L'Arbre de Jessé (Pierre des Aubeaux, 1512-1514) du tympan du portail Notre-Dame de la cathédrale de Rouen.
.
I. Voir sur Rouen :
.
II. Voir sur les Arbres de Jessé :
A. ARBRES DE JESSÉ SCULPTÉS.
-
L'Arbre de Jessé de l'Abbaye de Saint-Riquier (Somme). Tympan sculpté : 1511-1536
-
Chapelle St Nicolas en Priziac. (56) : XVIe siècle.
-
L' arbre de Jessé de l'église de Saint-Aignan (56). : XVIe siècle. Retable.
-
L'arbre de Jessé de l'église Notre-Dame de Saint-Thégonnec. (29) : 1610.
-
L'arbre de Jessé de la chapelle de La Trinité à Cléguerec (56). :1594
-
L'arbre de Jessé de la cathédrale de Burgos. (1483-1486)
.
.
B. VITRAUX DE L'ARBRE DE JESSÉ
Outre L'Arbre de Jessé de l'église Saint-Godard de Rouen, par Arnoult de Nimègue (1506), voir dans ce blog
-
Le vitrail de l'arbre de Jessé de la basilique de Saint-Denis. (1144), le premier vitrail sur ce thème.
-
Le vitrail de l'arbre de Jessé de la cathédrale de Chartres. (1150)
-
Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale du Mans. (1235) :
-
Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale d'Amiens. (1242) :
-
Le vitrail de la Vigne de Jessé et la Vie de Marie (1466) à l'église Saint-Dominique de Vieux-Thann (Haut-Rhin). Vieux-Thann (1466)
-
Vitrail de la Baie 0 de la cathédrale d'Évreux (vers 1470)
-
L'étrange vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale de Moulins. Vitrail de la cathédrale de Moulins en Allier (vers 1480)
-
Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale de Sens. I. (V. 1504)
-
Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale de Sens, II : la Vierge et la Licorne.
-
Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de Bourg-Achard. (vers 1500-1510)
-
Le vitrail de l'arbre de Jessé de Notre-Dame du Touchet. (V.1537)
-
Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église Saint-Pierre de Chartres. (XVIe siècle)
En Bretagne, par ordre chronologique :
-
Le vitrail de l'arbre de Jessé de la chapelle N.D. de Lansalaün à Paule. 1528
-
Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de la Sainte-Trinité à Kerfeunteun :1528-1530
-
Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de Confort-Meilars. c.1530
-
Le vitrail de l'arbre de Jessé de l'église de Malestroit.: 1530-1540.
-
Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de Moncontour. c.1530-1540
-
L'arbre de Jessé de l'église de Beignon. : 1540-1550
-
Le vitrail de la Passion de l'église Saint-Mériadec en Stival (56) : 1550.
-
Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église Saint-Armel de Ploermel. c.1550.
-
Les vitraux de l'église des Iffs ( seconde partie : les chapelles). Baie 12 milieu XVIe.
-
Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église Notre-Dame de Vitré. c.1868-1870
.
TENTURE : (hors blog)
.
Le tympan du portail central de la façade occidentale de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
.
.
.
PRÉSENTATION.
.
Consacré à la Vierge Marie comme la cathédrale elle-même, le portail central est orné au tympan d’un Arbre de Jessé (arbre généalogique de la Vierge), œuvre de l'imagier et tailleur de pierre rouennais rouennais Pierre des Aubeaux ( parfois orthographié « Alobeaux » ou « Desobeaux » ). Il a souffert des mutilations de 1562 par les huguenots, mutilations qui ont été réparées tant bien que mal au siècle suivant par Nicolas Gugu ou Cucu en 1626. Le portail a été restauré en 2015.
À la suite de désordres liés à la construction de la tour de Beurre, Roulland Le Roux reconstruit le portail central de la cathédrale de Rouen entre 1508 et 1511. L' Arbre de Jessé du tympan a été commandé au sculpteur le 14 juillet 1512 . Il fut réalisé vers 1514.
Il est entouré d'une riche archivolte consacrée aux prophètes, aux sibylles et aux patriarches.
.
Un thème iconographique ancien.
L'arbre de Jessé où figurent les Rois de Juda descendants du patriarche Jessé, père de David forme un tout thématique et typologique (liens génétiques entre l'Ancien et le Nouveau Testament), une démonstration théologique en deux points :
1. La naissance du Christ, et son sacrifice ont été annoncés par les Prophètes bibliques, selon une démonstration où une citation de chacun des douze prophètes est associée à sa réalisation par la vie de la Vierge et celle du Christ. La citation fondamentale est celle d'Isaïe 11:1, "Un rameau sortira du tronc de Jessé, et un rejeton naîtra de ses racines".
2. Le chiffre douze est mis en parallèle avec celui des douze rois de Juda, descendants généalogiques et monarchiques de David, dont la liste est donnée par l'incipit de l'évangile de Matthieu et qui conclut : "Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie, de laquelle est né Jésus, qui est appelé le Christ." (Mt 1:16). Certes, Matthieu donne 28 générations entre David et Jésus, mais les auteurs médiévaux ne retiennent que 12 rois pour soutenir leur démonstration.
"les premières représentations datent de la fin du xie siècle alors que les Pères de l’Église et les théologiens du Haut Moyen Âge ont glosé à l’envi sur cette prophétie. Cette image devient, dès le xiie siècle, «l’illustration» choisie pour le début de l’évangile de saint Matthieu, la généalogie du Christ. Suger semble avoir été le premier à lui donner cette orientation en combinant l’idée de la prophétie (Jessé donnant naissance à une tige portant la Vierge et le Christ) avec celle de généalogie royale (ajout des rois de la tribu de Juda, dont le premier, David, fils de Jessé, occupe une place privilégiée), dans le vitrail de l’abbaye de Saint-Denis, créant ainsi un lien typologique évident. La formule eut du succès et c’est sous cette forme dans les vitraux, et au début de l’évangile de Matthieu dans les manuscrits, que l’Arbre de Jessé est diffusé pendant le xiie et le xiiie siècle français." (Lepape 2009)
.
Un renouveau à la fin du XVe siècle.
Au XVe et XVIe siècle, sous l'influence d'un ouvrage qui diffuse la pensée typologique, le Speculum humanae salvationis, c'est la Vierge à l'Enfant qui culmine au sommet de l'arbre, en postulant que Marie est de la race de David. Les Arbres de Jessé, qui ont été plus rares au XIVe siècle, deviennent un thème majeur de l'ornementation des églises, et les vitraux qui le représentent occupent souvent une place centrale. Même si elle n'est pas exhaustive, la liste de mes liens (supra) montre bien cette réapparition des Arbres, sous la forme de vitrail aux cathédrales d' Évreux, Moulins en Alliers, Sens et Rouen de 1470 à 1506, ou au chœur des églises et chapelles normandes et bretonnes de 1475 à 1560, et sous la forme de sculptures monumentales sur pierre ou sur bois notamment à Rouen (ce tympan), puis à Gisors et Beauvais, ou Saint-Riquier.
.
L'affirmation de la conception immaculée de Marie.
En Normandie en particulier, à la fin du XIVe et début du XVe siècle, l'Arbre s'intégra dans une dévotion à l'Immaculée Conception de la Vierge, lors d'une fête ou puy des palinods concours de poésie célébrée à Rouen.
L'Arbre illustre la foi en la naissance virginale du Christ, dont la typologie, ancienne, est fondée sur les versets 11:1-3 d'Isaïe : Et egredietur virga de radice Jesse, et flos de radice ejus ascendet "puis un rameau sortira du tronc d'Isaï [Jessé], et un rejeton naîtra de ses racines" associé au verset Isaïe 7:14 Ecce virgo concepiet, et pariet filium, et vocabitur ejus Emmanuel, "Voici, la jeune fille sera enceinte, elle enfantera un fils, et elle lui donnera le nom d'Emmanuel."
Un jeu de mot, qui devient un véritable leitmotiv liturgique, est fait entre virga "la tige, le rameau" et virgo "la vierge".
Enfin, il y a un passage entre cette notion de virginité, prophétisée par Isaïe, puis la notion de virginité d'Anne donnant naissance à la Vierge sous l'effet d'un chaste baiser ou même d'une simple rencontre avec son mari Joachim sous la Porte Dorée de Jérusalem, puis la notion, toute différente, d'une conception "immaculée", exempte du Péché originel.
Le motif iconographique nouveau qui sous-tend cette conviction chère aux Normands est la représentation de Marie comme Vierge de l'Apocalypse, debout sur le croissant de lune.
.
L'affirmation de la royauté de Marie.
La généalogie de Jésus de l'évangile de Matthieu vise à souligner l'ascendance royale de Jésus, par David.
La nouvelle iconographie, normande ou rouennaise, honore la royauté de Marie, en plaçant une couronne sur sa tête ; parallèlement se développe le thème iconographique du Couronnement de la Vierge.
.
La conjugaison du thème de l'Arbre et de celui des Sibylles.
.
Très peu de temps avant la création de ce tympan, vers 1489, Louis de Laval fait réaliser un Livre d'Heures (BnF latin 920) dans lequel les premières enluminures (17r à 29v) mettent en parallèles les prophéties (on dit, pour les distinguer des annonces bibliques, les "vaticinations") de 12 femmes de l'antiquité gréco-latine (ou du moins non bibliques), les Sibylles, avec 12 épisodes de la vie de la Vierge et de la Passion du Christ.
On trouve ces Sibylles représentées sur les colonnes de l'Aître Saint-Maclou à Rouen en 1526-1529.
De même que les 12 prophètes et les 12 rois de Juda ont été associés aux 12 apôtres, les 12 Sibylles font être associées au thème de l'Arbre de Jessé, soit directement soit plus souvent indirectement.
-
Le vitrail de l'Arbre aux Sibylles de la Collégiale Notre-Dame-du-Fort à Étampes. Vers 1555.
- La chapelle Notre-Dame-de-Berven en Plouzévédé. II. Les trois Sibylles des volets du retable de l'Arbre de Jessé (vers 1576-1580).
.
Sur le portail de Rouen, la relation est directe entre les 12 Sibylles, les 12 Prophètes et 12 Patriarches, qui occupent les archivoltes, et l'Arbre de Jessé du tympan : chacun des 36 personnages périphériques annoncent la croissance verticale de l'arbre issu de Jessé et fleurissant en la Vierge et son Fils.
.
Les Arbres de Jessé de Rouen et périphérie au XV et XVIe siècle.
— vers 1470 : verrière de Saint-Maclou (baie 113).
-Vierge à l'Enfant couronnée, dans une mandorle solaire, sur un croissant de lune. L'enfant joue avec un moulinet.
-16 rois tenant des sceptres
- Un prophète à la droite de Jessé (inscription), David à sa gauche. Tous les deux debout.
-Jessé assis, racine de l'arbre naissant du dessus de sa tête.
—1506 : verrière de Saint-Godard (baie 4) par Arnoult de Nimègue.
- Couronnement de la Vierge au tympan
-Vierge à l'enfant couronnée, sur un croissant de lune.
-12 rois, tenant des sceptres, autour de David placé entre Jessé et la Vierge.
-4 prophètes au registre inférieur, entourant Jessé.
-Jessé assis, racine de l'arbre au dessus de sa tête
-Un soubassement portant les inscriptions prophétiques (XIXe).
— 1500-1510, Bourg-Achard, église Saint-Lô, baie 7
-Vierge à l'Enfant couronnée, dans une mandorle solaire, croissant de lune peu ou pas visible.
-14 rois de Juda dont David et sa lyre, Salomon en Africain
-4 prophètes et leurs inscriptions citant Isaïe (mais restauré au XIXe)
-Jessé assis sous sa tente, dans l'attitude du songeur. Inscription Virga Jesse Florida.
— 1523, Elbeuf, église Saint-Etienne (baie 9).
-Vierge à l'Enfant nimbée, dans une mandorle solaire, sur un croissant de lune.
-10 rois tenant des sceptres, ou, pour David, sa lyre.
-4 prophètes autour de Jessé au registre inférieur.
-Jessé assis de face, sous son pavillon. L'arbre naît du sommet du pavillon.
-Nombreuses inscriptions sur les galons.
.
Le chantier du grand portail de la cathédrale 1502-1515
.
Le chapitre de la cathédrale est informé en 1502 que le grand portail (datant peut-être du XIIe siècle) menace de s'effondrer. En 1508 sont exposés à l'Hôtel de Ville les projets du maître maçon Jacques Le Roux et de son neveu Roulland Le Roux, qui allait lui succéder. Les premières assises sont posées en 1509, et les contacts avec des ymagiers (sculpteurs) sont établis. Le nom de Pierre Des Aubeaux apparaît en septembre 1511, assisté d'un puis deux "valets" ou assistants. Son salaire est le plus élevé, supérieurs à celui des autres ymagiers, Jean Théroulde et Jean Poulain notamment. Il est alors débattu de grandes statues d'archevêques de Rouen, financées par des souscriptions auprès des chanoines du chapitre, et du cardinal Georges II d'Amboise.
Le tympan avec son arbre de Jessé et ses voussures apparait aux comptes de 1512-1513. Le prix attribué à Des Aubeaux pour le tympan est considérable : 500 livres. Dans les voussures, les Prophètes sont de Pierre des Aubeaux, les Sibylles ainsi que les Anges et les Chérubins sont de Nicolas Quesnel, et les Patriarches, de Richard le Roux.
Un Cardin Jovise reçoit en juillet 1512 8 livres pour un "grand portrait" de l'arbre de Jessé, sans doute une mise au net de l'esquisse.
Pierre Des Aubeaux est un sculpteur rouennais alors suffisamment réputé pour qu'une confrérie de l'Assomption de Gisors lui commande en 1510 pour sa chapelle une grande hystoire à la louange de Notre-Dame. Il en persiste à la Collégiale de Gisors les litanies de la Vierge, inspirée de la composition identique placée au dessus de la Dormition de la Vierge à l'abbatiale de Fécamp, également attribuée à Des Aubeaux .
"Il réalise une statue de saint Étienne pour la chapelle éponyme, inaugurée à Noël 1512. Haute de 2 mètres, elle a été peinte et dorée par Louis Le Pilleur. Elle se trouve dans le « chapistrel » réalisé par Roulland Le Roux.
Il fait partie des 8 « ymagiers » engagés en 1519 pour la réalisation du tombeau du cardinal Georges d'Amboise. À partir de juin 1521, il est chargé de la réalisation du portrait du défunt à partir de deux portraits venus de Gaillon pour l'aider dans son exécution. Il est ensuite chargé, avec l'aide de Chaillou et Therouyn, de la réalisation d'un orant pour le neveu Georges II d'Amboise. " (Wikipedia)
.
.
DESCRIPTION.
.
Après ce long préambule, nous voilà très curieux de découvrir quel parti-pris a été décidé par les commanditaires du tympan du portail principal de la cathédrale. Il comporte 18 figures.
À la base du tympan, Jessé, à demi couché sur le côté dans l'attitude du songeur, est entouré des statues de grande taille de quatre Prophètes (ce serait Isaïe, Jérémie, Ezéchiel et Daniel).
De son flanc gauche s'élève un puissant rameau sur les branches duquel viennent s’étager les 12 Rois de Juda. Nous verrons que je pense reconnaître, à la meilleure place, le roi David grâce à sa lyre.
Marie trône au sommet du tympan, telle qu’elle apparaît dans la vision de l’Apocalypse, « nimbée de soleil », et jadis couronnée.
La principale différence avec les verrières normandes est la position allongée de Jessé. Elle sera largement reprise, par exemple à Gisors en 1589. Elle est déjà présente à Burgos en 1483-1486. Mais sur la tenture de N.D. de Nantilly à Saumur, datant de 1529 et donc contemporaine de ce tympan, Jessé est assis, accompagné de 12 prophètes et de 12 rois désignés par leur nom.
Une lithographie de ce tympan a été donnée dans les planches gravées des Voyages pittoresques de Nodier et Taylor en 1825. J'en présente ici le relevé.
.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
.
.
Planche 136 des Voyages pittoresques. Dessin de Fragonard 1823, lithographie de G. Engelmann.
On remarque que les deux prophètes de gauche, et la Vierge, conservent leur tête.
.
.
.
.
.
LE REGISTRE INFÉRIEUR. LES HUIT PREMIERS PERSONNAGES.
.
.
Jessé rêvant est semi-couché sur le côté droit, la tête appuyée sur la main accoudée.
C'est bien par un songe que Jessé a vu se dérouler sa descendance en une longue suite de rois.
Le riche propriétaire de troupeaux est figuré barbu, indiquant son grand âge. Il est vêtu d'une longue robe et chaussé de sandales à extrémités pointues dont la partie antérieure est marquée de "crevés" relevant de la mode des courtisans de François Ier et Henri II. Les manches, et les pans, forment des plis en rideaux successifs. Un pan est crénelé.
"Cette œuvre certaine nous permet de prendre connaissance d'un système de draperies que l'on rencontre chez Desobeaux beaucoup plus fréquemment que ce que j'appellerai sa draperie noble. C'est un système presque entièrement inorganique avec des paquets de plis par place, des sinuosités arbitraires, à l'extrémité inférieure, souvent des bords frangés et effilochés. " (M. Aubert)
Il porte deux larges colliers pectoraux, évoquant vaguement ceux des grands prêtres. La coiffure est un bonnet à rabats, non conique.
L'arbre prend racine dans le flanc gauche de Jessé, s'élève obliquement en une volute et donne toute de suite quelques feuilles.
.
.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
.
.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
.
.
LES DEUX PROPHÈTES DE GAUCHE.
.
Rien ne permet de les identifier à défaut d'inscription. J. Le Maho indique les noms d'Isaïe et Jérémie, qui sont les prophètes de base des Arbres de Jessé.
.
Leur tête a été brisée, ainsi que les mains, celles qui traditionnellement adoptent le geste de la prophétie; doigt levé, ou désigne la réalisation effective de celle-ci, la vierge enfantant. Mais ces gestes se devinent par leur esquisse par les avant-bras.
.
Le premier, "Isaïe", garde une petite barbiche qui a échappé à la masse des iconoclastes. Il porte une robe et un manteau, et un mélange s'effectue entre le costume contemporain, et celui qui, dans l'iconographie, permet de faire reconnaître au spectateur qu'on a affaire à un personnage de l'Ancien Testament. Pour cela, le sculpteur a à sa disposition un vocabulaire codifié, soi-disant hébraïque (avec des franges, des glands de passementerie) ou exotique et oriental (comme, plus loin, les turbans). La ceinture frangée, ou la frise pectorale relèvent de ces codes. Certainement, bien que cela tient aussi des traits stylistiques du sculpteur, la surcharge des manches superposées est encore à mettre sur ce compte des codes hébraïsants, même si les crevés en ligne de I est aussi propre à la mode du temps.
Il porte, sur des pieds nus, des sandales plus spartiates, plus "romaines" à mes yeux, que celles de Jessé que j'imaginai fourrées comme des pantoufles. Une lanière passe entre le premier et le deuxième orteil avant de se nouer derrière la cheville.
Alain Rey (Dict. hist. langue franç.) signale que les sandales étaient jadis un signe d'élection, réservé aux prêtres ou à l'aristocratie.
.
Son voisin, Jérémie, a les genoux dénudés, entre une tunique courte et des guêtres. Ses chaussures sont fines et enveloppantes, sans talon.
Son manteau pendouille, déborde, hésite entre l'oripeau et la tenture ; sa ceinture, à défaut d'être à pendeloques, s'orne de franges ou cannetilles, tandis qu'un gland de passementerie pend sous son camail.
.
Tous les deux ont le genou droit en avant, dans la posture de l'orateur distingué.
On a vu pourquoi la référence à Isaïe est incontournable dans un arbre de Jessé. Celle faite à Jérémie se justifie par cette citation (Jérémie 33:14-17)
" Voici, les jours viennent, dit l'Éternel, Où j'accomplirai la bonne parole Que j'ai dite sur la maison d'Israël et sur la maison de Juda. En ces jours et en ce temps-là, Je ferai éclore à David un germe de justice; Il pratiquera la justice et l'équité dans le pays. En ces jours-là, Juda sera sauvé, Jérusalem aura la sécurité dans sa demeure; Et voici comment on l'appellera: L'Éternel notre justice. Car ainsi parle l'Éternel: David ne manquera jamais d'un successeur Assis sur le trône de la maison d'Israël."
.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
.
.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
.
.
LES DEUX PROPHÈTES DE DROITE.
.
Ezéchiel et Daniel ? Pourquoi pas ?
On trouve Ézéchiel, au même titre que les onze autres prophètes, sur l'Arbre de Jessé de Chartres, mais pas au registre principal. Son verset 44:2 sur la porte close est reconnu comme une préfiguration de la virginité de Marie : et Porta Clausa figure parmi les Litanies sculptées par Pierre Des Aubeaux à Fécamp et Gisors, sous une porte fermée par une herse.
"Et l'Eternel me dit : Cette porte sera fermée, elle ne s'ouvrira point, et personne n'y passera ; car l'Eternel, le Dieu d'Israël, est passé par là. Elle restera fermée".
C'est à ce titre que le prophète figure sur l'Arbre de Jessé de Sens, devant une porte qu'il désigne du doigt.
Et dans le Speculum humanae salvationis, la miniature qui représente l'entrée close d'un temple porte l'inscription "Porta clausa significat Mariam".
Le personnage affiche les mêmes signes vestimentaires hébraïques, auxquels s'ajoute un bonnet conique à rabats perlés. Les pans du manteau sont festonnés, le bord inférieur de la robe porte sa série de franges réunies en bouquet, le camail est orné de plaques ou médaillons, tout comme le fermail du manteau. La main gauche est brisée. La pointe de chaussures fines et pointues dépasse du manteau.
.
Son voisin, appelons-le Daniel. Ce prophète accompagne Ézéchiel sur l'Arbre de Jessé de Sens. S'il est convoqué sur les Arbres, c'est, depuis la Bible des Pauvres et le Speculum humanae, en raison du verset Daniel 2:34 Videbas ita donec abscissus est lapis sine manibus, "Pendant que tu étais plongé dans la contemplation, une pierre se détacha sans l'intervention d'aucune main". On le voit aussi sur l'Arbre de Saint-Denis et celui de Chartres.
On retrouve le bonnet conique à rabats, la robe, le manteau trop ample, aux plis multiples, fendus et festonnés.
.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
.
.
LES TROIS PREMIERS ROIS DE JUDA.
.
Le tronc issu du flanc de Jessé se divise tris vite en une première branche qui part en volute pour produire une corolle de pétales servant de support à un premier roi.
Puis le tronc donne un deuxième rameau, mais qui est brisé et que nous récupérons un peu plus haut : lui aussi se termine par un petit bourgeon et une corolle, occupé par le deuxième roi.
Enfin, venant de plus haut, un rameau descend pour placer un troisième roi, plus petit, au dessus des pieds de Jessé.
.
.
.
Commençons par le décrire, puisqu'il est le plus bas placé.
.
Il porte une moustache et une barbiche, des cheveux longs, et un turban (c'est un roi oriental). Son sceptre, tenu en mai gauche, est brisé. Autre attribut notable, son collier, une chaîne dont je gage qu'elle était en or.
Mais le drapé exubérant est toujours là : le sculpteur ne l'a pas réservé aux prophètes.
.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
.
.
Le deuxième et le troisième roi.
.
.
Tous les deux s'accrochent aux branches pour ne pas tomber. Celui de gauche est peut-être assis, car son avant-bras droit est posé sur sa cuisse fléchie. La main devait tenir le sceptre.
Camail, robe, plis, replis et re-replis.
Celui de droite a gardé sa tête, ou bien cette dernière a été restaurée au XVIIe siècle, ou après 1825 ; on n'y voit pas de couronne. Le bras gauche et son sceptre sont brisés.
.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
.
.
.
.
LE REGISTRE MÉDIAN.
.
Le groupe des trois rois du centre. David ?
.
.
Le but de cet examen rapproché, on l'a peut-être deviné, est de rechercher des attributs permettant une identification.
Le roi du coté gauche tient un sceptre presque intact. Je remarque des bottes à rabats, un camail à gland frangé, un vaste manteau ouvert en corolle.
Celui de droite a perdu non seulement la tête, mais tout attribut, mais des franges et bords crénelés sont visibles sur le camail et la ceinture.
Le roi placé au centre pourrait être David, si on accepte mon hypothèse de reconnaître le montant d'une lyre, brisée vers le bas, mais portant encore l'attache de ses cordes.
.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
.
.
Les deux rois des branches latérales du côté droit.
.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
.
.
Les deux rois des branches latérales du côté gauche.
.
L'un est debout mais prosterné, l'autre a un genou à terre.
.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
.
.
LE REGISTRE SUPÉRIEUR. LES DEUX DERNIERS ROIS , LA VIERGE À L'ENFANT .
.
Les deux rois supérieurs se tournent vers la Vierge et l'Enfant, et fléchissent à moitié le genou. Ils portent des tuniques courtes sur des chausses ou des bottes à rabats. Les têtes ont été brisées, et aucun attribut n'est visible.
Les iconoclastes ont brisé l'Enfant, entièrement, et la tête de Marie : on ne peut postuler qu'elle était couronnée, comme sur la lithographie de 1825.
Elle est au centre d'une mandorle de rayons solaires, mais le croissant lunaire n'est pas présent.
.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
.
.
L'Arbre de Jessé (P. des Aubeaux, 1514) du tympan du portail central de la cathédrale de Rouen. Photographie lavieb-aile 2020.
.
.
ANNEXE.
L'ARBRE DE JESSÉ DU RECUEIL DE PALINODS DE JACQUES DE LIEUR.
Rouen BM Y.226a f. 34 :
Jacques de Lieur est échevin de Rouen et prince du Puy (concours de poésie) de l'Immaculée conception. Son recueil de poésie pieuses date de 1520 et s'accompagne de peinture sur velin ; il a été réalisé dans un atelier rouennais. Ces "palinods" précédés d'un calendrier forment une sorte de livre d'heures de l'immaculée conception.
L'arbre entoure une poésie : Jessé dans la marge inférieure est assis et donne naissance à deux tiges qui fleurissent en douze rois (dont Salomon à la peau noire et David à la lyre) montant jusqu'à la Vierge à l'Enfant.
.
.
.
.
.
SOURCES ET LIENS
.
—AUBERT (Marcel), 1927, " La cathédrale de Rouen par Marcel Aubert", Congrès archéologique de France, 1927, 89e session tenue à Rouen en 1926, article
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k356969/f95.item
"Tel qu'il nous apparaît aujourd'hui, avec les mutilations de 1562 et les restaurations du XVIIe siècle, dont la plupart, d'ailleurs, sont tombés à leur tour, l'Arbre de Jessé du tympan de Rouen donne l'impression d'une œuvre hybride et à demi manquée. Un réel effort vers la grandeur et la solennité dans les figures de Jessé et des quatre prophètes, contraste péniblement avec la mesquinerie, avec la fantaisie poussée, à mesure que les figures s'éloignent du regard, jusqu'à l'irrévérence, des Patriarches placés dans les rameaux de l'arbre et où on ne peut reconnaître que David avec un débris de harpe. Il en est notamment deux, au sommet, inclinés vers la Vierge mère, qui, avec leurs manteaux volants découvrant les chausses montantes, évoquent l'idée des bouffons de quelque mystère plutôt que d'ancêtres du Fils de Dieu.
Au point de vue monumental, c'est une grande nouveauté que cette composition embrassant toute la surface du tympan sans souci des divisions de l'appareil : il est évident du reste, que la conception même d'un arbre généalogique se prêtait mal à cette division et que Desobeaux a été plus influencé par les verrières contemporaines que par aucune œuvre de la plastique.
Cette œuvre certaine nous permet de prendre connaissance d'un système de draperies que l'on rencontre chez Desobeaux beaucoup plus fréquemment que ce que j'appellerai sa draperie noble. C'est un système presque entièrement inorganique avec des paquets de plis par place, des sinuosités arbitraires, à l'extrémité inférieure, souvent des bords frangés et effilochés. Muni de ces données, on s'attendrait à discerner au premier coup d'œil celle des voussures, la plus extérieure, qui lui est donnée par les textes."
— CORBLET (Jules) 1860 Etude iconographique sur l'arbre de Jessé, page 22.
https://books.google.fr/books?id=rchhxXXolF0C&pg=PA23&dq=riquier+%22arbre+de+jess%C3%A9%22&hl=fr&sa=X&ei=a_4bVK3DI-LH7Aam2IFI&ved=0CCYQ6AEwAQ#v=onepage&q=rouen%22arbre%20de%20jess%C3%A9%22&f=false
— LE MAHO (Jacques), CARMENT-LANFRY (Anne-Marie), 2012, "La façade occidentale", in La cathédrale Notre-Dame-de-Rouen, pages 245-263 © Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2010
https://books.openedition.org/purh/3811
— LEPAPE (Séverine), 2009, « L’Arbre de Jessé: une image de l’Immaculée Conception? », Médiévales, 57 | 2009, 113-136.
https://journals.openedition.org/medievales/5833
— LEPAPE (Séverine),2011 , "L’Arbre de Jessé normand et la question de l’Immaculée Conception", in Marie et la Fête aux normands, dir. Françoise Thelamon ; Presses universitaires de Rouen et du Havre , pages 195-209.
https://books.openedition.org/purh/10938
— NODIER (Charles), Taylor (J.), CAILLEUX (Alph. de ), 1825, Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France, Normandie, Didot l'Ainé, Paris, vol. 2, planche 136, page 169.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1040443d/f169.item
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84521450/f163.item.r=Voyages%20pittoresques%20et%20romantiques%20dans%20l
— PATRIMOINE-HISTOIRE.fr
https://www.patrimoine-histoire.fr/Patrimoine/Rouen/Rouen-Cathedrale-Notre-Dame.htm