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18 juin 2012 1 18 /06 /juin /2012 11:45

   Le vitrail de l'arbre de Jessé

de l'église Saint-Martin de Moulins (35)

 

Voir aussi :  L' arbre de Jessé de l'église de Trédrez (22).

L' arbre de Jessé de l'église de Saint-Aignan (56).

Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de Confort-Meilars.

L'arbre de Jessé de l'église Notre-Dame de Saint-Thégonnec.

Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de la Sainte-Trinité à Kerfeunteun :

 

 

I. Présentation.

 


   C'est pour admirer les vitraux que je me rends à l'église Saint-Martin de Moulins, en Ille-et-Vilaine, mais après avoir remarqué la quête discrète de la flêche polygonale du clocher, je prends le temps de regarder le monument composite, la nef du XIIe siècle reconstruite au XVIIIe ayant été completée au XV-XVIe siècle par une chapelle latérale au nord et deux chapelles jumelles au sud, celles dont la photographie montre les deux pignons encadrant une porte de style Renaissance.  Le choeur a été refait et agrandi en 1836.


  I. L'Arbre de Jessé, Baie 3.

  Sources : Françoise Gatouillat et Michel Herold, Les vitraux de Bretagne, Corpus Vitrearum  Presses Universitaires de Rennes, 2005.

Les vitraux sont attribués par les spécialistes et notamment par R. Couffon, Annie Clément et Jean-Pierre Le Bihan à Michel Bayonne, maître-verrier rennais du XVIe siècle, après qu'ils aient comparés l'arbre de Jessé de Moulins avec celui de La Ferrière (56) daté de 1551, et de Beignon (56) et avoir constaté des modèles communs et des procédés techniques analogues. 

  On attribue en outre à ce verrier les vitraux des Iffs (v.1550), de St Gondran, de l'église Saint-Martin de Romillé, de La Chapelle-Janson, ou de Visseiche.

  L'arbre de Jessé de Moulins est daté vers 1560 par estimation, sans inscription, mais par rapprochement avec les autres verrières de l'église, datées de 1560 (Baie W) et de 1561 (baie 4, décrite en 1860, et qui aurait été vendue). 

  Le rang inférieur des panneaux a été détruit à une époque ancienne et remplacé par des vitreries à bornes, avant qu'une restauration soit effectuée par Tournel après 1912. Jean-Pierre Le Bihan procéda à une restauration en 1992, avec suppression des plombs de casse sur 87 pièces et collage sur doublage : on lira avec intérêt son étude avant restauration sur son blog ici : http://jeanpierrelebihan.over-blog.com/article-34768049.html


  La baie 3, haute de 4,20m, dresse ses 3 lancettes et son tympan à 3 ajours et 5 écoinçons sur le pignon de la chapelle nord. On comparera son arbre de Jessé avec ceux de La Ferrière ( dans un article à venir) et de Beignon (idem) pour constater la proximité des cartons. Globalement, la composition est d'une lecture claire, aérée, et on distingue vite l'arborescence qui conduit, par les douze rois de Juda, la généalogie partant de Jessé sous sa tente (prédominance de couleurs rouges, ocres et vertes) jusqu'à la Vierge et son Fils, enveloppés du bleu du manteau.


                  vitraux-arbre-de-jesse 4444c

Chaque lancette est constituée de neuf panneaux, mais j'étudierai la verrière en trois registres inférieur, médian et supérieur pour respecter la cohérence des cartons. 

En bas, Jessé est endormi assis dans une cathèdre sous un pavillon de toile rouge ; il est entouré de deux prophètes, classiquement Isaïe et Jérémie, qui tiennent les coins de la tenture pour dévoiler Jessé. Chacun tient un livre et est entouré d'une phylactère. 

 

vitraux-arbre-de-jesse 4445c

 

  A gauche, le prophète est entouré de l'inscription "Orietur Stella ex Jacob, et consurget virga de Israël.nu 24" : il s'agit d'une citation du Livre des Nombres, 24,17 et de l'oracle de Balaam : "De Jacob monte une étoile et d'Israël surgit un sceptre". L'étoile a été rapprochée de celle qui a guidé les Mages et les bergers vers la crêche de Bethléem (Matthieu 2, 2 et 2, 7). Je rappelle que la partie basse (deux panneaux inférieurs) est dû à une restauration. 

  Sa tenue vestimentaire marie des traits typiques des habits de la Renaissance, comme les manches et des bottines à crevé, avec un turban, une barbe bifide, une tunique d'or à franges rouges et un châle à frange également, destinés à indiquer la religion juive du personnage de l'Ancien Testament.

  On peut penser qu'il tient le Livre des Nombres. 

  Il s'agirait du prophète Jérémie. C'est lui qui apparaît avec Isaïe sur sur le vitrail de Confort-Meilars, sur une peinture murale de l'arbre de Jessé de 1500, sur l'arbre de Jessé de Moncontour (vitrail du XVIe), de La Ferrière, de Beignon, de l'église Saiint-Godart de Rouen (1506), tout comme à la chapelle Saint-Guen de Saint-Tugdual, etc, etc... Cette quasi-constance de la présence du prophète ne m'en donne pas l'explication.


                    vitraux-arbre-de-jesse 4450c   

 

   Jessé révèle son identité par un phylactère, au cas où nous ne l'aurions pas reconnu, avec cette habitude de s'endormir sur sa lecture et de se plonger dans des songes généalogiques, la tête soutenue par la main accoudée. Jean-Pierre Le Bihan signale  que la posture assise a été adoptée par les maîtres verriers rouennais, notamment parce que la posture allongée ( celle du XIIe siècle du vitrail de Saint-Denis, point d'origine de tous nos vitraux d'arbres de Jessé ) est délicate à placer sur les baies à trois lancettes.

   Vous le trouverez en train de faire la sieste sur la plupart des vitraux qui le représentent. Est-il frappé, comme le héros des Pickwick Papers de  Dickens, du Syndrome de Pickwick (C.S. Burwell), est-ce un "Blue Bloater" dont l'hypoventilation alvéolaire et l'obésité suscitent un syndrome des apnées-hypopnées du sommeil (S.A.H.S) ? Il ne présente pourtant pas le morphotype de Fat Joe, et je ne l'entends pas ronfler. Ou alors, est-il concerné par la Maladie de Gélineau ?  Difficile de l'affirmer. La seule chose qui est sûre, c'est que Jessé est le petit-fils de Boaz, bien connu par les lecteurs de la Légende des Siècles de Victor Hugo par son surnom de Booz endormi. Bref, une transmission génétique possible, mais qui a du s'inverser dans les générations suivantes si on en juge sur les rejetons suspendues aux branches, hyperactifs invétérés, joueurs de musique ou agitateurs de hochets.

  

  Il porte le turban, la barbe bifide, mais comme c'est un roi et non un prophète (assimilé à un prêtre), il ne porte pas le châle à frange, mais un manteau d'or doublé d'hermine (bel anachronisme bien-sûr pour cet usage des rois de France) sur une robe violette. On note aussi l'aumonière, mais celle-ci n'est pas d'origine.

  Le dais vermillon et or est constellé de motifs ronds par la technique du verre gravé, propre au verre de couleur rouge dont on enlève par meulage (gravure) la couche pigmentée.

                    vitraux-arbre-de-jesse-4451v.jpg

 

Le deuxième prophète (ce serait, pour J.P.Le Bihan,  Elie) se place sous l'inscription : Et egredietur v(ir)ga de radice iesse et flos de radice eius asce(n)det, Isaïe 11", mais je ne vois pas pourquoi il ne s'agirait pas ici d'Isaïe lui-même avec sa fameuse prophétie "Et une tige s'élevera de la racine de Jessé (la traduction grecque de la forme hébraïque "Isaïe" afin de ne pas le confondre avec le prophète), une fleur s'élevera de ses racines."

  Ce personnage porte une coiffe haute et pointue comme une amande au dessus du turban. Deux rubans latéraux à franges en sortent. Un camail en fourrure d'hermine, un manteau vert à larges et courtes manches serré à la taille par une ceinture violette et de beaux souliers carmins complètent sa tenue. C'est ce portrait qui, j'en suis sûr, inspira Huysmans lorsqu'il décrivait Hérode en ses termes : " Sa longue barbe flottait comme un nuage blanc sur les étoiles en pierreries qui constellaient la robe d'orfroi plaquée sur sa poitrine" (A rebours, 1884)

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Le deuxième registre donne à voir trois des douze rois de Juda : Salomon à gauche, David au centre, Ezechias à droite, assis-perchés sur les branches de l'arbre qui semble surgir du toit de la tente royale. J'admire l'entrelacs de la ramure qui rappellent des éléments gothiques ; des feuilles d'acanthe s'enroulent  et répondent aux orbes des phylactères.

  La généalogie du Christ est présentée différemment dans les Évangiles par Luc et par Matthieu. C'est le texte de Matthieu qui est suivi par les artistes qui réalisent ces arbres de Jessé. Matthieu 1, 7-16 donne la séquence suivante : 21 individus d'Adam à Abraham, puis 12 personnages d'Isaac à Jessé, puis 26 personnage de David à Joseph, père légal (mais non biologique, bien-sûr) de Jésus. Parmi ces 26 personnages, seuls 12 figurent sur la plupart des arbres de Jessé, ce sont les "rois de Juda" David, Salomon, Roboam, Abia, Asa, Josaphat, Joram, Osias, Jotham, Ézèchias et  Manassé [mais parfois aussi Amon, Josias et Jéconiah].

   Au départ, en Égypte, il y avait 12 tribus portant chacune le nom d'un des douze fils de Jacob, également nommé "Israël" : les douze tribus d'Israël. Ces tribus sont unifiées sous le régne de Saül, auquel succède David et Salomon, puis vers -930 sous le règne de Roboam, fils de Salomon, son royaume se scinde en Royaume de Juda au sud, dont la capitale est Jérusalem, et regroupant les tribus de Juda et de Benjamin (et une partie des Lévites), alors que les dix autres tribus au nord fondent le royaume d'Israël, centré sur Samarie. Ce royaume est détruit par les Assyriens en -722 et on perd la trace des dix tribus. 

  Ici, ce sont les rois de Juda que nous allons suivre. Leur royaume durera jusqu'en -587, date de la destruction de Jérusalem par Nabuchodonosor. Leur histoire est traversée par trois axes de force : la tentative permanente de l'Assyrie pour les soumettre ; la division avec le Royaume d'Israël et les guerres qui les opposeront ; et enfin la progression très aléatoire malgré les exortations des Prophètes d'un polythéisme accueillant pour les cultes cananéens, vers le monothéisme du culte rendu à Yahvé Mais nous les suivrons dans le désordre de leur position sur l'Arbre à Rois.

 

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Salomon, (970 à 920 av. J.C) fils de David et de Bethsabée et donc petit-fils de Jessé, chaussé de rouge, porte sa couronne sur une sorte de casque-turban. L'homme aux 700 épouses et 300 concubines (Premier Livre des Rois, 11,3) est vêtu d'une tunique dorée, d'une robe lie-de-vin, toutes les deux damassées ; je remarque la forme particulière des manches.  Outre le sceptre, il tient un livre, sans-doute le Livre des Proverbes ou le Cantique des Cantiques, qu'on lui attribue. 

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    Le roi David (1010-970 av. J.C) tient résolument sa harpe, sur laquelle il composa ses Psaumes. Il porte sa couronne sur un chapeau en forme de petit-bateau (ou, plus sérieusement, de chapeau jaune pointu porté par / imposé aux juifs ) Sous son manteau royal doublé d'hermines, sa tunique de pourpre est mouchetée de blanc par la technique du verre rouge gravé.

  Fils de Jessé, c'est en toute logique qu'il apparaît sur la fourche maîtresse de l'arbre, juste au dessus de son père.

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      Ezéchias (716-687 av. J.C) avant-dernier sur la liste chronologique, est séparé de son voisin par douze générations : c'est ici un gaillard débordant de vitalité et saisi dans l'instantané chorégraphique d'une figure de danse guerrière proche de la pyrrhique : il s'agit peut-être de la "debka" hébraïque (ou dabkeh palestinienne, le mot signifiant "coup de pied") dans ses premières exécutions, ou, en tout cas, une danse qui est pratiquée avec le bouclier, le sabre, et les protège-tibias ( qui, en Grèce, portent le nom de cnémides). 

  Dans la Bible (Deuxième Livre des Rois, Livre d'Isaïe, Deuxième Livre des Chroniques), Ezechias est un roi bon, juste et attentif à lutter contre l'idolatrie (détruisant le serpent d'airain de Moïse, qui était devenu l'objet d'un culte idolâtre)  et à restaurer les traditions, mais qui, renversant la politique de soumission menée par son père Achaz et  cherchant à secouer le joug assyrien, déclencha le siège de Jérusalem : il évita la destruction de la ville en versant aux troupes du roi Sennacherib un fort tribut. (selon le Cylindre de Taylor, source assyrienne et non biblique, la somme s'élevait à 30 talents d'or et 800 talents d'argent). 

  Ézéchias débute son régne 6 ans après la destruction du royaume d'Israël, dont il accueille les réfugiés en les incorporant dans l'appareil cultuel et administratif tout en recueillant auprès d'eux tout un matériel textuel de traditions et de lois qu'il fait éditer. Il renforce les défenses de Jérusalem et fait creuser un tunnel qui amène les eaux de la source de Gihon à l'intérieur de l'enceinte. Il recherche l'appui des égyptiens qui lui fournissent (2R. 18 24) des chars et des cavaliers.

   D'après mon ancien camarade de classe à Sainte-Croix Dominique Charpin, désormais assyriologue patenté et directeur d'études à l'Ecole pratique des Hautes Études, "Après la chute du royaume du Nord, un seul état-tampon subsistait entre les assyriens et l'Égypte, le petit royaume de Juda. Celui-ci balança entre l'idée de se soumettre aux assyriens, et celle de croire qu'ils pouvaient compter sur le soutien des égyptiens pour rester indépendant. Mais à un moment, ils allèrent trop loin, et Sennacherib, fils de Sargon, décida de mettre un point final à la situation. En 701, il marcha sur Juda à la tête de sa puissante armée; ils assiégèrent Lachisch, seconde ville du royaume ". C'est après la prise de Lachisch et de 46 places-fortes qu'Ézèchias dut nègocier pour éviter à Jérusalem le même sort. Mais selon les archéologues cela fut le début, paradoxalement, , d'une explosion économique pour Juda, qui participa sous le contrôle de l'Assyrie au commerce et à la production d'huile link.

  Selon http://introbible.free.fr/histchutesam.html#desint, Ézèchias, qui ne fut ni destitué ni déporté, résista à Sennacherib, dont les troupes furent victimes soit d'une épidémie de peste, soit d'une contre attaque des égyptiens, soit du trop grand nombre de villes à controler en même temps. 

  A la fin de sa vie, Ézéchias était moins gaillard que sur notre vitrail : il tomba même sévèrement malade, et le prophète Isaïe vint lui annoncer qu'il allait mourir. Le roi en fut contrit, et pleura à chaudes larmes, ce qui émut le coeur du Seigneur. Il lui  renvoya Isaïe, qui était encore dans la cour pour lui annoncer qu'il lui accordait quinze années de plus. 

  C'est un texte que je trouve très beau, et que je ne peux résister à citer, comme je l'avais fait dans mon article sur l'arbre de Jessé de Confort-Meilars, Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de Confort-Meilars.  panneau A2 avec les dix degrés qui avancent ou qui reculent. Nous allons prendre du retard, tant-pis, mais lisez cela  (copié à la main, comme les vieux moines!): 

Deuxième Livre des Rois 20 1 :

  "En ces jours-là, Ézéchias fut atteint d'une maladie mortelle. Le prophète Isaïe, filsd'Amoc, vint lui dire : "Ainsi parle Yahvé. Mest de l'ordre à ta maison, car tu vas mourir, tu ne vivras pas." Ézéchias se tourna vers le mur et fit cette prière à Yavhé : "Ah ! Yahvé, souviens-toi, de grâce, que je me suis conduit  fidèlement et en toute probité de coeur devant toi, et que j'ai fait ce qui était bien à tes yeux." Et Ézéchias versa d'abondantes larmes. Isaïe n'était pas encore sorti de la cour centrale que lui parvint la parole de Yahvé : "Retourne dire à Ézéchias, chef de mon peuple : Ainsi parle Yahvé, Dieu de ton ancêtre David. J'ai entendu ta prière, j'ai vu tes larmes. Je vais te guérir : dans trois jours, tu monteras au temple de Yahvé. J'ajouterai quinze années à ta vie, je te délivrerai, toi et cette ville, de la main du roi d'Assyrie, je protégerai cette ville à cause de moi et de mon serviteur David." 

   Isaïe dit : Prenez un pain de figues" ; on en prit un, on l'appliqua sur l'ulcère et le roi guérit. Ézéchias dit à Isaïe : A quel signe connaîtrais-je que Yahvé va me guérir et que, dans trois jours, je monterai au temple de Yahvé ?" Isaïe répondit : "Voici, de la part de Yahvé, le signe qu'il fera ce qu'il a dit : Veux-tu que l'ombre avance de dix degrés, ou qu'elle recule de dix degrés ? " Ézéchias dit : "C'est peu de chose pour l'ombre de gagner dix degrés ! Non ! Que plutôt l'ombre recule de dix degrés !" Le prophète Isaïe invoqua Yahvé et celui-ci fit reculer l'ombre sur les degrés que le soleil avait descendu, les degrés de la chambre haute d'Achaz - dix degrés en arrière."

 Comment faire un pain de figues :  Lavieb-aile vous donne la recette :

Prendre une livre de figues de Barbarie (Opuntia ficus-indica encore nommé nopal ou Cactus Raquette) séchèes et les faire bouillir dans 375 cl de lait de brebis pendant six minutes. Ne salez pas.  Verser la préparation dans un plat creux et laisser refroidir. Démouler le pain ainsi formé et le couper en deux avant de l'appliquer sur l'ulcère. Le traitement est plus efficace lorsque le pain est légèrement tiède, et gélatineux. L'huile de figue peut, par ses propriétés anti-radicalaires, compléter le résultat. Mais s'il-vous-plaït, ne me croyez pas, nul n'est prophète en son pays.



                vitraux-arbre-de-jesse 5832c

 

      Le troisième registre montre, partiellement ou complètement, neuf rois de Juda.

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1. Dans la lancette de gauche, Joram en haut domine Roboam (en vert) et Oziam.

Oziam (781-714), ou plutôt Ozias, encore nommé Azarias, douzième roi de Juda, fut un roi exemplaire, à l'égal de Salomon, jusqu'à ce qu'à la fin de sa vie il ne se pique de vouloir s'attribuer les fonctions du sacerdoce. Dieu, qui avait lu Dumézil et la théorie de la trifonctionnalité, lui envoya la lèpre.

 On le voit mieux sur le cliché présentant Salomon : riche tunique de velours, manches à crevé, collerette, hauts-de-chausse verte, bourse admirable à la ceinture, et geste élégant mais énigmatique de la main gauche qui se tend comme pour assurer un équilibre.

       Roboam (933-916) est le fils de Salomon : on voit que la position sur les branches de l'arbre n'obeit pas à la logique généalogique. Par son attitude intransigeante envers les dix tribus d'Israël dont il recevait l'allégeance, en refusant d'entendre leurs doléances (trop d'impots et de corvées), il provoqua le schisme des deux royaumes.

  Un chapeau couronné orné d'une escarboucle jaune et ronde, un manteau vert animé de plis tourmenté et d'un pan folâtre, une tunique jaune d'or, un col bouffant, des traits du visage expressifs... que dire encore ? Ce geste de la main gauche, très vivant, témoignant d'une discussion en cours.

 Joram , septième roi de Juda entre 848 et 841 av. J.C. est le fils de Josaphat. Il épousa Athalie, fille du roi d'Israël Achab, ce qui permit d'établir la paix entre les deux royaumes, mais la reine, devenue veuve, imposa le culte de Baal à son peuple. C'est la version de la tragédie de Racine, mais Joram, roi impie, avait déjà adopté les convictions païennes de son épouse lors de son règne. Le prophète Elie lui prédit une fin horrible, et il mourut dans d'atroces souffrances après de longues douleurs aussi abdominales qu'abominales.

   Sur sa tunique courte (kethôneth), il porte la ceinture (khagôr) que l'on noue pour se déplacer ou pour combattre. Au dessous, une piéce d'armure en lattes métalliques couvre les épaules et les cuisses. La couronne est posée sur un turban.

  Son geste indicatif de la main droitre est difficile à interpréter, puisqu'on s'attendrait à ce qu'il désigne soit la Vierge, soit les Prophètes annonçant le Messie.




vitraux-arbre-de-jesse 5833c

 

2. Dans la lancette du milieu, Asa domine Josaphat (en jaune et orangé) et Abiam.

 Abiam, ou Abia, ou Abijam est donc le fils de Roboam. Il hérita du scisme religieux et politique avec le royaume d'Israël, devenu l'ennemi du royaume de Juda, et il combattit les troupes de leur roi Jeroboam lors de la bataille de Tsemarayim. Il fut victorieux, tuant 500 000 hommes d'Israël. Grâce à Dieu.

 Josaphat (870-848) fut un roi aussi louable aux yeux de l'Eternel que son père Asa ; il se préoccupa de se rapprocher du royaume d'Israël, et maria son fils Joram à la fille du roi, la dénommée Athalie. On sait que cela détourna le royaume de Juda du culte de Yavhé vers celui de Baal.

Asa, (-911-870) est le fils d'Abijam et le petit-fils de Roboam. Ce roi pieux lutta contre les idoles cananéennes.



vitraux-arbre-de-jesse 5834c

 

 

  3.  Sur la lancette de droite, Manasses domine Joathan et Achaz.


Joatham, fils d'Osias assure la régence lorsque son npère devint lépreux. Il combattit les ammonites, les syriens de Damas et les troupes du roi Pequah, du royaume d'Israël : comme ont fait ses pères, comme feront ses fils.

Achaz (732-716) est, nous l'avons vu, le père d'Ézèchias et le fils de Joatham. Ce jeune roi (il accède au trône à 20 ans) est confronté à la situation géoploitique suivante : au nord, le royaume d'Israël (son ennemi), dirigé par Pequah, puis par Osée, fait alliance avec la Syrie pour affronter les assyriens, et demande à Achaz de rejoindre cette alliance syro-éphraïmite, mais celui-ci refuse. La coalition marche sur Jérusalem en faisant de nombreuses victimes dans les rangs des Judéens, de nombreux prisonniers, et en s'emparant d'un lourd butin, mais assiège la ville Achaz en est réduit à procéder au sacrifice de son propre fils qu'il immole par le feu. Ce geste ne suffit pas à calmer la colère de Dieu (car Achaz est impie) et le roi doit faire appel au soutien du roi assyrien Téglat Phalassar III. Celui-ci le contraint à remettre en tribut les richesses du Temple, et à adorer les idoles assyriennes. Vu de l'extérieur, on peut penser que les affaires de Yahvé vont au plus mal.

  On notera que le phylactère indique le nom de Achia..,  peut-être par erreur de restauration.

  Le jeu gestuel et notamment manuel des trois rois complète la gamme des postures dans laquelle Michel Bayonne s'avère particulièrement habile, faisant se correspondre tout un vocabulaire des expressions des  mains, tout un langage muet mais que nous ne pénétrons pas.

  Les costumes sont différents à chaque fois, tout en puisant dans une base commune, turban couronné, camail en hermine, tuniques, manteaux, cuirasses légères, haut-de-chausses, sceptres, bottines ou chaussures très souples et ajustées, en alternant le jaune d'argent, le rouge ou  le violet.

 Manasses (687-643) ou Manassé fut l'exemple même à ne pas suivre, faisant tout le contraire de ce qui est agréable à Yahvé pour aller adorer Baal et sa parèdre Ashera. Il érigea même dans le Temple de Salomon un poteau sacré en l'honneur d'Ashera.

La séquence de ces rois illustre assez bien comment le peuple hébreu, initialement polytheiste, passa, avec des alternances, à une monolâtrie avec Yahvé comme dieu principal (dont Ashera était l'épouse) puis à un monothéisme exclusif.

   C'est délibéremment et par calcul politique que Manassé rompit radicalement avec la politique de résistance à l'Assyrie et de maintien des traditions religieuses qu'avait suivi son père Ézéchias pour se soumettre aux assyriens et donc accueillir leur culte des idoles. Il éleva, comme l'avait fait Achaz, un pieu sacré pour Ashéra et des autels pour Baal.


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Sources : http://introbible.free.fr/histchutesam.html#desint

Le tympan

Il est constitué d'un oculus, de deux ajours latéraux et de cinq écoinçons ; ceux-ci montrent la colombe du Saint-Esprit en haut, et deux anges en prière en bas


 

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      1. Les prophètes Jérémie et Esaïe

  Vus en buste émergeant des nues, les deux prophètes contemplent la fleur qui accomplit leur oracle, et l'artiste ne manque pas d'en profiter pour étendre la gamme des attitudes manuelles, celle d'Esaïe pouvant évoquer l'énumération scholastique des arguments comme si celui-ci, après avoir compté et nommé tous les successeurs de Jessé, citait encore les passages des Écritures prouvant que, par Marie,  Jésus, "de la maison de David", accomplissait l'Ancien Testament et manifestait sa Messianité.

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     2. La Vierge et l'Enfant :

  Les auteurs du Corpus les décrivent joliement "issant d'une corolle végétale dans une gloire rayonnante entourée de nuées" : lorsque le langage spécialisé décrit si exactement l'image en une belle expression, cela mérite citation. A la fois fleurs et fruits de l'arbre Jesséen (je tente le néologisme), ils s'épanouissent dans le plissé du manteau bleu. Marie est couronnée, reine superlative de tous ces rois de Juda, ses cheveux longs sont ceints d'un large ruban plissé qui les rassemble avant d'en libérer les mêches sur les épaules (je retrouve ce type de coiffure noté chez les Vierges allaitantes du Finistère  Vierges allaitantes : le bandeau de cheveu.) sa gorge est sagement caché par ce col colette d'une fine chemise, et, de la main gauche, elle présente à son fils une pomme-monde (une figue pour J.P.Le Bihan) qu'il semble bénir.

  L'association entre virga  de la citation  Nombres 24,17 inscrite sur la base du vitrail et virgo, "vierge", désignant Marie date du IIIe siècle. Le mot latin virga, ae désigne une branche verte et mince, un rejeton, un sion, une bouture, mais aussi une cravache, une badine, un bâton de marche, la verge du licteur ou les verges dont on fouette quelqu'un, et encore le sceptre ou baguette d'autorité, et (Juvénal) le rameau d'un arbre généalogique. Reprenons les deux citations :

Nombres 24, 17 :orietur stella ex Iacob et consurget virga de Israhel, "Un astre sort de Jacob, un sceptre s'élève d'Israël"

Isaïe 11,1 : et egredietur virga de radice Iesse et flos de radice eius ascendet, " Et une tige s'élevera de la racine de Jessé , une fleur s'élevera de ses racines.

Mais les choses se compliquent avec la citation suivante, qui emploie virgo et non virga:

Isaïe 7, 14 : Ecce virgo concipiet, et pariet filium, et vocabitur nomen ejus Emmanuel, "Et voici qu'une vierge concevra, et enfantera un fils, et on l'appelera du nom d'Emmanuel"

Virgo, inis, est la jeune-fille, la vierge, la vestale, la nymphe, mais aussi la jeune-femme mariée. (Dictionnaire latin de Charles Lebaigue en ligne).

   C'est Tertullien qui écrit au IIIe siècle Virga ex radice Maria ex David, flos ex virga filius  Mariae , "Marie issue de David (donc, de Jessé) est la tige issue de la racine, et le fils de Marie est la fleur qui s'élève du rejeton."

 

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            3. Aaron et Moïse

On peut remarquer le tilde sur le o de Aaro(n), ou bien les cornes en épi de cheveux de la tête de Moïse, liées à une erreur de traduction latine par saint Jérome du texte original qui disait seulement que le visage de Moïse était devenu rayonnant lorsqu'il redescendit du Sinaï après s'être entretenu avec Yahvé. Egaré par une racine proche de geren, "la corne", Jérome a traduit videbant faciem Moysi esse crnutam, "ils virent que le visage de Moïse était cornu".

  Aaron et Moïse sont frères, ils appartiennent tout-deux à la tribu de Levi qui se consacrera après l'épisode du veau d'or au sacerdoce. Aaron est le premier grand-prêtre des Hébreux. 

  Comment expliquer leur présence dans un arbre de Jessé ? La caste des prêtres devait-elle être représentée à coté de la caste des monarques? Il semblerait plutôt que l'on ait rapproché assez tot la virga de Jessé ( "et consurget virga de Israël", et un sceptre surgira d'Israël) et la virgae de Moïse et Aaron. En effet, Aaron a été choisi comme grand-prêtre après qu'on ait tiré au sort une verge ou branchette à son nom parmi un lot de treize, chaque tribu ayant mis la sienne. Et on remarqua le lendemain matin que le bâton d'Aaron avait poussé des boutons fleuris, et que ces fleurs étaient forées en amande. Le bâton est depuis lors l'insigne du grand-prêtre.

  La "virga" de Moïse est d'abord sa houlette de berger,  puis ce bâton que Dieu lui demanda de jeter à terre : il se transforma en serpent, pour reprendre sa forme initiale lorsque Moïse le reprit, et ce miracle servit de preuve pour le peuple hébreu que Dieu l'avait réellement investi.

 Enfin, il est possible que les commanditaires de l'oeuvre ait voulu faire allusion à l'Épître aux Hébreux de saint Paul. En effet, celui-ci explique que, dans la Nouvelle Alliance, Jésus est le nouveau Grand Prêtre, mais qu'il n'est pas, comme Aaron, de la tribu de Lévi, mais de la tribu de Juda pour un sacerdoce de valeur supérieure à celui des Lévites : il est Grand Prêtre selon l'ordre de Melchisedech, Grand Prêtre pour l'éternité (Hébreux 7 ). L'arbre de Jessé, argumentaire pour ce rattachement à la tribu de Juda s'inscrit alors comme une illustration du passage de l'ancienne loi à la nouvelle loi, rendant la répétition rituelle des sacrifices inutile puisque le Christ s'est donné lui-même en sacrifice définitif. 

  Cette nouvelle vision de l'arbre de Jessé s'inscrirait alors dans une discussion, débutée très tôt dans l'histoire du christianisme, poursuivie au Moyen-Âge puis en ces années 1550 des vitraux de Michel Bayonne, discussion avec ou contre les Juifs pour répondre à leurs critiques. Ou, plus précisément, comme une charge contre le Judaïsme. Ce théme fera l'objet de développements ultérieurs.


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III. Vitrail au dessus de la tribune, Baie W.

 

   Au dessus de la tribune, laquelle n'est pas accessible au public, on entr'aperçoit de loin une baie en plein cintre de dix panneaux, masquée au regard par le garde-corps et par je ne sais plus quelle installation malheureuse. J'ai du, pour en avoir une idée, la photographier au 400mm en me plaçant dans le choeur... Ce sont là les reliquats d'une Passion qui occupait la maîtresse-vitre, attribuée à Michel Bayonne, six scènes fragmentaires que Tournel compléta en 1912 ; Jean-Pierre Le Bihan restaura cette vitre composite en 1994. J'utilise toujours dans ma description les données du Corpus Vitrearum, op. cité.

 

Le registre supérieur de quatre panneaux montre à droite un Portement de croix, moderne en dehors de quelques piéces d'origine comme la tunique et la main du Christ, et (?) le buste du cavalier. Du coté gauche, la scène de la Mise en croix conserve également de rares fragments originels comme le soldat de l'angle inférieur gauche, quelques pièces au sol autour du Christ et deux personnages en haut à droite. 

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     Les deux registres moyen et inférieur montrent en haut et à droite la Flagellation (datant de 1912 sauf la frise architecturale qui porte la date de 1560, le buste et le bras du flagellateur et deux personnages de l'arrière-plan). A gauche, la Comparution devant Pilate conserve au contraire ses verres d'origine hormis, en son centre, le serviteur servant de l'eau, le dos du soldat voisin, la muraille du dessus et quelques pièces secondaires. La frise a été copiée sur son homologue de droite, avec la date de 1912.

    En bas, nous trouvons des fragments de deux Comparutions devant Pilate, avec la date de 1560 sur celui de droite.


  

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IV. Les Juifs dans l'art chrétien du XVIe siècle, à propos des vitraux de Moulins.

      Par définition, un arbre de Jessé amène l'artiste à représenter entre dix et vingt personnages de l'Ancien Testament pour deux à trois personnages du Nouveau Testament : Jessé, 12 rois de Juda, deux prophètes, ici Moïse et Aaron, soit 17 personnages vétéro-testamentaires à Moulins, et Marie, Jésus, (saint Jean parfois) pour les personnages néo-testamentaires. Selon ses convictions, celles de son époque et les données théologiques que le commanditaire veut voir illustrer, il peut être amené à opposer les vêtements, les attitudes et les visages  pour marquer soit la complémentarité des deux Testaments, soit la rupture entrainée par la Nouvelle Alliance. 

   Par ailleurs, tous ces personnages sont des Juifs, et l'artiste peut également témoigner des opinions, croyances et préjugés de son époque pour représenter des stéréotypes, ou bien pour témoigner de la façon dont les juifs s'habillaient, se coiffaient, etc... à son époque.

  Car par définition aussi, un arbre de Jessé, en représentant la généalogie hébraïque de Jésus, illustre aussi les racines que la religion catholique trouve dans le Judaïsme. 

  Autant d'enjeux, de problématiques que l'on peut tenter d'appréhender en observant les détails de l'iconographie.

  Mais pour repérer une éventuelle discrimination, il faudrait que l'on puisse comparer les personnages juifs avec d'autres, par exemple des Romains (mais qui figurent parmi les "méchants") dans une scène de la Passion. Sur l'arbre de Jessé de Moulins, cette comparaison au sein de l'oeuvre n'est pas possible, et seule une comparaison avec l'iconographie religieuse contemporaine peut être effectuée.

  En outre, l'Ancien Testament donne parfois des précisions sur la tenue vestimentaire des Hébreux, et un artiste peut s'inspirer de ces données pour représenter un roi, un prophète ou un prêtre, sans visée discriminatoire.

  C'est dire si le sujet est délicat à aborder ; je me donne ce petit défi, sans prétention, pour voir où me mène ma curiosité.

1. La tenue vestimentaire des Hébreux de l'Ancien Testament, ou Bible hébraïque est décrite par Alexandre Westphal en 1932 dans son Dictionnaire Biblique http://456-bible.chez-alice.fr/westphal/5430.htm

  On peut en retenir que cette tenue est composée d'une tunique légère, courte (s'arrétant au dessus des genoux), et d'une longue robe semblable aux burnous actuels. La laine de mouton est le matériau principal, cédant parfois la place à la soie. La couleur dominante est le blanc, mais les riches peuvent faire teindre en variante de rouge (pourpre, cramoisi, écarlate, vermillon) les broder, les tisser d'or.

  • La tunique ou kethonêth en hébreu, en laine ou en lin, courte et sans manche chez le peuple, pouvait être longue avec des manches jusqu'aux poignets chez les princes. 
  • La ceinture ou khagôr est portée sur la tunique pour se "ceindre les reins" pour travailler, combattre ou marcher.
  • Le manteau (begèd et simlâh) n'est parfois qu'une pièce de tissu, rectangulaire et dont on s'enroule pour se protéger ou se réchauffer, avant de s'en servir de couverture la nuit.
  • La robe ou meîlh, vêtement de cérémonie réservée à la classe aisée.
  • Le manteau de cérémonie (addéreth) manteau royal lourd et très  coloré et parfois enrichi d'or.
  • Le vêtement des prêtres ou éphod, se compose de caleçons allant des reins jusqu'aux genoux, d'une tunique étroite à manches et en lin, d'une ceinture brodée ou abnét nouée sur le devant et retombant jusqu'aux pieds après avoir fait plusieurs fois le tour de la taille. Le prêtre allait pieds nus. Le grand prêtre portait en plus une grande robe violette, garnie en bas de glands en forme de grenades et de clochettes en or. L'éphod lui-même était de lin tissé d'or et de fils de couleur, assez court, et ses deux parties avant et arrière se réunissaient sur les épaules par deux agrafes et deux pierres précieuses. Un pectoral, sorte de sac carré, y était suspendu ; 
  • La mitre ou bonnet des prêtres, "dont le nom hébreu, dérivé d'un mot désignant une coupe, semble indiquer que sa forme était conique". Le grand prêtre portait une tiare munie d'une plaque d'or
  • La chaussure usuelle était la sandale, plaquette de bois ou de cuir fixée par des lanières
  • La tête était couverte soit par le manteau, soit par un voile, ou par un linge carré que maintiennent des anneaux de grosse corde.
  • Les riches, les prêtres et les rois portent un turban, le tsânîph, enroulement sans-doute d'une mousseline autour d'un petit bonnet intérieur.
  • Les rois disposaient d'un vestiaire dont l'importance justifiait qu'un fonctionnaire spécial soit voué à sa garde.
  • L'utilisation des franges ou houppes semble répondre à un ordre de Dieu dans Nombres 15,38 "Dis aux enfants d'Israël, pour eux et pour leurs descendants, de faire une frange (tsitt-tsitt) aux cotés de leurs manteaux. Quand vous la regarderez, [la racine de tsitt-tsitt signifie "regarder, briller"] vous vous souviendrez de tous mes commandements pour les mettre en pratique". Et, dans Deutéronome 22, 12, " Tu feras des franges (gedilim, tresses) aux quatre cotés du vêtement dont tu te couvres". Ces franges étaient bordées d'un ruban de couelur violette et servaient de signe de reconnaisance. Le châle de prière actuel, ou tallît comporte des houppes à ses quatre extrémités. 

 

   La tenue de Jésus peut être déduite du texte des Évangiles : une tunique sans coutures, le manteau vaste et flottant des rabins, un turban blanc sur la tête, des sandales retenues par des courroies, et une ceinture de lin. Mais les figurations du Christ dans l'art chrétien fut d'abord de type gréco-latin, avec la tunique arrêtée aux genoux,, le petit manteau correspondant au pallium romain ; plus tard, les artistes adoptèrent un type syrien plus vraisemblable avec l'ample et longue robe orientale. Puis les deux types se mélangèrent.

 

Muni de ces renseignements, je peux reprendre l'examen des panneaux du vitrail : 

Jérémie porte :

  • un bonnet à oreillettes et une barbe bifide
  • un châle de prière à franges (glands)
  • 5 houppes rouges au bord inférieur de la robe
  • un manteau-couverture (simlah) vert
  • une tunique d'or

Jessé porte :

  • Un turban à oreillettes, centré par une escarboucle,
  • un  grand manteau d'or doublé d'hermine
  • une robe violette à longues manches

 

Isaïe porte :

  • Un turban à longues oreillettes terminées par des houppes
  • une barbe bifide
  • un riche manteau de cérémonie vert, fendu sur le coté, orné de pierreries
  • une ceinture violette
  • un camail d'hermine
  • et des manches à crevés, style Renaissance.

Salomon porte:

  • Un casque-turban couvrant les oreilles
  • Une tunique damassée en or et une robe longue damassée
  • des manches à houppes
  • une bourse

David porte : 

  • un chapeau à pompon
  • une robe  longue, dorée et doublée d'hermine,
  • une robe rouge à longues manches 

Ézéchias porte : 

  • une coiffure couvrant les oreilles
  • une tunique courte rouge,
  • des houppes ou glands au bord inférieur de la tunique ainsi qu'en haut des bottes
  • une épée

Oziam porte :

  • Un turban à oreillettes.
  • Une tunique courte rouge
  • un camail,
  • des caleçons verts et des bottes

Roboam porte : 

  • un grand manteau vert

Joram porte :

  • un grand manteau rouge
  • une ceinture verte

Abiam porte :

  • un grand chapeau pointu à gland, couvrant les oreilles
  • une cuirasse
  • une bourse

Josaphat porte :

  • un grand "burnous" de toile à rayures jaunes et orange

 Asa porte :

  • sa couronne sur sa tête nue, sans bonnet
  • une tunique d'or sur une chemise rouge
  • une robe courte verte
  • des caleçons, des bottes,
  • une cuirasse

Achaz porte :

  • Une couronne mais a tête nue 
  • une cuirasse
  • une épée, 
  • les jambes nues
  • des manches à crevés.


Joatham porte :

  • un turban à escarboucle
  • un camail
  • une robe violette boutonnée devant, et ornée sur les bords de pierreries
  • une ceinture jaune

 Manasses porte :

  • un turban à escarboucle
  • une cuirasse
  • un camail
  • une tunique
  • une robe violette
  • une ceinture jaune
  • des caleçons rouges


dans les ajours, Jérémie porte:

  • une barbe longue
  • un turban à escarboucle et à oreillettes en pointe
  • une robe rouge


 Isaïe porte : 

  • la tête nue
  • une longue barbe
  • un manteau de cérémonie violet
  • une tunique dorée


Aaron porte une tenue assez conforme à celle du gran prêtre qu'il est : 

  • une longue barbe
  • une mitre conique jaune fendue, ornée de joyaux
  • un bonnet à longues oreillettes en pointes
  • une robe viollet

 

 

Moïse porte : 

  • la tête nue avec les cornes traditionnelles
  • une longue barbe
  • un manteau rectangulaire rouge
  • une tunique verte
  • une chemise jaune

 

Si je m'interresse au vitrail de la tribune, je dois considérer seulement les personnages non restaurés ; ce sont des membres du Sanhédrin, ou des prêtres. J'y ajoute Pilate, puisque ce citoyen romain semble habiller comme un Juif.

  On retrouve le camail en hermine, le manteau, les longues barbes, les crevés, et le chapeau pointu au dessus d'un turban d'étoffe rayée.

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   Pour conclure, les personnages de l'Ancien Testament, de religion juive, sont représentés sur le vitrail de Moulins par des traits iconographique qui introduisent une orientalisation et même une sémitisation, du moins pour les stéréotypes de l'époque : ce sont les barbes longues, le turban, le bonnet à oreillettes, et dans quelques cas les franges ou houppes des bords des vêtements, voire même pour Jérémie 1, un châle de prière. Nous avons vu que manteaux, tuniques, robes, caleçons, turbans, mitre du prêtre, sont bien attestés dans les Écritures et ne sont pas de pure fantaisie. Néanmoins ces traits sont associés à d'autres qui relèvent de l'usage consistant à représenter les personnages de la Bible avec des tenues "modernes", des années 1550-1560, comme les manches à crevés, les bottes fines et ajustées, la barbe depuis que François Ier en a lancé l'usage (mais c'est une barbe taillée), les étoffes damassées. Rien ne permet de soutenir la thése d'une discrimination de la représentation qui viendrait opposer de "vilains" personnages hébraïques de l'Ancien Testament avec  de "bons" personnages du Nouveau Testament, ou même d'une discrimination raciste relevant de l'anti-judaïsme, à moins de les passer à un nouveau crible, celui de publcations récentes.

 

  Mes réflexions sont sous-tendues par les publications de Bernhard Blumenkrantz et de Jean-François Faü.

    Bernhard Blumenkrantz a publié en 1966 Le Juif médiéval au miroir de l'art chrétien, Études augustiniennes, Paris, 159 p. link Il y indique qu'après les croisades, vers 1196, le juif devient facilement reconnaissable dans l'art chrétien par un visage allongé, une longue barbe, un nez accusé, un manteau différent du chrétien et la rouelle bipartite.  Puis on voit apparaître le bonnet pointu et les papillotes, puis au XIVe siècle le nez busqué ; au XVe siècle, cette orientalisation est achevée.

   Blumenkrantz explique ensuite  la tendance à représenter tous les personnages méchants sous les traits des juifs : et je pense alors à ce que j'ai constaté pour Ponce Pilate.

 (Voir aussi du même auteur Juifs et chrétiens dans le Monde occidental, 430-1096, Paris-Louvain 2006) 

  Reprenant mes clichés, je constate dans le tympan de l'arbre de Jessé que sur les profils de Jérémie et d'Aaron les nez sont busqués. Les "cornes" de Moïse ont pu  favoriser l'assimilation du Juif au Diable. Enfin la plupart des coiffures sont traitées au jaune d'argent, et nous avons au moins trois exemples de chapeaux pointus jaunes.

  Jean-François Faü a fait paraître en 2005 L'image des Juifs dans l'art chrétien médiéval, Editions Maisonneuve et Larose, pour permettre de repérer dans l'art chrétien les manifestations de stigmatisation des Juifs, et de" débarasser des oripeaux de l'antijudaïsme médiéval une éducation chrétienne ancestrale" (site Judaïque Cultures).

  Quelques éléments sont à connaître :

    C'est en 1215 que le décret du IVe Concile de Latran avalisé par le pape Innocent III fixe l'obligation aux Juifs de porter un signe distinctif afin qu'ils ne se mélangent pas aux Chrétiens et que les mariages mixtes soint évités.  Ce signe sera le chapeau jaune en Allemagne, les tables de la Loi en Angleterre, et , par la décision de Louis IX en 1269, le port de la rouelle, rond d'étoffe rouge ou  jaune, symbolisant l'or et l'avarice, ou les deniers de Judas.

  Les Juifs, soumis à un antijudaïsme les rendant collectivement responsables de la mort du Christ, les accusant de profanation d'hostie, ou d'empoisement des fontaines lors des épidémies de peste (1322), furent exclus par les rois de France en 1254 (remplacé par le versement d'argent), en 1306, puis définitivement en 1394 jusqu"à la Révolution.

   En 1560, Michel Bayonne n'a pas pu s'inspirer du costume juif contemporain puisque d'une part les juifs étaient expulsés, et que, d'autre part, ils ne portaient pas de costume spécifique (c'est ce qui rendait nécessaire la rouelle).


 

   Pour en finir, il ne me semble pas que ce vitrail témoigne, à quelques exceptions près, d'une stigmatisation des personnages hébraïques, mais une lecture nouvelle du thème de l'arbre de Jessé illustrant l'épître aux Hébreux de saint Paul me semble une source de réflexion autrement plus

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Published by jean-yves cordier
16 juin 2012 6 16 /06 /juin /2012 23:27

           L'oeil-de-boeuf chez Flaubert

( à l'occasion de l'article Chapelle Sainte-Suzanne à Sérent , le dais de Saint-Sacrement.)

I. Le dais de la Fête-Dieu.

"couleur ponceau" et or.

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  Un dais (ou pavillon, ou parasol liturgique, ou encore un poële) de Saint-Sacrement est un baldaquin mobile composé d'une armature portée par quatre hampes, aux sommités parfois ornées de plumes d'autruche, et de quatre bandes de soie brodée appelées "pentes". Il est porté par quatre hommes, quatre notables choisis soigneusement. Il est destiné à abriter le prêtre qui présente le Saint-Sacrement lors de la procession de la Fête-Dieu. Le dais est encadré par les enfants de choeur, les diacres, des porteurs de cierges ou de photophore, de bannières et de croix, et par les thuriféraires ou porteurs des encensoirs, et il est  suivi de la musique, des communiants de l'année, et des fidèles.

  Cette fête qui célèbre la Solennité du Corps et du Sang du Christ a lieu soixante jours après Pâques. Sortant de l'église à l'issue de la messe, la procession se dirige en suivant un chemin de sciure et de pétales dans les rues pavoisées de draperies, de feuillages et de guirlandes vers les reposoirs que les paroissiens de chaque quartier ont réalisés. Ces reposoirs sont des autels ornés de décorations florales et d'objets pieux, devant lequel la procession s'arrête : le prêtre encense l'hostie contenue dans l'ostensoir et présente celui-ci à l'assistance avant de la bénir. Lors de cette station, des prières et des chants sont débutés par l'officiant et repris par les fidèles.

  L'office du Saint-Sacrement a été codifié par Thomas d'Aquin afin de célébrer l'Eucharistie : on y chante l'hymne Pange Lingua, l'hymne Panis Angelicus, et on y récite le Lauda Sion. A chaque Salut du saint-Sacrement, deux strophes du Pange Lingua sont entonnées, sous le nom de Tantum ergo. Ce chant débute ainsi :

Tantum ergo Sacramentum veneremur cernui 

Et antiquum documentum novo cedat ritui.

Il est si grand, ce sacrement ! Adorons le, prosternés : 

Que s'effacent les anciens rites devant le culte nouveau !

  Ce sont ces mots que l'on trouvent inscrits ici, sur le "ciel" du dais.

 

  La Fête-Dieu selon Flaubert : la fin d' Un coeur simple.

  Un coeur simple fait partie, avec La légende de saint Julien-l'Hospitalier et Hérodias du livre  Trois Contes que Flaubert a fait paraître en 1877. On connaît le récit, dans Un coeur simple, de la vie de Félicité, servante de Mme Aubin à Pont-l'Évêque, et de sa passion pour Loulou, perroquet d'Amérique. C'est la fin de ce conte qui donne une belle description d'une procession de la Fête-Dieu et de sa station devant un reposoir, où Loulou, empaillé, figure parmi les objets de valeur qu'on y expose.


    "Tous les enfants des écoles, les chantres et les pompiers marchaient sur les trottoirs,-tandis qu'au milieu de la rue s'avançaient premièrement le Suisse  armé de sa hallebarde, le Bedeau avec une grande croix, l'Instituteur surveillant les gamins, la Religieuse inquiète de ses petites filles. Trois des plus mignonnes frisées comme des anges jetaient dans l'air des pétales de roses ; le Diacre les bras écartés modérait la musique -et deux encenseurs se retournaient à chaque pas vers le Saint-Sacrement, que portait, sous un dais de couleur ponceau tenu par quatre fabriciens, M. le Curé dans sa belle chasuble ; - un flot de monde se poussait derrière entre les nappes blanches couvrant le mur des maisons et l'on arriva au bas de la côte."


   [...] "Bientôt on distingua le ronflement des ophicleides, les voix claires des enfants, la voix profonde des hommes. Tout se taisait par intervalles, et le battement des pas, que des fleurs amortissaient, faisait le bruit d'un troupeau sur le gazon.

 Le clergé parut dans la cour. La Simonne grimpa sur une chaise pour atteindre l'oeil-de-boeuf, et de cette manière dominait le reposoir.

Des guirlandes vertes pendaient sur l'autel, orné d'un falbalas, en point d'Angleterre. Il y avait au milieu un petit cadre enfermant des reliques, deux orangers dans les angles, et, tout le long, des flambeaux d'argent et des vases en porcelaine, d'où s'élançaient des tournesols, des lis, des pivoines, des digitales, des touffes d'hortensia. Ce monceau de couleurs éclatantes descendait obliquement, du premier étage jusqu'au tapis se continuant sur les pavés ; et des choses rares tiraient les yeux. un sucrier de vermeil avait une couronne de violettes, des pendeloques en pierre d'Alençon brillaient sur de la mousse, deux écrans chinois montraient des paysages. Loulou, caché sous des roses, ne laissait voir que son front bleu, pareil à une plaque de lapis.

  Les fabriciens, les chantres, les enfants se rangèrent sur les trois cotés de la cour. Le prêtre gravit lentement les marches, et posa sur la dentelle son grand soleil d'or qui rayonnait. Tous s'agenouillèrent. Il se fit un grand silence. Et les encensoirs, allant à pleine volée, glissaient sur leurs chaînettes.

  Une vapeur d'azur monta dans la chambre de Félicité. Elle avança les narines, en la humant avec une sensualité mystique ; puis ferma les paupières. Ses lèvres souriaient. Les mouvements du coeur se ralentirent un à un, plus vagues chaque fois, plus doux, comme une fontaine s'épuise, comme un écho disparaît ; et, quand elle exhala son dernier souffle, elle crut voir, dans les cieux entrouverts, un perroquet gigantesque, planant au dessus de sa tête."

 

  L'oeil-de-boeuf chez Flaubert.

 " J'ai en moi, au fond de moi, un embêtement radical, intime, âcre et incessant qui m'empêche de rien goûter et qui me remplit l'âme à la faire crever." Gustave Flaubert, Lettre à Louise Colet, 20 décembre 1848.

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   Le passage d'Un coeur simple qu'on vient de lire fait certainement partie des chefs-d'oeuvre littéraires français, au même titre que l'incipit de Salammbô ou la fin de Madame Bovary, un texte rodé au gueuloir, réglé comme du papier à musique, parfait comme une oeuvre de Bach, et si j'éprouve du plaisir à le lire, ce plaisir est décuplé par la copie que je viens d'en donner, par la dactylographie qui vient faire frapper le rythme de la ponctuation en résonances corporelles. Chez Flaubert, la copie se transforme en interprétation musicale.

  L'oeil-de-boeuf à travers lequel "la Simonne" contemple la scène est aussi l'oeil du lecteur, par un procédé littéraire permettant au romancier de conserver un point de vue placé dans la chambre où Félicité agonise, tout en donnant à voir ce qui se passe dans la cour de la maison. La chambre, présentée dans le premier chapitre page 5, se situe au second étage : "Une lucarne, au second étage, éclairait la chambre de Félicité, ayant vue sur les prairies". Mais c'est à la page 53 qu'on lit la première mention de l'oeil-de-boeuf :"En face de la fenêtre surplombant le jardin, un oeil-de-boeuf regardait la cour." (Brouillons:" Vis-à-vis de la fenêtre donnant sur le jardin, un oeil-de-boeuf regardait la cour"). 

  La fonction de cette ouverture vitrée est donc précisée : ce n'est pas d'éclairer (la chambre) de donner sur (le jardin), fonctions passives, mais de regarder.

  Si le lecteur est amené à suivre la description du romancier en se plaçant à la place de Simonne et de regarder l'arrivée de la procession, ce n'est pas par n'importe quel regard, car le voilà doté d'un oeil de boeuf, d'un regard bovin. Flaubert installe son lecteur, sur le plan spatial, à un point panoramique et plongeant, mais en outre il le réduit à n'être tout entier qu'un oeil dilaté, cyclopéen, et bestial.

 

 Boeuf et oeil-de-boeuf dans et chez Flaubert.

  On n'accorderait pas tant d'attention à ce détail sémantique si on ne savait pas que, chez Flaubert, la fonction bovine est tout, sauf accessoire. En effet, le boeuf (bos, bovis en latin) a une place de premier plan dans son onomastique puisqu'elle se retrouve dans le nom de Charles Bovary et  dans celui de Bouvard dans Bouvard et Pécuchet. [pecuchet peut dériver du latin pecus, "bétail"], alors que le veau se retrouve dans le nom d'un artiste-peintre de Madame Bovary, Vaufrylard, ou dans le nom du comte de Vaubyessard et de son château, et la vache dans le nom du conseiller Tuvache, toujours Madame Bovary.  On voit comme ces noms sont transformés par des finales dépréciatives en -ar, -ard et -ache.

 Le boeuf se trouve aussi, dans Madame Bovary, à une place phallique notable, celle du nerf de boeuf de Charles, sa cravache dont la recherche permet le frôlement des corps de Charles et d'Emma lors de leur entrevue initiale.

   Dans sa correspondance, Flaubert, dans son voyage sur le Nil en 1849, écrit " Mon oeil, stupide comme celui du boeuf, regardait l'eau, tout simplement.


      On retrouve l'oeil-de-boeuf dans Madame Bovary lors de la scène des Comices agricoles. On sait qu'Emma et son amant Rodolphe contemplent toute la fête du haut de la fenêtre du premier étage de la mairie, voyant sans être vus, dans une position scopique proche de celle de Simonne dans la chambre de Félicité. On se souvient que la scène de séduction qui s'y déroule est entrecoupée de bribes du discours parlant de cultures et d'élevage, entrelaçant le vocabulaire amoureux avec les mentions "des races chevalines, ovines, bovines et porcines", et qu'entre les silences entre les amants, on entend "partir derrière soi un long mugissement de boeuf". On sait aussi que Félicité apparaîtra comme une résurgence du personnage de Catherine-Nicaise-Elisabeth Leroux, qui y reçoit une médaille d'argent pour "cinquante-quatre ans de service dans la même ferme". ("Dans la fréquentation des animaux, elle avait pris leur mutisme et leur placidité").

    C'est dans les brouillons du texte des Comices que le terme "oeil-de-boeuf" est utilisé ; Flaubert décrivait des ouvriers tentant d'accrocher des lampions, mais ses phrases vont penser à une image obsédante dont l'auteur tente de faire quelque-chose : "Le bras cependant apparaissait toujours dans l'oeil de boeuf (sic)", "Lorsque, tout en haut du milieu de l'oeil de boeuf (sic) percé dans le tympan de l'édifice, on vit un bras sortir puis s'allonger".

  Dans Bouvard et Pécuchet, l'oeil-de-boeuf est employé au chapitre X consacré à l'éducation des enfants : "Le cabinet noir au fond du couloir devint leur chambre à coucher. Elle avait pour meuble deux lits de sangle, deux cuvettes, un broc. L'oeil-de-boeuf s'ouvrait au dessus de leur tête, et des araignées couraient le long du plâtre." Cet oeil là ne sert pas à regarder une scène, mais semble placé ironiquement, par un effet visuel, au dessus des deux têtes comme les cornes d'un trophée de chasse au dessus de celle d'un mari trompé : comme la figure de la Bêtise, idée fixe de Flaubert lors de la rédaction de ce roman.

 

  Le boeuf dans Un coeur simple.

   Si dans Un coeur simple, c'est un perroquet qui, parmi les animaux, occupe la place principale, le boeuf occupe la seconde ; ou plutôt, un troupeau de boeuf et un taureau. Je veux parler, bien-sûr, de la scène du premier chapitre :

  " Des boeufs, étendus au milieu du gazon, regardaient tranquillement ces quatre personnes passer. Dans la troisième pâture, quelques-uns se levèrent, puis se mirent en rond devant elles.--"Ne craignez rien ! " dit Félicité ; et, murmurant une sorte de complainte, elle flatta sur l'échine, celui qui se trouvait le plus près ; il fit volte-face, et les autres l'imitèrent."


  Nous voyons d'abord ces boeufs être associés à la fonction de regarder ; puis au rond ; et enfin, nous découvrons des liens d'affinité entre eux et Félicité, qui par "une sorte de complainte", sait les manoeuvrer. La servante, qui a été jadis "fille de basse-cour" (Edition Louis Conard 1910, http://fr.wikisource.org/wiki/Trois_Contes p. 7) et savait "brider un cheval, engraisser les volailles, battre le beurre" (p.1) est à son affaire. (Flaubert n'est peut-être pas si averti des subtilités agricoles, et a peut-être pris pour des boeufs ce qui n'était que des vaches )

 

     "Mais quand l'herbage suivant fut traversé, un beuglement formidable s'éleva. C'était un taureau que cachait le brouillard. Il avança vers les deux femmes. Mme Aubain allait courir.

_ Non ! non ! Moins vite !

     Elles pressaient le pas cependant, et entendaient par-derrière un souffle sonore qui se rapprochait. Ses sabots, comme des marteaux, battaient l'herbe de la prairie ; voilà maintenant qu'il galopait !"

 

   Brouillard : la fonction visuelle s'efface au profit de l'ouïe : beuglement, souffle, martellement des pas. Mais il se trouve que ce martellement est repris à la scène finale, ma première citation, pour décrire le bruit de la procession de la Fête-Dieu : "Tout se taisait par intervalles, et le battement des pas, que des fleurs amortissaient, faisait le bruit d'un troupeau sur le gazon." Ce retour de la scène du taureau dans le récit d'une cérémonie religieuse observée dans un oeil-de-boeuf doit être interprétée, tant elle est frappante. Je propose d'y voir : 

  • une dépréciation de la manifestation religieuse dont la description n'est pas donnée comme vécue par un de ses participants et en partageant sa foi, son exaltation et ses émotions, mais comme observée froidement de l'extérieur : non seulement sans adhésion participative aux émois et aux croyances collectives, mais dans un traitement particulier des informations qui rompt avec les présupposés consensuels (spiritualité, admiration respectueuse, dévotion) pour les inverser en une manifestation de force primitive, irrationnelle, menaçante par son échauffement. Cette dépréciation est retrouvée dans la description de la procession par l'utilisation régulière de majuscules dont sont affublées les personnalités, ainsi déshumanisées et transformées en "types" : Le Suisse, Le Bedeau, L'Instituteur, La Religieuse, Le Diacre, M. l'Abbé...L'art de Flaubert (c'est ce qui a empêché Ernest Pinard de faire condamner Madame Bovary) est d'être un prince du pince-sans-rire et de jongler si bien avec l'ambiguïté que rien n'est attaquable en soi. Les majuscules seront une marque de respect, le mot "falbala", malgré son usage péjoratif fréquent, n'est qu'un terme technique pour une "bande d'étoffe froncée en largeur garnissant les toilettes féminines (certes) et l'ameublement " (vous voyez !), les portraits des personnages sont exacts (mais écrire le Suisse "avec sa hallebarde", le Bedeau "avec une grande croix", le Diacre "les bras écartés modérait la musique" n'est pas innocent, pas plus de que choisir, dans la décoration du reposoir, de montrer les éléments les plus prosaïques, les vases en porcelaine et surtout le sucrier de vermeil. Certes l'ophicléide est un instrument dont l'usage est attesté dans les fanfares (militaires) et à l'église de 1820 à 1880, il n'y a rien à redire... mais cet instrument en forme de serpent prête à rire et Flaubert le sait bien.
  • Une reprise, tel un leitmotiv, au moment où Félicité se meurt, du thème du Taureau dont le souffle des naseaux vient la menacer.
  • Je proposerai une hypothèse plus audacieuse : on sait que le grand évènement traumatique de la vie de Flaubert n'est pas d'avoir été poursuivi par un taureau, comme Félicité, n'y d'avoir, comme Montaigne (Livre II, 6)  frôlé la mort dans un accident de cheval, n'y encore, comme Rousseau, d'avoir été renversé par un mâtin à la barrière de Ménilmontant, mais d'avoir été terrassé par une première crise"d'épilepsie" à l'âge de 22 ans en janvier 1844 : "Ma vie active s'est arrété avec mes 22 ans...j'ai les nerfs qui ne me laissent pas tranquille" "ma nature de saltimbanque". Il se trouve que cette attaque nerveuse est survenue dans un cabriolet sur la route de...Pont-l'Évêque. Il est possible de penser qu'à la suite de cette attaque, Flaubert se soit mis à redouter toute exaltation mentale, qu'elle soit sexuelle ou intellectuelle et qu'il se soit imposé (ou se soit crut imposer) une castration de toute force vitale, cherchant à acquérir un regard bovin sur le monde, désactivé, desimpliqué, regard de l'"ermite de Croisset" toujours repris comme saint Antoine  pourtant par de vieux démons.

  " Félicité se retourna et elle arrachait à deux mains des plaques de terre qu'elle lui jetait dans les yeux. Il baissait le mufle, secouait les cornes et tremblait de fureur en beuglant horriblement. Mme Aubain, au bout de l'herbage avec ses deux petits, cherchait éperdue comment franchir le haut-bord. Félicité reculait toujours devant le taureau, et continuellement lançait des mottes de terre qui l'aveuglaient, tandis qu'elle criait : Dépêchez-vous ! Dépêchez-vous !

[...] Le taureau avait acculé Félicité contre une claire-voie ; sa bave lui rejaillissait à la figure, une seconde de plus il l'éventrait. elle eut le temps de se couler entre deux barreaux, et la grosse bête, toute surprise, s'arrêta.



  On voit comment les choses se sont inversées, et comment l'oeil-de-boeuf, regard distant et circonscrit sur le monde, devient l'oeil-du-taureau, qu'il s'agit d'aveugler. Comment cette folie furieuse de l'emballement des forces animales se tempère par le terre-à-terre. Et comment nos relations humain-animal peuvent basculer, comme tout face-à-face avec l'altérité, de la connivence à la terreur. 

  

                         "Quand au Bovarysme, n'est-il pas d'abord un bovinisme, une sorte de contagion bovine de la bêtise et de la torpeur ?"  Didier Philippot, Le rêve des bêtes, Flaubert et l'animalité, Revue Flaubert n° 10, 2010, http://flaubert.univ-rouen.fr/revue/article.php?id=44

En conclusion, l'oeil-de-boeuf  témoigne chez Flaubert de la place ambiguë de l'animalité dans son oeuvre : ce qui ne semble d'abord qu'une technique littéraire de prise de vue plongeante se révèle être aussi le reflet de notre bêtise, mais aussi l'aspiration à un regard placide, distant et dépassionné porté sur le monde.

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   Dans Un coeur simple, le motif du boeuf accompagne en contrepoint celui du perroquet, dévaluation ironique de la Parole Sainte, du Paraclet et de l'élan mystique, et miroir caustique de notre propre psittacisme lorsque Loulou imite Mme Aubain dans ses automatismes face aux coups de sonnette en répétant "Félicité ! La porte ! La porte ! "

   Dans les deux cas, il s'agit de venir contester le regard habituel que les contemporains de Flaubert portaient sur leur société, celle du Second Empire campé sur la morale, la religion et la foi dans les bienfaits du Progrès, ou de contester notre propre regard encore chevillé à ses certitudes de supériorité à l'égard des autres races animales.

   On se souvient peut-être de ce passage de la Recherche où Proust compare un artiste de génie à un oculiste qui nous tend un nouveau verre à travers lequel se modifie notre vision du monde. C'est le même Proust qui écrivait dans un article sur le style de Flaubert que celui-ci "a renouvelé presque autant notre vision des choses que Kant, avec ses Catégories, les théories de la Connaissance et de la réalité du monde extérieur".

  Le verre d'oculiste de Flaubert, c'est un oeil : l'oeil du boeuf. A travers lui, nos confortables fictions consensuelles apparaissent comme frappées du sceau de la Bêtise. 

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Published by jean-yves cordier
14 juin 2012 4 14 /06 /juin /2012 21:00

   

 Chapelle Sainte-Suzanne, paroisse de Sérent (Morbihan).

            Paramentique et vieilles dentelles.

 

  La chapelle de Sainte-Suzanne, sur la route reliant Sérent à Josselin, près du village de Quéhellec, a été construite entre 1500 et 1550. Elle est composée d'une nef unique et d'un chevet Beaumanoir à trois pans. Un calvaire-autel très original se trouve dans le placître.

 

  I. L'exposition de vêtements sacerdotaux et de culte .

 L'exposition telle que je la découvre le 28 mai 2012 (Sur le mur, 4 des 8 panneaux des fresques du XVIe siècle, découvertes en 1837  sous l'enduit, par le recteur, l'abbé Marot et représentant des scènes de croisades ou de la vie de sainte Suzanne.) :

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   Quelle bonne idée ! J'en rêvais depuis longtemps, après avoir vu tant de magnifiques chasubles alignées dans les placards dans ces armoires basses nommées "chasubliers" de sacristie, sur de tristes porte-manteaux, avec, en guise de chasse-spleen, une ou deux pastilles de naphtaline comme dans le mauvais vieux temps. La personne qui, habitant la maison voisine, fait visiter la chapelle m'explique que c'est son fils qui ayant créé un musée des costumes bretons à proximité, a eu l'idée d'utiliser les mannequins dont il disposait pour mettre en valeur le beau patrimoine de la sacristie de Sérent. 

      Autour de l'autel, il a placé les enfants de choeur. Ceux-ci portent non l'aube, mais la soutane, longue robe noire ou rouge  boutonnée par devant que vient recouvrir partiellement le surplis blanc (en lin, chanvre ou coton descendant jusqu'aux genoux) ou comme ici  la cotta, petit surplis très court, à manches courtes et larges, fendue sur la poitrine et sans col. La cotta comporte ici une bande de dentelle dans la partie inférieure, simple mais élégante et très seyante dans le premier exemple, mais brodée de motifs floraux et  religieux dans le second. C'est l'occasion pour moi de me perdre dans le monde infini du textile. Cette dentelle est-elle un tulle ? Et si oui, est-ce du tulle bobin, à maille hexagonale  et arrondies, ou du tulle de Malines à maille hexagonale mais allongée ?  Du tulle grenadine en soie, du tulle de Bruxelles à maille carrée avec torsion à quatre pans, du tulle grec à gros réseau, du tulle Tosca à maille circulaire, ou du tulle filet à larges mailles carrées ? A choisir, j'aimerais, pour ces enfants de choeur, du tulle point d'esprit, à plumes, ou du tulle zéphir, très fin et très léger, dont on imagine qu'il s'envole au moindre  soupir d'un ange qui passe, mais je dois sans-doute m'en tenir à la dentelle, une de ces dentelles liturgiques 100% coton motif Calice, IHS ou Croix et Roses fabriquées autrefois par de laborieux ouvroirs.


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  Nous pouvons commencer la visite ; chaque pièce attend les commentaires de personnes compétentes, capable d'expliquer le nom et l'usage de chaque vêtement :

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      S'agit-il  d'un pavillon de ciboire, ou d'une tenue de cérémonie destinée à orner une statuette d'Enfant-Jésus ?: 

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Couleur violette :

     Les vêtements et linges liturgiques forment un ensemble, obligatoirement de même tissu et de même décor, associant la chasuble, le voile de calice, la bourse ou portefeuille, le manipule et l'étole. Seules les chasubles, les dalmatiques, les chapes et deux manipules, sont présentées. 

  La couleur doit être adaptée au "temps liturgique" de l'année. Celle-ci débute avec la couleur violette le premier dimanche de l'Avent. La couleur violette s'applique aux temps de préparation (Avent, Carême) et de Pénitence. Elle peut désormais remplacer aussi le noir pour les funérailles.

  La chasuble est le vêtement porté par le prêtre au dessus de l'aube et de l'étole lors de la célébration de la messe. Son nom qui dériverait de casa, la maison, vient du bas-latin casula, nom d'un vêtement de dessus, à deux pans et sans manches, que l'on enfile par la tête. Du Ve au XIXe siècle, elle se réduit à deux pans étranglés à la taille, forme qui lui a valu le nom de "chasuble violon", avant de revenir au XXe siècle à la forme initiale plus ample, dite "chasuble gothique". Réalisées en soie, en drap, en Gros de Tours ou en velours, doublées ou non, elles sont très souvent brodées et enrichis d'adjonction d'éléments textiles ou métalliques (cannetille, fil doré ou argenté). Un galon, ou un tissu délimité par un galon, dessinent au dos une ligne verticale, une  croix ou un Y, et sur le devant une forme en T. 

  La chape est un grand vêtement en soie ou en drap, semi-circulaire agrafé par devant  qui est revêtu lors des processions, vêpres, au salut ou à l'absoute par n'importe quel clerc. Elle comportait jadis un capuchon, dont le chaperon, pièce d'étoffe en forme de tablier décorée et bordée de franges située au revers, est un vestige. Elle est bordée par devant par un galon ou par une bande plus large nommée orfroi.

 

 

Cette chape porte, sur un fond damassé, un symbole eucharistique, la représentation du pélican se frappant la poitrine pour nourrir ses enfants de sa chair.

 

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Couleur blanche :

C'est la couleur des jours de fête et de réjouissance des Temps de Noël et de Pâques et autres fêtes du Christ, de la Vierge Marie et des saints qui ne sont pas martyrs: 

  Cette chasuble est ornée d'une croix enrichie de décors végétaux et floraux au fil d'or, et de l'inscription IHS dans un cercle central carmin.

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      Cette chape porte le christogramme IHS au coeur d'une sorte de mandala chatoyante.

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Couleur verte :

        C'est la couleur du Temps ordinaire de 34 dimanches qui va de l'Épiphanie jusqu'au Carême et de la Pentecôte (exclue) au 34ème dimanche ordinaire précédent l'Avent.

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 Cette chasuble possède la particularité d'être ornée sur un fond damassé d'un motif central  en broderie au point de tapisserie. Le monogramme IHS y est entrelacé avec des roses, des épis de blés et une fleur bleue. Un galon trace une croix s'évasant à l'encolure.

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Couleur jaune / Or :

  Le drap d'or peut remplacer, par concession du rite romain, les couleurs, rouge, blanc ou vert, alors que le jaune peut remplacer toutes les couleurs, sauf le noir.

  Cette chasuble fait jouer le moiré de son étoffe. La figure centrale du Sacré-Coeur apparaît dans une mandorle au croisement des branches de la Croix, alors que Jean-Baptiste vêtu de peaux de bêtes annonce l'arrivée du Messie par sa banderole Ecce Agnus Dei.

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  Cette chape plus simple est brodée ton sur ton des lettres IHS.

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Une chasuble vieil-or dont les rinceaux tracent une croix autour du monogramme christique est présenté à coté d'une dalmatique particulièrement somptueuse.

         Les dalmatiques sont des tuniques courtes, que l'on enfile par la tête comme les chasubles mais qui sont de forme rectangulaire (et non -pour les premières chasubles- semi-circulaire en forme de planète ) et qui disposent de manches courtes. Elles sont portées par les diacres et sous-diacres.

  Celle-ci porte, tracé par un galon blanc, une fourche à trois branches dans lesquelles grimpent des entrelacs d'or délimitant un cercle et six losanges. Le cercle porte le monogramme marial MA , alors qu'une inscription en lettres rouges se répartit dans les losanges, disant : Dominus Initium Viarum Suarum. C'est une citation de Proverbes 8, 22 : Dominus creavit me initium viarum suarum, en parlant de la Sagesse : "Dieu m'a créée dans le commencement de ses oeuvres et avant qu'il créat aucune chose. Il m'a établit dès l'éternité et dès le commencement, avant qu'il eût fait la terre et les abîmes, avant que les fontaines fussent sorties de la terre et qu'il eût affermi les montagnes; Il m'a enfanté avant toutes les collines". Saint Jérome (Epistola CXL ad Cyprianum prebysterum, 6) fait du Christ la figure de la Sagesse.

Quelques déchirures témoignent de la fragilité de la soie de ce vêtement.

On admirera aussi les dessous en dentelle.

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      Couleur rouge :

   Le rouge, couleur de la Passion et de l'Esprit-Saint,  est porté le dimanche des Rameaux, le Vendredi Saint, à la Pentecôte, et à l'Exaltation de la Sainte-Croix. C'est aussi la couleur des fêtes des apôtres et des saints martyrs.

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      Chasuble et manipule pour la fête de l'Assomption le 15 août.

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Couleur noire :

        C'était essentiellement la couleur de l'office des défunts, et aussi celle du Vendredi Saint, mais depuis le concile de Vatican II, le violet est préconisé pour les funérailles et le rouge pour le Vendredi-Saint.

 

  Ce vêtement n'est pas une chasuble ni une dalmatique puisqu'il est doté de manches longues. 

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Couleur bleue.

  Son utilisation pour le culte marial est qualifiée d'abusive en dehors de l'Espagne lors de la fête de l'Immaculée Conception. Pourtant, elle est attestée en Bretagne, par exemple dans un inventaire de 1792 de la chapelle de Rocamadour à Camaret-sur-Mer, ou sur un vitrail de Lanvoy à Hanvec.

 

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Les manipules :

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Le dais de la Fête-Dieu


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  Un dais (ou pavillon, ou parasol liturgique, ou encore un poële) de Saint-Sacrement est un baldaquin mobile composé d'une armature portée par quatre hampes, aux sommités parfois ornées de plumes d'autruche, et de quatre bandes de soie brodée appelées "pentes". Il est porté par quatre hommes, quatre notables choisis soigneusement. Il est destiné à abriter le prêtre qui présente le Saint-Sacrement lors de la procession de la Fête-Dieu. Le dais est encadré par les enfants de choeur, les diacres, des porteurs de cierges ou de photophore, de bannières et de croix, et par les thuriféraires ou porteurs des encensoirs, et il est  suivi de la musique, des communiants de l'année, et des fidèles.

  Cette fête qui célèbre la Solennité du Corps et du Sang du Christ a lieu soixante jours après Pâques. Sortant de l'église à l'issu de la messe, la procession se dirige en suivant un chemin de sciure et de pétales dans les rues pavoisées de draperies, de feuillages et de guirlandes vers les reposoirs que les paroissiens de chaque quartier ont réalisés. Ces reposoirs sont des autels ornés de décorations florales et d'objets pieux, devant lequel la procession s'arrête : le prêtre encense l'hostie contenue dans l'ostensoir et présente celui-ci à l'assistance avant de la bénir. Lors de cette station, des prières et des chants sont débutés par l'officiant et repris par les fidèles.

  L'office du Saint-Sacrement a été codifié par Thomas d'Aquin afin de célébrer l'Eucharistie : on y chante l'hymne Pange Lingua, l'hymne Panis Angelicus, et on y récite le Lauda Sion. A chaque Salut du saint-Sacrement, deux strophes du Pange Lingua sont entonnées, sous le nom de Tantum ergo. Ce chant débute ainsi :

Tantum ergo Sacramentum veneremur cernui 

Et antiquum documentum novo cedat ritui.

Il est si grand, ce sacrement ! Adorons le, prosternés : 

Que s'effacent les anciens rites devant le culte nouveau !

  Ce sont ces mots que l'on trouvent inscrits ici, sur le "ciel" du dais.

 

Voir l'article suivant (L'oeil-de-boeuf chez Flaubert ) qui reprend cette présentation du dais en l'illustrant d'un texte de Gustave Flaubert.

 

Les bannières

 

Bannière de sainte Anne, scène de la Sainte Éducation.

  Deux armoiries l'une d'azur, l'autre de gueules au trois épées d'argent surmontées d'une couronne


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Bannière de la Vierge à l'Enfant

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 Bannière des Croisés Eucharistiques.

  Je découvre avec cette bannière ce que fut la Croisade Eucharistique créée en 1914 à la suite d'un décret du pape Pie X autorisant la communion des enfants : trois niveaux spirituels hiérarchisent l'accès des enfants à une sorte d'Imitation de Jésus-Christ pour "travailler, souffrir et se réjouir avec Jésus", comme page, puis comme croisé, puis comme chevalier. Allez voir comme moi l'artickle Wikipédia :   http://fr.wikipedia.org/wiki/Croisade_eucharistique

 

  Ces drapeaux étaient sans-doute crées dans chaque paroisse sur le même modèle, puisqu'à Sainte-Mélaine, La Chapelle-de-Brain (35), l'Inventaire Régional rapporte un exemple très proche, avec la même inscription ECCE PANIS ANGELORUM, Voici le pain des anges, écrit sur le cercle circonscrivant la croix. L'autre face porte l'inscription INVENIAT REGNUM TUUM et Apostolat de la prière.   Voir : http://patrimoine.region-bretagne.fr/sdx/sribzh/main.xsp?execute=show_document&id=PALISSYIM35011536

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Les statues.


Sainte Suzanne

Bois polychrome du XVIIe siècle.

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Saint Yves 

est présenté dans ses fonctions d'official de Tréguier, coiffé du bonnet carré, tenant un placet de la main droite et des sacs de justice à gauche.

Statue en bois polychrome du XVIIe.

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Sainte Marguerite d'Antioche issant du dragon.

Bois polychrome, XVIIe siècle.

    Le détail, c'est bien-sûr le noeud qui s'est formé sur la queue du dragon, vengeance castratrice sans-doute de la Vierge qui devait repousser les avances d'Olibrius, l'affreux gouverneur romain qui portait si bien son nom. Elle, Marguerite, la pure perle blanche sertie dans le triomphe de sa virginité, mains jointes, menton haut, se campe fièrement dans sa posture de sainte , alors que le monstre hurle dans les douleurs de cet accouchement peu banal.
  Sainte Catherine est la protectrice des femmes enceintes. 

 

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Sainte Anne trinitaire.

Bois polychrome, fin XVIe siècle.

Graduation de taille correspondant aux trois générations. Comme à l'accoutumée, Anne est assise et  porte le voile, la guimpe, et une robe verte, alors que Marie, debout ou juste appuyée sur le siège, porte une couronne sur ses cheveux dénoués, et une robe bleue. On retrouve les objets usuels, le livre, ici tenu par sainte Anne est fermé, ce que l'on peut interpréter comme l'Ancien Testament qui vient se clore, et le globe terrestre, que Jésus bénit.

  Selon Michèle Bourret ( Le Patrimoine des communes du Morbihan, vol.1, 1996), cette statue pourrait être due au ciseau en taille directe du sculpteur Guillovic qui travaille à Cléguerec et Séglien entre 1574 et 1583 car elle reprend en modèle une statue de sainte Anne de Cléguerec. 

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Les vitraux.

 

Ils datent de la fin du XVe-début XVIe siècle.

Baie 2, éléments datés de 1500.

  Il représente un saint évêque bénissant, et saint Nicolas présentant le donateur, (un seigneur de Sérent) avec l'inscription Mater mei me ma~to n. On signale aussi l'écusson de Sérent, qui est de gueules à trois quintefeuilles d'hermine : j'ai peut-être oublié de le photographier, à moins qu'il s'agisse de l'élément rouge à trois pièces blanches situé sous le cou du donateur. Les vitraux ont été restaurés, sans-doute par Le Bihan de Quimper (?? : le Corpus Vitrearum indique actuel des panneaux a été réalisé en 1978 par Hubert de Sainte-Marie)

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Baie 0 (Abside)

ici, il s'agissait pour moi de Jean l'évangéliste (cheveux longs) tenant son calice, mais le Corpus Vitrearum y voit un saint sans attribut particulier. Le fond damassé est semé de "gouttes" blanches par la technique du verre gravé. L'auréole relève de la même technique.

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Baie 1  une Vierge à l'Enfant datant du 4ème quart du XVe siècle (restaurée vers 1974), et une sainte aux cheveux longs tenant dans la main droite un flacon doté d'un couvercle, et dans celle de gauche des rouleaux. Je penchais pour Marie-Madeleine, mais les experts du Corpus, plus observateurs, reconnaissent dans ces objets un encrier et un matériel d'écriture, sans pouvoir proposer d'identification ; ils datent cette oeuvre de 1500.

  Un écritoire permet de ranger les plumes d'oie, de corbeau ou de cygnes, la boite à sable de séchage, le grattoir ; ne pourrait-il pas s'agir alors d'une Sibylle ? Ou de Saint-Jean ?

 

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Published by jean-yves cordier
23 mai 2012 3 23 /05 /mai /2012 10:31

 

Crozon, tourbières de St-Hernot et tourbières de Tromel, zone retrodunaire de Kerziginou.

Date : 22 mai 2012.

 

Le Damier de la succise Euphydrias eurinia (Rottembourg, 1775).

Présent dans les deux tourbières

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Le Petit Collier argenté Boloria (Clossiana) selene ([Denis & Schiffermüller], 1775).

   Rassemblement d'une colonie d'une dizaine de spécimens, voisinant avec un Damier de la succise sur les graminées d'un chemin très humide de Tromel.


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L'Hespérie de la mauve Pyrgus malvae (Linnaeus, 1758).

Dunes de Goulien

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  L'azuré commun ou Argus bleu Polyommatus icarus (Rottemburg, 1775).

Goulien

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Un coléoptère, la Cicindèle champêtre Cicindela campestris Linnaeus, 1758.

Tromel.

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Les larves creusent un terrier dont elles obstruent l'orifice par leur tête équipé d'un clapet. Ici, un terrier en cours de forage ? :

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Pour les orchidées observées ce jour là (Dactylorhiza maculata de St Hernot, Ophrys melifera de Kerziginou) voir  Orchidées de Crozon : mes débuts.

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Published by jean-yves cordier
21 mai 2012 1 21 /05 /mai /2012 15:37

              L'église de Trédrez

                  et son arbre de Jessé .

 

Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de Confort-Meilars.

L' arbre de Jessé de l'église de Saint-Aignan (56).

L'arbre de Jessé de l'église Notre-Dame de Saint-Thégonnec.

Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de la Sainte-Trinité à Kerfeunteun :

http://www.lavieb-aile.com/article-l-arbre-de-jesse-sculpte-de-l-eglise-de-locquirec-118346985.html

  L'arbre de Jessé de Trédrez est une oeuvre superbe qui mérite le voyage : je me suis donc rendu sur place, où j'ai découvert en outre bien d'autres beautés, dont une nouvelle statue d'Anne Trinitaire. La mairie m'a procuré un descriptif de deux pages dont je me suis inspiré pour le texte (© Mairie de Tredrez-Loquéméleau, 2000) : qu'elle trouve ici l'expression de mes remerciements.

     Tredrez ou Tref traez signifie "village de la grève", la Lieue de Grève de Saint-Michel. La paroisse de Tredrez, ancienne paroisse de l'évêché de Tréguier existait déjà en 1284, date à laquelle saint Yves en fut nommé recteur; Il y resta jusqu'en 1292. Jadis dédié à saint Laurent avant d'être voué à la Vierge, l'édifice gothique flamboyant est l'oeuvre de l'atelier Beaumanoir, comme en témoignent le clocher-mur flanqué d'une tourelle et l'abside à triple pignon commencés vers 1500. Le transept sud date de 1699, la chapelle des fonds baptismaux  de 1858, le bas-coté méridional de 1865, alors que le mur nord et la sacristie furent rebâtis en 1873, mais toutes ces transformations respectèrent le style gothique d'origine.

 

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  A l'Ouest s'élève le clocher-mur typique de la façon de Philippe Beaumanoir, caractérisé par ses contreforts, sa tourelle d'accès abritant un escalier à vis et surmonté d'un lanternon pyramidalorné d'un fleuron, sa plate-forme avec balustrade ouvragée supportant le beffroi surmonté d'une petite flèche et d'un pinacle.


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Le porche principal est surmonté d'une secrétairie où se réunissait le conseil de fabrique ; on y conservait également les archives. Plus tard, les agrandissements sud vinrent l'enclaver et l'entourer de deux fenêtres à trois lancettes. Cette secrétairerie est desservie par un escalier à vis contenu dans une tour circulaire massive attenante à la chapelle des fonts baptismaux et jadis apparente à l'extérieur.

  La croisée d'ogive de ce porche est ornée en clef de voûte des armes des seigneurs de Coatrédrez, "d'or à un lion de gueules". Alors qu'une statue du Christ en majesté se tient au dessus de la porte , on trouve de part et d'autre du porche les statues en bois polychrome des douze apôtres, datant du XVIIe siècle. A chaque angle, des angelots font mine de supporter la voûte.  Habillant les bancs de pierre, les bancs de bois ont été conservés.

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L'intérieur de l'église.

L'inscription gravée sur le premier pilier de la nef en moyen breton est la suivante : " Eu bloaz mil pemp cant an datan ti ma~n a renovelat", " En l'an mil cinq cent cette maison fut renouvelée". On note la division des jambages ascendants, les lettres conjointes (az de bloaz, da de datan), le tilde sur le a de man, la beauté du E majuscule.

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Vue de la porte ouest :

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      Vue du choeur :

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I. L'arbre de Jessé (1520).

  Placé dans l'aile sud du transept au dessus d'un autel ancien en granit, le retable abrité par une vitre porte le titre Marie, fleur de Jessé. C'est une oeuvre d'un artiste anonyme, en bois polychrome doré à la feuille quii date du premier quart du  XVIe siècle. Il a été restauré entre 1980 et 1984 par l'atelier Poilpré de Carnac.

  Le retable est un coffre rectangulaire en vue frontale et trapézoïdale en section, dont le fond est damassé en bleu et rouge et dont l'encadrement porte un rinceau de bois doré alternant des grappes et des pampres, alors que la partie supérieure se cintre sous l'effet d'un entrelac de rameaux renforçant la métaphore de l'arbre. Les couleurs prédominantes sont l'or, le rouge et le bleu, associées au rose des visages, au brun des barbes et des cheveux, à quelques détails verts et à l'argent réservé à la démone.

  La Vierge, au visage très fin, au front et aux sourcils épilés, les cheveux couverts d'un voile, est couronnée par trois anges alors qu'elle-même présente à l'Enfant-Jésus une fleur de lys. Elle est le personnage principal, elle est la fleur épanouie de l'arbre.

 Elle est vêtu d'un manteau bleu à revers écarlate qui recouvre une robe en or aux manches larges. Une autre robe ou aube blanche apparaît, dont les bords sont soulignés d'un galon d'or à l'encollure et aux manches.

  Ses deux pieds chaussés de souliers sombres sont posés sur le croissant lunaire en tant que Vierge de l'Apocalypse : "Un signe grandiose apparût dans le ciel. Une Femme ! Le soleil l'enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête", Apocalypse 12,1. Effectivement, les rayons solaires zèbrent une mandorle bleue dans laquelle elle s'inscrit.

 

   

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Une vue rapprochée montre que les deux anges tiennent les instruments de la passion, les clous et la couronne d'épine. L'enfant, aux traits aussi fins que ceux de sa mère, très éveillé, les cheveux courts, portant une tunique d'or à galon bleu, tend la main vers la fleur de lys, symbole de pureté et de royauté, mais qui prend ici un autre sens allégorique en apparaissant comme la Fleur de Jessé, comme la plus fine floraison de l'arbre (généalogique) qui, à travers les générations des douze rois de Juda, est issu de Jessé.

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  La partie inférieure montre la Démone que la Vierge maîtrise du bout du pied. Elle est ici traitée comme un serpent au corps couvert d'écailles et aux quatre doigts animaux. Elle se cambre, elle relève la tête cornue, elle tend la pomme d'or, pomme fatale au genre humain qu'elle entraina dans le péché originel. Sa queue s'enroule en orbes maléfiques vers les puissances télluriques.

  Elle est à la fois une forme femelle du Démon, mais aussi l'Éve tentée par le serpent, l'Éve primitive dont la faute est renversée par la Nouvelle Éve qu'est Marie.  Et puis elle est peut-être aussi l'humanité pécamineuse qui exprime sa souffrance  et attend sa rédemption : ces démones des arbres de Jessé sont pétries de dualité et d'ambiguité, mi-humaines mi-monstrueuses, terrassées mais bien vivaces, féminines mais aux seins peu soulignés, animales de corps mais séduisantes de visage.  Elles sont tout à la fois le serpent, Éve et la pomme, et Satan sous son déguisement. Elles expriment aussi peut-être l'ambiguité de l'Église, voire de l'éspèce humaine, à l'égard de la féminité en  plaçant dans l'ombre de l'icone immaculée de la Pureté et de la Maternité idéale son antithèse tortueuse faite de dèsir et de séduction. 

   Rien n'interdirait effectivement certains, en un autre lieu, à se livrer à une lecture symbolique de la féminité divisée entre une part royale, solaire et ostensible, voire ostentatoire épanouie dans le triomphe de la Maternité et de la monade Mère-Fils, piétinant jusqu'à la nier une part sexuelle pourtant toujours vivace, et un géniteur devenu caduque, cette oeuvre religieuse devenant alors une belle icône de ce qui fut nommé le "matriarcat breton". Mais ne nous détournons pas.

  Jessé est allongé sur le coté gauche, appuyé sur le coude, la main soutenant sa tête, dans une attitude qui lui est si propre qu'elle mériterait de porter le nom de "Posture à la Jessé". A Trédrez, il n'est pas assoupi, mais seulement réveur, et on imagine facilement qu'il vient de lire la prophètie d'Isaïe 11,1 et qu'il se voit déjà donner naissance au tronc d'un arbre (Isaïe disait seulement "un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines", mais le "rejeton" lui paraît trop modeste), il voit tous ses fils, petit-fils et arrière-petit-fils habillés de soie et d'or, portant diadème et roulant en carrosse, non pas deux, trois, mais douze, douze rois de Juda nés de sa propre chair. Cela ne suffit pas, il voit, Jessé, une fleur suprème, régnant sur les astres et l'univers, l'apothèose, un sauveur pour son peuple, la réussite, quoi !

  Ses manches, sont, c'est amusant, de la même couleur que le corps de la Serpente.

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Les rois de Juda, coté gauche :

  Ils ne portent pas l'inscription de leur nom, et ils se ressemblent tous un peu, portant barbe, couronne et sceptre, courtes tunique d'or aux très larges manches sur haut de chausses et bottes ou longue robe ; l'un tient un livre. 

 

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Les rois de droite sont assez identiques, mais on reconnaît parmi eux David, le fils de Jessé, par la harpe qu'il tient.


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II. Bas-coté sud,  le Groupe d'Anne trinitaire.

 Ce bas-coté fut construit par Le Bellec, maçon à Trédrez, en 1865 : trois travées à arcades en voûtes angevines sont supportées par de fins piliers aux  beaux chapiteaux à décor végétal. On y trouve l'ancien maître-autel baroque à panneaux de faux-marbre vert et chérubins aux ailes d'or.

  Mais ce qui m'interesse avant tout, c'est un nouvel exemple d'Anne trinitaire, particulièrement original. C'est une oeuvre du XVe siècle. La mère et la fille sont assises, mais de manière moins hiératique que dans d'autres groupes ; Anne est reconnaissable par sa taille légèrement supérieure pour marquer qu'elle est la mère, et par le voile qu'elle porte habituellement, alors que Marie a les cheveux détachées seulement tenues sur le front par le cerclage d'une fine couronne. Comme je l'ai déjà observé ailleurs, les robes des deux femmes se confondent et fusionnent presque dans la partie basse. Les plis sont souples, certains serpentent à la taille ; les visages sont naturels et expressifs, quoique légèrement songeurs.

  C'est la façon dont Anne et Marie tiennent Jésus qui est originale ; un coussin rouge a été posé sur leurs cuisses, et l'enfant y est assis, le bras droit tenu par la grand-mère (dans une prise maladroite en supination ), le bras gauche par la maman. Il est vêtu d'une longue tunique laissant apparaître les pieds nus; les cheveux longs et bouclés sont redressés sur le front en une houppe.

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L'aile nord du transept.

L'autel associe des éléments baroques du XVII et XVIIIe. Dans des niches sont logés des statues en bois polychromes du XVe représentant saint Sébastien, saint Laurent, saint Eloi en évêque.

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      Saint Sébastien transpercé de sept flèches : 

 

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     Ce n'est pas ici le saint patron des amateurs de barbecue et autres amines hétérocycliques cancérigènes, mais  Saint Laurent en tenue de diacre manipulophore, et le grill de son supplice :

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      Saint Éloi en évêque bénissant, mais qui n'a pas lacher le marteau de maréchal-ferrant. Un fer à cheval a été placé en ex-voto.

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 Le devant d'autel porte un panneau représentant les Plaies du Christ, les instruments de la Passion et les symboles des outrages subis.

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            Ce sont : les pieds et les mains transpercés par les clous ; le coeur transpercé ; les clous ; la couronne d'épine ;  la lance de Longin qui perça le flanc droit, ou plutôt les lances des soldats romains ; la tunique que les soldats se disputèrent en la tirant au sort (Jean 19, 22-23) ; le coq du reniement de Pierre ; le glaive de Pierre sur lequel on voit l'oreille droite de Malchus, serviteur du Grand-Prêtre, tranché le jeudi au jardin de Gethsémani ;  les trente deniers (j'ai compté les pièces) pour lesquels Judas a livré Jésus, somme qui correspond environ à un mois de salaire moyen de l'époque ; et la main qui a souffleté le Christ.

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  Saint Jean l'évangéliste et son aigle

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  Saint Matthieu et son ange / homme : 

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La porte de la sacristie et la toile du Don du Rosaire (19e)

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 Le tableau de la réception du Rosaire.

La Vierge et son Fils remettent le rosaire à saint Dominique de Guzmán et à sainte Catherine de Sienne. Saint Dominique est représenté avec un chien mordant un flambeau , par allusion à un rêve que fit sa mère alors qu'elle était enceinte de lui : elle vit un chien tenant dans sa gueule une torche qui embrasait le monde entier. Mais les bûchers des autodafé de l'Inquisition ne s'allumèrent qu'après la mort de Dominique, et il faut interpréter l'embrasement canin comme le développement de l'Ordre des Prêcheurs (O.P), celui des Dominicains.

 On considère que la récitation du rosaire n'a pas été fondée par saint Dominique au XIIIe siècle, mais au siècle suivant par un dominicain breton, Alain de la Roche (Dinan, 1428-1475). Le terme "rosaire" désignait initialement au Moyen-Âge une collection de texte sacré (un florilège), puis après Alain de la Roche le Psautier de la Vierge Marie, recueil de louanges mariales. A la demande du duc de Bretagne François II, le pape Sixte IV promulgua le 12 mai 1479 une bulle approuvant la dévotion du rosaire et l'attribution d'indulgences, puis les confréries du Rosaire se développèrent dans chaque paroisse, où chaque église eut son retable et/ou sa chapelle et sa bannière dédiée à cette dévotion. Les membres de la confrérie s'engageaient à réciter le chapelet, "petit chapeau" de 50 petits grains correspondant aux Ave, et cinq gros grains (parfois en forme de tête de mort ou Memento mori) correspondant aux Pater et Gloria.

Le cadre date du XVIIe siècle. 

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Le choeur


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   Un lutrin du 17e siècle figure un pélican, symbole christique et eucharistique puisque cet oiseau était censé nourrir ses petits de sa propre chair, en se lacérant la poitrine de son bec. Cette figure, très originale pour un lutrin, est d'autant plus remarquable qu'il est ici de couleur noire. Ce n'est qu'en Syldavie que l'on peut trouver, sur le fond jaune du drapeau national, un pélican noir se substituer à l'aigle bicéphale, mais cet État de 642 000 habitant n'est accessible qu'en lisant Le Sceptre d'Ottokar des Aventures de Tintin.


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Deux statues aux angles du transept :


Saint Jean-Baptiste (17e) : 

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Saint Hyacinthe (17e)

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IV Les bannières.

1. Bannière du Sacré-Coeur

avec l'inscription Kalon Jésus Pedet ewidomp Coeur Sacré de Jésus, Priez pour nous.


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2. Bannière de Saint Quémeau, patron de l'église de Locqemeau qui dépend de Trédrez


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L'autre face est consacrée à Saint Yves, Zant Ervoan Pedet ewidomp

Les armoiries "d'or à la croix engrêlée de sable, accompagnée de quatre merlettes de même en chaque canton" ( ou : cantonnée de quatre alérion de même") sont celles d'Yves Hélory de Kermartin. Elles sont simplifiées en un écusson d'or à la croix engrêlée de sable lors des processions du pardon de saint Yves.

 

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3. Bannière datant du XVIIe siècle en velours et soie, brodée de fil d'argent .

Une face représente une Vierge à l'Enfant entourée de chérubins appariés,  et l'autre le Saint-Sacrement adoré par deux anges. Inutile d'insister sur le caractère exceptionnel de ce précieux travail de broderie.

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V. Les fonts baptismaux.

Les fonts eux-même sont en granit et datent du XIVe siècle. Ils sont surmontés par un baptistère en bois polychrome des premières années du XVIe siècle, qui est considéré comme le plus ancien de Bretagne et s'apparente aux jubés de Kerfons, Loc-Envel ou Locmaria qui sortent d'ateliers morlaisiens.

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Armoirie d'or à une fasce de gueules : ce ne sont pas les  armoiries de la famille Charruel,  de gueules à la fasce d'argent, mais celles de Penhoët (paroisse de St-Thegonnec), dont la devise est "Red eo".

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Armoiries des seigneurs de Coatrédrez, "d'or à un  lion de gueules".

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 Les pieds sont décorés de fleurs, d'hermines, de fleurs de lys ou de rubans entrelacés.

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  VI. La charpente, les sablières

    Les armoiries épiscopales et papales du choeur déterminent un créneau de datation entre 1862 et 1878: ils datent donc de la restauration de 1865.

     Armoiries de Mgr Augustin David, évêque du diocèse de Saint-Brieuc de 1862 à 1882, "d'azur à la tour crénelée d'argent mouvante d'ondes en courroux de même et surmontée d'une étoile d'or" Sa devise était Ruunt et stat, "ils se ruent et il tient". 

 

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Armoiries de Pie IX, pape de 1846 à 1878, Écartelé en 1 et 4 d'azur au lion couronné d'or et en 3 et 4 d'argent aux deux bandes de gueules.


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La nef est couverte par une charpente lambrissée en berceau brisé avec entraits à engoulants apparents et sablières sculptées.

Les sablières :

Elles ont été réalisées par le trégorrois Jean Jouhaff comme en atteste l'inscription des phylactères de la sablière nord : on y lit " Jouhaff / coeur et équerre entrelacés / h(o)c f(e)c(i)t MV(C) ihs (en entrelacs) Ma, "Jouhaff fit cela en 1500, Jésus Marie" (d'après René Couffon).

  Ces phylactères sont tenus par deux personnages dont l'un, malicieusement assis pour se faufiler dans le volume réduit de la poutre est habillé d'un chaperon à manches plissées alors que son compagnon, nu-tête, porte les cheveux longs. Entre eux, un troisième drôle à tête encapuchonnée tient les deux parties de la pancarte entre ses bras croisés (utilisation astucieuse du volume disponible) : de sa bouche sort, comme une bulle de nos B.D, la suite du texte. 

  Jehan Jouhaff est un charpentier sculpteur itinérant plein de verve dont on retrouve les oeuvres, portraits grimaçants, personnages aux postures acrobatiques et animaux imaginaires, dansles charpentes des églises de Rostrenen, Perros-Guirrec, Belle-Île -en-Terre,  

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 Le choeur :   


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  Un ange présente les armoiries couronnées, d'azur à quatre fasces d'or, de ???    

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Les armoiries des Coatredrez en alliance avec celles de Jeanne de Poulmic, échiqueté d'argent et de gueules de quatre tires.

  Yves de Coëtredrez épousa Jeanne de Poulmic, fille de Jean de Poulmic (+ 1426) et de Jeanne de Kersaliou (+ 1467) et en eut une fille, Marguerite de Coëtredrez.

  Le blason de Coatredrez ou Coëtredrez est aussi donné comme écartelé aux 1 et 4 de gueules à la fasce d'argent, qui est de Charruel ; aux 2 et 3 d'argent au lion de gueules qui est de Coëtredrez


 

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    Un autre blochet représente un ange tenant les armoiries de Coatrédrez en alliance avec celles de Marguerite Le Moine, alors que sur le premier pilier se trouvent les armoiries mi-parties de Coatrédrez et de Leizour, "de gueules à trois coquilles d'argent posées 2 et 1, avec un croissant montant d'or en abîme".

    Il est nécessaire de donner ici la généalogie des seigneurs de Coatrédrez , débutant au XIIIe siècle. Ils furent, au XVI et XVIIe siècle surtout, parmi les plus puissants de l'évêché de Tréguier. Le manoir actuel, à fonction agricole et d'habitation, date de la fin du XVe. 

  • Guyomar de Coatrédrez, v1280
  • Jean de C. (v 1305-)  // Jeanne de Lostanguern dame de Keroulas en Trédrez
  • Hervé de C. , sr de Keroulas (v 1325-v1389) // Anne de Kerenrais
  • Jean de C.  (v 1352-5.07.1392) // Isabeau de Launay
  • Roland de C. (v1380-), sire de Coatrédrez // Marguerite de Tyvarlen, dame de Pennault
  • Yves de C. I (v1417-1471) Sr de Pennault //  Jeanne de Poulmic (v 1426-après 1471),
  • Yves de C. , Sr de Coatrédrez (v 1475-1546) // Marie Le Moine, dame de Coëtudavel. Yves de Coatrédrez fut le meurtier du seigneur de Kerhervé en Ploubezre ; condamné à la prison puis au bannissement, il mourut à Paris. 
  • Pierre de C. (v 1550-16.03.1623), actif dans les combats de la Ligue contre de Fontenelle, et surnommé Pierre le Cruel pour ses exactions, comme celles que relatent deux guerz,Markik Trede et Pipi Coatrederz.
  • Yves de C., mort assasiné le 13 septembre 1623.

 

 

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Deux anges tiennent une pancarte dont je ne déchiffre que le nom petro.

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Au fond de la nef, les blochets datant de la construction de la chapelle des fonts baptismaux figurent des anges portant des inscriptions "Hegarat person" (ici), "Pius papa nonus", MDCCCLVI", soit "Hégarat recteur, "Pie IX pape", et "1858".

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Published by jean-yves cordier
20 mai 2012 7 20 /05 /mai /2012 22:03

           Basilique Sainte-Anne d'Auray :

                      les bannières.

 

I. La bannière Le Minor de 1954.

Voir :  Les bannières Le Minor.

  Cette date la place parmi les toutes premières bannières de la maison de Pont-l'Abbé, la première datant de 1953. J'ignore le nom du cartonnier.

Une face est consacrée à la Vierge à l'Enfant et porte cette inscription: Consécration de la Bretagne 26 juillet 1954.

  L'autre inscription est en breton : Revo Melet kalon glan Mari. 

  Dans l'histoire de la basilique de Sainte-Anne d'Auray, la consécration de la Bretagne au coeur immaculé de Marie fut un évènement majeur pour lequel 100 000 pèlerins convergèrent vers le sanctuaire. Le 26 juillet, le pape Pie XII adressa à la foule de ces fidèles un message radiodiffusé qu'il concluait ainsi : 

  "Aimez-la bien, cette bonne sainte Anne. Continuez à placer vos foyers sous sa protection. En mettant Marie au monde, elle a donné à l'humanité la plus merveilleuse des créatures, la plus sainte des femmes, le chef-d'oeuvre de Dieu. N'est-ce pas assez pour que vous l'aimiez et l'honoriez d'une manière unique ?

  "Implorant donc l'intercession de sainte Anne et de la Très sainte Vierge, Nous appelons sur vous tous, sur vos foyers, vos écoles, vos paroisses, vos diocèses, sur toute la Bretagne, l'effusion la plus abondante des grâces de Dieu, et du fond du choeur Nous vous en accordons pour gage Notre paternelle Bénédiction apostolique.

  " Revo Melet Kalon Glan Mari, Revo mélet Santez Anna Patronez vad er Vretoned !"

 


 

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  Le ciel est constellé de pièces de verroterie bleues, qui ornent aussi les couronnes, et le corsage de la Vierge. On observe que l'annulaire droit de la Vierge porte également une bague bleu émeraude, ce qui est à ma connaissance très rare dans l'iconographie mariale : comment interpréter cette bague sur le plan symbolique ou théologique ?

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      On admirera le travail de broderie, et la façon dont l'ornementation décline tout le vocabulaire des brodeurs bigouden, comme pour parer la Vierge du meilleur du savoir faire de l'art breton.

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L'autre face est bien-sûr consacrée à sainte Anne :

  Elle porte la seconde partie de la citation papale : Revo Melet Santez Anna Patromez-Vat er Vretoned.

 Re vo melet en dialecte vannetais, ra vo meulet en breton unifié, signifie "Que soit loué" ; c'est le début du cantique suivant:

 

Ra vo meulet an Aotrou Doue
Ra vo meulet E Anv Santel
Ra vo meulet

Ra vo meulet Salver ar bed
Jezus, gwir Doue daet da vout den
Ra vo meulet

Ra vo meulet anv Jezus Krist
Ra vo meulet kalon Jezus
Ra vo meulet

Ra vo meulet berped Jezus
Er sakramant ag an Aoter
Ra vo meulet

Ra vo meulet Rouanez an neñv
santez Mari, mamm hon Salver
Ra vo meulet

Ra vo meulet ar Werc'hez c'hlan
Mari konsevet hep pec'hed
Ra vo meulet

Ra vo meulet da virviken
Anv kaer Mari, mamm ha gwerc'hez
Ra vo meulet

Ra vo meuletanv Sant Jojeb
Pried santel ar Werc'hez c'hlan
Ra vo meulet

Ra vo meulet Santez Anna
Patronez Vat ar Vretoned
Ra vo meulet

Ra vo meulet an Aotrou Doue
Get an holl sent hag an aeled
Ra vo meulet

 

 

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II. Les autres bannières.

Bannière de saint Joseph:

 

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Bannière 1830-1930 :  

  Cette bannière célèbre sans-doute le centenaire de l'apparition de la Vierge dite "de la médaille miraculeuse"   à la novice des Filles de la Charité Catherine Labouré dans une chapelle de la rue du Bac à Paris. La médaille mérita cette appellation lors de l'épidémie de choléra de 1832 à Paris, où de nombreuses guérisons lui furent attribuées.

Le blason aux armes de la Bretagne porte la devise Potius mori quam foedari, "plutôt la mort que le deshonneur". 

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Au verso, le Sacré-Coeur et 5 blasons qui sont ceux des villes des cinq diocèses de Bretagne:

En haut, les armoiries de Saint-Brieuc (diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier), d'azur au griffon armé et lampassé de gueules, et  les armoiries  de la ville de Vannes , "de gueules à une hermine passante au naturel et son écharpe flottante d'hermine".

En dessous, nous trouvons les armes des villes de Nantes , Rennes (archidiocèse de Rennes) et  Quimper (diocèse de Quimper et Léon)

                bannieres 4319v

 


Bannière à sainte Anne :

 

                        bannieres 4321c

 

Bannière de la Congrégation des Enfants de Marie :

avec l'image de l'Immaculée Conception.

 

                bannieres 4322c  

 

 


Sainte Noyale

   Cette princesse de Cambrie, au nord-ouest de l'Angleterre, au VIe siècle, voulu fuir le mariage auquel la destinait son père et traversa la Manche sur une simple branche d'arbre , avec sa servante : arrivée à l'embouchure du Blavet, elle remonta la rivière. Mais près de Bignan, un potentat local du nom de Nizan se mit en tête de l'épouser. Elle refusa tout net, n'ayant pas traversé the Channel pour s'entendre conter fleurette alors qu'elle voulait seulement fonder un ermitage, comme tant de saint irlandais ou grand-breton. Son destin était autre, c'était celui d'une sainte Barbe ou d'une sainte Catherine, car Nizan fou d'amour mais dépité d'être rejeté comme un vieux décati la décapita. Elle n'en eut cure, prit sa tête sous le bras et continua à suivre son idée fixe, trouver un coin tranquille à l'abri des maris, elle le trouva dans un calme vallon où est érigée actuellement la chapelle de Noyale-Pontivy.

Inscription : Bugale santez Noaluen de santez Anna. (Les enfants de sainte Noyale à sainte Anne ?)

  La broderie et le travail de la soie montre parfaitement la sainte poursuivant son chemin en tenant sa tête auréolée, sa fidèle servante à genoux devant le miracle qui s'accomplit, mais je n'ai pas déchiffrer à qui correspond le personnage en costume qui tient respectueusement son chapeau.

                bannieres 4325c

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Published by jean-yves cordier
20 mai 2012 7 20 /05 /mai /2012 21:56

            Menyanthes trifoliata L.

                   le tréfle d'eau

Lieu : tourbières de Kerfontaine (56)

Date : 20 mai 2012  

  Le Menyanthe à trois folioles, plante aquatique vivace grâce à un rhyzome rampant dans la vase,  menacée sur le massif armoricain, colonise les sols détrempés, peu profonds, assez acides et souvent tourbeux. On le nomme aussi trèfle des castors ou trèfle des marais.

trefle-d-eau 1109

 

  Ses grappes de fleurs étoilées d'un blanc rosé sont remarquables par les barbes et laciniures des cinq divisions étalées de leur corolle. Ce sont des fleurs bisexuées, aux cinq étamines à anthères rouges violacées  sagittées et au pistil qui engendrera une capsule. Celle-ci s'ouvrira en deux valves qui libèreront leurs nombreuses graines. 

 

               trefle-d-eau 1104c

 

      Il possède des vertus médicinales semblables à celles de la Gentiane, et on apprécie ses qualités digestives, toniques et émmenagogues ou ses effets fébrifuges ou dépuratifs.


 

 

    trefle-d-eau 1105c

 

 


       trefle-d-eau 1110c


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Published by jean-yves cordier
14 mai 2012 1 14 /05 /mai /2012 14:29

Les trois Vierges couchées de Bretagne.

 

 

 

Voir aussi : 

A. LES VIERGES COUCHÉES. 7 articles.

 

http://www.lavieb-aile.com/article-les-vierges-couchees-de-bretagne-2-chapelle-du-yaudet-a-ploulec-h-105555217.html

http://www.lavieb-aile.com/article-vierges-couchees-3-chapelle-de-kergrist-a-paimpol-105604068.html

http://www.lavieb-aile.com/article-vierge-couchee-calvaire-de-tronoen-a-saint-jean-trolimon-29-110465874.html

http://www.lavieb-aile.com/article-la-vierge-couchee-dans-les-nativites-des-livres-d-heures-113263711.html

http://www.lavieb-aile.com/article-vierges-couchees-la-cathedrale-de-chartres-112103311.html

http://www.lavieb-aile.com/2016/06/les-deux-vierges-couchees-de-la-cathedrale-de-fribourg-allemagne.html

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B. LES VIERGES ALLAITANTES. 12 articles.

http://www.lavieb-aile.com/article-virgo-lactens-ou-miss-nene-5-candidates-du-finistere-les-vierges-allaitantes-96615012.html

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C. GROUPE DE SAINTE ANNE TRINITAIRE. 

Groupes dits de Sainte-Anne Trinitaire : l'ensemble de la vallée de l'Aulne

http://www.lavieb-aile.com/article-anne-trinitaire-de-la-vallee-de-l-aulne-102034812.html

Anne trinitaire de l'église de Guimaëc.

Anne trinitaire de l'église de Plougasnou.

Sainte-Anne trinitaire du Musée départemental de Quimper.

L'église du Vieux Bourg à Lothey : Anne trinitaire.

La chapelle Sainte-Anne à Daoulas.

Anne trinitaire de la cathédrale de Burgos

http://www.lavieb-aile.com/article-sainte-anne-trinitaire-de-burgos-118711405.html

 

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I. Chapelle N.D du Guiaudet à Lanrivain (22).

Début XVIIIe ?   Vierges couchées de Bretagne (1) : Chapelle Notre-Dame-du-Guiaudet à Lanrivain

Caractéristiques :

  • Vierge allaitante + enfant
  • Anne et Joachim dans les niches latérales
  • Autres références à sainte Anne (bannière)
  • Triangle trinitaire au lieu de l'Esprit-Saint
  • Absence de Joseph (statue perdue ?)
  • Culte des femmes enceintes et parturientes.

​.

vierge 3614c

 

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II. Chapelle du Yaudet à Ploulec'h (22).

Fin XVIIe ?

Les Vierges couchées de Bretagne (2) : Chapelle du Yaudet à Ploulec'h.

      Caractéristiques :

  • Vierge + enfant + Joseph + Esprit-Saint
  • Anne et Joachim dans les niches latérales
  • Autres référence à sainte Anne dans la chapelle (Bannière, cantique, ...)

 

 

 

vierge 3668c

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III. Chapelle de Kergrist à Paimpol (22),  N.D. du Yaudet. 

XVIIIe ?

Vierges couchées (3) : chapelle de Kergrist à Paimpol.

Caractéristiques :

  • Vierge en posture d'allaitement + Enfant + Joseph.
  • Anne et Joachim absent, mais le retable a été déplacé de sa position initiale

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kergrist-plounez-paimpol 3728c

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IV. Commentaires.

1. Iconographie : les Vierges en gésine : 

  La Vierge Marie a été représentée de diverses façons dans son rôle de mère : pendant la grossesse, lors de la Nativité, allaitant,  présentant l'enfant, etc... J'ai présenté partiellement l'iconographie en Bretagne de la Vierge donnant le sein à son Fils dans une série d'articles :  Virgo lactans ou miss Néné ? Les candidates du Finistère. Les Vierges allaitantes., et l'iconographie bretonne du groupe familial Anne+Marie+ Jésus ici : 

Groupes de Sainte-Anne Trinitaire de la vallée de l'Aulne.

   Mais une autre représentation associe la scène de l'allaitement avec la représentation de la Vierge dans les tout premiers jours qui suivent l'accouchement, période du post-partum ou du retour de couche. Louis Réau, auteur d'un recensement exhaustif de l'art chrétien français (Iconographie de l'art chrétien, Presses Universitaires de France 1955) , désigne cette représentation sous le titre de "Vierge en gésine sur son lit d'accouchée" ou "Maria im Wochenbett". Cette désignation a le mérite d'être plus claire que celle de "Vierge couchée" qui est pourtant en usage en Bretagne, le qualificatif "couchée" ne désignant pas explicitement l'état de la femme "accouchée", "en couche", ou en gésine. Rappelons d'une part qu'une femme doit rester alitée pendant les premiers jours qui suivent l'accouchement en attendant le retour de couches, et d'autre part que selon la loi mosaïque, une femme juive après avoir enfanté d'un fils devait respecter une période de quarante jours au terme de laquelle elle se rendait au temple pour se purifier. Cela est à l'origine de la fête de la Présentation de Marie au Temple, fêtée le 21 novembre. 

   Ce motif a été couramment figuré pendant tout le Moyen-Âge, montrant Marie dans un lit d'osier et allaitant l'enfant, alors qu'accessoirement Joseph est assis au pied du lit. Les "Vierges en gésine" sont donc aussi parfois des Vierges au sein ou Vierges au lait. Ce thème relève d'un influence syrienne où, classiquement, la Vierge allongée semble épuisée, est entourée de deux sages-femmes qui lavent l'enfant, alors qu'à partir du XIVe siècle, notamment à la suite des Révélations de sainte Brigitte, on représente Marie et Joseph à genoux en adoration devant l'Enfant-Jésus placé sur de la paille entre eux deux, plaçant l'accent sur Jésus et non plus sur la Vierge.

Exemples de sculptures (et quelques vitraux fresques, enluminures et tapisseries) dans le désordre qui m'est cher:

  • Poitiers, Notre-Dame La Grande, façade, XIIe
  • Notre-Dame de Paris, portail droit, Nativité, XII-XIIIe
  • Chartres, cathédrale Notre-Dame, portail nord, Vierge de Nativité 1230/1260 link et vitrail de 1218 link
  • La Charité-sur-Loire, Prieuré, tympan, 1060.link  
  • Vezelay, Basilique Sainte-Madeleine,portail sud, 1145-1150 link
  • Laon, portail nord link
  • Reims, cathédrale Notre-Dame, XIIIe, vitrail
  • Maisoncelles-en-Brie, église Saint-Sulpice, retable, pierre, XIIIe
  • Dijon, Nativité, Musée archéologique de Dijon link
  • Pays-Bas méridionaux, Livre d'heure, enluminure par les maîtres de Guillebert de Mets, entre 1409 et 1419, Bnf link
  • Mouthiers-Vieillard de Poligny Église
  • Strasbourg, cathédrale, tapisserie de la Nativité v. 1639 link
  • Vesdun (Cher), Église de Saint-Cyr fresques du XII et XIIIe
  • Brioude, Auvergne Basilique Saint-Julien (dite Vierge parturiente) Vierge en gésine, XVe
  • Aigueperse en Auvergne, église 
  • Vignory en Champagne
  • Metz, église Saint-Martin, Nativité sur épitaphe en pierre, Vierge allaitante, XVe,  link
  • Une très belle collection iconographique est disponible sur la thèse suivante : Ikonografieder Mutterschaftsmystik, Brigitte Eleonore Zierhut-Boesch, 2007, Université de Vienne, en ligne ici : http://othes.univie.ac.at/407/2/Mutterschaftsmystik_nach_Korrektur.pdf avec quinze exemples de sculptures.

Le livre de Serge Laruë de Charlus La Nativité, les Vierges allongées, Ed. Les dossiers d'Aquitaine,2011 vient compléter la liste des sculptures: 

  • Bourg-Artensal tympan roman de l'église
  • Cathédrale Saint-Caprais d'Agen, chapiteau
  • Musée des Arts décoratifs de Paris, bas-relief d'albâtre du XIVe, et fragment de retable de bois polychrome du XIVe
  • Musée de Cluny à Paris, fragment de retable en albâtre, XVe
  • Musée Dell' Opera Del Duomo, Florence, Nativité, 1296-1298
  • Portail abbaye de Moissac, 
  • Lauzerte, église Saint-Barthélémy, retable du XVIIe, bois doré

Le même auteur donne également six exemples de fresques et de peintures : parmi celles-ci, une Nativité duXIVe siècle  de Melchior Broederlam à Anvers (Musée Mayer Van Den Bergh), et une Nativité de Guido da Siena consérvée au Louvre.

 Poitiers, Notre-Dame la Grande, XIIe, http://web.me.com/joel.jalladeau/images/page1/page1.html

La Charité-sur-Loire http://revue.shakti.pagesperso-orange.fr/charloir.htm

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2. La tradition chrétienne sur la maternité de Marie.

   a) Les évangiles eux-mêmes ne sont guère diserts sur la naissance du Christ. Matthieu se contente d'écrire " Joseph ne la connut pas jusqu'au jour où elle enfanta un fils et il l'appela du nom de Jésus". Luc (2,7) est à peine plus prolixe en écrivant " Elle enfanta son fils premier-né, l'enveloppa de langes et le coucha dans une crèche car ils manquaient de place dans la salle."

  b) les textes apocryphes et les Pères de l'Église.

Cette concision posa problème lorsqu'il fallut à la fois répondre à la curiosité des fidèles sur la maternité virginale, et trouver une cohérence dans le débat sur la double nature du Christ ; lorsqu'il fallut aussi mettre en scène les textes évangéliques, sur les tréteaux des théâtres médiévaux ou sur les chapiteaux et tympan des églises. On fit alors appel aux textes apocryphes. Ce fut d'abord le Protévangile de Jacques (écrit en grec au milieu ou fin du IIe) puis l'évangile de l'enfance du Pseudo-Matthieu, compilation en latin du Protévangile de Jacques élaboré au V-VIe siècle, et enfin au IXe siècle Le Livre de la Nativité de Marie De Natiuitate Mariae de Paschase Radbert. Si ces textes apocryphes, bien accueillis dans le monde byzantin, rencontrèrent plus de réticence en Occident, c'est à eux que nous devons l'âne et le boeuf dans la crèche ainsi que l'épisode de "Marie et les deux sages-femmes".

    Ce dernier épisode aborde le point problématique de la virginité de Marie . Celle-ci, bien différente de l'Immaculèe Conception qui affirme que Marie a été préservée du péché originel, peut être abordée comme Conception virginale ( la conception de Jésus se déroulant en l'absence d'acte sexuel, comme le précise Matthieu dans la citation déjà évoquée), ou bien comme Naissance virginale ( l'Enfant sortant miraculeusement du ventre maternel sans passer par la filière génitale, ou en en préservant l'intégrité). Comme les docteurs de l'Église l' affirmèrent dogmatiquement, il s'agit d'une virginité  ante partum, in partu et post partum. A cette virginité organique vient s'ajouter le fait que, selon les théologiens, Marie avait fait le voeu  de sa virginité en se consacrant à Dieu avant que ne survienne l'Annonciation. Comme l'écrivait saint Bernard (Sermon à la louange de la Vierge), " La Vierge reçut le don de la virginité [...], vierge de corps, vierge d'esprit, vierge aussi par décision et engagement".

  Dans  les textes apocryphes, c'est Anne elle-même qui voue sa fille au service divin ; dans le Protévangile, Anne prend cette décision lorsqu'un ange lui annonce qu'elle sera enceinte après 20 ans de stérilité, disant "Que ce soit un garçon ou une fille que j'engendre, je l'offrirai au Seigneur, et il passera toute sa vie au service divin", et dans le  Pseudo-Matthieu, elle déclare s'être engagée dès le début de son mariage à confier son enfant au Temple. Effectivement, Marie sera placée à six mois dans un sanctuaire créé à cet effet dans la maison paternelle, puis conduite au Temple à trois ans, après avoir été sevrée, "pour qu'elle habitât avec les vierges qui passaient le jour et la nuit à louer Dieu". Rappelons que son père Joachim avait été chassé lui-même du Temple par les prêtres qui lui reprochaient la stérilité de son couple, preuve du désaveu de Dieu.

  La conception virginale de Marie par Anne, sans relation sexuelle avec Joachim, est clairement précisée par les textes apocryphes, préalable de la conception virginale de Jésus par Marie. Le baiser échangé entre les époux sous la Porte d'Or est lui-même postèrieur à la conception, survenue plus de trente jours auparavant.

   Dans le Pseudo-Matthieu, on relate que le prêtre Abiathar souhaite  réclame Marie  comme épouse pour son fils, mais que celle-ci refuse, déclarant "j'ai résolu dans mon coeur de ne jamais connaître d'hommes".

  A douze ans, elle ne peut rester plus longtemps au Temple, qui serait souillé par la présence d'une jeune fille réglée, et on recherche un veuf à qui la confier : les prêtres convoquent tous les veufs qui remettent chacun au grand-prêtre une baguette. Lorsque Zacharie rend à Joseph sa baguette, une colombe en sort pour se poser sur son épaule : Dieu l'a désigné pour accueillir Marie. Joseph s'offusque, il est trop vieux, elle a l'age de ses petits-enfants ! Mais il doit se plier au choix divin et accueillir Marie chez lui. Elle y  est chargée de tisser avec cinq autres filles  un voile pour le Temple ; et c'est à elle qu'échoit le fil de pourpre et d'écarlate

  On voit combien les problèmes de stérilité/fécondité et de virginité-pureté/nubilité/mariage sont au coeur de ces textes, qui donnent toutes les précisions nécessaires à combattre les propos malveillants des adversaires de la religion chrétienne qui considèrent que Jésus est le fils que Marie a eu de Joseph.

  Lorsque Marie devient enceinte après la visite de l'ange de l'Annonciation, et que Joseph, après neuf mois d'absence sur un chantier à Capharnaüm, s'en aperçoit, le récit détaille là encore comment on s'assura que ni Joseph ni la Vierge n'avaient fauté, par l'épreuve de l'eau qu'il faut boire en faisant sept fois le tour de l'autel : aucune marque n'apparait sur leur visage après cette épreuve, ce qui atteste de leur innocence. Et Marie renouvelle alors, devant la foule encore septique, son voeu de virginité.

  

  Je ne résiste pas à citer ici in extenso les chapitres XVIII à XX du Protévangile de Jacques (trad. d'après G. Brumet), tant j'en aime le texte : 

     Chap. XVIII.  Et trouvant en cet endroit une caverne, il y fit entrer Marie, et il laissa son fils pour la garder, et il s'en alla à Bethléem chercher une sage-femme. Et lorsqu'il était en marche, il vit le pôle que le ciel s'étaient arrêtés, que l'air était obscurci, et les oiseaux étaient arrêtés au milieu de leur vol. En regardant à terre, il vit une marmite pleine de viande préparée, et des ouvriers qui étaient couchés et dont les mains étaient dans les marmites. Et, au moment de manger, ils ne mangeaient pas, et ceux qui étendaient la main, ils ne prenaient rien, et ceux qui voulaient porter quelque chose à leur bouche n'y portaient rien, et tous tenaient leurs regards tournés vers le haut. Et les brebis étaient dispersées, qui ne marchaient point mais demeuraient immobiles. Et le pasteur, élevant la main pour les frapper de son bâton, sa main restait sans s'abaisser. Et regardant du coté du fleuve, il vit des boucs dont la bouche touchait l'eau, mais qui ne buvaient pas, car toutes choses étaient en ce moment détournées de leur cours.

     Chap. XIX.  Et voici qu'une femme descendant des montagnes lui dit : "Je te demande où tu vas". Et Joseph répondit : "Je cherche une sage-femme de la race des Hébreux." Et elle lui dit : "  Es-tu de la race d'Israël ? " Et il répondit que oui. Elle dit alors : " Et quelle est cette femme qui enfante dans cette caverne ? " Et  il répondit : " C'est celle qui est ma fiancée." Et elle dit :" Elle n'est pas ton épouse ? " Et Joseph dit : "Ce n'est pas mon épouse, mais c'est Marie qui a été élevée dans le temple du Seigneur, et qui a conçu du Saint-Esprit." Et la sage-femme lui dit : " Est-ce que c'est véritable ? Et il dit : "Viens le voir." Et la sage-femme alla avec lui. Et elle s'arréta quand elle fut devant la caverne. Voilà qu'une nuée lumineuse couvrait cette caverne, et la sage-femme dit : "Est-ce que c'est véritable?" Et il dit : "Viens le voir." Et la sage-femme alla avec lui. Et elle s'arréta quand elle fut devant la caverne. Voici qu'une nuée lumineuse couvrait cette caverne. Et la sage-femme dit :" Mon âme a été glorifiée aujourd'hui, car mes yeux ont vu des merveilles." Et tout d'un coup la caverne fut remplie d'une clarté si vive que l'oeil ne pouvait la contempler, et quand cette lumière se fut peu à peu dissipée, l'on vit l'enfant. Sa mère Marie lui donnait le sein. Et la sage-femme s'écria : "Ce jour est grand pour moi, car j'ai vu un grand spectacle." Et elle sortit de la caverne et Salomé fut au devant d'elle. Et la sage-femme dit à Salomé : "J'ai de grandes merveilles à te raconter ; une vierge a engendré, et elle reste vierge." Et Salomé dit : "Vive le Seigneur mon Dieu ; si je ne m'en assure pas moi-même, je ne croirai pas"

     Chap. XX. Et la sage-femme, rentrant dans la caverne, dit à Marie : "Couche-toi, car un grand combat t'est réservé." Et Salomé l'ayant touchée, sortit en disant : "malheur à moi, perfide et impie, car j'ai tenté le Dieu vivant. Et ma main brûlée d'un feu dévorant tombe et se sépare de mon bras." Et elle fléchit les genoux devant Dieu et elle dit : " Dieu de nos pères, souviens-toi de moi, car je sui de la race d'Abraham, d'Isaac et de Jacob.. Et ne me  confonds pas devant les enfants d'Israël, mais rends-moi à mes parents. Tu sais, Seigneur, qu'en ton nom j'accomplissais toutes mes cures et guérisons, et c'est de toi que je recevais une récompense." Et l'ange du Seigneur lui apparut et lui dit : " Salomé, Salomé, le Seigneur t'a entendue ; tends la main à l'enfant et porte -le. Il sera pour toi le salut et la joie." Et Salomé s'approcha de l'enfant et elle le porta dans ses bras en disant : "Je t'adorerai, car un grand roi est né en Israël." Et elle fut aussitôt guérie, et elle sortit de la caverne justifiée. Et une voix se fit entendre près d'elle, qui lui dit : " N'annonce pas les merveilles que tu as vues, jusqu'à ce que l'enfant soit entré à Jérusalem."

   A ce récit du Protévangile, le Pseudo-Matthieu ajoute :

  • le prénom de la première sage-femme, Zahel (ou Zélomi), 
  • le fait que Zahel procède d'abord à un examen gynécologique par lequel elle s'assure de la virginité organique de Marie avant de s'écrier : "Seigneur, grand pitié ! Jamais on n'a entendu ni même soupconné que des seins soient remplis de lait alors que le fils qui vient de naître manifeste la virginité de sa mère. Ce nouveau-né n'a connu nulle souillure de sang, l'accouchée n'a éprouvé nulle douleur. La vierge a enfanté et après l'enfantement continue à être vierge".

  L'absence de douleurs est un élément important puisque c'est après avoir commis le péché originel que Éve entendit la sentence de Dieu : "J'augmenterai les souffrances de tes grossesses, tu enfanteras dans la douleur".  Cet accouchement sans douleur, signifié dans les sculptures par le visage serein et détendu voire souriant de la Vierge, témoigne que Marie, Nouvelle Éve, est exempte du péché originel. Ce pouvoir de triompher de la malédiction des douleurs de l'accouchement est aussi  un élément important pour les femmes qui invoquent ces "Vierges en gésine".

 

 

Lire le Pseudo-évangile de Jacques : http://remacle.org/bloodwolf/apocryphes/jacques.htm

Lire l'évangile du Pseudo-Matthieu : http://seigneurjesus.free.fr/evangilepseudomatthieu.htm

c) La Légende Dorée de Jacques de Voragine.

   Elle est écrite en 1260 et suit les fêtes liturgiques. C'est au 8 septembre, fête de la Nativité de Marie, link que se trouve le récit de la naissance de Marie et le fait qu'elle soit vouée à la virginité, et c'est à la Nativité de Notre-Seigneur link que sont développès les arguments de cette virginité. Jacques de Voragine reprend, en détaillant les preuves de la virginité mariale, les textes apocryphes.

  Le propre de ces textes secondaires aux Évangiles est de placer en continuité la vie de sainte Anne et de son mari Joachim et l'enfance de Marie avec la naissance du Christ. La présence sur deux des retables bretons étudiés ici d'Anne et de Joachim doit être comprise par rapport à ces réferences littéraires. 

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3. Les Vierges Couchées de Bretagne    

Un inventaire des Vierges Couchées a été dressé par Georges Provost  (Un lieu saint et ses représentations, le Yaudet, Ann. Bret. Pays Ouest 110-2, 2003) :

On constate que six oeuvres sont de la même époque autour de 1450 ( entre 1425 et  1455):

  • Le Folgoet (29), Basilique, Tympan du porche, Kersantite, XVe siécle (1425 ou 1450)
  • La Martyre (29), église Saint-Salomon, Tympan du porche, Kersantite, XVe siécle (1450).
  • Morlaix (29), église Saint-Matthieu, anciennement N.D.-du.Mur, volet de statue ouvrante, bois, XVe siécle (ou : 1390).link
  • Saint.Hernin (29) Kerbreudeur, calvaire, pierre, 1450.link
  • Saint-Jean-Trolimon (29), chapelle de Tronoen, calvaire, pierre, 1450, link
  • Plouaret (22), église paroissiale, oeuvre disparue, bois, 1455.
  • Limerzel (56), chapelle Saint-Julien du Temple, retable du maitre-autel, pierre, XVe siècle. link
  • Plouguernevel (22), église paroissiale, statue isolée, pierre (schiste), XV-XVIe siècle?.
  • Landerneau (29), èglise Saint.Thomas, statue isolée, bois, XV-XVIe siècle
  • Landerneau (29), chapelle de la Fontaine-Blanche, oeuvre disparue, pierre (granit), mentionnée en 1794 par Jacques Cambry
  • Ploulec'h (22), chapelle Notre-Dame du Yaudet, retable maître-autel, bois, fin XVIIe ?
  • Lanrivain (22), chapelle Notre-Dame du Guiaudet, retable maître-autel, bois, début XVIIIe?
  • Paimpol (22), chapelle Notre-Dame de Kergrist à Plounez, retable du maître-autel, bois, XVIIIe siècle ?

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Le tympan du porche occidental de la basilique du Folgoet.

 

La scène représente la Nativité, l'Adoration des Mages et l'Annonce faite aux bergers.

Datée de 1425-1430 par René Couffon, ce serait alors l'oeuvre la plus ancienne conservée en kersantite ; mais Jean-Marie Guillouët (Congrès archéologique de France (Finistère-2007), 2009 pp. 166-176 link) penche pour une datation contemporaine du tympan, assez comparable, de La Martyre, qui date de 1450.

A gauche se tient Joseph, accroupi, tenant un bâton d'une main et  un pompon de l'oreiller de l'autre, puis la Vierge, adossée au coussin, en appui sur le coude, dominée par la tête de l'âne. Elle tient l'Enfant, mais ne semble pas l'allaiter, et celui-ci se redresse et se tourne vers le premier des rois mages, qui, prosterné, lui tend son présent. Debout, le second roi mage tend l'index vers l'étoile des Bergers, bien visible au dessus de la tête du premier roi. La partie de droite très dégradée montre un personnage debout, qui ne peut être que le troisième roi, puis au-dessous d'un phylactère, les moutons et les bergers.

  René Couffon a fait remarquer l'écharpe à clochettes en sautoir du second mage, écharpe suffisamment singulière dans l'art breton du XVe siècle pour qu'il y voit, dans cette sculpture attribuée aux "ateliers ducaux", l'influence des milieux "bourgeois" des pays de la Loire succédant à l'art "courtois" (cité par J.M. Guillouët).

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le-folgoet 4334c

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Le tympan du porche sud de l'église Saint-Salomon à La Martyre.

    Daté de 1450, il présente un grand intérêt à mes yeux si on le compare aux trois retables de maître-autel réalisés deux siècles plus tard. En effet, on y retrouve la même disposition d'un lit occupant plus de la moitié de l'espace, vu en profil strict, sur lequel la Vierge, allongée sur le flanc et adossée à un coussin, et dont la tête porte un long voile, allaite l'Enfant-Jésus qu'elle entoure de ses deux bras. C'est au XIXe siècle que la poitrine nue et l'Enfant furent martelée pour répondre aux convenances de l'époque. Saint Joseph, couvert d'un manteau et coiffé d'un bonnet, se tient assis, en vue frontale, le visage tourné vers la mère et l'enfant. La façon dont son fauteuil est plaqué contre le pied du lit, et la raideur ramassée de sa posture, sont très proches des retables de Ploulec'h et Plounez.

  Il semble possible qu'un personnage ait pu occuper le triangle qui ferme le porche à droite de Joseph.

  Au dessus, les têtes de l'âne et du boeuf apparaissent, dans une mangeoire, pour affirmer que nous sommes dans la crèche de la Nativité.

  Enfin, dans le coin gauche se trouve un petit personnage aux cheveux longs et vêtu d'une robe : selon toute vraisemblance, et en fidélité avec le Protévangile, il s'agit de l'une des deux sages-femmes qui ont attesté de la virginité corporelle du post-partum, Zelomi (Zahel) et Salomé. Le site Topic-topos se prononce pour Zelomi, celle qui a cru en la virginité de Marie sur la seule parole de Joseph, mais il se pourrait que Salomé ait été figurée dans le coin opposé.

   Par rapport à l'oeuvre précédente, nous constatons donc deux changements : la scène de l'allaitement et de l'alitement de Marie est traitée de manière autonome séparée du récit de l'Adoration des Mages et de l'Annonce aux bergers, avec l'accent mis sur le personnage de la Vierge plutôt que sur celui de l'Enfant, d'une part ; et à cette scène est intégré la légende des deux sages-femmes. Cela correspond, dans le Protévangile, aux versets 19,1 à 20,4.

  Autrement dit, bien que cette scène ne soit pas encore isolée d'un contexte sculptural traitant de la crêche et de la Nativité, nous avons plutôt affaire ici à une Virginité qu'à une Nativité.

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la-martyre 1922

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  Je peux proposer l'hypothèse que ce tympan de porche inaugure en Bretagne (peut-être précédé par d'autres oeuvres flamandes germaniques ou liguriennes) un nouveau thème ; alors qu'après le XIVe siècle les Nativités ne reprèsenteront plus la Vierge couchée, mais en adoration, le trio Vierge en gésine-Enfant-Joseph va abandonner les références à la crèche (disparition de l'âne et du boeuf, ou du lit en osier) alors qu'une colombe du Saint-Esprit va venir prendre une place centrale, et que Anne et Joachim feront leur apparition. Les sages-femmes ne seront plus là (pour répondre aux directives du Concile de Trente, mais les retables et sculptures ont pu être plus complet et perdre, comme semble l'attester la disparition de Joseph à Lanrivain, des personnages) mais le sujet sera bien celui-ci : le mystère de la Virginité mariale opéré par l'Esprit-Saint, mystère accentué par la capacité de la Vierge à allaiter.

   Il est bien naturel qu'à ce thème thèologique, noble choix des commanditaires, soit venu s'unir le besoin des femmes de pouvoir trouver une Vierge dédiée à leurs préoccupations quotidiennes de femmes parturientes et allaitantes et à leur recherche d'une puissance protectrice face aux dangers de l'accouchement et de ses suites immédiates. Si le risque vital des accouchements pour la mère dans les sociètès pré-modernes par dystocies, hémorragies, éclampsies ou infections doit être tempéré (Bertrand-Yves Mafart 2007 link) (Chiffre de mortalité per et post-partum : 0,1% actuellement en France, 0,7 % en Afrique de l'Ouest contemporaine, 1,5% au XVIIe siècle à Genève, 3% au maximum au Moyen-Âge ), il faut aussi considérer que dans la tradition scripturaire chrétienne, la Vierge a accouché sans douleur ni éffraction, et que la possibilité pour les femmes, de quelque époque que ce soit, d'invoquer Marie face aux souffrances du travail et de l'accouchement et face aux risques de délabrement répond à une nécessité très forte.

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  Conclusion.

  Les trois retables dits des Vierges couchées de N.D du Guiaudet, du Yaudet et de Kergrist en Côtes d'Armor possèdent des similitudes incitant à les étudier comme un ensemble. Ils ont été souvent mis en relation avec des influences prè-chrétiennes orientales et celtes, mais il est interessant de les confronter à l'évolution du christianisme au triple niveau théologique, scripturaire et iconographique. On relie alors ces oeuvres singulières à l'affirmation théologique de la virginité mariale d'une part, à la diffusion du Protévangile de Jacques avec ses récits de la Nativité et de la vérification de la virginité par les deux sages-femmes, et enfin à l'autonomisation en iconographie de "la Vierge en gésine sur son lit d'accouchée" comme représentation propre, avec apparition plus tardive du Saint-Esprit, opérateur de la conception et de la naissance virginale. Enfin, cette ligne de développement religieux vient rencontrer sur le plan médical et anthropologique la ligne de l'aspiration des femmes à trouver une puissance tutélaire dont le culte puisse les protéger des souffrances, des délabrements et des dangers de l'accouchement et de ses suites.

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Published by jean-yves cordier - dans Vierges couchées
14 mai 2012 1 14 /05 /mai /2012 11:46

La chapelle Notre-Dame-du Guiaudet à Lanrivain:

 

Voir aussi : 

A. LES VIERGES COUCHÉES. 6 articles.

 

http://www.lavieb-aile.com/article-les-vierges-couchees-de-bretagne-2-chapelle-du-yaudet-a-ploulec-h-105555217.html

http://www.lavieb-aile.com/article-vierges-couchees-3-chapelle-de-kergrist-a-paimpol-105604068.html

http://www.lavieb-aile.com/article-vierge-couchee-calvaire-de-tronoen-a-saint-jean-trolimon-29-110465874.html

http://www.lavieb-aile.com/article-la-vierge-couchee-dans-les-nativites-des-livres-d-heures-113263711.html

http://www.lavieb-aile.com/article-vierges-couchees-la-cathedrale-de-chartres-112103311.html

LES VIERGES ALLAITANTES. 12 articles.

http://www.lavieb-aile.com/article-virgo-lactens-ou-miss-nene-5-candidates-du-finistere-les-vierges-allaitantes-96615012.html

GROUPE DE SAINTE ANNE TRINITAIRE. 

Groupes dits de Sainte-Anne Trinitaire : l'ensemble de la vallée de l'Aulne

http://www.lavieb-aile.com/article-anne-trinitaire-de-la-vallee-de-l-aulne-102034812.html

Anne trinitaire de l'église de Guimaëc.

Anne trinitaire de l'église de Plougasnou.

Sainte-Anne trinitaire du Musée départemental de Quimper.

L'église du Vieux Bourg à Lothey : Anne trinitaire.

La chapelle Sainte-Anne à Daoulas.

Anne trinitaire de la cathédrale de Burgos

http://www.lavieb-aile.com/article-sainte-anne-trinitaire-de-burgos-118711405.html

 

 

 

Chapel ar Geoded : Grand pardon le premier dimanche de mai. Petit pardon le 15 août.

 

I. Présentation de la chapelle :

 1)  Selon le panneau bleu de l'entrée :

  En l'an 1692, la famine sévissait sur le pays.  Claude Alain pauvre tailleur du village de Coatcoustronnec, aujourd'hui "le Guiaudet", s'en allait avec ses dernières économies au moulin.

  Soudain la Vierge lui apparut et lui dit : "je veux qu'une chapelle soit bâtie en ce lieu en mon honneur". Claude Alain s'empressa de transmettre le message de Marie au recteur de Bothoa, Messire Grégoire Raoul.

  Par deux fois le meunier (?) fut éconduit comme un vulgaire illuminé. La troisième fois, il trouva le recteur aveugle. Il recouvre la vue sur le lieu des  apparitions où on venait de trouver une statue de Notre-Dame. On édifie alors un oratoire pour abriter la statue. A dater  de ce jour, le pèlerinage est fondé.

  En 1692, on commence la construction de la chapelle et en 1712, celle du clocher. En 1920, le campanile est reconstruit et en 1925, le carillon de seize cloches est installé. Une des principales caractéristiques est la représentation de la Vierge couchée au centre du retable principal. Le mot "guiaudet" signifierait "celle qui a enfanté".

2)   Selon les panneaux dans l'église :

  • 1695 : début de la construction par Guillaume Le Gall, "maistr architectque" de Peumerit-Quintin. Sur la façade est écrit cette inscription: "Monseigneur de Francheville évêque de Périgueux bienfaiteur insigne 1695".
  • 1712, fin de la construction de la chapelle
  • 1794 : le 6 février, les agents de la Révolution prennent les calices, les ciboires, les chandeliers (tous les effets d'or, d'argent et de plomb). Le 1er mars les deux cloches de la chapelle sont déposées à Guingamp où elles sont fondues. La chapelle est fermée jusqu'en 1802 et le culte interdit sous peine de mort.
  • 1853 : restauration de la chapelle et donation de nombreuses bannières. Les deux retables de l'Assomption et de l'Annonciation sont réalisées par Le Bourhis peintre à Guingamp.
  • 1899, construction des fontaines grâce au recteur Dom François Marie Daniel qui va mourir quatre mois après la fin des travaux (son gisant se trouve dans la chapelle).
  • 1920, le campanile est rehaussé d'un étage pour y loger d'autres cloches. Un petit édicule est construit sur le placître avec les restes des piliers de justice de Beaucours, près de Lanrivain.
  • 1925 : le carillon de Guiaudet compte seize cloches, d'un poids total de 1700 kg. Chacune a un prénom, un parrain et une marraine.
  • 1928 : bénédiction du chemin de croix extérieur, 14 stations en fonte portées de part et d'autres par des stèles de granite.

 3) Selon Maurice Dilasser (Patrimoine religieux en Bretagne, Le Télégramme, 2006), le terme Guéodet signifie "cité", et la chapelle de ce nom honore Notre-Dame qui veille sur elle.

  Selon le site Infobretagne, la Vierge est apparue à Claude Alain en un lieu relevant de la seigneurie de Pélinec, et c'est grâce à une donation du seigneur de Pélinec, Monseigneur de Francheville, que la chapelle fut construite. 

 

Portail : ITRON VARIA GWIODED PEDET EVIDOMP, Notre-Dame du Guiaudet priez pour nous.    

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Le clocher et les seize cloches de son carillon :

  "C'est le seul carillon en activité à jouer des airs typiquement breton dans notre région. Le campanile, reconstruit en 1916 par l'architecte Léon Cosson de Saint-Brieuc, possède alors quatre cloches. En 1922, cinq autres cloches acquises auprès de la fonderie Cornille-Havard de Villedieu-les-Poêles leur sont adjointes, suivies par sept nouvelles en 1924 pour constituer ce carillon unique en Bretagne.*

Lors de la construction du carillon, les battants étaient munis de fil de fer sur lesquels on tirait pour faire tinter les cloches. Cette manière de sonner était sportive, car agir successivement sur seize cloches étaient une tâche difficile qui n'était pas à la portée de n'importe quel sonneur !

Comme il n'était pas entretenu le mécanisme s'est détérioré si bien que depuis la guerre le carillon du Guiaudet était tombé dans l'oubli. En 1963 un système électrique est installé. Il permet la commande des cloches à partir d'un clavier dans la tribune. En 1992 et en 2001 le carillon est restauré. Les airs joués sur cette instrument puisent essentiellement dans le répertoire populaire. En introduisant une pièce de 2 Euros dans le monnayeur situé au fond de la chapelle vous pourrez entendre les célèbres cantiques Me Ho Salud Mari et Itron Varia Guiaudet."

(Affiché sur la porte d'entrée par l'Association pour la chapelle N.D. du Guiaudet)

* Cinq cloches proviennent de la chapelle Saint-Yves de Caranhuel, en ruine.

Pour entendre le carillon : DSCN0001 DSCN0001

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La fontaine double de la Vierge et de saint Jean-Baptiste : elle était fréquentée par les femmes enceintes.

L'inscription gravée sur le linteau au dessus de la Vierge à l'Enfant  est MONSTRA TE ESSE MATREM : c'est le début d'un motet en l'honneur de la Vierge : Monstra te esse matrem ; / Sumat per te preces, / qui pro nobis natus, / tulit esse tuus. Ou plus précisément c'est la quatrième strophe de l'Ave Mars Stella, Salut, Étoile de la mer : Montre-toi notre mère, / qu'il accueille par toi nos prières / Celui qui, né pour nous / Voulu être ton fils.

  C'est aussi l'invocation frappée sur les médailles miraculeuses remises aux Enfant de Marie.

  La traduction de l'hymne marial est : "Montre-toi en tant que mère", "témoigne de ta maternité" : c'est à la Vierge à l'Enfant que le fidèle s'adresse, et il la prie comme un petit enfant s'adresse à sa mère pour en obtenir protection, tendresse,soins et nutrition, certes comme intercetrice auprès de l'Enfant-Dieu mais aussi pour transférer sur le fidèle les trésors de maternité que Marie a déployé pour son Fils.

  Mais, placée au dessus d'une Vierge à l'Enfant d'une fontaine vénérée par les femmes enceintes, dominant le filet d'eau qui s'écoule et remplit le bassin dévotionnel, cette citation évoque aussi la lactation, parce que ce sont ces paroles que saint Bernard prononçait en adoration devant une statue de Marie à l'église de Saint-Vorles de Châtillon-sur-Seine lorsque, du sein de la Vierge allaitante sortit un jet de lait qui vint frapper les lèvres de saint Bernard ; et ces quatre mots latins font désormais référence à cette Sainte Lactation. 

  Donc, lorsque je découvre les explications fournis par l'Association de sauvegarde, qui mentionnent que "les mères qui ont du mal à obtenir du lait pour nourrir leurs enfants y viennent prier car ces fontaines sont réputées pour guérir ce mal", je ne suis pas surpris, et je peux parier qu'elles font bénéficier leur poitrine d'ablutions dévotes.

Par ailleurs, le jour du pardon, de nombreux fidèles se baignent les yeux pour se protéger (en pensant au recteur de Bothoa devenu aveugle mais qui fut guéri par la Vierge), alors que d'autres font des voeux en lançant une pièce : si elle tombe dans le trou percé dans la dalle au fond de la fontaine, ils seront exaucés. 

  Les bassins rectangulaires servent aux pèlerins à se baigner les pieds.

 

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      L'intérieur de la chapelle vers le choeur : 

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L'intérieur de la chapelle, vers la porte occidentale :

A gauche, prés de la porte d'entrée, le gisant du recteur F.M. Daniel (1805-19 juin 1881), né à Mousterus (Pédernec) et "recteur de Lanrivain où il passa 39 années de sa vie de prêtre".

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II. Le retable du maître-autel, La Sainte Famille.

  Si le retable lui-même date de la fin du XVIIe, il est associé à un tabernacle et à des décors floraux du XVIIIe, et à un autel qui porte l'inscription suivante : Donné par Monsieur Daniel recteur de Lanrivain 1872 sur sa face sud, et les signatures suivantes sur sa face nord : Philippe Le Merer et fils sculpteurs Lannion, Cotes du Nord, G. Merrien Père et Fils Peintres à Saint-Nicolas du Pelem Cotes du Nord 1875-1876.

  Il comporte sept personnages répartis en quatre étages, de haut en bas :

  • Dieu le Père
  • Le Christ bénissant entouré de saint Joachim à sa droite et sainte Anne à sa gauche
  • Saint Joseph et saint Jean-Baptiste
  • La Vierge couchée et son Fils, sous le triangle rouge de la Trinité

  Ces personnages sont regroupés sous le vocable de la Sainte Parenté regroupant les trois générations  des grands-parents Anne et Joachim, du couple de Marie et Joseph, puis de Jésus et de son cousin Jean-Baptiste. On désigne aussi sou le même terme les groupes trinitaires Anne = Marie = Jésus, ou encore les demi-frères du Christ selon la tradition des remariages de sainte Anne avec deux autres maris.

  Ce retable a été restauré en 1856 puis en 2000 par un groupe de huit catalans.

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Dieu le Père bénissant, entouré de deux anges ; un chérubin se détache de son manteau pourpre, alors que la colombe du Saint-Esprit, ailes étendues, réalise le trait d'union avec la statue du Christ.

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En dessous, trois niches reçoivent trois personnages : Saint Joachim, le Christ en Sauveur du Monde (Salvator Mundi tenant le globe et bénissant) et sainte Anne.

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Saint Joachim, a perdu l'attribut qu'il tenait dans la main droite. Les portraits traditionnels le montrent tenant une pelle. C'est le mari de sainte Anne et ce serait donc le père de Marie et le grand-père du Christ : ce registre présenterait Jésus entouré de ses deux grands-parents maternels. Mais il convient d'employer le conditionnel car la naissance de Marie, certes née du ventre de sainte Anne, est survenue miraculeusement après des années de stérilité par une grâce divine après que les époux aient échangé, selon le proto-évangile de Jacques, un simple baiser sous la Porte Dorée : un peu comme Joseph, Joachim serait peut-être un père-de-famille plutôt qu'un père biologique, Jésus et sa Mère se situant dans un écart des normalités biologiques...mais encore une fois le conditionnel s'impose.

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        Sainte Anne est représentée selon les critères habituels, la tête couverte par un voile, portant la guimpe de toile blanche et vêtue, comme son mari, d'un manteau vert à galon doré. Elle tient ses bras écartés, certes en signe d'accueil, mais ce geste reprend aussi celui par lequel elle enserre, dans les groupes trinitaires, la Vierge et l'Enfant : aussi cela m'évoque un geste en relation avec sa dimension de Mère primordiale.

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Saint Jean-Baptiste tient le livre, l'agneau et la croix : l'agneau fait référence à Jean 1, 29-31 : "Comme Jean Baptiste voyait Jésus venir à lui, il dit : "Voici l'Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ; c'est de lui que j'ai dit : Derrière moi vient un homme qui a sa place devant moi, car avant moi il était."

  Jean Baptiste est le fils de Zacharie et d'Élisabeth, la cousine de Marie à qui l'archange est venue annoncer, comme à Marie, qu'elle allait enfanter.

  Il est vêtu sous son manteau d'une peau de bête pour rappeler qu'il vivait "caché dans le désert", se nourrissant "de sauterelles et de miel sauvage" (Mat. 3, 4), mais aussi pour signaler son statut d'être "à part", "à l'écart", qui est celui du nazir ou nazarien, juif qui fait voeu d'ascétisme et renonce à couper ses cheveux et sa barbe : c'était la longueur de sa chevelure qui conférait à Samson, autre nazir célèbre, sa force phénoménale : ici, les cheveux longs, la barbe et les poils de bête témoignent de la vigueur spirituelle de cet homme de Dieu.

 

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La Vierge allaitante  couchée.

On peut la nommer aussi Vierge parturiente (comme le fait le Service Régional de l'inventaire ; "parturiente : accouchée, qui accouche"), ou Vierge en couche. Mais on voit bien qu'il manque dans notre langue un terme (la médecine doit utiliser le terme latin de "post-partum") pour désigner la suite de couche, et que ce manque de mot témoigne de la nécessité de laisser dissimulé cette période de la vie féminine.

    Elle apparaît dans une niche de bois dorée qui forme une scène de petit théâtre en même temps qu'un baldaquin tendu d'un ciel de lit et de rideaux rouges galonnés d'or. Ces rideaux s'ouvrent sur un fond bleu ciel ; un triangle rouge frappé des lettres de Yahvé témoigne de la puissance divine aveuglante et surnaturelle rayonnant de tous ses feux à travers un cercle de nuées.

   Contrastant avec la dramaturgie impressionnante de ce décor, Marie est allongée dans un lit, tournée sur le coté droit, à demi relevée au moyen d'un bon coussin, et en se rapprochant, on constate qu'elle est en train d'allaiter son enfant ; elle a libéré quelques boutons de son corsage pour libérer le sein gauche, que l'enfant maintient de son petit bras.

  Il s'agit donc d'une jeune mère, dans les suites de couche, qui allaite en position allongée : rien, dans sa posture, ne relève d'un programme théologique, et on lit en 2012 dans les conseils données aux jeunes accouchées la description de ce moment : " Comment allaiter bébé ? Dans la position allongé, tournez-vous simplement sur le coté et installez votre petit face à vous, sa bouche à la hauteur du mamelon. Vous pouvez replier votre jambe supérieure pour ne pas basculer en avant et vous caler à l'aide d'un coussin dans le dos."

  Marie semble fatiguée, le regard pensif, fixe et triste, mais "cette fatigue ne doit pas inquiéter, elle concerne la totalité des femmes qui viennent d'accoucher". Au baby-blues se combine l'état "magique" de l'allaitement, petit bonheur intime mais aussi somnolence provoquée par la prolactine.

     C'est cela qui est troublant dans ce retable : le contraste entre une scène très familière mais très intime, que la plupart des mères n'exposent pas ostensiblement, et la grandiloquence des fastes lumineux du Sacré. Cette femme donnant le sein dans son lit peut déjà, en soi, offenser la pudeur. Placée sur un autel au dessus du tabernacle et en dessous des insignes les plus éclatants de la puissance divine, elle oblige le fidèle à un saut paradigmatique qui divinise les fonctions maternelles d'accouchement et d'allaitement comme conditions nécessaires et suffisantes de l'Incarnation.

  Face à cette présence inhabituelle, on évoque vite des influences pré-chrétiennes : culte égyptien d'Isis, cultes orientaux, traditions celtes... La présence de sainte Anne dans le registre supérieur vient rappeler que le culte breton rendu à Anne a été lui-même rattaché à ces influences.

  Le nom de Guiaudet interroge également : on peut souscrire à la proposition d'y voir une forme du breton signifiant "accoucher", mais cette étymologie est qualifiée de fantaisiste par les spécialistes, et il faut le rapprocher d'autres toponymes comme Yaudet, Guedet en Larré (Morbihan), Géodet (ancienne vierge allaitante de Quimper), Yeudet en Goudelin (22). 

   

  

 

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III. Le retable de l'Ascension de la chapelle sud :

restauré en décembre 1997.

  Autour d'un tableau représentant l'Ascension de la Vierge se trouvent, dans leurs niches respectives, deux statues du XVIIe siècle de saint Corentin et saint Isidore. 

 

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Saint Corentin 

est vêtu en saint évêque d'une dalmatique, d'un surplis et d'une robe sur laquelle est, maladroitement ou naïvement, fixé un poisson qui est son attribut. Nous ne sommes pas, pourtant, dans l'évêché de Quimper et du Léon, mais dans celui de Saint-Brieuc, mais jadis la paroisse de Lanrivain était une trève de Bothoa qui appartenait au diocèse de Cornouaille, dont Corentin est le patron.

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Saint Isidore :

  On sait qu'il s'agit du saint patron des cultivateurs, et on comprend sa présence dans cette chapelle rurale.  Il ne tient pas la faucille et une gerbe de blé, comme d'habitude, mais le long manche d'une sorte de binette ou de houe (le fer de cet instrument date de la restauration de 1997). On remarque l'absence de chapeau. Ses cheveux longs, ses braies larges ou bagou braz, ses guêtres et ses souliers de cuir sont ceux des paysans bretons, traits de la quasi totalité des statues de saint Isidore, mais sa veste longue mérite d'être détaillée. La statue datant du 17e siècle, elle témoigne du mode vestimentaire des paysans de Lanrivain.

  Cette veste longue est resserrée par une ceinture, elle se ferme par dix gros boutons de laiton en laissant libre les deux basques qui portent chacune une poche ; les manches s'évasent par une fente.

  L'encollure est remarquable mais je n'ai pas les compétences requises pour l'étudier. 

Saint Isidore en costume breton : Logonna -Daoulas.

Église de Brélès : anges musiciens et Isidore en costume breton.

 

 

 

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IV. Le retable de l'Assomption de la chapelle nord : 

restauré en avril 1997.

  Face à l'Ascension du coté sud, le tableau de l'Assomption continue à honorer la Vierge et les moments glorieux de sa vie. Comme son homologue, c'est une toile peinte en 1853 par Hubert Le Bourhis. Les chapelles latérales ne comportaient initialement que les retables du 17e, et c'est en 1876 qu'un autel et un fronton est venu compléter chaque retable, vraisemblablement par les mêmes artisans qui réalisèrent à la même époque le maître-autel, Le Merrer de Lannion et Merrien de Saint-Nicolas-du-Pelem.

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La vierge habillée : Notre-Dame de Guiaudet :

  Voilà une autre constatation sur laquelle je m'interroge : dans tous les sanctuaires où se trouve une Vierge allaitante ou une Vierge couchée, le culte est détourné vers une autre statue dépourvue de tout caractère choquant ou impudique et qui reçoit la dévotion des fidèles. Ici, c'est une statue de vierge à l'Enfant (et non un simple mannequin comme parfois) qui est habillée de la façon la plus prude avec une robe et un manteau qui remonte haut autour du cou et descend jusqu'aux pieds, englobant l'enfant dont seul la tête et le bras sont visibles. 

  Elle est présentée dans une niche portant le titre ITRON VARIA AR GUIAUDET , Notre-Dame du Guiaudet, laissant penser que c'est elle qui est la patronne de la chapelle, elle qui a été trouvée par Claude Alain et qui est à l'origine de la fondation de la chapelle ; or, la légende mentionne la découverte d'une vierge couchée.

  C'est elle, d'abord comme Vierge à l'Enfant puis comme Vierge habillée  qui est présentée sur les vitraux qui exposent les miracles qu'on lui attribue.

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  Curieux aussi de découvrir une autre statue, placée sur un brancard de procession et présentée sous un dais de drap bleu clair. J'ai cru qu'il s'agissait de la version portable de N.D. Du Guiaudet, mais il s'agit d'une Éducation de la Vierge, ou sainte Anne apprend à lire à sa fille.  On constate que sainte Anne est systématiquement associée au culte de N.D. du Guiaudet, ici au pied de l'autel nord, ou sur las bannières, ou au dessus du maître-autel.

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V. Les autres statues :

Saint Vincent Ferrier :

Bois polychrome à revers évidé du XVIe siècle. La main gauche tient un livre, la main droite un manche d'outil ou un bâton. H : 1m08.

 

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VI. Les bannières :

 

      Bannière de saint Jean l'évangéliste avec l'inscription Zant Ian Mignon Jezus que je traduis par saint Jean , disciple préféré de Jésus.

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      Initiales S J de Saint Jean (?)

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     2)  Bannière de Notre-Dame du Guiaudet :

a) Une face représente la statue de Vierge habillée et couronnée :

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b) L'autre face me semble plus ancienne, et, en tout cas, bien plus belle, bien qu'elle soit abimée.  C'est elle qui porte cette fois-ci le nom de N.D. Du Guiaudet, ce qui entretient l'ambiguité. 

On se rapportera à la bannière homologue de la chapelle du Yaudet : les représentations de Vierge Couchée étant rares, il faut porter toute son attention à cet exemple. Sous un baldaquin un rideau tiré dévoile la Vierge et son Fils, tous les deux allongés ou à demi-assis dans le lit sous le regard d'un troisième saint personnage qui ne peut être que saint Joseph. Celui-ci tient un livre, c'est bien-sûr l'Écriture Sainte dont il constate sous ses yeux la réalisation. "Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils, et on l'appellera du nom d' Émmanuel." La colombe de l'Esprit-Saint domine le tableau.

 

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Inscription : M' HO SALUD MARI  et   ITRON AR GUIAUDET

                  Ecce Virgo concipiet / Guerch'ez ha mam

 1)  Les inscriptions du haut et du bas sont les titres des deux cantiques bretons que joue le carillon: Me ho salud Mari, "Je vous salue Marie", et Itron varia Geodet, "Notre-Dame du Guiaudet".

  2) Au milieu, en caractère plus petit, nous trouvons d'abord une citation biblique d'Isaïe 7, 14 qui est reconnue dans la tradition chrétienne comme annonçant la conception du Christ par la Vierge, ici illustrée par l'Annonciation, mais qui est aussi reprise dans les arbres de Jessé :Propter hoc dabit Dominus ipse vobis signum  Ecce Virgo concepiet et pariet filium et vocabitis nomen eus Emmanuhel / Butyrum et mel comedet ut sciat reprobare malum et eligere bonum : Voici qu'une Vierge concevra et enfantera d'un fils, qu'on appellera Emmanuel. Il se nourrira de beurre, jusqu'à ec qu'il sache rejeter le mal et choisir le bien" 

  Cette citation est aussi le titre d'un chant grégorien répandu.

3) Puis vient Guerch'ez ha mam, "Vierge et mère", cantique breton que je n'ai su retrouver.

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      ITRON AR GUIAUDET : 

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3) bannière Le Minor dédiée à saint Grégoire:

Les bannières Le Minor.

   Saint Grégoire est le patron de l'église paroissiale de Lanrivain. Comme l'indique le certificat d'authenticité, la bannière a été financée par l'Association de sauvegarde de N.D. du Guiaudet, brodée par Jean-Michel Pérennec et réalisée en 2006.

  Le blé et les feuilles et pampres de la vigne représentent bien-sûr l'eucharistie ; une face de la bannière représente un pape, il s'agirait donc de Grégoire le Grand, le Père de l'Église et le  père du grégorien, dont le pontificat s'étendit de 590 à 604. Au verso, on trouve un évêque brun et barbu qui tient une tête barbue et grise : s'agit-il de Grégoire de Nysse, de Grégoire de Langres, de Grégoire de Tours ? Aucun n'est céphalophore de tradition. J'aime bien les petits détails énigmatiques, et j'aime encore plus en trouver le sésame, tant-pis.

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Les vitraux de 1901:

8 baies soit 16 panneaux traités comme des scènes indépendantes autour de la légende, des miracles et du pélerinage de Notre-Dame du Guiaudet : ils sont précieux d'une part pour l'histoire du costume (costume breton et costrume écclésiastique) et pour les techniques utilisées. En outre, ils inscrivent de manière durable les noms des paroissiens donateurs.

  J'ai trouvé sur les panneaux explicatifs placés dans l'église les renseignements suivants :

L'histoire de la découverte de la statue :

Claude Alain, pauvre paysan, vient habiter Coatcoustronnec au lendemain de ses noces. En 1662, il est le père de 12 enfants, et s'inquiète de la dissette qui ne lui a pas permis de récolter suffisamment de blé. Il se rend au moulin de Goas-Salo avec les derniers sous qui lui restent pour acheter de la farine. Mais au moment où il va franchir le ruisseau (qui alimente les fontaines actuelles du Guiaudet), il voit la Vierge et entend sa douce voix lui dire : "Allez à Bothoa, rendez-vous auprés du recteur et dites-lui que je veux qu'une chapelle soit bâtie en ce lieu, en mon honneur, et de saint Jean, le disciple bien aimé de mon Fils. Afin que vous sachiez que c'est la Mère de Dieu qui vous parle, vous serez témoin aujourd'hui même d'un prodige : la minime quantité de farine qui reste dans votre jarre suffira à votre entretien et celui de votre famille pendant plusieurs jours".

   Le recteur de Gothoa Dom Raoult vient de renvoyer Claude Alain en le traitant de doux réveur illuminé : il referme la porte du presbytère et réalise qu'il est devenu aveugle. L'abbé Raoult est en soutane , le paysan / tailleur porte une veste courte, une ceinture de flanelle rouge, les braies bouffantes, des guêtres et des sabots, et le chapeau rond large.

1) Vitrail offert par les familles de Séré, Le Provost -Meurou.    

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Dans le village de Coatcoustrennec,près d'un cours d'eau bordé de saules, nous voyons Claude Alain avec son sac vide témoignant de la famine qui sévit ; la Vierge lui apparaît, tenant l'Enfant. En arrière plan, un édifice que je ne décrypte pas et deux fillettes, peut_être les enfants de Claude Alain.

 

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      2) Vitrail offert par Car. Pennec, J.M. Breton, Math. Maout, Y. Lucia, M. de Cuverville, Y. Oger.

  A la troisième apparition, devant l'incrédulité du recteur, la Vierge indique l'endroit exact où on découvre une statue en bois à son effigie

 

La statue de la Vierge, placée sur un rocher, reçoit les prières d'un groupe de personnes de la paroisse, en costume traditionnel : les hommes en veste, gilet, ceinture rouge, bragou braz, guêtres et sabots et les femmes en coiffe, robe et châle, tablier.)

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  A la fin  d'une procession où la statue récemment découverte est portée sur un brancard par deux diacres ou enfants de choeur en surplis rouge, l'abbè Grégoire Raoult, placé à coté de Claude Alain, recouvre la vue miraculeusement.

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      3) Vitrail offert par L. Derrien père, J. Lucia, Marguerite Cozler et P. Mahé.

 

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La signature de l'acte de concession du terrain par son propriètaire Monseigneur de Francheville.

L'évêque est assis à coté du recteur et devant les notaires Launay et Poulain. Debout le frère de Monseigneur de Francheville, avocat membre du Parlement de Bretagne, donne lecture de l'acte.

 Les armoiries épiscpales sont vraisemblablement celles de Mgr de Francheville.

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Vitrail offert par Léon Falher, vicaire, et la Fabrique de Lanrivain.

  Le vitrail donne à voir la célébration d'une messe des défunts, le prêtre portant sa chasuble noire. Les deux Vierges du Guiaudet sont visibles, à peu-près à la place actuelle.

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  C'est la scène qui précède le vitrail de l'office funèbre, c'est-à-dire l'administration à un mourant des derniers sacrements. 

 

 

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Vitrail offert par Y. Le Men, recteur.

Il célèbre un miracle survenu pendant la guerre de 1870 lors de la défense de Saint-Privat-la-Montagne en Moselle : lors des combats du 18 août 1870 où 27 000 soldats français tiennent tête à 100 000 soldats prussiens, un breton de Lanrivain, Thomas Le Cam, de Kérien, voit le canon de son fusil éclater sous l'effet d'éclat d'obus alors qu'il échappe lui-même à la mort parcequ'il invoquait N.D. du Guiaudet.

 

 

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Un autre exemple de miracle : des matelots dans une barque échappent à un naufrage.

 

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Offert par les paroissiens de Lanrivain.

Un accident de charette : Une charette a versé, peut-être après qu'un moyeu ait cédé, et le cheval a les quatre pattes en l'air. Un passager se remet de la commotion, adossé contre un arbre. Le pauvre conducteur est tout chaviré, mais pendant qu'un homme lui porte assistance, une religieuse a l'idée d'invoquer à genoux N.D. du Guiaudet.

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Une naissance :

La représentation d'une naissance dans une famille de la paroisse nous permet de retrouver ce moment particulier de la "femme en couche", alitée dans les suites de l'accouchement et qui témoigne par le geste de ses mains de son émerveillement devant le joyeux avénement d'un beau bébé. Trois femmes sont venues l'assister, l'une berce l'enfant, l'autre tient une bassine de cuivre, la troisième prépare des linges. Le père, bras croisé, se remet de ses émotions.

 

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Vitrail offert par Françoise Savéan et Thomas Savéan Kergreis

                                                            

Fête du deuxième centenaire de 1892 : la technique utilisée pour ce vitrail est particulière et donne l'impression que les visages des personnages proviennent de photographies; Monseigneur Fallières bénit les pélerins.

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Scéne rappellant les grandes Missions, ou le Pardon  : un prédicateur rappelle aux pélerins les voies de la sainteté tandis que quatre hommes portent le brancard avec la statue de la Vierge habillée. Un grand feu, le Tantad, est figuré ici .

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L'atelier Vermonet de Reims

Albert-Louis Vermonet (1853- ) ouvrit son atelier à Reims en 1880 ; il collabora avec Pommery de 1882 à 1897 (atelier Vermonet-Pommery) . 4000 édifices lui doivent leurs vitraux.    

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Published by jean-yves cordier - dans Vierges couchées
14 mai 2012 1 14 /05 /mai /2012 11:41

           Les Vierges couchées de Bretagne (2) :

            Chapelle du Yaudet à Ploulec'h (22).

 

Le pardon a lieu le troisième dimanche de mai.

 

I. Présentation.

    A trois kilomètres du bourg de Ploulec'h (22) et à 8 km de Lannion, la chapelle du Yaudet est établie sur un ancien éperon barré qui domine, comme on le constate sur le panneau placé sur le parking, la baie de la Vierge à gauche et la rivière de Lannion ou Leguer avec le port du Yaudet à droite. Il s'agit d'un site mesolithique (premières traces d'occupation vers 8000 av.J.C), mais aussi d'une ancienne place forte celte sous le nom de Koz Yeoded, puis d'un emplacement romain sous le nom de Vetus Civitatis; l'importance de ce lieu dans le controle du carrefour des voies Brest (Gesocribate)-Erquy et de celles allant vers Carhaix (Vorganium) ou vers Perros.

  Le toponyme Vetus Civitatis est retrouvé sous la forme "vieille cité" (1267) ou sous la forme bretonne Keodet ou Cozqueoudet (1638), puis on retrouve en 1707 "le lieu et mettrerie noble de Guéaudet ou La Vieille Cité" et en 1826 le toponyme Le Guyaudet sur le cadastre.

  


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      La chapelle est composée d'une nef et de deux collatéraux inscrits dans un plan rectangulaire, et d'un choeur fermé par une grille, placé dans le prolongement de la nef et terminé par un mur plat. Ce mur supporte sur toute sa largeur le retable du maître-autel, mais deux portes donnent accès à la sacristie à trois pans qui a été rapportée par la suite (vers 1950). 

   Elle a été édifiée en 1860 à la demande de la famille Kerninon après la destruction de la chapelle primitive, qui datait de la seconde moitié du XVe siècle (1483), mais en a conservé certains éléments (portes, fenestrage), dont le retable qui va maintenant nous intéresser. 

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http://www.histo.com/quotidienne/quotidienne2/01022006.pdf

http://www.sos-21.com/tl_files/SOS-21_Data-center/CG22/Sentier-decouverte_Yaudet-IV.pdf

 

 

 

II. Le retable du maître-autel.

     Il daterait du XVIIe siècle. Au dessus de l'autel et du tabernacle encadré de deux anges photophore, une alcôve au fond bleu, occupée presqu' entiérement par un lit blanc, est surmonté d'un fronton orné de guirlandes ; deux anges s'y accoudent et regardent l'assistance. De chaque coté trouvent place les niches qui abritent les statues des parents de la Vierge, sainte Anne et saint Jaochim. Le monogramme marial s'inscrit en lettres blanches sur fond bleu.



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1. Peinture du devant-d'autel : la Vierge couchée ? 

   C'est un panneau peint à la fin du XVIIIe en faux-marbre sur l'antependium, sur lequel s'inscrit un ovale d'où divergent des rayons dorés. Au centre, la Vierge (ou du moins une femme, sans auréole)  y est allongée, les mains jointes, la tête coiffée d'un voile ; trois personnages l'entourent, dont deux écartent les bras pour témoigner du prodige qu'ils constatent alors que l'homme du milieu, qui porte une étole et un livre, fait un geste de bénédiction. Il s'agit donc d'une Dormition, et non d'une nouvelle illustration de Vierge accouchée, et seul le décubitus marial s'accorde avec le sujet du retable. Cela montre que si les deux épisodes (Nativité et Dormition) sont deux moments de la vie de la Vierge totalement étrangers l'un à l'autre, la posture déclive les rapprochent et crée une parenté iconographique.


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 Le monogramme marial M A inversé , les guirlandes, les bouquets glorieux et les deux anges :

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 Sainte Anne.

  La présence des parents de la Vierge est retrouvée ici comme à Lanrivain pour le retable de Notre-Dame du Guiaudet, et ne répond pas à un hasard : le programme du commanditaire est dicté par un projet théologique, par une lecture des Écritures et des textes apocryphes pour conduire le fidèle à un approfondissement de sa contemplation de l'un des mystères joyeux, celui de la Nativité : Nativité de la Vierge (fêtée le 8 septembre) et Nativité du Seigneur. Il s'agit de mystères à méditer dans la mesure où le naturel et de la physiologie de l'enfantement s'unit au surnaturel de l'Incarnation de la Divinité, et dans la mesure où ces deux enfantements surviennent par une conception "immaculée".

  

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b ) Saint Joachim.

 

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c) les anges photophores :


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III.  La Vierge couchée.

  J'en arrive à ce qui motive ma visite, comme celle de nombreux visiteurs avant moi, cette curiosité d'art religieux, l'un des trois exemples bretons de Vierge couchée ou Vierge accouchée. L'effet est surprenant et le seul fait de voir un lit, un de ces lits si commun jadis avec leur épais matelas, leur édredon moelleux et leur couvre-lit d'étoffe blanche, ce mobilier si prosaïque et si intime de nos chambres à coucher hissé à trois mètres du sol au dessus des fastes du saint autel provoque un sentiment de familière étrangeté : l'incongruité du spectacle déstabilise l'esprit et crée la meilleure disposition à l'éveil spirituel qu'il soit : le questionnement. 

   Tout en effet opposeraient les certitudes religieuses qui affirment des réponses, avec l'ouverture spirituelle, qui pose des questions et stimule la méditation sur les mystères de l'existence. 

  Or le visiteur -ou le fidèle- n'est pas au terme de sa surprise quand il constate que dans ce lit de Grand-Mère de Chaperon rouge, seules émergent de la couette deux têtes couronnées comme des communiantes, celle de la Vierge et celle de l'Enfant. Les questions reprennent, on cherche à savoir s'il s'agit de deux statues entières, et, le cas échéant, quelle tenue les habille. La Mère est-elle (quoique que cela n'apparaisse pas) en cours d'allaitement comme à Lanrivain ? Bref, l'esprit curieux souhaiterait savoir comment c'est fait. Mais la réponse, qui doit être accessible au sacristain ou aux bonnes âmes de la paroisse qui viennent faire le lit, ou encore aux spécialistes d'art sacré de l' Inventaire Culturel, n'est donnée nulle-part (je le croyais : voir infra).

 

 

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        Le visiteur trouve dans la chapelle un extrait du livre de l'abbé Le Clech, qui fut recteur de Ploulec'h de 1934 à 1956, dans lequel il défend la thèse d'un culte préchrétien voué à Cybèle, concession de l'occupant romain soucieux de flatter une population celte enseignée par les Druides et attendant "la Virgo paritura, la vierge qui doit enfanter". Dans un temple bâti sur l'emplacement de l'actuelle chapelle, on adorerait la Mère des dieux et la déesse de la terre sous forme d'une femme couchée allaitant son enfant. Puis lors de l'évangélisation de la région par des émigrants venant de la Bretagne insulaire (VIe siècle), les moines ou prêtres auraient repris ce culte d'une vierge allaitante et alitée pour représenter la Vierge et son Fils. Enfin, à la Renaissance, un retable aurait donner de cette Vierge  la représentation que nous connaissons.

        Mais Georges Provost , maître de conférence en histoire à Rennes 2 (Un lieu saint et ses représentations, le Yaudet Ann. Bret. Pays Ouest 110-2, 2003) a souligné les faiblesses scientifique de cette interprétation. Il indique aussi  que dès 1778, un clerc du Trégor écrivait que cette Vierge "pourrait être une effigie d'Isis".

     Surtout ce prêtre la décrit "couchée dans sa longueur, allaitant l'Enfant-Jésus, et toutes les marques caractéristiques d'une nourrice sont à découvert" Cela indique bien que ce couvre-lit n'est venu recouvrir jusque sous le menton la mère et l'enfant qu'après cette date, et qu'à l'époque, la Vierge donnait bien le sein à l'Enfant. L'auteur confirme son information lorsqu'il écrit : "Or, Isis ou la terre était ordinairement représentée sous la figure d'une femme en couche et d'une nourrice donnant la mamelle à son enfant". 

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Une vue rapprochée montre que les visages, malgré leurs yeux bleus, ne sont pas très beaux et que leur facture est assez grossière. On verra que saint Joseph, assis au pied du lit comme n'importe quel père dans une chambre de maternité, n'a pas l'oeil plus vif. Les trois personnages semblent plongés dans leur pensée, dans un monde onirique de lourd malaise. 

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  Celle qui est la plus gracieuse est la colombe qui vole au plafond, sous le ciel-de-lit. Elle ne surprend pas le spectateur, qui connaît les conventions et sait qu'il a affaire au Saint-Esprit, mais là encore pourtant, le volatile est un peu trop naturalisé, trop bien plumé pour être pris au sérieux: la ficelle est trop grosse, et une fois de plus l'esprit vacille face à un élément trop familier pour le conduire vers les sommets théologiques. L'effet de confusion et de trouble se poursuit.


 

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  Qui est le personnage assis ? Un  psychanalyste au pied du divan, absorbé en attention flottante dans l'écoute bienveillante de sa divine patiente avant de transcrire de son pencil phallique des notes sur son calepin ? Sans-doute pas.

 Les uns y voient Isaïe venu constater la réalisation de sa prophétie, "Voici qu'une Vierge enfantera...".

  Les autres, et notamment l'abbé Le Clech dans sa monographie, y voient Dieu-le-Père, assis sur un trône,  en royauté avec le sceptre, la couronne et le manteau de pourpre, tenant "le livre de la généalogie". Il compléterait ainsi la Trinité avec le Fils, dans le lit, et le Saint-Esprit, en vol.

  Néanmoins, en comparant ce retable avec celui de Lanrivain et celui de Kergrist, ou avec les Nativités à Vierge alitée de La Martyre ou du Folgoët, je pense que l'hypothèse qu'il s'agisse à l'origine de saint Joseph ne peut être écartée : la couronne a été manifestement rajouté au dessus d'un bonnet à poil court. Le sceptre n'est peut-être pas non plus d'origine. Dieu le Père aurait un visage plus noble, une barbe plus fleurie, une posture plus digne, et ne serait pas placé à une place subalterne sur cette scène. Et si on voit cette Vierge Couchée comme une forme de Nativité, la présence de Joseph est bien naturelle.

 Je fais observer que le personnage est placé, avec son fauteuil, sur un piedéstal d'une trentaine de centimètre et domine d'autant le plan du lit.



 

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La Vierge en couche en carte postale :

Deux cartes postales visibles en ligne nous montrent que la literie et l'encadrement de l'alcôve ont pu varier librement au cours du XXe siècle, avec un lit proche de la baignoire en sabot, bonne occasion d'étudier l'évolution des styles et du goût. ; mais dans tous les cas, la vierge en gésine et son enfant restent soigneusement emmitouflés: 

http://www.notrefamille.com/cartes-postales-photos/cartes-postales-photos-La-Vierge-couchee-22300-LE-YAUDET-22-cotes-d-armor-151406-67440-detail.html

Cartes Postales Photos La Vierge couchée du Yaudet 22300 LANNION cotes d'armor (22)

 

 

Cartes Postales Photos La Vierge couchée 22300 LE YAUDET cotes d'armor (22)

 

 

IV. Les autres statues de la Vierge.

  De même qu'à Lanrivain pour N.D. du Guiaudet ou à Kergrist, ce n'est pas la Vierge Couchée ancestrale et fondatrice qui reçoit la dévotion des fidèles, et Notre-Dame du Yaudet prête son nom, dans une dualité ambiguë, à l'une des trois vierges couronnées, voilées, debout, et très conformes aux stéréotypies et aux impératifs moraux du XIXe -début XXe que l'on découvre ici alignées sur leur brancard de procession. Ces productions sulpiciennes de plâtre ou de métal (pour la plus petite) piétinent un serpent de la faute originelle pour témoigner du dogme de l'Immaculée Conception.

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  Ce sont elles qui seront honorées lors du pardon, elles qui seront implorées, elles qui recevront les cantiques bretons qui leur sont dédiés et que l'on trouve affichés dans la chapelle :

Gwerz Koz ar Yeodet : Ni ho salud, Stereden-Vor / Mamm da Zoué , leun a enor : / Gloar d'ar Werc'hez er Goz-Yeodet / Heulodi d'he Mamm binniget ! Nous vous saluons, Étoile de la mer, Mère de Dieu, pleine de grâces. Gloire à la Vierge du Koz-Yeodet, Louange à sa mère bénie ! 

Kantik Neve En enor da Itron Varia-Yeodet : Itron Varia ar Yeodet, Biskoas deu aman neus pedet/ Neus ho pedet a galon vad / hep kaout diganec'h he veunad.

Ar Yeodet na vo biken paour / Ar Werc'hez gant he c'halon aour : / ar chom aman hag a chomo / vit hon enor ha mad ar Vro.

En l'honneur de Notre-Dame du Yaudet : Jamais personne ne pria ici, ne pria ici de tout son coeur Sans obtenir sa demande. Le Yaudet ne sera jamais pauvre, la Vierge avec son coeur d'or reste ici et restera pour notre honneur  et le bien du Pays.

 

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V. Les ex-voto :

http://www.ex-voto-marins.net/pages/lieupage22Ploulech-le-Yaudet.htm

 

1. Les maquettes de quatre navires à voiles de la première moitié du XXe siècle sont suspendues dans la nef, avec un dispositif permettant de les descendre pour les porter en procession.    

  Les maquettes ont été restaurées avec soin, si on compare ces images à celles, qui dateraient de 2004, de l'Inventaire Régional des Affaires Culturelles de Bretagne ici : http://patrimoine.region-bretagne.fr/sdx/sribzh/main.xsp?execute=show_document&id=PALISSYIM22004012

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Une goelette à huniers, armée de 22  canons en une batterie. Navire de grande pêche ou de cabotage.

 

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     Trois-mats barque à dunette armé de seize canons. Selon l'Inventaire régional il naviguerait à la grande pêche ou au cabotage.

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      Trois-mats goelette à cul rond, navire de grande pêche ou de cabotage portant l'inscription  MARIE LANNION

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   Seul navire du guerre, un trois-mats barque à trois ponts dont les batteries comptent de 11 à quatorze canons, soit 80 canons, (un vaisseau de ligne de 2ème rang ?)  doté d'un discret château arrière sur lequel est inscrit dans un cartouche à la place du nom et du quartier maritime les mots "Act A Ste VIERGE ".

   Restaurée en 1989 et utilisée comme maquette de procession lors du pardon, où elle est alors pavoisée et  portée par des marins de la Marine Nationale en uniforme. Les autres maquettes, également gréées du grand pavois, sont portées par des enfants ou des hommes, et les statues de la Vierge par des femmes.

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2.  Paquebot transatlantique (en service dans la première moitié du XXe siècle).

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3. Trois-mats barque à l'étrave inversée, en boite à vitrine .

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4. Dans la sacristie se trouverait aussi la maquette d'un trois-mats goelette à propulsion mixte sous un globe en verre.

VI. Les bannières :


1.) Bannière de sainte Anne et de N.D. de Yaudet:

Zantez Anna Mam ar Vretouned Pedet Evidomp, " Sainte Anne Grand-mère des Bretons Priez pour nous."

La bannière représente l'Éducation de la Vierge, où sainte Anne apprend à lire (et transmet les Saintes Écritures vétérotestamentaires) en présentant un livre ouvert à sa fille.

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Itron Varia Goz-Yeoded Diwallet Hon Zoudardet Hag Hon Varteloded.

  La bannière présente cet intéret de reprendre la représentation de la Vierge couchée du rétable, dans un lit à baldaquin dans l'ouverture duquel s'envole l'Esprit-Saint, alors que saint Joseph, assis au pied du lit et tenant un livre, regarde la mèer et son enfant. C'est donc un nouvel exemple iconographique de ce thème, traité de façon originale.

  Je ne peux dater cette bannière, mais la mention de Goz-Yeodet indique sans-dooute l'influence de l'abbé Le Clech, recteur de Ploulec'h depuis 1934, et auteur d'une monographie sur le Yaudet qui mentionne l'appellation celte Koz Yeoded (le vieux Yeodet) du site.

Je traduis l'inscription ainsi : "Sainte Marie du Yaudet Protectice des soldats et des marins".

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2) Bannière de saint Pierre et saint Paul.

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Détail de passementerie : 

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3) Bannière de sainte Anne

Ste Anne Protégez nous.

Sainte Anne, couronnée, se penche vers l'enfant couronné également (la Vierge, ou Jésus).

  Cette deuxième bannière vouée à sainte Anne souligne l'importance de ce culte étroitement associè à celui de la Vierge couchée : dans les deux cas, c'est la Maternité qui est célébrée.


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Monogramme A M.

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Published by jean-yves cordier

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  • : Le blog de jean-yves cordier
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