La Vierge de Pitié du Maître de Laz (grès arkosique, vers 1527) devant l'église de Briec-sur-Odet.
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PRÉSENTATION.
1. Le matériau.
Le grès arkosique (feldspathique), à grain très fin, de couleur gris-verdâtre, du Centre Bretagne, se prête bien à la sculpture par sa relative tendreté et son aptitude à la taille. Il est abondant dans le bassin de Châteaulin, c'est-à-dire une partie du Centre-Finistère (Châteauneuf-du-faou), où il été utilisé en architecture et en sculpture (Ollivier, 1993). L'architecture domestique (bâtiments de fermes, manoirs) et l'architecture religieuse (église du Cloître-Pleyben, sacristie de Pleyben, chapelles) lui ont fait largement appel aux XVème, XVIème et XVIIème siècles. Dans le domaine de la sculpture, P. Eveillard en a découvert l' emploi dès le second Age du fer et à la période gallo-romaine (génie au cucullus) . Aux XVIème et XVIIème siècles, il alimenta une statuaire abondante (plusieurs rondes-bosses dans les calvaires de Pleyben et de Saint Venec en Briec, par exemple) et concurrença même le célèbre kersanton. Voir l'analyse de Louis Chauris, Les grès verts de Châteaulin, cité en bibliographie.
Il était déjà employé à Laz vers 1350, dans un groupe du cavalier mourant conservé près de l'église, déjà présenté ici. Puis vers 1470 sur le bas-relief de la Vierge de Pitié aux anges de tendresse de la porte d'entrée de l'ancien presbytère. Puis, le sculpteur désigné par le nom de convention de Maître de Laz l'employa en 1527 pour la Déploration du calvaire de l'ancien cimetière.
Ce Maître de Laz est aussi l'auteur de la Déploration de l'église de Plourac'h, presque similaire, mais aussi de celle de Saint-Hernin et de la Pietà de Briec-sur-Odet. Mais aussi de trois autres statues de l'église de Plourac'h, celles de Saint-Patern, de Saint-Adrien, et de Sainte-Marguerite.
Le même matériau est employé au milieu du XVIe siècle pour la belle Trinité du porche de Clohars-Fouesnant.
Il est souvent confondu avec le kersanton (comme pour cette Déploration dans la description de Y.P. Castel).
Sur les sculptures en grès arkosique feldspathique :
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Le calvaire (XVIe et XXe siècle) de l'église de Saint-Hernin. Maître de Laz
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Le calvaire de Mellac. (granite et grès arkosique, Maître de Quilinen, vers 1500) de l'église de Mellac.
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Le cavalier blessé et la Vierge à l'Enfant ( grès arkosique, XIVe s) de l'église de Laz.
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2. Le thème de la Déploration (souvent assimilé aux Vierges de Pitié)
Les représentations sculptées de la Vierge de Pitié, tenant le corps de son Fils déposé de la croix, soit seule (Pietà), soit entourée de plusieurs personnages (Déplorations), apparaissent au XVe siècle (Pietà du calvaire de Tronoën, de Plozévet, de Quintin, chapelle N.D. des Portes ; Déplorations de La Chapelle-des-Fougeretz au nord de Rennes, du Musée départemental breton de Quimper etc.) et témoignent de l'importance, dans le duché de Bretagne, du culte centré sur les plaies du Christ crucifié et le sang versé, d'une part, et su les larmes ou le chagrin suscités chez le chrétien par cette mort, d'autre part.
Ce culte s'amplifie encore au XVIe siècle avec la multiplication des calvaires, où les pietà ou déplorations sont rarement absentes, et des verrières de la Crucifixion avec leur scènes de la Pâmoison ou de la Déploration. Dans cette dévotion associant pour le fidèle méditation devant la mort du Rédempteur, élan de chagrin interiorisé, larmes versées et gratitude, Marie-Madeleine est un personnage majeur, par sa participation aux soins ("embaumement") et par l'intensité de son chagrin.
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Le Retable en pierre de la Passion du Christ, exposé au musée de Cluny Cl.11494.
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Un geste d'embaumement sur la Piétà de Tarascon du musée de Cluny ?
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3. Description.
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À la différence des Déplorations de Laz et de Plourac'h ou de Saint-Hernin, la Vierge n'est pas entourée de Jean et Madeleine, et elle porte seule le corps de son Fils, qui est — inhabituellement— tourné tête vers sa gauche. Elle soutient la tête du Christ, et tient sa main droite, qui posée à plat sur la cuisse, tandis que le bras gauche descend verticalement, montrant la plaie. Les jambes du Christ sont fléchies mais parallèles. Sa barbe est en boule.
Le bloc de pierre est largement fissuré, verticalement ou horizontalement, mais aucune partie n'est manquante.
On retrouve le bord dentelé du gaufrage du manteau-voile, typique du Maître de Laz, mais ici les franges godronnées sont doubles. Comme dans les autres Vierges du Maître de Laz, le manteau revient sur les genoux de Marie pour faire office de drap sous le corps du Christ, comme l'indique les plis frisés.
La robe descend jusqu'au sol, dissimulant les chaussures, en plis verticaux tubulaires qui prolongent les gaufrures.
Le visage est froid et sévère, n'exprimant ni chagrin, ni même retrait dans une intériorité douloureuse.
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La Vierge de Pitié (Maître de Laz, grès arkosique, vers 1527) devant l'église de Briec-sur-Odet. Photographie lavieb-aile.
La Vierge de Pitié (Maître de Laz, grès arkosique, vers 1527) devant l'église de Briec-sur-Odet. Photographie lavieb-aile.
La Vierge de Pitié (Maître de Laz, grès arkosique, vers 1527) devant l'église de Briec-sur-Odet. Photographie lavieb-aile.
La Vierge de Pitié (Maître de Laz, grès arkosique, vers 1527) devant l'église de Briec-sur-Odet. Photographie lavieb-aile.
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COMPAREZ AVEC LES AUTRES VIERGES DE PITIÉ DU MAÎTRE DE LAZ :
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SOURCES ET LIENS.
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—ABGRALL et PEYRON, chanoines, Notice sur Laz, Bulletin diocésain d'histoire et d'archéologie de Quimper
https://bibliotheque.diocese-quimper.fr/files/original/3f8d293143dbd7d909bb80295eb3545b.pdf
— CHAURIS (Louis), 2010, Pour une géo-archéologie du Patrimoine : pierres, carrières et constructions en Bretagne Deuxième partie : Roches sédimentaires, Revue archéologique de l'Ouest.
https://journals.openedition.org/rao/1384?lang=enLes
"Les grès verts du bassin de Châteaulin
Des niveaux gréseux affleurent au sein des schistes bleus du bassin carbonifère de Châteaulin. Tous les intermédiaires apparaissent entre des schistes gréseux encore fissiles, riches en minéraux phylliteux, et des grès feldspathiques plus massifs, caractérisés par leur teinte verte ou gris-vert. Le faciès gréso-feldspathique est formé de quartz non jointifs – ce qui facilite le façonnement – et de plagioclases, moins nombreux, dans un fond phylliteux qui rend compte du caractère tendre de la roche (la nuance verdâtre est due à la chlorite). Ce grès feldspathique fournit de beaux moellons et des pierres de taille, voire même des éléments aptes à la sculpture (Eveillard, 2001).
Ce matériau a déjà été utilisé dans la cité gallo-romaine de Vorgium (aujourd’hui Carhaix – cf. photo IV). Son emploi, à nouveau attesté dès le xvie siècle, prend une place essentielle dans les constructions, à Carhaix et dans ses environs : manoir de Lanoënnec (porte avec cintre en deux éléments, fenêtre avec linteau à accolade) ; manoir de Crec’h Henan (xviie siècle ? avec beaux moellons) ; manoir de Kerledan (xvie siècle, avec érosion en cupules) ; château de Kerampuil (1760, soubassement) ; Kergorvo (portes) ; manoirs de Kerniguez : grand manoir (superbes moellons) et petit manoir (moellons pouvant atteindre un mètre de long, en assises d’épaisseurs diverses, correspondant à la puissance des bancs dans les carrières). A Carhaix même, dans la maison du Sénéchal (xvie siècle), belle cheminée à l’étage. On retrouve ce grès dans les élévations de l’église de Plouguer, ainsi que dans celles de l’église de Saint-Trémeur (parties du xixe s.), dans la façade occidentale de la chapelle du couvent des Hospitalières (xviie siècle) ou au manoir de Maezroz près de Landeleau : photo V, VI… (Chauris, 2001c).
Les Travaux publics ont également fait appel à cette pierre locale. Dans les ouvrages du canal de Nantes à Brest (première moitié du xixe siècle), toujours aux environs de Carhaix, elle a été utilisée sous des modalités diverses : en beaux moellons pour le couronnement du parapet d’un pont près de l’écluse de l’Île ; en petits moellons pour le soubassement des maisons éclusières de Pont Dauvlas, de Kergouthis… ; les faciès plus schisteux – et par suite plus fissiles – ont été recherchés pour le dallage médian des bajoyers de quelques écluses (Kervouledic, Goariva), voire comme dalles devant la maison éclusière (Goariva…). De même, les infrastructures ferroviaires ont aussi employé ce matériau local (pont franchissant le canal au sud-est de Kergadigen).
Mais cette pierre n’a pas été recherchée uniquement autour de Carhaix ; en fait, elle a été utilisée un peu partout dans le bassin de Châteaulin. À Pleyben, dans l’église paroissiale – qui remonte en partie au xvie siècle – le grès vert joue un rôle essentiel en sus du granite : élévation méridionale ; sacristie édifiée au début du xviiie siècle (le grès est alors extrait des carrières de Menez Harz et de Ster-en-Golven) ; la même roche a été aussi utilisée pour l’ossuaire (xvie siècle) et l’arc de triomphe (xviiie), où elle présente quelques éléments bréchiques. également à Pleyben, la chapelle de Gars-Maria, y recourt localement en association avec des leucogranites. À Châteauneuf-du-Faou, dans la vaste chapelle Notre-Dame-des-Portes (fin du xixe siècle), ce grès est en association avec divers granites ; les traces d’outils de façonnement y sont très nettes sur les parements vus. Comme aux environs de Carhaix, les grès verts ont également été recherchés, plus à l’ouest, pour l’habitat.
Ces grès ont aussi été mis en oeuvre dans la statuaire : parmi bien d’autres, évoquons les statues dressées au chevet de l’église de Laz, la statue de Saint-Maudez au Vieux-Marché (Châteauneuf-du-Faou), celle de Saint-Nicolas dans la chapelle N.-D. de Hellen (Edern), plusieurs personnages du célèbre calvaire de Pleyben… Quelques éléments de la chapelle – ruinée – de Saint-Nicodème, en Kergloff, ont été remployés lors de la reconstruction de la chapelle Saint-Fiacre de Crozon, après la dernière guerre ; en particulier de superbes sculptures d’animaux ont été emplacés à la base du toit dans la façade occidentale (Chauris et Cadiou, 2002).
Cette analyse entraîne quelques remarques de portée générale.
Dans un terroir dépourvu de granite, artisans et artistes locaux ont su mettre en œuvre un matériau qui, au premier abord, ne paraissait pas offrir les atouts de la « pierre de grain » qui affleure au nord et au sud du bassin.
Ce matériau local, utilisé dans les édifices les plus variés, confère au bâti du bassin de Châteaulin une originalité architecturale. Son association fréquente aux granites « importés » induit un polylithisme du plus heureux effet. Parfois, le grès a même été exporté vers les bordures du bassin, au-delà de ses sites d’extraction.
Du fait de ses aptitudes à la sculpture, le grès vert a été très tôt recherché pour la statuaire. Il joue localement le rôle des célèbres kersantons de la rade de Brest, à tel point que, dans un musée dont nous tairons le nom, une statue du xvie siècle, a été rapportée au kersanton, alors qu’en fait elle est en grès vert : hommage inconscient à ce dernier matériau !
L’emploi de cette roche singulière, constant pendant plusieurs siècles (au moins du xvie au début du xxe siècle) paraît aujourd’hui totalement tombé dans l’oubli. Ses qualités devraient susciter une reprise artisanale, tant pour les restaurations que pour les constructions neuves."
— COUFFON (René), 1988, Notice sur Briec-sur-Odet, in Nouveau répertoire des églises et chapelles du diocèse de Quimper
https://www.diocese-quimper.fr/wp-content/uploads/2021/01/BRIEC.pdf
"Sur le placitre, croix de 1864, Pietà de granit au pied du fût"
— ÉVEILLARD (Jean-Yves), 1995, Statues de l'Antiquité remaniées à l'époque moderne: l'exemple d'une tête au cucullus à Châteauneuf-du-Faou (Finistère) Revue archéologique de l'Ouest année 1995 12 pp. 139-146
https://www.persee.fr/doc/rao_0767-709x_1995_num_12_1_1029
—LE SEAC'H (Emmanuelle), 2015, Sculpteurs sur pierre en Basse-Bretagne, Presses Universitaires de Rennes pages 248-249.
— OLLIVIER, (Sophie), 1993 -L'architecture et la statuaire en grès arkosique dans la vallée de l'Aulne centrale. Mém. de maîtrise d'histoire (inédit), J.Y. Eveillard, dir., U.B.O., Brest, 2 vol.