La charpente sculptée de l'église de Pleyben : les 20 abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). De singuliers acrobates avec entraves.
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1°) Voir sur l'église de Pleyben :
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Les deux Vierges de Pitié (kersantite, v. 1555) de l'arc de triomphe (1725) de l'église de Pleyben.
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L'intérieur du porche sud (1591) de l'église de Pleyben, son Christ sauveur (1654) et ses apôtres.
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2°) Sur les chapelles de Pleyben :
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La chapelle Notre-Dame de Lannelec à Pleyben. Deuxième partie : Sainte-Barbe .
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La chapelle Saint-Laurent en Pleyben. L'édifice (XVIe, 1662, 1731, 1776, 1808,...).
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La chapelle Saint-Laurent à Rozalghen en Pleyben. Le calvaire (Bastien Prigent, vers 1555).
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La chapelle de la Trinité de Lanridec en Pleyben.
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3°) Sur la charpente de l'église de Pleyben :
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La charpente sculptée de l'église de Pleyben par le Maître de Pleyben. I. La croisée du transept et ses Sibylles. Les abouts de poinçon.
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La charpente sculptée de l'église de Pleyben (1571) par le Maître de Pleyben : le transept sud.
Sur les réalisations du Maître de Pleyben (1567-1576), attribution par S. Duhem :
Attribution personnelle possible au Maître de Pleyben : Bodilis, Saint-Sébastien, et Roscoff.
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Les sablières de l'église de Bodilis. I. La scène des semailles et du labour (anonyme, 1567).
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Les sablières de l'église de Bodilis. III. Le coté nord de la nef.
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Les sablières de l'église de Bodilis. IV. Le coté sud de la nef. (Maître de Pleyben, 1567-1576).
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Les entraits sculptés à engoulants (1567-1576) de la nef de l'église de Bodilis.
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La chapelle Saint-Sébastien en Saint-Ségal : les sablières et blochets.
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— Et enfin :
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PRÉSENTATION.
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Le but de cet article est d'approfondir l'étude des abouts de poinçon ( voir définition et schéma ici), ces parties sculptées verticales de la charpente qui rythment le haut des lambris et qui échappent souvent à notre curiosité déjà bien absorbé par l'examen des sablières et des blochets. À Pleyben, leur nombre est considérable, je me limite au bras sud du transept.
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À Pleyben, comme à Bodilis et sur d'autres charpentes du Maître de Pleyben et d'autres charpentiers "ymagiers" (Saint-Tugen à Primelin, Grâces à Guingamp, La Roche-Maurice), ces abouts de poinçon réservent de belles surprises à l'amateur de figures profanes et truculentes.
Ici, c'est particulièrement le motif de l'acrobate qui est richement traité, dans sa posture en renversement, bien adaptée à la forme ramassée de l'about de poinçon : le corps forme un arc de cercle et les jambes se positionnent derrière le dos, les pieds contre les épaules.
Une posture paradoxalement proche, car tout aussi compatible avec la forme de l'about, est finalement celle de l'ange saisi en vol, lui aussi avec les genoux repliés et les pieds à la hauteur des épaules.
Si bien que parmi les 20 abouts de poinçon du bras sud du transept, on dénombre, outre 6 fleurons et 1 vieillard lubrique, 6 anges, et 8 personnages en posture acrobatique.
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Mais ce qui fait l'originalité des acrobates de Pleyben, c'est qu'ils utilisent, pour beaucoup d'entre eux, un appareillage d'entrave, complexe et insolite, des jambes.
Je n'ai pas trouvé d'autres exemples de ces entraves ailleurs, ni pour la période contemporaine (Renaissance), ni pour la période médiévale dans l'art roman ou gothique. Ces particularités n'ont pas été signalées par les auteurs cités en bibliographie.
C'est dire l'intérêt majeur de ces figures. Mais leur examen est difficile, car, pour les observer, il faut multiplier les points de vue dans l'église.
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Liste ( en partant de la périphérie de la croisée) :
20. Le masque : homme à bonnet rouge à rabats se caressant la barbe.
19. Ange tenant un cartouche à cuir découpé à enroulement avec une inscription peinte de 1858.
14 à 18 : fleurons.
13. Ange en robe bleue jouant d'un luth à trois cordes.
12. Deux musiciens (trompette et battement de mains) ayant les pieds entravés par un joug.
11. Acrobate aux chevilles liées et se tenant à un baquet blanc.
10. Fleuron percé de deux orifices (suspension).
9. Acrobate ou contorsionniste sur un chevalet complexe.
8. Ange tenant un panneau ovale : ébauche de luth ?
7. Ange à robe bleue ourlée d'or, bras croisés sur la poitrine.
6. Deux hommes (acrobates) liés par la taille, tenant chacun un gourdin et saisissant de l'autre main leur cheville.
5. Ange aptère à jupe bleue et or jouant (??) d'une trompe (brisée).
4. L'acrobate bleu et brun tenant sa cheville dans une pince.
3.L'ange à la tunique vert-d'eau et aux ailes dorées.
2. Un fleuron
1. Le joueur de percussion.
Sur la figure de l'acrobate, voir :
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Sur les acrobates sculptés en pierre sur les crossettes ou les porches :
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L'acrobate inconvenant et sa femme, sous le porche de l'église du Juch.
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Avec du citron ! Les poissons du porche sud de l'église Saint-Nonna de Penmarc'h.
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Les crossettes et gargouilles de l'église de Confort-Meilars.
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L'église de Goulven, son ossuaire, sa maison du XVIe. I. Les crossettes.
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Les sculptures extérieures de l'église de Guengat. Gargouilles, crossettes, inscriptions et cloches.
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L'église Saint-Salomon de La Martyre. IV. L'ossuaire, les inscriptions et les crossettes.
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La Collégiale Notre-Dame du Folgoët VI : les crossettes du Doyenné.
—Les acrobates sculptés en bois sur les charpentes ou les miséricordes:
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Quelques pièces sculptées de la charpente de l'église de Grâces à Guingamp. Les abouts de poinçons.
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La Collégiale Notre-Dame du Folgoët VI : les crossettes du Doyenné.
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Le jubé de la chapelle Saint-Fiacre du Faouët. II. Le coté du chœur.
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La charpente sculptée de l'église Saint-Yves de La Roche-Maurice. Les abouts de poinçon du chœur.
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Les stalles de la cathédrale de Tréguier : les miséricordes.
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La chapelle Saint-Sébastien en Saint-Ségal : les sablières et blochets.
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Le couronnement de l'escalier du palais épiscopal de Quimper et ses 24 sablières.
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Des cathèdres médiévales abandonnées aux vrillettes en l'église Notre-Dame de Roscudon à Pont-Croix.
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L'église de Goulven IV : la tribune d'orgue, ancien jubé du XVIe siècle.
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Les crossettes de l'église Notre-Dame-de-Croas-Batz à Roscoff.
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Les stalles de l'église Notre-Dame de La Guerche-de-Bretagne. IIa, le coté nord, les miséricordes.
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La charpente sculptée (sablières et abouts de poinçon) de la chapelle Saint-Tugen de Primelin.
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Les sablières de la nef centrale de l'église Notre-Dame de Grâces (22).
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L'enclos paroissial de Saint-Herbot en Plonevez-du-Faou IX. Les 15 stalles et leurs miséricordes.
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Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
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20 Le masque : homme à bonnet rouge à rabats se caressant la barbe.
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La figure du vieillard se caressant la barbe est déjà présente dans les modillons romans, son geste passant comme lubrique. Elle est largement reprise dans la sculpture sur pierre et sur bois du XVe siècle.
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Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
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19. Ange tenant un cartouche à cuir découpé à enroulement avec une inscription peinte.
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L'inscription indique :
PEINT EN 1858 PAR PIERRE SAVARY GOURMELIN BATISTE.
Je n'ai pu trouver des renseignements sur ces peintres. Ils ont repeint les sculptures qui restent, elles, du XVIe siècle.
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L'ange est aptère, j'aurai pu le décrire comme une jeune femme en corsage jaune à manches courtes très bouffantes et jupe bleue. Les manches rappellent fortement celles des anges qui tiennent les cartouches des sablières des années 1571.
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Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
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14 à 18 : fleurons.
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Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
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13. Ange en robe bleue jouant d'un luth à trois cordes pincées.
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L'instrument est représenté de façon schématique (luth, guiterne, mandore/mandole...), sans ouïe, sans chevillier, mais le geste des deux mains est précisément rendu, notamment pour la main droite pinçant la corde basse entre pouce et index, sans plectre.
La femme est si gracieuse que je la qualifie d'ange, d'autant que ses manches courtes, amples, bouffantes en plis concentriques sont semblables à celles des anges présentant, sur les sablières de Pleyben, Kerjean et Sainte-Marie-du-Menez-Hom, les cartouches.
Son cou tendu, son visage inspiré rendent presque audible son jeu.
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Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
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12. Deux acrobates, l'un jouant de la trompette et l'autre battant la mesure, ayant les pieds entravés par un joug.
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C'est l'une des figures énigmatiques d'acrobates ; les deux personnages portent des bonnets et sont imberbes et joufflus, ils sont fusionnés comme des siamois, si bien qu'ils ont en commun une seule paire de jambes, à pantalons blancs et pieds nus : ce sont ces jambes qui sont réunis par une entrave verte, dont on perd le contour.
Les couleurs des coiffures (verte et jaune) et des plastrons (jaune et verte) sont croisés, et ce mélange de couleurs assez mal vues dans la société, du moins médiévale (cf. Michel Pastoureau) renforce l'idée que ces musiciens sont des saltimbanques.
Du bassin du personnage vêtu de jaune part un rouleau enroulé en tours de spires, comme une couverture roulée, dont il est difficile de comprendre la signification.
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Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
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11. Acrobate aux deux chevilles liées, tenant un baquet blanc.
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Nouvelle énigme avec ce personnage barbu, à la tête engoncée dans les épaules et aux grands yeux au regard lourd, qui, vu de face, semble tenir sous lui par des poignées une sorte de baquet blanc à flanc crénelé.
Vu de l'arrière, les jambes apparaissent très fléchies derrière les épaules, et les chevilles sont entravées par un joug bilobé dont on perd, vers le dos, le contour.
Le personnage porte un pantalon troué au niveau des genoux par des taillades.
La couleur verte de cet acrobate n'est pas innocente et souligne sa marginalité ; mais les couleurs d'origine ont-elles été retrouvées et respectées lors de la restauration de 1858 ?
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Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
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10. Fleuron, percé de deux orifices (suspension ?).
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Ce fleuron peut servir de poulie pour la suspension d'un lustre, ou d'un accessoire liturgique.
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Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
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9. Acrobate ou contorsionniste.
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La tête de cet acrobate est semblable à celle du précédent : barbe en bouc et grands yeux lourds. Elle est encadrée par deux bras nus, qu'on peine à rattacher au reste du corps, peint en vert. En arrière, deux jambes nues s'achèvent par des pieds en position peu anatomique, tournés vers l'intérieur, et dont la pointe s'appuie (ou est bloquée) par un chevalet qui se prolonge vers les bras.
Est-ce là la performance d'un contorsionniste ?
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Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
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8. Ange tenant un panneau (ou instrument ?) ovale.
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Cet ange (ou du moins cette femme, saisie en vol avec sa robe modelée par l'élan) est proche de celui de l'about n°13, et ce qu'il porte sur lui est sans doute l'ébauche d'un luth : on retrouve le geste assez précis de pincement des cordes.
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Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
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7. Ange à robe bleue ourlée d'or, bras croisés sur la poitrine.
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Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
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6. Deux hommes (acrobates) liés par la taille, tenant chacun un gourdin et saisissant de l'autre main leur cheville.
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On retrouve la couleur verte d'un des deux bateleurs. Ils sont tous les deux barbus, et vêtus d'une tunique à manches bouffantes aux épaules. L'un porte un bonnet, l'autre, vêtu de marron, est tête nue. Les jambes sont nues mais les pieds sont chaussés.
Ils s'écartent et semblent vouloir se frapper mutuellement de leur gourdin, même s'ils ne se regardent pas.
La jambe droite de l'homme en vert manque, comme par un phénomène de fusion.
Leur geste de préhension de leur cheville est si caractéristique des acrobates et autres personnages licencieux des monuments du XV et XVIe siècle qu'il leur est une sorte d'attribut. Dans le contexte de cette série, il peut passer pour une contrainte que s'impose les protagonistes pour faire preuve de leur virtuosité, comme, ailleurs, les entraves.
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Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
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5. Ange aptère à robe bleue et tunique or jouant d'une trompette (brisée).
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La jeune femme lève la main droite pour exprimer le message ou la convocation qu'elle diffuse en soufflant dans sa trompe. On retrouve les bras nus émergeant de manches courtes bouffantes des anges précédents.
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Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
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4. L'acrobate bleu et brun saisissant sa cheville grâce à une pince.
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Un acrobate apporte toujours avec lui ses valeurs ou contre-valeurs de rupture avec l'ordre conventionnel et de pratique ludique alors condamnée, comme le théâtre et les arts de tréteaux, par l'Église. Mais cette dernière tolérait cette transgression, et mieux, elle lui donnait une place, notamment dans les hauteurs de ses sanctuaires, sans que l'on puisse dire jamais si il s'agit d'un exutoire, d'une condamnation de Mal, ou d'une capacité à conjoindre les contraires pour mieux proclamer la gloire divine. Je renvoie à Michael Bakhtine et la carnavalisation médiévale, ou à la Fête des Fous instituée à la Sainte Chapelle pour les enfants de chœur, etc.,
Le geste de la préhension des pieds très fréquemment représenté sous forme de crossettes, et auparavant sous forme de modillons romans en sculpture sur pierre. Il possède manifestement une valeur érotique. Ici, notre acrobate réussit un spectaculaire renversement postérieur associé à une rotation du tronc, mais surtout, il s'impose deux contraintes : la préhension de sa cheville, du côté où il est tourné, mais aussi la préhension de la cheville gauche, plus éloignée, par l'intermédiaire d'une grande pince : un nouvel exemple d'entrave.
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Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
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3. L'ange à la tunique vert-d'eau et aux ailes dorées.
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Il vole, une main sur le chœur et l'autre dressée, inspirée et déclamative.
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Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
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2. Un fleuron vert et rouge.
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Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
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1. Le homme tenant un vase et une coupe.
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J'avais précédemment pensé qu'il s'agissait d'un musicien dansant en agitant des boites à rythme, car j'interprétais les objets blancs resserrés au centre qu'il tenait comme deux petits tambours, la partie évasée me semblant recouverte d'une peau. Je retrouvais le bonnet de musicien (voir le sonneur de cornemuse du blochet sud de la nef). La tunique bleu-gris est rayée sur le torse comme la livrée d'un domestique, serrée à la taille avant de se terminer par une fronce charmante, caractéristique du sculpteur (voir les anges présentateurs de cuir à Kerjean, par exemple).
Mais en multipliant les point de vues, je découvre qu'il tient dans la main droite un pichet saisi par une anse. Ce serait un joyeux buveur , et ce serait une coupe qu'il tiendrait de la main gauche pour la rapprocher de ses lèvres.
Il est, comme les acrobates et les anges, très cambré, ses jambes couvertes par la robe bleue atteignant l'arrière des épaules.
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Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
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0. L'élément central de la croisée : quatre anges du Jugement sonnant de la trompe.
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Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
Les abouts de poinçon du bras sud du transept (Maître de Pleyben, v.1571). Photographie lavieb-aile 2022.
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BONUS : L'ENTRAIT DE LA CROISÉE SUD ET SON NOEUD : DEUX ANGES, JAMBES ECARTÉES, DANS DES CUIRS À ENROULEMENT.
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Vue du côté sud.
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Vue depuis le centre de la croisée.
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DISCUSSION : LES ACROBATES DANS LES ÉGLISES : ACROBATIE ET ART SACRÉ.
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Lorsqu'on découvre un acrobate à l'intérieur ou l'extérieur d'un édifice religieux médiéval ou Renaissance, on tend à penser qu'il s'agit d'un élément anecdotique, une licence que s'est permis l'artisan , private joke ou pied de nez qui ne serait aperçu que des initiés et échapperait à l'attention du clergé, des pieux paroissiens ou aux commanditaires.
Ou bien, on les considère comme l'intrusion de la culture du monde laïc dans les sanctuaires (Keenan-Khedar 1986).
Ou encore, (C. Prigent), les acrobates, comme les jongleurs, les ivrognes, les joueurs de dès, les monstres diaboliques seraient placés là pour dénoncer les vices et instruire la postérité.
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Mais la répétition de ces acrobates dans la plupart des sanctuaires, le caractère parfois très ostensible de leur emplacement (même si, ici, les abouts de poinçon ne sont visibles qu'avec un bon éclairage et des jumelles), leur étroite association avec des anges, obligent à remettre en cause ces points de vue.
Il faudrait pouvoir remettre en cause nos jugements de valeurs et a priori acquis et formés par la fréquentation de monuments religieux décorés depuis plusieurs siècles (depuis le XVIIe siècle ?) pour admettre que ces acrobates témoignent d'une expression du sacré.
C'est très difficile puisque tous les auteurs ont souligné que les musiciens, les danseurs, les acteurs de théâtre et les saltimbanques étaient condamnés par l'Église.
Néanmoins, ce rapport entre acrobatie et expression sacrée est bien attestée dans le monde païen de l'Antiquité. L'examen de la réalité de ces liens pourrait nous inciter à une conversion de nos opinions. En outre, la fréquence de la présence des acrobates sur les modillons romans atteste de la précocité de leur représentation dans les édifices chrétiens.
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Je réunis ici les copié-collés du site de la BnF consacré à ce sujet (les illustrations sont accesibles par les liens) :
Au cours de la période Antique, à Sumer, en Égypte ou aux confins de l’Indus, la pratique de l'acrobatie est souvent liée à des cérémonies funéraires. Le saut, l'équilibre ou la souplesse ont une fonction conjuratoire en opposant à la mort présente une succession de figures représentant une vitalité irrépressible. En dominant symboliquement son corps, l’acrobate est une figure de progrès : nul renversement n’échappe à son rétablissement, source de renaissance et traduction d’une transition d’un monde à l’autre
Contorsion
Liés à des pratiques chamaniques, certains exercices acrobatiques s’apparentent à des rites primitifs. Acrobates ou danseurs attendent d'un affranchissement de la pesanteur, poussé à l’extrême, qu’ils les livrent à la force d’un pouvoir divin créateur. L’acrobatie symbolise l’accession à une condition surhumaine. Elle est une extase du corps. Et tout ce qui pare la chair – fard, huile, peau ou plumes – contribue à faire s’épanouir le mystère de l’élévation et de la transcendance. Aujourd’hui, les contorsionnistes asiatiques ou occidentaux poursuivent cette tradition dans un registre profane et spectaculaire.
http://expositions.bnf.fr/cnac/grand/cir_0391.htm
Art italiote : Hydrie à figures rouges Vème siècle av. J.C
Les convives des banquets dionysiaques, entraînés par le rythme effréné des danses, atteignaient le paroxysme de l’enthousiasme et de l’excitation au spectacle des performances acrobatiques extrêmes des danseurs et danseuses, les kybistétères. En appui sur les mains ou sur les coudes, comme ici, le corps arrondi en arc, à la limite de la culbute, les équilibristes attrapent avec leurs pieds, des objets ou des coupes pleines qu’ils soulèvent jusqu’à leurs lèvres ou offrent autour d’eux. Souvent accompagnés par la musique des crotales (pièces de bois à deux lamelles articulées) ou de l’aulos (flûte à deux corps), ils sautent, en tourbillonnant sur leurs deux jambes ou le corps disloqué en contorsion, au-dessus d’épées plantées au sol, pointes dressées.
Art de la Grande Grèce : Dionysos masqué, assistant à un spectacle avec un acrobate et un grotesque
Rite de Dionysos. Vase (phlyaque) provenant de Paestum, Campanie (Italie), IVe siècle avant J.-C.
http://expositions.bnf.fr/cnac/grand/cir_0398.htm
L’acrobate figuré sur ce cratère grec illustre la permanence des postures acrobatiques codifiées dès l’Antiquité et auxquelles les multiples civilisations qui les ont associées à des cérémonies sacrées ou profanes ont donné un sens en lien avec leurs besoins respectifs. Parfois considérée comme purement ornementale, la figure de l’acrobate possède néanmoins un potentiel d’interprétation qui s’accorde bien à de multiples représentations en Orient comme en Occident, des figurines Han aux sculptures en haut-relief des églises romanes ou gothiques.
Art romain : acrobate contorsionniste Italie, IIe siècle avant J.-C.
http://expositions.bnf.fr/cnac/grand/cir_0401.htm
Dieu grec de la marge et de la transgression mais également de la joie brute et du renouveau extatique, Dionysos inspire des comportements extrêmes adoptés par les Romains, de la danse exaltée des processions aux orgies sans fin des banquets. Les interprètes des danses dionysiaques enchaînent tourbillons et virevoltes effrénés opérés par des corps cambrés, parés de voiles mouvants et de leurs longs cheveux lâchés, ou poses acrobatiques sensuelles des corps enroulés sur eux-mêmes. Ici, la danseuse de terre cuite s’offre, entièrement nue, corps bandé comme un arc, chevelure absente, sans doute érodée par le temps.
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Enfin je citerai ce sermon de saint Bernard de Clairvaux comparant l'ascèse des cisterciens et les tours de force des jongleurs, et l'inversion de leur posture :
" Aux yeux des autres, nous [les moines] avons l’air d’effectuer de véritables tours de force. Tout ce qu’ils désirent, nous le fuyons, et tout ce qu’ils fuient, nous le désirons, comme ces jongleurs et ces danseurs qui, la tête en bas, les pieds en l’air, dans une posture inhumaine, marchent sur les mains et attirent sur eux le regard de tous "
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SOURCES ET LIENS.
— ABGRALL (Jean-Marie), 1904, L'Architecture bretonne, Quimper, de Kerangal éditeur
https://bibliotheque.diocese-quimper.fr/files/original/f20eb990fd763d232327db92aeeb6869.pdf
—ABGRALL (Jean-Marie), et Le Coz Y., 1908 “Pleyben : église, ossuaire, calvaire,” A. de Kerangal, Quimper, 31 pages
https://bibliotheque.diocese-quimper.fr/files/original/a0a5651f868070445ed8e54fb7eecff8.pdf
—ABGRALL (Jean-Marie), ou PEYRON, 1923, Notice sur Pleyben, BDHA Quimper.
https://www.diocese-quimper.fr/wp-content/uploads/2021/01/bdha1923.pdf
—ABGRALL (Jean-Marie), 1897, Livre d'or des églises de Bretagne Pleyben Brasparts page 2
http://www.bibliotheque.idbe-bzh.org/data/cle_201/pleiben__brasparts.pdf
— COUFFON (René), LE BARS (Alfred), 1988, Notice de Pleyben, Diocèse de Quimper et de Léon, nouveau répertoire des églises et chapelles, Quimper, Association diocésaine, 1988, 551 p.
https://www.diocese-quimper.fr/wp-content/uploads/2021/01/PLEYBEN.pdf
"L'intérieur, du type à nef obscure, est lambrissé, couverture avec sablières sculptées imitées de Kerjean et entraits apparents. Une des plus intéressantes charpentes de la Bretagne. Le lambris n'en laisse voir que les entraits engoulés, dépourvus de poinçons, et les sablières sculptées. Il affecte la forme d'un berceau surbaissé, dans la nef et dans le transept, dont la mutuelle pénétration produit une sorte de voûte d'arêtes à la croisée, et d'un demi berceau brisé dans les bas côtés. Il imite enfin, sur le choeur, une voûte d'ogives qui rayonnent autour d'une clef. Sauf un curieux blochet dans lequel on a sculpté un démon portant un phylactère qui est placé à l'extrémité orientale du bas-côté sud, il n'y a rien à noter dans les collatéraux. Mais dans la nef, la saillie des clefs qui décorent habituellement l'intersection de la lierne centrale et des aisseliers courbes frappera au premier examen. Ce sont de véritables clefs pendantes, dont la multiplicité choquait Palustre, mais dont l'extrême variété nous ramène aux fantaisies des sculpteurs du moyen âge. Nous retrouvons d'ailleurs quelques sujets de ce temps aux sablières , que je ne crois pas antérieures à la seconde moitié du XVIe siècle. Du côté nord, de l'ouest à l'est, la décoration est ainsi composée : têtes plates et figures couchées alternées; hommes nus, tenant des cartouches, mascarons cornus et figurines alternés; hommes nus et lions tenant des cartouches ; un groupe où M.Abgrall reconnaît saint Philippe expliquant à la reine Candace les prophéties d'Isaïe lues par son eunuque; encore des masques et des personnages alternés; enfin un cadavre sculpté, analogue aux représentations notées par M.Mâle entre 1520 et 1557 et encastrées dans des murs de chapelle à Gisors, à Clermont (Oise), à Moulins. A l'exception de la tour sud, elle date du milieu (?) du XVIe siècle. En 1497 dépenses pour le "rétablissement" et l'entretien de la charpente, des murs, des vitraux. En 1531 consécration de six autels, l'église ayant été souillée par une rixe avec effusion de sang. Inscription de 1504 à l'angle du choeur concernant l'abside et croisillon sud. L'inscription de 1571, sur la charpente du croisillon Nord concerne la couverture du transept (De la Barre de Nanteuil)"
— LECLERC (Guy), 2007, Pleyben, son enclos et ses chapelles, éditions Jean-Paul Guisserot, 31 pages pages 18 et 19.
https://books.google.fr/books?id=hWctwxQfyhgC&pg=PA18&lpg=PA18&dq=sibylles+pleyben&source=bl&ots=kzc-VMkVBx&sig=29B6LVXN1nHu2s5hEpHEt3en1vA&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiI596WxpfVAhXH2xoKHQ5WDd4Q6AEIQjAF#v=onepage&q=sibylles%20pleyben&f=false
— Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Enclos_paroissial_de_Pleyben
SUR LES ACROBATES :
— BNF / CNAC, La contorsion.
http://cirque-cnac.bnf.fr/fr/acrobatie/au-sol/la-contorsion
— DUHEM (Sophie), 1997, Les sablières sculptées en Bretagne: images, ouvriers du bois et culture paroissiale au temps de la prospérité bretonne (XVe-XVIIe s.), Presses universitaires de Rennes, 1997 - 385 pages.
— DUHEM (Sophie), 2012 "Impudeurs et effronteries dans l'art religieux breton (xve siècle - xviiie siècle)", éditions Le Télégramme, 2012.
—GAIGNEBET (Claude) , 1985, Art profane et Religion populaire au Moyen Age, Presses Universitaires de France, 364 pages
—KENAAN‐KEDAR (Nurith), DEBIES (Marie-Hélène),1968, « Les modillons de Saintonge et du Poitou comme manifestations de la culture laïque », in Cahiers de Civilisation romane, XXXIXe année, 1986, pp. 311‐330,
https://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_1986_num_29_116_2341
"les modillons constituent un élément autonome de la sculpture romane et expriment par leur iconographie et leur style des tendances laïques qui s'écartent de l'art officiel ecclésiastique."
— PRIGENT (Christiane), Sculptures de danseurs et de jongleurs dans les édifices religieux à l'époque romane et à l'époque gothique.
https://hicsa.univ-paris1.fr/documents/pdf/MondeRomainMedieval/Prigent.pdf
— Le monde des jongleurs.
http://jalladeauj.fr/musiciensetjongleurs/styled-4/
— RIO (Bernard), "Le cul-bénit amour sacré et passions profanes", 25 €, aux éditions Coop Breizh,
— WIKIPEDIA, Iconographie des modillons romans.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Iconographie_des_modillons_romans
— Acrobates des modillons romans :
http://chapiteaux.free.fr/TXT_acrobates.html