Les larmes en triangle (ou loup) noir des peintres byzantins crétois : L'icône de la "Déploration sur le Christ mort" (début XVIIe siècle) du Musée Historique d'Héraklion (Crête).
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Voir les autres Déplorations (classées par ordre chronologique approximatif) :
L'icone étudiée ici est conservée dans les collections du Musée historique d'Héraklion. Elle date du XVIIe siècle et provient du monastère de Savvathione près du village de Rodgia, à 22 km au nord-ouest d'Héraklion.
C'est une copie de la Lamentation sur la tombe, ou icône du Thrène, d'Emmanuel Lambardos, peinte à la fin du XVIe/début du XVIIe siècle et conservée au Musée byzantin d'Athènes.
"Emmanouíl Lambárdos, en grec moderne : Εμμανουήλ Λαμπάρδος (1567-1631), également appelé Manolitzis, est un peintre de la Renaissance crétoise grec. Emmanuel et son neveu Emmanuel Lampardos sont très difficiles à distinguer car ils sont des peintres actifs à la même époque. Son style était la maniera greca typique avec une forte influence vénitienne. D'innombrables images de la Vierge et de l'enfant ont survécu. De nombreux artistes grecs et italiens ont imité les célèbres peintres. Le nom de Lambárdos était très notoire en référence à l'art crétois. La famille était affiliée à de célèbres peintres. Plus de cinquante-six icônes sont attribuées à Lambárdos." (Wikipedia)
Avec Emmanuel Lambardos, très influencé par l'art Paléologue du XVe siècle, nous assistons, au début du XVIIe siècle, à un retour délibéré vers les formes d'art antérieures de la peinture crétoise.
Une autre copie datée du premier quart du XVIIe siècle est conservée au Musée du Petit-Palais à Paris.
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Le thème de la Lamentation (Epitaphios ou Thrène).
Les chrétiens qui célèbrent les mystères de la Rédemption à travers le rite byzantin, connaissent déjà cette représentation qu'ils retrouvent sur l'Epitaphios.
L'icône de l'Epitaphios représente le Christ couché, après qu'il a été descendu de la croix, comme si son corps était en train d'être préparé pour l'ensevelissement (cf la "pierre de l'Onction" ou de "pierre de l'embaumement" (Jean Fouquet v. 1452). La scène est tirée de l'Évangile selon saint Jean, 19:38-42, passage qui décrit la mise au tombeau du Christ. On trouve, représentés autour de ce dernier, et en deuil : sa mère (la Théotokos ou Très Sainte Vierge Marie), Jean le disciple bien-aimé, Marie-Madeleine, les bras levés en signe de lamentation, Joseph d'Arimathie, et Nicodème tandis que des anges et d'autres personnages peuvent également figurer dans l'œuvre.
Cette représentation reste sur l'autel de la nuit de Pâques jusqu'à l'Ascension. En Grèce et dans les îles grecques, la déploration devient un thème iconographique à partir du XVe siècle.
En Grèce antique, un thrène (du grec ancien θρῆνος / thrếnos, de θρέομαι / thréomai, « pousser de grands cris »), aussi appelé mélopée, est une lamentation funèbre chantée lors de funérailles. Dans la littérature grecque antique, le thrène, chanté par des aèdes, rappelle la vie du défunt ; il alterne avec les gémissements des femmes (γόος / góos).
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Description.
L'icône est peinte a tempéra et or sur bois enduit. Les mensurations doivent se rapprocher de celles de son homologue parisienne : 30,5 cm de haut et 39,5 cm de large, ou de l'icone originelle (41,5 cm x 52 cm).
Elle porte de part et d'autre de la croix, sur le fond en or, l'inscription en caractères grecs O EPISTAPHIOS [O] THRENOS. Les noms des principaux personnages sont inscrits sur leur nimbe.
Au pied de la croix, est couché sur une dalle plate le corps du Christ, entouré par ses amis aux visages attristés et attendris : Jean, penché sur le corps, Joseph d'Arimathie, penché vers les pieds du cadavre les mains sur le linceul, Nicodème appuyé contre l'échelle de la déposition, Marie Madeleine cheveux dénoués qui lève les bras au ciel, et cinq autres femmes. Marie, assise, entoure de ses bras le visage du Christ dont elle soutient la tête sur ses genoux. Seuls Marie, Jean, le Christ et Joseph d'Arimathie sont nimbés, et, notamment, Marie-Madeleine ne l'est pas.
Devant la pierre, un panier contient les clous et les tenailles. Une cruche pourrait contenir des onguents.
La scène est encadrée par les pentes escaropées de montagnes.
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Le triangle noir des larmes, en masque.
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Le but de cet article est d'attirer l'attention sur le code pictural qui consiste à représenter les larmes des personnages éplorés par un triangle sombre, pointe très éffilée vers le bas de chaque œil. Ce triangle se prolonge vers la tempe par une autre pointe, et forme avec le fond de l'orbite et un autre effilement frontal un quadrilatère sous la ligne du sourcil. Il forme ainsi une sorte de loup de déploration, seulement chargé de la ligne blanche des paupières, de l'éclat pupillaires et peut-être de taches lacrymales.
Il est présent sur les dix personnages réunis autour du Christ.
Ce détail se retrouve sur les différentes copies et sur l'œuvre originelle.
Cette tradition byzantine s'oppose à celle des peintres et sculpteurs occidentaux des XVe et XVIe siècles, qui tracent plusieurs larmes (souvent trois) de couleur blanche. Voir ici les Déplorations et Calvaires des Prigent en Basse-Bretagne.
Ce triangle se retrouve aussi sur les personnages d'une icône crétoise de la Dormition, de la même époque, et de celle du Noli me tangere de Michel Damascène (v. 1530-v.1593)
Icône (XVIIe s. d'après E. Lambardos) de la Déploration sur le Christ mort du Musée Historique d'Héraklion. Photographie lavieb-aile 2023.
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La Vierge.
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Icône (XVIIe s. d'après E. Lambardos) de la Déploration sur le Christ mort du Musée Historique d'Héraklion. Photographie lavieb-aile 2023.
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Jean.
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Icône (XVIIe s. d'après E. Lambardos) de la Déploration sur le Christ mort du Musée Historique d'Héraklion. Photographie lavieb-aile 2023.
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Marie-Madeleine.
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On notera l'attitude de Marie-Madeleine, bras levés en signe de lamentation expressive, propre au Thrène, et à la tradition byzantine, et bien différente de celle de l'art occidental où elle se tient aux pieds du Christ, tenant son pot d'onguent et esquissant parfois un geste d'embaumement.
Icône (XVIIe s. d'après E. Lambardos) de la Déploration sur le Christ mort du Musée Historique d'Héraklion. Photographie lavieb-aile 2023.
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Marie-Madeleine et saintes femmes.
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Icône (XVIIe s. d'après E. Lambardos) de la Déploration sur le Christ mort du Musée Historique d'Héraklion. Photographie lavieb-aile 2023.
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Joseph d'Arimathie et saintes femmes.
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Icône (XVIIe s. d'après E. Lambardos) de la Déploration sur le Christ mort du Musée Historique d'Héraklion. Photographie lavieb-aile 2023.
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Nicodème.
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Icône (XVIIe s. d'après E. Lambardos) de la Déploration sur le Christ mort du Musée Historique d'Héraklion. Photographie lavieb-aile 2023.
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L'icône peinte et signée, en bas, par Emmanuel Lambardos (Musée d'Athènes) :
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SOURCES ET LIENS.
—DALÈGRE, Joëlle. Venise en Crète : Civitas venetiarum apud Levantem. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Presses de l’Inalco, 2019 (généré le 25 septembre 2023). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pressesinalco/19019>. ISBN : 9782858313020. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pressesinalco.19019.
La « Renaissance crétoise » The Cretan Renaissance Η Κρητική Αναγέννηση
Le sang et les larmes : le retable de la Passion (chêne polychrome, vers 1483) du maître d'Arndt au musée de Cluny, cl. 3269.
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PRÉSENTATION.
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Ce retable de 97 cm de haut, de 90 cm de large (ouvert) et 45 cm de large (fermé) et de 21,5 cm de profondeur a été acquis par le musée du Moyen-Âge de Cluny à Paris en 1861, de l'ancienne collection Soltykoff.
Il est attribué au maître Arndt (ou Arnt) de Zoole, et proviendrait de l'ancienne chartreuse de Ruremonde ou Roermond dans la province du Limbourg, aux Pays-Bas : le donateur qui y figure est un moine chartreux.
Ce petit retable offre l'un des témoignages les plus expressifs de l'art de Maître Arnt, en raison de la qualité exceptionnelle de son exécution et de la polychromie originale intacte. La scène de la Lamentation du Christ au pied de la colline du Golgotha est méticuleusement sculptée avec un rendu nuancé des émotions des personnages.
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Histoire du retable :
Selon l'hypothèse de Leeuwenberg et Gorissen il aurait appartenu vers 1483 à la Chartreuse de Bethlehem à Roermond (fondée en 1387 et dissoute en 1783), et aurait pu se trouver dans la cellule d'un chartreux pour sa dévotion privée sur les souffrances endurées par le Christ, dévotion conseillée par Ludolphe le chartreux prieur de Coblence dans sa Vita Christi imprimée à Cologne en 1472 . On le retrouve ensuite décrit en 1847 dans l'inventaire de la collection privée constituée dès 1830 par Louis Fidel Debruge-Dumenil, sous le n°1481 (description en bibliographie), puis dans la collection privée du prince Peter Soltykoff à Paris, jusqu'à sa mort en 1861. Elle entre alors dans les collections du Musée de Cluny, et se trouve décrit dans l'inventaire dressé par Edmond du Sommerard en 1867 n°710, avec une attribution à Martin Schongauer. Alexandre du Sommerard en avait donné une illustration en 1838 dans l'atlas de son Les Arts au Moyen-Âge en attribuant les peintures à Lucas de Leyde. Il est inscrit au Musée National du Moyen Âge - Thermes et hôtel de Cluny, Paris sous le n° d'inventaire CL. 3269. Il est désormais attribué (Leeuwenberg et Gorissen) au Maître Arnt de Zwolle (également appelé Arnt van Swol, ou Arnt von Kalkar und Zwolle, Arndt Beeldsnider c'est à dire « Arnt le sculpteur »), peintre et sculpteur de la région du Bas-Rhin actif de 1460 à 1492 environ, et mort en janvier 1492. Son patronyme n'est pas connu. Il travaille d'abord à Kalkar (Allemagne, ex duché de Clèves, Rhénanie du Nord-Westphalie, près de Clèves) pour les ducs de Clèves avant de partir s'installer à Zwolle (Pays-Bas, province d'Overijssel), probablement pour fuir une épidémie de peste. Il est, dans les années 1460-1490, un des plus grands artistes de la région du Rhin inférieur.
L'hypothèse d'une attribution des panneaux peints au cercle du Maître du retable de Bartholomée (Meester van het Altaar van Bartholomeus) a été proposée par Meurer en 1970. D'autres (Budde/Krischel 2001; Defoer 2003) y ont vu le travail d'un peintre anonyme de Nimègue. Source :
Le retable a été restauré en 2015. Il a été exposé au musée Schnütgen de Cologne en 2020-2021, dans le cadre d'une importante exposition réunissant une soixantaine d'œuvres du Maître Arnt de Zwolle.
L'auteur du retable : le maître Arnt de Kalkar et Zwolle.
Ses sculptures s'inscrivent dans la tradition des écoles de Bruxelles, d'Anvers et d'Utrecht. Parmi les œuvres qui peuvent lui être attribuées avec certitude (selon Wikipedia):
un Christ au tombeau réalisé pour l’église Saint-Nicolas de Kalkar en 1487-1488 ; les saints personnages semblent en larmes, une sainte femme s'essuie les yeux ; mais la perte de la polychromie et la définition insuffisante du cliché disponible ne permet pas de s'en assurer. "La figure du "Christ au tombeau" commandée par la Confrérie Notre-Dame de Kalkar en 1487 est également de grande qualité. Elle était destinée au chœur de l'église Saint-Nicolas de Kalkar et est maintenant installée dans le chœur latéral sud. grandeur nature, sur une tumba (plus récente) Le cadavre allongé du Christ révèle les signes de la mort avec beaucoup de vérisme : le regard semble brisé, la rangée supérieure de dents est visible dans la bouche ouverte ."
le grand retable de la Passion (5 mètres ouvert) ou Georgsaltar (Maître Arnt, Derick Baegert, Ludwig Jupan ) de l'église Saint-Nicolas de Kalkar, réalisé par l'atelier en 1490-1491 et dont certains éléments sont directement attribuables à Maître Arnt, comme le Lavement de pieds à la prédelle.
"L'autel Saint-Georges est composé d'un retable posé sur un pied d'autel. Le retable lui-même est formé d'un panneau central entièrement sculpté et de deux volets latéraux dont les panneaux sont peints. L'ensemble est posé sur une prédelle en trois compartiments sculptés, et dont le pied lui-même contient une série d'images du Christ et de saints.
La composition actuelle du retable est récente. La prédelle inférieure, avec les images du Christ et de saints peints vers 1490 par Derick Baegert, provient d'un autre retable, dédié à saint Sébastien. La prédelle supérieure montre trois compartiments de sculptures, de l'atelier de Ludwig Jupan, créés entre 1506 et 1508. Ils proviennent également d'un autre autel
La partie centrale du retable est l'œuvre de Maître Arnt, aussi appelé Arnt van Zwolle, ou Arnt Beeldesnider, et se présente dans sa forme originelle. Le panneau a été commencé vers 1480 et achevé en 1492. La vie et le martyre de Georges, comme racontés par la légende, sont décrits dans neuf scènes.
La sculpture de maître Arnt est caractérisée par un style à la fois gracieux et plein de tensions internes, rendu par un traitement très fin détaillée de la surface. On est dans la période du Moyen Âge finissant, lorsque la gravure sur cuivre ou sur bois se manifeste comme un genre nouveau qui influence aussi les autres formes d'art.
La prédelle date du début du xvie siècle. Dans sa partie supérieure, trois compartiments présentent la Lamentation, la Messe de saint Georges, et le Martyre de saint Érasme. Les peintures des ailes latérales datent de la même époque. Elle montrent, sur les panneaux intérieurs, deux épisodes de la vie de sainte Ursule, avec au fond la silhouette de Cologne, et sur les panneaux extérieurs saint Georges combattant le dragon, et saint Christophe."
Une Adoration des mages, (Anbeitung der Heiliger drei könige), haut-relief de belle envergure 137 cm × 101 cm × 40 cm. Elle est conservée au Schnütgen Museum de Cologne et datée de 1480-1485. Quatre fragments dont trois personnages ont été retrouvés en 2019 et sont venus compléter ce haut-relief : un serviteur agenouillé qui déballe d'un sac un cadeau pour l'enfant Jésus , et deux autres compagnons des rois, qui conversent en face à face se font face en conversation. En arrière plan, la suite royale arrive en un long cortège avec des chevaux et des chameaux.
L'individualisation des personnages, de plus en plus fréquente dans l'art de la fin du Moyen Âge, s'observe clairement dans les sujets représentés : les rois sont clairement reconnaissables comme représentants des trois âges. Melchior est agenouillé à gauche de Marie, tenant en offrande une pièce d'orfèvrerie en or. Un donateur, est agenouillé mains jointes à la droite de Marie : c'est un seigneur, barbu, au crâne dégarni, l'épée au côté, le casque posé à terre. Derrière lui, deuxième roi, Gaspard un homme d'âge moyen, tient un vase rempli d'encens. Le regard de l'enfant est tourné vers le plus jeune roi, Balthasar, qui est représenté avec une couleur de peau foncée et une boucle d'oreille en tant que représentant de l'Afrique. Selon la compréhension médiévale, les trois rois représentaient non seulement les âges de la vie humaine, mais aussi les continents connus à l'époque : l'Europe, l'Asie et l'Afrique. D'un geste ample, le roi noir, vêtu d'une robe extravagante, s'apprête à retirer sa couronne-turban pour rendre hommage à l'enfant Jésus. Le bras droit de la figure du roi artistiquement sculpté dépasse le bord du relief et souligne une fois de plus la mise en scène théâtrale de cette extraordinaire Adoration des Rois Mages.
Une Lamentation, datée de 1480, 54 × 40 cm, au Rijksmuseum. Cette sculpture, identique à la Déploration du retable de Cluny, mais dont la polychromie est presque entièrement perdue, formait la partie centrale d'un petit retable pour une moine chartreux qui figure à genoux sur le côté droit en bas. Le relief provient probablement du monastère des chartreux de Roermond.
D'autres œuvres lui ont été attribuées, à son atelier ou à son entourage. Elles sont toutes en chêne polychrome, décapé ou peint.
"Le maître-autel a été commencé en 1488 par Maître Arnt,, mais est resté inachevé à sa mort en 1492. En 1498, Jan van Halderen a contribué à son achèvement ; il a été terminé en 1498-1500 par Ludwig Jupan de Marburg. Les peintures des ailes latérales ont été créées entre 1506 et 1508 par Jan Joest.
Le retable ouvert a pour thème la Passion du Christ. La représentation est répartie sur le panneau central, mais elle commence dès la prédelle, avec l’entrée à Jérusalem et la Cène, et se poursuit sur les tableaux du volet droit avec la Résurrection, l'Ascension, la Pentecôte et la Mort de la Vierge.
Le retable sculpté donne à voir une superposition et un enchevêtrement d'un très grand nombre de scènes petites et grandes autour de la vie et de la Passion de Jésus avec, comme couronnement, la scène de la crucifixion dans le haut de la partie centrale. On peut observer que le retable est composé de morceaux sculptés individuellement puis assemblés; avec le temps, cette composition apparaît plus clairement. La peinture des panneaux, d'usage à l’époque, aurait caché les coupures, mais les panneaux n'ont pas été peints, soit par manque d'argent, soit parce que les goûts avaient évolué.
Les scènes principales sont le Portement de croix, en bas à gauche, au-dessus le Christ à Gethsémani, puis encore au-dessus, et plus petit, deux scènes avec Judas et les soldats, et la trahison de Judas. Au centre, sous la Crucifixion, Marie en douleur et Véronique avec le suaire. Dans la partie droite, les soldats se disputent les vêtements du Christ ; au-dessus la Déposition et la Mise au tombeau. Il faut donc lire chronologiquement les scènes de la gauche vers la droite, sur la partie gauche de haut en bas, et sur la partie droite de bas en haut.
Les scènes ont été sculptées avec une précision de détails et une virtuosité technique remarquables. On le voit en particulier dans les plis des vêtements et le rendu de coiffures, par exemple dans la dispute des soldats. Aussi chaque visage a une expression propre. On peut supposer que tous ces personnages ont eu pour modèle des gens de Kalkar de l’époque.
La conception d'ensemble du retable est due à Arnt lui-même. Des documents montrent l'achat, par la confrérie de l'église, de bois en des lieux divers. Arnt travaille à Zwolle où il a son atelier. Après son décès en 1492, les diverses parties sont transportées de Zwolle à Kalkar et complétées, d'abord en 1498 par Jan van Halderen qui réalise l’entrée à Jérusalem et la Cène, dans la prédelle. La même année 1498, Ludwig Jupan est chargé d'achever le retable qu'il termine en 1500. Ludwig Jupan a été identifié au Maître Loedewich. Quelques années plus tard, il réalise l’autel de Marie, dans la même église.
Les deux peintures tout en haut de l’autel représentent le sacrifice d'Abraham et Moïse et le serpent d'airain. Le retable fermé montre des peintures allant de l'Annonciation à la scène du temple, et d'autres événements ultérieurs, à savoir le Baptême du Christ, Transfiguration, Jésus et la Samaritaine, et la Résurrection de Lazare (représentée sur le marché de Kalkar)."
Sa peinture est influencée par Rogier van der Weyden et Adriaen van Wesel . Elle a également été rapprochée de celle de son contemporain, le Maître de saint Barthélemy.
"Arnt, également appelé Arnt von Kalkar et Arnt von Zwolle du nom de ses principaux lieux de travail, est l'un des sculpteurs gothiques tardifs les plus importants de la région du Bas-Rhin .
Selon Heribert Meurer, toutes les sources d'archives à Clèves, Kalkar et Zwolle qui mentionnent le nom entre 1460 et 1492 peuvent être liées à sa personne. Après avoir éventuellement suivi une formation à Clèves auprès d'un sculpteur travaillant à Arnhem ou à Nimègue, Arnt a dû acquérir la citoyenneté de Kalkar en 1453. En 1460, il réalise un blason pour la cour bruxelloise du duc Jean Ier de Clèves . En 1479, il a probablement livré trois œuvres d'art commandées de lui à Zwolle de Kalkar. Il s'y installa avec son atelier en 1481/1484, mais continua à travailler pour Kalkar.
L'une de ses œuvres les plus anciennes et en même temps les plus importantes est les stalles du chœur créées en 1474 à la suite d'un don du duc Jean Ier de Clèves dans l'ancienne église minoritaire de Clèves de la conception Sainte-Marie, aujourd'hui église paroissiale catholique. Les stalles du chœur à deux rangées en chêne, qui ne sont plus complètement conservées, montrent des reliefs de diverses saintes telles qu'Elisabeth, Bernardine de Sienne, Barbara et Madeleine ainsi que des figures libres de Claire d'Assise et de Louis de Toulouse sur les deux- parois latérales de l'histoire. Des drôleries à peu près réalistes couronnent les panneaux latéraux bas et les miséricordes.
Alors que Meurer date le sanctuaire central du retable de l'autel Saint-Georges de l'église Saint-Nicolas de Kalkar entre 1490 et 1492, Hilger soutient qu'il a été réalisé avant 1484. Un panorama uniforme forme la toile de fond de sept scènes de la légende de Saint-Georges. Le reatble a été fabriqué à partir de seulement quatre blocs de bois, seuls quelques ajouts de détails de sculpture ont été nécessaires.
En raison de sa mort en 1492, il n'a pas été en mesure d'achever les vastes travaux sur le sanctuaire central du retable du maître-autel de Kalkar, pour lequel il avait été commandé en 1488 par la Confrérie de Notre-Dame de Kalkar et dont il était responsable de la planification globale. Des parties du Calvaire ainsi que la scène de la prédelle « Le lavement des pieds du Christ » doivent être considérées comme des œuvres autographes.
Son atelier est également important : on peut mentionner Jan von Halderen, Dries Holthuys (avant 1480-après 1528), Henrik Bernts (mort en 1509), Kersten Woyers (mort après 1520) et Tilman van der Burch ."
Gorissen, Friedrich, Un crucifix inconnu de Maître Arnt, dans : Simiolus 3 (1968/1969), pp. 15-21.
Hilger, Hans Peter, Stadtpfarrkirche St. Nicolai in Kalkar, Kleve 1990.
Meurer, Heribert, The Klever choir stalls and Arnt Beeldesnider, Bonn 1968
Schulze-Senger, La décoration d'autel gothique tardif de l'église Saint-Nicolas de Kalkar: Aspects d'un développement vers la version monochrome du gothique tardif sur le Bas-Rhin, in: Krohm, Hartmut/Oellermann, Eike (éd.) Autels ailés de la fin du Moyen Âge, Berlin 1992, p.23-36
Trauzeddel, Sigrid, Arnt Beeldsnider, dans : Allgemeines Künstlerlexikon, Volume 5, 1992, pp. 254-255.
Westermann-Angerhausen, Hiltrud (Red.), Arnt von Kalkar et Zwolle - The Three Kings Relief, Cologne 1993.
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LES DIX PANNEAUX PEINTS : HUIT SCÈNES DE LA VIE DE JÉSUS.
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Certains auteurs attribuent les peintures au sculpteur, le Maître Arnt. Le peintre pourrait être aussi le Maître du retable de saint Barthélémy (c. 1445 - Cologne , c. 1515), nom de convention d'un peintre et enlumineur de livres qui est vraisemblablement originaire des Pays-Bas et qui a principalement travaillé en Allemagne, en particulier à (près de) Cologne. Il est aussi appelé Maître de Saint Barthélemy .
Bien que l'on sache peu de choses sur la vie de l'artiste, son travail et sa carrière peuvent être suivis par des experts sur la base de son style. Le nom du maître fait référence à l' Autel de Saint-Barthélemy , un retable qu'il a réalisé pour l'église Saint-Kolumba de Cologne . La pièce date de la période 1505-1510 et montre l'apôtre Barthélemy en compagnie des saintes Agnès et Cécile . Il se trouve maintenant à l ' Alte Pinakothek de Munich .
Étant donné qu'une grande partie du travail de cet artiste se rapporte à l' Ordre des Chartreux , on soupçonne qu'il a lui-même été impliqué dans cet ordre en tant que moine ou en tant que frère convers.
Que le maître soit venu des Pays-Bas (du nord), ou du moins y ait été formé, peut être déduit d'un ouvrage ancien, datant d'environ 1475 : le Livre d'heures de Sophia van Bylant, une œuvre du livre gothique tardif . illumination faite dans les environs d'Arnhem ou d'Utrecht.
D'autres retables de sa main sont l'autel marial (Alte Pinakothek) datant d'environ 1480 et les pièces faites pour Cologne pour l'autel de Thomas (vers 1500) et l'autel de la croix (vers 1505), tous deux maintenant au musée Wallraf-Richartz . à Cologne.
Ses œuvres montrent des influences des peintres du sud des Pays-Bas Rogier van der Weyden , Hugo van der Goes et Dieric Bouts .
En plus du livre d'heures et des retables susmentionnés, diverses peintures de dévotion plus petites de lui sont connues.
L'art du maître du retable de Saint-Barthélemy est si distinctif que, bien qu'il y ait peu de documentation sur sa vie au-delà de ses œuvres, les érudits ont relativement facilement reconstitué sa carrière. Peintre, enlumineur et peut-être moine, il s'installe à Cologne, en Allemagne, vers 1480. Beaucoup de ses commandes les plus importantes ont été réalisées pour les Chartreux, un ordre reclus de moines qui avait été fondé près de quatre cents ans plus tôt par Saint Bruno. , originaire de Cologne. Stylistiquement indépendant, le Maître du Retable de Saint-Barthélemy ne semble pas avoir formé d'école. Les œuvres du maître, de style gothique tardif, sont admirées pour leurs gestes théâtraux, leurs couleurs exubérantes et leurs costumes ornés.
Le Maître du Retable de Saint-Barthélemy a probablement été formé aux Pays-Bas. L'une de ses premières œuvres est le livre d'heures de Sophia von Bylant, exécuté à Utrecht ou Arnheim vers 1475. Trois panneaux du retable de la Saint-Barthélemy, d'où le nom du Maître, se trouvent aujourd'hui à l'Alte Pinakothek de Munich.
I. LES QUATRE PANNEAUX EXTÉRIEURS, VISIBLES VOLETS FERMÉS.
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La Nativité et l'Adoration des Bergers.
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L'ange messager et les quatre anges orants portent des phylactères à inscription gothique indéchiffrables sur le cliché mis à notre disposition.
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L'Adoration des Rois Mages.
Melchior, à longue barbe et aux cheveux gris, est agenouillé pour présenter l'or ; il a posé sa couronne au sol. Sous un manteau de velours noir damassé d'or et à orfrois de perles, il porte une tunique de soie bleue à manches larges et des chausses ajustées rouges se prolongeant par des poulaines affinées en pointes.
Dans le respect de la tradition iconographique instituée par Bède le Vénérable, vient ensuite Gaspard, jeune encore, portant un coffre d'encens et montrant l'étoile qui les a guidé et est visible par ses rayons à l'union des deux panneaux. Il est vêtu d'une houppelande rouge.
Balthasar est le plus jeune, le plus fringant et, toujours selon la tradition, il a le visage noir et offre la myrrhe. Un turban souligne son origine exotique. Je ne peux préciser si il porte la boucle d'oreille habituelle. Nous remarquons en outre sa riche tunique courte de velours damassé, ses chausses vertes et ses poulaines.
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J. Leeuwenberg et Friedrich Gorissen démontrent de façon absolument convaincante que le paysage situé derrière l'Adoration des Mages peinte sur un des volets du retable du Musée de Cluny représente la ville de Kranenburg, près de Nimègue, sur le côté allemand de la frontière. On identifie, de gauche à droite, la porte de Nimègue, la cathédrale, la chapelle des Pèlerins, la tour du moulin et une autre tour à l'angle des anciens remparts. Un dessin de Cornelis Pronk montre le même aspect de la ville en 1731 et encore une photographie antérieure au bombardement de 1944.
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LES SIX PANNEAUX PEINTS DE LA PASSION, VISIBLES VOLETS OUVERTS.
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L'Agonie au jardin de Gethsémani.
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L'Agonie, détail : le paysage.
Est-ce, ce qui est probable, une vue identifiable d'une ville fortifiée de Rhénanie ou bien une vue stylisée de Jérusalem ?
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Photographie lavieb-aile.
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L'Arrestation du Christ au jardin des Oliviers.
Le même paysage est repris au fond.
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Vue de détail.
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Photographie lavieb-aile.
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La Flagellation.
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À l'intérieur du palais le Christ est lié à la colonne, et fouetté avec des lanières plombées de boules acérées (dont les marques s'impriment sur le corps nu), et flagellé de branchage. L'un des bourreaux, celui qui rit, porte sur sa tunique des lettres NAT---. Un troisième bourreau gravit l'escalier avec hâte. Les costumes sont typiques du XVe siècle
Une foule de curieux observe la scène, sur fond de ville flamande.
Au premier plan sont les officiers ou les notables juifs (en arrière), richement vêtus (tunique damassée, collants, houppelande sans manches, ).
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Le Couronnement d'épines.
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Le Portement de Croix, sortie des remparts de Jérusalem. Simon de Cyrène.
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Le Portement de Croix, détail.
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Photographie lavieb-aile.
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La Crucifixion.
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La Crucifixion, détail. Les larmes des visages.
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Nous retrouvons tous les détails habituels des enluminures, qui se retrouveront sur les calvaires bretons ou les Passions des verrières finistériennes : les deux larrons, à la braguette nouée par un lacet, liés sur leur gibet ; à gauche Longin perçant le flanc droit du Christ de sa lance ; à droite le Centenier se retournant vers ses hommes en levant le doigt pour dire vere filius dei erat iste.
La présence de Marie-Madeleine, somptueusement vêtue, agenouillée bras écartés devant le pied de la Croix, où ruisselle le sang du Crucifié. Son manteau qui est rejeté à l'arrière de ses épaules et tombe en traine derrière elle se retrouvera comme un stéréotype frappant sur tous les calvaires finistériens du milieu du XVIe siècle.
Marie en pâmoison, en robe bleue, voile et guimpe, soutenue par une sainte femme et par Jean, en robe rouge, qui regarde son Maître.
Mais ce qui m'intéresse le plus, c'est la présence de larmes, clairement visibles sur le visage de la Vierge. Celles-ci feront l'objet d'une discussion, après l'examen du retable sculpté, où elles se retrouveront.
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Photographie lavieb-aile.
Photographie lavieb-aile.
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Les larmes sont figurées par trois traits blancs en rayons divergents sous la paupière inférieure : chaque filet se dilate en goutte ovale finale.
C'est exactement ce que les sculpteurs de pierre de Landerneau (les Prigent) reprendront au milieu du XVIe siècle.
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Photographie lavieb-aile.
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LE RETABLE SCULPTÉ : LA CRUCIFIXION ET LA DÉPLORATION.
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Le sculpteur a créé un espace rectangulaire étroit évoquant une chapelle, ou un chevet gothique vitré de baies lancéolées et couvert d'une voûte à croisée d'ogives et clef pendante, agrémenté d'entrelacs à crochets formant résille.
La moitié supérieure, se détachant sur les lancettes à remplage savant, représente un Calvaire, avec la Croix (ayant perdu le Crucifié) encadré en V des lances de Longin et de l'éponge de vinaigre , les larrons sur leur gibet en tronc d'arbre (dont les postures reprennent celles de la peinture correspondante du volet), des anges voletant, le Golgotha portant les ossements (scapula ; iliaque ; fémur articulé à un tibia et un péroné, fémur seul ; vertèbres), et deux scènes à personnages de chaque côté : Judas dissimulé sous une capuche recevant les trente deniers d'un Juif à bonnet conique (avec deux nouveaux exemples d'étoffes damassées) ; et Joseph d'Arimathie en pleur ouvrant son tombeau qu'il met à disposition du Christ (et Nicodème ?).
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La moitié inférieure est réservée, de manière peu habituelle, à une Déploration à six personnages devant un moine chartreux, commanditaire, présenté par l'apôtre André.
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Photographie lavieb-aile.
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LA DÉPLORATION : LES LARMES DES SAINTS PERSONNAGES.
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La partie gauche est occupée par la Déploration du Christ à six personnages, et le tiers droit par un moine chartreux agenouillé en donateur sous la tutelle de saint André.
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Photographie lavieb-aile.
Photographie lavieb-aile.
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A. LA DONATEUR, UN CHARTREUX PRÉSENTÉ PAR SAINT ANDRÉ.
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L'ordre des chartreux a été fondé en 1084 par saint Bruno en vallée de Chartreuse, près de Grenoble.
En 1337 fut fondée la Chartreuse de Cologne, cité natale de saint Bruno, En 1371, l’Ordre comptait 150 maisons, et en 1521, on comptait près de 200 chartreuses en activité. .Les Pays-Bas connurent une grande concentration de chartreuses : Chartreuse d'Amsterdam, de Campen, de Delft, de Monichusen, du Mont-Sainte-Gertrude, de Ruremonde, Sainte-Sophie-de-Constantinople de Bois-le-Duc, Saint-Sauveur de la Nouvelle-Lumière et de Zierikzee.
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Les chartreux sont soit des pères (qui sont prêtres), ou des frères convers, qui assurent les taches subalternes. Il s'agit bien entendu ici d'un père, voire d'un prieur.
Le moine chartreux, identifiable quant à son ordre par sa tonsure, sa robe blanche — à trois boutons de manchettes) et sa "cuculle", scapulaire à capuchon et bandes latérales propre à son ordre, et qui porte des sandales noires, tient, mains jointes, un phylactère portant son oraison. Le texte semble pouvoir être partiellement relevé.
Henri Bellechose (actif à Dijon 1415-1430), retable de saint Denis
Retable de Saint Georges avec un moine chartreux aux pieds du crucifié, milieu du XVe siècle. Dijon, Musée des Beaux-Arts (provenant de la chartreuse).
Ce retable (Bourgogne, milieu du XVe siècle) est le pendant du retable de saint Denis peint par Henri Bellechose en 1416 pour le chœur des convers de la chartreuse de Champmol et conservé au Louvre. Il en reprend les dimensions, la composition et le fond doré mais dans un style propre au milieu du XVe siècle. Huile sur bois transposé sur toile marouflée sur panneau.
philactère : miserere mei deus
larmes aux yeux de la Vierge
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Photographie lavieb-aile.
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Saint André et sa croix en X.
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Le patronage par saint André révèle-t-il le nom du moine ?
Les chartreuses vouées à saint André sont :
Mont-Saint-André Sint Andries Ter Zaliger Havene (près de Tournai, Hainaut, Belgique)
Port-du-Salut de Saint-André (près d'Amsterdam, Pays-Bas)
b) Prière « Hâtons-nous d'entrer dans le Cœur du Christ » du Chartreux Ludolphe de Saxe (vers 1300-1378), docteur vénérable et maître en théologie dit « Ludolphe le Chartreux » après avoir été Dominicain 26 ans, prieur de la Chartreuse de Coblence en Allemagne et Auteur de « Vitae Christi » (Vie de Jésus-Christ), ouvrage qui connut en son temps une large diffusion.
« Le Cœur du Christ a été blessé pour nous d'une blessure d'amour, afin que nous par un retour amoureux nous puissions par la porte du côté avoir accès à son Cœur, et là unir tout notre amour à son divin Amour, de façon à ne faire plus qu'un même amour, comme il en est du fer embrasé et du feu. Car l'homme doit ordonner tous ses désirs vers Dieu par amour pour le Christ et conformer en tout sa volonté à la Volonté divine, en retour de cette blessure d'amour qu'il reçut pour l'Homme sur la Croix, quand la flèche d'un amour invincible perça son très doux Cœur… Rappelons-nous donc quel Amour plus qu'excellent le Christ nous a montré dans l'ouverture de son Côté en nous ouvrant par-là large accès à son Cœur. Hâtons-nous d'entrer dans le Cœur du Christ, recueillons tout ce que nous avons d'amour pour l'unir à l'Amour divin, en méditant sur ce qui vient d'être dit. Amen. » Ludolphe le Chartreux (vers 1300-1378) – « Vitae Christi » (Livre II, Chapitre 64)
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SOURCES ET LIENS.
Le retable.
1°) Labarte (Jules), 1847, Description des objets d'art de la collection privée de Louis Fidel Debruge-Dumenil.
"n°1481 — Autel domestique renfermant une grande composition sculptée de ronde bosse et coloriée. = Le Christ mort.
Le corps de Jésus repose sur les genoux.de la Vierge; la Madeleine, agenouillée, contemple la tête du Sauveur; saint Jean et deux saintes femmes se tiennent debout derrière la Vierge; l'une essuie ses larmes, l'autre s'apprête à parfumer le corps du Christ. Sur le premier plan, à droite, le donataire, moine de l'ordre des chartreux, est à genoux.
Derrière lui, saint André, son patron, lui montre du doigt le fils de Dieu, mort pour racheter les péchés du monde. Dans le fond , on aperçoit le calvaire sur lequel les deux larrons sont encore en croix ; à droite, Joseph d'Arimathie et Nicodème préparent le tombeau; à gauche, quelques personnages.
Cette composition est renfermée dans une niche dont le fond est décoré de six fenêtres disposées dans le style ogival flamboyant de la fin du xve siècle. Des festons découpés à jour et dorés sont suspendus aux arceaux de la voûte, qui forme un riche dais au-dessus du groupe principal.
Le Christ et les sept figures qui l'entourent ont 26 à 28 centimètres de hauteur. La Vierge et les saints sont revêtus des plus riches habits.
Cette sculpture polychrome, exécutée avec beaucoup de perfection, appartient à l'école allemande de la fin du xve siècle.
La niche est fermée par deux volets, sur chacun desquels sont peints à l'intérieur trois tableaux de 25 centimètres de haut sur 17 de large. Les sujets représentés sont, dans le volet droit: Jésus au jardin des Olives, la trahison de Judas, la flagellation; dans le volet gauche : le couronnement d'épines, le portement de croix, la crucifixion. Ces peintures sont attribuées à Martin Schongauer ou Schon , célèbre peintre et graveur, né à Augsbourg, mort à Colmar en 1499. Les volets, réunis à l'extérieur par la fermeture, présentent encore deux tableaux : dans la partie supérieure, la Vierge, saint Joseph et les anges en adoration devant Jésus qui vient de naître; dans le bas, l'adoration des mages. Ces deux peintures sont d'un autre maître. Ce précieux monument a été publié par M. Du Sommerard, dans Son Atlas, ch. XI, pl. Il. — H 85 cent., L. 44, Profondeur20."
2°) DU SOMMERARD ( Alexandre ), 1839, Les arts au Moyen Age : en ce qui concerne principalement le palais romain de Paris l'Hôtel de Cluny, issu de ses ruines et les objets d'art de la collection classée dans cet hôtel, Paris : A l'hôtel de Cluny ... : Et chez Techenev . Planches gravées par Alfred Lemercier et A. Godard,
3°) DU SOMMERARD (Edmond), Musée des Thermes et de l'Hôtel de Cluny. Catalogue et description des objets d'art [...], Paris : Hôtel de Cluny, 1867, 426 p. page 61.
710. —Grand triptyque ou autel domestique en bois sculpté de ronde bosse, peint et doré, fermé par des volets décorés de sujets peints à l'intérieur comme à l'extérieur; ouvrage allemand- de la lin du xve siècle.
La scène principale représente la Descente de, croix : le corps de Jésus repose sur les genoux de la Vierge ; la Madeleine agenouillée contemple la tête du Sauveur, et deux saintes femmes se tiennent debout près d'elle. Sur le premier plan, à droite, le donateur, moine de l'ordre des Chartreux, se prosterne à genoux dans l'attitude de la prière, assisté de son patron, saint André.
Dans le fond, l'on aperçoit le Calvaire et les larrons en croix, et à droite Joseph d'Arimathie et Nicodème préparant le tombeau. Au-dessus du groupe de figures règne un dais formé par des festons découpés à jour et dorés, et le fond est décoré de six fenêtres disposées dans le style ogival de la fin du xv* siècle. Le Christel les figures qui l'entourent ont 0,n,26 à 0m,28 de hauteur.
Sur les volets sont peintes diverses scènes de la passion du Christ ; sur le. volet de droite on distingue Jésus au jardin des Olives, la Trahison de Judas, la Flagellation ; sur celui de gauche, le Couronnement d'épines, le Portement, de croix et la Crucifixion.
L'extérieur des volets présente en outre deux tableaux : la Vierge, saint Joseph, la Nativité, les Anges, puis l'Adoration des mages. — Ces peintures, d'une excellente exécution, sont attribuées à Martin Schongauer ou Schon,célèbre peintre et graveur, mort à Colmar en 1499.
Cet autel domestique, qui faisait partie de la collection Debruge avant de passer dans celle du prince Soltikoff, est dans un état de conservation remarquable, et les détails de son exécution sont traités avec une habileté hors ligne. Les peintures, ainsi que la dorure, sont du temps, et n'ont subi aucune- altération. Il a été acquis par le Musée en avril 1861, lors de la dispersion de la galerie Soltikoff.
4°) Exposition "Arnt le sculpteur d'image maître des sculptures animées" du musée Schnütgen de Cologne 2020-2021.
"Qui était Maître Arnt de Kalkar et Zwolle ?
La première exposition consacrée au fondateur d'une riche école de sculpture du Bas-Rhin transportait les visiteurs à l'époque de la fin du Moyen Âge. Une soixantaine d'œuvres de l'artiste, qui a travaillé entre 1460 et 1491 environ, étaient exposées. L'œuvre gothique tardive de Maître Arnt captive par une vivacité extraordinaire, un large éventail de sujets et des détails narratifs.
Début 2019, le Museum Schnütgen a réussi à acquérir trois fragments précédemment perdus, avec lesquels un chef-d'œuvre de Maître Arnt, un panneau d'un retable avec l'Adoration des Mages, peut être complété et ainsi être montré pour la première fois.
Une autre œuvre importante du sculpteur provient de la Nicolaikirche à Kalkar. Le retable de Saint-Georges d'une largeur de cinq mètres (lorsqu'il est ouvert) est présenté pour la première fois à l'extérieur de l'église dans cette exposition.
D'autres prêts de premier plan – pour ne citer que quelques prêteurs internationaux – proviennent du Rijksmuseum d'Amsterdam, du Musée de Cluny à Paris et du Musée Art & Histoire de Bruxelles, ainsi que de nombreuses églises du Bas-Rhin.
Le Bas-Rhin et les Pays-Bas
Maître Arnt représente l'interconnexion des impulsions artistiques du Bas-Rhin avec celles des Pays-Bas voisins : de 1460 à 1484 environ, il travailla le long du Bas-Rhin à Kalkar, et de 1484 à 1491 environ à Zwolle, l'actuelle capitale de la province néerlandaise. d'Overijssel. Son atelier a fourni des sculptures pour de nombreux endroits autour d'IJsselmeer et de la région autour de Clèves.
En plus des retables avec des reliefs narratifs figuratifs et des statues de saints, des figures individuelles frappantes du Christ, des anges et de la Vierge à l'Enfant font partie de l'œuvre survivante de Maître Arnt. "
Les auteurs.
1°) Le Maître Arnt de Woole ou Arnt de Kalkar
—BEAULIEU (Michèle), 1958. Le maître du retable de Saint Georges à Kalkar. In: Bulletin Monumental, tome 116, n°4, année 1958. pp. 286-287.
Avec son habituelle sensibilité, Jaap Leeuwenberg tente de reconstituer, en se basant sur les seules caractéristiques du style, l'œuvre du maître anonyme du retable de saint Georges à l'église Saint-Nicolas de Kalkar. Il étudie d'abord un groupe de la Déploration du Christ récemment acquis par le Rijksmuseum d'Amsterdam, groupe qui se trouve être l'exacte répétition de la partie centrale d'un petit retable du Musée de Cluny (Catalogue des bois sculptés, 1925, n° 111). Les deux pièces ont manifestement été exécutées par le même artiste, originaire de la région de Clèves. Il convient de joindre aux groupes d'Amsterdam et de Paris, la Mise au tombeau faisant partie des collections du prince de Salm-Salm, qui présente, en effet, beaucoup d'affinités dans le type des figures et le style des vêtements. D'autre part, le retable de Kalkar offre, avec le seul retable de Paris, des ressemblances frappantes dans le traitement des rochers et surtout des touffes de chardon qui ne se rencontrent dans aucune autre sculpture du Bas-Rhin. J'avoue être moins convaincue — autant que l'on puisse juger d'après une photographie — par l'attribution au maître de Kalkar du grand calvaire appartenant aussi au prince de Salm-Salm. J. Leeuwenberg et Friedrich Gorissen démontrent de façon absolument convaincante que le paysage situé derrière l'Adoration des Mages peinte sur un des volets du retable du Musée de Cluny représente la ville de Kranenburg, près de Nimègue, sur le côté allemand de la frontière. On identifie, de gauche à droite, la porte de Nimègue, la cathédrale, la chapelle des Pèlerins, la tour du moulin et une autre tour à l'angle des anciens remparts. Un dessin de Cornelis Pronk montre le même aspect de la ville en 1731 et encore une photographie antérieure au bombardement de 1944. Le donateur du retable du Musée de Cluny, un Chartreux, avait donc vraisemblablement des rapports avec la ville de Kranenburg, dans laquelle il n'y eut cependant jamais de Chartreuse ; mais les Chartreux de Roermond avaient acquis des terres près de Nimègue et, depuis 1483, possédaient une maison dans la ville. La présence d'un tiroir dans la partie basse du retable du Musée de Cluny semble indiquer qu'il n'était pas destiné à une grande église, mais à une chapelle privée, peut-être celle des Chartreux de Nimègue. Quant au retable de Kalkar, il a été commandé par un certain Peter Gisen qui s'est fait représenter sur les volets avec toute sa famille. Le donateur est mentionné comme bourgmestre de la ville de 1483 à 1486, il mourut en 1493. — Oud-Holland, 1958.
—LEEUWENBERG, (Jaap), GORISSEN (Friedrich),1958 De meester van het Sint-Joris-altaar te Kalkar In: Oud-Holland vol. 73 (1958) p. 18-42
https://www.jstor.org/stable/42718433
https://www.youtube.com/watch?v=AAmsiv6-J-M&t=1s
2°) Le Maître de saint Barthélémy
Objection : les costumes sont différents, notamment les chaussures sont rondes et non à la poulaine.
— Descente de croix (Déposition) vers 1475-1525 (Louvre) /v. 1495 Philadelphia / 1500-1505 (NGA)
Peintre par excellence de Cologne au tournant du siècle, cet artiste méconnu porte le nom du Retable de la Saint-Barthélemy aujourd'hui à Munich, et est également l'auteur d'une version beaucoup plus grande de la Déposition, aujourd'hui au Louvre. Dans les images de Paris et de la Galerie nationale, la scène semble se dérouler dans un sanctuaire sculpté et doré, imitant les tabernacles allemands sculptés du XVe siècle avec leurs entrelacs gothiques et leurs statues peintes.
Le thème est ainsi placé devant nos yeux à Cologne (du moins aurait-il semblé à un spectateur contemporain, agenouillé devant cette image en dévotion privée). Les rochers et le crâne du premier plan précisent cependant le lieu historique de la Crucifixion : Calvaire ou Golgotha (« lieu d'un crâne » dans les langues des Évangiles). Tel un maître d'école médiéval, l'artiste se propose de nous enseigner les étapes de la spiritualité chrétienne. Nous attirant par le motif, l'or et la couleur riche, il nous conduit à l'empathie sensorielle, d'abord d'un genre agréable, avec les riches textures du brocart de la Madeleine mondaine et les magnifiques perles et glands du vieux Joseph, le « riche d'Arimathie » (Matthieu 27:57). Puis il nous emmène au-delà du plaisir, vers le bois dur de l'échelle et de la croix, vers la douleur physique et la douleur mortelle. D'énormes gouttes de sang jaillissent des plaies ouvertes du Christ, et des larmes surdimensionnées scintillent sur les joues des autres personnages. Leurs yeux sont rouges à force de pleurer. Les bras du Christ sont enfermés dans la rigor mortis et son corps devient gris de mort. Comme l'enseignaient les vifs manuels de dévotion de l'époque, nous devons imprimer son message dans les cœurs purs, revivant dans la méditation ce moment le plus douloureux de la Passion. Ce n'est qu'alors que nous pourrons atteindre l'objectif des mystiques de l'imitation du Christ et de ses saints.
Les figures sont soigneusement différenciées : Nicodème sur l'échelle abaisse le corps du Christ à Joseph d'Arimathie, qui a fait don de son propre tombeau pour l'enterrement du Christ. Saint Jean soutient la Vierge évanouie. Marie-Madeleine au pied de la croix serre sa tête presque pliée de chagrin. Un jeune auxiliaire a accroché sa jambe autour de la traverse, et les deux autres Maries se tiennent au fond, l'une priant, l'autre contemplant la couronne d'épines en réconfortant la Madeleine. Hommes et femmes, jeunes et vieux, riches et pauvres, trouvent leur place devant leur Sauveur crucifié.
Ludolphe de Saxe, Vie de Jésus-Christ, traduction en français de la Vita Christi. BnF Français 178, Ludolf de Saxe (13..?-1378), Colombe, Jean (143.-1493?). Enlumineur, Cercle Pichore (149.-151.). Enlumineur
Ce calvaire, classé depuis 1926, a été peu décrit par les auteurs. René Couffon, auteur d'une monographie sur l'église de Plourac'h pour le Bulletin monumental en 1955 y consacre quelques lignes. Dans le cimetière se dresse un calvaire composé d'un massif d'où émergent trois colonnes. Celle du centre, plus élevée et à fût écoté, sert de support au Christ en croix refait à l'époque moderne ; les deux autres aux deux larrons. La colonne centrale porte une traverse aux extrémités de laquelle se dressent la sainte Vierge et saint Jean. Un peu au-dessous et faisant corps avec le fût, saint Michel ; enfin, au pied, Pietà à quatre personnages. La Vierge, entourée de saint-Jean et de la Madeleine, porte le corps du Christ sur ses genoux. Au revers, à la base, Notre-Seigneur attendant le supplice. C'est là un des nombreux calvaires en kersanton édifiés par les ateliers landernéens. Il est à rapprocher, notamment, de ceux de Saint-Hernin et de Braspartz, tous deux dus, d'ailleurs, à un même artiste et datant du XVIème siècle.
La plateforme POP consacre à l'église et au calvaire une notice IA00003364 , renvoyant à la base Palissy PA00089317 précisant ceci : "A côté de l'église, dans le cimetière, est érigé un calvaire du 15e siècle [sic]. La base est surmontée de trois croix portant Jésus et les deux larrons. Sur les culs de lampe en forme de branches, deux statues de saintes femmes [sic]. Au-dessous d'elles, sur le fût, un ange porte les instruments de la Passion [sic]. Au pied de la croix, quatre personnages devant une descente de croix [sic]. A l'arrière, scène de la flagellation [sic]." Difficile de se fonder sur une description cumulant tant d'erreurs ou d'approximations.
Le porche de l'église de Plourac'h, par le second atelier du Folgoët, daterait vers 1510. La chapelle nord fondée par Charles Clévédé (Glévédé) est datée de 1500 ou 1506.
Le calvaire de Plourac'h adopte la même composition que celui de Laz, de Brasparts et de Saint-Hernin (Couffon), mais aussi de Mellac et de Motreff, associant une Croix où le Christ est entouré d'anges hématophores (perdu à Plourac'h), et au verso un Christ aux liens ou un Christ de la Résurrection, avec deux gibets des Larrons, un croisillon, une Déploration (le plus souvent en grès arkosique, parfois en kersanton), un fût sculpté d'un saint Michel terrassant le dragon, et des marmousets. Tous sont datables de la même période, vers 1500-1527.
Les points communs avec le calvaire de Laz de 1527 et 1563 sont notables puisque Charles Clévédé était, au début du XVIe siècle, à la fois seigneur de Kerlosquet en Plourac'h et de Coat Bihan en Laz ; et que la Déploration de "sa"chapelle de Plourac'h est issue, comme plusieurs statues de l'église, du même atelier, dit du Maître de Laz, que celle de 1527 du calvaire de Laz, et sculptée dans le même matériau extrait dans le "bassin de Châteaulin" autour de Châteauneuf-du-Faou, le grès vert "arkosique".
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La confusion entre la kersantite et le grès arkosique est fréquente, et la distinction entre les deux pierres est parfois délicate, malgré la teinte verte du grès, surtout lorsque les lichens viennent perturber le regard. Néanmoins, il me semble que la Déploration du calvaire de Plourac'h est en grès arkosique (ce qui serait très logique dans le contexte qui vient d'être décrit). Mais il est bien difficile à un chercheur solitaire, en l'absence de documentation solide, de s'aventurer à de telles affirmations. Je les assume, et le lecteur les appréciera pour ce qu'elles sont.
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Description rapide du calvaire.
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Au centre du cimetière de l'église, il est correctement "orienté", c'est-à-dire que le Christ en croix est tourné vers l'occident. Il occupe sans doute son emplacement d'origine
Le soubassement monolithique carré en granite, à bords biseautés est posé sur un édifice de quatre rangs de pierres de taille doté d'une table d'offrande vers l'ouest.
Il porte trois fûts de granite : les deux gibets des Larrons, de section carrée, puis polygonale puis ronde, et le fût plus élevé et à un croisillon, alternant les mêmes sections, du Crucifix. Chacun porte, par un tambour mouluré, soit un gibet, soit une croix, cylindriques.
Sur le soubassement a été placée, devant la Croix, la Déploration à quatre personnages, peut-être en grès arkosique. Juste au dessus de ce groupe, mais sculpté dans le granite du fût, un saint Michel terrasse le dragon de la pointe de son épée. Puis deux marmousets, tenant peut-être jadis un écu, font office de croisillon, recevant les statues de la Vierge et de saint Jean (modernes : socle rectangulaire mal adapté au support). La croix cylindrique, le Christ et le titulus INRI sont modernes.
Les deux larrons en granite semblent anciens, mais de deux types différents.
Du côté oriental, un Christ aux liens en granite est posé sur le soubassement.
I. LA DÉPLORATION DU CALVAIRE.
1. Le matériau.
Le grès arkosique (feldspathique), à grain très fin, de couleur gris-verdâtre, du Centre Bretagne, se prête bien à la sculpture par sa relative tendreté et son aptitude à la taille. Il est abondant dans le bassin de Châteaulin, c'est-à-dire une partie du Centre-Finistère (Châteauneuf-du-faou), où il été utilisé en architecture et en sculpture (Ollivier, 1993). L'architecture domestique (bâtiments de fermes, manoirs) et l'architecture religieuse (église du Cloître-Pleyben, sacristie de Pleyben, chapelles) lui ont fait largement appel aux XVème, XVIème et XVIIème siècles. Dans le domaine de la sculpture, P. Eveillard en a découvert l' emploi dès le second Age du fer et à la période gallo-romaine (génie au cucullus) . Aux XVIème et XVIIème siècles, il alimenta une statuaire abondante (plusieurs rondes-bosses dans les calvaires de Pleyben et de Saint Venec en Briec, par exemple) et concurrença même le célèbre kersanton. Voir l'analyse de Louis Chauris, Les grès verts de Châteaulin, cité en bibliographie.
Il était déjà employé à Laz vers 1350, dans un groupe du cavalier mourant conservé près de l'église, déjà présenté ici. Puis vers 1470 sur le bas-relief de la Vierge de Pitié aux anges de tendresse de la porte d'entrée de l'ancien presbytère. Puis, le sculpteur désigné par le nom de convention de Maître de Laz l'employa en 1527 pour la Déploration du calvaire de l'ancien cimetière.
Ce Maître de Laz est aussi l'auteur de la Déploration de l'église de Plourac'h, presque similaire, mais aussi de celle de Saint-Hernin et de la Pietà de Briec-sur-Odet. Mais aussi de trois autres statues de l'église de Plourac'h, celles de Saint-Patern, de Saint-Adrien, et de Sainte-Marguerite.
Le même matériau est employé au milieu du XVIe siècle pour la belle Trinité du porche de Clohars-Fouesnant.
Il est souvent confondu avec le kersanton (comme pour cette Déploration dans la description de Y.P. Castel).
Sur les sculptures en grès arkosique feldspathique :
2. Le thème de la Déploration (souvent assimilé aux Vierges de Pitié)
Les représentations sculptées de la Vierge de Pitié, tenant le corps de son Fils déposé de la croix, soit seule (Pietà), soit entourée de plusieurs personnages (Déplorations), apparaissent au XVe siècle (Pietà du calvaire de Tronoën, de Plozévet, de Quintin, chapelle N.D. des Portes ; Déplorations de La Chapelle-des-Fougeretz au nord de Rennes, du Musée départemental breton de Quimper etc.) et témoignent de l'importance, dans le duché de Bretagne, du culte centré sur les plaies du Christ crucifié et le sang versé, d'une part, et su les larmes ou le chagrin suscités chez le chrétien par cette mort, d'autre part.
Ce culte s'amplifie encore au XVIe siècle avec la multiplication des calvaires, où les pietà ou déplorations sont rarement absentes, et des verrières de la Crucifixion avec leur scènes de la Pâmoison ou de la Déploration. Dans cette dévotion associant pour le fidèle méditation devant la mort du Rédempteur, élan de chagrin intériorisé, larmes versées et gratitude, Marie-Madeleine est un personnage majeur, par sa participation aux soins ("embaumement") et par l'intensité de son chagrin.
Aucune trace de polychromie n'est visible sur la pierre gris-vert seulement marquée par des lichens ras, blancs et verts, et par des micro-organismes. La pierre est de grain fin, striée par de fines lignes obliques vers le haut et la gauche.
Jean et la Vierge sont assis et portent le corps du Christ sur leurs genoux, tandis que Marie-Madeleine est debout ; mais pourtant les trois personnages ont la même taille. Le Christ est dans la posture la plus classique dans les Vierges de Pitié, la tête vers notre gauche, le bras droit vertical et le bras gauche tenu par sa Mère ; mais de façon très inhabituelle les plaies ne sont pas figurées (alors que le nombril et les mamelons le sont). Le relief des côtes n'est pas indiquée.
Il est couronné d'épines, la bouche entrouverte, barbu, les cheveux mi-longs descendant en mèches peignées et bouclées. Ses jambes fléchies longent la jambe gauche de Marie, les pieds ne sont pas croisés. Le corps ne repose pas sur un suaire, mais sur les pans des manteaux de Jean et Marie, qui forment sur le socle une série de plis. Seul, le pied nu de Jean est visible parmi ces plis.
Jean épaule la Vierge, mais sa tête et son regard sont tournés vers la droite, vers l'extérieur, tandis que sa main droite posée sur la joue lui donne un air consterné ou perdu.
Il est vêtu d'un manteau dont il retient le pan droit de la main gauche, et d'une robe fortement plissée aux manches, et dont l'encolure est marquée par un galon. Son visage rond est encadré par les mèches bouclées descendant sur les épaules ; les yeux sont ombragés par des orbites profondes.
La Vierge porte le manteau-voile, qui encadre sa tête sans plis ni ailes, la guimpe, une robe aux manches aussi plissées que celle de Jean, et serrée par une ceinture de cuir. Son visage rond est inexpressif, le nez est fort, les lèvres avancées.
À son habitude, Marie-Madeleine brille par son élégance (la bride perlée de son manteau, le pan droit du manteau fixé par une troussière au poignet gauche) et par ses longs cheveux dénoués. Elle porte par un geste délicat de la main gauche un flacon d'aromates au pot strié et au couvercle conique, mais rien n'indique ici qu'elle s'apprête à l'utiliser, et sa main droite repose sur sa poitrine. Elle a le visage le plus animé des trois personnages, sans doute par la ligne des paupières, et une bouche plus fine.
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Voir les autres Déplorations (classées par ordre chronologique approximatif) :
Déploration (grés arkosique , début du XVIe siècle) du calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h. Photographie lavieb-aile juin 2023.
Déploration (grés arkosique , début du XVIe siècle) du calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h. Photographie lavieb-aile juin 2023.
Déploration (grés arkosique , début du XVIe siècle) du calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h. Photographie lavieb-aile juin 2023.
Déploration (grés arkosique , début du XVIe siècle) du calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h. Photographie lavieb-aile juin 2023.
Déploration (grés arkosique , début du XVIe siècle) du calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h. Photographie lavieb-aile juin 2023.
Déploration (grés arkosique , début du XVIe siècle) du calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h. Photographie lavieb-aile juin 2023.
Déploration (grés arkosique , début du XVIe siècle) du calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h. Photographie lavieb-aile juin 2023.
Déploration (grés arkosique , début du XVIe siècle) du calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h. Photographie lavieb-aile juin 2023.
Déploration (grés arkosique , début du XVIe siècle) du calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h. Photographie lavieb-aile juin 2023.
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LE CALVAIRE PROPREMENT DIT.
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I. LA FACE PRINCIPALE, OCCIDENTALE.
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Le calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h (début du XVIe siècle). Photographie lavieb-aile juin 2023.
Le calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h (début du XVIe siècle). Photographie lavieb-aile juin 2023.
Le calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h (début du XVIe siècle). Photographie lavieb-aile juin 2023.
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Saint Michel [saint Georges] terrassant le dragon.
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Ce saint est sculpté dans la masse du fût lui-même, comme à Brasparts, Saint-Hernin, Mellac, et Motreff, mais son bouclier n'est pas rond (Brasparts, Motreff), il a la forme d'un écu (Saint-Hernin, Mellac, Laz). Comme à Laz, il est orné d'une croix, ce qui peut inciter à y voir saint Georges.
Malgré l'érosion du granite, on devine qu'il est en armure ; sa très longue épée passe en diagonale devant lui pour menacer de sa pointe la gueule d'un dragon bien moins développé que sur les autres calvaires.
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Le calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h (début du XVIe siècle). Photographie lavieb-aile juin 2023.
Le calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h (début du XVIe siècle). Photographie lavieb-aile juin 2023.
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Les marmousets formant le croisillon.
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Yves-Pascal Castel désigne sous le nom de "marmouset" ces personnages qui fanfaronnent et bombent le torse sur tous les calvaires de notre série. Ils peuvent être plus nombreux, mais ici ils ne sont que deux pour servir de support aux deux personnages du pied de la croix. Ils tendent les bras en arrière pour tenir (uniquement sur cette face) un écusson. C'erst la comparaison avec d'autres calvaires, où il est plus facile d'affirmer qu'il s'agit d'un écu, qui permet de distinguer ici cet accessoire.
La forme des bonnets ou les détails des tuniques sont effacés par l'érosion.
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Le calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h (début du XVIe siècle). Photographie lavieb-aile juin 2023.
Le calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h (début du XVIe siècle). Photographie lavieb-aile juin 2023.
Le calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h (début du XVIe siècle). Photographie lavieb-aile juin 2023.
Le calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h (début du XVIe siècle). Photographie lavieb-aile juin 2023.
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Le Christ en croix, la Vierge et saint Jean.
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René Couffon indique que le Christ et sa croix sont modernes ; mais je pense que la Vierge et saint Jean, qui regardent tous les deux en l'air et non vers le Christ, et dont le socle est rectangulaire, sont également modernes.
Il est vraisemblable que le Christ d'origine était accompagné des anges hématophores habituels.
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Le calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h (début du XVIe siècle). Photographie lavieb-aile juin 2023.
Le calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h (début du XVIe siècle). Photographie lavieb-aile juin 2023.
Le calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h (début du XVIe siècle). Photographie lavieb-aile juin 2023.
Le calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h (début du XVIe siècle). Photographie lavieb-aile juin 2023.
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Les Larrons.
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Ils sont liés de façon différente ; et seul le mauvais Larron a la jambe droite fléchie à angle droit, l'autre seule étant liée. L'un porte une culotte (sans crevés, qui viendront plus tard avec la Renaissance) et l'autre un pagne. Les cheveux "en boules " du Mauvais Larron rappelent le style de l'Atelier du Folgoët (qui réalisa le porche).
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Le calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h (début du XVIe siècle). Photographie lavieb-aile juin 2023.
Le calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h (début du XVIe siècle). Photographie lavieb-aile juin 2023.
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II. LA FACE ORIENTALE.
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On n'y trouve que la statue en ronde-bosse, apparemment taillé dans le bloc du fût, d'un Christ aux liens en granite, assis, lié aux poignets et aux chevilles, et dont la main droite brisée tenait sans-doute le roseau de la dérision.
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Le calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h (début du XVIe siècle). Photographie lavieb-aile juin 2023.
Le calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h (début du XVIe siècle). Photographie lavieb-aile juin 2023.
Le calvaire du cimetière de l'église de Plourac'h (début du XVIe siècle). Photographie lavieb-aile juin 2023.
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SOURCES ET LIENS.
— CHAURIS (Louis), 2010, Pour une géo-archéologie du Patrimoine : pierres, carrières et constructions en Bretagne Deuxième partie : Roches sédimentaires, Revue archéologique de l'Ouest.
— COUFFON (René), 1958, L'Iconographie de la Mise au tombeau en Bretagne In: Mémoires de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Bretagne vol. 38 (1958) p. 5-28.
— ÉVEILLARD (Jean-Yves), 1995, Statues de l'Antiquité remaniées à l'époque moderne: l'exemple d'une tête au cucullus à Châteauneuf-du-Faou (Finistère) Revue archéologique de l'Ouest année 1995 12 pp. 139-146
—LE SEAC'H (Emmanuelle), 2015, Sculpteurs sur pierre en Basse-Bretagne, Presses Universitaires de Rennes pages 249-250.
— OLLIVIER, (Sophie), 1993 -L'architecture et la statuaire en grès arkosique dans la vallée de l'Aulne centrale. Mém. de maîtrise d'histoire (inédit), J.Y. Eveillard, dir., U.B.O., Brest, 2 vol.
— PAVIS-HERMON, 1968, Dossier IA0003364 de l'Inventaire général et M.M TUGORES, D. MOREZ 1968
1°) Le grès arkosique (feldspathique), à grain très fin, de couleur gris-verdâtre, du Centre Bretagne, se prête bien à la sculpture par sa relative tendreté et son aptitude à la taille. Il est abondant dans le bassin de Châteaulin, c'est-à-dire une partie du Centre-Finistère, où il été utilisé en architecture et en sculpture (Ollivier, 1993). L'architecture domestique (bâtiments de fermes, manoirs) et l'architecture religieuse (église du Cloître-Pleyben, sacristie de Pleyben, chapelles) lui ont fait largement appel aux XVème, XVIème et XVIIème siècles. Dans le domaine de la sculpture, P. Eveillard en a découvert l' emploi dès le second Age du fer et à la période gallo-romaine (génie au cucullus) . Aux XVIème et XVIIème siècles, il alimenta une statuaire abondante (plusieurs rondes-bosses dans les calvaires de Pleyben et de Saint Venec en Briec, par exemple) et concurrença même le célèbre kersanton. Voir l'analyse de Louis Chauris, Les grès verts de Châteaulin, cité en bibliographie.
Il était déjà employé à Laz vers 1350, dans un groupe du cavalier mourant conservé près de l'église. Puis vers 1470 sur le bas-relief de la porte d'entrée de l'ancien presbytère. Puis, le sculpteur désigné par le nom de convention de Maître de Laz l'employa en 1527 pour la Déploration du calvaire de l'ancien cimetière.
Ce Maître de Laz est aussi l'auteur de la Déploration de l'église de Plourac'h, presque similaire, mais aussi de celle de Saint-Hernin et de la Pietà de Briec-sur-Odet. Mais aussi de trois autres statues de l'église de Plourac'h, qui seront étudiées ici : celles de Saint-Patern, de Saint-Adrien, et de Sainte-Marguerite.
Le même matériau est employé au milieu du XVIe siècle pour la belle Trinité du porche de Clohars-Fouesnant.
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2°) Les représentations sculptées de la Vierge de Pitié, tenant le corps de son Fils déposé de la croix, soit seule (Pietà), soit entourée de plusieurs personnages (Déplorations), apparaissent au XVe siècle (Pietà du calvaire de Tronoën, de Plozévet, de Quintin, chapelle N.D. des Portes ; Déplorations de La Chapelle-des-Fougeretz au nord de Rennes, du Musée départemental breton de Quimper etc.) et témoignent de l'importance, dans le duché de Bretagne, du culte centré sur les plaies du Christ crucifié et le sang versé, d'une part, et su les larmes ou le chagrin suscités chez le chrétien par cette mort, d'autre part.
Ce culte s'amplifie encore au XVIe siècle avec la multiplication des calvaires, où les pietà ou déplorations sont rarement absentes, et des verrières de la Crucifixion avec leur scènes de la Pâmoison ou de la Déploration. Dans cette dévotion associant pour le fidèle méditation devant la mort du Rédempteur, élan de chagrin interiorisé, larmes versées et gratitude, Marie-Madeleine est un personnage majeur, par sa participation aux soins ("embaumement") et par l'intensité de son chagrin.
Comme dans d'autres églises, celle de Plourac'h associe à la Déploration de son calvaire un autre groupe, décrit ici, conservé à l'intérieur. Ce dernier présente l'intérêt, par rapport aux autres déplorations du Maître de Laz, d'avoir conservé sa polychromie.
Et l'église de Plourac'h possède en outre une très belle Vierge de Pitié de la même époque.
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I. LA DÉPLORATION (grès feldspathique polychrome, vers 1527) DU BRAS NORD DU TRANSEPT.
Le groupe mesure 1,16 m de haut, 1,65 m de large et 0,50 m de profondeur et occupe, à 1,70 m du sol, un enfeu ou niche en arc de panier aménagée dans le pan coupé formant l'angle nord-est de bras nord du transept. Il est , comme la niche, en grès arkosique. Il surmonte une crédence fermée par une porte ornée d'un chérubin.
Il est classé depuis 1912.
La niche est entourée d'un rinceau d'acanthe centré en bas par un blason muet. Cet encadrement est peint en vert et en imitation de marbre (?) par petits points noirs.
La description princeps est celle d'E. Le Seac'h en 2015 (avec six illustrations).
La notice PM 22000982 de la Plateforme ouverte du Patrimoine POP date de 2023, avec un cliché de madame Céline Robert de 2021. Mais le titre de cette œuvre pour ce site qui est la référence officielle de l'Etat est erroné (disons gentiment "discutable") et parle d'une "Mise au tombeau", suivant en cela la confusion introduite par René Couffon 1955 et 1958. Je rappelle qu'il faut distinguer lesVierges de Pitié (Vierge et Christ), et les Déplorations du Christ(Vierge et Christ plus d'autres personnages), des Descentes de croix,qui précèdent cet épisode, et des Mises au tombeauqui le suivent (où le sépulcre doit être visible, et où les acteurs, notamment Joseph d'Arimathie et Nicodème, dépose le corps enveloppé dans son suaire). Dans cette notice, le matériau y est qualifié de "pierre" sans précision. La phrase "Au dessus-de cette mise au tombeau se trouve une statue de la Vierge de pitié" n'a plus lieu d'être.
La notice indique qu'un dossier préalable a été réalisé par Arthéma Restauration en 2013.
Le remarquable site de cette entreprise indique que cette restauration (qui a concerné aussi 18 statues et le retable du Rosaire de l'église) a été menée sous la direction de madame Christine Jablonski, conservateur M.H et de madame Céline Robert, conservateur A.O.A. de janvier 2015 à juin 2016, alors que la maçonnerie de l'enfeu avait été revue en 2013.
"L'ensemble était poussiéreux et encrassé et présentait sur le dos des personnages un développement de micro-organismes. Concernant la couche picturale, on notait des pertes disséminés sur l'ensemble, mais principalement sur l'enfeu. Des usures du décor actuel de la mise au tombeau laissait voir des décors sous-jacents. Cette restauration a été l'occasion de réaliser des fenêtres de sondages au niveau du décor initial témoignant de la présence d'un décor à motifs polychromes anoblissant les tissus". Deux photos de ces sondages sont présentées. On y devine des peintures d'étoffes bleutées à motifs damassés de couleur or laissant imaginer le raffinement de l'œuvre initiale."
Un dossier plus complet, précisant les découvertes de ces sondages (types de pigment) ou la date estimée de la couche picturale actuelle, doit exister mais ne nous est pas communiqué.
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Détail du soubassement.
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Il avait également été repeint à la période moderne.
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Les quatre personnages de la Déploration ont conservé leur peinture, mais hormis cela, ils comparables au groupe du calvaire de Laz, datée par inscription de 1527 ; or à Laz et à Plourac'h le seigneur était le même, puisque Charles Clévédé était à la fois seigneur de Guerlosquet en Plourac'h et de Coatbihan en Laz. Celui-ci a fait inscrire son nom et celui de son épouse Marguerite sur une poutre de ce bras du transept, très près au dessus de cette Déploration, pour spécifier qu'il avait fait commencer cette "chapelle" (le bras nord) l'an 1500 (ou 1506). En outre, ses armes figurent sur des écussons associées aux autres statues contemporaines de l'église, et figuraient vraisemblablement sur le soubassement de ce groupe.
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Plaçons donc tout de suite cette photo de la Déploration de Laz pour fournir un élément de comparaison : la ressemblance est frappante. E. Le Seac'h a désigné sous le nom de convention de Maître de Laz le sculpteur de grès feldspathique actif à Laz, Plourac'h, Briec-sur-Odet, et Saint-Hernin.
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Tout comme à Laz, Jean, à gauche, et Marie-Madeleine à droite encadrent la Vierge tandis que le Christ est étendu, entièrement à l'horizontale, sur leurs genoux. Il est difficile de comprendre sur quoi, et comment, ils sont assis. Un pli de la robe de la Vierge est rabattu dans l'angle, "comme sur un jeté de lit soigneusement plié qui vient juste d'être fait."(E. Le Seach)
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Le style des Déplorations ou Pietà du Maître de Laz est aisément reconnaissable par les gaufrures en accordéon qui fronsent le grand voile entourant le visage et le corps de Marie. On le reconnait aussi par les plis en éventail des vêtements, par la raideur des silhouettes et l'impassibilité des visages.
La tête du Christ repose sur un coussin. Elle est ceinte de la couronne d'épines, à deux brins ; le Christ est barbu ; sa main gauche repose sur son ventre tandis que la main et le bras droits pendent, obliquement, exposant la plaie causée par le clou de la Crucifixion. Les autres plaies (du flanc et des pieds) sont également visibles et l'écoulement de sang est bien souligné. Le Christ est moins maigre et longiligne qu'à Laz.
Comme l'a montré la restauration, la sculpture a été repeinte, sans doute au XIXe ou XXe siècle. Mais cette initiative réalisée assez grossièrement a brouillé la compréhension de la scène. Car toute la partie inférieure est peinte en blanc, comme si le corps reposait sur un drap alors que l'examen montre que ce sont les vêtements portés par les trois personnages qui se prolongent dans cette partie basse. Par exemple, le grand voile blanc gaufré de Marie passe en dessous du dos et du bassin, recouvrant les plis du manteau, alors que la peinture blanche laisse croire que c'est un coussin aux bords plissés qui soutient le corps. De même, les vêtements de Jean forment de larges plis superposés, et le grand manteau blanc de Marie-Madeleine, visible derrière sa tête, descend également en plis successifs et forment un repose-pieds.
À la différence de Laz, le pagne est un linge blanc aux bords lisses. Mais c'est moins un pagne (qui devrait être noué) qu'un linge placé au dessus du bassin.
Les jambes sont à peine fléchies, parallèles et les pieds tombent en léger équin vers le bas.
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La Vierge, mains jointes.
La Vierge, moins imposante qu'à Laz (elle est ici de même taille que Jean et Marie-Madeleine) est, peut-être sous l'effet de la carnation aux joues rosées, plus attendrissante et humaine qu'à Laz malgré la même pose hiératique et frontale. Elle est vêtue du grand voile blanc qui s'écarte en ailes de papillon (*) autour du visage. Ce visage, rond au regard triste, est encadré par la guimpe, ce voile blanc recouvrant le front et la gorge et dont le bord inférieur est frisotté.
(*) E. Le Seac'h évoque judicieusement la huve médiévale.
La robe est aujourd'hui peinte en rouge ; ses manches sont larges et forment des plis. Si on imagine qu'elle descend jusqu'au sol, elle recouvre alors les chaussures. Le manteau d'un gris sombre à peine bleuté (le bleu est pourtant la couleur attendue du manteau et/ou de la robe de Marie) a un revers strié en alvéoles, et ce relief se retrouve sur le revers des pans inférieurs. Ce manteau évoque les capes de deuil en usage en Bretagne.
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Saint Jean, bras réunis devant le bassin.
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Il porte une tunique d'étoffe épaisse (plis) et une cape fixée sous le menton par une agrafe et qui recouvre les épaules en pèlerine. Le pan gauche de ce manteau revient en diagonale et c'est, en toute logique, ce pan qui revient sous la tête du Christ. Jean regarde vers le bas, les yeux sont mi-clos. Les cheveux bruns sont bouclés (en boules frontales), mi-longs et épais au dessus des épaules.
Il est donc ici, comme à Laz, très passif et retiré dans son intériorité, puisqu'il ne participe ni à soutenir la tête ni à soutenir la Vierge dans son chagrin.
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Marie-Madeleine se préparant aux soins.
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Pouir les raisons évoquées plus haut, c'est Marie-Madeleine qui suscite le plus mon intérêt. Elle porte une robe bordeaux, à décolleté carré, à manches très larges, serrée par une ceinture en maillons de chaines formant un V central avant de retomber en deux longues extrémités. La robe est ajustée et lisse au niveau du corsage, puis, après une couture assez visible, elle devient plissée : c'est exactement la tenue à la mode.
Sous le décolleté, devant la poitrine on voit sur la robe un décor en losange, qui était sans doute plus finement mise en valeur avant la restauration du XIX ou XXe siècle.
De même les cheveux ont été lourdement repeints en noir, alors qu'ils sont, en règle, blonds chez Marie-Madeleine. Ils descendent très bas, et ces cheveux longs et dénoués sont un véritable attribut de la sainte.
Derrière sa tête et son dos, un manteau (ou un voile) blanc l'encadre ; et il descend en une cascade de plis jusqu'au sol. ELa sainte en retient un pli dans la main droite.
Elle diffère par sa tenue et par sa posture de son homologue du calvaire de Laz, qui regarde droit devant elle tandis qu'elle ouvre de la main droite le couvercle de son pot d'onguent. Ici, elle tient son pot (dont le couvercle fermé n'est pas conique) par en dessous, mais elle regarde vers le bas c'est-à-dire vers le corps du Christ.
Dans les deux cas, je sais maintenant interpréter ces postures comme des préparatifs à l'embaumement, ou, du moins, à des gestes de soins sur les plaies du Christ par application d'onguent (pommades) ou d'aromates, soit en ouvrant le pot comme à Laz soit en se penchant avec sollicitude vers le cadavre. Et l'étoffe qu'elle tient en main droite, même s'il s'agit d'un pan du voile, participe à l'impression qu'elle va l'utiliser pour ce soin. Ainsi, elle devient une figure iconique du "care", du soin à la personne.
II. SAINT ADRIEN (grès feldspathique polychrome, vers 1527), bas-côté nord.
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Saint Adrien de Nicomédie.
"Officier romain, en charge des supplices réservés aux chrétiens à la suite de l’édit de Dioclétien en 303, Adrien se convertit et subit à son tour la torture à Nicomédie (actuellement Izmit en Turquie). Ses bourreaux lui cassent chaque membre sur une enclume puis il est décapité avec une épée. Ce sont ces deux attributs qui permettent de reconnaitre ce saint martyr, revêtu d’une armure propre à rappeler sa fonction de soldat de haut-rang.
Il est le saint patron des soldats mais il est également invoqué contre les maux de ventre, mais surtout contre la peste comme saint Sébastien et saint Roch, auxquels il est parfois associé. En Bretagne, ce sont près d’une dizaine d’épisodes de « pestilance à boce » qui sont dénombrés dans la seconde moitié du 15e siècle et qui marquent durablement les populations. Le développement de lieux de culte sous ce vocable, placés sur des axes importants dans le nord du Morbihan, est attesté dans la seconde moitié du 15e siècle et jusqu’à la fin du siècle suivant. Il est sans doute à mettre en lien avec cette fonction thaumaturge du saint, alliée à une dévotion spécifique de la noblesse locale. On dénombre ainsi une vingtaine de sculptures représentant ce saint, dont une majorité dans le nord du Morbihan, avec une église et trois chapelles dédiées (Persquen, Langonnet, Le Faouët et Saint-Barthélemy), en lien avec des maladreries ou des hôpitaux, fondés généralement par la noblesse, qui y installent des ordres religieux." (Patrimoine & archives du Morbihan)
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Il est représenté ici en armure complète avec un plastron orné d'une croix, et une cotte de maille à bords en ointes. Une cape (ou mantel ) qui tombe à ses pieds et lui ceint en écharpe la poitrine, est décorée sur son galon d'un motif perlé identique à celui de la chape de saint Patern.
Les solerets sont placés sur les pieds. Ce type soleret à l'extrémité aplatie, dit en pied d'ours ou aussi en gueule de vache, apparaît à la fin du 15e siècle.
Les restes de polychromie qui ressortent sur la couleur verte du grès feldspathique associent le bleu, le noir et le blanc.
Son visage est identique à celui de saint Patern, et du saint Jean des Déplorations de Laz et de Plourac'h, affirmant l'attribution au Maître de Laz.
Il porte une toque à fond plat ornée de plusieurs médailles. Ce bonnet de feutre à bords relevés et la chevelure mi-longue sont caractéristiques des années 1500 ; on retrouve ces éléments également dans les portraits royaux de Charles VIII ou de Louis XII et de manière plus locale, dans le saint Adrien en calcaire de l'hôpital de Pontivy et dans la peinture murale de la Vie de saint Mériadec à l’église de Stivall (Pontivy).
L'épée qu'il brandit est brisée à la pointe
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Un bouclier en forme d'écu porte les armoiries des Clévédé d'argent à deux lions affrontés de gueules, tenant une lance d'azur en pal de leurs pattes de devant, en alliance avec une famille de Kerlosquet portant une croix dentelée (engrêlée) blanche (d'argent). Cette alliance figure aussi sur un écartelé du tympan de la baie 3, daté vers 1500-1510.
On les voit aussi présentées par un ange sur un blochet de la charpente de la chapelle du Rosaire, au nord.
Si on regarde attentivement le bouclier, on voit que le lion tient bien une lance.
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A la Réformation de 1536 en Cornouailles, était présent pour Plourac'h Jehan Clévédé sieur de la salle demeurant au manoir de Guerlosquet (ou Jean Clévédé sieur de Guerlesquet), autrement dit Kerlosquet (Tudchentil.org). Guerlesquet /Guerlosquet/Kerlosquet est le nom d'un manoir de Plourac'h. Les auteurs estiment que Charles Clévédé épousa Marie de Pestivien, veuve en 1531, d'où ce Jean Clévédé, dont Marie, rendit l'aveu comme tutrice.
Il faudrait parler ici d'un blason mi-parti Clévédé/Kerlosquet, mais les auteurs parlent plutôt des armes de Clévédé en alliance avec celles de Pestivien, bien que ces dernières soient un vairé d'argent et de sable,
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Cet habillement militaire est caractéristique des années 1480-1500 et illustre la tenue d’un noble en armes. Charles Clévédé a sans doute commandité cette statue pour placer son portrait sous la figure d'un saint patronage.
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Saint Adrien s'identifie souvent non seulement par sa tenue d'officier, mais par son attribut, une enclume. Ici, c'est l'inscription SANCT [ou SAINT] ADRIEN gravée sur le socle, qui permet cette identification.
Au milieu est figuré un emblème à deux outils entrecroisés. Il me semble que ce sont les outils d'un tailleur de pierre, des taillants ou layes, sorte de haches à deux tranchants, l'un étant ici plus évasé que l'autre.
Le Maître de Laz aurait ainsi revendiqué son intervention, dans une situation identique à celle des écussons des Clévédé sur les autres statues. L'emblème est placé au centre d'un élément rectangulaire plus élaboré qu'il y parait, car ses bords sont soulignés par un cadre, lequel reçoit deux encoches rondes.
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II. SAINT PATERN (grès feldspathique polychrome, vers 1527).
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Saint Patern, premier évêque de Vannes, est représenté avec sa mitre, sa crosse (brisée), sa chasuble aux quatre plis en becs, sur une cotte dissimulant les chaussures. La chasuble est bordé par un galon perlé, qui vient former une croix frontale. Les cheveux mi-longs et bouclés sont identiques à ceux de saint Jean et de saint Adrien, et sont conformes à la chevelure à la mode au début du XVIe siècle.
L'écu placé entre ses pieds reprend les armoiries mi-parti du bouclier de saint Adrien, celles des Clévédé en alliance avec une famille à déterminer.
Un entrait de la chapelle nord porte une inscription de fondation précisant clairement le nom et le prénom du fondateur, Charles Clévédé, ainsi que le début du prénom de son épouse, les auteurs lisant soit Marguerite, soit plus rarement Marie.
L'inscription mentionne une date, lue soit comme 1500, soit comme 1506, avec une imprécision sur ce dernier chiffre.
D'arbois de Jubainville considère que ce couple est celui de Charles Clévédé et de Marguerite Lescanff. Les Le Scanff, alias Le Scaff portent d'argent à la croix engrêlée de sable, et non de sable à la croix engrêlée d'argent. On les retrouve (pleine ou en alliance avec Le Juch) sculptées dans le bois de la clôture de la chapelle Saint-Nicolas de Priziac.
Cette statue de 82 cm de haut, 50 cm de large et 42 cm de profondeur a été restaurée par Arthema en 2015-2016 comme les précédentes. Le site POP signale qu'elle est en "granit de kersanton" [sic! ] mais elle est bien en grès feldspathique . Elle occupait (provisoirement ?) lors de ma visite une niche cintrée du bras sud du transept, et était couverte de fins gravats.
Sainte Marguerite d'Antioche est, selon la tradition iconographique, représentée mains jointes sortant (non dit "issant") du dragon qui s'était permis de l'avaler. Elle est encore engagée jusqu'aux cuisses dans le corps verruqueux de l'animal. Elle est élégamment coiffée d'un bonnet semblable à la coiffe d'Anne de Bretagne, et vêtue d'une robe à décolleté carré, bouffantes sur les épaules, à manches fendues (aux pans réunis aux poignets par un lien et un bouton) pour laisser apparent la fine étoffe de la chemise, laquelle frise aux poignets et autour du cou. Cette robe rouge pâle est serrée par une ceinture en linge blanc. Le capuchon de sa cape retombe dans son dos à la mainière d'un bandeau.
Le dragon est représenté de face, avec une tête carrée, un front bouclé, de gros yeux ronds et une gueule dont les crocs sont posés sur la langue. Il est d'usage de montrer ce monstre en train de tenter d'avaler le bas de la robe de Marguerite, mais ce n'est pas bien visible ici.
La présence de cette sainte a-t-elle à voir avec le prénom de l'épouse de Charles Clévédé, seigneur omni-présent dans ce décor ?
Elle était jadis du côté nord, sur une console en granite en hauteur sur le mur ouest de la chapelle des fonts (E. Le Seac'h) .
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IV. AUTRES STATUES : UNE VIERGE DE PITIÉ EN LARMES, XVIe siècle, pierre polychrome.
Cette très belle statue en pierre, classée Mh depuis 1912, est posée sur une console ornée d'un rinceaux d'acanthe centré d'un blason des Clévédé, ce qui la relie à l'ensemble précédent. Elle est datable du XVIe siècle ; mais puisqu'elle est indépendante de son support, nous ne pouvons la placer qu'avec prudence dans le cadre du mécénat de Charles de Clévédé.
Je crois bien reconnaître en effet ici, dans le contour des traces de martelage, celui des deux lions des Clévédé tenant la lance au centre.
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La Vierge de Pitié a été restaurée en 2015-2106 par Arthema Restauration qui lui consacre un dossier. Selon celui-ci, elle serait en granite polychrome, et les très nombreuses usures du décor actuel (moderne) laissaient apparaître des traces d'un décor ancien, dont la robe dorée, et sur le socle, le reste d'une couche de préparation à l'ocre rouge. Les repeints plus récents ont alors été supprimés pour mettre à jour le décor d'origine.
Nous découvrons aujourd'hui une Vierge assise, la tête au regard triste tournée vers la droite et ne regardant pas son Fils. Elle tient le corps de ce dernier sur son genou droit, l'autre genou étant plus fléchi. Le Christ barre en diagonale la composition, il est tourné vers le spectateur, la tête en extension. Les bras sont dans la posture la plus courante, bras droit (apume en pronation) vertical le long de la jambe de Marie et bras gauche horizontal. Il porte la couronne d'épine et ses cheveux longs tombent en voile sur ses épaules. Il porte un pagne doré. Les côtes du torse sont très apparentes et prsques horizontales.
Sa Mère soutient la tête d'une main, et le bassin de l'autre.
Elle porte, comme c'est la règle, la guimpe blanche, et un voile-manteau encadrant son visage en formant deux plis sur le côté et un pli frontal, ce qui écarte les ailes et révèle le revers rouge du tissu.
Ce manteau est bleu, constellé de fleurons dorés en quintefeuilles, et il est bordé d'un large galon doré souligé de deux traits rouges. Il recouvre par son plissé les jambes, ne dévoilant que l'extrémité d'une chaussure noire à bout rond.
La robe à encollure ronde est dorée.
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Lorsque je me rapproche, je pense aux Vierges de Pitié de Bastien et Henry Prigent, les sculpteurs sur kersanton de Landerneau ; ceux-ci furent actifs de 1527 à 1577.
Mais je ne connais même pas le matériau exact de cette statue ; et nous sommes assez loin de Landerneau et de la sphère d'activité des Prigent. J'examine néanmoins l'une de leurs Vierge de Pitié, celle de Tar-ar-Groas à Crozon : de nombreux détails sont partagés avec la Vierge de Plourac'h.
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D'autre part, je découvre en me rapprochant encore les trois larmes sous chaque œil, ces trois larmes qui ne sont pas spécifiques, mais qui sont si fréquentes sur les Déplorations et Pietà des Prigent !
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Comparons encore avec une oeuvre des Prigent, la Vierge de pitié de Lambader à Plouvorn :
À Plourac'h, le visage est moins rond, mais la bouche est, comme chez les Prigent, petite et faisant la moue.
En définitive, je ne peux pas attribuer, seul, cette Vierge de Pitié de Plourac'h à un atelier particulier, surtout tant que le matériau dans lequel elle est taillée (et dont le grain fin n'évoque pas le granite) n'a pas été affirmé avec certitude.
Ce qui est certain, c'est que les trois larmes de son visage la font appartenir à un groupe bien défini en Bretagne, et notamment en Finistère, tant en sculpture sur pierre qu'en peinture sur verre. Et que ces larmes renvoie à cette méditation participative devant les souffrances du Christ, qui deviendra rare au XVIIe siècle disparaitra complètement au XVIIIe siècle.
Le nombre des Vierges de pitié en kersanton dans le Finistère est très élevé, car on les trouve, sur le soubassement ou au nœud d'un croisillon, sur de très nombreux calvaires sortis des ateliers landernéens des Prigent (1527-1577), du Maître de Plougastel (1570-1621) et de Roland Doré (1618-1663), ou d'ateliers anonymes.
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Les Vierges de Pitié et aux Déplorations des Prigent (E. Le Seac'h):
— CASTEL (Yves-Pascal), 2001, Les Pietà du Finistère. numéro 69 de la revue Minihy-Levenez de juillet-août 2001. L'auteur y étudie une centaine de Pietà et de Déplorations.
"LES LARMES DE MARIE. On sait combien le Moyen Age a apprécié le don des larmes, un don que des temps prétendument policés se sont ·attachés à refuser. Nos sculpteurs sur pierre du XVIe siècle, dans les ateliers de kersanton, pour mieux marquer la douleur de la Vierge et parfois celle des personnages qui l'assistent dans les grandes Pietà, quant à eux, se sont emparés de ce moyen expressionniste fort populaire, n'hésitant pas à sculpter sur les joues des larmes en relief. Coulant sous les paupières, ces larmes marquent le haut de chaque joue d'un triple jet, formé de traits bien symétriques. A Brignogan, Chapelle-Pol , à La Forest-Landerneau, au Bourg-Blanc, Saint-Urfold, à Plomodiern, Sainte-Marie du-Ménez-Hom, à Lothey, croix de Kerabri, dont nous avons parlé plus haut. A Plouvorn, Lambader, la Vierge de Prigent élargit ses larmes en gouttes qui s'étalent sur les joues. On remarque, dans la grande Pietà de Plourin-Ploudalmézeau que si les quatre personnages d'accompagnement portent les mêmes triples larmes, en flots exactement mesurés, la Vierge en a le visage tout couvert, de la même manière qu'en avait usé le sculpteur de la pietà du calvaire du Folgoët, un siècle plus tôt. Les larmes qui ne sont pas en relief sur les statues en bois viennent agrémenter la polychromie, à Logonna-Daoulas et au Huelgoat. Ces larmes peintes coulent de manière naturelle et réaliste sur le visage penché de la Vierge de Pencran. Alors que ces larmes peintes sont plutôt rares, on les voit dans la très belle Pietà de Plouarzel où la Vierge approche de sa joue un grand mouchoir pour les sécher."
— NAGY (Piroska), 2000, Le Don des larmes au Moyen-Âge : un instrument spirituel en quête d'institution VIe-XIIIe siècle, Albin-Michel.
Tous les auteurs indiquent qu'elle est installée, dans le bras nord du transept, sur une console portant les armes en alliance du seigneur de Clévédé et de son épouse "Marie de Pestivien". Mais je ne trouve pas ce blason lors de ma visite (ou bien il correspond à l'un des supports décrits précédemment).
Le site POP culture la décrit comme un groupe de 153 cm de haut, au revers évidé, du XVIe siècle.
Elle ne semble pas avoir été restaurée, bien que la main gauche du Père et ses pieds soient restitués, et la peinture est en mauvais état. Le bras gauche du Christ est brisé. La colombe est absente.
Dieu le Père est figuré en pape avec tiare ... à quatre étages et chape rouge sur une cotte talaire blanche, il est assis sur une cathèdre. Il tient entre ses jambes le Christ (86 cm de haut) qui est nu hormis le pagne, couronné d'épines et debout sur le globe terrestre, montrant ses plaies.
Ce groupe peut donc être décrit comme une Trinité souffrante, ou Trône de grâces.
V. RESTE D'UNE MISE AU TOMBEAU : NICODÈME TENANT LA COURONNE D'ÉPINES (bois polychrome, XVIe siècle)
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Cette statue d'applique à revers évidé mesure 134 cm ; elle est vermoulue, en mauvais état, avec peinture de surpeint et polychromie écaillée, et il manquerait un attribut dans la main droite.
Cette statue de Nicodème participait certainement jadis à une vaste Mise au tombeau (ou à une Déploration comme à Locronan et à Quilinen par exemple), scène dans lesquelles il est placé aux pieds du Christ et tien la couronne. C'est dire l'importance que prend ce thème à Plourac'h.
Nicodème est figuré avec les codes d'identification des Juifs (il est membre du Sanhédrin) que sont la barbe longue, le bonnet conique à rabats (plus proche ici d'un bonnet) et le bord frangé de touffes dorées de sa tunique, mais la chape est moins orientalisante, surtout avec ses repeints modernes à fleurons dorés. Les chaussures sont rondes et élargies en patte d'ours.
Il tient respectueusement la couronne d'épines par l'intermédiaire d'un linge (ce qui renvoie aux linges entourant les reliques de la Sainte Couronne depuis saint Louis), mais ce linge repose sur ses deux avant-bras et pourrait aussi être vu comme nécessaire à la mise au tombeau et à ses préparatifs.
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VI. AUTRES STATUES.
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Saint Jean-Baptiste.
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Saint Jean.
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Anne trinitaire ; Jésus guide Marie dans sa lecture des Écritures. Bois polychrome, surpeint, XVIe siècle. Bas-côté sud.
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Saint Sébastien.
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. Saint évêque.
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Saint abbé (saint Maudez ?), bois polychrome, début XVIe siècle.
— CHAURIS (Louis), 2010, Pour une géo-archéologie du Patrimoine : pierres, carrières et constructions en Bretagne Deuxième partie : Roches sédimentaires, Revue archéologique de l'Ouest.
Des niveaux gréseux affleurent au sein des schistes bleus du bassin carbonifère de Châteaulin. Tous les intermédiaires apparaissent entre des schistes gréseux encore fissiles, riches en minéraux phylliteux, et des grès feldspathiques plus massifs, caractérisés par leur teinte verte ou gris-vert. Le faciès gréso-feldspathique est formé de quartz non jointifs – ce qui facilite le façonnement – et de plagioclases, moins nombreux, dans un fond phylliteux qui rend compte du caractère tendre de la roche (la nuance verdâtre est due à la chlorite). Ce grès feldspathique fournit de beaux moellons et des pierres de taille, voire même des éléments aptes à la sculpture (Eveillard, 2001).
Ce matériau a déjà été utilisé dans la cité gallo-romaine de Vorgium (aujourd’hui Carhaix – cf. photo IV). Son emploi, à nouveau attesté dès le xvie siècle, prend une place essentielle dans les constructions, à Carhaix et dans ses environs : manoir de Lanoënnec (porte avec cintre en deux éléments, fenêtre avec linteau à accolade) ; manoir de Crec’h Henan (xviie siècle ? avec beaux moellons) ; manoir de Kerledan (xvie siècle, avec érosion en cupules) ; château de Kerampuil (1760, soubassement) ; Kergorvo (portes) ; manoirs de Kerniguez : grand manoir (superbes moellons) et petit manoir (moellons pouvant atteindre un mètre de long, en assises d’épaisseurs diverses, correspondant à la puissance des bancs dans les carrières). A Carhaix même, dans la maison du Sénéchal (xvie siècle), belle cheminée à l’étage. On retrouve ce grès dans les élévations de l’église de Plouguer, ainsi que dans celles de l’église de Saint-Trémeur (parties du xixe s.), dans la façade occidentale de la chapelle du couvent des Hospitalières (xviie siècle) ou au manoir de Maezroz près de Landeleau : photo V, VI… (Chauris, 2001c).
Les Travaux publics ont également fait appel à cette pierre locale. Dans les ouvrages du canal de Nantes à Brest (première moitié du xixe siècle), toujours aux environs de Carhaix, elle a été utilisée sous des modalités diverses : en beaux moellons pour le couronnement du parapet d’un pont près de l’écluse de l’Île ; en petits moellons pour le soubassement des maisons éclusières de Pont Dauvlas, de Kergouthis… ; les faciès plus schisteux – et par suite plus fissiles – ont été recherchés pour le dallage médian des bajoyers de quelques écluses (Kervouledic, Goariva), voire comme dalles devant la maison éclusière (Goariva…). De même, les infrastructures ferroviaires ont aussi employé ce matériau local (pont franchissant le canal au sud-est de Kergadigen).
Mais cette pierre n’a pas été recherchée uniquement autour de Carhaix ; en fait, elle a été utilisée un peu partout dans le bassin de Châteaulin. À Pleyben, dans l’église paroissiale – qui remonte en partie au xvie siècle – le grès vert joue un rôle essentiel en sus du granite : élévation méridionale ; sacristie édifiée au début du xviiie siècle (le grès est alors extrait des carrières de Menez Harz et de Ster-en-Golven) ; la même roche a été aussi utilisée pour l’ossuaire (xvie siècle) et l’arc de triomphe (xviiie), où elle présente quelques éléments bréchiques. également à Pleyben, la chapelle de Gars-Maria, y recourt localement en association avec des leucogranites. À Châteauneuf-du-Faou, dans la vaste chapelle Notre-Dame-des-Portes (fin du xixe siècle), ce grès est en association avec divers granites ; les traces d’outils de façonnement y sont très nettes sur les parements vus. Comme aux environs de Carhaix, les grès verts ont également été recherchés, plus à l’ouest, pour l’habitat.
Ces grès ont aussi été mis en oeuvre dans la statuaire : parmi bien d’autres, évoquons les statues dressées au chevet de l’église de Laz, la statue de Saint-Maudez au Vieux-Marché (Châteauneuf-du-Faou), celle de Saint-Nicolas dans la chapelle N.-D. de Hellen (Edern), plusieurs personnages du célèbre calvaire de Pleyben… Quelques éléments de la chapelle – ruinée – de Saint-Nicodème, en Kergloff, ont été remployés lors de la reconstruction de la chapelle Saint-Fiacre de Crozon, après la dernière guerre ; en particulier de superbes sculptures d’animaux ont été emplacés à la base du toit dans la façade occidentale (Chauris et Cadiou, 2002).
Cette analyse entraîne quelques remarques de portée générale.
Dans un terroir dépourvu de granite, artisans et artistes locaux ont su mettre en œuvre un matériau qui, au premier abord, ne paraissait pas offrir les atouts de la « pierre de grain » qui affleure au nord et au sud du bassin.
Ce matériau local, utilisé dans les édifices les plus variés, confère au bâti du bassin de Châteaulin une originalité architecturale. Son association fréquente aux granites « importés » induit un polylithisme du plus heureux effet. Parfois, le grès a même été exporté vers les bordures du bassin, au-delà de ses sites d’extraction.
Du fait de ses aptitudes à la sculpture, le grès vert a été très tôt recherché pour la statuaire. Il joue localement le rôle des célèbres kersantons de la rade de Brest, à tel point que, dans un musée dont nous tairons le nom, une statue du xvie siècle, a été rapportée au kersanton, alors qu’en fait elle est en grès vert : hommage inconscient à ce dernier matériau !
L’emploi de cette roche singulière, constant pendant plusieurs siècles (au moins du xvie au début du xxe siècle) paraît aujourd’hui totalement tombé dans l’oubli. Ses qualités devraient susciter une reprise artisanale, tant pour les restaurations que pour les constructions neuves."
— COUFFON (René), 1939, "Répertoire des églises et chapelles du diocèse de Saint Brieuc et Tréguier" page 174[390] et suiv.
— COUFFON (René), 1958, L'Iconographie de la Mise au tombeau en Bretagne In: Mémoires de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Bretagne vol. 38 (1958) p. 5-28.
— ÉVEILLARD (Jean-Yves), 1995, Statues de l'Antiquité remaniées à l'époque moderne: l'exemple d'une tête au cucullus à Châteauneuf-du-Faou (Finistère) Revue archéologique de l'Ouest année 1995 12 pp. 139-146
—LE SEAC'H (Emmanuelle), 2015, Sculpteurs sur pierre en Basse-Bretagne, Presses Universitaires de Rennes pages 249-250.
— OLLIVIER, (Sophie), 1993 -L'architecture et la statuaire en grès arkosique dans la vallée de l'Aulne centrale. Mém. de maîtrise d'histoire (inédit), J.Y. Eveillard, dir., U.B.O., Brest, 2 vol.
L'église de Clohars-Fouesnant : les vitraux; la déploration à dix personnages ; les statues; les sablières sculptées .
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PRÉSENTATION.
Les fenêtres des deux bras du transept (baie 1 au nord et baie 2 au sud) conservent des vitraux anciens, probablement déplacés.
Un aveu de Cheffontaine en 1758 (E. 203), nous donne comme il suit les prééminences de cette maison à Clohars ayant repris les titres des seigneurs de Bodigneau, et décrit une maîtresse-vitre, deux baies éclairant, au dessus de l'autel et sur le côté nord, la chapelle du bras gauche du transept (côté de l'évangile) — baie 1— et deux baies éclairant, au desus de l'autel et sur le côté sud, éclairant la chapelle méridionale — baie 2) : ce seraient les chapelle dites de La Trinité et de Saint-Maurice. Enfin une baie est indiquée "au dessus du grand portail".
Les donateurs sont Pierre Droniou seigneur de Botigneau, écuyer, fils de Jean Droniou et Eléonore de Rosmadec et son épouse Marie de Tréanna, née vers 1480. Ils sont vivants en 1515.
« Le Sr de Cheffontaine, à cause de la Seigneurie de Bodignio, comme fondateur de l'église paroissiale de Clohars et des chapelles de Saint-Jean et de Saint-Guénolé qui lui appartiennent privativement, a dans la dite église paroissiale la liziere et ceinture funèbre autour de la dite église tant en dedans qu'en dehors, dans la grande vitre immédiatement au-dessous des armes du Roy sont celles de Botigneau : de sable à l'aigle esployèe d'argent à deux têtes becquées et membrées de gueules.
Dans la chapelle, côté de l'Évangile, sont les armes de Botigneau en supériorité dans la vitre au-dessus de l'autel et dans la grande vitre du côté Nord, au-dessus d'une arcade échangée avec le Sr de Kergoz pour une tombe que ce dernier avait dans le sanctuaire du côté de l'Épitre.
Dans le second soufflet de la même vitre sont représentés Pierre de Botigneau et Marie de Tréanna, le dit Pierre portant sur sa cotte, l'aigle d'argent à deux tôtes, et la dite dame porte party de Botigneau et de Tréanna qui est d'argent à la macle d'azur.
Dans la chapelle, du côté de l'Épitre, sous les armes de Botigneau au premier soufflet de la vitre au-dessus de l'autel, ainsi que dans la vitre du côté du Midy- sont également les dites armes en relief à la clef de voûte de la chapelle servant de sacristie, item à la clef de voûte du porche méridional, et dans la vitre au-dessus du grand portail.
Au milieu du chœur, joignant le marchepied du maître-autel, est la tombe des Seigneurs de Botigneau, chargée de cinq écussons de Botigneau et ses alliances, de même autre tombe chargée de pareils écussons dans la chapelle du côté de l'Évangile, devant le maître-autel ; ils sont seuls prééminenciers dans les chapelles de Saint-Jean et de Saint-Guénolé.
En la maîtresse vitre, à Clohars, au second soufflet du côté de l'Evangile, sont les armes du Juch ; dans le troisième, côté de l'Épitre, armes du Juch en alliance avec celles de Bodinio. En la chapelle de Saint-Maurice, côté de l'Epitre, Juch en alliance avec Rosmadec et Bodinio ; dans la chapelle de la Trinité, côté Est, Juch avec Bodinio et Rosmadec. »
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1°) baie 2 au sud, Pietà et saint Christophe (vers 1520), avec l'inscription : "Les verrières de ces deux chapelles ont été restaurées par L. Lobin de Tours, 1890".
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Cette baie à deux lancettes trilobées et un tympan à un oculus et 2 écoinçons est haut de 2,30 m, et large de 1,00 m. Elle est le don d'un seigneur de Bodigneau.
Dans un important dais à décor Renaissance (coquilles, putti musiciens semblables à ceux de la verrière de Dinéault présentée au Musée Départemental Breton, la lancette de gauche montre la Vierge de pitié assise au pied de la croix. L'artiste a repris le carton utilisé pour la chapelle de Lannelec à Pleyben en baie 0, datant vers 1530.
Au tympan, les armes anciennes de Botigneau, du Juch et de Rosmadec , sans doute brisées, ont été remplacées en 1890 par celle de l'évêque Christophe de Penfeunteniou, surmontées du chapeau de cardinal.
Roger Barrié a attribué l'exécution de cette baie à l'atelier cornouaillais auteur de la verrière de Dinéault, et de la Transfiguration de Sainte-Barbe au Faouët :
Les vitraux de l'église de Clohars-Fouesnant . Photographie lavieb-aile.
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La Vierge de Pitié de Lannélec à Pleyben.
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2°) au nord, en baie 1, la Vierge à l'Enfant, et saint Maurice abbé, écusson double et devise : "PLURA QUAM OPTO" .
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Cette baie de 2 lancettes trilobées et un tympan à 3 ajours mesure 1, 80 m de haut et 1,10 m. de large. Elle est datée par estimation dvers 1500 et restaurée en 1890 par Lucien-Léopold Lobin, puis dans la seconde moitié du XXe sièclepar Jean-Pierre Le Bihan avec remplacement des plombs de casse par collage bout à bout.
Dans la lancette gauche, sous une niche à décor flamboyant à voûte verte tendue d'un damas rouge frangé, la Vierge à l'Enfant, couronnée, debout est datée vers 1500. La tête de l'Enfant a été restaurée en 1890.
Dans la lancette droite, saint Maurice abbé.
Au tympan, les armes de Louis-Hyacinthe de Penfeunteuniou de Cheffontaines et de sa femme Angèle-Noémie Huchet de Quénetain.
Les vitraux de l'église de Clohars-Fouesnant . Photographie lavieb-aile.
Les vitraux de l'église de Clohars-Fouesnant . Photographie lavieb-aile.
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La déploration à dix personnages (bois polychrome, XVIe siècle, influence flamande).
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Sur les Mises au tombeau et les Déplorations du Finistère :
a) Saint Jean, la Vierge et Marie-Madeleine soutiennent le corps du Christ après sa déposition de la croix.
Saint Jean, pieds nus, porte un manteau vert à galon d'or et une tunique grise. Il soutient la tête du Christ, dont la couronne d'épine a été ôtée.
La Vierge porte un manteau bleu à galon d'or, une robe rose, un voile et une guimpe. Elle soutient son Fils sous l'aisselle droitte, et tient son bras gauche ; son regard est dirigé vers le visage du Christ.
Marie-Madeleine porte un manteau vert clair, une robe bleue à ceinture dorée nouée, une chemise blanche fine dont le tour de cou est brodé d'or, et le voile rétro-occipital (très particulier à notre sculpture du XVIe-XVIIe siècle) passant derrière la nuque mais laissant les longs cheveux bruns dénoués tomber sur les épaules. Elle soutient la cuisse gauche de son maître, dont les pieds croisés reposent sur sa jambe.
b) Sur la deuxième rangée vient la deuxième sainte femme (Marie Salomé ou Marie Jacobé), les mains croisés, richement vêtue de blanc et portant un turban orientalisant. Puis Joseph d'Arimathie dont l'appartenance au Sanhédrin juif est souligné par le bonnet conique aux rabats d'oreille orné de glands d'or et par la barbe ; il tient l'extrémité du suaire. Son voisin est imberbe, ce pourrait être Abibon, fils de Gamaliel
La troisième sainte femme, coiffée d'un vaste chapeau vert et or et portant une robe bleu-clair, s'apprête à s'essuyer les yeux de son mouchoir.
Une quatrième femme, en arrière, mains jointes, n'est pas identifiée.
Enfin, à l'extrême droite, nous trouvons Nicodème, dont l'appartenance au peuple juif est soulignée par le bonnet conique à oreillettes et par la parbe longue, mais aussi le manteau à camail.
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La Déploration de l'église de Clohars-Fouesnant . Photographie lavieb-aile.
La Déploration de l'église de Clohars-Fouesnant . Photographie lavieb-aile.
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Les sablières.
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Un vase libérant des entrelacs. Une signature ? JTBM ?
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Les sablières de l'église de Clohars-Fouesnant . Photographie lavieb-aile.
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Les armoiries du seigneur de Bodigneau présentées par deux hommes en tunique, brandissant l'épée.
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Les sablières de l'église de Clohars-Fouesnant . Photographie lavieb-aile.
Les sablières de l'église de Clohars-Fouesnant . Photographie lavieb-aile.
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La statuaire.
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Saint François montrant ses stigmates, bois polychrome, XVIIe siècle.
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Les statues de l'église de Clohars-Fouesnant . Photographie lavieb-aile.
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Dans une niche à deux colonnes corinthiennes latérale à l'autel, saint Hilaire, bois polychrome, XVIIe siècle.
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Les statues de l'église de Clohars-Fouesnant . Photographie lavieb-aile.
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Dans une niche à deux colonnes corinthiennes du chœur latérale à l'autel, la Trinité ou Trône de grace, bois polychrome, XVIIe siècle.
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L'aveu de 1758 signale la présence d'une chapelle de la Trinité au sein de l'église.
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Les statues de l'église de Clohars-Fouesnant . Photographie lavieb-aile.
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L'autel ; saint Isidore avec sa faucille.
Le maître-autel résulte d'un assemblage consécutif à une restauration de 1841.
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Les statues de l'église de Clohars-Fouesnant . Photographie lavieb-aile.
Les statues de l'église de Clohars-Fouesnant . Photographie lavieb-aile.
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La bannière de l'ensemble paroissial Odet Rive Gauche (Mission 2012).
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Cette photo montre un projet (impression sur toile ) qui n'a peut-être pas été réalisé.
En forme de croix latine, elle comprend une nef composée d'une petite travée aveugle divisée en trois et de quatre travées avec bas-côtés, et, au-delà d'un arc diaphragme, un choeur de deux travées sur lesquelles s'ouvrent deux chapelles en ailes formant faux transept ; le chevet, peu débordant, est plat. L'édifice date des XVe et XVIe siècles. Les piliers du choeur, octogonaux, ont des bases du XVe siècle et des chapiteaux recevant sur culots incorporés les voussures d'intrados des grandes arcades.
La porte ouest, en anse de panier moulurée, est décorée d'une accolade très relevée, avec choux frisés développés, et encadrée de hauts pinacles ; ses voussures sont cependant interrompues encore par des chapiteaux dénotant également le XVe siècle.
La nef a des piliers cylindriques sans chapiteaux recevant les voussures des grandes arcades en pénétration directe ; il en est de même à l'arc diaphragme supportant un petit clocher.
Le porche sud est voûté sur arcs ogives avec liernes longitudinale et transversale, et sa porte extérieure a ses voussures ininterrompues indiquant la première moitié du XVIè siècle.
Une curieuse frise de cavaliers décore la tourelle donnant accès à la salle de délibération. Accolée au porche, sous la même toiture, sacristie voûtée aussi sur croisée d'ogives.
Mobilier :
Maître-autel en tombeau galbé, fin du XVIIe siècle. Dans le petit retable qui encadre le tabernacle à colonnettes, deux bas-reliefs en bois polychrome : Annonciation et Assomption.
Deux autels latéraux, l'un en tombeau droit avec retable à écussons (XVIIe siècle ?), l'autre en tombeau galbé avec retable à tourelles, dédié à la Vierge (XVIIIe siècle). Sur la tribune, inscription : "DON DE MADEMOISELLE HERNIO. 1878/LABORY. M. ER."
Statues anciennes - en pierre : sous le porche, beau groupe de la Trinité portant l'inscription en caractères gothiques : "M. G. GUILLERMI. F.", le Père et le Fils, assis, tenant ensemble un livre ouvert, comme à Dinéault, XVe siècle (C.) ;
- en bois polychrome : autre sainte Trinité, le Père debout tenant la croix de son Fils, XVIIe siècle, et saint Hilaire évêque (niches du choeur), Crucifix (nef), Descente de croix à dix personnages, XVIe siècle, saint Maurice de Carnoët dit "SANT VORIS", saint François aux stigmates, XVIIe siècle
Dans un enfeu de la chapelle nord, pierre tombale d'un Sr de Bodigneau, elle était autrefois dans le choeur. Vitraux : aux fenêtres du transept, deux verrières du début du XVIe siècle, ainsi que l'indiquent les dais Renaissance et les Anges musiciens ; au nord, Vierge à l'Enfant, saint Maurice abbé, écusson double et devise : "PLURA QUAM OPTO" ; et au sud, Pietà et saint Christophe, avec l'inscription : "Les verrières de ces deux chapelles ont été restaurées par L. Lobin de Tours, 1890" - Fenêtre du chevet : la Passion, atelier Lobin.
— GATOUILLAT (Françoise), HÉROLD (Michel), 2005, Les Vitraux de Bretagne, PUR édition, page 122.
Un geste d'embaumement par Marie-Madeleine sur la Déploration ("Piétà") de Tarascon (peinture sur noyer, Jacques Dombet ?, vers 1456-1457) du musée du Moyen-Âge de Cluny. Dépôt du Louvre Cl 18509.
1. Présentation générale (d'après les sites de référence)
Cette peinture provençale du 15e siècle représente le thème de la Pietà, ou plutôt de la Déploration puisque plusieurs personnages accompagnent la Vierge. La Vierge éplorée porte sur ses genoux le corps de son fils Jésus. Elle est entourée de Jean et des trois Marie, dont Marie-Madeleine, reconnaissable à ses cheveux dénoués et à son pot de parfum, ou plutôt d'onguent. La scène insiste sur la douleur (mines tristes, couronne d’épines, présence du sang…) et amène à réfléchir sur la souffrance et la mort.
Le tableau est presque certainement celui qui, selon un inventaire de 1457, se trouvait dans la chambre de Jeanne de Laval, seconde femme du roi René . Il était qualifié de "neuf" en 1457, et ornait la "chambre neuve de la reine" du château de Tarascon, avec la description suivante : unum retabulum Domini-Nostri- Jesu-Christi, in brachiis Nostre Domine, novum . Si tel est le cas, il aurait alors été commandé par le roi René (1409–1480), duc d’Anjou, comte de Provence, roi de Naples et de Sicile.
L’œuvre se trouvait dans l’hospice de Tarascon en 1910 lorsqu’elle a été acquise par le musée du Louvre puis déposée au musée de Cluny. A cette date, en arrière-plan, se développait un ample paysage dominé par la silhouette de Jérusalem (entre le Christ et saint Jean, au niveau du bras droit du Christ, un fragment brunâtre de cet ajout des 16e – 17e siècles a été préservé). Il a été retiré en 1950, découvrant un fonds d'or, délicatement parcouru de rinceaux estampés et égayé d’auréoles poinçonnées à petits motifs géométriques et de fleurettes.
L’œuvre s’inspire des compositions des grands maîtres de la peinture flamande (Van Eyck , Robart Campin, et Rogier van der Weyden, en particulier) et plus directement encore de la Pietà d’Avignon peinte par Enguerrand Quarton pour la collégiale de Villeneuve-les-Avignon, aujourd’hui au musée du Louvre (*). Plus chargée en personnages, d’un tracé un peu dur, mais chargée de la douce lumière caractéristique des peintres du Midi de la France, la Pietà de Tarascon pourrait être l’œuvre de l’atelier des frères Dombet basé à Aix-en-Provence. L’œuvre est présentée dans les nouvelles salles du musée, après restauration (2021).
(*) Pour Charles Sterling, l'influence s'étant transmise par le Maître de l'Annonciation d'Aix et ses disciples provençaux : l'auteur de la Pieta d'Avignon et celui du retable de Boulbon — à huit kilomètres de Tarascon — peint la même année 1457 et dans une manière tout à fait semblable à celle de la Pieta de Cluny.
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2. Description.
"Au centre, la Vierge est assise, en vêtement bleu à orfroi d'or et bordure de col à inscription stylisée, IHM ; sur ses genoux, le Christ mort, la tête vers la gauche, une longue traînée de sang coulant de la plaie du côté droit ; à gauche, saint Jean, en robe rouge et manteau vert, retire la couronne d'épines ; à droite, Madeleine, vêtue d'une robe rose et d'un manteau vert pâle à bordure d'hermine, les cheveux blonds éployés sur le dos, agenouillée, tenant un vase d'une main et une plume de l'autre dont elle répand des essences sur les plaies des pieds du Christ ; à droite, une sainte femme (Marie ?) vêtue de rouge, baise la main du Christ ; et une autre femme sainte portant un chaperon blanc et un manteau pourpre, joint les mains en prière. Le fond d'or, gravé de rinceaux de feuillages stylisés et des nimbes des personnages, a été mis à jour après restauration en 1951 : il était recouvert d'une couche picturale représentant la base de la croix, la ville de Jérusalem et un paysage, exécutés au XVIe siècle. " (Musée du Louvre)
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3. Mon questionnement.
En lisant les descriptions des experts du Louvre, je m'interroge sur la "plume" tenue par Marie-Madeleine, que je considère être une lancette (scalpel), instrument ancillaire de la chirurgie médiévale, et notamment des saignées. La couleur grise indique que l'instrument est en métal, voire même en argent. Or, je ne parviens à retrouver dans mes recherches en ligne aucune réflexion sur ce geste singulier.
Cela pourrait être une "spatule" ou "cuiller à onguent", accessoire de prélèvement et d'application des onguents, puisque le "pot à onguent", attribut caractéristique de Marie-Madeleine, et qu'elle tient ici dans la main gauche, est ouvert, le couvercle soulevé. Mais les documents iconographiques montrent des ustensiles à extrémité arrondies, et incurvées par une gouttière, précisément en "cuiller".
En remplaçant le terme de "plume" de la description des spécialistes du Louvre par lancette, scalpel, ou encore spatule ou cuiller à onguent, et en remplaçant le terme "vase" par "vase d'aromates" ou "pot à onguent" je peux valider le reste de la phrase : tenant son pot à onguent d'une main et une spatule de l'autre, Marie-Madeleine répand des essences sur la plaie du pied gauche du Christ.
Or, ce geste est tout sauf anodin. C'est une intervention manuelle de soins sur un cadavre : quelle qu'en soit l'intention, c'est une onction, c'est déjà un geste d'embaumement, en langage contemporain c'est un geste de thanathopraxie : "art de retarder la décomposition du corps par des techniques d'embaumement et/ou un ensemble de mesures esthétiques visant à maintenir un cadavre le plus longtemps possible en bon état" (CNRTL). Au XVe siècle, L’embaumement tel qu’il était pratiqué en Occident à l'époque médiévale répondait certes à une fonction pratique, celle l'exigence de conserver le corps jusqu’à l’achèvement des cérémonies funèbres, mais aussi à une fonction théologique, celle de lui donner une « odeur de sainteté » qui permettra son entrée au Paradis lors de l’« apothéose » (P. Charlier).
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Néanmoins, le geste de Marie-Madeleine ne peut correspondre, selon les textes évangéliques, à l'embaumement stricto sensu du Christ, pour lequel les trois Maries portant les aromates se rendent au sépulcre le Lundi de Pâques , embaumement qui est annulé par la découverte du tombeau vide et l'annonce de la Résurrection (Luc 24:1-12).
Des peintures et enluminures, dont celle de Fouquet pour les Heures d'Etienne Chevalier (1452-1460), montrent la "Pierre de l'onction" (ou Pierre de l'embaumement) sur laquelle, selon la tradition, le corps du Christ fut lavé et enveloppé dans le suaire avant la Mise au Tombeau. Cette pierre est encore conservé dans la Basilique du Saint-Sépulcre de Jérusalem et faisait l'objet d'une importante vénération. Il faut rappeler que René d'Anjou, probable commanditaire du retable, était roi de Sicile et de Jérusalem. Il ne se rendra néanmoins pas en pèlerinage à Jérusalem.
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Ma recherche est rendue complexe par le manque d'accroche des différents mots clefs que je lance en hameçon sur le moteur de recherche. Néanmoins, elle connaîtra un tournant par la découverte d'un autre retable, contemporain de celui-ci, et également provençal, celui de Pignans, et sur lequel Marie-Madeleine, tenant la main gauche du Christ, s'apprête à y appliquer des aromates à l'aide d'une tige (spatule ?) qu'elle trempe dans son vase d'onguent. C'est là le seul autre exemple que j'ai pu découvrir de ce geste singulier qui conserve son mystère. Faut-il l'interpréter comme un geste de soin et sollicitude attendrie, voire à visée hémostatique, sur la plaie du pied (stigmate) par application d'onguent?
Cette recherche n'aboutira pas à une interprétation claire et documentée, mais à défaut, elle me conduit à examiner les enluminures des livres possédés par les deux époux royaux, et me permet de souligner quelques points :
La dévotion réelle de René d'Anjou et de Jeanne de Laval, orientée notamment vers la méditation devant le Christ mort, et devant ses plaies (culte de l'Hostie de Dijon portant l'image du Christ au corps semé de taches de sang ) selon deux enluminures du Livre d'Heures du roi René.
Le culte de Marie-Madeleine associé depuis René d'Anjou au culte des Trois Maries ( En 1448, sous l'impulsion du roi René, a lieu l'invention des reliques des saintes Maries, soit Marie de Nazareth, sa demi-sœur Marie Salomé ou Marie Jacobé et Marie Madeleine, dites les Trois Maries).
La réalité de l'embaumement des corps des rois et des princes au Moyen-Âge, et notamment de celui de René d'Anjou. La technique, et les aromates utilisées, sont parfaitement détaillées par les archéologues.
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Commençons par examiner l'œuvre. J'ai préféré placer ici mes clichés plutôt que ceux pourtant bien-sur supérieurs, proposés par le musée de Cluny.
Vue générale : une donatrice agenouillée mains jointes devant le retable. Cl. 19271.
Cette donatrice passait jadis pour être Jeanne de Laval, épouse de René d'Anjou, ce qui explique sa présence. Elle est à peu près contemporaine du retable (troisième quart du XVe siècle) et on l'a identifiée comme étant l’épouse de Jean des Martins, chancelier dse Provence auprès du roi René. Elle est attribuée à Audinet Stéphani (?), sculpteur mentionné à Aix-en-Provence de 1448 à 1476.
La Déploration de Tarascon (peinture sur noyer, Jacques Dombet ?, vers 1456-1457) du musée du Moyen-Âge de Cluny. Photgraphie lavieb-aile 2023.
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Le retable.
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Il mesure 84 cm sur 130 cm.
Les reflets sur mon cliché, et notamment celui en cercle, n'ont pu être évités.
On note le fond en or et les rinceaux dégagés par la restauration autour des six nimbes polycycliques.
Le cadavre du Christ est posé sur les genoux de sa Mère, en soutien au niveau des épaules et du bassin, mais les jambes semblent flotter, même si on peut penser que les pieds sont appuyés sur un soubassement recouvert par le manteau bleu. L'axe du corps forme l'une des diagonales du tableau.
Les cinq plaies (des mains, des pieds et du flanc) et celles des épines de la couronne sont très visibles, en raison de l'écoulement du sang pendant la crucifixion.
Chaque personnage autour du Christ est isolé d'une part par une attitude et une préoccupation qui lui est propre, et d'autre part par l'absence d'interaction entre eux.
Marie soutient de ses mains le buste de son Fils, et le contemple douloureusement, la tête inclinée et les sourcils froncés.
Marie Salomé (ou Jacobé), en rouge, soulève la main gauche du Crucifié, et la baise, mais son index touche le sang qui s'écoule de la plaie.
Marie Jacobé est en retrait et observe la scène, les mains jointes. Elle n'appartient pas à la composition en dôme des cinq autres personnages, elle est la seule à ne pas être active, ou en contact avec le corps du supplicié. Elle pourrait, par son rôle de spectatrice, inciter le fidèle à s'identifier à elle.
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La Déploration de Tarascon (peinture sur noyer, Jacques Dombet ?, vers 1456-1457) du musée du Moyen-Âge de Cluny. Photgraphie lavieb-aile 2023.
La Déploration de Tarascon (peinture sur noyer, Jacques Dombet ?, vers 1456-1457) du musée du Moyen-Âge de Cluny. Photgraphie lavieb-aile 2023.
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Saint Jean, cheveux bouclés et visage jeune et imberbe, porte la robe rouge qui lui est attribuée dans l'iconographie, notamment pour le distinguer de Marie. Cette robe est recouverte d'un manteau vert aux pans réunis par un fermail doré ovale. Ses genoux sont à demi fléchis.
Fronçant les sourcils, il est occupé à ôter délicatement la couronne d'épines, comme s'il craignait de blesser d'avantage son maître.
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La Déploration de Tarascon (peinture sur noyer, Jacques Dombet ?, vers 1456-1457) du musée du Moyen-Âge de Cluny. Photgraphie lavieb-aile 2023.
La Déploration de Tarascon (peinture sur noyer, Jacques Dombet ?, vers 1456-1457) du musée du Moyen-Âge de Cluny. Photgraphie lavieb-aile 2023.
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Le pagne ou perizonium est une gaze translucide, et l'attention portée par le peintre à une représentation naturaliste du rendu de la peau, des volumes anatomiques et de la pilosité du pubis est extraordinaire.
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La Déploration de Tarascon (peinture sur noyer, Jacques Dombet ?, vers 1456-1457) du musée du Moyen-Âge de Cluny. Photgraphie lavieb-aile 2023.
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Le peintre n'a pas omis de souligner l'élégance et le luxe des vêtements de Marie-Madeleine, associant une robe de velours rouge et un manteau vert doublé de fourrure d'hermine aux reflets soyeux. Par symétrie avec saint Jean, ses genoux sont à demi-fléchis, le fermail ovale de son manteau est identique, sa tête est penchée sur la tâche qu'elle s'est assignée et ses traits expriment la même expression pleine de sollicitude.
Ses cheveux dénoués, bouclés et très longs sont déjà ceux que les peintres donneront à la Madeleine pénitente. Mais ici, les vagues régulières de leur ondulation témoignent de l'opulence et du souci corporel de la sainte.
Elle tient en main gauche un vase d'orfèvrerie évasé, à couvercle conique articulé et semi-ouvert, assez différent des pots de pharmacie de type albarelle.
L'instrument qu'elle tient si délicatement de la main droite entre pouce et index est de couleur grise, évoquant l'étain ou plutôt l'argent. C'est une tige élargie en feuille ovale à l'extrémité, et dont la pointe correspond exactement (par comparaison avec le pied droit) à l'orifice de la plaie du pied gauche, causée par le clou de la crucifixion.
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La Déploration de Tarascon (peinture sur noyer, Jacques Dombet ?, vers 1456-1457) du musée du Moyen-Âge de Cluny. Photgraphie lavieb-aile 2023.
La Déploration de Tarascon (peinture sur noyer, Jacques Dombet ?, vers 1456-1457) du musée du Moyen-Âge de Cluny. Photgraphie lavieb-aile 2023.
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DISCUSSION.
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Dans un premier temps, je montrerai qu'un autre exemple de geste d'embaumement du corps du Christ par Marie-Madeleine existe sur un tableau provençal un peu plus tardif. Il viendra compléter et éclairer l'interprétation du geste du retable de Tarascon.
Dans un deuxième temps, je chercherai à explorer, forcément partiellement, l'iconographie de ce geste. On le retrouve au XIIe siècle sur les Mises au tombeau des vitraux ou chapiteaux, mais ce sont exclusivement les hommes (Juifs accompagnant Joseph d'Arimathie et Nicodème) qui portent les flacons d'aromates et en versent le contenu. Puis cette tradition disparait ensuite, et dans les les Déplorations ou Mises au tombeau des maîtres de l'enluminure du XIV et XVe siècle, on ne trouve plus ces flacons, ou bien seulement comme accessoire sans geste d'utilisation (Jean Pucelle, le Maître de Boucicaut, les frères de Limbourg, Jean Poyer, le Pseudo-Jacquemart). Marie-Madeleine est néanmoins souvent représentée penchée sur les mains ou les pieds du Christ qu'elle embrasse ou couvre de ses cheveux (Fra Angelico 1436 ; Très Riches Heures du duc de Berry f.157, Jean Colombe 1485).
Vers 1555, Jean Fouquet reprend cette tradition du geste d'embaumement, mais le réserve là encore aux hommes.
Les enluminures des Heures de René d'Anjou ou du Psautier de Jeanne de Laval (par un peintre influencé par Jean Fouquet) ne montrent pas d'exemples de geste d'embaumement, mais témoignent de l'importance d'une dévotion, individuelle, aux plaies du Christ et aux souffrances de sa Passion.
C'est dire l'originalité des deux exemples, les peintures de Tarascon et de Pignans, qui confient à Marie-Madeleine, l'une des trois saintes Femmes, les trois Maries, ce geste d'embaumement.
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Cette reprise se situe dans un contexte particulier, celui du développement du culte de Marie-Madeleine, de sainte Marthe et des Trois Maries par René d'Anjou.
Enfin, je rappellerai que la pratique de l'embaumement était courante au XVe siècle et que René d'Anjou en a bénéficié.
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1°) Le retable de la collégiale de Pignans (Var). Une Déploration à neuf personnages encore désignée sous le titre de "Déposition de croix"; ou "Descente de croix".
Nous retrouvons une variante du même geste sur une Déploration de la collégiale de Pignans, dans le massif de Sainte-Baume, à 160 km de Tarascon ou d'Avignon. Marie-Madeleine s'apprête à appliquer l'ustencile (plume, spatule ou lancette...) sur la plaie de la main gauche du Christ, mais est encore en train de le placer dans le pot d'onguent. Cela confirme l'interprétation du retable de Tarascon : il s'agit bien d'un geste d'onction des plaies (mains ou pieds), par le contenu du vase. Cette attention aux plaies du Christ est soulignée, à Pignans, par la présence de saint François montrant ses stigmates. Nous ne pouvons dire si ce geste de la sainte est un geste de soin (application d'onguent), ou un geste d'adoration (application de parfums et substances honorifiques), et c'est sans doute les deux à la fois.
Peinture sur cinq panneaux de bois, de H = 300 ; l = 303 ; pr = 3,5 cm. 4e quart 15e siècle ; 1er quart 16e siècle. Ce tableau est attribué à l'école d'Avignon mais pourrait être une oeuvre de Josse Liedfrinxe.
L'arrière-plan cherche à évoquer les remparts de Jérusalem, mais on y reconnait une vue d'Avignon et de ses remparts. Au pied de la croix, Jean, en manteau rouge, soutient la Vierge en pamoison, aidé par une Sainte Femme agenouillée. À droite, une autre Sainte Femme, à l'écart, joint les mains. À gauche, saint François, penché sur la scène, montre ses stigmates.
Au premier plan, le Christ repose sur un suaire tendu par Joseph d'Arimathie et Nicodème. La plaie du flanc laisse échapper un long flot de sang. La couronne d'épines et les clous sont posés sur le sol .
Au centre, Marie-Madeleine est agenouillée et se penche ; de la main droite, elle saisit la main gauche du Christ pour mettre en évidence la plaie de la paume, tandis qu'elle tend le bras gauche pour tremper un ustencile (une plume, selon certains) dans le vase d'onguent posé au sol au centre, dans l'axe de la croix.
Elle est richement vêtue, mais son manteau rouge détaché tombe derrière ses reins, selon une tradition flamande qui sera repris sur les calvaires bretons des Prigent vers 1550.
Autre détail repris sur les calvaires bretons du milieu du XVIe siècle, tous les personnages sont en larmes.
"Un personnage discret, tout absorbé par son geste : Marie-Madeleine. Elle trempe délicatement une plume dans un vase de parfum pour laver les plaies du Christ. Historiquement, les évangiles précisent que les soins du corps n’avaient pu être donnés le vendredi soir en raison de la proximité avec la fête du sabbat qui interdisait tout travail. Ce geste a donc une portée symbolique. Tout d’abord, il rappelle l’onction de Béthanie, quand Marie-Madeleine avait oint les pieds du Christ avec du parfum les essuyant de ses cheveux (Mt 26, 6-13 ; Mc 14, 3-9 ; Le 7, 36-38 ; Jn 12, 1-8). Enfin, il manifeste les dispositions intérieures de Marie-Madeleine, toutes empruntes de charité, dans le souvenir du pardon total dont elle avait fait l’objet.
Il reste un dernier personnage un peu en retrait : saint François. La pratique était courante d’insérer dans un tableau représentant un mystère de la foi des saints en train de les contempler. Il s’agissait de manifester qu’ils tenaient leur fécondité de cette contemplation, et d’inviter chaque chrétien à les imiter. Par ailleurs, la croix du Christ en forme de tau confirme l’attachement des commanditaires à la spiritualité franciscaine. Le tableau religieux n’avait pas vocation à représenter un événement historique mais il permettait plutôt de rendre présent un mystère éternel. Ainsi, en contemplant le retable de Pignans, on découvre que trois évènements sont parfaitement contemporains dans le cœur de Dieu :
. le sacrifice du Christ,
. la réception des stigmates de saint François,
. la contemplation de la scène par le visiteur.
Saint François est debout, les mains ouvertes, absorbé par la souffrance de Marie. Ses stigmates sont bien visibles. Il veut nous dire par là que de même que Marie vit la passion du Christ, de même, tout homme, en découvrant jusqu’où l’amour du Christ est allé pour le sauver, est invité à s’associer par la prière et la contemplation, à ce mystère de l’amour rédempteur. "
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2°) Voir aussi :
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La Déploration du Christà quatre personnages (Jésus, Marie, Jean et la Madeleine en pleurs) de l'église Saint-Jean au Marché de Troyes (calcaire, Maître de Chaource, 1515-1530). Marie-Madeleine verse le contenu du vase (parfum ?) sur le pied du Christ, tout en essuyant ses larmes.
3°) Le Livre d'Heuresd'Étienne Chevalier enluminé par Jean Fouquet entre 1452 et 1460 : Les Heures de la Croix, Embaumement du corps de Jésus. (Santuario 17, Musée Condé de Chantilly.)
Ce livre d'Heures est du premier intérêt pour nous, car il est contemporain du retable de Tarascon, et nous verrons en outre que que les enluminures de Fouquet inspireront le Maître du psautier de Jeanne de Laval, celle-ci étant la première détentrice du retable de Tarascon.
Or, à la différence des autres livres d'heures qui proposent une Mise au tombeau, Fouquet consacre une enluminure à l'Embaumement du corps de Jésus sur la pierre d'onction, dans le cycle des Heures de la Croix, et pour Complies, après la Comparution (prime), le Portement de Croix (tierce), la Mise en Croix (sexte, perdue), la Crucifixion (none), et la Descente de Croix (vêpres) et alors qu'une Déploration illustre un texte indépendant du cycle liturgique des Heures, le Stabat mater.
Mais selon Nicole Avril, cet embaumement "était la forme sous laquelle était représentée en France la mise au tombeau jusqu'au XIVe siècle ; le corps du Christ y était simplement déposé sur la dalle, entouré de quelques vieillards qui versaient avec solennité sur lui le contenu de fioles de parfum pour l'embaumer."
Elle illustre son propos de la verrière typologique ou baie 37 de la cathédrale de Chartres datant vers 1150 où un homme en rouge verse le contenu d'un flacon sur le corps, qui est soutenu par Joseph d'Arimatie et Nicodème, en présence (?) de Jean et de la Vierge
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On retrouve cette scène sur un chapiteau de la collégiale Saint-Etienne de Dreux (Deuxième quart XIIe siècle). Selon la notice du musée,
"Aux angles, deux personnages, exécutés presque en ronde bosse, soutiennent le corps , l'un à la tête et l'autre aux pieds. On peut les identifier à Nicodème et Joseph d'Arimathie. Celui de gauche est coiffé de cette calotte hémisphérique côtelée que les artistes du moyen-âge ont souvent attribué aux Juifs. Deux autres hommes, représentés de face, participent à la scène. L'un, manches retroussées, paraît verser sur le corps le contenu d'une fiole qui tient des deux mains ; l'autre, hiératique, revêtu d'une chasuble, porte un livre dans la main gauche et un linge plié dans la main droite. Ses cheveux courts et raides font place sur le sommet de la tête à une large tonsure : ce prêtre est vraisemblablement saint Pierre. Les quatre hommes, barbus et moustachus ont la tête entourée d'un nimbe dont le bord est souligné par un simple sillon concentrique."
Joseph d'Arimathie tient la tête du corps du Christ, placé sur la pierre d'onction. Nicodème tient les pieds. Un homme tête nue, barbu, nimbé, verse sur le corps le contenu d'un flacon. Un saint prêtre tient un livre et l'étole.
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Pour les Heures d'Étienne Chevalier, Fouquet représente le Christ déposé sur la Pierre de l'onction, entouré de dix hommes, dont deux coiffés de bonnets, un tête nue, et sept coiffés de bonnets coniques ou de turbans juifs, associés à Jean (imberbe), un peu en arrière, la Vierge et deux saintes femmes, tandis que Marie-Madeleine est agenouillée et embrasse la main gauche du Christ.
La fonction d'embaumement est, comme pour les œuvres du XIIe siècle, réservée aux hommes : L'un tient un pot d'onguent et pose la main sur l'avant-bras gauche. L'autre, les manches retroussées, verse une fiole sur le flanc gauche. Un autre tient une fiole identique. Enfin un pot d'onguent est posé sur la pierre, devant l'homme vêtu d'or et de bleu, penché sur les jambes. Aucun écoulement de sang depuis les plaies n'est représenté.
Nous avons bien là non seulement la représentation de porteurs de pots ou flacons, mais bien celle d'un geste d'embaumement par versement d'aromates sur le torse et les jambes de Jésus.
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Les hommes porteurs de fioles ou pots d'aromates sont aussi représentés par Fouquet sur les autres enluminures des Heures d'Etienne Chevalier, enluminures conservées au sanctario du château de Chantilly.
a) Sur la Descente de Croix : deux personnages barbus tiennent des pots d'onguent dorés.
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b) Sur la Déploration: un homme près de la croix tient une fiole en verre .
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4°) Examen du Psautier de Jeanne de Laval (1458-1460 Maître de Jeanne de Laval et Jean Fouquet).
René d’Anjou (Angers 1409- Aix-en Provence 1480), comte de Provence, duc de Bar, de Lorraine et d’Anjou, roi de Naples. Il apporte son soutien à son beau-frère Charles VII de France contre les Anglais, lors de la guerre de Cent Ans. Il crée de nouveaux impôts, centralise l’administration dans ses États et protège le commerce ; ces actions, jointes à son amour des arts, le fait passer à la postérité sous le nom du bon roi René. Bibliophile renommé, ce prince fit enluminer dans la région du Mans et d’Angers un nombre considérable de manuscrits, avant qu’il ne parte définitivement pour la Provence en 1471, en compagnie de sa seconde épouse Jeanne de Laval. Il écrit des romans : le Livre du cœur d’amour épris (1457), un Traité de la forme et devis comme on fait les tournois (1451), … et des poésies.
Née en 1433, Jeanne est la fille de Guy XIV de Laval et d'Isabelle de Bretagne. En épousant en 1454 le roi René d'Anjou, mécène éclairé, elle devient reine de Jérusalem et de Sicile, duchesse d'Anjou et de Bar et comtesse de Provence. Elle survivra au roi dix-huit ans pour s'éteindre en 1498.
Le Psautier de Jeanne de Laval. (1458-1460 Maître de Jeanne de Laval et Jean Fouquet) est conservé à la Médiathèque de Poitiers Ms 41 (202). Il était destiné à Jeanne de Laval, duchesse d'Anjou. D'après A.-M. Legaré, il s'agit probablement d'un psautier laissé par Jeanne de Laval en héritage à ses nièces (testament, 1498) et peut-être à identifier avec le psautier mentionné comme relié dans les comptes de juillet-août 1458. On y trouve au folio 22 ses armoiries, après son mariage et modifiées après la mort du roi René. Ce sont les armoiries de la famille Laval, "de gueules au léopard d'or" (f. 122) associées à la devise conçue par le roi René dès 1454 des deux tourterelles unies par un collier bleu (f. 22, 41v, 66v, 78v, 93v, 107v, 122).
Plusieurs enluminures représentent Marie-Madeleine auprès du cadavre du Christ.
f.16 Déposition, déploration et don du tombeau par Joseph d'Arimathie.
Thème : La même enluminure représente trois épisodes successifs du récit de la Passion, et les personnages principaux sont représentés deux ou trois fois. Jeabn est absent, ou bien il est représenté barbu. 1. La déposition par Joseph d'Arimathie et Nicodème. Marie tient la main de son fils. Marie-Madeleine étreint le pied de la croix. 2 La déploration : Le corps ensanglanté de Jésus repose sur les genoux de sa mère, devant une sainte femme (Marie-Madeleine? et un saint barbu (Jean ?) . 3 Après la mort de Jésus, le pieux Joseph d’Arimathie obtient l’autorisation d’ensevelir la dépouille du Christ dans un tombeau.
À droite, un homme (Joseph d'Arimathie ?) tient un pot d'aromates blanc : l'embaumement est déjà annoncé.
Analyse : Le travail du Maître du psautier de Jeanne de Laval (artiste anonyme actif à Angers) est influencé par d’autres artistes et a pu être rapproché des Heures d’Etienne Chevalier réalisées par Jean Fouquet entre 1452 et 1460 . Parfois, le Maître de Jeanne de Laval extrait un ou plusieurs personnages d’une scène qu’il intègre dans une enluminure illustrant le même thème et occupant la même fonction que dans l’enluminure des Heures d’Etienne Chevalier. En observant la scène de la Descente de Croix dans chacun des deux manuscrits (santuario 15 des Heures d’Etienne Chevalier), François Avril a relevé des similitudes dans les attitudes générales des personnages, notamment concernant l’homme détachant le Christ de sa croix. Maintenant, si l’on compare plus en détail les deux scènes, on constate une forte ressemblance de l’homme de profil portant un vase dans la partie droite de l’image. Le Maître de Jeanne de Laval semble s’être inspiré de l’œuvre de Fouquet non seulement pour la fonction et la place de ces personnages mais également pour le chapeau ainsi que la position de la tête légèrement levée mais l’analogie est particulièrement frappante au niveau des plis des tuniques des deux hommes. (Médiathèque de Poitiers)
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Psautier de Jeanne de Laval f.17 L'Ensevelissement / Maître de Jeanne de Laval. ; Jean Fouquet.
Il y a encore trois épisodes : 1. la Vierge priant au pied de la croix vide ; 2. la mise au tombeau ; et 3. la pose de la pierre tombale fermant le tombeau, en présence de la Vierge et des trois Maries. Et même une scène 4 où Jean et la Vierge s'éloignent.
On remarquera en 3 Marie-Madeleine avec son pot d'aromates posé au sol.
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"Parfois, le Maître du psautier de Jeanne de Laval extrait un ou plusieurs personnages d’une scène qu’il intègre dans une enluminure illustrant le même thème et occupant la même fonction que dans l’enluminure des Heures d’Etienne Chevalier dont ils sont issus comme dans cette Mise au tombeau. Les acteurs de cette scène dans les Heures d’Etienne Chevalier (santuario 17) sont majoritairement repris pour composer le premier plan de celle-ci. Les deux hommes déposant le corps du Christ dans l’œuvre de Fouquet et ceux plaçant la dalle du tombeau dans le psautier de la reine n’ont pas strictement la même fonction, les mêmes vêtements, la même position ni les mêmes mouvements mais sont presque identiques. Le maître de Jeanne de Laval a modifié en partie les couleurs et la position des têtes. Nous retrouvons dans une attitude proche, la femme dont seule l’épaule gauche dépasse derrière le tombeau. Enfin, notons également que les deux derniers personnages présents dans ce premier plan de la Mise au tombeau du psautier trouvent leur équivalent chez Fouquet. Il s’agit de la Vierge et de l’homme de profil à droite de chacune des scènes. Comme pour les f11, 12, 13 et 16, des rapprochements entre le Miroir historial du Maître François (BnF, ms. fr. 50 et 51 et Chantilly, musée Condé, ms 122) peuvent être établis. Les architectures que les deux miniaturistes placent dans leurs paysages sont très similaires dans la Mise au tombeau du psautier et la miniature du f47v . (Médiathèque)
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f22+. Excursion hors du sujet : Armoiries et couple de tourterelle ; f34 Deux tourterelles liées entre elles par un collier bleu sur une branche de groseiller
"Les armes figurées dans le Psautier sont exclusivement celles portées par Jeanne de Laval. Elles sont couronnées, ainsi que le titre de reine de Sicile, Hongrie et Jérusalem y donne droit. De discrètes tiges florales ajoutent une touche personnelle à cette héraldique qui reste avant tout une proclamation dynastique. Il s’agit de fleurs de janette, Lychnis dioica, ou de compagnon, Lychnis coronaria alba, figures parlantes fréquemment employée par les utilisatrices éponymes d’emblèmes comme Jeanne de France ou Jeanne de Bourbon. Les tourterelles faisant partie de la devise y sont associées (voir f1). Cette ornementation prend position à la place d’honneur, en haut et à gauche de la page. Elle introduit véritablement le texte saint par ce portrait emblématique de la reine. Associée au texte saint, cette lettre de bois mort prend l’apparence du lignum vitae, le bois sec de la croix du Christ, du verbe incarné, rendu vivant par le miracle de la résurrection et le triomphe sur la mort. Par sa dévotion, son amour et son association au texte saint, le couple royal, en personne et en fonction, participe de ce message d’espérance chrétienne.
Deux écus différents sont peints dans le Psautier de Jeanne de Laval. Sur le f22 se trouve celui de Jeanne de Laval et celui de Laval ancien est au f122. Les marques de possession permettent d’obtenir des renseignements sur les possesseurs mais aussi sur la datation. À l’aide des emblèmes et armoiries peints dans le psautier, nous pouvons déduire qu’il fut très probablement conçu entre 1466 et 1480. L’écu présente l’avantage d’avoir subi plusieurs phases d’évolution qu’il est possible d’associer à des périodes d’utilisations. En effet, à partir de 1454, année du mariage de Jeanne de Laval avec René d’Anjou, les armes de la nouvelle reine sont formées comme toute épouse, de celles de son mari – à dextre (gauche), place d’honneur – et de celles de son père (Guy XIV de Laval, 1406-1486) ainsi que, plus rare, de celles de sa mère (Isabelle de Bretagne, † 1444) – à senestre (droite). Par conséquent, l’évolution des armes de René implique celle de la partie dextre de l’écu de sa femme. Christian de Mérindol a ainsi identifié trois armes différentes employées pendant les périodes suivantes : de 1454 à 1466, de 1466 à 1480 et de 1480 jusqu’en 1498. L’écu peut être rapproché de la seconde période en raison de la surcharge de l’Aragon dans la partie dextre. La présence de cet élément implique une datation postérieure à 1466. Le second écu présent dans le psautier, celui de Laval ancien peint au f122, permet d’affiner la datation." (Médiathèque)
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5°) Les miniatures des deux livres d'heures de René d'Anjou (Londres British museum Egerton MS. 1070 et Bibl. Nat. Lat. 1156 A).
Le but est là encore de documenter la dévotion des époux envers les plaies du Christ. Mais je n'ai observé aucun geste d'embaumement.
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a) Horae ad usum Parisiensem [Heures de René d'Anjou, roi de Sicile (1434-1480)] BnF lat.1156A.
Initiales d'or ou peintes sur fond d'or. 23 peintures, 32 miniatures et encadrements. Portraits de Louis II d'Anjou, roi de Sicile (f. 61) et de René I er d'Anjou, roi de Sicile (f. 81v), pour qui ce volume fut exécuté, avec nombreuses armoiries ou emblèmes et devise de ce dernier. - Parchemin. - IV et 148 ff.
-a1 Folio 81v et 82 René d'Anjou en méditation devant le Christ mort.
Les deux folio se font face.
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-a2. L'Hostie de Dijon, folio 22r.
Sur l'hostie s'inscrit le Christ sauveur assis sur l'arc en ciel, les instruments de la Passion, et de multiples taches de sang.
C'est l'image de la Sainte Hostie miraculeuse, donnée en 1431 par le pape Eugène IV à Philippe le Bon qui la déposa à la Ste-Chapelle de Dijon où elle a été conservée comme une des plus fameuses reliques de la France jusqu'à la Révolution.
On la trouve aussi dans le deuxième livre d'Heures de René d'Anjou, conservé au British Museum de Londres sous la côte Egerton MS. 1070. Cela témoigne de l'importance de cette relique pour René d'Anjou.
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Selon Otto Pächt, "Toutes les reproductions de la sainte Hostie publiées jusqu'à présent représentent l'état de la relique telle qu'elle existe depuis 1505 — l'Hostie enfermée dans la monstrance donnée en 1454 par la duchesse Isabelle de Portugal, troisième femme de Philippe le Bon, et cette monstrance surmontée de la couronne que Louis XII avait portée le jour de son sacre. Les miniatures des deux livres d'heures de René d'Anjou (Egerton MS. 1070 et Bibl. Nat. Lat. 1156 A), d'autre part, reproduisent l'état original, c'est-à-dire tel qu'il était avant 1454. En effet, la première seulement, celle du livre d'heures de Londres, mérite d'être désignée comme reproduction authentique, car celle du livre d'heures de Paris n'en est que la copie, légèrement modifiée par un enlumineur qui a eu sous les yeux la miniature de Londres, mais ?ui n'a jamais vu l'objet lui-même, l'Hostie miraculeuse de Dijon, our obtenir une composition plus symétrique et décorative, l'enlumineur de l'Hostie de Paris a élevé le nombre des anges de deux à quatre, mais la sainte Hostie n'a jamais eu plus de deux anges comme porteurs. "
6°) Le culte de Sainte-Marie-Madeleine, sainte Marthe et des Trois Maries relancé par René d'Anjou.
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"Le roi René avait pour Marie-Madeleine une dévotion partirculière qui se manifesta notamment à Saint-Maximin-du-Var et à la Sainte-Baume. Rappelons la fondation du couvent de la Baumette près d'Angers à l'image de la Sainte-Baume peu avant 1453, les fouilles, la découverte et la translation des compagnes de la Madeleine aux Saintes-Maries en 1448 et 1449, ou la mention de legs au couvent de Saint-Maximin dans ses trois testaments pour l'achèvement de l'église en 1453, 1471 et 1474. En 1448 il avait fait ouvrir la châsse de sainte Madeleine et avait affirmé le 16 avril que le corps de la sainte et pas seulement la tête se trouvait à Saint-Maximin. Il développa le culte de sainte Marthe, sœur de Marie-Madeleine et de Lazare. Il porta tous ses soins à l'église Sainte-Marthe de Tarascon qui contenait le tombeau de cette sainte et fit de nombreuses donations au couvent des Célestins d'Avignon qui abritait notamment la chapelle Saint-Lazare décorée depuis peu, vers 1450, d'une peinture murale, La Communion de la Madeleine dans le désert de la Sainte-Baume ». Le 27 janvier 1477, le roi René et Jeanne de Laval offrirent un reliquaire composé d'une croix d'or contenant un morceau de la vraie croix qu'avaient apportées, précise le texte de la donation, saint Lazare, Marie-Madeleine, sa sœur Marthe et les saintes Marie Jacobé et Salomé, ses compagnes." (Ch de Mérindol)
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"L’invention des saintes Maries de la Mer en 1448 institue René en fondateur d’un culte qui renforce à la fois son ancrage régional et son rayonnement international. La dévotion rendue aux saintes méridionales sert l’unification dynastique des Anjou et s’impose à l’entourage curial de René." (Florence Bouchet, Les Arts et les Lettres en Provence au temps du roi René, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2013, https://doi.org/10.4000/peme.7556)
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"Le caractère dispersé des territoires de la principauté d’Anjou est un des facteurs structurants de l’histoire de la seconde Maison du même nom. La réflexion autour du culte des saints, spécifiquement orientée sur le comté de Provence, seul « pays » possédé en propre par la dynastie, permet d’approfondir un dossier déjà ouvert par d’autres chercheurs: la dévotion aux saintes provençales – Marie Madeleine, Marthe, Marie Jacobé et Marie Salomé – et leur rayonnement dans les autres possessions angevines. La légende, inventée par les moines bourguignons de Vézelay durant la seconde moitié du xie siècle afin de justifier la venue de la Madeleine dans le royaume de France, veut qu’elles aient échoué dans le Midi suite à leur expulsion de la Terre Sainte par les Juifs. Figures d’une piété régionale et même locale, chacune étant attachée à une civitas distincte des autres, ces saintes participent à une piété christique en plein apogée dans les milieux princiers de la fin du Moyen Âge. En Provence, la dévotion envers la plus importante d’entre elles, Marie Madeleine, a connu une nouvelle vitalité à partir de 1279, lors de l’invention de ses reliques à Saint-Maximin à l’initiative du roi de Naples Charles II d’Anjou. La promotion royale du culte magdalénien, occasionnant un certain délaissement des pèlerinages de Vézelay au profit de Saint-Maximin, ne doit pas faire oublier que la famille de Béthanie et ses compagnons d’exil peuvent également être étudiés comme une entité évangélique porteuse de sens pour elle-même au-delà des figures qui la composent.
La présente étude, en examinant des sources déjà connues, cherche à proposer une nouvelle réflexion sur des saintes qui apparaissent comme objets d’une piété individuelle et dynastique mais aussi comme objets d’une stratégie politique élaborée par René d’Anjou. Le souverain doit unir ses territoires autour de sa personne et de sa famille – socle, selon l’idéologie royale française dont sont porteurs les princes de fleur de lys, d’une nation dont l’identité se forge sur la dynastie qui la gouverne – et use du culte des reliques à cette fin. Cependant, concevoir la dynastie princière comme vecteur d’une transmission cultuelle propre à unifier des États disparates ne doit pas occulter la dimension purement spirituelle et individuelle de la piété de ses membres envers ces saintes." (M. CHAIGNE-LEGOUY )
"résumé : L’embaumement tel qu’il est pratiqué en Occident doit répondre à deux exigences : conserver
le corps jusqu’à l’achèvement des cérémonies funèbres (fonction pratique) ; lui donner une « odeur
de sainteté » qui permettra son entrée au Paradis lors de l’« apothéose » (fonction théologique).
Sont ici présentées quelques analyses anthropologiques et ostéo-archéologiques pratiquées par
notre équipe, et qui montrent bien la complexité de ces pratiques."
Des épices particulièrement onéreux sont utilisés pour Jean Ier de Berry en 1416 : embaumement interne à base de farine de fèves, d’oliban, de myrrhe, d’encens, de mastic, de momie, de “militilles”*, de bol d’Arménie, de sang-dragon, de noix de cyprès, d’herbes odorantes, de mercure, de camphre, de musc, de colophane, de poix noire et de coton ; cadavre enveloppé dans une toile de Reims, ficelé de cordes, déposé dans un coffre de plomb sans couvercle placé dans un cercueil de bois avec des anneaux en fer.
Trois sépultures sont consacrées, comparablement à l’usage royal : tombeau de corps dans la cathédrale de Bourges, tombeau de cœur dans la basilique de Saint-Denis, tombeau d’entrailles dans l’église Saint-André-des-Arts à Paris .
En 1435, Jean de Lancastre, duc de Bedford, meurt à Rouen. L’étude récente de sa dépouille a mis en évidence un embaumement (interne et/ou externe ?) à base de mercure, myrte, menthe, encens, chaux et cuivre (8). Les chroniques historiques attestent que le corps a été mis en un cercueil de chêne dans un contenant en plomb.
D’autres corps ont été décrits comme recouverts de mercure ou “noyés” dans un cercueil rempli de mercure, par exemple Charles VII (1461) et Anne de Bretagne (1514)... du moins tel qu’attesté au cours des profanations révolutionnaires de leurs tombeaux dans la basilique royale de Saint-Denis. En 1450, Agnès Sorel, favorite officielle du roi Charles VII, meurt à Jumièges (Normandie) ; son embaumement est pratiqué sur place. Une partie des viscères est inhumée dans cette abbaye, tandis que le corps embaumé est déposé à Loches. Son étude inter-disciplinaire a mis en évidence un usage de fruits et graines de mûrier blanc, de rhizomes (gingembre ?) et de poivre gris maniguette d’Afrique de l’Ouest . Si le corps de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, n’a pas été conservé, les comptes de son embaumement ont permis d’identifier les substances utilisées pour la préservation de son cadavre : embaumement interne et externe à base de poix noire, résine, colophane, encens, mastic, styrax calamite, gomme arabique, gomme adragante, aloès, myrrhe, Gallia muscata (préparation officinale), Alipta muscata (préparation officinale), cerfeuil musqué, noix de cyprès, térébenthine, canevas, poivre, sel, camphre, cumin, bol d’Arménie, terre sigillée, henné, écorce de grenade, galbanum, bois d’aloès, alun zédoaire répandu sur le corps après embaumement et bandelettage, baume artificiel sur le visage. Le cadavre a ensuite été déposé dans un cercueil de fer puis de plomb.
En revanche, si les restes de Louis XI et Charlotte de Savoie ont pu faire l’objet d’une étude scientifique complète, aucun produit d’embaumement n’a pu être mis en évidence de façon claire ; seuls ont été identifiés des signes osseux d’ouverture du corps, sternotomie, craniotomie . La squelettisation quasi-complète des restes de Diane de Poitiers (morte en 1566) n’a pas permis de mettre en évidence d’autre produit d’embaumement que des résidus bitumeux.
Les cas plus récents sont particulièrement bien documentés, car certains chirurgiens n’hésitent pas à user de cadavres célèbres pour assurer leur propre notoriété, sorte de publicité par les défunts : Jacques Guillemeau publiera ainsi dans ses œuvres de chirurgie le compte-rendu de ses rapports d’autopsie de Charles IX, Henri III et Henri IV ,tandis que chroniqueurs, serviteurs, aumôniers se feront eux-aussi le porte-voix très détaillé de l’ensemble de ces soins post mortem.
L’archéo-anthropologie permettra dans certains cas de confronter données textuelles et scientifiques, comme par exemple dans le cas d’Anne d’Alègre, comtesse de Laval : morte en 1619, elle subit une éviscération complète doublée d’une craniotomie. Viscères et cerveau sont remplacés par une matière compacte brun clair poudreuse odoriférante, mélange de copeaux de bois, de segments de tiges et de radicelles, de calices floraux, graines et quelques feuilles : 90% de thym, sinon origan et genévrier. Un bourrage des cavités, boîte crânienne et cage thoracique, est effectué. Le corps est ensuite pris dans un linceul de toile maintenu à l’aide de cordelettes de chanvre, déposé dans un cercueil anthropomorphe en plomb inclus dans un cercueil en bois sur lequel a été posé le “reliquaire” de cœur en plomb (. (Ph. Charlier)
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Les funérailles royales : Un corps embaumé
Composante essentielle de toutes funérailles royales et aristocratiques, un embaumement fut pratiqué sur la dépouille de Charlotte de Savoie, avec incision interne .En Occident, le cas le plus ancien d’embaumement interne… : on rémunéra ainsi deux barbiers d’Amboise pour avoir ouvert le corps « pour icelluy embamer qui fut au chasteau d’Amboize le premier jour de décembre » . Les organes les plus putrescibles – le cœur et les entrailles – furent ôtés et enterrés séparément à Saint-Florentin. La cérémonie fut brève et sans éclat : 12 torches de 2 livres chacune servirent lors de l’inhumation, sans doute précédée d’une messe de requiem .
[Le cadavre est divisé en différentes parties réparti dans divers lieux]. La reine n’avait pas exprimé dans son testament le désir d’une telle partition, suivant en cela les pratiques de ses devancières qui, dès la fin du XIVe siècle, prirent leurs distances vis-à-vis de la pratique des sépultures doubles. Certaines, telles Blanche de Navarre et Isabeau de Bavière, la rejetèrent explicitement, la division étant pour elles un signe d’orgueil incompatible avec le salut de l’âme ; d’autres se contentèrent de ne pas la mentionner dans leurs testaments . Quelles que soient les prescriptions, les viscères étaient généralement ôtés, par respect de la coutume royale et par souci de conservation de la dépouille.
Les techniques de l’embaumement médiéval sont bien connues, grâce aux traités médicaux et chirurgicaux [Chirurgie de maître Henri de Mondeville chirurgien de Philippe ] …, et grâce aux découvertes des archéologues. Après incision de la dépouille pour l’extraction des viscères, le chirurgien garnissait les cavités thoraco-abdominales d’épices et de plantes aux vertus antiseptiques, desséchantes et odoriférantes. Puis il recousait le corps et pratiquait l’embaumement dit « externe » consistant en l’application de baumes et d’aromates. Entre autres produits utilisés, figuraient la myrrhe, l’encens, la lavande, le laurier, l’aloès, le camphre, du sel, du vif-argent, de l’eau de rose et du vinaigre. Le cerveau était aussi ôté. L’exérèse se faisait par un sciage du crâne sur tout le pourtour .
Jean Gascoing, apothicaire de la reine, se chargea de fournir, sur indication médicale, tous les produits nécessaires, sans que le compte ne les détaille, évoquant juste l’achat de « drogues et bonnes odeurs » au coût élevé (près de 100 livres tournois) . Il reçut aussi 20 sous pour la fourniture de « demi aune de taffetas » qui servit à faire des écussons pour mettre « en l’estomac de ladite dame » . Ce passage est inhabituel pour un embaumement. Les viscères enlevés, on redonnait au corps son volume par l’introduction de plantes, et parfois d’étoupes. Il semble que, ici, on ait plutôt utilisé du taffetas aux armes de la reine. Jean Gascoing fournit également de la toile cirée, qu’un tailleur transforma en robe étroite et en chausses « pour ensevelir le corps » , un suaire aux vertus propitiatoires (en référence au linceul du Christ) et thanatopraxiques (interdisant tout accès à l’humidité et à l’air) . (Gaude-Ferragu)
"Au bas Moyen Âge, la plupart des princes sont embaumés qu’il s’agisse des ducs de Bretagne (Jean II en 1305), de BourgognePhilippe le Hardi en 1404 et Philippe le Bon en 1467. , de Berry Jean, duc de Berry en 1416. , de Bourbon Jean II (1488) et Pierre II (1503). , d’Anjou Louis Ier (1384), Louis III (1434) et René Ier (1480). , des comtes de Flandre Louis II de Male (1384) ou de Foix-Béarn Louis II de Male (1384)" (Gaude-Ferragu)
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SOURCES ET LIENS.
— CHAIGNE-LEGOUY (Marion) "La seconde Maison d’Anjou et le culte aux saintes Maries et Marthe : essai d’interprétation culturelle et politique des pratiques dévotionnelles princières", in Chantal Connochie-Bourgne, Valérie Gontero-Lauze, Les Arts et les Lettres en Provence au temps du roi René
Dépôt du Louvre, 1910 N° Inventaire : Cl. 18509 Hauteur : 84 cm Largeur : 130 cm [Hauteur : 0,885 m ; Largeur : 1,305 m] Lieu de production : Provence Lieu de découverte : Château de Tarascon Complément d'information sur le lieu : Château de Tarascon Période : 3e quart du 15e siècle
Cluny : "Cette peinture provençale du 15e siècle représente le thème de la Pietà. La Vierge éplorée porte sur ses genoux le corps de son fils Jésus. Elle est entourée de Jean et des trois Marie, dont Marie-Madeleine, reconnaissable à ses cheveux dénoués et à son pot de parfum. La scène insiste sur la douleur (mines tristes, couronne d’épines, présence du sang…) et amène à réfléchir sur la souffrance et la mort.
Le tableau est probablement celui qui ornait la "chambre neuve de la reine" du château de Tarascon, en 1457. Si tel est le cas, il aurait alors été commandé par le roi René (1409–1480), duc d’Anjou, comte de Provence, roi de Naples et de Sicile.
L’œuvre se trouvait dans l’hospice de Tarascon en 1910 lorsqu’elle a été acquise par le musée du Louvre puis déposée au musée de Cluny. A cette date, en arrière-plan, se développait un ample paysage dominé par la silhouette de Jérusalem (entre le Christ et saint Jean, au niveau du bras droit du Christ, un fragment brunâtre de cet ajout des 16e – 17e siècles a été préservé). Il a été retiré en 1950, découvrant un fonds d'or, délicatement parcouru de rinceaux estampés et égayé d’auréoles poinçonnées à petits motifs géométriques et de fleurettes.
L’œuvre s’inspire des compositions des grands maîtres de la peinture flamande (Rogier van der Weyden, en particulier) et plus directement encore de la Pietà d’Avignon peinte par Enguerrand Quarton pour la collégiale de Villeneuve-les-Avignon, aujourd’hui au musée du Louvre. Plus chargée en personnages, d’un tracé un peu dur, mais chargée de la douce lumière caractéristique des peintres du Midi de la France, la Pietà de Tarascon pourrait être l’œuvre de l’atelier des frères Dombet basé à Aix-en-Provence. L’œuvre est présentée dans les nouvelles salles du musée, après restauration (2021).
Louvre :
"Au centre, la Vierge est assise, en vêtement bleu à orfroi d'or et bordure de col à inscription stylisée, IHM ; sur ses genoux, le Christ mort, la tête vers la gauche, une longue traînée de sang coulant de la plaie du côté droit ; à gauche, saint Jean, en robe rouge et manteau vert, retire la couronne d'épines ; à droite, Madeleine, vêtue d'une robe rose et d'un manteau vert pâle à bordure d'hermine, les cheveux blonds éployés sur le dos, agenouillée, tenant un vase d'une main et une plume de l'autre dont elle répand des essences sur les plaies des pieds du Christ ; à droite, une sainte femme (Marie ?) vêtue de rouge, baise la main du Christ ; et une autre femme sainte portant un chaperon blanc et un manteau pourpre, joint les mains en prière. Le fond d'or, gravé de rinceaux de feuillages stylisés et des nimbes des personnages, a été mis à jour après restauration en 1951 : il était recouvert d'une couche picturale représentant la base de la croix, la ville de Jérusalem et un paysage, exécutés au XVIe siècle."
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— ERLANDE-BRANDENBOURG (Alain), (1968) La Pietà de Tarascon [compte-rendu], Bulletin Monumental Année 1968 126-2 pp. 197-198
"La Pietâ de Tarascon. — Le célèbre primitif, la Pietà de Tarascon, que possède le Musée de Cluny, a déjà fait l'objet de nombreuses études. M. Charles Sterling avait publié en 1955 un très important article [La Revue des Arts, 1955, p. 25-46) où il émettait l'hypothèse qu'il était l'œuvre de Thomas Grabuset. On sait que ce peintre était en activité en 1457, date à laquelle ce tableau est signalé, dans l'inventaire du château de Tarascon, comme étant dans la chambre de la reine, Jeanne de Laval. Cependant l'absence d'œuvres certaines de Grabuset — l'auteur n'admet pas l'attribution du Saint Georges de l'église de Caromb — n'était qu'une suggestion provisoire.
Une étude plus approfondie du milieu que fréquentait ce peintre a permis à l'auteur, dans cet article, de proposer une nouvelle identification. Grabuset était associé dès 1450 à l'atelier des peintres Dombet à Avignon, dont on connaît une des productions : les trois vitraux qui ornent la chapelle Saint-Mitre à la cathédrale d'Aix-en-Provence. On voit au centre saint Mitre qui porte sa tête coupée, à droite saint Biaise, à gauche un évêque qui est peut-être saint Nicolas. Ces vitraux, commandés par l'archevêque d'Aix, Nicolai" (t 1443), étaient payés, en 1444, au « maître Guillaume, peintre d'Avignon ».
Ce peintre a pu être identifié avec Guillaume Dombet, peintre-verrier établi à Avignon de 1414 à sa mort survenue en 1461. L'art de ces verrières se ressent de l'influence du maître de l'Annonciation d'Aix, mais en en desséchant « le puissant volume, le riche modelé, le dessin admirable ». De plus, dès avant cette époque, vers 1430, l'art flamand avait déjà pénétré l'atelier de Guillaume, dont l'une des filles avait épousé Arnold de Catz, peintre originaire d'Utrecht, que l'on peut vraisemblablement identifier avec cet Arnoulet qu'on trouve en 1423 maître à Tournai. On ne peut pas néanmoins voir en lui l'auteur de l'Annonciation, car il mourait en 1434. Arnolet dut marquer surtout ses propres beaux-frères, Aubry et Jacques. D'après les informations que nous possédons sur ces deux frères, ils devaient compter, entre 1430 et 1434, parmi les premiers peintres provençaux à connaître le nouvel art flamand. Or, la fameuse pierre tombale de l'archevêque Nicolai, commandée à Guillaume, dénote, comme les vitraux, l'influence du « Maître de l'Annonciation d'Aix ». Guillaume devait, étant donné son âge, travailler dans un style plus traditionnel, si bien que l'auteur en arrive à se demander si ces ouvrages, payés à Guillaume, n'ont pas été exécutés par son fils Aubry, nourri au cours de son apprentissage par les leçons d' Arnolet et formé définitivement par l'influence personnelle du « Maître de l'Annonciation d'Aix », en 1443-1444. C'est sans doute à lui qu'il faut attribuer le Noli me tangere qui orne les volets du retable de l'Annonciation. Jacques, le plus jeune, n'apparaît pas dans les textes avant 1450. Il fait alors figure de disciple de son frère ainé. Aussi l'auteur émet-il l'hypothèse qu'il pourrait être l'auteur de la Pietà de Tarascon, qui conserve des souvenirs manifestes du style des vitraux d'Aix, mais traités avec plus de sécheresse. A ces trois œuvres : vitraux d'Aix, Noli me tangere, Pietà de Tarascon, il faut ajouter le Retable de Boulbon. Le peintre qui l'exécuta fut sans doute le disciple le plus provençal du « Maître de l'Annonciation ». Cependant M. Sterling se refuse à l'attribuer à Aubry. La densité plastique et la gravité spirituelle dénotent un artiste d'une autre envergure qui a dû travailler aux côtés de celui-ci. Or, Thomas Grabuset est resté très longtemps lié aux Dombet, ce qui permet à l'auteur d'envisager cette attribution qui restera hypothétique aussi longtemps qu'une œuvre certaine ne sera révélée. L'auteur insiste ensuite sur le mécénat du roi René. Au contraire de ce que l'on a pu prétendre, M. Sterling affirme que, dès avant son installation définitive en Provence en 1471, il «ut un rôle considérable dans la formation de cette première génération de peintres provençaux. La fameuse enluminure du Roi-Mort, insérée dès 1435-1437 dans son livre d'heures, appartient en effet à l'art provençal. A l'exception des œuvres de Quarton, toutes les œuvres marquantes qui ont vu le jour en Provence entre 1450 et 1460 environ se rattachent plus ou moins directement au groupe de peintres qui ont travaillé pour ce prince. M. Sterling y joint la fameuse tapisserie de Détroit, « L'amour vainqueur », dont on a déjà, parlé ici même (1966, p. 225). — Charles Sterling, La Pietà de Tarascon et les peintres Dombet, dans la Revue du Louvre et des Musées de France, 1966, p. 13-26, 23 fi"
— ERLANDE-BRANDENBOURG (Alain), 1967, La statue agenouillée de femme du Musée de Cluny, [compte-rendu] Bulletin Monumental Année 1967 125-1 pp. 94-95
— GAUDE-FERRAGU (Murielle), 2016 « Le mannequin du roi » Mort et funérailles royales en France au xve siècle, Presses universitaires de Provence.
https://books.openedition.org/pup/43885?lang=fr
"Le souverain fut toujours inhumé avec un faste particulier, symbole de son rang et de son prestige. Le convoi qui traversait Paris jusqu’à Saint-Denis était l’occasion de mettre en scène la majesté royale. Le corps était exposé « à découvert », la tête ceinte d’une couronne, tenant les regalia. Les Valois accentuèrent encore la cérémonialisation de leur cour, dans une vaste opération de communication politique visant à légitimer le changement de branche. Dernière entrée du défunt dans sa capitale, les funérailles se voulaient triomphales. Le rituel connut des évolutions majeures au début du xve siècle, lors de la célébration des funérailles de Charles VI en 1422 dans un contexte difficile lié à la folie du roi et aux crises de succession qui s’ensuivirent. Les innovations introduites (effigie funèbre et cris d’inauguration) étaient vouées à un brillant avenir puisqu’elles perdurèrent jusqu’au début du xviie siècle."
— GAUDE-FERRAGU (Murielle), 2009, « L'honneur de la reine » : la mort et les funérailles de Charlotte de Savoie (1er-14 décembre 1483) [1] Revue historique 2009/4 (n° 652), pages 779 à 804
— GAUDE-FERRAGU (Murielle), 2011, "Tribulations corporelles et inhumation royale : les funérailles de René Ier d’Anjou" in Jean-Michel Matz, Noël-Yves Tonnerre René d'Anjou (1409-1480), Pouvoirs et gouvernement, Presses univresitaires de Rennes.
https://books.openedition.org/pur/124788#ftn26
— GAUDE-FERRAGU (Murielle), 2005, D’or et de cendres. La mort et les funérailles des princes dans le royaume de France au bas Moyen Âge, Villeneuve-d’Ascq.
— GAUDE-FERRAGU (Murielle), 2014, Anne de France, la mort et les corps saints
"Le mannequin de cire présentait donc le défunt dans tout son apparat, vêtu du manteau ducal et paré du collier de l’ordre royal. Le chapeau couronné, serti de multiples pierres précieuses, renforçait encore l’image de son pouvoir (fig. 2). L’emploi d’une effigie était pourtant réservé aux seuls monarques, à certaines de leurs épouses, et aux princes dotés d’un titre royal, même fictif, comme René d’Anjou, roi de Naples et de Sicile."
— GEORGES (Patrice), Les aromates de l'embaumement médiéval.
—GUIDINI-RAYBAUD (Joëlle), 2003 Pictor et veyrerius: le vitrail en Provence occidentale, XIIe-XVIIe siècles Presses Paris Sorbonne, 2003 - 382 pages Voir Dombet pages 200 et 298
— HABLOT (Laurent) 2009 « Mise en signe du livre, mise en scène du pouvoir : armoiries et devises dans les manuscrits de René d’Anjou », Splendeur de l’enluminure : le roi René et les livres, Marc-Édouard Gautier (dir.), Arles, Actes Sud, 2009, p. 172.
— KOGEN (Helena), Jeanne de Laval et l’institution littéraire angevine
https://books.openedition.org/pup/19339
"Plusieurs historiens voient dans le mariage de René d’Anjou avec Jeanne de Laval (1433-1498) un moment crucial de la vie littéraire du prince, allant jusqu’à considérer Jeanne comme son égérie, comme l’inspiratrice de ses œuvres et l’instigatrice de ses intérêts littéraires1. Certes, ce mariage célébré au mois de septembre 1454, avec le concours des hommes de confiance de René, hauts dignitaires de sa cour – Louis et Bertrand de Beauvau, Guy de Laval-Loué2 – coïncide avec le début de la période la plus fructueuse de l’histoire du milieu littéraire angevin. Plus encore, la tendresse indéniable entre les deux époux, mieux exprimée par la devise Per non per si explicitement célébrée dans Regnault et Jehanneton, plaçait naturellement la nouvelle reine de Sicile au centre des activités artistiques de sa cour : les documents d’archives, malgré leur chronologie lacunaire, regorgent de marques de faveur particulières, de cadeaux artistiques et exotiques ; de nombreuses œuvres d’art immortalisent son effigie.
On peut affirmer avec confiance que Jeanne de Laval fut un membre actif du cénacle littéraire angevin et que ses goûts et ses intérêts contribuaient d’une façon significative à l’éclat culturel de la cour angevine. Gardienne dévote des écrits de son mari, elle devrait être célébrée pour son propre mécénat littéraire, ainsi que sa bibliophilie. Les recherches récentes, surtout celles effectuées par Anne-Marie Legaré, ont pu préciser l’action littéraire de Jeanne de Laval, ainsi que dresser un aperçu de sa collection particulière longtemps confondue avec la bibliothèque de René d’Anjou. Dominée par les textes à vocation religieuse et spirituelle communs aux intérêts du public aristocratique de l’époque, cette librairie renferme quelques œuvres directement influencées par les goûts de la princesse, dont une mise en prose du Pèlerinage de vie humaine de Guillaume de Digulleville, une traduction d’un ouvrage historique de Matteo Palmieri, un roman de chevalerie Baudoin de Gavre ainsi qu’un poème bucolique célébrant l’amour unissant Jeanne de Laval et son époux René d’Anjou. Ce corpus littéraire sera davantage mis en relief placé en relation avec ce qu’on pourrait appeler « l’institution littéraire» angevine, – une institution que de nombreuses recherches, dont celles qui sont présentées dans le cadre de l’année commémorative, mettent en évidence. En résultera, je l’espère, un portrait littéraire de Jeanne de Laval, son reflet dans le miroir de ses livres.
Ainsi, les comptes des années cinquante montrent plusieurs commandes de livres de piété à l’intention de ses proches dont se démarque la fabrication, en 1459, d’un livre d’heures luxueux pour sa soeur Louise. Ses propres livres de dévotion seront transmis aux filles de la famille de Laval
La spiritualité princière : dévotion institutionnelle et pèlerinage intérieur
Si l’on considère le legs littéraire de Jeanne de Laval dans son intégralité, sa dominante spirituelle et religieuse, d’ailleurs évidente dans tous les domaines artistiques ayant rapport au mécénat de Jeanne, doit être considérée au premier abord. Jeanne elle-même, ne se présente-elle pas en lectrice absorbée et calme face au ravissement méditatif de son époux devant l’image mystique du buisson ardent, sur le célèbre tableau Le buisson ardent de Nicolas Froment ? Le psautier que la reine de Sicile tient entre ses mains est l’un des nombreux qu’elle a fait confectionner pour son propre usage et pour ses proches20. Certains ouvrages, comme la copie de l’Apocalypse de saint Jean, démontrent sa volonté de s’associer aux objets cultuels principaux de la cour d’Anjou.
Outre les livres de dévotion, une part importante du corpus des livres de Jeanne relève de la littérature hagiographique. On y trouve plusieurs recueils de vies des saints, dont une copie du xive siècle des Vies des Saints de Jean de Vignay, mais aussi l’imprimé de la Légende des saints nouveaux de Julien Macho faite à Lyon en 1480. On peut noter son intérêt particulier pour les saints liés à la dynastie royale française : une importante Vie de Monseigneur saint Denis en 3 volumes appartenait à sa collection ; sa commande d’une copie de l’Histoire de Saint Louis de Joinville peut être justifiée par la volonté de promotion du pouvoir royal montrée par Louis XI25. Elle fait copier plusieurs vitas des saints associés à l’espace angevin : sainte Anne, saint Nicolas, sainte Marie-Madeleine. À la fin des années soixante-dix, on voit Jeanne de Laval s’associer de près à la politique religieuse de la cour d’Anjou-Provence dans la promotion de la dévotion aux saints locaux, facteurs importants de la cohésion sociale des domaines culturellement hétérogènes et dispersés. Ainsi, en 1479, elle commande une Vie et office de Sainte Marthe de Tarascon et une copie de la Translation de Saint Antoine. La même année, le culte de saint Honorat devient prétexte à une série de commandes de la Vie de Saint Honorat de Raimon Feraut : un exemplaire enluminé par Georges Trubert, deux copies de la version occitane, ainsi qu’une version latine. Ces initiatives sont probablement liées à la découverte des nouvelles reliques du saint. Le culte de saint Honorat poursuit une vocation politique tout autant que religieuse, Honorat étant un descendant légitime des rois de Hongrie.
Une autre série de livres est constituée d’ouvrages d’enseignement moral et spirituel, clairement orientés vers la spiritualité féminine, souvent influencés par la devotio moderna. En 1457, plusieurs copistes et enlumineurs préparent pour Jeanne un exemplaire richement illustré du Miroir des Dames de Durand de Champagne, traduction du manuel de spiritualité féminine adressé à la reine Jeanne de Navarre, femme de Philippe le Bel. La reine de Sicile possédait également une traduction française du livre de François de Ximenes, Livre des saints anges. Les origines catalanes de l’auteur contribuent-elles à l’intérêt de la princesse pour son livre ? Il faut noter que cet ouvrage didactique et spirituel, traduit en français, est souvent lu dans les milieux princiers du xve siècle, surtout par les femmes : Marguerite d’Orléans, Charlotte de Savoie. En 1468, Marie de Clèves en commandait également une copie.
En 1465, Jeanne de Laval effectue sa plus importante commande littéraire lorsqu’elle fait mettre en prose le Pèlerinage de vie humaine de Guillaume de Digulleville. Les ouvrages de Digulleville jouissaient d’un énorme prestige à la cour d’Anjou au point d’inspirer, de façon indirecte mais tangible, la structure narrative et le style du Livre du Cœur d’amour épris de René d’Anjou. La mise en prose, effectuée par un clerc d’Angers anonyme qui, dans son prologue, insiste sur la participation active de Jeanne à l’élaboration du texte citant sa noble correction et benigne interpretacion, fut bien appréciée par les contemporains : en témoignent les onze manuscrits de ce texte, plusieurs d’entre eux copiés pour les membres de la cour angevine, ainsi que six éditions entre 1485 et 1511. Comme texte de base, la première rédaction, plus « mondaine », de l’œuvre est choisie. Le récit principal – le voyage onirique du pèlerin vers la cité céleste – s’y enrichit de multiples digressions d’ordre doctrinal, sapientiel, satirique ou fabulaire. En 1511 encore, Antoine Vérard doit donner des justifications particulières pour expliquer la nécessité d’une nouvelle rédaction, de nouveau rimée, du Pèlerinage.
Jeanne de Laval s’est offert, vers 1457, une copie somptueuse du livre de Mortifiement de vaine plaisance de René d’Anjou. Composée en 1455 à l’intention du confesseur de René, l’archevêque de Tours Jean Bernard, cette « méditation ascétique sur les péchés du cœur » est lue, outre les proches de l’auteur, par les princes de Bourgogne et de Luxembourg, ainsi que dans la famille royale française. La clarté de la démonstration homilétique, la force surprenante de l’image mystique du Cœur mondain crucifié et purifié, expliquent certainement cet engouement. Jeanne devait y trouver encore autre chose : l’invective anti-curiale prononcée par Contrition permet, dans l’épilogue de l’œuvre, un instant de réflexion autobiographique lorsque René constate l’échec de ses projets.
René d'Anjou, Le Mortifiement de Vaine Plaisance Cologny, Fondation Martin Bodmer / Cod. Bodmer 144 / f. 68r
Les lectures spirituelles de Jeanne de Laval démontrent toute l’importance de la dévotion dans sa vie personnelle et publique. Témoins de la force des saints protecteurs de ses États, véhicules de la prière, instruments de méditation, sources d’inspiration poétique – ces livres forment le coeur de la collection de Jeanne et l’essence même de sa figure littéraire.
— PERROT (Raoul), 1982, LES BLESSURES ET LEUR TRAITEMENT AU MOYEN-AGE D'APRES LES TEXTES MEDICAUX ANCIENS ET LES VESTIGES OSSEUX (GRANDE REGION LYONNAISE) Texte du Tome 1 de la thèse de Doctorat en Biologie Humaine soutenue à l’Université Claude Bernard en juin 1982
—ROUX (Claude), 2013, "Le foisonnement artistique de Tarascon au xve siècle : les peintres et leurs œuvres au temps du roi René", Les arts et les lettres en Provence au temps du roi René , Chantal Connochie-Bourgne, Valérie Gontero-Lauze p. 167-180
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—SALET (Francis ), THIRION (Jacques ), 1955, La Pieta de Tarascon [compte-rendu] Bulletin Monumental Année 1955 113-3 pp. 219-220
La Pieta de Tarascon. — On sait que le Musée de Cluny conserve depuis 1910 une très belle Pieta peinte sur bois, acquise de l'Hospice de Tarascon. Jusqu'à ces dernières années, le fond du tableau était encombré de silhouettes architecturales classiques, dôme, fronton, qui avaient amené les historiens d'art à le dater des environs de 1500. Pourtant, il était évident qu'il s'agissait là de repeints sous lesquels apparaissait encore un fond à rinceaux et nimbes gravés. En vue de la nouvelle présentation des peintures et des sculptures de Cluny, nous avons jugé indispensable de faire disparaître les repeints et le groupe se détache aujourd'hui sur un magnifique fond d'or. M. Sterling, qui vient de consacrer un remarquable article à la Pieta de Tarascon, affirme que le nettoyage a fait découvrir en quelque sorte un nouveau primitif français. Ainsi allégé, le tableau a retrouvé une solennelle grandeur ; il s'insère de nouveau à sa place logique dans l'histoire de la peinture française, au milieu du xve siècle et non quarante ou cinquante ans plus tard, ce qui était incompréhensible ; bien plus, il a recouvré son identité : comme le pressentait M. Sterling il y a quinze ans déjà, il s'agit très certainement de la Pieta décrite dans l'inventaire du château de Tarascon en 1457 : unum retabulum Domini-Nostri- Jesu-Christi, in brachiis Nostre Domine, novum ; elle se trouvait dans la chambre de Jeanne de Laval, seconde femme du roi René (et c'est la statuette en marbre de cette reine, provenant d'Aix-en-Provence, que l'on verra bientôt, à Cluny, agenouillée près du retable devant lequel elle priait à Tarascon). Il était « neuf » en 1457, ce qui en indique la date avec précision. Je ne peux entrer dans le détail de la riche étude de M. Sterling sur le style d'une peinture qui reprend toute son importance aux yeux des historiens d'art. Il en décèle les origines en Flandre, dans l'art de Van Eyck et du Maître de Fiémalle, l'influence s'étant transmise par le Maître de l'Annonciation d'Aix et ses disciples provençaux : l'auteur de la Pieta d'Avignon et celui du retable de Boulbon — à huit kilomètres de Tarascon — peint la même année 1457 et dans une manière tout à fait semblable à celle de la Pieta de Cluny. M. Sterling pense donc que le tableau a été exécuté, sur la commande du roi René ou de Jeanne de Laval, par un peintre de Tarascon. L'attribution à mas Grabuset lui paraît fondée sur un faisceau de présomptions assez fortes, mais il se défend de proposer autre chose qu'une suggestion. — La Reçue des Arts, 1955.
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JEANNE DE LAVAL
La seconde épouse du roi René, Jeanne de Laval, se distingue comme une princesse lettrée au rôle culturel réel. Dès son mariage en 1454, elle multiplie les commandes de livres auprès des ateliers de copistes, de peintres et de relieurs d'Anjou ou de Provence à qui elle confie notamment la réalisation de son psautier. Très attachée à ses livres, elle y fait peindre systématiquement ses armoiries ou les emblèmes de son amour conjugal comme le couple de tourterelle sur une branche de groseillier. Sa collection montre un partage assez équilibré entre œuvres religieuses et profanes."
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ICONOGRAPHIE : LES DÉPLORATIONS.
— Les Belles Heures du duc de Berry vers 1405-1409 f. 149v
"Belles Heures de Jean de France, duc de Berry, 1405-1408/9. Herman, Paul et Jean de Limbourg (franco-néerlandais, actif en France vers 1399-1416). Français; Fabriqué à Paris. Encre, détrempe et feuille d'or sur vélin ; 9 3/8 x 6 5/8 po. (23,8 x 16,8 cm). Le Metropolitan Museum of Art, New York, The Cloisters Collection, 1954 (54.1.1).
Heures de la Passion. La Lamentation, Folio 149v. La scène de deuil sur le cadavre du Christ était un ajout médiéval tardif aux cycles de la passion, et c'est l'un des premiers exemples par un peintre français. La puissance émotionnelle de la scène évoquait une piété empathique et une réponse personnelle typique de la fin du Moyen Âge. Le corps du Christ, avec ses membres anguleux, rappelle une peinture néerlandaise, mais le geste émotionnel de la femme tirant ses cheveux en haut et la pose prostrée de Marie-Madeleine en bas à droite dépendent d'une influence italienne."
Note : trois pots d'onguent sont représentés : celui de Marie-Madeleine, et deux autres tenus par des hommes aux costumes orientaux (Joseph d'Arimathie et Nicodème ?)
— Les Heures d'Étienne Chevalier, Jean Fouquet
—La Pieta de Villeneuve-les-Avignon, Enquerrand Quarton, 1454-1456
Représentation du Christ mort descendu de la croix et étendu sur la pierre de l'onction. De chaque côté, Joseph d'Arimathie et Nicodème saisissent un linceul pour envelopper le corps du Christ, tandis que la Vierge d'approche et soulève la tête de son fils. Au centre, saint Jean prend délicatement les mains du Christ, il est accompagné de Marie-Madeleine, à gauche, et de saintes femmes, à droite, qui expriment leur émotion par des gestes empreints d'une grande dignité. Derrière ces personnages, nous pouvons voir la hampe de la croix et les échelles se détachant d'un vaste paysage où est représenté Jérusalem sur la gauche.
Le format allongé de la composition et le cadrage centré sur les figures semblent indiquer que ce panneau (aujourd'hui transposé sur toile) devait faire partie d'une prédelle de retable à l'instar de la Déploration du corps du Christ de Lluis Borrassa conservée dans l'église Santa Maria de Manresa (Catalogne).
— Le Christ mort déposé sur la pierre de l'onction, 1566/1568 Muziano, Girolamo
—Retable de la Déploration du Christ : La Déploration 1520 / 1525 (1e quart du XVIe siècle), Cleve, Joos van Pays-Bas du Sud, (École de). Présence d'une bassine remplie de vinaigre avec une éponge.
— Embaumement du corps du Christ (De balseming van het lijk van Christus), anonyme vers 1410-1420 , XVe siècle, période pré-eyckienne, Musée Boijmans van Beuningen, Rotterdam.
Tandis qu'à la gauche du Christ, la Vierge, Jean, Marie-Madeleine (nimbée) et les deux autres saintes femmes étreignent et embrassent le corps en pleurant, à sa droite, quatre hommes barbus et coiffés du bonnet conique participent à des gestes d'embaumement. C'est particulièrement le cas de deux d'entre eux, qui trempent des tiges (plumes, spatules ...) dans les flacons d'aromates. Celui qui est le plus à droite (Nicodème ?) tient d'une main le pied droit, ensanglanté, et pose son ustensile près du genou gauche.
Cette représentation confirme que la fonction d'embaumement est réservée aux hommes, du moins jusqu'au milieu du XVe siècle.
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—Retable de la Passion (détail : sixième niche), provenant peut-être de Saint-Denis, première moitié ou milieu du XIVe siècle. Musée de Cluny Cl. 11494. Pierre (calcaire) avec trace de polychromie.
Sur la scène de la Mise au tombeau , un homme barbu coiffé du bonnet conique verse son flacon sur le corps du Christ, entre deux autres notables Juifs, a priori Joseph d'Arimathie et Nicodème.
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Retable de la Passion, provenant peut-être de Saint-Denis, milieu du XIVe siècle. Musée de Cluny Cl. 11494. Photographie lavieb-aile 2023.