la danse du pilon, danse commune aux ethnies côtières Bestimisaraka et Antakara qui marque les premières récoltes de riz de l'année. On trouve aussi les noms de danse comme  la danse d'introduction Afindrafindrao, Bahoejy,  le Malesa, l'Alalaosy,le  Kinetsanetsa, Antsa, Beko, Tosy, Djihe, et, propre aux Antaisaka, le chant polyphonique féminin Sakalava.

  Dans toutes les danses de différentes régions de Madagascar, pétries de symboles, aucun geste n’est gratuit. Les femmes harcèlent les hommes de leurs chants. Les pas saccadés font se déhancher les corps, coudes relevés. Les mâles piqués au vif répondent individuellement, rivalisant d’adresse pour attirer l’attention. Les pieds martèlent le sol. Les malgaches ont hérité de l’Afrique la danse avec les pieds, de l’Indonésie la danse avec les mains. Le ton se fait parfois grave, lorsque les chants sakalava appellent à la fin des mauvais jours, sur des mélodies teintées d’une pointe arabisée. Au Sud, au pays des épines, l’environnement hostile incite, sans doute plus qu’ailleurs, au dialogue avec les esprits. Le rythme des percussions s’accélère, se fait plus africain. Les instruments de musique témoignent du dénuement : la langoro, petit tambour à baguettes, la mandoline rectangulaire, de facture évidement artisanale… La force de la nature, oppressante, est omniprésente dans la chorégraphie.. Les chants se transforment souvent en incantations, pour que la pluie tombe, pour que l’amitié perdure entre les hommes… Les danses rappellent aussi les rituels guerriers, à grand renfort de lances et de démonstrations de la force masculine, faisant appel aux génies bienfaisants qui s’invitent dans le corps. Les danseurs et le public communient dans les rituels ancestraux, particulièrement vivaces chez les Antandroy. La transe du « bilo » en est le moment le plus fort : la cérémonie d’exorcisme arrive alors à son terme, la guérison par l’extraction du mal. Le Phoenix Magazine, 2013

...mais pas de "danse Papanga". Je ne découvre le sujet de la sculpture d'Anna Quinquaud que sous deux noms, la danse Papango, et la danse de l'épervier.

1. Les danses de l'épervier.

Les danses malgaches les plus appréciées sont celles qui imitent la gestuelle animale : épervier, crocodile, zébu surtout.  Les pas de danse évoquent parfois la façon caractéristique de la marche dans la sable. Le danseur déploie ses grands bras et semble guetter sa proie, en contrebas. Il n’agite que ses mains, comme des ailes dont le battement minuscule suffit à vaincre le pesanteur, dans ce ciel éternellement bleu. L'une des danses folkloriques les plus connues en Imerina est Mandihiza, Rahitsikitsika (Danse, Sieur-l'épervier) qui se rapporte au rituel des prémices du riz.

Les archives de la Bnf conservent sur Gallica un enregistrement ethnographique sur disque de 1931 présenté ainsi : 

 Rahitsika : chant et danse de l'épervier / Vanamana, chant / choeur, accompagnement d'accordéon, de hochet tubulaire, de kaiamba et de battements de mains; Madagascar : Face A : Rahitsika [Enregistrement sonore] : chant et danse de l'épervier / Vanamana, chant / choeur, accompagnement d'accordéon, de hochet tubulaire, de kaiamba et de battements de main.

 Doc. Exposition coloniale 1931.

 

2. La danse des Papangues des Betsimsarak.

Le Dr Lacaze a laissé une description précise de la Danse des Papangues en 1881 chez les Betsimsarak (qui occupent la côte est de Madagascar, et non la côte ouest comme les Antaisaka):  .

      Après la danse des Hovas ou de l'aristocratie, vint la danse des Betsimsarak ; les femmes seules y prirent part. En face de nous, dans le fond, huit belles Malgaches se placèrent en face les unes des autres et dansèrent la danse des papangues. La papangue est un oiseau de proie très-redouté des basses-cours; c'est une espèce d'épervier qui plane  La pagangue est un oiseau de proie très redouté des basses-cours : il plane sur tous les villages malgaches pour chercher à saisir saisir volailles, canards, oies, tout ce qu'il peut. La papangue a un vol majestueux, les ailes tantôt agitées, , tantôt étendues horizontalement et immobiles. Cette danse rappelle le vol de cet oiseau, et les femmes betsimsarak l'imitent avec les mouvements de leurs bras et de leurs mains ; cette espèce de pantomime est très gracieuse et mes regards se reposaient avec plaisir sur ce groupe d'une originalité franche et ne visant pas à copier une civilisation encore éloignée. Elle était accompagnée par le chant des femmes assises autour, chant monotone dont le rythme est appuyé et marqué par des battements de mains comme les danses populaires de l'Espagne.

 Dr Honoré Lacaze, 1868-1869.

"Souvenirs de Madagascar", Revue maritime et Coloniale vol. 68 page 627 1881.

 

Mais cette danse est réalisée à plusieurs danseuses, et Lacaze (père du futur amiral) ne signale pas que celles-ci se hissent au sommet d'une colonne.

 

3. La danse  de l'oiseau Papango chez les Bara.

 C'est chez les Bara, peuple semi-nomade des plateaux du sud de Madagascar occupant une grande prairie  reculée et pratiquement désertique,  ponctuée de palmiers Satrana, que l'on trouve la description de la danse la plus proche de celle représentée par  Anna Quinquaud.

Cette danse de l'épervier (on sait que "épervier" sert de dénomination vernaculaire pour tout rapace), ou danse de l'oiseau, danse du Papango, leur est propre, quoiqu'on la retrouverait chez les Zoulous ou les Bantous d'Afrique du Sud, et honorerait en le mimant leur ancêtre mythique, symbole de force. Elle est décrite ainsi par différentes sources trouvées en ligne :

"le danseur feint d'être fasciné par un pilier d'environ un mètre de haut. Il avance, recule, tourne autour. D'un coup, il saute au sommet et imite l'oiseau de proie, entrecoupant ses arrêts de piétinements." 

"La danse est ici mimétique des mouvements de ses ailes et s'apparente ici au rituel avant le sacrifice de la bête".

 "Les Bara et les Sahafatra, par exemple, miment le « papango » du haut d' »une stèle de 25 cm de diamètre et font montre d'une virtuosité peu commune en sautant sur ce perchoir et exécutant de façon très expressive les mouvements de l'oiseau et son vol plané au dessus des maisons à la recherche de nourriture. Les grands et forts Bara sont une ethnie composée de pasteurs nomades qui parcourent les grands espaces à la tête d’immenses troupeaux de zébus, symbole de richesse et fierté de tout un peuple. Le vol de bétail, encore d’actualité, est une tradition ancestrale. Acte glorieux et courageux, plein de séduction, par lequel, le Dahalo (voleur de bétail) prouve sa bravoure et ainsi reçoit les faveurs des belles demoiselles Bara.

Dès leur plus jeune âge, les Bara sont initiés au rodéo ainsi qu’à la lutte à mains nues appelée Ringa. Ces manifestations sont l’occasion de réunir la population nomade Bara.

Autrefois le ringa, sport spectaculaire, constituait un entraînement physique au combat.

Ces fêtes sont accompagnées de musique et de la curieuse danse du Papango, au cours de laquelle un homme juché sur un poteau de bois mime l’envol d’un oiseau de proie."

Deux documents photographiques sont disponibles en ligne :

1. Une Carte postale A1388   "n° 23 danseur Baras, danse du Papango" 1960 en vente chez Delcampe : un danseur qui a sauté sur un premier support (tronc) évasé de moins d'un mètre de haut puis sur un second support (deux mètres environ), se renverse en pont en arrière en prenant appui sur un troisième pieu un peu plus élevé. Photographie Fianarantsoa BP 1329 Madagascar. On distingue de son costume un short blanc entouré de collier, un tee-shirt sombre, cuisses et bras nus, un bracelet , et sa coiffure dont les longues mèches tressées portent des bijoux. 

 danseur-papango-Delcampe-1960.png

 

 

2. la photographie suivante ici :

                             

 

Pour finir, il existe à Madagascar, dans le bassin de l'ltomampy, pres de Befotaka, un mont Papanga, haut de 2200 m.

      La carte postale du danseur Bara peut être rapprochée d'une autre sculpture exposée à Brest, pour laquelle le musée conserve dans ses archives la photographie prise en 1934 à Madagascar et ayant servi de modèle : 

 

 expo-anna-quinquaud-brest 4059c

 

expo-anna-quinquaud-brest 4174c

 

 

Après ce périple ethnographique, je reviens à l'Oiseau d'Anne Quinquaud : le travail artistique est alors évident, avec ce dépassement de l'aspect anectodique ou touristique (— à l'époque : colonial) du sujet pour rendre cette intériorisation du danseur aux charmes androgynes, aspiré par la métamorphose, possédé par l'esprit animal, et par la sacralité de sa fonction.

 

 

 

expo-anna-quinquaud-brest-4061c.jpg

 

 

                             expo-anna-quinquaud-brest-4068c.jpg

 

 

                            expo-anna-quinquaud-brest-4070c.jpg

.

 

On comparera cette sculpture avec l'Hombre Pájaro [Homme-oiseau]  de Josué Manuel Belmonte-Cortez , qui appartient à sa série Anatomia del Alma.

Voir aussi, du même artiste et sur le même thème : Hombre pájaro III au Musée Européen d'Art Moderne MEAM de Barcelone : http://www.meam.es/obra/1002/hombre-p%C3%A1jaro.html

image :http://notascordobesas.blogspot.fr/2014/12/60-anos-de-arte-contemporaneo-en.html

 

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Published by jean-yves cordier
21 mars 2014 5 21 /03 /mars /2014 23:15

Vitrail de la grisaille de l'Annonciation de la cathédrale de Chartres.

 

Voir aussi :

Le vitrail de la Passion de la cathédrale de Chartres.

Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église Saint-Pierre de Chartres.

Les Mois, le Zodiaque et le Temps de la cathédrale de Chartres: sculpture et vitrail. .

La Vierge allaitante de l'oculus des vitraux de Chartres. 

Le vitrail de l'arbre de Jessé de la cathédrale de Chartres.

 

 

 

 

Il s'agit ici de la baie 26 selon la numérotation du Corpus Vitrearum : chœur, coté sud.

Ce pur chef d'œuvre est, dans son émouvante simplicité, l'une des plus belles choses que l'on puisse admirer à Chartres ; mais cette verrière est la  proche voisine du fameux vitrail de la Belle Verrière (n°30) et de celui des Mois et du Zodiaque (n°28), et le visiteur risque de passer devant sans y prendre garde. 

  On la qualifie de "grisaille", comme si elle était composée de verres blancs peints de grisaille, mais cette lancette à arc brisé divisée en trois colonnes de douze panneaux, si elle est bien décorée par un réseau de losanges tracés à la grisaille et dont chacun est centré par une fleur rehaussée au jaune d'argent, possède bien une scène en verres colorés dans sa partie inférieure, et un encadrement également coloré.

 La grande clarté de cette verrière est intentionnelle, et elle a sans-doute remplacé, au XIVe siècle, une vitre narrative du XIIIe siècle, entièrement colorée, afin d'éclairer le déambulatoire. 


baie-28-Annonciation-grisaille-6758c.jpg

 

1. L'Annonciation. 

 

L'ange Gabriel se tient à droite et tient une banderole avec l'inscription AVE MARIA GLORIA PLENA. Mais la calligraphie de chaque lettre de cette inscription est une merveille. L'artiste s'est arrangé pour que le nom de Marie soit au sommet du phylactère savamment plié. J'admire aussi le dessin de la main et de l'index annonciateur. 

A cette calligraphie répond celle des traits du visage, chacun dessiné comme pour lui-même : arc des sourcils, prunelles, virgule de l'aile du nez, délié de la bouche, six ou sept traits de pinceaux pour créer cette expression décidée mais souriante, celle de quelqu'un qui se réjouit à l'avance de ce qu'il a à dire.

Ailes qui porte les couleurs d'Iris ; manteau rouge, robe blanche, et le pied encore vibrant de la hâte d'arriver.

                    baie-28-Annonciation-grisaille-6758cc.jpg                 

 Entre lui et la Vierge, le vase ou fleurit un lys, symbole de virginité. Placé sur l'axe médian, il sépare l'espace du divin et l'espace humain, mais les fleurs, comme de petites mains gantées de blanc, se tendent pour rapprocher ces deux espaces, et leurs protagonistes. C'est, comme dirait Winnicott, "l'objet transitionnel" dans l'espace intermédiaire où va fleurir le jeu des échanges verbaux, cet espace qui, dans des Annonciations plus picturales, est traversé par le rayon fécondant du Saint-Esprit.

La Vierge à peine détournée de sa lecture pieuse (on interprète les éléments architecturaux de l'extrême droite comme figurant sa chambre, et son prie-dieu), à peine frappée par la surprise de l'Annonce, est déjà revenue à son intériorité, mais sa tête inclinée, ses yeux et se lèvres closes expriment l'intensité de son Fiat par lequel elle accepte déjà le pire, comme un préalable à la Rédemption. Toute son éloquence se trouve dans sa main aux longs doigts (5 phalanges !) qui ferme l'arc tendu par Gabriel.


                                                                                                                                                                                        baie-28-Annonciation-grisaille-6758ccc.jpg

 

 

 

 

2. La bordure d'encadrement.

Elle est composée d'une alternance d'une fleur de lys et d'une sorte de damier qui ne retient pas forcément l'attention. Pourtant, la fleur se blasonne d'azur semé de fleurs de lys d'or, et ce sont les armes d'un roi de France. Intéressons-nous au "damier".

  Si on veut trouver une comparaison plus juste avec un jeu de pion, cela ressemble à ce carré que ma sœur traçait en défi sur la plage de Carolles (50) et sur les diagonales ou les droites duquel je tentais d'aligner trois petits cailloux de galets. Nous le nommions "le Drapeau anglais" mais son nom officiel —avec un tracé différent— est "le jeu de Mérelle" (ou Jeu du Moulin, de Charett, Morris, etc.). On y jouait au Moyen-Âge dans les tavernes ou à l'école. Or, je découvre dans un vieux dictionnaire  "En terme de blason, on dit que les anciens rois de Navarre depuis Sanche le Fort ont porté pour armes des chaînes mérellées, qui représentent des mérelles, quoique plusieurs Hérauts les aient pris pour des chaînes et des raies d'escarboucle." (1743)

 Cet indice me suffit pour découvrir que le motif sur fond rouge qui alterne avec la fleur de lys correspond aux armes  de gueules aux chaînes d'or posées en orle, en croix et en sautoir, chargées en cœur d'une émeraude au naturel des rois de Navarre.

                                                    Wikipédia 

  Il s'agit donc de trouver les donateurs de ce vitrail, auxquels ces blasons appartiennent : chacun trouvera comme moi les réponses, dont la première est  Jeanne II de France, reine de Navarre, née le 28 janvier 1311 et morte le 6 octobre 1349, fille du roi de France et de Navarre Louis X le Hutin et de Marguerite de Bourgogne. Elle fut reine de Navarre de 1328 à1349. Son époux est Philippe d'Évreux. 

                                                               Royal Coat of Arms of Navarre (1285-1328).svg Wikipédia

Le chanoine Yves Delaporte suggère aussi qu'il puisse s'agir de leur fille la belle Blanche de Navarre (1333-1398) et son mari Philippe de Valois. Elle fut reine de France 6 mois et 23 jours, en 1350, ayant épuisé son mari, son aîné de quarante-et-un ans.

                                                             Description de cette image, également commentée ci-aprèsWikipédia

 

 

3. Les trois fleurs au dessus de l'Annonciation.

Elles méritent un rapide examen car elles sont chacune différentes. Deux d'entre elles sont au centre de quatre feuilles de houx, et celle du milieu au centre de quatre feuilles de chêne. Peintes en grisaille, elles sont rehaussées au jaune d'argent plus ou moins dense, du jaune jusqu'à l'orange. 

 Le jaune d'argent, cette "couleur de cémentation " obtenue par des sels métalliques qui pénètrent dans le verre pendant la cuisson, a été introduite en occident au début du XIVe siècle, et l'exemple français le plus ancien date de 1313 (Le Mesnil-Villeman). C'était donc, pour ce vitrail du XIVe, une nouveauté.

 

On en profitera pour regarder les différentes fleurs au centre de chaque losange, pour constater une diversité étonnante.

 

 

 

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Published by jean-yves cordier
20 mars 2014 4 20 /03 /mars /2014 23:08

Le vitrail de la Passion de la cathédrale de Chartres. Baie 49.

Il fait partie des trois verrières occidentales, les plus anciennes : autour de la grande lancette centrale de l'Enfance et la Vie de Jésus, les deux lancettes en arc brisé de l'Arbre de Jessé, à droite, et de la Passion, se répondent dans une symétrie où la Passion et la Résurrection viennent accomplir la prophétie du rameau de Jessé. Au dessus de ces trois lancettes, la rosace du Jugement dernier fait culminer ce projet divin dans la Rédemption.

Ces verrières datent de 1144-1155, avant le grand incendie de 1194 auquel elles échappèrent. Cette période correspond au règne de Louis VII, à la deuxième Croisade préchée par Bernard de Clairvaux ; Thibaud V de Blois est alors comte de Chartres, Geoffroy de Lèves est évêque de Chartres jusqu'en 1149, puis Gosselin de Lèves lui succède.

La comparaison  des trois verrières met en évidence  l'organisation de celle de gauche en sept registres de deux médaillons , sans travée médiane ni encadrement ; d'autre part, le bleu dominant des deux autres verrières disparaît au profit d'une macédoine de teintes plus variées, dans un ensemble globalement plus lumineux.

vitraux-9807c.jpg

 

Le vitrail de la Passion :

                    Passion 9810

Je vais étudier la répartition des couleurs, et rechercher une éventuelle utilisation symbolique. Le verrier semble avoir à sa disposition les teintes suivantes :

  • rouge
  • bordeaux
  • lie-de-vin (brun)
  • violet
  • bleu (pour le ciel de fond et quelques accessoires)
  • vert clair
  • vert bouteille
  • vert
  • jaune clair
  • jaune d'or
  • blanc
  • rose-pourpre "chair" pour les visages, mains et pieds.

Je n'ai pas le dossier de restauration permettant de discerner les verres anciens des verres restaurés.

Les verres sont utilisés tels quels, ou peints de grisaille pour les visages et les vêtements, les perles et feuillages de l'encadrement.


 

1. La Transfiguration .

A gauche, la Transfiguration proprement dite, le Christ radieux (8 rayons blancs) dans une mandorle rouge  soulignée d'une irisation concentrique vert-mauve-jaune. Élie et Moïse le présentent avec déférence. A terre, sur le mont Thabor, les trois apôtres Pierre, Jacques et Jean "tombent sur leur face, saisis d'une grande frayeur".

A droite, le Christ (que l'on reconnaîtra dans cette verrière à sa nimbe rouge crucifère) recommande aux apôtres de ne pas parler de ce qu'ils ont vu, et répond à leurs questions.

Étude des couleurs.

— A gauche, le Christ est vêtu d'une tunique verte et d'un manteau bleu orfroyé d'or. Moïse et Élie portent tout les deux les mêmes couleurs vert (deux nuances) et brun (deux nuances), inversées, avec une ceinture bleue. Apôtres en blanc et bleu (Pierre, cheveux dégarnis) ;   rouge et jaune (Jean, imberbe) ; bleu et blanc (Jacques). Leurs nimbes sont rouge, jaune et rouge. 

— A droite, le Christ porte désormais sur sa tunique verte un manteau rouge et lie-de-vin. Les apôtres ont aussi changés de tenues : les manteaux et tuniques sont respectivement vert et blanc ; vert et rouge ; jaune et vert. En outre, ils sont tous les trois barbus, ce qui ne correspond pas à la lecture donnée supra. 

Fond de ciel bleu dans les deux panneaux.

Passion 6698c

 

 

2. La Cène ; le lavement des pieds.

— Dans la Cène, le Christ porte les mêmes couleurs lie-de-vin et vert que dans le dernier panneau ; il va les conserver sauf exception. Jean est en rouge et blanc. 

Judas, assis de l'autre coté de la table, tend la main vers le poisson :

 

 Le soir venu, Jésus se trouvait à table avec les Douze. Pendant le repas, il déclara : « Amen, je vous le dis : l’un de vous va me livrer. »Profondément attristés, ils se mirent à lui demander, chacun son tour : « Serait-ce moi, Seigneur ? »Prenant la parole, il dit : « Celui qui s’est servi au plat en même temps que moi, celui-là va me livrer.Le Fils de l’homme s’en va, comme il est écrit à son sujet ; mais malheureux celui par qui le Fils de l’homme est livré ! Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne soit pas né, cet homme-là ! »Judas, celui qui le livrait, prit la parole : « Rabbi, serait-ce moi ? » Jésus lui répond : « C’est toi-même qui l’as dit ! »

 

Je serais tenté de voir dans le manteau jaune de Judas un choix délibéré de le stigmatiser par une couleur jugée discriminante au Moyen-Âge (M. Pastoureau), mais deux autres apôtres portent aussi cette couleur.

Hormis le bleu, réservé au fond, et le violet, les autres couleurs sont distribuées selon des impératifs artistiques et non symboliques.

— Lavement des pieds .

Si j'identifie Pierre par sa chevelure dégarnie (il était alors à droite du Christ dans la Cène), c'est devant lui que le Christ est à genoux. Il porte alors le même manteau rouge. Jésus a ceint un tablier blanc autour de son manteau.

Passion 6698cccc

 

 

 3.  L'Arrestation du Christ dans le Jardin des oliviers ; la Flagellation.

 

— L'artiste est fidèle à ses choix de couleur : Lie-de-vin/vert pour le Christ, Jaune/vert pour Judas, Rouge (mais avec de grandes manches blanches) pour Pierre (sans calvitie) qui tranche de son glaive l'oreille du serviteur du Grand-prêtre (Jaune et Vert).

 

— Flagellation : Le Christ , lié à une colonne jaune, est torse nu mais conserve son manteau rouge, ou (plutôt) le manteau de dérision rouge imposé par Pilate. Les deux bourreaux ont des tuniques courtes soit jaune (péjoratif) soit rouge, mais la bassesse de leur fonction est soulignée par le caractère hétérogène, bigarré, des couleurs entre l'encolure, la tunique, les chausses et les chaussures.

Le titulus porte le motif du jugement, INRI en lettres blanches tracées par soustraction de la grisaille presque noire.

Le nimbe crucifère est peint d'un fond damassé souligné d'un rang de perles rouges.

Passion 6699cc

 

 


4.  Le Christ en croix ; Déposition.

— Le Christ porte, non pas un perizonium, mais un manteau assez complexe et qui n'est ni celui qu'il portait antérieurement puisqu'il associe un revers jaune et vert et un large galon vert. La Croix est verte au bord rouge, de façon peu habituelle, même si on peut a posteriori y voir le vert de l'Arbre et le rouge du Sang, avec la symbolique de l'arbre du Paradis, celle de la Reverdie printannière et de la renaissance, etc... Le déhanchement du corps est très marqué conférant à la posture le caractère dramatique qui convient.

La Vierge est, étonnamment, en manteau rouge et robe jaune (disons plutôt "or"), et non dans ses couleur bleue traditionnelle. Celle-ci est-elle donc réservée au ciel ? Jean est en robe rouge (sa couleur emblématique) et manteau lie-de-vin et jaune d'or.

— Dans la Déposition, la Vierge inverse sa tenue, le manteau rouge devenant jaune et la robe jaune devenant rouge ...mais aussi bleue ! Inversion partielle aussi pour Jean , et apparition d'une robe verte et d'un livre (son Évangile) bleu. Joseph d'Arimathie, qui soutient le Christ, est en lie-de-vin, vert et rouge (chausses), alors que Nicodème qui ôte le clou avec ses tenailles est en jaune ; tous les deux portent un bonnet "juif".

Ces deux scènes étant jumelles, les changements de couleurs des vêtement de Marie et de Jean cherchent peut-être à éviter la monotonie.


Passion 6699ccc

 

 

5. Sainte femme et 3 apôtres ; Noli me tangere.

 Matthieu 28 1-10 : Après le sabbat, à l’heure où commençait à poindre le premier jour de la semaine, Marie Madeleine et l’autre Marie vinrent pour regarder le sépulcre. Et voilà qu’il y eut un grand tremblement de terre ; l’ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre et s’assit dessus. Il avait l’aspect de l’éclair, et son vêtement était blanc comme neige. Les gardes, dans la crainte qu’ils éprouvèrent, se mirent à trembler et devinrent comme morts. L’ange prit la parole et dit aux femmes : « Vous, soyez sans crainte ! Je sais que vous cherchez Jésus le Crucifié. Il n’est pas ici, car il est ressuscité, comme il l’avait dit. Venez voir l’endroit où il reposait. Puis, vite, allez dire à ses disciples : “Il est ressuscité d’entre les morts, et voici qu’il vous précède en Galilée ; là, vous le verrez.” Voilà ce que j’avais à vous dire. » Vite, elles quittèrent le tombeau, remplies à la fois de crainte et d’une grande joie, et elles coururent porter la nouvelle à ses disciples. Et voici que Jésus vint à leur rencontre et leur dit : « Je vous salue. » Elles s’approchèrent, lui saisirent les pieds et se prosternèrent devant lui. Alors Jésus leur dit : « Soyez sans crainte, allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront. »

— Une sainte femme (Marie-Madeleine) est face à saint Pierre (pseudo tonsure) et deux autres apôtres. Pierre est désormais en manteau jaune sur robe rouge ; un galon bleu (moderne ?) orne robe et manteau.

— Sainte Marie-Madeleine se prosterne au pied du Christ, qui reste vêtu d'une robe verte et d'un manteau rouge, qui s'est seulement enrichi d'un galon d'or. 

 

Passion 6700ccc

 


 

 6. Les Pèlerins d'Emmaus.

      — Les deux pèlerins, dont l'un se nomme Cléophas, se rendent de Jérusalem (à gauche) vers Emmaüs (à droite) lorsqu'ils sont rejoint par un troisième marcheur dont nous sommes les seuls à voir le nimbe crucifère :

Et voici, ce même jour, deux disciples allaient à un village nommé Emmaüs, éloigné de Jérusalem de soixante stades ;et ils s’entretenaient de tout ce qui s’était passé. Pendant qu’ils parlaient et discutaient, Jésus s’approcha, et fit route avec eux. Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Il leur dit : De quoi vous entretenez-vous en marchant, pour que vous soyez tout tristes ? L’un d’eux, nommé Cléopas, lui répondit : Es-tu le seul qui, séjournant à Jérusalem ne sache pas ce qui y est arrivé ces jours-ci ? Quoi ? leur dit-il. Et ils lui répondirent : Ce qui est arrivé au sujet de Jésus de Nazareth, qui était un prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple, et comment les principaux sacrificateurs et nos magistrats l’ont livré pour le faire condamner à mort et l’ont crucifié. Nous espérions que ce serait lui qui délivrerait Israël ; mais avec tout cela, voici le troisième jour que ces choses se sont passées. Il est vrai que quelques femmes d’entre nous nous ont fort étonnés ; s’étant rendues de grand matin au sépulcre et n’ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire que des anges leur sont apparus et ont annoncé qu’il est vivant. Quelques-uns de ceux qui étaient avec nous sont allés au sépulcre, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont point vu. Alors Jésus leur dit : O hommes sans intelligence, et dont le cœur est lent à croire tout ce qu’ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses, et qu’il entrât dans sa gloire ? Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait. Lorsqu’ils furent près du village où ils allaient, il parut vouloir aller plus loin. Mais ils le pressèrent, en disant : Reste avec nous, car le soir approche, le jour est sur son déclin. Et il entra, pour rester avec eux. Pendant qu’il était à table avec eux, il prit le pain ; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent ; mais il disparut de devant eux. Et ils se dirent l’un à l’autre : Notre cœur ne brûlait-il pas au dedans de nous, lorsqu’il nous parlait en chemin et nous expliquait les Écritures ? Se levant à l’heure même, ils retournèrent à Jérusalem, et ils trouvèrent les onze, et ceux qui étaient avec eux, assemblés et disant : Le Seigneur est réellement ressuscité, et il est apparu à Simon. Et ils racontèrent ce qui leur était arrivé en chemin, et comment ils l’avaient reconnu au moment où il rompit le pain.Tandis qu’ils parlaient de la sorte, lui-même se présenta au milieu d’eux, et leur dit : La paix soit avec vous ! Luc, 25, 13-35)

— Le Christ conserve son manteau lie-de-vin et sa robe verte, et les pèlerins sont vêtus de vert et de jaune.

Passion 6701

 

Conclusion.

  Si le personnage du Christ présente une homogénéité de la couleur des vêtements (vert et rouge lie-de-vin) tout au long du cycle, et si ces deux couleurs sont reprise dans la Croix comme symbole de sang et de renouveau de la nature, souffrance-renaissance, Passion-Rédemption, si la couleur bleue est réservée au ciel et à quelques accessoires, ou si certaines couleurs semblent être attribuées à des apôtres (le rouge pour Pierre et Jean), il n'est pas possible de conclure à un emploi symbolique ou codifiée des couleurs utilisées, et le choix du verrier a sans-doute été dicté surtout par des choix artistiques, dans un panel assez limité de teintes.

 Il en résulte un  manque d'unité de ton, au profit d'une œuvre vivante, plus soucieuse ici peut-être de la crédibilité du récit que de l'élaboration d'une réflexion spirituelle ou théologique originale. Ce sera le rôle de la Passion typologique inspirée de Saint-Denis.


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Published by jean-yves cordier
19 mars 2014 3 19 /03 /mars /2014 00:01

 

Vitrail de Chartres : Grisaille du Miracle de saint Nicolas.


Voir aussi :

Vitrail de l'Annonciation de la cathédrale de Chartres.

Le vitrail de la Passion de la cathédrale de Chartres.

Le vitrail de l'arbre de Jessé de la cathédrale de Chartres.

Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église Saint-Pierre de Chartres.

Les Mois, le Zodiaque et le Temps de la cathédrale de Chartres: sculpture et vitrail.

. La Vierge allaitante de l'oculus des vitraux de Chartres.

... et sur saint Nicolas, voir :

La légende de saint Nicolas dans les vitraux de la cathédrale de Sées (Orne).


 

Baie n° 10 du chœur coté sud.

Lancette à arc brisé de 8, 97 m de haut et 2,22 m de large.

 Elle occupe le centre de la Chapelle dite des Confesseurs, l'une des chapelles rayonnantes du chœur, entre le vitrail de la Vie de saint Sylvestre (baie 8) et celui de  la Vie de Saint Rémi (Baie 12). Elle appartient donc aux 11 baies qui, sur les 37 du chœur, ont vu leur ancien vitrail coloré du XIIIe siècle — le chœur a été vitré entre 1210 et 1235 — remplacé par du verre incolore, selon le goût du jour, mais aussi pour faire entrer plus de lumière dans le déambulatoire.

  Elle date donc de la fin du 13e siècle, époque où a été créé  le réseau de losanges, de cercles et de quadrilobes entrelacés, dessiné à la grisaille sombre, et les losanges et ronds en verres de couleur jaune et rouge. La rigueur de ce réseau géométrique est corrigé par la souplesse des sinuosités de tiges qui courent en se divisant en feuilles à trois folioles pointues. Le vitrail est encadré d'une bordure de château de Castille jaune sur fond rouge.

  Plus d'un siècle plus tard, exactement en mars 1416, ce vitrail incolore a été enrichi par Jehan Perier d'une scène de la Légende de saint Nicolas. Ce même Jean Perier, l'un des six ouvriers jurés de la fabrique, faisait partie de, ou plutôt  dirigeait l'équipe de verriers chargés de la restauration générale au cours de laquelle on enleva les cadres de bois où avaient été placés les vitraux à l'origine, et qui s'appliquèrent à suivre le style d'origine. C'est à l'occasion de sa restauration que ce vitrail a reçu cette scène de saint Nicolas.

En 1415, il travaillait à doter la nouvelle "librairie" ou bibliothèque capitulaire de la cathédrale de vitraux ( certains sont actuellement dans la chapelle Saint Piat), et aux vitraux de la chambre des comptes. Mais c'est à la semaine du 29 mars 1416 du livre des comptes que figure la mention "A Jehan Perier, verrier, pour six jours qu'il a œuvré tant es panneaux de la verrière blanche de la chapelle des Confesseurs comme à pourtrayre une ymage de saint Nicolas pour mectre en la dicte verrière, pour jour 4 s[ols]". Le "pourtrayt" est le modèle petit format, mais Jehan Périer exécuta certainement aussi "l'ymage", puisque c'est elle que nous voyons aujourd'hui, au tiers inférieur de la grisaille.

En 1921, la baie a été restauré par l'atelier Gaudin  qui recréa deux des enfants situés à l'intérieur du coffre et qui avaient  disparus, et qui reprit des parties inférieures. Une nouvelle restauration eut lieu en 1994.

 

Après une présentation du vitrail et sa description, suivie d' une étude du culte de saint Nicolas, je procéderai à une réflexion sur la nouveauté de ce vitrail consacré à l'"hagiotypie" (sic!) et à la renaissance.

 


                  Baie-10-grisaille-saint-Nicolas-6757c.jpg

 

I. Description. 

 

La scène, reconnaissable immédiatement par tous, est celle du miracle de saint Nicolas ressuscitant les enfants mis au saloir. 

Très simple, elle n'occupe que trois panneaux et, dépourvue de tout arrière-plan et de tout décor, ne donne à voir que l'essentiel : le saint, le saloir, et les enfants qui en sortent. 

Saint Nicolas, évêque de Myre, porte une aube (à large revers doré brodé de fleurs), une dalmatique rouge dont on ne voit que la partie basse et l'encolure dorée aux broderies d'argent ; par-dessus, une chasuble bleue où un orfroi jaune d'or trace le motif courant d'une bande médiane que croise un V scapulaire. Si on regarde avec attention cet orfroi (cliquez sur l'image  pour agrandir), on y lit des lettres brodées formant le nom Nicolaus répété plusieurs fois.

On remarque aussi la mitre orfrayée en soie blanche brodée d'or.

Les gants pontificaux sont caractéristiques par leur élargissement au poignet, qui se termine par un gland. Ils portaient au Moyen-Âge d'un cercle d'or, d'argent ou de bronze émaillé sur la face dorsale, motif ici rehaussé au jaune d'argent, et qui fut remplacé plus tard par une broderie en forme de croix. Ce qui m'intéresse, c'est que ce motif semble ici fixé par un ruban ou une chaîne qui entoure le pouce au niveau de la commissure, et rejoint peut-être la face cubitale de la main en faisant le tour. Or, j'avais remarqué le même dispositif à Malestroit, sur le vitrail de saint Gilles et saint Nicolas, vitrail contemporain des panneaux de Chartres et datés du premier quart du XVe siècle (la rouelle d'or y est particulièrement nette sur la main gauche):

L'église Saint-Gilles de Malestroit (56). Vitrail de saint Gilles et saint Nicolas.  :

vitrail-legende-st-gilles 4813c

     Voir aussi (cliquez)

vitrail-legende-st-gilles 4812v vitrail-legende-st-gilles 4815cc

  Voir aussi vitrail de Vézelise en Lorraine (XVIe).

 

Le manipule (à l'avant-bras gauche), en soie d'or  (elle est d'ordinaire du même tissu et de la même couleur que la chasuble !), elle est brodée de croix en forme de svastikas sinistrogyre (ou sauvastikas), tracés sans-doute en équivalent de motifs grecs ou byzantins.

Enfin la crosse pontificale, à extrémité pointue, se compose de la hampe, du nœud puis de la douille en forme d'octogone conique fenestré et orné de fleuron, et enfin du crosseron. Celui-ci se courbe en une seule circonvolution, en laissant s'ouvrir une dizaine de crochets eux-mêmes hérissés d'épines et terminés par cinq pétales. La pointe finale du crosseron n'est elle-même qu'un crochet floral plus important que les autres. A l'intérieur de la volute, une figurine a été décrite comme le buste d'un évêque. La définition de ma photographie ne me permet de discerner qu'un baquet rectangulaire, aux quatre coins coiffés d'une sphère, tiré peut-être comme un chariot, et contenant une forme que je ne peux définir.

 Saint Nicolas se penche légèrement pour bénir les trois enfants, et les rendre à la vie. Les petits garçons, entièrement nus, mains jointes, se lèvent, et le premier enjambe déjà le coffre.  

 

                          Baie-10-grisaille-saint-Nicolas-6757v.jpg

 

 

 

  II. Étude du thème.

(Simple compilation)

  Si le sujet représenté est très simple à décrire et à comprendre, il offre néanmoins matière à de multiples réflexions. Car on évitera le piège de croire que les verrières sont des "livres d'images" pour les fidèles incultes, destinés proposer à leur dévotion des légendes édifiantes, aisées à comprendre, et séduisantes par le merveilleux des miracles. Au contraire, si le chapitre des chanoines chartrains fait le choix de ce motif, c'est qu'il s'impose non pas comme une manifestation de la foi des simples gens, mais comme une déclaration théologique inséré dans un programme iconographique. Il en va ainsi depuis les premiers vitraux, ceux de Suger à Saint-Denis. Et une autre erreur serait de penser que l'Église accueille ces histoires en toute crédulité et sans réticence, si elle ne peut y développer une quadruple lecture, certes littérale, mais surtout allégorique, morale, et anagogique. Au contraire, on peut soupçonner qu'elle a favorisé certains épisodes d'apparence naïve parce qu'il servent de support aux thèses théologiques qu'elle souhaite défendre.

  Une autre raison d'illustrer par des verrières une hagiographie est de favoriser le culte de reliques détenues par la cathédrale, et cette raison, déjà présente à Saint-Denis est opérante à Chartres ; mais elle peut sans-doute être écartée concernant saint Nicolas.

1. L'évolution de la Légende de saint Nicolas .

 Le miracle du saloir est lié à une mauvaise interprétation d'une représentation d'un épisode de la légende, où saint Nicolas sauve la vie à trois officiers : 

   a) les trois officiers, et les trois princes Népotien, Ours et Apilion.

L' épisode des enfants dans le saloir ne figure pas dans la première hagiographie de Michel l'Archimandrite (VIIIe), ni dans celle de saint Méthode (début IXe), ni dans la compilation de Siméon de Métaphraste ( légendaire en grec du Xe siècle), ni dans les traductions latines de la Légende dorée de Jacques de Voragine entre 1261 et 1266, traduite en français par Jean de Vignay en 1342. Mais il y est raconté l'histoire suivante :  

 

 

Certaine nation s’étant révoltée contre l’empire romain, l’empereur envoya contre elle trois princes, Népotien, Ours, et Apilion. Ceux-ci, arrêtés en chemin par un vent contraire, firent relâche dans un port du diocèse de saint Nicolas. Et le saint les invita à dîner chez lui, voulant préserver son peuple de leurs rapines. Or, en l’absence du saint, le consul, s’étant laissé corrompre à prix d’argent, avait condamné à mort trois soldats innocents. Dès que le saint l’apprit, il pria ses hôtes de l’accompagner, et, accourant avec eux sur le lieu où devait se faire l’exécution, il trouva les trois soldats déjà à genoux et la face voilée, et le bourreau brandissant déjà son épée au-dessus de leurs têtes. Aussitôt Nicolas, enflammé de zèle, s’élance bravement sur ce bourreau, lui arrache l’épée des mains, délie les trois innocents, et les emmène, sains et saufs, avec lui. Puis il court au prétoire du consul, et en force la porte, qui était fermée. Bientôt le consul vient le saluer avec empressement. Mais le saint lui dit, en le repoussant : « Ennemi de Dieu, prévaricateur de la loi, comment oses-tu nous regarder en face, tandis que tu as sur la conscience un crime si affreux ? » Et il l’accabla de reproches, mais, sur la prière des princes, et en présence de son repentir, il consentit à lui pardonner. Après quoi les messagers impériaux, ayant reçu sa bénédiction, poursuivirent leur route, et soumirent les révoltés sans effusion de sang ; et ils revinrent alors vers l’empereur, qui leur fit un accueil magnifique.

Mais quelques-uns des courtisans, jaloux de leur faveur, corrompirent le préfet impérial, qui, soudoyé par eux, accusa ces trois princes, devant son maître, du crime de lèse-majesté. Aussitôt l’empereur, affolé de colère, les fait mettre en prison et ordonne qu’on les tue, la nuit, sans les interroger. Informés par leur gardien du sort qui les attend, les trois princes déchirent leurs manteaux et gémissent amèrement ; mais soudain, l’un d’eux, à savoir Népotien, se rappelant que le bienheureux Nicolas a naguère sauvé de la mort, en leur présence, trois innocents, exhorte ses compagnons à invoquer son aide.

Et en effet, sur leur prière, saint Nicolas apparut cette nuit-là à l’empereur Constantin, lui disant : « Pourquoi as-tu fait arrêter injustement ces princes, et les as-tu condamnés à mort tandis qu’ils sont innocents ? Hâte-toi de te lever et fais-les remettre en liberté au plus vite ! Sinon, je prierai Dieu qu’il te suscite une guerre où tu succomberas, et tu seras livré en pâture aux bêtes ! » Et l’empereur : « Qui es-tu donc, toi qui, entrant la nuit dans mon palais, oses me parler ainsi ? » Et lui : « Je suis Nicolas, évêque de la ville de Myre. » Et le saint se montra de la même façon au préfet, qu’il épouvanta en lui disant : « Insensé, pourquoi as-tu consenti à la mise à mort de trois innocents ? Va vite travailler à les faire relâcher ! Sinon, ton corps sera mangé de vers et ta maison aussitôt détruite. » Et le préfet : « Qui es-tu donc, toi qui me fais de telles menaces ? » Et lui : « Sache, dit-il, que je suis Nicolas, évêque de la ville de Myre ! »

 

L’empereur et le préfet, s’éveillant, se firent part l’un à l’autre de leur songe, et s’empressèrent de mander les trois prisonniers. « Êtes-vous sorciers, leur demanda l’empereur pour nous tromper par de semblables visions ? » Ils répondirent qu’ils n’étaient point sorciers, et qu’ils étaient innocents du crime qu’on leur reprochait. Alors l’empereur : « Connaissez-vous, leur dit-il, un homme appelé Nicolas ? » Et eux, en entendant ce nom, levèrent les mains au ciel, et prièrent Dieu que, par le mérite de saint Nicolas, il les sauvât du péril où ils se trouvaient. Et lorsque l’empereur eut appris d’eux la vie et les miracles du saint, il leur dit : « Allez et remerciez Dieu, qui vous a sauvés sur la prière de ce Nicolas ! Mais rendez-lui compte de ma conduite, et portez-lui des présents de ma part ; et demandez-lui qu’il ne me fasse plus de menaces, mais qu’il prie Dieu pour moi et pour mon empire ! » Quelques jours après, les princes vinrent trouver le serviteur de Dieu, et, se prosternant devant lui, et l’appelant le véritable serviteur de Dieu, ils lui racontèrent en détail ce qui s’était passé. Et lui, levant les mains au ciel, il loua Dieu, et renvoya les trois princes chez eux, après les avoir bien instruits des vérités de la foi. (Traduction et adaptation Th de Wyzewa 1910)


b) les trois clercs.

Dans la Vie de saint Nicolas (v 1150-1175) de l'auteur du Roman de Brut, le normand Wace, chanoine de Bayeux, quatorze octosyllabes sont consacrés à un épisode où trois clercs

Treis clercs alouent a escole

—N'en ferai mie grant parole—

Li ostes par nuit les occist

Les cors musçat, l'avers en prist.

Seint Nicholas par Deu le sout

Sempres fu la si cum Deut plout.

Les clercs a l'ostes demandat

Nes pout celer si les mustrat

Seint Nicholas par sa preere

Mist les almes el cors arere.

Pur ceo qu'as clercs fit cel honur

Funt li clercs la feste a son jur

De ben lire et ben chanter

Et des miracles reciter.

(Trois clercs allaient à l'école, —je n'en ferai pas un long discours—l'hôtelier les tua la nuit, cacha leur corps, prit leur argent. Saint Nicolas l'apprit de Dieu...)

 C'est cette version qui est représentée sur le vitrail de la baie 39 de Chartres, du début du XIIIe siècle : les trois clercs, reconnaissables à leur tonsure, sont face à l'hôtelier armé d'une hache ; le panneau suivant le montre en train de les assassiner sous le regard de son épouse pendant leur sommeil, et le dernier montre saint Nicolas les ressuscitant alors qu'ils sont nus dans leur baquet de saumure ; l'épouse se jette aux pieds du saint et obtient le pardon.

C'est aussi sous son influence que les enluminures de la Légende dorée représentent trois personnages jeunes, nus et tonsurés, dans un tonneau ; leur petite taille relative (c'est le saint qui est grandi) leur donne l'apparence de petits enfants.

                          

Une hypothèse pour expliquer le glissement de contenu des légendes repose aussi sur le fait que la légende grecque mentionne trois soldats innocents sauvés de justesse de leur exécution. Le terme latin innocentes peut avoir été substitué à celui de pueri (enfants), avec le même sens que lorsque nous parlons du "massacre des saints innocents", enfants de moins de deux ans. 

 

c) Les trois étudiants.

Trois sources :

— Dans le manuscrit d'Hildesheim, en latin, vers 1100, (British Museum Add. MS 22414), ce sont des étudiants itinérants qui sont accueillis dans une auberge, dont l'hôtelier et son épouse s'accordent pour les tuer afin de voler leur argent. Saint Nicolas survient alors, demande qu'on lui serve de la viande fraîche, et, devant le refus du patron, l'accuse de l'assassinat des trois jeunes gens. Il obtient par ses prières la résurrection des étudiants et le pardon de cette faute.

—Le manuscrit de l'Abbaye de Fleury (MS 201 de la B.M d'Orléans), XIIe siècle contient quatre pièces en latin, destinées sans-doute à être en drame liturgique pendant l'office de nuit de la fête du saint, avec une notation musicale guidonienne.

 — un petit mystère latin (Secundum miraculum Sancti Nicholai), qui fait partie d’un recueil du XIIIe siècle intitulé Mysteria et Miracula ad scenam ordinata ; recueil provenant de l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire et publié par Monmerqué et Bouderie à la suite du Jus Sancti Nicolai de J. Bodel (Didot, 1834). 

 

d) les trois petits enfants. 

   Ce sujet évoque aujourd'hui à chacun  la complainte de Saint Nicolas :" Il était trois petits enfants / Qui s'en allaient glaner aux champs./ S'en vont au soir chez un boucher./ "Boucher, voudrais-tu nous loger ? : Entrez, entrez, petits enfants,/ Il y a de la place assurément." / Ils n'étaient pas sitôt entrés / Que le boucher les a tués, / Les a coupés en petits morceaux, / Mis au saloir comme pourceaux. "

 avec cette version :

Saint Nicolas au bout d'sept ans / Saint Nicolas vint dans ce champ. / "Boucher, voudrais-tu me loger ?" / Entrez, entrez, saint Nicolas, / Il y a d'la place, il n'en manque pas." / Il n'était pas sitôt entré, / Qu'il a demandé à souper. / Voulez-vous un morceau d'jambon ? / Je n'en veux pas il n'est pas bon. / Voulez-vous un morceau de veau ? / Je n'en veux pas il n'est pas beau ! / Du p'tit sale je veux avoir / Qu'il y a sept ans qu'est dans l'saloir. / Quand le boucher entendit cela, / Hors de sa porte il s'enfuya. / "Boucher, boucher, ne t'enfuis pas, / Repens-toi, Dieu te pardonn'ra." / Saint Nicolas posa trois doigts / Dessus le bord de ce saloir. / Le premier dit : "j'ai bien dormi ! " / Le second dit "et moi aussi!" / Et le troisième répondit : / "Je me croyais en paradis!"

Ce nouvel avatar de la légende est expliqué par certains par une mauvaise interprétation des représentations de la légende, les trois clercs, nus, plus petits que le saint qui est grandi par l'artiste pour souligner ses pouvoirs, finissant par ressembler par des petits enfants. Mais les lettrés de l'Église, qui connaissaient leurs sources grecques ou latines, n'auraient pas laisser se développer cette "erreur" — ou, ne l'ont pas suscitée —si elle n'avait pas servi un dessein théologique. C'est ce dernier dessein qu'il s'agirait de deviner.

 Source pour ce paragraphe : 

 Jean-François Mazet  Saint Nicolas, le boucher et les trois petits enfants: Biographie d'une légende L'Harmattan, 2010.

 

2. Un sujet ancien pour les vitraux.

  • Chœur de l'église de Civray-sur-Cher (Indre-et-Loire) v.1175.
  • Cathédrale de Bourges : XIIIe

Vitrail de Bourges

  • Cathédrale de Tours
  • Cathédrale de Sées (Normandie)
  • Cathédrale de Rouen, chapelle Saint-Jean
  • Cathédrale d’Auxerre,
  • Cathédrale du Mans
  • Église de Saint-Julien-du-Sault (Yonne)
  • Église Saint-Pierre de Dreux 
  • Église de Malestroit. L'église Saint-Gilles de Malestroit (56). Vitrail de saint Gilles et saint Nicolas.
  • Église Saint-Gengoult de Toul
  • Église Saint-Nicolas de Vézelise, en Lorraine,au XVI° siècle
  • Église Saint-Etienne de Beauvais.

 

3.  Un culte ancien à Chartres.


— Le culte de saint Nicolas était très développé au Moyen Age à Chartres où il était vénéré pour sa charité, ses miracles et la protection qu’il offrait aux étudiants. Une église Saint-Nicolas, près l'église saint-André, honorait ce culte à Chartres, jusqu'à sa démolition en 1756 (la Fontaine saint-Nicolas en témoigne).

— La vie de saint Nicolas  qui a été écrite en latin par Jean, diacre de l’église Saint-Janvier de Naples au IXe siècle, fut insérée dans les manuscrits liturgiques de l’Eglise de Chartres. 

— La seule homélie que l'on conserve de Pierre de Celles, évêque de Chartres en 1181-1183, est celle consacrée à saint Nicolas ; il y est présenté comme le modèle de celui qui jeûne dans l'attente de la Pâque et du Retour du Christ.

— Avant la baie 14 que nous étudions, deux verrières étaient déjà consacrées à saint Nicolas et en racontaient la vie : les baies 39 (sans-doute la plus ancienne, 1220-1225) et 29a (de 1225 ?), toutes les deux du coté nord et datant du XIIIe siècle.

— De même le tympan sculpté du portail sud de la cathédrale, sculpté entre 1205 et 1215, donne à voir un cycle de saint Nicolas dans le Portail de droite ou Portail des Confesseurs. On y trouve saint Nicolas à gauche, avec saint Ambroise et saint Silvestre, en face de saint Martin, évangélisateur de la Gaule, saint Jérôme, saint Grégoire le Grand. ce sont pour la plupart d’entre eux évêques des premiers siècles de l’Église.

—  Dans la chapelle Saint-Clément de la crypte subsiste une peinture murale échappée par miracle à la destruction, datée du XIIème ou XIIIème siècle. Elle met en scène six personnages nimbés, à des hauteurs différentes selon leur place sous la voûte. De gauche à droite on reconnaît Charlemagne assistant à la fameuse «messe de saint Gilles », puis un évêque, puis saint Pierre. Ensuite le quatrième et le plus haut en taille est saint Jacques bénissant, reconnaissable aux coquilles qui couvrent son manteau. Puis saint Nicolas et saint Clément.

On se souvient que le vitrail étudié ici, la baie 14, éclaire la Chapelle des Confesseurs, entre le vitrail de saint Silvestre et celui de saint Rémi.

4. Un programme iconographique ?

 

On nomme "Confesseur (de la foi)" dans l'Église ceux qui ont souffert au nom de leur foi sans être morts martyrs. Il est attribué à Nicolas car il a eut à souffrir de la dernière persécution*, et sa messe  suit le rituel des confesseurs pontifes.

*"Comme il prêchait à Myre la vérité de la foi chrétienne, contrairement à l’édit de Dioclétien et de Maximien, il fut arrêté par les satellites impériaux, emmené au loin et jeté en prison. Il y resta jusqu’à l’avènement de l’empereur Constantin, par l’ordre duquel il fut délivré de captivité".(Sixième leçon des Matines)

 

Le culte de saint Nicolas, d’abord spécial aux Grecs, passa en Occident à l’époque des Croisades. La fête entre au XIe siècle au calendrier Romain.. Sur la fin du XIe siècle, les gens de Bari en Sicile feignirent de posséder son corps, premièrement enseveli au mont Sion près de Myre, et dont ils alléguaient une prétendue translation. De Bari, en 1098, un croisé lorrain, seigneur de Varangeville, rapporta chez lui une phalange d’un doigt du corps saint : la relique, déposée dans une chapelle qui devint le sanctuaire de Saint-Nicolas-de-Port, attira un grand concours de pèlerins. Il fut proclamé  Patron du duché de Lorraine par les ducs en 1120 et c’est ainsi que le culte du saint se propagea en France, dans les Pays-Bas et dans l’Allemagne, 

 

Néanmoins, le Portail des Confesseurs et la Chapelle des Confesseurs semblent être, à Chartres, dédiés plutôt à ceux qui édifièrent la doctrine de la Foiet luttèrent contre le paganisme et l'hérésie, et ce serait pour sa participation au Concile de Nicée et, donc, à l'élaboration du Credo et du dogme de la Trinité que Nicolas y figurerait. Cette participation était affirmée par l'Église (avant 1960) : "Il revint à Myre, puis se rendit au concile de Nicée, et, avec les trois cent dix-huit Pères de cette assemblée, y condamna l’hérésie arienne". Néanmoins, les membres de l'épiscopat présents à Nicée sont parfaitement connus par les textes de l'époque, et Nicolas n'y figurait pas.


Selon une étude mis en ligne sur le site du Centre International du Vitrail, :

 

   La fenêtre d'axe est dédiée à saint Nicolas (baie 14), qui a reçu l'hommage de deux autres baies (39 et 29a). Il faut d'abord s'interroger sur les raisons possibles de ces doublons. Nous l'avons vu, les vitraux hagiographiques ont moins pour fonctions de raconter une histoire que de rappeler la place théologique des saints dans ce qu'il est convenu d'appeler "l'économie du salut". Or chaque saint peut avoir, évidemment, plusieurs dimensions théologiques. Dans la nef, l'image de Nicolas est utilisée en tant que précurseur de la Passion, les prédicateurs faisant de lui l'exemple du jeûne dans l'attente de la Pâque. Dans la travée droite du choeur, au nord, Nicolas est le symbole de l'évêque protégeant le peuple contre le mal. Le voici ici dans sa fonction de chef de file des Confesseurs, ceux à qui l'Eglise reconnaît un rôle déterminant dans la construction de la foi. La tradition fait naître saint Nicolas à l'époque de Constantin et lui donne un rôle décisif dans la définition de la Trinité au Concile de Nicée: il est le garant du Credo trinitaire. Il s'agit certes d'une légende, mais ce qui importe ici est bien la relecture qui est faite de cette figure au Moyen Age et la place que les théologiens lui accordent dans la géographie du salut. En faisant graviter saint Remi et Clovis, sainte Catherine, saint Thomas Becket et Louis VII autour de Nicolas on montre qu'ensemble ces rois occidentaux, héritiers de Constan

 

La chapelle rayonnante méridionale continue ce discours d'ecclésiologie politique. Elle montre en effet comment le Credo qui soude l'Eglise s'est construit grâce aux grandes figures monarchiques du passé et de l'histoire contemporaine. La verrière consacrée à Clovis à travers saint Remi et sainte Clotilde (baie 12) reprend l'idée de l'Occident héritier de l'empire chrétien de Constantin: Clovis comme Charlemagne est traditionnellement appelé "novus Constantinus", Charlemagne étant aussi considéré au Moyen Age comme le "nouveau Clovis". Comme sainte Clotilde avait consacré sa vie à la conversion du roi Remi, de même sainte Catherine a eu la mission de la conversion d'un couple royal: la fenêtre qui lui est consacrée ainsi qu'à sainte Marguerite (baie 16) est symétrique de celle de Clovis. Pour clore cette série politique, on trouve enfin Thomas Becket (baie 18). Son histoire récente met en scène Louis VII, dont on oppose l'attitude constructive envers l'Eglise à celle de l'ennemi Henri II Plantagenêt.

 

L'iconographie de cette chapelle dite des Confesseurs met donc en images une certaine idée du rôle des rois dans la marche de la Chrétienté et de l'alliance politique entre ce qu'on appelle le Regnum et le Sacerdotum, le pouvoir temporel et le pouvoir sacerdotal, sujet brûlant d'actualité

 

 

 

 

 

 

 III. Interprétation personnelle.

       Il m'a fallu tout ce parcours de lecture pour comprendre ce qui, pourtant, me sautait aux yeux : l'originalité de ce vitrail, la révolution qu'il introduit, repose sur le fait qu'il est composé de seulement trois panneaux.

  1. Passage de l'hagiographie à l'hagiotype.

Nous passons des verrières 39 et 29a du début du XIIIe siècle  qui comptent respectivement 20 et 27 panneaux, et de multiples scènes de la Vie du saint, à ce vitrail blanc aux deux ensembles colorés, le saint à droite, le saloir et ses trois occupants à gauche.

Autrement dit, nous passons d'un récit d'une vie de saint (naissance, enfance, intronisation, miracles) peu ou pas lisible de loin (le miracle des trois clercs, par exemple, est au sommet du vitrail 29, invisible sans jumelles) aux personnages d'une vingtaine de centimètres, à un portrait d'un saint, d'un mètre de haut peut-être, parfaitement visible, et accompagné de son attribut distinctif, le saloir aux enfants.

Abandonnant les péripéties édifiantes mais complexes  d'une bande dessinée mettant en image la Légende dorée, l'artiste choisit de dresser l'icône majestueuse d'un saint, dans le passage de l'hagiographie (vie de saint) à ce que je vais nommer l'hagiotype, épure simplifié et archétypale du saint, telle qu'elle va désormais se fixer et être propager sous forme de statues et d'images  dans chaque paroisse. Cette représentation fait désormais fonction de logo, et chacun, même s'il ignore tout de la vie de saint Nicolas, identifiera le saint par son baquet aux enfants. Ce baquet qui n'était qu'un simple détail de l'histoire, et dont l'aspect pouvait varier, devient, définitivement, mais sans que rien ne l'indique dans l'image, un "saloir" en forme de tonneau ou de charnier : de meuble, il devient attribut.

C'est, "à n'en point douter", une sacrée révolution dans l'iconographie.

2. De la culpabilité et du pardon vers le thème de la renaissance.

  Dans cette simplification, les personnages secondaires disparaissent, comme l'aubergiste armé de sa hache (baie 29a) et sa femme allongée au pied de Nicolas pour l'implorer ; cette disparition est lourde de sens, puisque le thème du péché capital (le meurtre), de la culpabilité et du pardon, typiquement médiévaux, est ainsi délaissé. De même, le mobile du crime, le vol de l'argent des clercs, n'apparaît plus.

   Les éléments dramatiques de la légende, le dépeçage, le thème même de la mort disparaissent aussi. Le vitrail ne montre que le saint traçant une bénédiction salvatrice, et trois "enfants" nus, gaillards, sortant du baquet comme s'ils sortaient de leur lit ; "innocents comme l'enfant qui vient de naître", ignorant tout du drame auquel ils échappent. C'est moins à une résurrection que nous assistons (puisque rien n'indique une mort préalable) qu'à un frais éveil sous l'influence du saint. 

   Comme les "sept dormants d'Éphèse", les trois jeunes bénéficient, par l'onction ou la bénédiction de Nicolas, d'un frais et printanier éveil à la vie nouvelle. 

On notera que cette illustration du thème de la renaissance spirituelle survient en 1416, dans la Première Renaissance, au moment où les chanoines choisissaient pour leur librairie des vitraux représentant les allégories des quatre arts libéraux, la Dialectique, l'Arithmétique, la Rhétorique et la Géométrie, au moment où les textes de l'antiquité gréco-latines étaient redécouverts, etc.

  Il est probable que les commanditaires de ce Saint Nicolas de Chartres aient choisis délibérément de dégager l'ancienne figure de saint Nicolas d'un légendaire complexe pour en faire une figure claire de l'Église dispensant aux fidèles, par les Sacrements et par l'enseignement, l'éveil spirituel.

 

 

 

 

      Sources et liens.

Voir les travaux (non consultés) de  Georges Bonnebas, diplômé de l’École des Hautes Études en Sciences sociales, historien, professeur agrégé de l’université et qui dispense sur le sujet des conférences au Centre International du vitrail à Chartres.

 

 

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Published by jean-yves cordier

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  • : Le blog de jean-yves cordier
  • : 1) Une étude détaillée des monuments et œuvres artistiques et culturels, en Bretagne particulièrement, par le biais de mes photographies. Je privilégie les vitraux et la statuaire. 2) Une étude des noms de papillons et libellules (Zoonymie) observés en Bretagne.
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  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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