Groupes dits de Sainte-Anne Trinitaire :
l'ensemble de la vallée de l'Aulne
Introduction.
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La Bretagne voue à Sainte-Anne un culte si particulier qu'on a pu qualifier la mère de Marie de Mamm goz ar Vretoned, "grand-mère des bretons" ( Job an Irien et Y.P. Castel, Santez Anna, mamm goz ar Vretoned, Sainte Anne et les Bretons Minihi Levenez, 1996). Si la dévotion des bretons est devenue considérable après que la sainte soit apparue en 1623 à Yves Nicolazic, date de fondation du sanctuaire de Sainte-Anne d'Auray et de son pèlerinage, elle est très antérieure à cette date et remonterait au VIe siècle. Certes le prénom Anne (Anna en breton) n'apparaît pas en Bretagne avant le XVe siècle et le prénom de la Duchesse Anne (1477-1514) lui aurait été transmis par Anne de Beaujeu. Certes encore le prénom de la mère de la Vierge ne lui était pas attribué avant le VIIIe siècle, et si en 1381 Urbain VI autorisa sa fête pour toute l'Angleterre, ce n'est qu'en 1584 que Grégoire VIII fixa sa fête au 26 juillet pour toute la chrétienté. En 1622, Grégoire VX en faisait un fête chômée, et les apparitions à Nicholasic commencèrent l'année suivante.
Les statues qui vont être étudiées sont du XVIe siècle, et donc antérieures à cette date charnière de 1622. Elles représentent trois personnages groupés, Sainte Anne, la Vierge et l'Enfant-Jésus, sous le nom de groupe d' Anne trinitaire (ou Trinités mariales) représentation qui n'est pas, loin s'en faut, propre au Finistère. Mais le long de la moyenne vallée de l'Aulne, sur une quarantaine de kilomètres entre Carhaix et Châteaulin, sept groupes rassemblent des caractéristiques qui incitent à les considérer comme un ensemble cohérent. Géographiquement, ce Bassin de Châteaulin traversé par l'Aulne après sa rencontre avec son affluent l'Hyère, est une dépression entre Monts d'Arrée au nord et Montagnes Noires au sud, ancien golfe marin aux riches terres sédimentaires, qui offre des paysages doucement ondulés sillonnés de vallons verdoyants, alternant les prairies et les champs, les haies plantées, et le cours paisible du fleuve.
De l'ouest à l'est, de Châteaulin à Saint-Hernin, 7 groupes trinitaires peuvent y être relevés, même si on est tenté d'y ajouter quelques autres exemples excentrés (8 à 10) :
1. Châteaulin, chapelle Notre-Dame.
2. Lothey, église du Vieux-Bourg.
3. Gouezec, chapelle de Tréguron.
4. Saint-Thois, église St-Éxupère.
5. Saint-Gouazec, Le Moustoir, chapelle de la Madeleine.
6. Châteauneuf-du-Faou, église Saint-Julien.
7. Saint-Hernin, ossuaire.
8. Edern, chapelle Notre-Dame de Hellen (idem).
9. Daoulas, chapelle Sainte-Anne.
10 Quéménéven, fontaine de Kergoat.
En 1991, Guy Leclerc publia une première étude du groupe de Châteaulin et énuméra les différents exemples de l'Ensemble de la Vallée de l'Aulne dans Bulletin de la Société Archéologique du Finistère (pp 150-154).
En 2005, le même auteur, actuel vice-président de la Société Archéologique du Finistère, publiait dans le Bulletin (Bull.S.A.F. Tome CXXXIV, pp 68-72) un nouvel article indiquant l'origine flamande du modèle.
Caractères communs :
les caractères qui sont communs à ces groupes statuaires sont :
- la position assise de sainte Anne et de la Vierge,
- La taille presque semblable d'Anne et de Marie, mais avec une différence au profit d'Anne,
- La coiffure d'Anne, constituée par, un voile,
- la présence d'au moins un de ces objets : fruit, livre, globe terrestre.
- les dimensions générales du groupe, avec une hauteur proche de 1,30m.
Seule la statue de Châteauneuf crée un écart, la Vierge étant de taille trés inférieure à celle de sa mère.
Le matériau n'est pas le même pour tous, le groupe de Châteaulin étant en pierre, et celui de Lothey en bois.
La signification religieuse et spirituelle, qui fait tout l'intérêt de ces sculptures, provient de la circulation qui s'établit entre les trois personnes par le biais "d'objets transitionnels", si on peut emprunter à Donald Winnicot et détourner cet élément essentiel de la relation mère-enfant : dans chaque groupe, la grappe de raisin, symbole eucharistique du don que Jésus devra faire de sa chair, la pomme, rappel de la pomme de la Genèse, mais aussi du sein maternel nourricier, le globe terrestre, symbole de la descente du Dieu sauveur pour le rachat de l'humanité, et le livre, symbole du Verbe et aussi du passage de l'Ancien au Nouveau Testament, créent une dynamique de don et de contre-don, et témoignent de la chaîne de transmission suivante :
- Dieu a envoyé son ange à Anne et Joachim pour donner la vie à Marie
- Dieu a envoyé son ange à Marie pour qu'elle porte Jésus,
- Jésus a donné sa chair et son sang pour sauver l'humanité
- le Verbe ou le message évangélique continue à être délivré par l'intercession agissante des deux femmes.
1. Châteaulin, chapelle Notre-Dame :
Jésus tient la pomme dans la main droite, et tend la main gauche vers la grappe de raisin présentée par Anne, alors que Marie guide le bras et participe ainsi, véritable co-rédemptrice, à réaliser le dessein de Dieu. Anne tourne la page des Livres Saints.
Les cheveux d'Anne sont couverts par un voile qui les circonscrits, alors que ceux de Marie, couronnée, ruissellent librement comme une source productive.
2. Église du Vieux-Bourg, Lothey :
L'église du Vieux Bourg à Lothey : Anne trinitaire.
Bois polychrome, XVIe
La pomme est absente et Jésus tend la main vers le bras de sa mère comme pour rechercher son soutien ; un triangle est formé par les trois mains qui se rejoignent autour du dessein eucharistique représenté par la grappe mystique.
3. Chapelle Notre-Dame de Tréguron, Gouezec :
Vierges allaitantes I : N.D de Tréguron à Gouezec, la chapelle et ses saints.
C'est ici le livre qui est au premier plan, représentant d'abord le rôle d'apprentissage rempli par Anne, qui est pleine de vie et très présente : la prévalence de la grand-mère comme éducatrice non seulement de la Vierge, comme dans les duos nommés Éducation de la Vierge, mais aussi de l'Enfant rédempteur, ouvre des perspectives nouvelles.
Ici, les trois mains se rejoignent autour de Livre, Biblos, pour rappeler que le Christ est le Verbe qui s'est fait chair. Le globe terrestre rappelle cette incarnation qui est descente sur la terre du Très-Haut.
Sur le socle, les deux paires de pied sortant comme sous un rideau de scène de l'étoffe des robes soulignent, avec un leger effet comique, la solidarité féminine entre mère et fille dans le jeu des ressemblances mutuelles.
4. Saint-Thois, église St-Éxupère :
L'église Saint-Exupère de Saint-Thois : les statues; le manipule.
Le visage de sainte Anne garde la vivacité du groupe précédent, et les mêmes coussins se retrouvent également. Pourtant, malgré la proximité des statues deTréguron et de Saint-Thois, le livre a ici disparu, pour recentrer le message autour de l'eucharistie. Anne a nourri sa fille, Marie a allaité Jésus, le Christ donne son sang, dans un grand flux de générosité sacrificielle et salvatrice. La pomme parle de l'ambivalence de ce fruit qui est à la fois symbole du péché et de la sexualité, car ce fruit introduit Éve et le Malin dans la dramaturgie du Salut, mais qui est à la fois Le fruit par excellence, la fructification, le don productif et la transmission de la Vie.
5. Église Saint-Julien, Châteauneuf-du-Faou :
L'église Saint-Julien et Notre-Dame à Châteauneuf du Faou.
La scène est plus étrange et déroutante par son coté irréaliste voire fantastique où l'ancêtre tient sa fille et son petit-fils comme deux poupées, deux marionnettes qu'elle semble mettre en scène autour d'un livre, ce qui crée une situation d'égalité de Marie et de Jésus. Si on oubliait l'identité des personnages, on pourrait voir deux enfants apprenant à lire, un frère et sa grande soeur. Il faut par un effort rétablir l'interprétation correcte et y voir Marie apprenant à lire à son fils sous le regard d'Anne.
Ce qui est troublant sur le plan théologique retrouve toute la force de l'expérience vécue lorsqu'on pense qu'aux yeux d'une grand-mère, sa fille devenue mère reste toujours son enfant, reste toujours sa petite fille.
Là encore, le jeu des pieds est drôle à observer, avec les petits pieds sur les petites jambes de l'Enfant-Jésus, les moyens pieds sur des moyennes jambes de la Mère de Dieu, et les grands pieds sur des grandes jambes de la grand-mère.
Par rapport aux groupes où les deux femmes adultes ont à peu-prés la même taille, que j'intitulerai de type I, je nommerai type II cette disposition où Marie adulte puisque mère est représentée avec une taille d'enfant proportionnellement à sa mère.
6. Chapelle de la Madeleine, le Moustoir à Saint-Goazec
http://fr.topic-topos.com/groupe-de-sainte-anne-saint-goazec
Il s'agit donc d'un exemple de mon "type II".
L'effet de drôlerie involontaire est encore accentué par le caractère naïf et presque maladroit de ce groupe, par la grimace d'Anne, par la couronne posée de guingois sur la tête de Marie.
J'ai mentionné trois personnages, et trois objets, le livre, la grappe et la pomme/globe. Mais il existe un quatrième objet qui est le siège sur lequel Anne est assise. Si on s'interroge sur son rôle, on réalise qu'il joue, par sa raideur hiératique, celui de trône, et qu'il doit provenir des lointains héritages pré-chrétiens avec des Déesses-Mères, des grandes figures tutélaires de la féminité réunissant les significations de Déméter, de Cybèle et d'Astarté. On décrit ainsi "Cybèle assise majestueusement sur un trône, vêtue d'un chiton et d'un himation, et, en tant que déesse chtonienne, portant sur la tête le calathos. Comme protectrice des villes, elle porte une couronne en forme de tour crénelée" (in Divinités d'Asie Mineure sur le littoral de la Mer Noire, M.M. Kobylina, 1976)
7. Ossuaire de Saint-Hernin.
Ce groupe est cité par Guy Leclerc dans son article de 1991.
Il est décrit ainsi (Inventaire Général des Monuments, Carhaix-Plouguer p. 70) : Groupe : Sainte Anne enseignant à lire à la Vierge enfant, debout et couronnée ; sainte Anne assise, tient l'Enfant Jésus bénissant et portant le globe, sur son genou gauche, et écrase sous ses pieds une femme aux seins nus, à queue de serpent, tenant une pomme. Fin XVIIe (Catalogue National des Arts et Traditions populaires, juin-sept. 1951). Bois, polychromie, h. 1,32. Sur le livre, inscription : "STE ANNE PRIEZ POUR NOUS LE 21 JLET 1870. DÉPART DES SOLDATS POUR PRUSSE"
(M.H. 1931) A rapprocher du groupe des Vierges terrassant des Éves-serpents. Provient de l'ossuaire de Saint-Hernin.
Je n'ai pu le visiter qu'en août 2012 : La sainte Anne Trinitaire de Saint-Hernin (29) et la guerre de 1870.
8. Chapelle Notre-Dame à Edern
http://catholique-quimper.cef.fr/images/stories/bibliotheque/pdf/pdf_notices/edern.pdf
Je n'ai pas trouvé l'occasion de me rendre dans cette chapelle, qui n'est ouverte que sur demande.
9. Chapelle Sainte-Anne à Daoulas.
La chapelle Sainte-Anne à Daoulas.
Bien que ce groupe à trois personnages soit bien différent de ceux de l'Ensemble de la vallée de l'Aulne puisque les trois personnes sont sculptés en statues indépendantes, il me semble intéressant de l'inclure dans cette étude par la présence du tabernacle remplaçant ici la grappe de raisin avec la même signification : la même dynamique s'établit en une vaste boucle des bras et des mains, des corps et des regards, boucle qui inclut l'assemblée des fidèles, et l'humanité entière ; les deux femmes participent à part entière au geste rédempteur de l'Enfant bénissant et portant le Monde, alors que, invisible, montré-caché, le Corps eucharistique du tabernacle sert de point d'appui et de base de sa Royauté.
10. Quéménéven, Fontaine de la chapelle de Kergoat :
La fontaine est particulièrement émouvante à découvrir car il faut s'écarter du bourg de Kergoat, longer des champs, pénétrer dans un bois aux troncs moussus vénérables et s'imbiber de forces telluriques et aquatiques très prégnantes avant de découvrir, dans un décor de fées des romans arthuriens, ce groupe de pierre finalement très altéré, mais où l'on retrouve bien le triangle du Don autour des mains, de la grappe, de la pomme et du livre Anne tourne la page des Livres Saints
AUTRES EXEMPLES EN FINISTERE:
11. Église Notre-Dame à Collorec
Statue en bois polychrome, mauvais état. h = 1,25 m, 17e : Sainte-Anne est assise, tenant la Vierge et Jésus sur ses deux genoux comme deux enfants ; Marie, couronnée, tient le livre qu'elle semble présenter à son fils, lequel tient un globe terrestre d'une main et bénit de l'autre.
C'est un autre exemple de type II.
12. Chapelle Sainte-Anne à Lampaul-Guimiliau :
http://fr.topic-topos.com/sainte-anne-trinitaire-lampaul-guimiliau
Ce groupe fait exception car Marie y est représentée plus grande que sa mère, dans une scène pleine de vie mais où aucun objet n'ajoute une signifcation symbolique.
C'est aussi le premier groupe où les personnages sont représentés debout.
13. église de La Martyre
Ce sera le deuxième exemple où Anne et Marie sont debout. Pas de livre, pas de grappe, mais un globe terrestre brandi par l'Enfant.
14 Eglise de Saint-Sauveur (29)
Un groupe assis, de type II intermédiaire, avec le livre et la pomme/monde.
Je remarque que dans les types II, sainte Anne englobe Jésus et Marie de ses bras, et qu'elle ne participe plus dés lors à la présentation des attributs.
15. église Saint-Nonna de Penmarc'h:
La statue est bien abimée, il semble que la tête de l'Enfant ait été recollée à l'envers, mais ce nouvel exemple de type II m'a semblé particulièrement émouvant.
16. Chapelle Saint-Diboan, Trémeven :http://fr.topic-topos.com/groupe-de-sainte-anne-trinitaire-tremeven-pays-de-quimperle
Un type II très simple où les trois personnages sont placés l'un derrière l'autre par ordre de taille, et où Anne pose les mains d'un geste émouvant car très maternel sur les épaules de sa fille?
17. église Saint-Pierre, Riec-sur-Belon :http://fr.topic-topos.com/sainte-anne-trinitaire-riec-sur-belon
Un groupe qui fait exception puisque sainte Anne, tenant un livre dans son rôle d'éducatrice, entoure de son bras droit Marie qui est représentée en Vierge allaitante.