Le calvaire de Saint-Thégonnec. II, les croix (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec).
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Sur Saint-Thégonnec, voir :
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Sur les calvaires de Basse-Bretagne, voir :
— Ateliers du XVe et début XVIe siècle :
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Le calvaire (kersanton, 2nde moitié XVe s.) de l'église Notre-Dame à Chateaulin
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Le calvaire de l'église d'Argol. (kersanton, début XVIe)
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— atelier du Maître de Quilinen (vers 1500)
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Le calvaire (granite et grès arkosique, Maître de Quilinen, vers 1500) de l'église de Mellac.
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Le calvaire (granite, Maître de Quilinen, vers 1500) de l'église de Motreff.
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Le calvaire de Saint-Hernin (granite et grès arkosique, XVIe et XXe siècle).
— Atelier Prigent :
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Le calvaire de Lambader en Plouvorn. (kersantite, XVIe siècle vers 1550, atelier Prigent, et anonyme, 1910)
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Le calvaire de l'église de Lopérec. Le calvaire (Fayet, 1552 ou Prigent 1542?) de l'église de Lopérec. .
—Atelier du Maître de Plougastel.
— Atelier du Maître de Saint-Thégonnec (selon Castel et Le Seac'h)
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Saint-Ségal : le calvaire du bourg (vers 1550 et 1630, kersanton, atelier Prigent et Roland Doré) (3 larmes)
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La chapelle Saint-Sébastien en Saint-Ségal : le calvaire. ( 1541-1554, kersanton et Logonna, atelier Prigent ou Maître de Saint-Thégonnec).
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— Atelier de Roland Doré.
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Calvaire de la chapelle Saint-Côme de Saint-Nic.
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Le calvaire de la chapelle de Kerluan à Châteaulin (1639).
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Les calvaires de Dirinon II. Le calvaire de la Croix-Rouge ou Beg-ar-Groaz (vers 1640).
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Saint-Ségal : le calvaire du bourg (vers 1550 et 1630, kersanton, atelier Prigent et Roland Doré).
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Le calvaire (Roland Doré, 1655) de la chapelle Saint-Vendal de Douarnenez (quartier de Pouldavid).
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Le calvaire de la chapelle Saint-Vendal de Douarnenez : de nouvelles photos.
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— Divers ateliers.
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Les sculptures sur pierre de l'abbaye de Daoulas. II. Le calvaire du cimetière.
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Les sculptures sur pierre de Daoulas. V : le calvaire du Champ de Foire.
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La chapelle Sainte-Barbe de Ploéven. Son calvaire, son vitrail, sa statuaire, son Pardon.
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Les calvaires de Dirinon IV : la croix de Kerniouarn / Kerpierre (XVe siècle).
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PRÉSENTATION.
Voir article partie I.
Si les 41 personnages du pourtour du socle se présentaient en costumes contemporains comme s'ils jouaient, non sans truculence, les scènes du Mystère de la Passion (et une Passion et Résurrection bretonne a été publiée en 1530 puis rééditée), la croix à deux croisillons où le Christ est entouré de ses disciples les plus proches relève d'une mystique du Sang versé, auquel répond l'effusion de larmes des témoins. Si on peut l'associer encore au texte de la Passion et Résurrection bretonne (qui devait être bien connu des paroissiens ayant demandé ce monument), c'est d'avantage le texte du Stabat Mater Dolorosa qu'il faut placer ici en contre-point : ce chant franciscain sera traduit en breton en 1622 par Tanguy Guéguen, chanoine à Morlaix.
Le duché de Bretagne, avant son annexion à la France, s'était montré très attaché au culte des Plaies du Christ : Voir Dévotion franciscaine aux Plaies du Christ à la cour ducale de Bretagne. La province de Bretagne, depuis Anne de Bretagne, a poursuivi cette vénération, et a couvert le Léon du gris manteau d'un réseau de croix et de calvaires dans la belle pierre sombre de kersanton, extraite en Rade de Brest. L'atelier Prigent (1527-1577), à Landerneau, a sculpté des larmes en gouttes d'eau sous les paupières de Marie, la Mère du Christ, de Jean, son disciple préféré, et de Marie-Madeleine, la disciple auquel il réserva sa première apparition comme Ressuscité. Ces larmes, devenues visibles et presque charnelles, suscitent chez les paroissiens la même effusion. Et ces trois-là, de calvaire en calvaire, de Déploration en Mise au Tombeau, deviennent les médiateurs, pour les fidèles, de la participation émotionnelle aux souffrances endurées par le Sauveur, car les larmes magnifiées comme des diamants scintillent ensuite — mais bien plus rarement—sur les œuvres des autres ateliers, celui du Maître de Plougastel (sur le calvaire éponyme, dans la Montée au Golgotha) et, au XVIIe siècle, celui de Roland Doré. Ailleurs, ces larmes seront évoquées indirectement, sur les Déplorations, par le mouchoir dont Marie-Madeleine s'essuie les yeux.
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C'est donc en observant, sur la croix centrale, ces références au Sang et aux Plaies et celles aux Larmes que nous dépasserons une lecture descriptive du monument pour accéder à un partage de cœur et d'âme avec les paroissiens de Saint-Thégonnec et le sculpteur qu'ils avaient choisis.
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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I. SAINTE MARIE-MADELEINE AU PIED DE LA CROIX. Kersanton, Maître de Saint-Thégonnec, 1610.
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Une statue de Marie-Madeleine est visible sur le socle au pied de la croix. Elle lève la tête vers le Crucifié. Son pot d'aromates, posé à coté d'elle, est caché par les personnages de la Passion.
C'est la reprise de la Marie-Madeleine du calvaire de Pencran (1521), mais surtout de celle du placître de Pencran, sculptée vers 1553 par les Prigent dans la même posture, avec pareillement le manteau rejeté des épaules et tombé en un éventail de plis lourds derrière les reins. Ce motif a eu tant de succès qu'on le retrouve sur de nombreux calvaires du Finistère, soit encore à Pencran sur son calvaire nord, soit à Pleyben en 1555, toujours par les Prigent, soit à la chapelle Sainte-Marie-du-Ménez-Hom (1540 et v. 1630), puis à Lopérec vers 1552, mais aussi aux calvaires du bourg de Saint-Ségal et de la chapelle Saint-Sébastien de Saint-Ségal (celui-là étant attribué au Maître de Saint-Thégonnec), et par d'autres ateliers à Commana en 1585, ou, en Cornouaille, isolée sur un contrefort de la chapelle Saint-Tugen à Primelin .
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Voir ma présentation ici :
https://www.lavieb-aile.com/2019/07/saint-segal-le-calvaire-du-bourg.html
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Celle-ci se distingue des autres par l'absence de bandeau occipital retenant la chevelure, par l'absence des 3 larmes de compassion, par la chemise plissée dont le col et le poignets sont fraisés et tuyautés, par les manches (rapportées ?) bouffantes sur l'épaule , par la robe au décolleté carré , et non plissée et moulante sous la ceinture, ce qui souligne le doux volume du ventre.
On dira aussi les oreilles rondes plaquées sur le crâne, le front épilé, les paupières ourlées, la délicieuse fossette du menton, et les narines pincées comme si elles inspiraient jusqu'à la suffocation l'extase mystique.
On remarquera que les deux paumes des mains de la sainte ne sont pas orientées vers le tronc écôté de la croix, figure de tous les arbres sacrés, de l'Arbre de la Connaissance jusqu'à l'Arbre de Vie : car l'une des paumes est tournée vers le sein, vers l'intimité du Moi, comme pour affirmer un lien privilégié entre Marie de Magdala et son Rabbouni, son Maître, lien qui se révèlera en Jean 20:11-18.
Elle est la figure essentielle du calvaire (révérence gardée au Christ, bien entendu), celle à laquelle les fidèles peuvent s'identifier, dans leur piété individuelle ou devotio moderna, pour concilier leur nature peccamineuse et leur aspiration à ressentir dans leur cœur et dans leur chair cette participation émotionnelle aux souffrances endurées par le Rédempteur. Et elle reprend la figure de la poésie classique latine de la déréliction, et le "lamento magdalénien" déploie son esthétique de la lamentation amoureuse (Laurence Beck-Chauvard).
Nous l'avons déjà vu, en faisant le tour des saynètes de la plateforme, parmi les huit saints personnages entourant le Christ mort dans la Mise au Tombeau. On la retrouvera, avec le même costume, mais cette fois-ci en larmes, sur la Déploration du premier croisillon.
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J'ai découvert les sources de cette vénération envers Marie-Madeleine lors de mon étude sur le Puits de Moïse de la Chartreuse de Champmol (vers 1405), où Madeleine figurait également éplorée au pied de la croix : elle est extrêmement abondante et je ne citerai que le Polyptique Orsini, les Très Riches Heures du duc de Berry folio 156v, et la Crucifixion de Fra Angelico pour la cellule 25 de San Marco. Et au XVIe siècle, cette figure est repris dans presque toutes les maîtresse-vitres de la Passion du Finistère.
Il ne me manque dans ce très ou trop riche corpus scripturaire et artistique qu'un écrit en moyen-breton équivalent de la Passion en Breton de 1530 et de la traduction bretonne du Stabat Mater, Ouz hars an croas centrée sur la figure de Marie.
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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LA CROIX À DEUX CROISILLONS.
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Les calvaires bretons peuvent être classées de différentes façons. J'ai présenté dans le premier article comment les auteurs avaient distingué parmi eux sept calvaires "monumentaux", et celui de Saint-Thégonnec est le dernier d'entre eux. La forme de leur socle fondait déjà une typologie.
Nous pourrions aussi dresser en une liste chronologique, malgré leur nombre et les incertitudes de datation. Mais leur silhouette permet facilement de distinguer ceux sans croisillon, à un croisillon (Pleyben, Guimiliau) et à deux croisillons.
Parmi ces derniers, nous pouvons, toujours du premier coup d'œil, remarquer comme le propose J.-S. Gauthier ceux dont les deux croisillons sont de taille égale avec une structure en U (Pencran, Plounéventer, Plougastel, Lopérec, Le Tréhou, L'Hôpital-Camfrout, Commana et Saint-Thégonnec), ceux dont le croisillon supérieur est plus étroit, donnant une structure en sapin (Quimerc'h, Loqueffret, Plonéour-Ménez, Sainte-Marie-du-Ménez-Hom, Plougonven, Locmélar, Saint-Sébastien en Saint-Ségal), et ceux dont au contraire le bras supérieur est plus large, avec une structure en V (Locmélar).
Nous pouvons aussi rechercher un schéma particulier où le Christ est entouré au croisillon supérieur des deux cavaliers du Golgotha, comme à Pencran, Sainte-Marie-du-Ménez-Hom, à Lopérec, Locmélar, Plougastel et Saint-Thégonnec.
Et mettre à part les calvaires où les gibets des larrons sont érigés séparément de la croix centrale.
Les calvaires à deux croisillons. Liste non limitative.
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Pencran nord, (1521 par inscription). Trois fûts. Marie-Madeleine agenouillée au pied de la croix. Deux cavaliers, Madeleine/ Yves, Jean/Pierre. Pietà, Vierge à l'Enfant . Marie-Madeleine agenouillée au pied de la croix.
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Plomodiern, chapelle Sainte-Marie-du-Ménez-Hom (1544, Prigent). Jean/Pierre et Madeleine/Yves. Pietà, Christ aux liens, Vierge à l'Enfant. Ange aux calices. Marie-Madeleine agenouillée au pied de la croix. Trois larmes.
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Saint-Ségal, chapelle Saint-Sébastien (v.1541-1554, Prigent ou M° Saint-Thégonnec). Vierge et Jean géminés avec des archers. Trois larmes.
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Lopérec (1552) par l'atelier des Prigent ou de Fayet leur compagnon. Marie-Madeleine agenouillée au pied de la croix. Trois fûts . Deux cavaliers, Christ aux liens, Jean ?/Marie-Madeleine / et Vierge/Pierre, Christ ressuscité. Les trois larmes.
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Plougonven, (1554), Henri et Bastien Prigent. Calvaire monumental. Marie-Madeleine agenouillée au pied de la croix. les larrons sur des croix séparées (mais depuis le XIXe), saint Yves, Vierge et Jean non géminés.
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Loqueffret (1576?)
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Plounéventer (1578)
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Locmélar (vers 1600), par le Maître de Plougastel
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Plougastel-Daoulas (1602-1604) par le Maître de Plougastel.
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Saint-Thégonnec (1610)
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Au total, le calvaire de Saint-Thégonnec se définit par ses trois croix (celles des larrons et celle du Christ), et sa croix centrale écôtée à deux croisillons au pied de laquelle Marie-Madeleine est agenouillée. Le croisillon inférieur porte les statues géminées de Jean/Yves, et de Pierre/Vierge, avec au centre la Vierge à l’Enfant à l'ouest, et la Vierge de Pitié à l'est. Le croisillon supérieur porte les cavaliers convertis du Golgotha (Longin et le Centurion) avec au centre la date de 1610 et 2 anges à l'ouest, et le Christ aux liens à l'est . Au sommet, sur la Croix à branches rondes et fleurons, le Christ, dont le sang est recueilli par des anges. Une colombe au sommet domine le titulus.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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II. LE PREMIER CROISILLON DE LA CROIX, COTÉ OUEST. Kersanton, Maître de Saint-Thégonnec, 1610.
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Saint Jean et saint Pierre.
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Une anomalie saute aux yeux : alors que nous devrions trouver au pied du Crucifix, à la droite du Christ sa Mère la Vierge-Marie et à sa gauche saint Jean, en illustration des versets Jean 19:26-27 "Jésus, voyant sa mère, et près d'elle le disciple qu'il aimait, dit à sa mère "Femme, voici ton fils" puis il dit au disciple "Voici ta mère", nous voyons saint Jean placé à notre gauche, le nez en l'air, et à notre droite saint Pierre.
"Il suffirait" d'inverser les deux statues géminées (un personnage sur chaque face) pour replacer saint Jean à notre droite, regardant le Christ tout en exprimant sa foi et son émotion de recevoir les dernières paroles du Christ avec la main sur la poitrine.
Et "il suffirait" de faire pivoter de 180° l'autre statue, pour tourner vers l'ouest la Vierge géminée avec saint Pierre.
Pas si simple ! D'après Castel et Le Seac'h, l'erreur datant d'un ancien remontage n'a délibérément pas été corrigée lors de la restauration de 1970 par Maimponte pour ne pas déséquilibrer l'édifice. Étonnant !
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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Saint Jean.
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Les cheveux longs et bouclés retombent sur la robe longue et pas même plissée sous l'effet d'une ceinture (dont la boucle et son aiguillon sont détaillés). Le manteau rejeté en arrière est soutenu par un pan sur l'avant-bras droit, tandis que l'autre pan est rassemblé dans le poing gauche. La jambe droite est avancée, comme pour soutenir la gestuelle expressive de la main droite. Le livre (des Evangiles) est tenu cavalièrement sous le coude.
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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Saint Pierre.
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Le sculpteur n'a pas oublié de représenter, outre la clef et le livre, le toupet qui subsiste en îlot sur la calvitie frontale.
Sous le bouton qui ferme le manteau, on aperçoit la fente de la robe, véritable leitmotiv du thème des apôtres repris par tous les ateliers de sculpture, et répété par exemple dans la série des apôtres du porche.
Enfin, nous remarquons les rides frontales gravées, petite signature du Maître de Saint-Thégonnec.
Il me parait important de rechercher si le sculpteur n'a pas gravé les pétales en marguerite de quelques larmes sous les yeux de saint Pierre. En effet, les larmes de son repentir après le chant du coq qui sonne son reniement sont célèbres, mentionnées par le texte évangélique, ainsi que par l'Erbarme dich mein Gott de la Passion selon saint Matthieu de Bach. Vu l'importance donnée aux larmes sur ce calvaire, nous pourrions même nous demander si ce ne sont pas elles qui orientent le choix de placer saint Pierre sur ce croisillon, plutôt (ou autant que) son titre de premier évêque et chef de l'Église.
Mais je ne distingue pas ici ce détail.
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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La Vierge à l'Enfant.
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La statue posée sur une console semble faire corps avec le fût.
Sous une couronne à fleurons, le visage est rond avec un menton à fossette. La Vierge est vêtue d'une chemise plissée, au col ras du cou, et d'une robe à décolleté carré. Le pan d'un manteau est retenu par une troussière au coté gauche (à la taille ou au poignet), près d'une ceinture fine.
Marie tient un objet semblable à un fruit . Son Fils, nu, est présenté en Sauveur du Monde, bénissant l'orbe.
E. Le Seac'h signale que cette statue est identique à celle, provenant d'un vestige de calvaire, placée au sommet de l'arc de triomphe de Guimiliau. La position de la main droite diffère.
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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III. LE PREMIER CROISILLON DE LA CROIX, COTÉ EST. Kersanton, Maître de Saint-Thégonnec, 1610.
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Des motifs Renaissance décorent les croix : les croisillons sont moulurés, et le croisillon inférieur est orné d'une frise de vagues ( "flots" ou "postes").
Au centre, sous la Déploration, une agrafe à demi soleil rayonnant domine un nœud à godrons et d'oves.
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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Sur le croisillon : Saint Yves et la Vierge.
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1. La Vierge éplorée. Du coté gauche du croisillon.
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C'est elle qui devait figurer sur la face ouest à droite du Crucifié. Elle témoigne de son chagrin en tordant ses bras vers la droite, les deux mains ayant les doigts noués.
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La Vierge porte un manteau qui la voile et une robe plissée, à décolleté carré, serrée par une ceinture, et enfin une guimpe voilant la gorge. Un des genoux est fléchi et avancé.
Seul un examen attentif permet de déceler les trois larmes presque gravées sous chaque œil. C'est la reprise du motif des trois larmes en gouttes d'eau que les Prigent sculptaient (en plein, et non en creux) sous les yeux de Marie, de Jean et de Marie-Madeleine au Calvaire. Le Maître de Plougastel y eut recours à son tour, et Roland Doré ultérieurement. Le Maître de Saint-Thégonnec se contente de ces trois formes géométriques radiantes, en très léger relief ; on reconnaît aussi son style aux yeux un peu globuleux et aux paupières ourlées, mais aussi aux rides frontales en lignes horizontales gravées (comme sur de nombreux personnages de la plateforme).
Je n'ai pas retrouvé ces larmes sur le saint Jean du croisillon ouest, mais elles ont peut-être échappé à mes clichés. On va les retrouver, par contre, sur le saint Jean de la Déploration.
L'importance de ces larmes est considérable pour comprendre le mouvement de piété qui est à l'origine de ces calvaires. Cet écoulement, cette effusion des trois personnages majeurs du drame de la Passion est mise en parallèles avec l'écoulement du sang du Rédempteur et il exprime leur participation émotionnelle à ce drame. Le fidèle, en les regardant, est incité à les imiter comme médiateurs et initiateurs de leur dévotion.
Tout cet étage inférieur est consacré à cette mystique des larmes et du chagrin.
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Extrait du Stabat Mater en breton :
Bras voa an poan hac an anuy
Hac an galchar an goar Mary
Pan guelas, allas, an casty
He map hon car e Caluary.
Pyou en heny, ma studyhe
En e calon, na estonhe,
Guelet hon mam à estlame,
Allas de buguel ez gouele ?
Pyou eu an Christen nep heny
A calon quen dyuelcony
Pan sonch e glachar à Mary,
Na ve queuzet, na lequet sy ?
Euit gueffret hon peched
Ez guelas, allas, e gloasou,
A dyou abrant bet en plantau
Cannet yvez gant scourgezau.
An guerches santel á guelas
He quer map e poan en langroas ;
Credit certen, pan tremenas,
Gant poan dazlaou ez caffauas." (Tanguy Guéguen 1622)
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"Immenses furent la peine et l’affliction
Et le chagrin de la douce Marie
Au spectacle, hélas, de la détresse.
De son fils, notre ami, au Calvaire.
Quel est l’homme, s’il y réfléchissait.
Sincèrement, qui ne serait ébranlé .
En voyant notre mère crier (de douleur),
Hélas, pleurant son enfant ?
Quel est le chrétien, quel qu’il soit,
Aussi frivole que soit son esprit,
Songeant à la souffrance de Marie,
Qui ne serait contrit, assurément ?
À cause nos péchés à tous
Elle vit, hélas, ses tourments ;
Des sourcils jusqu’aux pieds
Battu en outre par des fouets.
La sainte Vierge vit
Son fils chéri souffrant en croix ;.
Croyez bien, quand il expira,
Qu’elle gémit de douleur à en pleurer." (Traduction Yves Le Berre)
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
2. Saint Yves. Du coté droit du croisillon.
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Le saint patron de la Bretagne est présent ici comme il l'est sur de nombreux calvaires contemporains. On le voit notamment sur celui de Pencran, celui de Sainte-Marie-du-Ménez-Hom, et sur les deux calvaires de Saint-Ségal (celui du bourg et celui de la chapelle Saint-Sébastien).
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Il est coiffé de la barrette de docteur sous des cheveux courts sans doute tonsurés, et ce bonnet carré est recouvert du capuchon du camail qui recouvre ses épaules. Il porte le surplis au dessus de la cotte talaire, qui ne laisse voir que l'extrémité de solides chaussures.
Il tient d'une main son Traité de Droit, placé dans une reliure qui forme sac, et qu'il retient grâce à une boule terminale : voir sur ce "livre-ceinture" mon commentaire ici :
https://www.lavieb-aile.com/2020/08/le-calvaire-de-mellac.html
http://www.lavieb-aile.com/2020/07/le-calvaire-de-motreff.html
On trouve aussi ce livre-ceinture parfois sur les statues de saint Jean (Mellac, Motreff, Quilinen), sur les figures des apôtres (saint Philippe sur le Calendrier des Bergers 1498), et, porté par Yves, sur le calvaire de Pencran et sur des vestiges d'un calvaire de Guipavas. Entre autre.
Dans la main gauche, il tient un rouleau de papier, comme la pièce d'un procès dont il a la charge.
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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La Déploration à quatre personnages.
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Nous les avons vu au pied du Crucifié, l'une en pleurs et les mains tordues après l'avoir entendu dire "Mère voici ton fils", l'autre maîtrisant son chagrin après avoir été désigné comme tuteur "Fils, voici ta mère", et la dernière effondrée étreignant la croix.
Le corps crucifié a été descendu de la croix, et, avant d'être placé sur la table d'embaumement (scène représenté sur la plateforme) puis descendu dans le tombeau creusé dans le roc, il a été remis aux siens, pour de brefs et poignants instants : la mère tient son fils sur ses genoux, entourée de Jean qui soutient la tête et Marie-Madeleine qui place sa main sur les jambes. Chacun de ces trois là laisse aller ses larmes.
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Les plaies du Christ sont visibles, celle du clou de la main droite et celle du coup de lance du flanc droit. Son corps forme une croix, avec le bras droit tombant et le bras gauche soutenu contre le sein maternel. Son visage est paisible.
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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Marie-Madeleine.
Son costume est la réplique de celui de la statue du pied de la croix, avec la même fraise du col, les mêmes manches bouffantes, la même chevelure dénouée, et aussi le manteau rejeté en plis serrés derrière les reins (comme cela se voit plus haut sur le cliché de la Vierge à l'Enfant). Ces deux représentations diffèrent par contre de celles du socle (Montée au Golgotha et Mise au Tombeau).
Au dessus des larmes en pétales de marguerite, les rides du front sont nettes.
Elle tient le pot d'aromates, mais un autre pot est posé sous la jambe du Christ.
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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IV. LE CROISILLON SUPÉRIEUR, COTÉ OUEST . Kersanton, Maître de Saint-Thégonnec, 1610.
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Tout l'étage supérieur, crucifix inclus, est sous le signe du Sang versé et de la conversion. Sang des plaies du Christ recueilli par des anges, sang s'écoulant du flanc droit et provoquant la conversion de Longin, sang versé pour la Rédemption et provoquant l'exclamation du Centenier, "Vraiment, celui-là était Fils de Dieu !".
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Il y a là une unité thématique, théologique et visuelle qui a débuté sur le calvaire de Pencran en 1521, s'est poursuivie à Plougonven (1554), à Pleyben (1555), Cléden-Poher, Lopérec (v.1552), à Locmélar (v.1600), et Plougastel-Daoulas (1602-1604).
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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A. LONGIN ET LE CENTURION, LES DEUX CAVALIERS CONVERTIS DU GOLGOTHA.
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1. Le Centenier exprimant sa foi.
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Pour une raison inexpliquée, on trouve ce personnage désigné dans la littérature générale et sous la plume d'Y.-P. Castel et d'E. Le Seac'h sous le nom de Stéphaton. Ce nom n'est pas cité dans les Évangiles mais a servi a désigner dans la tradition médiévale le soldat Romain qui a tendu au Christ au bout d'un roseau (Matthieu 27:47) ou d'une branche d'hysope une éponge trempée dans un vase de vinaigre ou posca (Jean 19: 29).
Nous n'avons aucun motif pour valider cette hypothèse, et bien que l'éponge soit devenue l'un des Instruments de la Passion et une relique, ce Stéphaton n'a aucun titre de sainteté, et ce soldat n'est pas un exemple pour les Chrétiens lui permettant d'accompagner saint Longin au plus haut étage d'un calvaire. Bien au contraire, selon Marc 15:36, il accompagne son geste d'un défi de dérision : "à la neuvième heure, Jésus s'écria d'une voix forte: Éloï, Éloï, lama sabachthani? ce qui signifie: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?" Quelques-uns de ceux qui étaient là, l'ayant entendu, dirent: "Voici, il appelle Élie". Et l'un d'eux courut remplir une éponge de vinaigre, et, l'ayant fixée à un roseau, il lui donna à boire en disant "Laissez, voyons si Elie viendra le descendre!".
J'ajouterai qu'un simple soldat n'a aucun titre pour être un cavalier de l'armée romaine.
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Il en va tout autrement du Centenier qui, dans Matthieu 27:54, et Marc 15:39, s'exclame après avoir assisté à la mort du Christ dans un tremblement de terre, "Assurément cet homme était Fils de Dieu." Car cette exclamation est considéré comme un acte de foi exceptionnel. Dans les enluminures, les retables et peintures sur verre de la Passion, le Centenier est fréquemment représenté dans cette posture à la main levée ou à l'index tendu qui est, avec le phylactère VERE FILIUS DEI ERAT ISTE, son véritable attribut.
C'est donc cet officier, et donc cavalier, qui figure ici comme modèle de la foi en raison de sa brusque conversion .
S'il fallait un argument supplémentaire, et fort solide, il suffit de se référer au texte de la Passion de 1530 : juste après que Jésus ait remis son âme entre les mains de son Père, le Centurion, puis Longin entrent en scène, et concluent ce tableau de la Crucifixion. Quand à la scène de l'éponge de vinaigre, elle avait été décrite auparavant, de façon triviale, et attribuée à l'un des bourreaux nommé Dantard : "Je cois que j'ai une mixture de vinaigre, de myrrhe et de fiel, un tord-boyaux qu'on pourrait lui faire goûter tout de suite au moyen de cette éponge. Tiens, Jésus, ne discute pas, Bois tout sans faire d'histoires." Ce n'est certes pas lui qu'on aurait représenté à la droite du Christ tout en haut du calvaire.
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CENTURION
An den man, certen, me en toe,
Ayoa, hep quen tra a voe
Ha so map da Doe a croeas
An nef affet, na lequet mar,
An aelez ha den, me en goar,
An heaul, han loar, han douar bras
A huy na guel pebez synou
So hoaruezet en hon metou ?
An elementou, traou bras
Na pebez tra a gra Natur
Na pez glachar nagoa mar sur
Dreist musur da nep he furmas
Me cret an bet eshem detaill
Crenet en douar disparaill
Han mean heaul collet e sclaerder
Na loar ne gueler na steret. ( Passion bretonne de 1530 v. 3019-3037)
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LE CENTURION (voyant la terre trembler).
"Cet homme, j'en suis tout à fait persuadé,
Qui était, c'est certain, et qui fut,
Est assurément le fils du Dieu qui créa
Réellement le ciel
Et les anges et l'homme, j'en suis certain
Le soleil, la lune et la vaste terre.
Ne voyez-vous pas quels prodiges
Se produisent autour de nous
Dans les éléments, c'est inouï
Et comme la nature se manifeste ?
Mais aussi quelle douleur, et quel malheur certes
Immenses pour celui qui la créa !
Je crois bien que le monde se disloque ;
La terre est extraordinairement ébranlée
Et les pierres fendues par prodige.
L'obscurité a tout envahi ;
Le soleil a perdu sa clarté,
Et on ne voit ni lune ni étoiles. (Traduction Yves Le Berre)
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Ce texte de 1530, ou sa dramaturgie, que je suppose bien ancrée dans ma mémoire des paroissiens de 1610 (il a été réédité en 1609, puis à Morlaix en 1622) , place la Croix et les deux cavaliers dans ce moment glorieux d'ébranlement cosmique de suspension du Temps décrit par Matthieu 27 : 42-53, entre la 6ème et la 9ème heure, et qui précède immédiatement le verset concernant le Centurion. C'est la véritable acmé du drame; "Jésus poussa de nouveau un grand cri, et rendit l'esprit. Et voici, le voile du temple se déchira en deux, depuis le haut jusqu'en bas, la terre trembla, les rochers se fendirent, les sépulcres s'ouvrirent, et plusieurs corps des saints qui étaient morts ressuscitèrent. Étant sortis des sépulcres, après la résurrection de Jésus, ils entrèrent dans la ville sainte, et apparurent à un grand nombre de personnes."
Si nous avons en tête ce contexte littéraire (des Évangiles synoptiques et du Mystère breton), les silhouettes de la Croix se détachant dans le ciel entre les deux Cavaliers sont magnifiées par une aura surnaturelle, terrifiante et grandiose, épiphanie de la Puissance Divine. Et ces cavaliers acquièrent, au delà des personnages qu'ils figurent, une dimension archétypale réunissant les couples de cavaliers de la mythologie indo-européenne tels que les Ashvins védiques, les Dioscures grecs et leurs homologues romains et, bien-sûr, les Cavaliers de l'Apocalypse.
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Description :
Barbu, aux longs cheveux, le Centenier porte un casque (ou une coiffure) conique à rabats et un capuche à gland frangé (par confusion avec un grand prêtre ?) et une cape au dessus d'une cuirasse. Une épée, témoin de son grade, est suspendu au coté gauche. Il est incliné vers le haut de la croix, où il regarde le Christ, et il accompagne son exclamation du geste de sa main droite.
Le cheval est soigneusement harnaché, le mors, les guides et étrivières sont détaillés, sa crinière est tressée, sa queue est relevée par une sangle.
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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2. Le lancier Longin retrouvant la vue.
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Ce cavalier est le lancier, nommé Longin ou Saint Longin par la tradition qui a transpercé le flanc droit de Jésus pour en attester la mort. Là encore, la tradition iconographique des enluminures, retables et vitraux rendent compte du miracle que les textes apocryphes lui attribue. Le sang s'écoulant de la plaie le long de la hampe de la lance éclabousse le visage de Longin, qui est souvent guéri du trouble de la vue dont il était affecté. Ce miracle entraîne sa conversion.
C'est ainsi qu'on le reconnaît immédiatement à l'index qu'il porte à la paupière gauche.
Cet épisode associe le thème de la Foi et celui du Sang versé, d'où son importance au sommet du calvaire.
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Dans la Passion bretonne de 1530, le texte décrivant le miracle de Longin suit immédiatement celui du Centurion :
LONGIUS:
Sevet ma goaf en e saf sonn,
So lem ha moan, didan e bronn,
Ha men scoy en calon gronnet;
Pe tost, en he gres am deseu,
Ha querz ez guelhet, rac pret eu,
Pe ef so beu pe nac eu quet.
Chetu marvaill nomparailhaf
Rac ma guelet an pret quentaf
So roet ent scaf gant dif;
Allas am goall me so fallet
En e quefver, disemperet
Hac ennhaf pepret ez credif
Hac evel doe en avoeif,
Hac a glan coudet en pedif,
Her dre bevif, ne fillif pret,
A guyr calon dam pardonaf
Dren meur trugarez: anezaf
Rac amantaf ne gallaf quet. (Passion bretonne de 1530 v 3038-3055)
,
LONGIN.
"Si j'arrive à lever ma lance mince et acérée
Bien droit sous son sein,
Je frapperai le cœur enclos
Dans sa poitrine ou tout près, j'espère ;
Et on verra bien, car il en est temps,
S'il vit encore ou non.
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Miracle à nul autre pareil !
Ma vue, tout soudain,
Il me l'a parfaitement rendue.
Hélas, je suis par ma faute coupable
envers lui, désespéré ;
Et je croirai toujours en lui,
.
Et je le reconnaîtrai comme Dieu,
Et je le prierai de tout mon cœur,
Tant que je vivrai, à tout instant,
De me pardonner sincèrement
Dans mon immense miséricorde
Car je ne puis réparer ma faute." (Traduction Yves Le Berre)
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Longin porte, comme le Centenier, la barbe, des cheveux longs, un bonnet conique entouré d'un bourrelet, une cuirasse à crête médiane recouverte d'une cape, une armure protégeant ses jambes, des éperons, une épée à son coté gauche. Mais la lance n'est pas visible dans la main droite au pouce dressé.
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Sa monture est également harnaché et paré avec soin, bien que la crinière soit plus simplement tressée.
Ces deux cavaliers sont très proches de ceux du calvaire de Saint-Sébastien en Saint-Ségal, attribué au même Maître de Saint-Thégonnec. Mais aussi à ceux de Pencran 1521 et de Sainte-Marie-du-Ménez-Hom, de Lopérec, de Plougonven et de Pleyben, Locmélar, Plougastel-Daoulas.
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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LE CHRIST EN CROIX ET LES ANGES HÉMATOPHORES.
http://patrimoine.du-finistere.org/art2/ypc_anges.html
Dans un vol gracieux, un ange recueille dans deux calices le sang s'écoulant de la paume droite du Christ et de son flanc.
Un autre ange recueille le sang de la plaie de la paume gauche.
Leurs corps forment un V qui donne plus d'élan à l'écartement des bras du condamné.
Deux anges se réunissent, sur le nœud du croisillon, pour recueillir le sang des pieds.
"La croix du Christ est garnie d'écots, symbolisant le tronc d'arbre que l'on vient d'ébrancher pour en faire une potence. Le Crucifié paraît calme, les bras cloués sur des branches de croix décorées de boules godronnées.
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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Son inscription INRI est étonnante par son archaïsme, puisqu'en cette fin de Renaissance, les lettres y sont gothiques, aux empattements fourchus, aux fûts perlés, avec un bel exemple de N rétrograde, et avec une ponctuation entre chaque lettres par le deux:points.
Mais si je me réfère à la façade et au clocher du Faou, c'est précisément en ce début du XVIIe siècle que se situe la transition entre les inscriptions lapidaires gothiques et celles en lettres romaines.
Au dessus de ce cartel, la croix est coiffé d'une colombe, symbole de l'Esprit de Dieu, dont le Plan du Salut s'accomplit par cette mort rachetant le Péché originel.
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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VI. LE CROISILLON SUPÉRIEUR, COTÉ EST . Kersanton, Maître de Saint-Thégonnec, 1610.
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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LE CHRIST AUX LIENS.
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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VII. LES LARRONS SUR LEUR GIBET. Kersanton, Maître de Saint-Thégonnec, 1610.
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Ils sont liés par les bras sur la traverse, et par un seul pied sur le fût. Je pense que le fait de ne lier qu'une seule jambe permet au sculpteur de représenter l'autre jambe fléchie (et comme brisée), afin de rendre compte du verset de l'évangile de Jean 19:31-32 : "Aussi les Juifs demandèrent à Pilate qu'on enlève les corps après leur avoir bisé les jambes. Les soldats allèrent donc briser les jambes du premier, puis de l'autre homme crucifié avec Jésus".
Ils sont torse nu, et portent une culotte bouffante (braie ou bragou) marquée de taillades ou de crevé, avec pour l'un une ostensible braguette rembourrée.
Le nœud des croix est en forme de pot à godrons évidé dans sa partie horizontale.
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Le Bon Larron.
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Il dirige sa tête et son regard vers Jésus pour témoigner de sa foi en son Royaume.
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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Le Mauvais Larron.
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Ses cheveux longs et bouclés sont retenus par un bandeau. Il baisse la tête et détourne le regard du Christ, et tire la langue, signifiant ainsi son refus du Salut.
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Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
Le calvaire de Saint-Thégonnec (kersanton, 1610, Maître de Saint-Thégonnec). Photographie lavieb-aile.
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SOURCES ET LIENS.
— ABGRALL (chanoine Jean-Marie), 1902, Les croix et les calvaires du Finistère, Bulletin monumental 66 pp. 176-209
https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1902_num_66_1_11302
— CASTEL ( Yves-Pascal) 1956 Saint-Thégonnec, Renaissance du Haut-Leon, collection Reflet de Bretagne , ed. Jos Le Doaré
http://bibliotheque.idbe-bzh.org/data/cle_137/Saint_Thegonnec_Renaissance_du_Haut-Leon_.pdf
— CASTEL ( Yves-Pascal) 1980, et contributeurs, Atlas en ligne des croix et calvaires du Finistère
https://societe-archeologique.du-finistere.org/croix/saint_thegonnec.html
— CASTEL (Yves-Pascal), 1997, En Bretagne croix et calvaires, Kroaziou ha kalvariou or bro, Minihi Levenez, Saint-Thonan, 1997, ISBN 2.908230.09.7
https://bibliotheque.diocese-quimper.fr/items/show/9374
— CASTEL (Yves-Pascal), 2005 (trad. Lorañs Stefan, Job an Irien, photogr. Jean Feutren), « Guide des sept grands calvaires bretons / Ar seizh kalvar braz », Minihi-Levenez Saint-Thonan, n°92., août 2005, p. 0-106 (ISSN 1148-8824)
https://bibliotheque.diocese-quimper.fr/files/original/f0824151eb305fc701d19c07bec6270b.pdf
— CASTEL (Yves-Pascal), 1998, les larrons en Bretagne , articles du Progrès de Cornouaille / Courrier du Léon
https://bibliotheque.diocese-quimper.fr/files/original/a36ed6ce279ecec1b3fb8aff74cf6302.jpg
https://bibliotheque.diocese-quimper.fr/files/original/f102406c740df26fa859695c87b46090.jpg
https://bibliotheque.diocese-quimper.fr/files/original/512240fd9710421f0c9c5f3960a6a552.jpg
— COUFFON (René), LE BARS (Alfred), 1988, Répertoire des églises : paroisse de SAINT-THEGONNEC,” Collections numérisées – Diocèse de Quimper et Léon,
http://bibliotheque.diocese-quimper.fr/items/show/1039.
— DEBIDOUR (Victor H.) 1954, Grands calvaires de Bretagne ed Jos Le Doaré.
—DE L'ORME (A.), 1900, Saint-Thégonnec, in L'art Breton du XIIIe au XVIIIe siècle. Bulletin de la Société archéologique de Brest p.103 à 123.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2076565/f100.item
— ÉLÉGOËT (Louis), 1996, Les Juloded Grandeur et décadence d'une caste paysanne en Basse Bretagne, Presses Universitaires de Rennes. 299 p.
https://books.openedition.org/pur/11548?lang=fr
— ENLART (Camille), 1929, Manuel d'archéologie religieuse 1929 tome II et III
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k36492m.image
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3041444j/f12.item
— GAUTHIER (Joseph Stany), 1944, Croix et calvaires de Bretagne.
— GRUYER Paul, 1930 ? Les calvaires bretons, Paris : H. Laurens (Paris), 64 p
https://bibliotheque.diocese-quimper.fr/files/original/57074072b6d66d3a38320a0005bb8854.pdf
— LE SEAC'H (Emmanuelle), 2014, Sculpteurs sur pierre en Basse-Bretagne. Les ateliers du XVe au XVIe siècle Presses Universitaires de Rennes.
http://www.pur-editions.fr/couvertures/1409573610_doc.pdf
— QUINIOU (François), 1909, Saint-Thégonnec. L’Église et ses annexes F. Paillard, 1909.
https://fr.wikisource.org/wiki/Saint-Th%C3%A9gonnec._L%E2%80%99%C3%89glise_et_ses_annexes/Texte_entier
—Hélène Remeur a consacré un mémoire de maîtrise (UBO, Brest, 1997) à l'Étude des costumes dans les grands calvaires bretons. Mais je n'ai pu consulter ce document de deux volumes (120 +113 pages) illustrés.
— ROUDAUT (F.) (dir.), 1998, Saint-Thégonnec. Naissance et renaissance d'un enclos, Brest, CRBC, 183 p
— Site Les 7 calvaires monumentaux
http://www.7calvaires.fr/saint-thegonnec/
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I. Sur le Mystère de la Passion en breton :
— LA VILLEMARQUÉ. 1865, Le Grand mystère de Jésus, Passion et Résurrection, drame en breton.
https://bibliotheque.diocese-quimper.fr/files/original/7a2bf53ea6a74542a552585167e006b5.pdf
—Le Mystère breton de la Passion, Aman ez dezrou an Passion Paris 1530, Eozen Quilliveré. BnF Res. Yn.11.
https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb33527847m
—Le Mystère breton de la Passion de 1609 : A Man es dezrou an Passion, ha he Goude an Resurrection, Gant Treme︣van an Ytron Maria, ha he Pemzec levenez, hac en divez ezedi buhez mab den. E S. Malo, Gant Pierre Marcigay, imprimer, & librer. M. DC. IX. Bibliothèque Mazarine RES 8° 46623
http://mshb.huma-num.fr/prelib/edition/1707/
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—Le Mystère breton de la Passion, Aman ez dezrou an Passion annoté par Tanguy Guéguen Morlaix 1622. BnF Res. Yn.13.
http://mshb.huma-num.fr/prelib/edition/1927/
— LE BERRE (Yves), 2011, La Passion et la Résurrection bretonnes de 1530, UBO CRBC.
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II. Sur les Mystères de la Passion en France :
— ROY (Emile), 1905, Le Mystère de la Passion en France du XIVe siècle au XVIe siècle, Dijon-Paris,
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k118904x.texteImage
— PARIS (Gaston) 1878, Le Mystère de la Passion d'Arnoult Gréban
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5510572p.texteImage
http://ebooks.unibuc.ro/lls/MihaelaVoicu-LaLiterature/Mystere%20de%20la%20Pasion.htm
— Le Mystère de la Passion, attribué à Eustache Marcadé (v. 1425) ; 24 944 vers, 4 journées de représentation
— La Passion, d'Arnoul Gréban (1452) ; 34 574 vers, 400 personnages, 4 journées de représentation
— Le Mystère de la Passion de Jésus-Christ, par personnages de Jean Michel (1486 ; 1493-1494) ; 65 000 vers,
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8626768z.image
— La Résurrection, de Jean Michel ; 20 000 vers, 105 personnages, 3 journées de représentation
— La Passion et Résurrection de nostre saulveur et redempteur Jhesucrist, ainsi qu'elle fut juée en Valenchiennes, en le an 1547, par grace demaistre Nicaise Chamart, seigneur de Alsembergue, alors prevost de la ville... ». Texte composite, pour lequel on a surtout fait usage de la Passion de Greban, révisée et amplifiée par Jean Michel. — A la suite du texte sont des notes sur l'organisation de la représentation, les acteurs et la recette. Nombreuses figures peintes. BnF Fr. 12536
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b55005970q.image