Les deux Vierges de Pitié (kersantite, v. 1555) de l'arc de triomphe (1725) de l'église de Pleyben.
.
1°) Voir sur l'église de Pleyben :
.
2°) Voir sur les Pietà ou Vierges de Pitié du Finistère :
-
Le calvaire de Plourin-lès-Morlaix. Roland Doré, 1630
- Le calvaire de 1562 de l'église de Saint-Divy.
et hors blog:
.
PRÉSENTATION.
.
À l'entrée ouest de l'enclos paroissial, à gauche de l'ossuaire, l'arc de triomphe ou "porte triomphale" est une porte monumentale datée de 1725. Elle est surnommée en breton porz ar maro "porte de la mort" car c'est par elle que pénétrait le cortège funéraire, pour accéder au cimetière : elle s'intègre au mur de l'enclos entourant le cimetière.
L'arc monumental est en plein cintre surmontée d'un fronton courbe avec une niche sur chacune de ses faces. Sur la face est, on peut admirer une Vierge de Pitié ou Pietà encadrée de deux anges, et sur la face ouest, une sainte Trinité dont la colombe du saint Esprit a disparu (plus exactement, elle se retrouve de l'autre côté, indice précieux de la recomposition).
L'arc est surmonté d´une croix qui présente sur sa face est, un Christ en croix, et sur sa face ouest, une Vierge de Pitié.
Cet arc Triomphal" porte une inscription datée : "Nouel Favennec Fabrique 1725". Mais la date indiquée est celle d'une reconstruction, ou d'une recomposition, incluant des éléments du XVIe siècle, ce qui explique la présence de deux Pietà sur le même édifice. On rapprochera cette date de celle de la restauration de l'ossuaire ou chapelle funéraire en 1733.
.
Si l'objet principal de mon article est l'étude comparative de ces Vierges de Pitié avec celles des sculpteurs de kersanton de Landerneau, l'examen des autres éléments sculptés réserve de passionnantes surprises.
.
.
I. LA PORTE MONUMENTALE, CÔTÉ OUEST, VUE DE L'EXTERIEUR. LA VIERGE DE PITIÉ AUX TROIS LARMES.
.
.
.
L'inscription de 1725.
.
Je lis :
H : NO/VEL-FAVENN
EC. FAB/RIQVE 1725 (avec une hésitation avec 1705)
Soit : "Honorable Nouel Favennec, fabrique (fabricien) pour l'année 1725".
Il s'agit vraisemblablement de Noël FAVENNEC, né le 7 juillet 1668 à Kermenguy, Pleyben (le prénom de l'acte de baptême est "Nouel"), fils de , et décédé le 8 décembre 1735 à l'âge de 67 ans.
Kermenguy (graphie de la carte de Cassini à la fin de l'Ancien Régime) devient Kerminguy sur la carte d'Etat-Major puis aujourd'hui Kervingui, à 1 km au nord du bourg. Il est amusant de constater que la carte Maps indique pour ce lieu "Favennec Sabrina, fermé temporairement."
.
https://gw.geneanet.org/mcharoupis?n=favennec&oc=&p=noel
Noël Favennec est le fils de Guillaume (1642-1714) et de Marie Goff (1643-1696). Il a comme parrain son oncle le prêtre Nouel Favennec, décédé en 1716 . Il épousa Marie GUILLOU en 1685. Leur fils Germain est né en 1703.
.
Il appartient à une famille dont les membres sont très souvent cités sur les inscriptions de Pleyben, soit comme fabriciens, soit comme prêtres (Hierosme Le Favennec en 1595, Nouel Favennec entre 1695 et 1724), soit comme architectes et maçons ( maîtres François et son frère Germain Favennec, tous deux de Pleyben en 1718, reconstruisirent le croisillon sud du transept , puis Paul), soit comme habitants. Un François Favennec demeurait à Lelesguen. Le nom de la famille FAVENNEC apparaît souvent dans les inscriptions lapidaires de l'église ( l'inscription du pignon Sud énonce "JAN FAVENNEC GRAND FABRICE 1718") et de la chapelle Saint-Laurent ("FAIT FAIRE PAR I. FAVENNEC F[abricien]. 1731."). En 1694, la partie haute du clocher de l'église, frappée par la foudre s'écroula sur le croisillon sud, qui fut reconstruit par François et Germain Favennec.
Le calvaire du XVIe siècle de Garsaliou (Atlas n° 1465) porte une inscription avec le nom FAVENNEC, et un écu au calice identifiant ici un prêtre .
.
Note : remarquez la colombe du Saint-Esprit de la clef de voûte de la porte. Elle n'a ici aucun sens, mais provient vraisemblablement de la Trinité souffrante de la niche intérieur. L'Arc actuel a dû succéder à un arc d'entrée antérieur dont les éléments ont été réemployés.
.
.
.
.
Le buste d'ange (kersanton, v.1725 ?)
.
Il répond à une tête ailée identique du côté intérieur, et il est semblable à de nombreux autres angelots de l'église. Il une chevelure très abondamment frisée, et un amict à deux replis au dessus d'une collerette. Les pupilles sont creusées (comme le fait aussi Roland Doré)
Une analyse pétrographique des différents faciès de kersantite permettrait peut-être de remettre de l'ordre dans ce puzzle.
Ma proposition de datation tient compte du fait qu'un ange identique se retrouve, non seulement sur le côté est de cette porte, mais aussi sur la sacristie (1680-1690).
.
.
.
.
.
La Vierge de Pitié du côté ouest. Prigent ?, kersantite, XVIe siècle.
.
Elle occupe une niche à coquille pas parfaitement adaptée à son volume.
Elle est assise et tient le corps de son Fils sur ses genoux et soutient la tête de la main droite et le bras gauche de la main gauche. Les jambes du Christ se croisent; une jambe a été refaite.
Comme c'est très souvent le cas, le corps forme une diagonale et le bras droit, vertical, contraste avec le bras gauche horizontal.
Le corps de Marie est droit, hiératique, et ses traits sont figés.
Le détail émouvant est de retrouver ici les trois larmes si souvent rencontrées dans les Pietà de Bastien et Henri Prigent. Ces sculpteurs de Landerneau réalisèrent en kersanton le calvaire monumental en 1555, ainsi que la statue de saint Germain, et les deux personnages de l'Annonciation du porche sud. À la chapelle Saint-Laurent de Pleyben, ils sont l'auteur du calvaire (avec les trois larmes sous les paupières de Marie et de Jean).
Un autre élément stylistique des Prigent est le voile épais formant des plis cassés au dessus et autour du visage.
Néanmoins, dans son catalogue raisonné des sculpteurs sur pierre de Basse-Bretagne, E. Le Seac'h ne s'est pas prononcée sur l'attribution de ces deux Vierges de Pitié de l'arc triomphal, qu'elle ne mentionne pas.
La kersantite est d'un faciès assez médiocre, gris clair, de grain fin mais ponctué d'éléments minéraux altérés qui laissent par leur départ une miliaire de trous. Cela se retrouve sur la Trinité souffrance de la niche opposée.
Un deuxième article présentera la Vierge de Pitié sculptée par les Prigent pour le calvaire monumental.
.
.
.
II. LA PORTE MONUMENTALE VUE DE L'EXTERIEUR : LE CALVAIRE. SAINT SEBASTIEN (?) ET SAINT GERMAIN-L'AUXERROIS.
.
Au dessus du fronton, un calvaire d'1,20 m de haut, daté du XVe siècle par Yves-Pascal Castel, a été placé ici par ré-emploi. La Vierge et Jean, placé de profil, sont agenouillés au pied de la croix.
Les deux personnages appartiennent au même bloc de kersanton, tout comme la Vierge de Pitié de l'Est et les deux saints des côtés.
.
.
.
Saint Sébastien.
.
Le saint protecteur de la peste était particulièrement honoré à Pleyben, puisqu'il figure, sous saint Laurent, sur la bordure gauche de la chape de la statue de Saint Germain placée au dessus du porche sud.
On le reconnait à sa posture, les bras noués dans le dos à une colonne, à son pagne, à sa carrure athlétique, mais ici, aucune flèche, — ou aucun orifice de flèche— n'est visible. Son pied droit est, curieusement, posé sur une sphère, tandis qu'une tête joufflue voisine son pied gauche.
.
.
.
Saint Germain l'Auxerrois.
.
C'est du moins un saint évêque, mitré, bénissant et tenant la crosse, qu'on assimile de manière logique au saint patron de l'église. Les chaussures (ou pantoufles) sont à bout pointues.
.
.
.
III. LA PORTE MONUMENTALE VUE DE L'INTÉRIEUR : LE TRÔNE DE GRÂCE DU FRONTON.
.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Tr%C3%B4ne_de_gr%C3%A2ce#:~:text=Le%20Tr%C3%B4ne%20de%20gr%C3%A2ce%20est,verticale%20de%20la%20Sainte%20Trinit%C3%A9.
.
.
.
Le buste d'ange identique à celui du côté ouest.
.
.
.
Le Trône de grâce (ou Trinité souffrante).
On désigne ainsi la représentation de Dieu le Père assis sur une cathèdre et tenant entre ses genoux son Fils crucifié. Il manque ici la colombe (parfois sculptée entre la bouche du Père et la tête du Fils). Mais nous l'avons vue sur le côté ouest.
.
.
.
III. LA PORTE MONUMENTALE VUE DE L'INTÉRIEUR : LA VIERGE DE PITIÉ DU CALVAIRE, ET SES ANGES DE TENDRESSE.
.
La Vierge assise est encadrée par deux anges debout, de trois quart, dont l'un soutient la tête du Christ tandis que l'autre pose tendrement la main sur son genou.
Ce thème se retrouve sur le calvaire de la chapelle de Lanridec à Pleyben, mais avec un seul ange.
Ces anges entourant la Vierge de Pitié trouvent leur origine dans les quatorze pietà du Maître du calvaire de Tronoën (Saint-Jean-Trolimon, en Cornouaille) vers 1470. Sur ce calvaire, deux anges aptères soulèvent le voile de Marie dans un geste de tendresse qui a conduit Emmanuelle Le Seac'h à les qualifier d'anges de douceur. Ces 14 pietà du XVe siècle sont en granite.
Sept autres Pietà également recensées par Le Seac'h reprennent ce motif des anges autour de la Vierge et du Fils, cette fois-ci au XVIe siècle. Cinq se trouvent en Finistère, et j'ai décrit dans ce blog celle de la chapelle Saint-Herbot en Plonévez-du-Faou (en calcaire polychrome), ou celle de l'église Saint-Sauveur du Faou (à 3 anges et en granite polychrome). Aucune des sept n'est en kersanton.
L'inventaire de ces anges apportant leur aide et leur tendresse à la scène de la Vierge de Pitié n'est pas clos ; on peut citer ainsi le calvaire de Plovan, non loin de Saint-Jean-Trolimon. (Atlas Plovan 2449), et sa Pietà de kersanton.
.
.
.
Un gros plan permet de s'assurer de l'absence de larmes sur ce visage.
.
.
.
Note.
L'Atlas des croix et calvaires du Finistère signale également une autre Vierge de Pitié sur la commune de Pleyben, sur le calvaire de Le Drevers, datant du XVIè siècle (atlas n°1463).
.
.
.
SOURCES ET LIENS.
— ABGRALL (Jean-Marie), 1904, L'Architecture bretonne, Quimper, de Kerangal éditeur
https://bibliotheque.diocese-quimper.fr/files/original/f20eb990fd763d232327db92aeeb6869.pdf
" A quelque distance de cet ossuaire, une porte monumentale ou une sorte d'arc-de-triomphe formait l'entrée du cimetière. Sur la face Ouest, une niche abrite la statue de N.-D. de Pitié, et le fronton courbe qui en forme le couronnement est surmonté d'un Christ en croix accosté des statues de la Sainte-Vierge et de saint Jean. Une inscription donne la date de ce petit monument : NOVEL. FA VENNEC. FABRIQVE. 1725."
—ABGRALL (Jean-Marie), et Le Coz Y., 1908 “Pleyben : église, ossuaire, calvaire,” A. de Kerangal, Quimper, 31 pages
https://bibliotheque.diocese-quimper.fr/files/original/a0a5651f868070445ed8e54fb7eecff8.pdf
—CASTEL (Yves-Pascal), Les pietà du Finistère
http://patrimoine.du-finistere.org/art2/ypc_pieta.html
—CASTEL (Yves-Pascal), 1980, Atlas des croix et calvaires du Finistère
https://societe-archeologique.du-finistere.org/croix/pleyben.html
"1476. Pleyben, enclos no 1, sur la porte de l’ouest. k. 1,20 m. XVè s. Croix à fleurons carrés, crucifix, Vierge et Jean agenouillés au pied de la croix. Au revers, groupe de N.-D. de Pitié, sur les côtés, saint Germain et saint Sébastien."
— CASTEL (Yves-Pascal), 2001, Les Pietà du Finistère.( Revue bilingue breton-français Minihy-Levenez n°69 de juillet-août 2001)
http://patrimoine.du-finistere.org/art2/ypc_pieta.html
— COUFFON (René), LE BARS (Alfred), 1988, Notice de Pleyben, Diocèse de Quimper et de Léon, nouveau répertoire des églises et chapelles, Quimper, Association diocésaine, 1988, 551 p.
https://www.diocese-quimper.fr/wp-content/uploads/2021/01/PLEYBEN.pdf
—— COUFFON R., 1961, "L'évolution de la statuaire en kersanton" Mémoires de la Société d'émulation des Côtes-du-Nord, Saint-Brieuc t. LXXXIX, 1961 p. 1-45.
"Arc de triomphe, dit "Porz-ar-Maro" : il porte l'inscription : "H. NOVEL. FAVENN/EC. FABRIQVE. 1725." Sur la face ouest du fronton cintré, dans une niche, statue en pierre d'une Pietà encadrée de deux anges aptères. Sur le sommet du fronton, groupe de la Crucifixion."
— DEBIDOUR (Victor-Henri), 1953, La sculpture bretonne, étude d'iconographie religieuse populaire, Rennes, Plihon, pages 118-130
— DEBIDOUR (Victor-Henri), Croix et calvaires de Bretagne, photos de Jos Le Doaré
http://bibliotheque.idbe-bzh.org/data/cle_149/Croix_et_Calvaires_de_Bretagne__.pdf
— DEBIDOUR (Victor-Henri), La Vierge en Bretagne, photos de Jos Le Doaré
http://bibliotheque.idbe-bzh.org/data/cle_146/La_Vierge_en_Bretagne__.pdf
— LECLERC (Guy), 2007, Pleyben, son enclos et ses chapelles, éditions Jean-Paul Guisserot, 31 pages pages 18 et 19.
https://books.google.fr/books?id=hWctwxQfyhgC&pg=PA18&lpg=PA18&dq=sibylles+pleyben&source=bl&ots=kzc-VMkVBx&sig=29B6LVXN1nHu2s5hEpHEt3en1vA&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiI596WxpfVAhXH2xoKHQ5WDd4Q6AEIQjAF#v=onepage&q=sibylles%20pleyben&f=false
http://diocese-quimper.fr/images/stories/bibliotheque/pdf/pdf-Couffon/PLEYBEN.pdf
—LE SEAC'H (Emmanuelle), 2014, Sculpteurs sur pierre de Basse-Bretagne. Les ateliers du XVe au XVIIe siècle, PUR éditions, page 193.
— MONUMENTUM http://monumentshistoriques.free.fr/calvaires/pleyben/pleyben.html
— Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Enclos_paroissial_de_Pleyben
.