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18 janvier 2014 6 18 /01 /janvier /2014 11:27

 Denis et Schiffermüller "les thérésiens" : à la découverte de leur Verzeichniß (1775) .


      En 1775-1776 parut à Vienne le Catalogue des papillons des environs de Vienne, sans nom d'auteur, quoique le titre indique  qu'il a été écrit par des membres de l'Académie Impériale Theresian. Aussi Oberthür les nommait-il, en 1910, "les Thérésiens". Ignorant tout de cette "Theresian", j'ai voulu en savoir plus ; j'ai  découvert à cette occasion les frontispices de cette publication, qui sont de vrais rébus dont le décryptage fait les délices d'un amateur.

Les frontispices du "Systematisches Verzeichniss der Schmetterlinge" de Denis et Schiffermüller (1775-1776).

       L'origine de ce nom de Thérésien fut très simple à découvrir, et c'est seulement mon manque de culture générale qui me faisait ignorer l'existence du Theresiangasse, et comment Marie-Thérèse d'Autriche (d'où lui vient son nom) vendit l'ancienne résidence d'été préférée (Favorita) des empereurs autrichiens aux Jésuites afin qu'ils y créent une école destinée à former les jeunes gens de l'élite viennoise. Des candidats triés sur le volet apprenaient dans la nouvelle "Theresianische Ritterakademie", selon les méthodes les plus modernes, les base d'une future carrière dans l'administration. Parallèlement s'y trouvaient une Académie militaire et une Académie des Langues Orientales préparant aux carrières militaires et diplomatiques. Tenu de 1746 à 1773 par les jésuites de la Compagnie de Jésus, l'école portait le nom de "Collegium Theresianum". A la dissolution en 1773 de la Compagnie de Jésus par l'Empereur Joseph II, consécutive à une bulle du pape Clément XIV, l'établissement devint une "Ingenieurakademie" avant de retrouver son nom et ses fonctions de "Theresianische Ritterakademie" sous la férule des frères Piaristes.

Or, je ne pouvais ignorer plus longtemps non plus que les Jésuites portaient un intérêt à toutes les sciences en général, mais à l'Histoire naturelle en particulier, et qu'ils disposaient non seulement de Musées d'Histoire naturelle, mais aussi, parmi leurs membres, de Pères particulièrement érudits en minéralogie, conchyliologie, botanique ou zoologie. Le Muséum du Père Kircher (Museum Kircherianum) , complété par Philippe Bonnani,  à Rome, ou l'Histoire naturelle de Pologne (1721) du Père Rzaczynski en témoignent, tout comme le Musée du Collège des Jésuites de Gratz, en Styrie. 

  Le nom des auteurs était une première énigme : ce catalogue viennois (Wiener verzeichniss)  a été attribué traditionnellement à Johan Nepomuk Michael Denis et à Ignaz Schiffermüller, et cela a été officialisé par l'Opinion 516 (Hemming, 1958) de la Commission International de Nomenclature Zooologique ICZN. Néanmoins, en 2005, Kurda et Belicek se sont déclarés  convaincus  que Schiffermüller était le seul auteur, alors que K. Sattler et W.G. Tremewan , in Nota lepid.33(1) ; 3-10, ont démontrés au contraire que derrière « les Thérésiens » pouvaient se cacher plusieurs auteurs.

  Après le coup d'envoi du Systema Naturae de Linné dans sa dixième édition de 1758, les collectionneurs européens ont eu à cœur de décrire et de nommer les espèces de lépidoptères de leur collection, ou d'explorer les environs à la recherche d'espèces inconnues : ce fut le cas du médecin français Geoffroy en 1762 pour les Insectes des environs de Paris, ou de J. Caspar Fuessly pour Entomologia Carniolica en 1763 (Duché de Carniole, actuelle Slovénie), de Moses Harris pour les papillons de Grande Bretagne. La même année 1775 où parut ce Catalogue "des environs de Vienne" référence implicite au titre de Geoffroy, Fuessly publia son étude des papillons de Suisse. 

Néanmoins, il faut signaler l'importance qui est donnée dans le Wiener verzeichniß à un auteur français plus ancien, passionné des métamorphoses des chenilles : René-Antoine Ferchault de Réaumur.

Rappel chronologique :

  • 1734-1742 : Réaumur, Mémoires pour servir à l'histoire des insectes, 6 volumes.
  • 1758 : Linné, dixième édition du Systema Naturae.
  • 1761 : Linné, Fauna svecica, 2ème édition
  • 1762 : Etienne Louis Geoffroy, Histoire abrégée des insectes qui se trouvent aux environs de Paris, 2 volumes in-4°, Paris.
  •  1763 : J.A. Scopoli, Entomologica Carniolica, Vienne. https://archive.org/details/ioannisantoniisc00scop
  • 1766 : Moses Harris, The Aurelian or Natural History of English Insects, namely Moths and Butterflies. puis en 1775 The English lepidoptera, or the Aurelian's Pocket Companion.
  • 1767 : Linné, 12ème édition du Systema Naturae.
  • 1775 : J.C.Fabricius, Systema entomologica.
  • 1775 : Rottemburg (S.A.von)  "Anmerkungen zu den Hufnagelischen Tabellen der Schmetterlinge", in Der Naturforscher, J.J Gebauer Witwe und J.J Gebauer :Halle
  • 1775 :  J. Caspar Fuessly .  Verzeichnis der ihm bekannten schweizerischen Insekten mit einer ausgemahlten Kupfertafel: nebst der  Ankündigung eines neuen Insecten Werks,  Zürich, H. Steiner,1775. http://www.biodiversitylibrary.org/bibliography/65772#/summary
  • 1775 : Denis et Schiffermüller,  Ankündigung eines systematischen Werkes von den Schmetterlingen der Wienergegend. /1776  Systematisches Verzeichniss der Schmetterlinge
  • 1776 : J.C. Fabricius  Genera insectorum
  • 1776 : Otto Friedrich Muller, Fauna inscetorum Fridrischdaliana. Zoologiae Daniace Prodromus.
  • 1775 à 1782 : Caspar Stoll et Pieter Cramer, Die uitlandische Kapellen :description de 1650 espèces du Surinam.
  • 1777-94 : J.C.Esper Die Schmetterlinge in Abbildungen nach der Natur, 
     1-5, seconde édition avec additions   par Toussaint von Charpentier en 1829-1839.
  • 1779-1792 :  Jacques-Louis Florentin Engramelle, Papillons d'Europe peints d'après nature par M. Ernst, gravés par M. Gérardin, et coloriés sous leur direction, décrits par le R.P. Engramelle, religieux augustin du quartier de Saint Germain, À Paris chez Delaguette/ Basan & Poignant, 29 cahiers, 8 volumes.

 

 Avec l'ouvrage de Geoffroy, le fameux Catalogue viennois ou « Wiener Verzeichnis » de 1775-1776 a été la publication la plus influente de la fin du 18ème siècle dans la jeune Europe des lépidoptéristes, et elle a fait l'objet de différents travaux concernant son titre, l'année de sa sortie, ses auteurs et la validité des noms d'espèce. Elle fut en effet publiée en 1775 sous le titre Ankündung eines systematischen Werkes von den Schmetterlingen der Wienergegend, et l'année suivante sous celui de Systematisches Verzeichniß der Schmetterlinge der Wienergegend. Bien que cela suggère différentes éditions, le texte ne fut imprimé qu'une fois (Sherborn in Prout 1900 : 158) ; néanmoins, il y a deux frontispices différents, deux différentes pages de titre, et deux versions différentes, inversées en miroir, des planches (versions à la fois colorées et noir et blanc).

 

 

                       I. LES DIFFÉRENTS EXEMPLAIRES .


(A) = Ankündung.

(S)= Systematisches

F1 Frontispice n°1 n-b (noir et blanc) /c  Couleur.

F2 Frontispice n°2

 

Je n'ai pas trouvé de recensement exhaustif des exemplaires ; Kudrna et Belicek (2005) donnent la liste provisoire suivante de 6 à 7 exemplaires:

-Bibliothèque Nationale de Vienne

-Bibliothèque Nationale de Prague,

-Bibliothèque Nationale de Münich

-Peut-être à la Bibliothèque Nationale de Paris (selon J. Diller ; non retrouvé par mes recherches)

-British Library

-British Library, Bloomsbury

-Linnean Society de Londres 

J'ai personnellement constitué la liste suivante : 

 

 

  

1. Exemplaire de la Bibliothèque du Forschungsinstitut und Naturmuseum Senckenberg de Francfort (selon Sattler): il a d'abord appartenu à J. C. Gerning (qui est mentionné dans le Supplément (Nachtrag) du  ‘Wiener Verzeichnis’ comme le collectionneur de plusieurs espèces de Francfort) puis il a été acquis par  C. von Heyden. Cet exemplaire est  accompagné par deux pages de titre et en outre a un index imprimé unique de 29 pages avec pagination indépendante (pp. 1-29 ) et des plaques.

2. Bibliothèque du British Museum (selon J. Prout). (A)

3. Linnean Society : (A)

 

                 Exemplaires disponibles en ligne :

2. Göttingen : (S) F1

 http://gdz.sub.uni-goettingen.de/dms/load/img/?PPN=PPN574458115&DMDID=DMDLOG_0001&LOGID=LOG_0003&PHYSID=PHYS_0010

— ex-libris : Ex Bibliotheca Acad. Georgiae Augustae

Frontispice en noir et blanc, type 1.

3. Bibliothèque de l'Université de Dusseldorf: (S) F?

http://digital.ub.uni-duesseldorf.de/urn/urn:nbn:de:hbz:061:1-139796

4. Google books 1 : exemplaire de la Bibliothèque Nationale d'Autriche

  K.K Hofbibliothek Oster Nationalbibliothek : (A) F1

— Ex-libris  : K.K Hofbibliothek Oster Nationalbibliothek

— Tampon : Kaiserlich Ku...liche Wien

http://books.google.fr/books?id=79BYAAAAcAAJ&pg=PA18&lpg=PA18&dq=

Systematisches+Verzeichni%C3%9F+der+Schmetterlinge+der+Wienergegend&source=bl&ots=

VklSvjaOLi&sig=bBzV2efhWQvkgTXWiHkYguMaoXI&hl=fr&sa=X&ei=

GBTcUt3lE8i40QXvtIGIBg&ved=0CC8Q6AEwADgK#v=onepage&q=

Systematisches%20Verzeichni%C3%9F%20der%20

Schmetterlinge%20der%20Wienergegend&f=false

5. Google books 2 : exemplaire de la Bayerstaatsbibliothek.

a) L'ex-libris : l'inscription Inventa levetvi Franciscus praepositus cann regg: in Polling anno 1744 montre qu'il a appartenu à Franz Töpsi (1711-1796), le Prieur de Polling, en Bavière, diocèse d'Augsburg.

—Devise : Quoniam susceptici me exaltabo te. Armoiries à trois médaillons : bouc sur une croix couchée / Croix radieuse et ancre + étoiles/ blason 

b)  en page de garde : Mention manuscrite Hist. naturalis Regnum animal clapis V insecta 387.

6. Bayerstaatsbibliotek (A) en ligne :http://reader.digitale-sammlungen.de/en/fs1/object/display/bsb10231078_00009.html

7. Google Books : Exemplaire Regia Monacensis (A)

 http://books.google.fr/books?id=NeRAAAAAcAAJ&printsec=frontcover&dq=Ank%C3%BCndung&hl

=fr&sa=X&ei=YgrdUrKlFsaN0AWd7oCwCQ&ved

=0CDUQ6AEwAA#v=onepage&q=Ank%C3%BCndung&f=false

8. Exemplaire de la Bibliothèque Nationale d'Autriche (S) F1 n-b

http://digital.onb.ac.at/OnbViewer/viewer.faces?doc=ABO_%2BZ179681708

 

 

 

 


       II. Discussion sur les problèmes posés par cette publication. (d'après Klaus Sattler)

 

La présence de deux pages de titre portant deux dates différentes, et dont une est une "Annonce" (Anküdung), la présence de deux frontispices, l'absence de noms d'auteurs (alors qu'en 1772 Schiffermüller avait indiqué son nom sur son Versuch eines Farbensystems) incite à diverses supputations. D'autant qu'un exemplaire, à Francfort, comporte les deux titres. L'Ankündung n'était-il qu'un simple prospectus qu'un bibliothécaire aurait placé par un bibliothécaire dans la Verzeichniss ?  ( Sattler 1970: 2 ) On pense plutôt que les auteurs ont eu d'abord un projet beaucoup plus ambitieux (qui allait peut-être concerner aussi la minéralogie ; ou la botanique) qui était de publier une étude très détaillée de chacune de leurs espèces de papillons, et qu'ils avaient donc choisi, pour leur volume, le titre d'Anküdung. Il s'est passé près de vingt ans entre le moment où Schiffermüller débuta en 1757 secret une collection de lépidoptères, et la parution de l'ouvrage en 1775-76 ; entre temps, les auteurs avaient perdu leur statut de jésuite, et, surtout, celui d'enseignant au Theresianum (et peut-être alors aussi beaucoup de temps libre). Lorsque le secret de Schiffermüller fut connu parmi ses collègues, il a reçu un tel encouragement enthousiaste qu'il a collaboré avec d'autres (et en particulier son ami Denis) vers 1764 avec l'intention de produire, grâce aux talents du professeur de dessin Schiffermüller, une œuvre très illustrée sur les Lépidoptères de la Vienne district.  Si les couleurs des spécimens de la collection ne pouvaient pas être conservées, les dessins coloriés du naturaliste permettaient de les préserver. Mais leur nouvel emploi du temps les amenèrent à ne dresser qu'un Catalogue initial énumérant seulement les espèces, et qui était sans-doute achevé en 1771, l'Avant-Propos étant daté du 16 mars 1771. L'impression prit beaucoup de retard (mentionné dans l'Addendum ou Nachtrag), et ils se décidèrent à le publier, avec seulement deux planches précédées (comme dans les Mémoires de Réaumur, l'un de leurs modèles) d'une description très détaillée, conforme à ce qu'ils auraient rédigé pour toutes leurs espèces s'ils l'avaient pu. Une mise à jour (Supplément) fut ajoutée à la liste composée en 1771, et le livre parut soit sous son titre initial d'Ankündung, soit sous son titre actualisé de Systematisches  Verzeichniss.

La date de publication.

Conformément aux dispositions du Code international de nomenclature zoologique , la Commission internationale de nomenclature zoologique ( Hemming 1958) a considéré  l'Ankündung comme "publié à une date non déterminée  après le 17 mai 1775 et avant le 8 Décembre 1775 " , cette dernière étant la date du premier commentaire dans le  Jenaische Zeitungen von Gelehrten Sachen Vol. 98 p. 825. La date de la lettre de Schiffermüller à Linné (11 Septembre 1775) appartient à cette fourchette.

  Les noms sont donc datés de 1775, cette publication n'ayant pas la préséance sur Rottemburg 1175 ou Fuessli 1775, mais sur Cramer,1775, l'ordre de préséance étant le suivant : Fabricius 1775 -Rottemburg 1775 – Fuessli 1775 [Denis & Schiffermüller] 1775 - Cramer 1775 (in Cramer 1779).

Les auteurs.

Il est évident que l'auteur principal est le jésuite, professeur d'architecture ou de dessin d'architecture à l'Académie Impériale du Theresian Ignaz Schiffermüller, le réalisateur principal de la collection de lépidoptères (qu'il emporta à Linz où il fut affecté ensuite). Mais celui-ci n'a accepté de se lancer dans l'aventure d'une publication que lorsque Michael Denis, professeur de Belles-Lettres  l'a assuré de son aide. Selon Sattler citant Promitzer (1990: 432), leur collaboration fut complète et  rien ne fut  rédigé avant que les deux d'entre eux ne se soient déclarés satisfait de son exactitude. De même, il faut tenir compte des opinions des auteurs contemporains qui ont, presque sans exception , considéré le « Wiener Verzeichnis » comme le travail de plusieurs auteurs et , plus spécifiquement, comme celui de Schiffermüller et Denis ou vice versa . En ce qui concerne la séquence des noms des auteurs , il convient de noter que, dans le passé, l'ordre dans lequel apparaissait le nom des auteurs ne jouait aucun rôle, les auteurs étant souvent cités dans l'ordre alphabétique . Dès le début les contemporains de Michael Denis et Ignaz Schiffermüller ont utilisé presque exclusivement le pluriel pour parler de la paternité de la « Wiener Verzeichnis ». La collection de papillons est habituellement , mais pas exclusivement, considéré comme appartenant à Schiffermüller : elle est allé avec lui à Linz , où elle a été consulté, entre autres, par Schrank ( en 1783 ), Fabricius ( en 1784 ) et Hübner ( en 1797) , avant que Schiffermüller l'emporte  dans sa retraite en Waizenkirchen d'où elle a été prise à Vienne après sa mort, avant d'être  détruite par le feu en 1848 . Tout ce qui reste aujourd'hui sont des doublons qui avaient été donnés à Fabricius à l'occasion de sa visite à Linz ( Karsholt & Gielis 1995 : 32 ).

Klaus Sattler donne un argument important pour considérer que, à l'inverse de l'opinion de Kudrna et Belicek qui retienne Schiffermüller comme seul auteur, l'œuvre a bien été écrite à quatre mains : il s'agit d'un document de Denis  dans lequel il se répertorie lui-même comme co-auteur. Dans un catalogue , publié en 1780 , des « Merkwürdigkeiten » [ curiosités ] dans la bibliothèque Garelli , dont Denis était à cette époque le bibliothécaire , il a enregistré , pour la année 1776,  Systematisches Verzeichniss d ... von und Schiffermüller Denis".  Denis poursuit en disant que la poursuite de ce travail avait été interrompu pendant quelques années, à la suite de la nomination de Schiffermüller à la direction du Nordisches Collegium de Linz ( Denis 1780).

 Dans un courrier adressé à Linné par Schiffermüller, où il explique que "son nom n'est pas ajouté à l'avant de l'ouvrage", ce dernier signale de Denis fut d'une aide précieuse, notamment pour l'identification des "Tortrices, Pyralides et Tineae". (Voir cette lettre en Annexe)

  Enfin, les auteurs se sont dédiés réciproquement des espèces :  denisella Tinea (p. 138) et schiffermillerella Tinea (p. 142). Il est de règle de ne pas se dédier à soi-même une espèce, et Schiffermüller, s'il était le seul auteur, n'aurait pas osé nommer une espèce, fut-ce une teigne, de son propre nom.

On peut conclure que Schiffermüller fut le collectionneur principal, le seul illustrateur sans-doute de sa collection — en tant que professeur de dessin—, et l'auteur principal du Wiener Verzeichniss, mais qu'il reçut l'aide conséquente de Michael Denis pour la collection et surtout pour la rédaction de l'ouvrage, ce qui le conduisit à ne pas mentionner son nom comme auteur. Rien n'indique pourquoi il renonça à indiquer "Denis et Schiffermüller" comme auteurs, mais peut-être risquait-il alors de froisser d'autres collaborateurs secondaires.  

 Schiffermüller n'a pas utilisé les planches illustrant les espèces de sa collection, et les a emporté avec lui à Linz ; elles sont aujourd'hui conservées par le National Hystory  Museum de Londres.

 

 

 

 

Les espèces et genres dont [Denis & Schiffermüller] sont reconnus les auteurs.

 

Les auteurs définissent 3 genres, Sphinx (début page 40,"Erste Gattung (Genus L.)", "Sphinges"), Phalaena ( p. 48, "Zweyte Gattung") et Papilio (p. 158, "Dritte Gattung"). Sphinx et Papilio ont la même structure, avec des noms génériques et les sous-groupes nommés A, B, C, etc. . Les Phalènes sont décrits un peu différemment, et répartis en différentes Divisions ou "Abtheilungen" ("Erste Abtheilung" Bombyces p. 48, "Zweyte Abtheilung" Noctuae p. 66, "Dritte Abtheilung" Geometrae p. 95, "Vierte Abtheilung" Pyralides p. 118, "Fünfte Abtheilung" Tortrices p. 125, "Sechte Abtheilung" Tineae p. 132, "Siebente Abtheilung" Alucitae p. 144) et divisés en sous-goupes A, B, C, etc. pour chaque Abtheilung separément Dans le système binominal, Gattung correspond à « genre » et "Abtheilung" à « sous-genre » . En 1902, Sherborn a dressé la liste des nouvelles espèces décrites dans le genre Phalaena de façon incorrecte sous le nom générique Bombyx, Noctua, Geometra etc., cette erreur ayant été traditionnellement répétée jusqu'à l'époque moderne. Voir Schrank 1785 pour la description des quelques noms qui avaient été cités sans description. 

 

 

Il y eut des discussions sur la validité de nombreux noms mentionnés dans ce travail.  Koçak 1982 et 1984 ne considère que 491 noms valides, et 181 non valides, soit un total de 672 noms nouveaux. Sattler & Tremewan 1984 invoquent la notion que, pour respecter la stabilité des usages, le Code ne devrait pas être respecté dans la lettre de son texte légal, et qu'il faudrait admettre la validité des noms qui ont été utilisés longtemps par l'ensemble des auteurs, même s'ils sont théoriquement invalides. De nombreuses espèces ont été seulement décrits avec un nom vernaculaire germanique et le nom de la plante-hôte.

Le site Animalbase http://www.animalbase.uni-goettingen.de/zooweb/servlet/AnimalBase/home/reference?id=2501 donne la liste complète de 702 noms décrits comme nouveaux

 En cours ...        

 

                 DESCRIPTION DES EXEMPLAIRES.

Ankündung eines systematischen Werkes von den Schmetterlingen der Wienergegend 1775=Systematisches Verzeichniss der Schmetterlinge der Wienergegend. Herausgegeben von einigen Lehrern h kk Theresianum. Wien, A. Bernardi, 1776. Grand in-4 ° 30 cm. 322 pp, frontispice, et deux plaques gravées, pliées en deux. Gravure sur cuivre coloriée à la main. Titre Ankündung par bois gravé.

 

a) Les Frontispices : cf. article séparé.

 Certains sont en noir et blanc, d'autres coloriés. Il y a deux dessins différents, inversés, mais représentant les mêmes épigraphes de Virgile et les mêmes espèces animales (un colibri, une libellule et quatre papillons).


b) Les Pages de titre.  

      Il existe une première page de titre datant de 1775, plus sobre, et une seconde, à la calligraphie très élaborée.

b1.  Le titre de 1775 : Ankündung eines systematischen Werkes von den Schmetterlingen der Wienergegend.

Traduction : "Annonce d'un travail systématique des papillons des environs de Vienne". "Ankündung" est une forme abrégée archaïque pour "Ankündiging". (Exemplaire Bibl. Nat. Autriche numérisé par Google  ).

Le terme "Ankündung" est une forme abrégée mais non fautive de "Ankündigung" ; on le trouve, par exemple, dans le titre d'un ouvrage de Joseph Baader publié en 1783 à Augsbourg  :  Ankündung eines balsamischen Seifensyrups als eines beynahe spezifischen. Cet exemple n'est pas isolé et on le retrouve dans un nombre assez conséquent de livres du XVIII au XXe siècle.

La planche provient d'une impression par bois gravée.

 

                     ankundung-page-de-titre.png


 b2. Le titre de 1776 : Systematisches Verzeichniß der Schmetterlinge der Wienergegend herausgegeben von einigen Lehrern am k.k. Theresianum. Wien, verlegts Augustin Bernardi, Zuchhändler 1776.

Il se traduit : "Catalogue systématique des papillons des environs de Vienne composé par certains enseignants de l'Académie Impériale du Theresianum. Vienne, publié par Augustin Bernardi, Libraire 1776."

Cette page de titre est signée d'une écriture minuscule Brunet f[ecit] au dessus des deux traits horizontaux. C'est en effet un travail d'artiste en calligraphie gothique, dont les entrelacs jouant sur les pleins et déliés évoquent les initiales cadelées (de cadel, "cadeau") des manuscrits du XVe siècle :

                 Verzeichniss-denis-page-de-titre.png

 

 

 

f) la composition du texte.

Le texte est imprimé dans la police typographique allemande ancienne dite schwabacher schrift ou plutôt fraktura avec l' ornementation "en trompe d'éléphant" des lettres capitales. Cela entraîne le lecteur non familier des textes en gothique vers des confusions entre A et U, V et B, f et s, k et t, etc...

Avant-propos : An den Leser page 1-4. ("Pour le lecteur")

Deux auteurs sont cités avec référence en bas de page,  Réaumur et de Pierre Lyonnet

[Pierre Lyonet, 1762 Traité anatomique de la chenille, qui ronge le bois de saule ].

On notera que cette préface est datée du seize mars 1771 : "Beschrieben an k.k. Theresian den 16 Märzen 1771".

 

 

p. 5 :  Ier Chapitre : Section I. Entwurf des Werkes ("Conception de l'ouvrage").

Importance de la necéssité de maîtriser le dessin naturaliste (Schiffermüller est professeur de dessin) avec citation de Réaumur et de P. Lyonnet, puis de Réaumur et Schwammerdam.

p.9 : Chapitre II. Kurzer Unterricht von der vier Ständen  der Schmetterlinge überhaupts ("courtes leçons des quatre états des papillons en général) . Citation de Dante et de Milton (Paradise Lost, Livre VII v. 479)

p. 20 : Chapitre III.  Gedanken von der Stelle der Schmetterlinge in Thierreiche, ihrer Folge untereinander, und ihren Namen.) 

 (Réflexions sur la place des papillons au sein du Règne animal, sur ses rapports avec les autres Ordres, et sur leur Noms).

p. 27 : Chapitre IV. Versuch einer Eintheilung mit zuziehung ihrer Raupen (Tentative de classification des papillons en fonction de leurs chenilles.). Nombreuses citations de Réaumur et de de Geer ; citation de Schäffer, Lyonnet, 

p.35 : Chapitre V. Von den Farben der Schmetterlinge. (Des couleurs des papillons). La lecture de ce chapitre promet, de la part de Schiffermüller, l'auteur d'un traité des Couleurs, d'être passionnante...mais la barrière de la langue ne m'y donne pas accès.

p. 40 : Systematische Nomenklatur der in Werke zu beschreibenden Schmetterlinge.

C'est le Catalogue à proprement parler ; les papillons sont répartis en trois Genres (Gattung), Abendschmetterlinge ou Schwärmer (Sphinx), Phalaena ou Nachtschmetterlinge et Falter ou Tagschmetterlinge.

Erste Ordnund des Insectenclasse : Die Schmetterlinge (Lepidoptera Linn.)

Erste Gattung (Genus L.) der Schmetterlingordnung.

Die  oder Schwärmer Sphinges L.

Les Papillons à antennes prismatiques Réaumur. Les Sphinx Geoffroy.

p. 48 : Die Nachtschmetterlinge (Phalaena)

p. 158 : Die tagschmetterlinge oder Falter (Papiliones L.)

p. 187 : Chapitre VI. Betrachtung über die gegenwärtige anordnung des uns bekannten Schmetterlinge ( Examen de la disposition actuelle des papillons connus de nous ) 

p. 213 : Chapitre VII. Fortsetzung des Vorigen oder Erläuterung fernerer Zweifel und Einwürfe. ( Explication sur les doutes et objections précédentes) 

p. 236 : Chapitre VIII. Erklärung des Titelkupfers (Eclaircissement sur les Frontispices).

 commentaire sur le frontispice, énumérant les espèces animales représentées comme une illustration de la proximité, et des différences entre l'Ordre de Oiseaux (Colibri), des Neuroptères (Libellule) et des trois "Genres" de papillons, les Diurnes, les Sphinx et les Nocturnes ou Phalènes. 

p. 244 : Chapitre IX : Erklärung der zwo übrigen Kupfertafeln Tab. Ia und b (Éclaircissemnt sur les deux planches gravées Ia et b) : I, Der Eichenschwärmer  Sphinx Quercus. IV. Der Eichbuschspinner Ph. Bombyx Argentina. VI Die Wintersaateule Ph. Noctua Segetum XIII. Der Holzbirnspanner Ph. Geometrica Lunaria XV. Der Weidenzünsler Ph. Pyralis Salicalis XVIDer Buchenwickler Ph. Tortrix fagana. XVII Die Wickenschabe Ph. Tinea Viciella  XIX Die Windegeistchen  P. Alucita Pterodactyla Lin. et Scop. XX. Der Ruchgrasfalter Papilion Proserpina.

p. 304 : Vignette de Schiffermüller : noms des différentes parties des papillons.

Image :304

Vignette gravée Schiffermüller

Planche  Ia gravée par Landerer (Land.f) : papillons, chenilles et plantes-hôtes.

Image in Kudrna & Belicek 2005 :

                  Denis-et-Schiffermuller-planche-Ia.png

Planche Ib

Image in Kudrna & Belicek 2005 :

                        Denis-et-Schiffermuller-planche-Ib.png

p. 305 : Nachtrag zum Schmetterlingeverzeichnisse (Supplément au Catalogue des papillons)

p. 322 : dernière page, cul de lampe

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                                  LES AUTEURS:

      Michael Denis et Ignaz Schiffermüller étaient deux jésuites enseignant à la très réputée Académie Theresianum de Vienne jusqu'au démantèlement de leur ordre en 1773. Denis enseignait les belles-lettres et Schiffermüller le dessin architectural civile et militaire ; ils étaient l'un et l'autre imprégnés de l'esprit des scientifiques des Lumières. En 1775, il firent paraître une "Annonce" d'une Liste systématique des papillons des environs de Vienne. Le même texte paraît l'année suivante, mais seul le titre change : Systematische Verzeichniß der Schmetterlinge des Wienergegend. Dans les deux cas, aucun nom d'auteur n'est indiqué : on apprend seulement en page de titre que ce travail a été réalisé par des enseignants à l'Académie Impériale du Théresianum. En réalité, lorsque le livre se répand à travers l'Europe des naturalistes (sous le nom de Wiener Verzeichniss, W.V en abrégé), les auteurs ne sont plus "Thérésiens", car l'ordre des jésuites a été dissous en septembre 1773 par l'empereur Joseph II, et ils ont perdu leur poste au Theresianum. 

 

       Michael Denis  (1729-1800)                            Ignaz Schiffermüller (1727-1826)

 

 

      Denis                                         schifferportfolio mueller                       

 Ignaz Schiffermüller.

Beaucoup d'auteurs estiment qu'Ignaz Schiffermüller a été le principal ou même l'unique auteur du Verzeichniss. Un bref portrait de sa carrière est sans doute une introduction nécessaire à la compréhension de sa publication, et de leurs frontispices.

   Né à Linz en 1727, il  a suivi son noviciat auprès des Jésuites, a étudié la Philosophie à Vienne de 1749 à 1752 en s'initiant à la minéralogie et la numismatique auprès des frères jésuites. Au Gymnasium de Passau en 1752-1754, il rencontre Jean-Baptiste Darmani, autre jésuite qui lui fait découvrir la botanique. Puis vient l'ornithologie et l'entomologie. Après une année à Wiener Neustadt où il enseigne la poésie et la Rhétorique, il revient à Vienne : de 1755 à 1759 il étudie la Théologie à l'Université, puis est nommé sous-régent et préfet au séminaire de Saint-Pancrace. C'est en 1759 qu'il intègre l'Académie du Theresianum. Il accomplit sa troisième année probatoire en 1760-1761 à Judenburg où il mène plusieurs Missions en Haute-Styrie. Il reprend son poste au Theresianum comme Préfet des étudiants les plus âgés ; il est nommé professeur en 1765 et il enseigne pendant plus de 15 ans le dessin architectural et l'architecture civile et militaire et la théorie de construction. Il poursuit aussi sa seconde passion, l'établissement d'une nomenclature scientifique des couleurs.

  Pendant ce temps,  son intérêt pour l'Histoire naturelle ne le quittait pas. Son professeur de minéralogie Joseph Franz avait été chargé du Musée des Jésuites en 1759 ; parallèlement, François-Etienne de Lothringie le mari de l'impératrice Marie-Thérèse (qui donne son nom au "Theresianum") avait poursuivi un Cabinet d'Histoire naturelle. Ignaz débute en 1757 dans la plus grande discrétion une collection d'insectes (principalement des papillons), mais il est bientôt contraint de la dévoiler à quelques amis. Heinrich Joh. Kerens, professeur de Philosophe et de droit naturel (futur évêque de Roermonds) et  le directeur du Theresianum, tente de le convaincre de publier ses résultats, mais Schiffermüller manque de confiance en lui. Michael Denis, professeur en Belles-Lettres, l'assure de son aide, et ils vont ensemble prospecter la région de Vienne. De 1770 à 1774, ils partent parfois en excursion de dix jours durant, notamment au Schneeberg, dans les Alpes viennoises, à 2000m. d'altitude ; les collègues (on cite Alois de Goldegg et Lindenburg ) et les élèves du Theresianum participent aussi à la collecte des papillons. Schiffermüller a alors 400 chenilles et papillons, et il passe des heures, assis au coté de Denis pour consulter la 12ème édition (la plus récente) du Systema Naturae de Linné. En 1772, il fait publier son traité des couleurs "Versuch eines Farbensystems". Mais en 1773, alors que le classement des papillons était bien avancé, le pape Clément XIV fait paraître la bulle du 21 juillet 1773 abolissant la Compagnie de Jésus ; cette décision prend effet en Autriche le 14 septembre 1773. Denis est alors nommé bibliothécaire de la Bibliothèque Garelli, adjacente à l'Académie ; il se préoccupe de son œuvre poétique (sous son anagramme de Sined le barde), et n'a plus de temps à consacrer aux papillons. Schiffermüller poursuit seul le travail : il totalise 1150 espèces de papillons, alors que Linné n'en avait publié que 450! Non content de les identifier, de les classer et de les nomer, il étudie et décrit leurs différents stades et leurs mœurs. A la fin de l'année 1775, il est prêt, et publie l'Ankündung ou annonce, qui diffère très peu de l'ouvrage qui apparaît en 1776 sous le titre de Systematisches Verzeichnis der Schmetterlinge der Wienergegend herausgegeben von einigen Lehrern am k. k.Theresianum.

  Mais en 1777, un autre coup du sort le frappe : il est nommé directeur du Nordischen Collegiums de Linz. Il s'y rend la mort dans l'âme, emportant sa précieuse collection à laquelle il consacrera à sa passion le peu de temps que lui laissera la direction de 50 élèves. L'année suivante, il reçoit la visite de Paula von Shranck, son aîné de 20 ans dans la Compagnie de Jésus et qui avait été enseignant au collège de Linz de 1769 à 1773. Schrank découvre la collection de Schiffermüller, et reviendra l'aider à la mettre en ordre en 1783. En 1788, le monastère de Linz a été supprimé.

  Plus tard, Schiffermüller obtint le décanat (la cure) de Waizenkirchen, à 40 km à l'ouest de Linz et 260 km de Vienne. A sa mort en 1806, sa collection fut sollicitée par le British Museum, mais un médecin et entomologiste de Linz, Caspar Erasmus Duftschmidt s'évertua à amener la collection à Vienne ; elle fut reçue  par le Cabinet impérial d'Histoire naturelle (Kaiserlichen Hof-Naturalienkabinett) du Hofburg Palace à Vienne avec l'appui de son directeur Carl Schreiber, mais elle fut détruite lors d'un incendie pendant la révolution de 1848. 

 

 

 Johann Nepomuk Cosmas Michael Denis (Wikipédia)

Johann Nepomuk Cosmas Michael Denis dit Michael Denis ou Sined der Barde (Michael le barde) est un bibliographe, un poète et un entomologiste autrichien, né le 27 septembre 1729 à Schärding en Bavière et mort le 29 septembre 1800 à Vienne.

Il étudie au gymnasium de Passau, établissement dirigé par des jésuites. Il entre dans la Compagnie de Jésus en 1747. Il commence par enseigner le latin et la rhétorique d’abord à Graz puis à Klagenfurt. Après quatre années d'étude de la théologie à Graz, il est ordonné prêtre en1757 et commence à prêcher à Pressburg.

En 1759, il est nommé professeur de belles-lettres à la très réputée Académie Theresianum de Vienne où il demeure jusqu’en 1773, date à laquelle la Compagnie est dissoute. Il devient alors bibliothécaire à la bibliothèque Garelli, conjointe de l’Académie. Lorsque celle-ci disparaît en 1784, il obtient un poste de bibliothécaire-assistant à la bibliothèque de l’Empereur et en 1791, de bibliothécaire en chef.

Son œuvre poétique est particulièrement connue; il fait partie d’un cercle de poètes qui se nomment les bardes. .

Il s’intéresse également à l’entomologie et notamment aux papillons. Avec son collègue de Theresianum, Ignaz Schiffermüller (1727-1806), il constitue une remarquable collection de lépidoptères, mais celle-ci est détruite par les flammes lors la révolution de 1848. Les deux entomologistes font paraître la première faune autrichienne.

 

Anecdote : Michael Denis et Mozart.

 

       Un aria pour ténor a été composé par Mozart sur un poème de Michael Denis : il a pour titre Sineds' Bardengesang auf Gibraltar (le chant de Gibraltar de Sined le barde) : O Calpe! Dir donnert's am Fusse K.Ahn.25/K. 386d Récitatif „O Calpe! dir donnerts am Fuße" avec accompagnement de piano. Le Mont Calpe est le nom que porte le Rocher de Gibraltar, et l'hymne célèbre la victoire de la Grande-Bretagne résistant au siège par les troupes franco-espagnoles, et à l'attaque par des batteries flottantes en septembre 1782. Mais Mozart abandonna le projet après trois couplets, trouvant le style du poète fort beau certes, mais trop emphatique à son goût ( un style“exagéré et grandiloquent” ).

 

        

 

 

       .

      ANNEXE. La lettre de Schiffermüller à Linné le 11 septembre 1775. (in Kudrna et Belicek)

 

Nobilissime ac clarissime Vir !

Excusa, munusculum tibi offerre ignotus quod audeam, Systematicum Lepidopterorum circa Vienam observatorum catalogum. Cupido summopere, tuum de eo nosse judicium ; quo , quae erronea aut quoquo  modo defectuosa sunt, emendare in ea, quam per partes edere meditor, horum insectorum historia possim. Ego te, in Botanica, ita et in hac naturalis historiae parte ducem per omnia ac magistrum secutus sum ; paulo amplius tamen, pro enormi, quam haec regio obtulit, ac porro promittit, phalaenarum praecipue copia, tua subdividenda Genera censui, Familie nomine, plantarum a te statutis generibus fors suppari adapto. Tu, Vir illustrissime ! Boni rem consule, ac, si tantillum tibi vacat, vel leviter opus perlustra, ac tribus saltem lineis, quae de eo sentis expone.

  Nomen meum in libri fronte non adjeci ; cujus rei rationes alio in opere, quod de coloribus in lucem dedi, exposiu ; praecipua est, quod amici quidam observationes aliquas suppeditaverint praecipuus illorum, Michael Denis, etiam operam multam, in determinandis ordinandisque Tortricubus praesertim, Pyralidibus ac Tineis contulerit.

Vale, Vir Nobilissime ac summe colende

Datum Vienae in caes. Reg. Theresiano Collegio 11ma Septembris  1775. Ignatius Schiffermüller Architecturae civitis ac militaris Professor.

 

 

 

                                      Sources et liens.

 

— KUDRNA (Otakar),  Belisek (Josef), 2005, On the "Wiener Verzeichnis", its authorship and the butterflies named therein. Oedipus 23 :1-32, 2005. http://www.ufz.de/export/data/22/46695_Oedippus_23.pdf : 

— PROUT (Louis B.)  "On the ‘Ankündung eines systematischen Werkes von den Schmetterlingen der Wienergegend’ of Schiffermüller and Denis" Journal of Natural History: Series 7 Volume 6, Issue 31, 1900 pages 158-160http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00222930008678350

  — SATTLER (Klaus) TREMEWAN (Gerald) :2009 , "The authorship of the so-called "Wiener Verzeichnis" ". Nota Lepid. 32(1) 3-10  http://www.soceurlep.eu/tl_files/nota/bd32_1/01_Sattler.pdf

— SATTLER (Klaus) "Das Wiener Verzeichnis von 1775",  Zeitschrift der Wiener Entomologischen Geselischaft 80: 2–7, pls 1–3 http://www.landesmuseum.at/pdf_frei_remote/ZOEV_54_0002-0007.pdf

LYONNET (Pierre)

 — http://docnum.unistra.fr/cdm/compoundobject/collection/coll13/id/149468/rec/1

— https://archive.org/details/CUbiodiversity1121751

— http://gdz.sub.uni-goettingen.de/dms/load/img/

— http://www.biodiversitylibrary.org/bibliography/65772#/summary

— FUESSLI, Johann Caspar, 1743-1786 Verzeichnis der ihm bekannten schweizerischen Insekten mit einer ausgemahlten Kupfertafel: nebst der  Ankündigung eines neuen Insecten Werks Zürich,H. Steiner,1775

 

 

 

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Published by jean-yves cordier
11 janvier 2014 6 11 /01 /janvier /2014 22:33

      Le vitrail des Mois et du Zodiaque

           de la cathédrale de Chartres.

      La frise des Mois et du Zodiaque du portail occidental.

      Les horloges de la cathédrale .

Voir aussi :  Les travaux des Mois, le Zodiaque, et le Temps des médaillons de la cathédrale d'Amiens.

 

"Alice poussa un soupir de lassitude. « Je crois que vous pourriez mieux employer votre temps, déclara-t-elle, que de le perdre à poser des devinettes dont vous ignorez la réponse.
– Si tu connaissais le Temps aussi bien que moi, dit le Chapelier, tu ne parlerais pas de le perdre, comme une chose. Le Temps est un être vivant. [...]

—Tout ce que je sais, c'est qu'il faut que je batte les temps quand je prends ma leçon de musique.

– Ah ! cela explique tout. Le Temps ne supporte pas d’être battu. Si tu étais en bons termes avec lui, il ferait presque tout ce que tu voudrais."

 

 

 

Qui trop embrasse mal étreint...Le Temps ! Chartres ! 

Les commentaires vont bon train... Comme il y va ! Quel fatras !

Mais j'ai voulu réunir des éléments de l'iconographie du thème (le plus souvent traité conjointement) de la succession calendaire des Mois et de leurs Travaux agricoles, et des signes du Zodiaque, assemblés sous la main de Dieu qui, dans sa Bonté, les créa et nous les confia. Vingt-quatre motifs, dont la représentation est fixée depuis les Chaldéens ou les Babyloniens (-1740), et qui se suivent à la queue-leu-leu .

Le cœur de cet article est la présentation du vitrail ; les autres éléments venant, à mes yeux, en contrepoint.

MENU.

— Le Zodiaque de l'Horloge astrolabique (1407).

— Les travaux des Mois et le Zodiaque du portail Nord (1198-1217).

— Les travaux des Mois et le Zodiaque du portail Royal (1142-1150).

— Les travaux des Mois et le Zodiaque du vitrail du déambulatoire Sud (>1218), mis en parallèle à celui de la Rosace de Notre-Dame de Paris.

— Le vitrail des Mois et du Zodiaque : inspiré par les Géorgiques de Virgile ?

Il resterait à étudier le Zodiaque sculpté du Jubé. Demain.

Ces réalisations sont à comparer aux œuvres suivantes :

 

 

 

I. LE CADRAN SOLAIRE ET LA MÉRIDIENNE.

1. L'Ange au cadran : le cadran est daté de 1578.

L'Ange-méridien du XIIe siècle autrefois sculpté à l'angle méridional du vieux-clocher semble le plus ancien témoin que la ville de Chartres possède destiné à marquer les heures, et à l'usage du public. Il porte dans ses bras un cadran solaire. Il s'agit d'une copie moderne, l'original étant placé dans la crypte.  

 

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2. Les "Méridiennes" sont apparues avec l'avènement des premières horloges mécaniques. Celles-ci étant de précision et de fiabilité précaires on a eu longtemps recours aux "horloges solaires" pour le réglage de leurs "homologues" mécaniques! Les méridiennes servent à marquer le passage du soleil au méridien local en indiquant le midi du temps vrai. 

 

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II. LES HORLOGES DE CHARTRES ET LE ZODIAQUE.

Repères en horlogerie :

— En 1295, le pape Urbain II instaure l'Angélus, sonné manuellement afin de convier les fidèles à la récitation de l'oraison à sept heures, midi et dix-neuf heures. Louis XI en 1472 instaure par décret cette pratique .

 L'angélus se sonne par trois séries de trois tintements suivis d'une « pleine volée ». Les tintements correspondent au début du versicule, du répons et de l’Ave. A Chartres, l'Angélus, à 8h, 12h et 19h, est précédé 2 minutes avant par le carillon sur 6 notes (il n'y a que six cloches) d'un Salve Regina adapté.

— Les premiers mécanismes à rouages apparaissent au XIIIe siècle pour animer les marteaux qui frappent les cloches.

— Les premières horloges, à une seule aiguille, apparaissent au XVe siècle : leur précision n'est que de 40 minutes.

 —Le balancier n'est inventé qu'au XVIIe siècle, améliorant la précision : l'aiguille des minutes apparaît alors.

 

 

L'horloge astrolabique de Chartres.

 

Elle se compose d'un cadran extérieur, et d'un cadran intérieur décoré d'un Zodiaque.

Le cadran extérieur du pavillon de l'Horloge est visible depuis la rue de l'Étroit Degré. 

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  Ministère de la Culture : "Le pavillon de l'Horloge, construit au flanc nord de la cathédrale, fut commandé par le chapitre de la cathédrale pour abriter le mécanisme d'horlogerie qui actionnait jusqu'en 1887 le timbre à marteau placé dans la lanterne du clocher nord et l'horloge de la façade. Ce mécanisme était relié à la cloche par un système de tringles extérieures fixées à la paroi de la tour. A la fin du 19e siècle, une horloge comtoise fut installée pour indiquer les heures au cadran de la façade. Le pavillon fut consolidé en 1862, restauré en 1864 ; la pierre fut nettoyée et les chiffres du cadran furent redorés à la feuille d'or en 1991. Le mécanisme fut restauré en 1990 ; bien que vraisemblablement incomplet, il est toujours en état de marche. On accède au mécanisme installé à l'étage par un escalier intérieur, une fosse de six mètres de profondeur permettait la descente des poids. Le mécanisme devait être remonté tous les jours.

  "Cadran encadré de pilastres et parsemé d'étoiles et de rayons, anges musiciens et sirènes portant des torches allumées et présentant un cuir découpé dans les écoinçons, corniche supérieure ornée d'éléments végétaux, inférieure ornée d'oves et de denticules, alternance de modillons à feuille d'acanthe et coquille Saint-Jacques, pilastres d'angle amortis par des candélabres à l'antique."

Jehan Texier, dit Beauce Jehan de (maître d'oeuvre)

 

 

Le cadran intérieur se trouve dans la clôture du chœur, côté nord.

 

 

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" Au Moyen-Âge, l'emprise progressive de la religion catholique et la prédominance absolue de l'agriculture structurent la vie des hommes tant sur une journée (prières, taches agricoles, …) que sur une année (cycles liturgiques et saisonnier).

Avant l'apparition de l'horloge mécanique, le cadran solaire servait aussi bien à indiquer le temps public que le temps religieux. De par sa situation au pied de la tour nord, porté par un ange (statue du XIIe siècle), ce cadran donnait l'heure à tous les habitants de la ville de Chartres. Pour l'église, cependant, l'usage d'un cadran solaire est primordial. Celle-ci a dû recourir aux savants et à leurs instruments de mesure au risque de mal déterminer la date de Pâques (depuis le concile de Nicée de 325, il s'agit du premier dimanche qui suit la pleine lune de printemps).

Au Moyen-Âge, les arts et les connaissances scientifiques sont presque exclusivement cultivés par les religieux qui pour la réglementation des offices, ont besoin d'une subdivision précise du jour et de la nuit. C'est pourquoi les premières horloges étaient placées à l'intérieur des églises.

L'horloge astronomique est mentionnée dès 1407. Bien que son mécanisme ait été employé à forger des piques lors de la Révolution, son cadran et ses rouages chargés de l'animer sont toujours en place. D'une configuration particulière, elle constitue avec l'horloge de Bourges, les deux seuls exemplaires de ce type conservés et connus dans le monde.

Son cadran d'un mètre de diamètre indique les 24 heures de la journée, les phases de la lune, le temps d'un cycle lunaire, et les signes du zodiaque correspondants au mois de l'année. L'unique aiguille de l'heure est munie d'une fente longitudinale afin d'indiquer la hauteur de l'astre en fonction des périodes de l'année."

(in Bon de souscription à la restauration du mécanisme, DRAC Centre, s.d http://www.cechfrance.fr/document/souscription_chartres.pdf )

  Le mécanisme a fait l'objet d'une restauration depuis 2008 par l'entreprise Prêtre de Mamirolles. Le redémarrage a été inauguré le 22 mai 2010.   

 

Description du cadran in Irène Jourd'heuil Patrimoine restauré en région Centre n°21 (mai 2010) Publication de la Direction régionale des affaires culturelles du Centre, en ligne :

 

  "Présenté dans un médaillon de pierre, sculpté de vases d’où s’échappent des rinceaux et bordé d’un tore de ruban ajouré, le cadran est porté par deux anges en haut-relief aux ailes rapportées, probablement en bois doré mais aujourd'hui disparues, semblant prendre appui sur les contreforts qui encadrent la travée. Un motif peu lisible forme culot sous le cadran et est flanqué dans les écoinçons inférieurs, de deux motifs de rosaces à feuilles dentelées. D'après Marcel Bulteau, il s'agissait d'un troisième ange brisé qui saisissait le cadran par dessous et semblait le maintenir en suspens dans les airs. Au-dessus du médaillon de pierre, la travée est ajourée et laisse voir le décor de la voûte, divisée en de multiples voûtains par un jeu complexe de liernes et tiercerons formant une résille de flammes et mouchettes moulurées sous l’extrados. Malgré les modifications du XVIIIe siècle, cette voûte s’ouvre du côté du choeur par trois arcs trilobés.Au Moyen Âge, la mesure du temps était essentielle, notamment pour l'organisation de la vie religieuse. La fin du XIIIe siècle vit l'apparition des horloges qui connurent un développement extraordinaire au XIVe siècle où apparurent notamment les horloges astrolabiques. Ces dernières se définissent par leur programme qui ne se contente pas de fournir l'heure mais qui reproduit le mouvement annuel du soleil et/ou celui de la lune.

  "Le mouvement de la lune est montré par l'affichage de ses phases qui connaissent des variations infinies depuis la nouvelle lune jusqu'à la pleine lune tandis que le mouvement du soleil dans le zodiaque au cours d'une année est quant à lui indiqué par le mouvement d'une aiguille dans le cas d'un zodiaque fixe, ou par le mouvement du zodiaque lui-même. Il s'agit alors d'un transfert des caractéristiques propres de l'astrolabe, dont les horloges de ce type sont des mécanisations. Ce transfert a pour conséquence que la projection stéréographique caractéristique de l'astrolabe ne concerne pas seulement la sphère céleste mobile mais aussi la sphère fixe de référence. D'où la projection de l'horizon du lieu avec la partie diurne quand le soleil est au-dessus de l'horizon et la partie nocturne quand il est au-dessous.

   "Cette projection s'accompagne aussi généralement de la présence des lignes des heures inégales, vieille division en parties égales d'une part de la partie diurne de la journée, et d'autre part de sa partie nocturne. D'où une conséquence paradoxale qui veut que l'horlogerie astrolabique a contribué à assurer une certaine survie aux heures inégales alors que l'horlogerie était censée faire prévaloir les heures égales. Outre le fait que ce type d'horloge aide à l'organisation des offices mais aussi à la détermination de la date de Pâques, et celle des éclipses, il trahit aussi un intérêt certain pour l'astrologie car la disposition du zodiaque par rapport à l'horizon et par conséquent des planètes qu'il héberge, permet de déterminer les horoscopes.

 

    "En 1258, les Chartrains obtinrent que les chanoines soient tenus de faire établir et entretenir une horloge publique placée en un endroit éminent et qui put servir pour toute la ville. Il s'agit de la plus ancienne mention d'une horloge (sans doute hydraulique) à Chartres. Elle fut installée dans une des maisons situées juste devant le collatéral sud de la cathédrale. En 1359, un document atteste que la cathédrale possédait deux horloges qui ne devaient néanmoins pas sonner d'elles-même : l'une à l'extérieur et l'autre à l'intérieur pour le service du culte. C'est la plus ancienne mention que nous ayons d'une horloge installée à l'intérieur de l'édifice. On peut supposer qu'elle remplissait l'office d'un réveil-matin.

 

  "En 1407, un acte capitulaire décrit dans la cathédrale, à un emplacement qui n'est pas précisément connu, une horloge indiquant, outre les heures, les signes du zodiaque. Le chapitre ordonne en effet que le cadran sur lequel se voit le zodiaque soit refait richement. Il pourrait s'agir de l'horloge que l'on conserve encore aujourd'hui, même si l'on ne peut en avoir aucune certitude et s'il reste même quelques incertitudes : les roues en fer épais, assemblées à la forge, évoquent d'autres dispositifs plus récents... Si cette proposition d'attribution et de datation était exacte, ces éléments n'auraient été installés qu'ultérieurement dans la clôture actuelle. Une délibération capitulaire de 1527 nous apprend en effet que cette même année, deux escaliers étroits en vis sont construits au sud, dans la clôture, le second ouvre dans le déambulatoire par une porte flamboyante percée sous le cadran et mène au mécanisme de l’horloge. Cette dernière fut terminée vers 1528 et totalement intégrée dans son encadrement de pierre."

Description du cadran lui-même (Irène Jourdr'heuil, op. cité)

  "Le cadran indique :

- les vingt-quatre heures du jour

- le jour lunaire et les phases de la lune

- les signes du zodiaque peints sur un disque indiquant la

marche du soleil dans l'écliptique

- la hauteur du soleil au cours de l'année

 - les heures des lever et coucher du soleil

Mesurant 105 cm, le cadran est constitué de quatre plaques indépendantes en alliage cuivreux assemblées sur un axe central :

1- le cadran horaire est fixe et timbré des vingt-quatre heures de la journée divisées en deux fois douze heures, séparées par des feuilles de trèfles marquant les demie-heures. Une croix en fer forgée fixée sur la bande des heures servait de support à l'axe d'une aiguille qui faisait le tour de cette dernière en 24 h indiquant ainsi l'heure équinoxiale locale.

La restauration a révélée des traces de polychromie sur le cadran horaire, qui correspond aux traits de gravure de la tôle et qui pourrait donc être le décor originel, atteste la présence de noir, doré, vert, blanc jaunâtre et rouge minium posés sur une couche d'apprêt de couleur blanc/gris.

 

2- le cadran lunaire ou des étoiles, en tôle en alliage cuivreux de couleur or en bronze ou laiton, est orné d’étoiles or sur fond bleu azur. Mobile, il fait un tour en une journée lunaire.

Une polychromie sous-jacente de couleur bleue nuancée y est détectable.

3- le cadran lunaire est percé d’un orifice permettant de faire défiler le cercle en alliage cuivreux de couleur or en bronze ou laiton, des différentes phases de la lune dans le ciel de Chartres en fonction de son occlusion plus ou moins complète.

4- le cadran zodiacal, en tôle en alliage cuivreux de couleur or en bronze ou laiton, est orné des noms et figurations des douze signes du zodiaque (représentant les mois) et des trente degrés de chacun d’eux. Il se mouvait d’un degré environ chaque jour et pour savoir dans quel signe était le soleil, il suffisait de voir quel était celui qui passait sous la grande aiguille de l'astre. La ligne en arc de cercle qui est fixée au cadran horaire est l’horizon du lieu : elle est le seul élément appartenant au tympan de l’astrolabe qui soit représenté, à la différence de ce qui se passe parfois ailleurs, où il y a aussi la partie nocturne du tympan et les heures inégales.

Sur le cadran zodiacal, on observe la trace d'une dorure ancienne et la présence de polychromie bleue,rouge, verte... Les lettres actuelles laissent apparaître par transparence sous la couleur blanche du fond, les anciennes lettres.

Dans l'unique aiguille des heures qui indique l'heure équinoxiale, réalisée en alliage ferreux, un petit soleil se déplaçait dans une longue fente, appelée boutonnière, indiquant la hauteur de l'astre par rapport à l'horizon en fonction des périodes de l'année et plus précisément par rapport au cercle excentrique (écliptique) fixé sur le cadran zodiacal. La représentation actuelle du soleil, fixé désormais à la pointe de l'aiguille, est donc sans doute le fait d'une restauration soit maladroite, soit renonçant à la lecture de certaines informations. L'horloge de Chartres était remise à l'heure chaque midi à l'aide des cadrans solaires et, en particulier à partir de la fin du XVIe siècle avec la réforme du calendrier promulguée par le pape Grégoire XIII, à l'aide des méridiennes extérieure et intérieure (calculée et installée en 1701, il ne subsiste de celle du chanoine Claude Estienne que l'indication de midi au 21 juin).

Techniques de fabrication

  "Au Moyen Âge, armuriers et forgerons réalisaient les horloges à l'aide de la forge, du compas et de la lime. Parmi les éléments métalliques de l'horloge de Chartres, ceux réalisés en fer semblent avoir été forgés. Les éléments en alliage de cuivre semblent quant à eux avoir été mis en forme par planage et découpe. On trouve sur les surfaces métalliques de nombreuses traces de fabrication en gravure, comme les lignes de tracés ainsi que des lignes de symétrie servant à placer les éléments ou à marquer le futur décor comme au niveau du cadran extérieur. Les dents de trois des roues ont ainsi des lignes de traçage marquées par de petits points. La plupart des éléments ont été assemblés soit par rivetage, soit par soudure. L'ensemble des cadrans et aiguilles sont fixés entre eux par des tenons.

  "La technique picturale, domaine du peintre, est à base d'huile ou émulsion (colle et huile) sur métal. La peinture est appliquée au pinceau en couches fines ou épaisses. Une partie du fond est dorée à la mixtion et l'ensemble est non verni.

  "La restauration de la polychromie de l’horloge a été menée en 2006 par Géraldine Aubert, diplômée de l’Institut National du Patrimoine. Le grand apport de la restauration a été de révéler la présence d'une polychromie sous-jacente de très bonne qualité bien que lacunaire."

 

 

 

Les douze signes du Zodiaque portent les noms de Aries  Pesces Aquarius Capricornus Sagitarius Scorpius Libra Virgo Leo Cancer  Gemini Taurus.

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  Thése Lyon : les premières horloges mécaniques :http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2004/eyraud_ch/pdfAmont/eyraud_ch_chapitre02.pdf

      http://www.cathedrale-chartres.fr/portails/portail_nord/baie_droite/vouss5_00.php

 

III. LE ZODIAQUE ET LES TRAVAUX DES MOIS DU PORTAIL NORD (1198-1217).

Ce Zodiaque précède celui du vitrail (postérieur à 1218). Il occupe les voussures les plus extérieures de la Baie de droite, consacrée à des éléments anté-testamentaires (Job et le Jugement de Salomon) préfigurant l'Incarnation (Baie de gauche) et le Triomphe de la Vierge (Baie centrale). Il se trouve donc à la droite immédiate du Couronnement de la Vierge, de même qu'à l'intérieur, le vitrail des Mois et du Zodiaque voisine celui de la Vierge à l'Enfant de la Belle Verrière.

La voussure 6 du portail présente les douze signes du Zodiaque. La voussure 5 place, en regard de chaque couple de signe zodiacal, le travail du mois correspondant.

 "Dans ces voussures, les activités rurales suivent la marche du soleil. La Lumière du jour croît jusqu'au soltice d'été : le mois de juin est au sommet de l'arc. Puis les jours décroissent jusqu'au soltice d'hiver : le mois de décembre est au bas de l'arc" (Site www.cathedrale-chartres.fr

 

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Cliquer pour agrandir :

Inscription DIEMPS. : Bonhomme Hiver ; Capricorne ; Verseau ; Poissons ; Belier / Janvier ; Février ; Mars ; Avril.

Chaque mois correspondant à deux signes du zodiaque, l'artiste, pour créer le décalage nécessaire, a débuté la série zodiacale par un personnage de chaque coté ; Bonhomme Été et Bonhomme Hiver. Près de ce personnage se lisent les lettres DIEMPS (ou DTEMPS??), d'où on peut isoler le mot latin Diem, "Jour".

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 Personnage (Temps?), Capricorne, Verseau, Poissons et Janvier -Février-Mars.

—  Janvier : Janus terminant de manger le Passé, et se préparant à entamer le Futur, tenu de la main gauche. Janus présente deux visages. Celui de gauche est celui d'un vieillard et représente les travaux de l'année écoulée ; celui de droite est un visage jeune et symbolise l'an nouveau.

 

—  Février est un homme chaudement vêtu présentant ses jambes dénudées au feu.

— Mars taille la vigne avec une serpe à talon ou serpe à huppé bien visible.

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Bélier, Taureau, Gémeaux et Avril, Mai et Juin.

—Avril, richement vêtu d'une cape, tient un objet à deux branches (fleurs brisées ?)

—Mai, chasse au faucon.

— Juin tient sa faux et la pierre à aiguiser.

Les Gémeaux réunissent leurs mains pour tenir une boule (fruit ?).

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Même scène (détail) Taureau, Gémeaux et Mai, Juin.

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Cancer, Lion, Vierge, Balance et Juillet, Août, Septembre, Octobre.

— Juillet remonte sa tunique pour dégager ses jambes nues ; il porte un fagot.

— Août coupe les foins à la faucille.

— Septembre, coiffé d'un bonnet, foule le raisin des vendanges en s'aidant d'une sorte de pilon.

— Octobre ramène une récolte de ? qui gonfle le manteau à capuchon dont il se sert comme sac.

 

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Scorpion, Sagittaire, et Octobre, Novembre puis Bonhomme Été.

— Scorpion en lézard à six pattes et Sagittaire en Centaure qui a perdu son arc.

— Novembre mal visible garde les cochons ?

— Décembre, lui, tue le cochon.

— Été, beau comme un dieu grec, quasi nu, tient derrière lui un voile glorieux.

 

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Capricorne.

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Bélier.

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Taureau.

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Gémeaux.

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Lion.

 

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Cancer (Écrevisse).

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Verseau.

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Les Poissons.

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IV. LE ZODIAQUE DU PORTAIL ROYAL (Ouest), baie de gauche.

Il est plus ancien que le précédent et date de 1142-1150. Il appartient à l'art roman.

L'écart iconographique est frappant: les motifs du zodiaque sont bien différents.

La disposition adoptée fait alterner sur deux voussures un signe zodiacal, puis un travail du mois.

J'ai tenté de décrypter les images, avec le sentiment de ne pas y être parvenu. 

1.   Voussure interne, du bas à droite  vers la gauche :

A droite :

  • Repas de Janvier/Janus attablé devant une coupe et un pain
  • Capricorne 22 décembre-19 janvier
  • Février, homme vêtu d'un manteau et d'une pelisse fourrée se chauffant
  • Verseau : 20 janvier-18 février
  • Mars, taille de la vigne

Au centre, un élément ovale tombe, en goutte, d'un autre élément horizontal marqué par des lignes ondulées (C'est la colombe de l'Esprit-Saint descendant des nuées, et tenant une nimbe crucifère). Je pose l'hypothèse que le signe des Poissons, attendu ici, est remplacé par un Poisson ICHTUS, symbole du Christ ; il est situé juste au dessus de la tête du Christ de l'Ascension, dans le tympan.

Il faut repartir du bas à gauche :

  • Avril couronné de fleurs et tenant deux plants
  • Bélier 21 mars -19 avril
  • Mai : Chasse au faucon.
  • Taureau 20 avril-20 mai
  • ? Homme, qui serait Juin.

2. voussure la plus extérieure du bas à gauche vers la droite:

  • Les Gémeaux sont absents
  • Juillet, les foins.
  • Cancer (six pattes et deux pinces)  22 juin-22 juillet
  • Août, la moisson est battue : le fléau est au dessus de la tête de l'homme.
  • Lion : 23 juillet-23 août.
  • Septembre, foulage du raisin
  •  Vierge (assise) : 24 août-22 septembre 

Repartir du bas à droite :

  • Vendanges, coupe du raisin.
  • Balance 23 septembre-23 octobre
  • Novembre, tuée du cochon.
  • Scorpion (huit pattes) 24 octobre-22 novembre.
  • Banquet annuel de décembre : un homme est servi par une servante.
  • Sagittaire 23 novembre-21 décembre.

Il manque donc deux signes, les Poissons et les Gémeaux, deux signes gémellaires qu'on a prétendu retrouver...dans la Baie droite du même portail, sur la voussure 1. voir :

http://www.cathedrale-chartres.fr/portails/portail_royal/baie_droite/vouss12_16.php

http://www.cathedrale-chartres.fr/portails/portail_royal/baie_droite/vouss12_15.php

Comme la sculpture représente un seul poisson (sous des arbres où deux oiseaux sont perchés), on a prétendu...qu'un des poissons avait disparu.

Or, ni ces Gémeaux, ni ces Poissons ne répondent à des modèles fixés depuis la haute antiquité ; d'autre part, il n'y a aucune raison (on a parlé d'erreur de remontage des portails) de transférer des éléments d'un portail à l'autre.

Il me paraît donc beaucoup plus séduisant, et conforme aux pensées théologiques élevées des commanditaires, de postuler que ces deux signes géméllaires sont des symboles du Christ. Cela semble clair pour les Poissons, car le Poisson est depuis le christianisme primitif non seulement le symbole, mais le signe du Christ dont le Christogramme ichtus (du grec ancien ἰχθύς / ikhthús « poisson ») est l'acrostiche de Ièsous Christos Théou Uios Sôtêr "Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur".

 Si l'hypothése est juste, dans ce cas, le signe des Gémeaux doit procéder d'une explication du même ordre.

 Au deuxième siècle Zénon de Vérone avait composé un Zodiaque eucharistique, qui fut repris du XVe au XVIIe siècle, et dans lequel les douze signes sont des qualités du Chrst (par exemple, "comme le soleil dans les Gémeaux, il exerce les deux  fonctions de l'amitié, il converse avec plaisir et donne avec largesse"). Ce n'est pas la bonne piste.

 L'explication est peut-être très simple et pragmatique : chaque demi arc est composé  de cinq signes ou scènes en voussure interne (ils sont plus petits, car l'arc est plus court) et de six motifs en voussure externe. Si le théologien voulait faire figurer cette belle idée de remplacer Pisces (Poissons) par Ichtus, il était obligé de renoncer aussi, à un autre signe pour obtenir un chiffre pair et réaliser un portail symétrique. C'est précisément le signe des Gémeaux qui vient après avoir rempli l'arche interne, en symétrie des Poissons tout en bas de l' hémi-arc gauche externe. 

Or, les deux anges situés de part et d'autre du Christ en Ascension peuvent réaliser une figure des Gémeaux. Cela fera l'affaire.

Ou bien, tout simplement, l'artisan a ôté les signes Pisces et Gemini pour avoir dix signes, comme il a réduit le nombre d'apôtres à dix dans le linteau.

 

 

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IV. LE VITRAIL DES TRAVAUX DES MOIS ET DU ZODIAQUE DU DÉAMBULATOIRE SUD. 

On peut voir ce vitrail comme un assemblage des signes, somme toute bien banale dans tous nos horoscopes, des signes du Zodiaque. Mais lorsqu'on a remarqué, tout en bas, le sonneur arc-bouté à la corde des cloches, puis que l'on remarque que cette corde monte, par le milieu des quatre quadrilobes centraux (Janvier , Mai, Juillet et Octobre) jusque au Christ Chronocrator qui siège en majesté là où on attendait le campanile et ses cloches, on comprend qu'on a affaire à la mise en image d'une prédication sur le Temps, où l'ordonnance des Mois et celle des Constellations participent à un corps christique mystique : le chrétien vivra le cours des heures, des jours et des saisons comme un temps religieux marqué par les oraisons et les offices, dans une participation active à la réalisation de l'avènement christique.

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  Quelques temps plus tard, les Livres d'Heures ne diront rien d'autres. Comme le son des cloches, la Parole de Dieu scande cette matière invisible de la Vie qu'est le Temps.

 

I. Le registre inférieur : les donateurs.

Trois vitraux à Chartres sont, dit-on (C. Manhes-Deremble (1993) ; Wikipédia (2014), des donations des vignerons : celui de Saint Lubin, la Vie de la Vierge 28b, et celui du Zodiaque. Les deux derniers font figurer le comte Thibaud VI de Chartres (et de Blois ), dit le Jeune ou le Lépreux, à l'écu au champ d'azur coupé d'une bande d'argent. Thibaud VI est mort en 1218, après avoir contracté la lèpre aux Croisades.

Les armes du Comte Thibaut VI de Blois sont: Blason Blois Ancien.svg " D'azur, à une bande d'argent, cotoyée de deux cotices d'or." Ces armes se retrouvent sur le pennon à l'extrémité de sa lance.

 

Dans le vitrail des Mois, il est à cheval face à un groupe de personnages . La bande d'argent de l'écu est traversée par une ligne ondée noire doublée de lignes parallèles : le champ azur est divisée par des lignes fines en carreaux centrés par un point.

       Une inscription précise COMES : THEOBALD[US]. DAT. HO.. V. ESP(El) VINERU*S : AD : PRECES : COMITIS:  (PERT)ICE .IENSIS.

*tilde

— Comes Theobald dat : "le comte Thibaud fait donation"

— HO...S :  HO[C] . 

— Espe : la barre du P est barrée en abréviatif de p(er) ; mais le mot espere n'a pas de sens en latin. On peut croire à VESPER (soir), incongru. C'est un fragment de verre, qui a peut-être été mal replacé.

— Le mot Vinerus serait fautif pour Vinetus, i, "la vigne". Mais comment comprendre le tilde sur le U ? Vineruns ? Cette incompréhension n'incite-t-il pas à deviner un mot signifiant "vitre" ? 

 — ad preces comitis : "à la demande (prière) du comte"

— P..ice.iensis : peut-être : Perticensis "du Perche"; le P au jambage barré serait ici plausible:

L'inscription est déchiffrée ainsi : "Le Comte Thibaud fait donation de ce vignoble selon le vœu du comte du Perche". Ce dernier ne peut être que Thomas, Comte du Perche, né vers 1195 et mort devant Lincoln le 20 mai 1217, c'est à dire un an avant Thibaud de Chartres. La scène se passerait donc entre le 20 mai 1217 et le 22 avril 1218. 

Au total, cette inscription n'a pas été déchiffrée avec fidélité, ou plutôt elle a été bouleversée dans sa partie droite (bris) sur les deux lignes superposées, et conserve une part de mystère. Il semblerait logique que la donation porte sur le vitrail, plutôt que sur un vignoble ; les trois personnages prosternés devant le chevalier armé et en tenue de combat correspondent mal à une scène de réception de don de vignes, et mieux à un croisé délivrant les chrétiens. 

 Un auteur américain, Henry Adams (2004) s'est penché sur cette inscription et sur les personnages incriminés ; je renvois à sa publication, disponible en ligne, mais je m'en inspire pour préciser ceci : 

      La seconde bataille de Lincoln a eu lieu au château de Lincoln le 20 mai 1217, dans le cadre de la Première Guerre des barons, entre les forces de Louis de France – le futur Louis VIII – et celles du roi Henri III d'Angleterre.

L'armée du roi de France est alors attaquée par une partie de l'armée anglaise, commandée par Guillaume le Maréchal régent d'Angleterre. Le comte du Perche, Thomas du Perche, est tué dans la bataille, qui est la dernière victoire du Maréchal. Guillaume le Maréchal, qui aurait pu faire prisonnier Louis de France, le raccompagne sur la côte du sud de l’Angleterre. Les batailles navales de Sandwich et de Douvres, la même année, suivront.

 Louis de France, dit "Le Lion"( né en 1187), Thomas du Perche (né vers 1195) et Thibaud de Chartres étaient cousins et avaient à peu-près le même âge : voici leurs liens généalogiques. Ils étaient amis en 1215 et vénéraient tous les trois la Vierge de Chartres. Nous savons que Thibaut de Chartres a participé à cette bataille par le poème d'un Ménestrel de Reims qui écrit : "Et assembla granz genz par amours, et paro deniers, et par lignage.

 Et fu avec lui li cuens dou Perche, et li cuens de Montfort, et li

 cuens de Chartres, et li cuens de Monbleart, et mes sires Enjorrans

de Couci, et mout d'autre grant seigneur dont je ne parole mie."

Carte généalogique montrant les liens entre l'Angleterre, la Champagne, Chartres, la France et le Perche (in Henry Adams) :

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Carte montrant la situation voisine du Perche et de Chartres :

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Le "pagus perticensis" ou Comté du Perche se trouve à une cinquantaine de kilomètres à l'ouest de Chartres ; le comte Rotrou IV et son fils Geoffroy III participèrent aux croisades. Le fils de Geoffroy est le Thomas du Perche qui nous interesse.

Au total, j'interprète l'inscription comme le don de ce vitrail par le Comte Thibaut de Chartres sur la demande de son ami et cousin Thomas du Perche, mort durant la bataille de Lincoln le 22 mai 1217. Le don d'un "vignoble" reste possible, mais me semble étrange. 

  Je note par exemple que, dans la liste des corporations de Chartres en 1524, comme elle apparaît dans l'Ancien réglement de la ville, Arch. Munic. t.I, p. 212, in Rev. Archeol. vol.14(2) p. 485, celle des vignerons n'est pas citée. Cette liste est pourtant longue, qui comprend les boulangers, pelletiers,foulons, barbiers et chirurgiens, tissiers en drap, peigneurs et escardeurs, tonnelires, cordiers, merciers, chausseliers, menuisiers, orfèvres, maréchaux, potiers d'étain, charpentiers et charrons, maçons, chaudronniers, cordonniers, armuriers et fourbisseurs, tondeurs, tisseurs en soie, tanneurs, corroyeurs, chapeliers et couturiers. Mais point de vignerons.

 

 

 

      Cliquer pour agrandir : 

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La donation, partie gauche. 

  Dans un médaillon symétrique à celui de droite, cinq personnages s'activent dans une vigne ; ou plutôt trois d'entre eux, penchés, tête nue, travaillent la terre avec des houes. Ils portent des braies et des guêtres, et une tunique mi-longue. Deux d'entre eux ont derrière leur dos, en ceinture, un sac oblong.

  Les deux autres ont la tête recouverte par un capuchon ou scapulaire, comme des moines ; ce long scapulaire recouvre une tunique descendant aux chevilles. Que fait le personnage au premier plan ? De la main droite, il tend un objet au dessus de la terre travaillée par les autres hommes ; et son bras gauche retient un sac, ou une serpe. Son collègue semble tenir des deux mains un manche. 

  Autour d'un tronc épais, noueux et de bois clair des sarments serpentent de façon désordonnée. Enfin, en bas, une roue surplombe une plaque armée de billes.

 

 

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Je ne sais pas sur quelle base, quel acte de donation, des experts ont affirmé qu'il s'agissait ici du témoignage que ce vitrail était offert par les Vignerons. La région de Chartres n'est pas une région où cette culture était dominante : elle n'est pas la source de la richesse locale. Le vitrail n'est pas non plus voué à la vigne, et, si sa culture illustre les mois de mars, de septembre et d'octobre, c'est également le cas des autres vitraux consacré au thème des Mois, comme à Notre-Dame de Paris, ou celui des Livres d'Heures.

 On peut aussi penser que le vitrail répond à un programme théologique où la culture de la vigne va développer la métaphore de la Vie, avec sa croissance, ses cycles, ses  métamorphoses, ses dangers, son exigence d'ascèse et de vigilance ; la vigne comme visualisation du temps; la vigne de l'évangile de Jean :

 

Je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron.Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il le retranche; et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, afin qu'il en porte davantage.Déjà, vous êtes purs, à cause de la parole que je vous ai annoncée.Demeurez en moi, et moi en vous. Comme le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s'il ne demeure uni à la vigne, ainsi vous ne le pouvez non plus, si vous ne demeurez en moi.Je suis la vigne, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi, et en qui je demeure, porte beaucoup de fruits: car, séparés de moi, vous ne pouvez rien faire.Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors, comme le sarment, et il sèche; puis on ramasse ces sarments, on les jette au feu et ils brûlent. Jn 15, 1-6.

Mais la culture de la vigne appartient, comme nous l'avons vu sur les Portails de Chartres, à l'iconographie des Travaux des Mois de façon très traditionnelle et stéréotypée.

 

Janvier et le Verseau.

 C'est le premier quadrilobe.

JANUARIUS : le nom latin révèle qu'il honore le dieu romain Janus, dieu des portes, des commencements et des fins (de l'l'Alpha et de l'Oméga), dieu bifrons, à la double face, encore tournée vers le passé et déjà tournée vers le futur.

 

Januarius
Les six premiers ans que vit lhomme au monde.
Nous comparons a Janvier droictement
Car en ce moys vertu ne force habonde
Nemplus que quant six ans ha ung enfant.

(Citation anachronique —1510— extraite, comme les suivantes, du Livre d'heures à l'usaige du Mans publié par Simon Vostre)

 Le personnage Janvier est figuré au seuil d'une porte, mais il a ici trois visages, celui du milieu correspondant —bien-sûr— au présent.

On pense évidemment à la méditation de Saint-Augustin (Confession, 11, 1) :

Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne m’interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette demande, je l’ignore. Et pourtant j’affirme hardiment, que si rien ne passait, il n’y aurait point de temps passé ; que si rien n’advenait, il n’y aurait point de temps à venir, et que si rien n’était, il n’y aurait point de temps présent. Or, ces deux temps, le passé et l’avenir, comment sont-ils, puisque le passé n’est plus, et que l’avenir n’est pas encore ? Pour le présent, s’il était toujours présent sans voler au passé, il ne serait plus temps ; il serait l’éternité. Si donc le présent, pour être temps, doit s’en aller en passé, comment pouvons-nous dire qu’une chose soit, qui ne peut être qu’à la condition de n’être plus ? Et peut-on dire, en vérité, que le temps soit, sinon parce qu’il tend à n’être pas ?

La corde du sonneur se confond ici avec le montant de la Porte. 

      Le Verseau (20 janvier-19 février) commence très heureusement ce cycle de l'écoulement du temps puisque son signe est ♒ une représentation de l'eau.

 

Tu es celui qui passe,

Et tu es le passeur, où me mènes-tu?

Prends-moi, prends-moi dans tes bras,

Porte-moi sur l'autre rive.

Je veux boire avec toi les heures de demain.

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                     Zodiaque 6765 janvier

      Comparaison : la Rosace de Notre-Dame de Paris :

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Février.

FEBRUS est ici un personnage au visage presque animal (profil léonin, chevelure comme une crinière) qui tend les pieds et les mains vers un feu, un brasier. Il est assis sur des coussins posés sur une cathèdre près duquel est posé un vase ou un pichet. C'est un paysan ou un vigneron puisque son outil, à la lame arrondie, est posé à son coté. 

 

Februarius
Les six dapres ressemblent a Fevrier.
En fin duquel commence le printemps
Car lesperit se ouvre prest est a enseigner
Et doulx devient lenfant quant ha douze ans.

  Février est le mois le plus froid de l'année, et la manière de l'illustrer par des paysans face à un feu se retrouve dans Février du vitrail de la Rosace de Notre-Dame de Paris aussi bien que dans les Très Riches Heures du Duc de Berry (1410), dans un livre d'Heures de Rouen 1425, le livre d'Heures de Marguerite d'Orléans v1430, celui de Jeanne de France Bnf  du XVe siècle etc.

 

Tu es l'Ardent vers qui se tendent mes paumes

Que serais-je sans Toi ?

Tu répands de la neige douce comme de la laine,

Mais à mon âme tu réserves le feu.

Tu envoies tes paroles, et tu les fonds,

Là ! elles coulent comme un vin nouvelet,

Tu es l'Hiver et son contraire,

Et ma face est tournée vers Toi.

 

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Les Poissons / Pisces.

De quand date cette représentation de deux poissons jumeaux reliés d'une bouche à l'autre par un tuyau ? Les sumériens les figuraient déjà,  pas toujours tête bêche.  La mythologie grecque voit dans ces poissons  les formes assumées par Aphrodite et Éros, poursuivis par le monstre Typhon, pour lui échapper en se jetant dans un fleuve. 

 

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Comparer avec N.D de Paris :

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Le mois de Mars.

MARCIUS, forme du latin classique Martius, était le premier mois de l'année du calendrier romain ; il marquait le début du printemps et celui des campagnes militaires, et porte le nom du dieu de la guerre. Les paysans romains étaient incités à tailler la vigne et à semer le blé.

 

 

Martius
Mars signifie les six ans ensuivans.
Que le temps change en produissant verdure
En celluy aage sadonnant les enfans
A maint esbat sans soucy ne sans cure.

La scène nous montre la taille de printemps (taille sèche) d'une vigne particulièrement exubérante au moyen d'une serpe de taille, alors que les mains du paysan sont protégées par des moufles.

L'homme, barbu, porte des chausses, une tunique rouge descendant aux chevilles, et un capuchon vert. 

La sève, comme l'énergie vitale des désirs, menace d'être envahissante et de produire une plante folle et stérile, si elle n'est pas soumise à l'ascèse du renoncement au superflu.

 

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Le Bélier ARIES.

 C'est la figure de cette énergie animale brutale qui nécessite d'être domptée. Il est entouré d'une végétation luxuriante, et il symbolise par ses cornes la puissance de l'énergie sexuelle et fécondatrice.

Le signe est très ancien : il  se nomme immeru (l'Agneau mâle) chez les sumériens, dikra (le Bélier) dans le Zodiaque de Qumran (même sens), <isw> en égyptien (même sens) et Κρος (Bélier) en grec.

Dans la mythologie grecque, Aries représenterait le bélier volant Chrysomallos, chevauché par Phrixos, dont la Toison d'or a inspiré le récit de Jason.

Pour la symbolique chrétienne, il rappelle le Sacrifice d'Abraham, l'Agneau pascal, mais il est aussi une figure du Christ comme conducteur de ses brebis, les fidèles de l'Église.

Pour le plaisir de filer la métaphore initiale du Christ comme cloche rythmant le temps, notre mot bélier vient de l'ancien français belin (1170), dont l'origine à partir du néerlandais belle, "cloche", est très sérieusement envisagée (CNRTL) : c'est l'animal princeps, le bélier à sonnaille équipé d'une cloche qui, par son signal sonore, mène le troupeau.

 

 

 

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Même scène sur la rosace de Notre-Dame, dans les Très Riches Heures, le livre d'Heures de Jeanne de France, etc.

Avril.

APRILIS est le mois dédié par son étymologie à Aphrodite, mais selon Ronsard "Avril c'est ouvrir".  Wiktionnaire :  Du latin Aprilis, de l’étrusque Apru, du grec ancien ἈφροAphro, abréviation d’Ἀφροδίτη, Aphrodite, déesse de la beauté et de l’amour ; influencé par aperire (« ouvrir »), parce que c’est le moment où les fleurs commencent à s’ouvrir.

 

Aprilis
Six ans prochains vingt et quatre en somme
Sont figurez par Avril gracieux
Et soubz cest aage est gay et ioly lhomme
Plaisant aux dames courtois et amoureux.

Le Bonhomme Avril nous présente donc des inflorescences stylisées en feuilles d'acanthe, cueillies sans-doute à l'extrémité des deux tiges qui l'entourent.

 

 

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Le vitrail de la rosace de Notre-Dame de Paris est très comparable, mais possède plus de charme et de simplicité naturelle car les tiges et le corps de l'homme sont souples et sinueuses.

 

 

Le Taureau, TAURUS.

Comme le bélier, dont il partage la symbolique de puissance mâle, il est entouré de fleurs géantes et presque débridées par la fantaisie d'un hubris génétique.

Du grec  τ α υ ̃ ρ ο ς , le Taureau évoque la forme que Zeus prit pour capturer la belle Europe, ou le Minotaure de Crète, qu'affronta Thésée, ou le taureau blanc envoyé sur l'île par Poséidon : la force brutale, excessive et dévastatrice  de la poussée vitale, si elle n'est pas maîtrisée par l'intelligence ou la culture.

                     440px-Taurus_by_Johannes_Hevelius.JPG

  


Zodiaque 6771

 


Mai et les Gémeaux : deuxième quadrilobe.

      On retrouve ici la corde du sonneur, qui sépare d'un coté le mois de Mai, MAIUS, et de l'autre le signe zodiacal des Gémeaux.

Maius

Au moys de may ou tout est en vigueur
Autres six ans comparons par droicture
Qui trente sont : lors est lhomme en valeur

 

En la fleur, force, et beaulte de nature.

 J'ignore pour quelle raison le mois de Mai est représenté ici par un Croisé près de son cheval en train de brouter. La selle avec ses pommeaux est intéressante à détailler. Dans les Très Riches Heures, Mai est illustré par une troupe de seigneurs et de dames, à cheval, mais c'est une image de la cavalcade du premier mai, ce qui ne semble pas le cas à Chartres. A Paris, Mai est représenté par un homme en train de chasser au faucon.

La représentation des Gémeaux, deux hommes (Castor et Pollux) se donnant la main, est assez rudimentaire, sans le charme du vitrail homologue de Notre-Dame de Paris


Zodiaque 6764

 

 

Juin.

IULIUS (erroné pour Junius) procède au fauchage de l'herbe grâce à sa faux au long manche équipée de deux poignées asymétriques. Sa tunique rouge courte remonté dans la ceinture recouvre des braies fendues aux jambes. Sa pierre à aiguiser est derrière lui, dans un récipient plein d'eau,car  il l'utilise toutes les 15 à 30 minutes.

Le marteau nécessaire pour "battre" la lame sur une enclumette est utilisé plus rarement, toutes les 12 heures en moyenne ; il faut enlever la lame du manche.

 

 

Junius
En iuing les biens commencent a meurir
Aussi fait lhomme quant a trente six ans.
Pour ce en tel temps doit il femme querir
Se luy vivant veult pourveoir ses enfans.

  La fenaison est le thème habituel de ce mois, retrouvé , à Paris (vitrail tardif), ou dans les Très Riches Heures du Duc de Berry.

 

Zodiaque 6779

 

Le Cancer.

Le mot cancer provient du grec Καρκίνος (karkinos) qui signifie crabe. 

 Ce monstre octopode à l' échine crénelée à queue verte ressemble à un acarien grossi xx fois ; mais sa carapace écaillée et ses huit pattes sont fidèles à l'iconographie la plus ancienne.

 Cet animal qui change de carapace annuellement est symbole de métamorphose.

Zodiaque 6770

 

Rosace de Notre-Dame de Paris : le Cancer est parfois nommé "l'Ecrevisse".

 

Juillet et le Lion : troisième quadrilobe.

JUNIUS (erroné pour Julius, voir l'erreur commise pour Juin) fauche les blés à la faucille. Il est vêtu d'un bliau blanc retenu par une ceinture, de chausses rouges et de bottines vertes fendues par un soufflet sur l'avant.

 

Julius
Saige doit estre ou ne sera iamais
Lhomme quant il ha quarante deux ans
Lors la beaulte decline desormais
Comme en Juillet toutes fleurs sont passans.

 


LEO le Lion, dans les représentations classiques, marche vers l'Orient (sur les planisphères), queue redressée et gueule close.

La "corde du sonneur" qui sépare en deux les compartiments a adopté la couleur rouge de la bordure.

Zodiaque 6763

Notre-Dame de Paris :

 

 

Août.

AUGUSTUS a tellement chaud qu'il bat torse nu et pieds nus  les épis de blés grâce à son fléau articulé. La fourche et le fauchet (râteau à dents de bois) sont plantés dans les meules déjà formées et liées.

 

Augustus
Les biens de terre commence len cueillir
En Aoust, aussi quant lan quarantehuit
Lhomme approche : il doibt biens acquerir
Pour soustenir vieillesse qui le suit.

 

Zodiaque 6780

 

 

La Vierge. 

VIRGO présente, comme Aprilis , deux fleurs rouges, symbolisant sa virginité. Celle de Notre-Dame de Paris est comparable, mais ne tient qu'une fleur, de la main gauche.

  La doublure claire de sa cape vieux-rose descend en sept plis horizontaux.

 

Zodiaque 6769

 

 

 

 

 

Septembre.

SEPTENBER : on retrouve ici la culture de la vigne, les vendanges étant traditionnellement associées à ce mois. Deux hommes, jambes nues, foulent le grain dans une cuve ; l'un cueille aussi les grappes à l'aide d'une serpe, et les pose dans un panier. Le second prend appui sur le manche d'un outil. On remarquera son bonnet, sans-doute imposé par la circonstance :

                         image002.jpg  

 

 

September
Avoir grans biens ne fault point que lhomme cuide.
Sil ne les a, a cinquante quattre ans.
Nemplus que sil a sa granche vuide
En Septembre : plus de lan naura riens.

 

 

Zodiaque 6781

 

 

La Balance, Libra.

Elle tient son nom latin du grec ancien λίτρα, lítra (« mesure de poids grecque utilisée en Sicile ») dont est tiré "litre" en français. Son iconographie se contente souvent de la balance à double plateau, celle de la Justice, sans représenter le personnage qui la tient. 

  A Chartres, la femme qui tend le bras droit pour laisser le fléau s'équilibrer est remarquable par sa posture en léger arc qu'accentue l'inclinaison mélancolique de la tête. De la main gauche, elle amortit les oscillations.

 

 

Zodiaque 6768

 

 

Octobre et le Scorpion : quatrième quadrilobe :

 Là encore, dans ce dernier quadrilobe avant l'apex,la ligne médiane blanche en qui je me plais à voir la corde du sonneur sépare Octobre d'un coté et Scorpion de l'autre.

OCTOBER est à cheval sur une futaille de vin dont il compense l'évaporation à l'aide d'un tonnelet. 

 

October
Au moys doctobre figurant soixante ans
Se lhomme est riche cela est a bonne heure
Des biens quil a nourrit femme et enfans
Plus na besoing quil traveille ou labeure.

 


SCORPIO a quatre pattes, un corps verdâtre à l'échine épineuse, et  une queue entortillée recourbée à sa droite et terminée en tête animale.


Zodiaque 6762

 

Novembre : 

 

 

November
Quant a soixante six ans vient .
Representez par le moys de Novembre
Vieux et caduc et maladif devient .

 

Lors de bien faire est temps quil se remembre.

      Le maître-verrier qui a indiqué ici "DECENBER" a du se faire sonner les cloches ! On tue les cochons à partir de la Saint-Martin (le 11 novembre), et le Ménagier de Paris disait : l'en dit que l'en doit tuer les masles es mois de novembre, et les fumelles en décembre".

On a offert une glandée généreuse à celui-ci  pour l'attirer à son dernier repas. Au Moyen-Âge, les cochons n'étaient pas de la race rose et glabre des Large White, c'étaient des cochons velus, à la peau sombre, et qui fréquentaient les forêts ou divaguaient dans les rues pour les nettoyer des immondices, une clochette au cou.

 A priori, l'homme ne va pas décapiter le cochon avec sa cognée, mais "seulement" l'estourbir avant de le saigner au niveau du cou, récoltant le sang pour le boudin.

Zodiaque 6782

 

Le Sagittaire, SAGITARIUS: 

 C'est un Centaure, chimère grecque mi-homme et mi-cheval, mais à Chartres, la liaison des deux ne paraît pas naturelle du tout, et il ressemble à un acteur ou un nain de jardin émergeant d'un cheval de comédie. Le Sagittaire de Notre-Dame de Paris est bien mieux réussi.

 

Zodiaque 6767

      Notre-Dame de Paris : 

 

Décembre.

DECENBER est un roi attablé à un festin, composé de la hure du cochon tué en novembre, de pains (à la croûte taillée en croix), de poissons, et de vin. De chaque coté se voit une porte ; on distingue un puits (ou un foyer).

Ce banquet de fin d'année sert aussi d'illustration pour le mois de Décembre à Notre-Dame de Paris (thème très proche, mais avec un couple), aux Très Riches Heures du duc de Berry, etc..

December
Lan par Decembre prent fin et se termine
Aussi fait lhomme aux ans soixante douze
Le plus souvent : car viellesse le myne .
Lheure est venue que pour partir se house.


Zodiaque 6783

 

 

Le Capricorne.

      L'alliance d'une chèvre avec un poisson .

Zodiaque 6766

 

 

Le Christ bénissant.

 


Zodiaque 6761

 

 

Zodiaque 6761cc

 

Il est l'Appel et la Conclusion, l'Alpha et l'Oméga, il est celui qui transforme, comme les deux candélabres du début et de la fin, le temps en lumière. C'est le vingt-cinquième panneau, mais selon une formule où les douze mois et les douze signes ne font plus qu'Un, 24 = 1. Le temps humain des travaux des mois, et le temps des vastes cycles cosmiques se révèlent comme une théophanie dans une optique de salut.

 

 

 

      Les Travaux des Mois et le Zodiaque : un poème virgilien issu des Géorgiques Livre I ?

 

Vertitur interea caelum cum ingentibus ignis

Ennius, (Pendant ce temps tourne le ciel avec leurs  astres immenses).

Vertitur interea caelum, Virgile, En. II, 250

  Il est possible de considérer le vitrail des Travaux des Mois et du Zodiaque comme un grand poème lumineux ; il faut, pour cela, se dégager des liens trop prégnants et trop médiatisés qui associent les signes zodiacaux à nos horoscopes ou aux prédictions astrologiques, et les faire tourner dans la grande roue cosmique, dans une vision philosophique de la place de l'homme dans la création : homme soumis aux lois de la nature, homme soumis depuis Adam à la nécessité de gagner son pain à la sueur de son front plutôt que d'être comme les petits oiseaux, qui ne sèment ni ne moissonnent, homme qui, par l'observation des Signes, apprend à deviner le cours du temps et à y adapter sa pratique, dans cette sagesse pragmatique que les paysans possèdent. 

  Oui, il est possible d'entendre, chanté par les verres colorés, les hexamètres de Virgile  qui exposent, précisément, cette vision philosophique. Cela n'est pas obligatoire, mais comme, alors, le contemplation du vitrail s'enrichit !

J'en donnerai des extraits dans ma traduction préférée, celle de Jacques Delille :

 

Je chante les moissons : je dirai sous quel signe 
Il faut ouvrir la terre et marier la vigne ; 
Les soins industrieux que l’on doit aux troupeaux ; 
Et l’abeille économe, et ses sages travaux. 
Astres qui, poursuivant votre course ordonnée, 
Conduisez dans les cieux la marche de l’année ; 
Protecteur des raisins, déesse des moissons, 
Si l’homme encor sauvage, instruit par vos leçons, 
Quitta le gland des bois pour les gerbes fécondes, 
Et d’un nectar vermeil rougit les froides ondes ;   

 

Tel est l’arrêt fatal du maître du tonnerre : 
Lui-même il força l’homme à cultiver la terre ; 
Et, n’accordant ses fruits qu’à nos soins vigilants, 
Voulut que l’indigence éveillât les talents. 
Avant lui, point d’enclos, de bornes, de partage ; 
La terre était de tous le commun héritage ; 
Et, sans qu’on l’arrachât, prodigue de son bien 
La terre donnait plus à qui n’exigeait rien. 
C’est lui qui, proscrivant une oisive opulence, 
Partout de son empire exila l’indolence. 
Il endurcit la terre, il souleva les mers, 
Nous déroba le feu, troubla la paix des airs, 
Empoisonna la dent des vipères livides, 
Contre l’agneau craintif arma les loups avides, 
Dépouilla de leur miel les riches arbrisseaux, 
Et du vin dans les champs fit tarir les ruisseaux. 
Enfin l’art à pas lents vint adoucir nos peines ; 

Tout cède aux longs travaux, et surtout aux besoins.

 

 Observe donc leur cours. Sitôt que la Balance 
Du travail, du repos, du bruit et du silence, 
Rendra l’empire égal, et du trône des airs 
Entre l’ombre et le jour suspendra l’univers, 
Avant que des vents froids le souffle la resserre, 
Tandis qu’elle est traitable, on façonne la terre  

Pour régler nos travaux, pour marquer les saisons, 
L’art divisa du ciel les vastes régions. 
Soleil, âme du monde, océan de lumière, 
Douze astres différents partagent ta carrière. 

Le globe ainsi connu t’annonce les saisons : 
Quand il faut ou semer, ou couper les moissons, 
Abattre le sapin destiné pour Neptune, 
Aux infidèles mers confier sa fortune : 
Et ce n’est pas en vain que ces astres brillants 
En quatre temps égaux nous partagent les ans.

Plusieurs font à loisir, retenus par l’orage, 
Ce qu’il faudrait hâter sous un ciel sans nuage : 
Ils aiguisent leur soc, ils comptent leurs boisseaux ; 
Creusent une nacelle, ou marquent leurs troupeaux ; 
Préparent des liens à leurs vignes naissantes ; 

Les fêtes même, il est un travail légitime. 
Ne peut-on pas alors, sans scrupule et sans crime, 
Tendre un piège aux oiseaux, embraser des buissons, 
D’un mur tissu d’épine entourer ses moissons, 
Ou rafraîchir ses prés que la chaleur altère, 
Ou baigner ses brebis dans une eau salutaire ? 
C’est dans ces mêmes jours que, libre de travaux, 
Chacun porte aux cités les présents des hameaux ; 
Et, rapportant chez soi les tributs de la ville, 
Presse les pas tardifs de son âne indocile. 
La lune apprend aussi, dans son cours inégal, 
Quel jour à tes travaux est propice ou fatal. 
 

Au dixième croissant de la lune nouvelle, 
On peut du fier taureau dompter le front rebelle, 
Planter la jeune vigne, ou d’une agile main 
Promener la navette errante sur le lin. 
Une clarté plus pure embellit le neuvième : 
Le brigand le redoute, et le voyageur l’aime. 
Chacun a son emploi ; mais, dans ce choix du temps, 
Ainsi que d’heureux jours, il est d’heureux instants. 
Faut-il couper le chaume ? On le coupe sans peine 
Quand la nuit l’a mouillé de son humide haleine : 
Pour dépouiller les prés, attends que sur les fleurs 
L’aurore en souriant ait répandu ses pleurs. 
Plusieurs pendant l’hiver, près d’un foyer antique, 
Veillent à la lueur d’une lampe rustique : 
Leur compagne près d’eux, partageant leurs travaux, 
Tantôt d’un doigt léger fait rouler ses fuseaux ; 
Tantôt cuit dans l’airain le doux jus de la treille, 
Et charme par ses chants la longueur de la veille. 

 
Mais c’est en plein soleil, dans l’ardente saison, 
Qu’au tranchant de la faux on livre la moisson, 
Que sur l’épi doré le fléau se déploie. 
Donne aux soins les beaux jours, et l’hiver à la joie. 
L’hiver, tel qu’un nocher qui, plein d’un doux transport, 
Couronne ses vaisseaux triomphants dans le port, 
Tranquille sous le chaume, à l’abri des tempêtes, 
L’heureux cultivateur donne ou reçoit des fêtes : 
Pour lui ces tristes jours rappellent la gaieté ; 
Il s’applaudit l’hiver des travaux de l’été.

Alors même sa main n’est pas toujours oisive ; 
De l’arbre de Pallas il recueille l’olive ; 
Le myrte de Vénus lui cède un fruit sanglant, 
Et le laurier sa graine, et les chênes leur gland. 
Les flots sont-ils glacés, les champs couverts de neige ? 
Il tend des rets au cerf, prend l’oiseau dans un piège, 
Ou presse un lièvre agile, ou, la fronde à la main, 
Fait siffler un caillou qui terrasse le daim. 
D’autres temps, d’autres soins. Dirai-je à quels désastres 
De l’automne orageux nous exposent les astres, 
Quand les jours sont moins longs, les soleils moins ardents ; 
Ou quels torrents affreux épanche le printemps, 
Quand le blé d’épis verts a hérissé les plaines, 
Et des flots d’un lait pur déjà gonfle ses veines ? 
L’été même, à l’instant qu’on liait en faisceaux 
Les épis jaunissants qui tombent sous la faux, 
J’ai vu les vents, grondant sur ces moissons superbes, 
Déraciner les blés, se disputer les gerbes, 
Et, roulant leurs débris dans de noirs tourbillons, 
Enlever, disperser les trésors des sillons.




Les êtres animés changent avec le temps : 
Ainsi, muet l’hiver, l’oiseau chante au printemps. 
Ainsi l’agneau bondit sur le naissant herbage, 
Et même le corbeau pousse un cri moins sauvage. 
Mais, malgré ces leçons, crains-tu d’être séduit 
Par le perfide éclat d’une brillante nuit ? 
Du soleil, de sa sœur, observe la carrière. 
Quand la jeune Phébé rassemble sa lumière, 
Si son croissant terni s’émousse dans les airs, 
La pluie alors menace et la terre et les mers. 

 


 
Le soleil à son tour t’instruit, soit dès l’aurore, 
Soit lorsque de ses feux l’occident se colore. 
Si, de taches semé, sous un voile ennemi 
Son disque renaissant se dérobe à demi, 
Crains les vents pluvieux ; leurs humides haleines 
Menacent tes troupeaux, tes vergers et tes plaines. 
Si de son lit de pourpre on voit l’aurore en pleurs 
Sortir languissamment sans force et sans couleurs ; 
Si Phébus, à travers une vapeur grossière 
Dispersant faiblement quelques traits de lumière, 
Semble luire à regret, de leurs feuillages verts 
Les raisins colorés vainement sont couverts ; 
Sous les grains bondissants dont les toits retentissent, 
La grêle écrase, hélas ! Les grappes qui mûrissent. 
Surtout sois attentif lorsque achevant leur tour 
Ses coursiers dans la mer vont éteindre le jour ; 
Du pourpre, de l’azur, les couleurs différentes 
Souvent marquent son front de leurs taches errantes : 
Saisis de ces vapeurs le spectacle mouvant ; 
L’azur marque la pluie, et le pourpre le vent : 
Si le pourpre et l’azur colorent son visage, 
De la pluie et des vents redoute le ravage : 
Je n’irai point alors, sur de frêles vaisseaux, 
Dans l’horreur de la nuit m’égarer sur les eaux. 
Mais lorsqu’il recommence et finit sa carrière, 
S’il brille tout entier d’une pure lumière, 
Sois sans crainte : vainqueur des humides autans, 
L’aquilon va chasser les nuages flottants. 

 
Ainsi ce dieu puissant, dans sa marche féconde, 
Tandis que de ses feux il ranime le monde, 
Sur l’humble laboureur veille du haut des cieux ; 
Lui prédit les beaux jours, et les jours pluvieux. 
Qui pourrait, ô soleil ! T’accuser d’imposture ? 
Tes immenses regards embrassent la nature : 
C’est toi qui nous prédis ces tragiques fureurs 
Qui couvent sourdement dans l’abîme des cœurs. 

 

 

   Au moment où ce vitrail a été posé, chaque lettré connaissait ces vers par cœur, et il est même possible —pour le seul plaisir— d'imaginer que ses commanditaires ont choisi, délibérément, d'illustrer Virgile dans le déploiement de ces panneaux. On sait que le poète de Mantoue figure, dans le vitrail de l'Arbre de Jessé de Chartres, comme une figure prophétique du Messie, par une interprétation d'un passage de la 4e Églogue de ses Bucoliques.

 

Vltima Cumaei uenit iam carminis aetas ;

magnus ab integro saeclorum nascitur ordo. 5

iam redit et Virgo, redeunt Saturnia regna,

iam noua progenies caelo demittitur alto.

tu modo nascenti puero, quo ferrea primum

desinet ac toto surget gens aurea mundo

Les temps sont révolus qu’annonçait la Sibylle.

C’est aujourd’hui que naît le grand orbe des siècles.

Déjà revient la Vierge et la paix de Saturne.

Un nouvel univers descend du haut des cieux.

Un enfant naît qui scellera l’âge de fer,

 

Suscitera la race d’or (Trad. J. Perret)

 

On sait aussi qu'il occupait déjà cette place dans le drame liturgique de la "Procession des Prophètes du Christ". C'est dire la place qu'il occupait aux yeux de l'Église. On sait aussi que Dante le choisit deux siècles plus tard comme Guide de ses Enfers. Au treizième siècle Virgile figure, parmi les poètes, à la première place. Après que sa biographie ait été rédigée par toute une série de textes anonymes de l'époque carolingiennne, une tradition légendaire du XIIe siècle lui attribua une mère nommée Maggia, et des compétences étendues en médecine et mathématique, c'est-à-dire, pour l'époque médiévale, en astrologie. Il passait alors pour un "philosophe", Maître des sept arts libéraux et capable de prédire l'avenir. On lui prête aussi des connaissance en magie, pouvoirs occultes ou surnaturels et en nécromancie.

  Mais surtout, Virgile est celui dont les œuvres sont commentées et étudiées par les élèves et étudiants. Selon André Vernet (1982) "Aucun écrivain n'a été autant mentionné et de façon aussi constante dans les catalogues des bibliothèques médiévales", et les exemplaires de ses œuvres se comptent par centaines ou par milliers dans l'Europe médiévale, des éditions ayant été établies à l'usage des écoles carolingiennes. Traduite, annotée, glossée, citée, découpée en florilèges, sa poésie est partout.

  Alors que, dans cette société rurale, le sentiment de la nature était très fort, les Bucoliques et les Géorgiques eurent un succès particulier, d'autant plus qu'une interprétation des poèmes les transformaient en argumentation chrétienne. Dans les Bucoliques, ce sont surtout les épisodes d'Aristée et d'Orphée et Eurydice qui intéressèrent les exégètes, puisqu'ils abordaient le thème de la mort et de la renaissance.

Paul Legendre, en 1906, a étudié un manuscrit de la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Père près de Chartres, le Ms 13, datant du IXe siècle, contenant 8 feuillets consacrés à des commentaires des Églogues V à VII de Virgile : ces commentaires dépassent en amplitude ceux —de référence— de Servius, avec des réflexions philosophiques, littéraires, grammaticales et des références mythologiques. La profusion de ces commentaires, qui semble destiner à une classe, témoigne de l'importance de cette auteur, notamment à Chartres.

 Les évêques de Chartres pendant la construction et reconstruction de la cathédrale (les commanditaires en puissance) ont été de 1176 à 1180, Jean de Salisbury ; de 1181 à 1183, Pierre de Celle et de 1182 à 1217, Renaud de Bar (ou de Mousson). On sait que Jean de Salisbury, membre de l'école de Chartres, est l'élève d'Abelard ; dans le prologue du Livre V de son Polycraticus, il présente Virgile comme la figure emblématique du poète païen "qui a recherché l'or de la sagesse dans la fange". Cet auteur est célèbre pour avoir donné corps à la légende d'un Virgile magicien, fabriquant une mouche de bronze pour chasser toutes les mouches opportunes. Abelard était convaincu que la lecture des Géorgiques pouvait se faire dans un sens chrétien, notamment en s'appuyant sur le commentaire de Macrobes.  Au sein de l'École de la cathédrale de Chartres, Bernard Sylvestre avait composé le "Commentaire sur les six premiers livres de l'Énéide" et voyait dans Énée une figure de l'âme humaine tombée sur terre dans la prison du corps et découvrant son parcours rédempteur. Mais ses gloses reviennent fréquemment sur des points intéressant les sciences de la nature, cosmogonie et météorologie, qui sont au cœur des Géorgiques.

 La réception des œuvres de Virgile par l'École de Chartres est un sujet si vaste qu'il ne sera évoqué ici que pour justifier mon hypothèse d'une influence du Livre I des Géorgiques sur la conception du vitrail des travaux des Mois de Chartres. Pour le reste, on se rapportera aux travaux de Peter Dronke, Francine Mora-Lebrun, etc...

Je resterai au seuil de cette idée, qui pourrait me faire reprendre chaque panneau en l'illustrant de citations de Virgile, ou qui pourrait aussi me voir partir à la recherche de cette influence dans les autres baies de Chartres.

Mon seul but serait de laisser la poésie latine imprégner, tel une musique et un encens, les sens du visiteur qui regarde cette verrière.


 


 

 

 

Sources :

—Le Zodiaque de la rosace de Notre-Dame de Paris :

http://cathedrale.gothique.free.fr/Notre-Dame_de_paris.htm

— http://www.uranos.fr/PDF/SOM_FR_01C_T2.pdf

— http://cosmobranche.free.fr/MythesConstellations.htm

—  ADAMS 

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Published by jean-yves cordier
10 janvier 2014 5 10 /01 /janvier /2014 13:40

 

Fallait-il vraiment changer le nom du papillon l'Azuré des mouillères ?

 

 

Voir :   Zoonymie du papillon l'Azuré des mouillères Maculinea alcon.

Introduction.

Dans un document du Muséum d'Histoire Naturelle publié en 2013 par Dupont et al. les auteurs préconisent de remplacer le nom vernaculaire français de Maculinea alcon "L'Azuré des mouillères" (Gérard Chr. Luquet, 1986) par celui de "l'Azuré de la Pulmonaire". Présentation et discussion critique.


  Dans la révision des noms vernaculaires français des rhopalocères parue dans la revue Alexanor en 1986, Gérard Christian Luquet proposait comme nom principal pour Maculinea alcon ([Denis & Schiffermüller], 1775) "l'Azuré des mouillères", pour remplacer "le Protée" (Engramelle, 1779) et le "Polyommate alcon" (Godart, 1821).


 Le zoonyme "l'Azuré des mouillères" est créé à cette occasion par G. Chr. Luquet qui regroupe l'immense majorité des 83 espèces de la sous-famille des Polyommatinae sous les noms de Azurés et de Sablés (et quelques-uns sous le nom d'Argus ou  de Bleu nacré).            

  L'Azuré des mouillères est, dans sa liste, l'un des de 63 Azurés. Cette stratégie lui permet d'indiquer, par le nom vernaculaire, l'appartenance à un groupe aux caractéristiques communes, comme le permet le nom de genre pour le nom scientifique. Cela allège aussi l'effort de mémoire, car il suffit de retenir le second terme du nom vernaculaire, qui sera généralement soit un nom géographique (Azuré canarien, de l'Argolou, d'Anatolie, d'Oranie, cordouan, sarde, crétois...), soit d'un milieu,  soit surtout le nom de la plante-hôte (Azuré de la Luzerne, du Trèfle, des Nerpruns, des Cytises, etc, etc.).

 

 

Or, selon Dupont et al. (2013) :

Il convient de remplacer le nom « Azuré des mouillères » (Luquet, 1986 : [15]) par « Azuré de la Pulmonaire ». Le mot mouillère, qui s’applique à une micro-zone humide sans exutoire, située dans une parcelle cultivée (Gérard Arnal, comm. pers.), est impropre à désigner cet Azuré, car ce type de biotope ne correspond en aucun cas à la biologie de l’espèce. Pulmonaire, en revanche, fait allusion à la plante nourricière de la chenille, la Pulmonaire des marais ou Gentiane pulmonaire (Gentiana pneumonanthe), ainsi nommée parce qu’elle était autrefois utilisée dans le traitement curatif des maladies du poumon (Luquet, in Doux & Gibeaux, 2007 : 204).

 Pascal Dupont (MHNH et Service du patrimoine Naturel) est particulièrement habilité à émettre un jugement sur le bien-fondé du nom vernaculaire de cette espèce, après avoir été l'auteur en 2010 du Plan National d'Action en faveur des Maculinea -Opie : http://www.insectes.org/opie/pdf/1587_pagesdynadocs4c23506fd6f5b.pdf

      Mais il semble que cela soit Gérard  Luquet lui-même (l'un des auteurs de la publication de 2013) qui a souhaité corriger son choix initial, car il avait en 2007 incité Doux et Gibeaux à utiliser Azuré de la Pulmonaire à la place d' Azuré des mouillères. De même, il a utilisé ce nom dans son adaptation en français du guide Nathan de Heiko Bellmann en 2008. Enfin, Perrein et al (2012) indiquent les deux noms de Azuré des mouillères et Azuré de la Pulmonaire, et indique : "La Pulmonaire est un ancien nom de la Gentiane des marais Gentiana pneumonanthe, utilisée autrefois contre certaines pneumopathies, selon Gérard Luquet (Comm. pers.).

Le nom "Mouillère".

 Le CNRTL donne pour "Mouillère" :

  "Terrain bas, marécageux, où le bétail et les chars peuvent s'enliser (Fén. 1970). Synon. molière* 

 Étymol. et Hist. 1845-46 «partie de pré ou de champ constamment humide» (Besch.). Altération, d'apr. mouiller*, de molière «terrain marécageux» (ca 1300, Chart. de Blanche de Navarre, fo248 Cf. le lat. médiév. mollaria «champ cultivé où l'on voit sourdre de petites sources, terrain creux où les eaux croupissent» (1132 ).

*Molière (féminin) : B. − Terre grasse et marécageuse. La mer (...) a déposé, en effet, un cordon littoral dont la trace est visible (...) dans les molières ou marais de Cayeux (Vidal de La Bl., Tabl. géogr. Fr., 1908, p.98).

Ce nom récent (1834), mais attesté dans la toponymie (lieu-dit Les Mouillères) est utilisé pour désigner des "sources", des marécages, des terrains argileux qui ne se drainent pas, des zones restreintes des champs qui restent inondées.

  

La Gentiane  dite "pulmonaire" : étymologie et Matière médicale.

File:Gentiana pneumonanthe Sturm9.jpg

 

 illustration: Jacob Sturm in Johann Georg Sturm Deutschlands Flora in Abbildungen 1796

  Le nom Gentiana date des grecs anciens :  selon Dioscoroide et Pline (Livre 25 chap. 7) , cette plante doit son nom à Genthius (180-68 avant J.C), roi d' Illyrie (près de l'Albanie) , qui en découvrit les vertus toniques. Elles furent insuffisantes pour lui éviter d'être vaincu par le préteur romain Anicius. Genthios (pour les hommes) et Genthis (pour les femmes) comme Gentian sont des prénoms encore en usage, en Albanie notamment.

  Linné a décrit les 23 espèces du genre Gentiana dans son Species Plantarum de 1753 page227 Gentiana pneumonanthe est la 5e espèce, avec la mention Habitat in pascui humidiusculis. C'est la Gentiana palustris angustifolia du Pinax de Bauhin page 188. 

  C'est surtout la Gentiane jaune qui connaissait un usage thérapeutique, sous forme d'extrait, de vin ou de poudre, comme tonique et fébrifuge. Sa racine figure dans la Liste des drogues utilisées pour l'hôpital de la marine de Brest et pour les coffres de mer en 1777. Sa poudre rentre dans la composition d'un Opiat antiscorbutique, selon la recette du même Hôpital.

  La G. pneumonanthe (Marsh gentian) était considérée comme moins active, mais plus amère. A la différence de sa Gentiana centaurium, (S.P. n°14 page 229) Linné n'indique pas pour celle-ci une référence à la Matière médicale.

Je n'ai pas trouvé de témoignage sur une utilisation particulière dans les troubles pulmonaires. Il me semble que cela est dû à une "mauvaise" traduction de l'épithète pneumonanthe par "pulmonaire", le terme "Gentiane pulmonaire" n'étant attesté (par un moteur de recherche dans les Livres) qu'à partir de 1905. Selon Alexandre de Théis dans son  Glossaire de botanique, ou, Dictionnaire étymologique de tous les noms Paris : Dufour, 1810, l'étymologie de -pneumonanthes est la suivante :

Pneumonanthes : du grec pneumo, "air, souffle", et anthes, "fleur,   De sa corolle ventrue et qui ressemble à une vessie remplie d'air. Boëhmer dit qu'on la nomme pneumonanthes « parce qu'elle croît sur les montagnes aux lieux exposés au souffle des vents ». C'est une erreur, elle croît dans les marais. Bauhin, Pinax 188 l'a nommée même gentiana palustris.

  Linné n'a donc pas créé le nom pneumonanthe avec l'intention de décrire les qualités expectorantes ou pectorales de la plante, qualités qui, une fois encore, ne sont pas attestées.

Car en réalité ce n'est pas Linné qui est l'inventeur de ce nom, qu'il a repris au médecin et botaniste allemand Cordus. Valerius Cordus (1515-1544) a publié  Annotationes in Pedacii Dioscoridis de Materia medica libros V où il décrit 500 plantes et qui paraît en 1561 (ou à Nuremberg en 1541 ?), et Gessner a publié de façon posthume son Historia stirpium et sylva Strasbourg 1561 avec ses notes personnelles.

  J'ai suivi jusqu'à présent le fil de mes recherches. Parvenu à ce stade, je remets les éléments dans l'ordre :

1. Valerius Cordus a décrit page 162 de son Historia une gentiane qu'il nomme Pneumonante : 

 De Pneumonante , id est Lungenblüme [Gentianae minoris, speciem esse apparet, qualem hîc exhibeo, aut similimam] cap. CLI. Pneumonanthes caulem qui busdam in locis producit singularem ...

Dodonaeus Violam cathalianam vocat...

(V. Cordius, Historia stirpium Libra IV, Gessner, édité par Rihelius, 1561. BHL lib.)

2. Cordus mentionne un nom vernaculaire allemand Lungenblüme [Poumon-Fleur] qui traduit ou explique le nom de Pneumonante/pneumonanthes, et qui peut relever de la Théorie des signatures attribuant des propriétés thérapeutiques à une plante selon sa ressemblance avec un organe ou une pathologie. Mais Cordus ne commente pas ce nom dans son texte, et ne mentionne pas d'usage médical.

3. Dalechamps et Desmoulins la signale en 1615 sous ce nom dans leur description de la Calathiana ou Violette d'automne  (Histoire générale de Dalechamps VII, 17 page 712). Pas d'utilisation thérapeutique signalée.

4. Etienne Blankart écrit en 1754  (Etienne Blankaart, Johann Heinrich Schulze Steph. Blancardi Lexicon medicum renovatum, in quo totius artis medicae ...1754): 

Vox ipsa significat Florem pulmonalem, sed an inserviat morbis pulmonum, necdum compertum habeo. B. Longe bloem, G. Lungea blume, A. Marsh-gentian 

 "Son nom signifie Fleur du Poumon, mais  je n'ai pas encore appris qu'elle soit utile aux maladies pulmonaires"

5. Ce nom de Pneumonanthe est repris par les différents auteurs  dans leurs Botaniques, puis par Linné, sans faire mention de propriétés pulmonaires. [Linné donne une traduction de Lungenblüme (Felwort en anglais, Maldelgeer en néerlandais) en 1760].

6. La plante est nommée en français "Gentiane pulmonaire" pour la première fois en 1905 par la Société horticole du Doubs (Vol. 49 à 50, p. 345).

7. La Revue horticole suisse ajoute en 1994 : Gentiane pulmonaire "car elle soignait, dit-on, les affections bronchiques".

8. L'article Wikipédia (consulté le 10-1-2014) ne donne comme nom vernaculaire que "Gentiane des marais, Gentiane pneumonanthe".

  Ce nom de Gentiane "pulmonaire" est à mon sens  inadéquat car il laisse penser que le nom français traduit fidèlement le nom latin pneumonanthe, et que cette plante connaît un usage traditionnel pour soigner les affections pulmonaires. Il est préférable, comme le fait l'auteur de l'article Wikipédia, de respecter l'intégrité du nom sous sa forme "Gentiane pneumonanthe", ou d'utiliser le nom tout aussi traditionnel de "Gentiane des marais".     

   Le nom de "Pulmonaire des marais" est bien signalé sur le site de référence Tela Botanica, mais avec la mention "régional ou secondaire". (Par contre, le site ne mentionne pas "Gentiane pulmonaire"). L'appellation est retrouvée en France à partir de 1850 et devient alors assez communément citée comme nom "vulgaire" dans les compte-rendus et les publications.

  En conclusion,

la décision de remplacer le nom de "Azuré des mouillères" (bien répandu dans le public)  par "Azuré de la Pulmonaire" risque d'entraîner d'autres confusions que celle qu'elle souhaitait éviter ; loin de signaler que la plante-hôte est Gentiana pneumonanthe (elle-même plus connue sous le nom de "Gentiane des marais" que sous le nom  de "Gentiane Pulmonaire"), ce nom porte à croire que l'espèce est inféodée à une Pulmonaire, plante du genre Pulmonaria (Borraginacées) comme la Pulmonaire officinale, la Pulmonaire semblable, la Pulmonaire des montagnes ou (dans le genre Mertensia) la Pulmonaire maritime. Ces plantes doivent leur nom au fait que, selon les Romains, la racine de certaines espèces était censée guérir les maladies du poumon, mais on considère généralement que, selon la Théorie des signatures, l'attribution de cette propriété est liée, par analogie, aux taches éparses sur les feuilles des principales espèces, ces taches évoquant celles du poumon. (d'après Wikipédia).

N.B : le site Wikipédia consulté le 10 janvier 2014 donne pour Phengaris alcon (Maculinea alcon) les noms de "Azuré des mouillères" et de "Protée".

 

Dans le même temps, l'usage du nom de genre Maculinea, Eecke, 1915 en usage depuis le deuxième tiers du XXe siècle a été contesté au profit de celui de Phengaris Doherty, 1891, plus ancien.  Or, la Commission s'est prononcé sur le maintien du nom Maculinea, en raison de sa diffusion, de l'emploi régulier qui en a été fait dans les publications, et du fait que le public connaissait les espèces du genre sous ce nom.

Les mêmes arguments ne valent-ils pas pour le nom vernaculaire Azuré des mouillères ?

Document :

cas 3508 : Paclt, J, Bulletin of Zoological Nomenclature mars 2013 70(1) : 52

This comment is in support of Case 3508 to conserve the junior synonym Maculinea Eecke, 1915 for the Large Blue butterfly. The historical use of the two synonyms, Maculinea Eecke, 1915 and Phengaris Doherty, 1891 is summarized by Paclt (2012), with Maculinea shown to be very widely used and Phengaris very little used, almost solely by, or following, the authors of the comment opposing the case. Article 23.2 of the Code (the Principle of Priority) is to be used to promote stability, and not to upset a long-accepted name in its accustomed usage by introducing a little-used senior synonym as was done by Fric et al. (2007). The genus Phengaris was introduced in 1891, and since then has been the subject of very few publications, while Maculinea was used in all catalogues, field guides and educational posters and has been the subject of numerous behavioural, ecological and conservation studies. The Commis- sion is formally asked for a ruling in support of Case 3508 and for conservation of the junior synonym Maculinea, which is a classical case of common usage vs priority, as described in Article 23.9.3 of the Code.  

Source :

— DUPONT (Pascal), DEMERGES (David), DROUET (Eric) et LUQUET (Gérard Chr.). 2013. Révision systématique, taxinomique et nomenclaturale des Rhopalocera et des Zygaenidae de France métropolitaine. Conséquences sur l’acquisition et la gestion des données d’inventaireRapport MMNHN-SPN 2013 - 19, 201 p. 

  http://www.mnhn.fr/spn/docs/rapports/SPN%202013%20-%2019%20-%20Ref_Rhopaloceres_Zygenes_V2013.pdf


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9 janvier 2014 4 09 /01 /janvier /2014 23:36

La Vierge allaitante de la petite rose des vitraux de Chartres.

 

Le déambulatoire qui circule, à Chartres, autour du chœur est éclairé par 37 baies en forme de lancettes et 6 petites roses. La baie sommitale est consacrée aux apôtres, et 18 lancettes se succèdent de part et d'autres. 

 Du coté sud, les quatre premières lorsqu'on vient de l'entrée sont consacrées successivement à Saint Antoine et Paul ermite (30a); Notre-Dame de la Belle Verrière (30b), dont il est superflu de préciser qu'elle est fort réputée ; la Vie de la Vierge ; le Zodiaque et les travaux du mois. La rose de la Vierge allaitante (30c) se trouve au dessus des deux premières baies, et vient comme en ponctuation de la Vierge à l'Enfant de la Belle Verrière.


 

Elle est placée dans l'oculus, ou, plus correctement la petite rose qui surplombe les baies 30a et 30b du déambulatoire sud deux lancettes ; cette rose porte donc le numéro 30c. Elle date du XIIIe siècle (1215-1220) et a été restaurée (élimination du dépôt noir).

 Elle se compose de neuf panneaux : un oculus central dont le centre correspond au bassin de la Vierge, et la partie supérieure, au sein et au jeu des deux mains de l'Enfant et de celles de sa Mère. Quatre portions de cercle dessinent une croix ; en haut se trouvent le visage couronné de Marie, et celui, au nimbe crucifère, de Jésus. Le cercle inférieur reçoit les pieds de Marie, qui y prend appui comme sur le croissant de lune de l'Apocalypse ; un rocher,vert,  une étendue liquide, et un rameau rouge évoquant Jessé, sont disposés de chaque coté. Enfin, deux anges thuriféraires  balancent d'une main élégante et sûre un  encensoir capiteux, tout en retenant de l'autre main un objet, ou leur ceinture.

Des tesselles de verre rouge soulignent comme par une mosaïque les cercles de plomb ou de métal noir, et crée une unité sacrée pour ce vitrail. 

  La Vierge, hanchée, longue tunique blanche, robe verte, manteau vieux rose, les cheveux dissimulés entièrement par un voile blanc, se penche vers l'Enfant qu'elle tient sur le bras droit, et lui présente un sein généreux. Mais le Fils, vêtu de bleu et de blanc, déjà préoccupé par sa Mission reste indifférent à cette offrande: il bénit le Monde.

Le jeu des couleurs est simple : le bleu "de Chartres" et le rouge, les deux couleurs les plus intenses, sont placées dans le fond, comme l'or d'une icône. Le jaune est rare, limité aux accessoires, à la couronne gemmée et au nimbe. Les vêtements sont traités par des teintes adoucies, pastel. La carnation est rose pâle.

 Le trait est admirable de sobriété, un seul trait dessinant le nez et les sourcils.

 Le thème de la Vierge allaitante est rare au début du XIIIe siècle, mais il est considéré comme un équivalent symbolique de l'Eucharistie, Marie dispensant le lait comme Jésus donne son Sang. Un autre vitrail lui est consacré à Chartres, dans les verrières hautes.

   Claudine Lautier a souligné combien les vitraux de Chartres pouvaient être reliés aux reliques que possédait la cathédrale, et elle rappele que Chartres possédait une relique du Lait de la Vierge :

Le lait de la Vierge, relique mariale importante, est sans doute parvenu dans le trésor au  début du XIe siècle, puisque, d'après la légende, il guérit l'évêque Fulbert du mal des Ardents. Cette vertu attira les pèlerins souffrant de ce mal, auxquels une partie de la crypte était réservée.

 

Fulbert fit également réaliser la statue de Notre-Dame-sous-Terre qui était certainement une statue-reliquaire et attirait la dévotion exaltée des pèlerins. Le culte qui lui était voué prit une grande ampleur, car se développa à partir du XIVe siècle la légende de la virgo paritura qui, dans l'Antiquité gallo-romaine, aurait préfiguré la Vierge et aurait été vénérée par les druides. On remania la chapelle de la crypte où elle était présentée au milieu du XVIIe siècle pour donner plus de somptuosité à sa présentation.  

 

 

 

 

      cliquer pour agrandir :

Vierge-allaitante 6743 vierge allaitante oculus

 

      J'ai trouvé interessant de comparer cette Vierge à celle qui occupe le centre de la grande rosace occidentale de Notre-Dame de Paris. http://cathedrale.gothique.free.fr/Notre-Dame_de_paris.htm  Elle date aussi du XIIIe siècle, et on découvre de nombreux points communs : même cerclage de tesselles rouges ; même couleur de l'auréole et du nimbe ; mêmes couleurs des vêtements de Marie ; mêmes étoiles rouges dans le ciel bleu ; même radix Iesse, même geste de bénédiction du Christ. Mais, revenu à l'image que j'ai photographié à Chartres, je suis frappé par le charme de l'inclinaison du visage de tendresse et par la grâce de la courbe du bras et de l'épaule, que cette confrontation m'a révélé.

A son sujet, Colette Manhes-Deremble écrivait en 1993 (Corpus vitrearum, Les vitraux narratifs de la cathédrale de Chartres, Ed. Le Léopard d'or, Paris, page 65):

  Une petite rose parfait le programme d'exaltation mariale auquel s'applique le versant méridional de la cathédrale : la Vierge debout allaite de Christ. Les rares exemples que l'on trouve de ce thème avant le milieu du XIIIe siècle relèvent d'une tradition orientale où la Vierge Marie siège en majesté et donne le sein à l'enfant, en des scènes souvent associées à la Nativité ; à partir du début du XIIIe siècle on la représente de préférence allongée, allaitant le Christ après sa naissance. Dans la verrière chartraine la Vierge est debout, couronnée, dans les nuées et environnée d'étoiles, tandis que des anges l'encensent : l'image se réfère clairement à l'Apocalypse (12,1). Dans les verrières hautes on voit aussi la Vierge couronnée, debout, et comme en marche, donnant le sein à l'enfant, au dessus d'une image de Marie-Madeleine (138b). La référence à l'Apocalypse dans la verrière basse, l'association avec la pécheresse dans celle de l'étage supérieur, contribuent à l'inscription de l'image mariale dans une perspective rédemptrice. La créature nourrit le créateur : c'est l'ultime réponse donnée au problème de la Création corrompue par Éve. Marie la restaure par l'Incarnation.

 

 Voir sur le même thème :

Virgo lactans ou miss Néné ? Les candidates du Finistère. Les Vierges allaitantes.

Vierges allaitantes I : N.D de Tréguron à Gouezec, la chapelle et ses saints.

Vierges allaitantes I : Notre-Dame de Tréguron à Gouezec: les Vierges.

Vierges allaitantes II : Kergoat à Quéméneven, la Vierge.

Vierges allaitantes III : Chapelle de Quillidoaré à Cast, la Vierge..

Vierges allaitantes IV : Kerlaz, la Vierge.

Vierges allaitantes V : Saint-Venec à Briec. Notre-Dame de Tréguron et les autres statues.

Vierges allaitantes V : Saint-Venec à Briec : sainte Gwen Trois-mamelles et ses fils

Vierges allaitantes VII : Chapelle de Lannelec à Pleyben, la Vierge.

Vierges allaitantes VII : Lannelec à Pleyben, les vitraux

Vierges allaitantes VIII : Pleyben, la statue enterrée.

Vierges allaitantes IX : Chapelle de Bonne-Nouvelle à Locronan.

Vierges allaitantes X : La chapelle St-Denis de Seznec à Plogonnec.

Chapelle Sainte-Marine à Combrit : la Vierge allaitante et la bannière Le Minor.

Vierge allaitante : Notre-Dame de Kergornec à La Forest-Fouesnant.

Vierges allaitantes : Nostre-Dame de Joye à Guern (56).

La Vierge allaitante de la chapelle de la Présentation, cathédrale de Burgos.

 

Voir sur Chartres :

Vierges couchées (6) : la cathédrale de Chartres.

Le vitrail de l'arbre de Jessé de la cathédrale de Chartres.

 

Site utile :

http://www.vitraux-chartres.fr/vitraux/rose_vitrail_30/index.htm

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1 janvier 2014 3 01 /01 /janvier /2014 11:31

            Tristan et la Ronce :

la blanche fleur et le fruit rouge de la passion.

 

 

Vous pourriez aimer aussi :  Tristan, le chien Petit-Crû, ses couleurs féeriques et son grelot merveilleux

 

 

 A l'occasion de l'étude du zoonyme du papillon "l'Argus de la Ronce" Callophrys rubi (Linnaeus, 1758), je voudrais dresser le blason de la Ronce, de ses épines et de son fruit noir, sa blanche fleur et sa fabuleuse vitalité. 

Mais comment faire? 

  Puisqu'un autre de nos papillons se nomme 'le Tristan", Aphantopus hyperantus (Linnaeus, 1758), je vais d'abord m'intéresser à la Ronce dans le mythe de Tristan et Iseut ; puis j'irais m'émerveiller devant les enluminures que conservent les manuscrits de la Bibliothèque Nationale de France.



                I. Tristan et la Ronce.

  Que la Rose soit le symbole de l'amour nous paraît bien légitime, mais qu'une autre Rosacée, une plante de mauvaise vie devienne l'emblème de l'Amour-Passion tragique et tenace comme une fatalité éternelle semble plus surprenant. Mieux que Rose, affadie telle Vénus par son symbolisme de beauté, Ronce brille par son ambivalence. Comme la passion amoureuse elle est souffrance, blessure, obstacle, prison, envahissement, en même temps qu'elle est suave et parfumée. En Angleterre, on ne doit pas cueillir ses fruits après la date du Old Michaelmas (11 octobre), car c'est alors que Satan fut banni du Ciel et précipité dans un roncier : derechef il en maudit les fruits et on dit même qu'il cracha dessus. Vraiment Ronce n'est ni blanche ni noire (ou, pour reprendre l'opposition médiévale des couleurs, ni blanche ni rouge), mais l'un et l'autre à la fois. Elle est peut-être foncièrement Verte, comme l'Espoir et la Jeunesse mais comme la Maladie et la Mort, comme la Nature et comme au Diable.  C'est dans cet entre-deux que se développe le drame de Tristan et Iseut.

   La Ronce, Rubus fruticosus, est d'abord le signe du monde sauvage dans lequel, dans les Romans  médiévaux du XIIe siècle, pénètre le Chevalier par une épreuve douloureuse de la coupure au monde civilisé qui lui donnera accès à un Autre Monde et à la rencontre avec le Cerf Blanc. Ronce se caractérise donc d'abord par ses épines blessantes, et est une métaphore de la souffrance comme porte d'accès à l'éveil spirituel. Elle constitue le dense hallier de broussailles. Ainsi Chrétien de Troyes vers 1170 dans "Le Chevalier au lion" montre Messire Yvain 

Par montaignes et par valees Et par forés longues et lees Par lieus estranges et sauvages Si passa maint felons passages Et maint perilz et maint destroit Tant qu'il vit le sentier estroit Plains de ronces et d'oscurtés ; Et lors fu il asseürés. Qu'il ne porroit mais esgarer."

Mais la Ronce possède d'autres caractéristiques que ses épines : la blancheur des fleurs, la couleur du jus de ses fruits, et, surtout ici, ses capacités à marcotter : 

La ronce commune est un arbrisseau vivace par ses tiges souterraines, produisant chaque année de nouvelles tiges aériennes sarmenteuses qui vivent deux ans, ne fructifiant que la deuxième année. Les tiges et les pétioles des feuilles portent des aiguillons acérés. Les tiges arquées peuvent atteindre trois à quatre mètres de long, et leur extrémité rejoint le sol la deuxième année et s'enracine par marcottage, émettant ensuite de nouvelles tiges qui colonisent rapidement le terrain. (Wikipédia)


 

La Ronce dans le Tristan et Iseut de Bédier (1900).

  Lorsque la Ronce apparaît dans le corpus de Tristan et Iseut, elle n'abandonne pas ce caractère sauvage et hostile et son rôle d'introduction vers une métamorphose. Tristan — Tristram en anglais—, orphelin de ses parents Rivalen roi de Lonois et Blanchefleur (Bleunven), est marqué par la tristesse (trist-tantris), mais aussi par cette fleur blanche de son ascendance.  Dans la version tardive de Bédier (1900), synthèse des versions fragmentaires des vers de Béroul et de Thomas, puis des sagas en prose, la Ronce est là une première fois au chapitre IV, dans la scène cruciale du Philtre d'amour : Tristan, envoyé pour ramener Iseut au roi Marc, fait le trajet de retour sur un navire. La mère d'Iseut a confectionné avant le départ un "vin d'herbes"  :

 Quand le temps approcha de remettre Iseut aux chevaliers de Cornouailles, sa mère cueillit des herbes, des fleurs et des racines, les mêla dans du vin, et brassa un breuvage puissant. L’ayant achevé par science et magie, elle le versa dans un coutret et dit secrètement à Brangien :. Car telle est sa vertu : ceux qui en boiront ensemble s’aimeront de tous leurs sens et de toute leur pensée, à toujours, dans la vie et dans la mort. »

Iseut s'étant plaint de la soif, une petite servante va chercher à boire et trouve la boisson :

 « J’ai trouvé du vin ! » leur cria-t-elle. Non, ce n’était pas du vin : c’était la passion, c’était l’âpre joie et l’angoisse sans fin, et la mort. L’enfant remplit un hanap et le présenta à sa maîtresse. Elle but à longs traits, puis le tendit à Tristan, qui le vida.

À cet instant, Brangien entra et les vit qui se regardaient en silence, comme égarés et comme ravis. Elle vit devant eux le vase presque vide et le hanap. Elle prit le vase, courut à la poupe, le lança dans les vagues et gémit :

« Malheureuse ! maudit soit le jour où je suis née et maudit le jour où je suis montée sur cette nef ! Iseut, amie, et vous, Tristan, c’est votre mort que vous avez bue ! »

  De nouveau, la nef cinglait vers Tintagel. Il semblait à Tristan qu’une ronce vivace, aux épines aiguës, aux fleurs odorantes, poussait ses racines dans le sang de son cœur et par de forts liens enlaçait au beau corps d’Iseut son corps et toute sa pensée, et tout son désir."

 Le philtre est un mélange d'herbes, de racines et de fleurs désigné dans le texte du normand Béroul par les termes de lovendrins "breuvage d'amour" de li vin herbez, Béroul v.2138, puis de poison, "potion" qui, préparé selon des secrets médicinaux et magiques, va agir —théoriquement seulement pendant trois ans— comme un venin. Il n'est pas indifférent que les deux amants tragiques le consomment "le jour de la Saint-Jean", car c'était ce jour proche du solstice d'été que les femmes allaient cueillir les herbes riches en  vertus  (verveine, armoise, millepertuis, pervenche, marguerite et orpin). La Ronce en fait-elle partie ? On l'ignore, mais je pense qu'on la trouvait  dans l'emplâtre utilisé par Iseut pour soigner Tristan, dans les épisodes précédents, des blessures causées par le Morholt  puisque les anciens signalaient sa puissance contre les serpents.

 On voit donc combien la symbolique végétale avec ses puissances de croissance et de métamorphoses, sont au cœur du récit, symbolique qui va se concentrer sur la Ronce.

 On voit aussi combien cette première mention de la Ronce dans le texte est une oxymore, un mélange contradictoire de souffrances —épines aiguës—et de jouissances —fleurs odorantes, d'aliénation —corps enlacé— et d'élan vital —le désir—.

      Cette symbolique de la Ronce comme plante qui entoure (chap.IV) l'amant et le pénètre jusqu'au cœur est l'image de la fatalité du sentiment amoureux, véritable malédiction tragique, alienation asujettissant l'amant ou l'amante à des lois contraires aux lois sociales, mais qui, en même temps, par ses "fleurs odorantes", leur donne accès aux félicités de l'union. 

Le mot ronce (au singulier) ne revient, comme dans un leitmotiv, que dans le dernier chapitre, celui de la mort des amants : on voit alors la plante dessiner dans l'espace un grand arc —comme on la voit si souvent le faire au bord des sentiers) pour s'enraciner dans la tombe voisine d'Iseut :

 

  Quand le roi Marc apprit la mort des amants, il franchit la mer et, venu en Bretagne, fit ouvrer deux cercueils, l'un de calcédoine pour Iseut, l'autre de béryl pour Tristan. Il emporta sur sa nef vers Tintagel leurs corps aimés. Auprès d'une chapelle, à gauche et à droite de l'abside, il les ensevelit en deux tombeaux. Mais, pendant la nuit, de la tombe de Tristan jaillit une ronce verte et feuillue, aux forts rameaux, aux fleurs odorantes, qui, s'élevant par-dessus la chapelle, s'enfonça dans la tombe d'Iseut. Les gens du pays coupèrent la ronce : au lendemain elle renaît, aussi verte, aussi fleurie, aussi vivace, et plonge encore au lit d'Iseut la Blonde. Par trois fois ils voulurent la détruire ; vainement. Enfin, ils rapportèrent la merveille au roi Marc : le roi défendit de couper la ronce désormais. 

 La Ronce complète ici sa symbolique : après la fatalité aliénante de la Passion, c'est le caractère quasi sacré de la fidélité amoureuse et de l'éternité qu'elle confère que vient ici illustrer la plante : c'est l'Amour rédempteur par la puissance sacrificielle de la fidélité.

Cette dernière image crée des résonances avec d'autres récits, notamment le mythe de Thisbée et l'hagiographie de Salaun.

1.  Pyrame et Thisbé (Ovide, IV, 55-166) sont deux jeunes Babyloniens qui habitent des maisons contiguës et s'aiment malgré l'interdiction de leurs pères. Ils projettent de se retrouver une nuit en dehors de la ville, sous un mûrier blanc. Thisbé arrive la première, mais la vue d'une lionne à la gueule ensanglantée la fait fuir ; comme son voile lui échappe, il est déchiré par la lionne qui le souille de sang. Lorsqu'il arrive, Pyrame découvre le voile et les empreintes du fauve : croyant que Thisbé en a été victime, il se suicide. Celle-ci, revenant près du mûrier, découvre le corps sans vie de son amant et préfère se donner la mort à sa suite. Depuis, les fruits du mûrier sont rouges.

 at tu quae ramis arbor miserabile corpus 

 nunc tegis unius, mox es tectura duorum, 

 signa tene caedis pullosque et luctibus aptos 

 semper habe fetus, gemini monimenta cruoris. (Ovide Livre IV 158-161)

...nam color in pomo est, ubi permaturuit, ater

 Et toi, arbre fatal, qui de ton ombre couvres le corps de Pyrame, et vas bientôt couvrir le mien, conserve l'empreinte de notre sang ! porte désormais des fruits symboles de douleur et de larmes, sanglant témoignage du double sacrifice de deux amants.  

 2. Le récit hiagiographique de Salaun le fol (XIV-XVe siècle)

Ce saint breton vénéré au Folgoet (bois du Fou) était un  simple d'esprit  répétant inlassablement "Ave Maria, itroun guerhès Maria (Oh! madame Vierge Marie!)". Il vit dans une clairière de la forêt près de Lesneven. Il est appelé "Le fou du bois" (Fol ar c'hoad), car selon la légende, il habite dans le creux d’un arbre, dans la forêt. . Peu après sa mort, on découvrit sur sa tombe un lys sur lequel était écrit en lettres d'or : « AVE MARIA ». En ouvrant sa tombe, on constata que le lys prenait racine dans sa bouche.

L'intérêt de ce récit est d'associer le thème de la vie sauvage et de la folie à celui de l'amour (marial) et de la plante qui naît d'une tombe.

3. Le lai du Chèvrefeuille de Marie de France (entre 1160 et 1189).

 Marie de France, première femme à avoir écrit des poèmes en français, adapta des légendes orales bretonnes ou matière de Bretagne. Dans ce lai, elle raconte comment Tristan fait parvenir à Iseut une branche de coudrier entourée d'un rameau de chèvrefeuille et où est gravé son nom. 

Ils étaient tous deux comme le chèvrefeuille qui s'enroule autour du noisetier: quand il s'y est enlacé et qu'il entoure la tige,ils peuvent ainsi continuer à vivre longtemps. Mais si l'on veut ensuite les séparer,le noisetier a tôt fait de mourir, tout comme le chèvrefeuille. "Belle amie, ainsi en va-t-il de nous:ni vous sans moi, ni moi sans vous!"

 Sur un mode différent de la Ronce, c'est une métaphore assez semblable qui est développée : celle de l'enlacement qui est à la fois une emprise, un lien et une union. Rompue, elle mène à la mort ; préservée, elle est éternelle. Soulignons seulement que les baguettes de coudrier blanc étaient, dans la mythologie celte, liée à la puissance divinatrice, poétique notamment, et que des toponymes ("quelhuit") signalent d'anciens lieux de culte gaulois situés dans des courdraies :  Les églises des îles du Ponant II. Groix, chapelle de Quelhuit.

 Ce lai est intégré au texte de Bédier comme un épisode du récit.

 

 

Les occurrences de "ronces" dans le texte de Bédier.

On trouve aussi le mot ronces, (au pluriel) aux chapitres 5, 9 et 10 du livre de Bédier, pour illustrer les épreuves que doivent subir les amants, pour fixer les frontières du monde sauvage, mais aussi pour montrer comment, dans leur retraite coupée du monde, ce sont les ronciers qui les protègent en les dissimulant (sans néanmoins éviter que Marc ne les découvre): 

  5 :  Plus de sentier frayé, mais des ronces, des épines et des chardons.

9 : haillons, déchirés par les ronces. Ils s’aiment, ils ne souffrent.

 10 : Dans le fourré clos de ronces qui leur servait de gîte, Iseut la Blonde attendait le retour de Tristan.


 Les sources de Bédier.

Pour mieux saisir l'ancienneté de cette symbolique de la ronce, il fallait savoir quelle part était due à Bédier, et quelle part revenait aux textes anciens.

Le motif de la réunion des amants après leur mort par le biais d'un végétal n'est pas présente dans les fragments en vers de Béroul (1170) ou de Thomas (1175), mais apparaît la première fois chez l'écrivain allemand Eilhart (1170 ou 1180, Tristrant und Isalde ) : Le roi fait inhumer les deux amants dans la même tombe, et y fait planter un rosier sur le corps d'Iseut et un cep de vigne sur le corps de Tristan ; le rosier et la vigne croissent sous  l'effet du philtre et leurs rameaux s'unissent si bien qu'on ne saurait les séparer sans les briser.

 

Dans la Saga islandaise de 1266, Isond et Tristram sont enterrés sur l'ordre d'Isodd, la deuxième Yseut, de part et d'autre de l'église afin qu'ils soient séparés même après leur mort. Mais un arbre poussa de chacune de leurs tombes, si haut que leurs ramures s'entrelacèrent au dessus du toit de l'église.

  Dans le Tristan en prose du manuscrit français 103 de la Bnf, le roi Marc, informé tardivement de la cause des amours adultères de son neveu et de sa femme, les fait enfermer dans de riches sarcophages que l'on enterre de chaque coté de la chapelle bâtie pour eux par les gens de Tintagel. Une belle ronce sort de la tombe de Tristan, passe par dessus le toit de la chapelle et entre dans la tombe d'Yseut. Informé, Marc fait couper trois fois la ronce, mais elle repousse de plus belle à chaque fois :

 

De dedens la tombe yssoit une ronche belle et verte et foillue qui alloit par dessus la chappelle, et descendoit le bout de la ronche sur la tombe Yseut et entroit dedens. Ce virent les gens du païs et le comptèrent au roy. Le roy la fit par trois fois coupper : a l'andemain restoit aussi belle et en autel estat comme elle avait esté autrefois. C'est miracle estoit sur Tristan et sur Yseult. 

  http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90598289/f388.zoom

C'est là la source manifeste de Bédier, mais on admirera comment celui-ci a pu préparer ce motif en le plaçant auparavant dans la scène du philtre. 

Cette version du Ms 103 (par Luce del Gate) est reprise en 1796 par le comte de Tressan (Œuvres choisies, Volumes 7 à 8).

 

 La version italienne de La Tavola Ritonda de la fin du XIIIe siècle connaît une quatrième variante. Une vigne surgit subitement sur leur tombe au bout d'un an, le jour anniversaire de leur inhumation. Cette vigne avait deux racines ; l'une plongeait dans le cœur de Tristan, l'autre dans le cœur d'Yseut, et les deux racines ne formaient qu'une tige ; le cep qui sortait de la tombe était plein de fleurs et de feuilles et faisait une grande ombre sur les gisants des deux amants.

 

Source : Jean-Marc Pastré, La magie du végétal dans les romans de Tristan, in Le Végétal, publication de l'Université de Rouen 1999, pp. 75-78.

En somme, la Ronce vient remplacer à elle seule le Rosier et la Vigne : elle est tout à la fois cette Rosacée armée d'épines et aux fleurs odorantes, et cette liane, ce sarment à la croissance sauvage et invincible.

  Si on recherche d'autres correspondances, on peut reconnaître la Ronce dont les fleurs ont cinq pétales et cinq sépales, dans le signe à cinq branches — la signature— que Tristan trace sur des copeaux emporté par le ruisseau et qu'Iseut va reconnaître en aval comme un signal de rendez-vous. 


 

      Symbolique des couleurs dans le motif de la Ronce.

La Ronce est une plante qui associe trois couleurs, le vert de la croissance par ses feuilles, le blanc de la pureté et de l'Autre Monde par ses fleurs, et le rouge incarnat ou purpurin (presque noir) de la passion, de la douleur et du sang par ses fruits, ou par la blessure causée par ses épines.

  Ces trois couleurs, blanc, rouge, vert, sont aussi celles qui prédominent dans le roman de Bédier, comme en témoigne l'analyse statistique du vocabulaire. La couleur blanche vient en tête, citée 61 fois, puis la rouge (20 fois) et la verte (19 fois), loin devant le noir (9 fois), le bleu et l'azur  (4 fois), le jaune (2 fois). Un peu à part, l'or apparaît 20 fois environ, et le blond 46 fois.

 

 

—L'or et le blond sont liées à Iseut et à ses cheveux d'or. 

—  Le blanc est la couleur de la mère de Tristan, Blanchefleur. C'est celle de la deuxième Iseut, Iseut aux blanches mains". C'est aussi  la couleur du chien de Tristan, Husdent. C'est enfin celle de la Blanche Lande.

— Le rouge  est lié  au Jugement par le fer rouge, et donc à l'épreuve. On le trouve aussi dour qualifier La Croix Rouge, dans la forêt du Morois. 

—Le vert, quand il ne qualifie pas l'herbe, le trèfle, les rameaux ou la ronce, est utilisé dans les 10 occurrences de "l'anneau de jaspe vert", offert par Iseult à Tristan lors de leur séparation, avant qu'elle ne rejoigne la cour du roi Marc. Tristan offre en échange son chien Husdent : Blanc contre Vert. Cet anneau est l'un des leitmotiv bedierien, instrument de la reconnaissance, de la réconciliation : 

Tristan, laisse-moi Husdent, ton chien. Jamais limier de prix n'aura été gardé à plus d'honneur. Quand je le verrai, je me souviendrai de toi et je serai moins triste. Ami, j'ai un anneau de jaspe vert, prends-le pour l'amour de moi, porte-le à ton doigt : si jamais un messager prétend venir de ta part, je ne le croirai pas, quoi qu'il fasse ou qu'il dise, tant qu'il ne m'aura pas montré cet anneau. Mais, dès que je l'aurai vu, nul pouvoir, nulle défense royale ne m'empêcheront de faire ce que tu m'auras mandé, que ce soit sagesse ou folie.

– Ami Tristan, dès que j'aurai revu l'anneau de jaspe vert, ni tour, ni mur, ni fort château ne m'empêcheront de faire la volonté de mon ami. 

Quoique le texte ne le mentionne pas, il est évident aussi que le philtre d'amour, le "vin herbé " fait de racines, de feuilles et de fleurs est de couleur verte.     

 —  Le Noir décrit la nuit, l'ombre, et la voile noire porteuse de mauvaise nouvelle. 

 

Dans ce roman, comme dans le monde chrétien médiéval, le couple fondamental n'est pas le blanc et le noir, mais le blanc et le rouge, et c'est entre ces deux couleurs que la dialectique se construit : innocence et candeur des amants qui sont les victimes d'un philtre — et Tristan est si convaincu de cette innocence qu'il est prêt à affronter quiconque l'accusera d'avoir trompé le roi Marc—, mais rouge violence de leur passion aveuglante.

  Blanc et rouge, telle était la couleur des premiers échiquiers au IXe siècle avant qu'à la fin du XIIIe ou au début du XIVe siècle ils ne deviennent les damiers noir et blanc que nous connaissons. Aussi, dans la scène dans laquelle la partie d'échec entre le roi Marc et Iseut est interrompue par un messager de Tristan montrant à la reine l'anneau de jaspe vert par lequel celui-ci appelle Iseut à son chevet, c'est une image en Blanc-Rouge-Vert qui se forme, comme un rappel de la Ronce et de ses impératifs :

  Dinas retourna donc à Tintagel, monta les degrés et entra dans la salle. Sous le dais, le roi Marc et Iseut la Blonde étaient assis à l'échiquier. Dinas prit place sur un escabeau près de la reine, comme pour observer son jeu, et par deux fois,feignant de lui désigner les pièces, il posa sa main sur l'échiquier : à la seconde fois, Iseut reconnut à son doigt l'anneau de jaspe. Alors, elle eut assez joué.

 

Elle heurta légèrement le bras de Dinas, en telle guise que plusieurs paonnets tombèrent en désordre.  « Voyez, sénéchal, dit-elle, vous avez troublé mon jeu, et de telle sorte que je ne saurais le reprendre. »

 

 Le motif de l'échiquier apparaît dans d'autres versions dès le début, où Tristan est si absorbé au jeu que des marchands le kidnappent ; le jeu d'échec est surtout présent dans la scène du Philtre : le navire étant encalminé par forte chaleur, les futurs amants trompent le mortel ennui en affrontant leurs pièces, avant de demander à boire.

      http://www.larousse.fr/encyclopedie/images/Tristan_et_Iseut_buvant_le_philtre_d_amour/1311475

Tristan et Iseut buvant le philtre d'amour. Miniature (1470) extraite du Livre de Lancelot du lac, de Gautier Map. (Bibliothèque nationale de France, Paris.) Ph. Coll. Archives Larbor

      <i>Tristan et Iseut buvant le philtre d'amour</i>

 

 

 

Au total, la Ronce est, mieux que la Rose, le symbole de l'épreuve initiatique d'ensauvagement et de souffrance qui, par une affiliation sanglante, réunie deux êtres dans une fidélité amoureuse pour la vie, mais plus encore, pour la mort.  

 

            Le lai du chèvrefeuille                

 

 

 Les armoiries de Tristan.

      De fil en aiguille, cette analyse des couleurs dans le corpus de Tristan m'incite à m'interroger sur les armoiries du héros. Je les trouvent décrites dans la version de Gottfried.

1. La flèche d'or.

Au cimier de son heaume "à l'apparence du cristal" "se dressait "un trait, prophète de l'amour, dont la force symbolique allait se confirmer par l'amour auquel Tristan fut voué" (Trad. D. Buschinger, édition Pleiade Gallimard 1995 page 475). Ce trait est une flèche d'or, celle d'Eros ou de Cupidon, mais elle souligne aussi que l'un des attributs de Tristan dans le roman de Béroul est l'arc : c'est Tristan qui, ayant choisi la vie sauvage avec Iseut dans la profondeur des forêts, invente l'Arc Infaillible. Chez Gottfried, Tristan est armé d'une arbalète, ce qui explique peut-être le mot "trait" plutôt que "flèche".

  La flèche d'or sur le heaume renvoie aux couleurs jaune sur fond blanc "d'argent au trait d'or" en terme d'héraldique, bien que nous décrivions le cimier.

L'arc de Tristan et celui de Cupidon me rappelle l'arc que forme la tige de la Ronce avant de s'enraciner, ou, plutôt, c'est lorsque je vois cette image de la courbe de la tige verte et épineuse réunissant les deux tombes de Tristan et d'Iseut que, par ce passage par les armoiries, j'y vois désormais l'arc de "l'amour auquel Tristan fut voué". Bandé, glorieux et mortifère.

2. Le sanglier ou le lion. 

   Dans le même passage du Tristan de Gottfried où le héros s'arme avant de combattre Morolt, se trouve la description du bouclier : "une main adroite y avait mis tout son soin, et il avait l'éclat de l'argent, si bien qu'il était en parfaite harmonie avec le heaume et la cotte de mailles. Il avait été maintes fois poli, ce qui lui avait donné un lustre si éclatant qu'on pouvait s'y mirer" (p. 475). La couleur du champ de l'écu est donc le blanc ("argent"), comme est blanc le heaume et la cotte, ou aussi "la housse qui recouvre son cheval" (p.476), mais ce blanc est celui de l'acier poli, celui du miroir, de l'éblouissement et des ambiguïtés des reflets et de l'aveuglement, du simple et du double. "La housse qui le recouvrait [le cheval] était d'une blancheur éclatante, étincelante comme le jour, en harmonie avec la cotte de mailles de Tristan".

  Je reprends la lecture de la description du bouclier : "Un sanglier avait été fixé dessus, taillé de main de maître dans une peau de zibeline, noire comme du charbon". 

Les armoiries de Tristan sont donc "d'argent, au sanglier de sable".

En effet, la fourrure de zibeline serait à l'origine du terme héraldique "sable" qui désigne le noir : "Le terme sable viendrait du terme russe : соболь (sobol), désignant la zibeline, fourrure noire, ou de l'allemand Zobel, martre noire. Il désignait initialement sa fourrure noire et brillante" (Wikipédia). Mais la référence animale est ici importante, indiquant, tout comme le sanglier, la nature sauvage de Tristan, ou plus exactement, celle de la passion amoureuse qui ensauvageonne ce parangon de l'homme courtois. Si le blanc est son coté civilisé et immaculé, le noir est sa face sauvage.

 J'aborde ce thème en parfait petit amateur alors qu'il a été traité avec la compétence et l'érudition inégalable qu'on lui connaît par Michel Pastoureau : "Les armoiries de Tristan dans la littérature et l'iconographie médiévales" in L'hermine et le sinople, Paris 1982 pp.279-298. Mais je n'ai pas lu cet ouvrage. Tout au plus pourrais-je dire que Pastoureau a établi que si le sanglier est l'emblème de Tristan dans les pays germaniques (Gottfried est de Strasbourg et écrit en moyen-allemand), par contre en France, en Angleterre et en Scandinavie cet emblème est le lion. D'autre part, je lis que les armoiries de Tristan "sont fort instables" et que ses véritables armoiries sont de gueules à deus couronetes d'or  (un escu vermeil à deus couronetes d'or) indiquant ainsi qu'il est l'héritier de deux royaumes, le Lonnois par son père Rivalin, la Cornouailles par son oncle Marc. Enfin, au XVe siècle les Armoriaux lui attribuent des armes de sinople au lion d'or (vert au lion jaune) , cette combinaison rare du vert et du jaune le célébrant comme "le fou d'amour". (Notes par M.L Chênerie et Delcourt in Le Roman de Tristan en Prose. Tome II, Du Bannissement de Tristan Du Royaume, Droz, 1990 page 395.

                                              Blason imaginaire de Tristan.svg  Wikipédia

 

 

 

 Lancelot affronte Tristan en combat (enluminure d'Évrard d'Espinques,BNF Fr.116, 1475).  

 

 

Tristan mourant et embrassant Iseult, trois personnages portant ses armes de sinople au lion d'or (enluminure de Tristan de Léonois, xve siècle, BNF ; wikipédia :

                               


 


II. Botanique : LA RONCE ET LES ENLUMINEURS DES FLORES.

 

   Chacun peut aisément connaître la Ronce, parce qu'elle s'accroche vistement aux robes de ceux qui passent par auprès, elle les arrête tout court. Elle a la tige pleine d'aiguillons poignants. Les feuilles crénelées, noirâtres d'un coté et blanches de l'autre. La fleur quelque peu rouge du commencement, puis après blanche ; icelle tombee survient le fruit semblable aux mûres de mûrier changeant de plusieurs couleurs jusqu'à ce qu'il soit noir. C'est viande agréable aux oiseaux, et quelquefois aux hommes, pour lors il a le jus rouge comme sang, duquel il teint et barbouille les mains.

Le Lieu :

La Ronce vient entre les buissons ; et soudain après qu'elle est quelque peu creue, elle se refiche dedans la terre et prend racine, tellement que derechef on la peut voir recroître de soi-même.

 De Plyne.

 Nature n'a point produit la Ronce pour piquer seulement et faire mal à l'homme, mais aussi pour le rassasier de son fruit. Celui-ci a vertu de sécher et de resserrer, et pourtant il est fort convenable aux gencives, inflammation d'amygdales et aux génitoires : ses fleurs et meures ou catherinettes sont du tout contraire aux pires serpents qui soient en ce monde, c'est à savoir a hemorrhus* et prester. Ils resserrent sans aucun danger d'inflammation ou d'apostemes toutes piqures de scorpions et font uriner. On pile les tiges encore tendres pour en avoir le jus, lequel après qu'il est épaissi au soleil, comme pourrait être miel. 

Leonhardt Fuchs, 1549, Commentaires tres excellens de l'hystoire des plantes, chap LV 

 * Le serpent mâle Hemorrhus, femelle hemorrhois, était réputé causer par sa morsure des saignements profus.

** prester : nom d'un serpent venimeux des Anciens ; la vipère péliade a été nommé Coluber prester.

        

Il existe pour Linné (Species Plantarum : 493, 1753) plusieurs espèces du genre Rubus, dont la ronce commune ou sauvage qui correspond soit à R. fruticosus (du latin fruticōsus, a, um : - 1 - plein de rejetons. - 2 - plein de buissons, plein d'arbres, ombragé), la Ronce noire, soit à R. caesius, (latin : bleu glauque) la Ronce bleue. 

Au même genre appartient le Framboisier Rubus idaeus (parce qu'on le croyait originaire du mont Ida, en Turquie), une plante sauvage qui a été cultivée depuis la fin du Moyen-Âge. Elle est décrite par Linné Species Plantarum 1 : 492 : "habitat in Europae lapidosis".

 

 

Le Grandes Heures d'Anne de Bretagne

  Dans ce manuscrit Bnf latin 9474  peint entre1503-1508 par Jean Bordichon, les oraisons sont encadrées de plantes (et de papillons, libellules et autres insectes) pour réaliser un Vade-mecum contenant tous les remèdes du corps et de l'âme. Ainsi, le Folio 206 représente la Ronce sauvage Arbustum rubra  Ronsces qui encadre une invocation à sainte Marguerite : elle était récitée par "les femmes grosses", pour prévenir les grands périls de l'accouchement :

Ex Madame sainte marguerite Virgo gloriosa Christi margarita : virginum gemma preciosissima virtute supernorum clara. Audi preces nostras coram te fusas et tuis sacris precibus nostris adesto calamitatibus. VERSUS Ora pro nobis beata margarita. RESPONS Ut digni efficiannur pinissionibus Christi. Oremus Dominus qui beatam. ORATIO. Margaretam virginem tuam : ad celos per martirii palmam pervenire fecisti  concede nobis quaesumus : ut eius exempla sectantes ad te venire mereamur. Per Christum dominum nostrum. Amen

Virgo gloriosa Christi margarita est un cantique mis en musique par Adrian Willaert. 

 

 

                                 ronce-ronsce-anne-de-Bretagne-f.206.png

Le livre ne précise pas à quels usages médicaux était réservé la Ronce ; il n'y a pas de rapport entre la plante, et l'oraison à sainte Marguerite. Traditionnellement, depuis Dioscoride, Galien et Pline, on utilisait des décoctions des tiges, des broyats de feuilles, ou le jus des fruits, contre les ulcérations buccales (herpes, angines), pour arrêter le flux de ventre, ou soigner des morsures d'un serpent nommé "prester". Un vin de mûres était aussi employé.

Un auteur, Kim E. Hummer, s'est livré à une étude exhaustive de la ronce : on trouvera ses articles en ligne : 

 http://www.ars.usda.gov/SP2UserFiles/person/2674/hummer%20rubus%20pharmacology.pdf

http://www.hort.purdue.edu/newcrop../rubusicon.pdf

 

On trouve aussi dans le Grand Livre d'Heures une enluminure consacrée au Framboisier, et une autre au mûrier :

Fraxibasia Framboyse.

Mora celsi Meures.

                            rubus-idaeus-framboysier-anne-de-bretagne-detail.png                          mures-anne-de-bretagne-detail.png

Meure (depuis 1165) ou More puis Mûre désigne indifférement le fruit du Mûrier du genre Morus, et celui de la Ronce, du genre Rubus.  L'ancien français meure est issu du bas latin mora (Dioscoride latin; Pseudo-Apulée), pluriel collectif devenu féminin singulier du substantif neutre morum désignant le fruit du mûrier (Varron), la mûre sauvage (Id.), le fruit du sycomore (Pline). (CNRTL)

 

Français 9136 fol. 250v.

 

Latin 6823, fol. 104.

 

Français 1307, fol. 187v  

Nouvelle acquisition française 6593, fol. 173.

 

Français 623, fol. 158. 

 

 

 

Français 12322, fol. 183v.  

 

 

 

 

Sources : 

Le texte de Béroul : http://fr.wikisource.org/wiki/Tristan_(B%C3%A9roul)

L'adaptation par Bédier : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Roman_de_Tristan_et_Iseut/Texte_entier

L'analyse statistique du texte de Bédier :http://www.intratext.com/IXT/FRA1648/OV.HTM

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Published by jean-yves cordier
28 octobre 2013 1 28 /10 /octobre /2013 11:42

 

      Exposition Miró à Landerneau : Miró, les taches et moi.

 

  J'aime les taches autant que j'abhorre les tâches. les une m'attirent autant que les autres me rebutent. J'ai déjà raconté l'histoire de la tache la plus célèbre, celle de Paul-Louis Courier sur le rarissime manuscrit de Longus à la Bibliothèque Laurentienne de Florence :  Histoire d'un pâté célèbre, de l'atacamite, et de "l'encre de la petite vertu". 

 Mais ce sujet n'est pas pour autant tari et la récente exposition du Fonds Hélène et Édouard Leclerc pour la Culture  aux Capucins de Landerneau Joan Miró l'arlequin artificier réveille mes vieux démons. 

Commençons par donner libre cours aux images : de la tache, et de la plus belle encre ! Flashe ! Ploutche ! spliche ! Ah !


 taches 9957v

 

 

                    taches 0049c

 

 


 

                    taches 0047c

 

 

                        taches 0046c                                        

 

 

 

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                                 taches 0044c

 

Quelle exubérance ! Quelle jouissance !

 Comme d'habitude, il suffit  de creuser un peu le vocabulaire pour constater que ces onomatopées de la projection profanatrice d'encre sur la candeur de la page ou de la toile sont inscrits dans l'inconscience des mots.

 Savais-je que le mot esquisse , terme bien propre —si je puis dire — aux peintres, vient de l'onomatopée du gotique  *slîtjan  " fendre, faire éclater " (cf. éclisser) qui donnera l'italien schizzare, "jaillir, gicler " puis depuis Boccace le déverbal schizzo  "tache que fait un liquide qui gicle" avant de prendre le sens  d "ébauche (d'un dessin), ce schizzo italien donnant en 1642 naissance à notre esquisse

  Dans toute esquisse, tout premier jet (eh oui) d'un texte (tissu, textile), si on le porte à l'oreille, on entend encore ce bruit du jaillissement du verbe créateur, qui éclabousse. 

 Éclabousser ? "Faire rejaillir sur (quelqu'un, quelque chose) en le couvrant de taches" (CNRTL), vient de l'onomatopée klapp klabb et de bouter "pousser dehors". Tous ces mots viennent donc d'un langage primitif, préverbal ou puéril. 

 Des mots se pressent en synonymes, gicler, arroser, asperger...

On pense à bavochure (l'imprécision et l'imperfection de l'a-peu-près, mais aussi ses débordements), puis à bavure, baver, cracher...

  Mais les termes ne possèdent pas seulement ce coté éjaculatoire, ils portent aussi les valeurs de la souillure : c'était vrai pour éclabousser ("fig. : compromettre, salir moralement"), cela se vérifie aussi pour maculer : "salir, souiller, couvrir de taches", emprunté au lat. maculare "marquer, tacher, flétrir, déshonorer". Nous étions avec Rabelais, nous voilà avec Nathaniel Hawthorne et sa Lettre écarlate.

 Venons-en au nom tache. Deux étymologies sont proposées (CNRTL, résumé sur Wiktionnaire):

 

  1. issu du gotique *taikns « signe » qui donne l’allemand Zeichen (« signe ») et un bas latin *tacca mais « on ne voit pas très bien comment cet étymon ayant le seul sens de « signe » a pu donner, dans les différentes langues romanes, des sens aussi variés que ceux de « souillure », « marque sur la peau », « qualité (bonne ou mauvaise) ».

  2. L’ancien français tachier (« tacher ») serait à rapprocher du latin vulgaire *tagicare, dérivé du latin tangere (« toucher ») alors que sa variante techier remonterait à un latin vulgaire *tigicare, issu de tingere (« teindre, barbouiller, colorer »). Tache serait donc un déverbal de tacher.

 Je retiens la seconde hypothèse pour les relations qu'elle crée entre la tache d'une part et l'acte pictural et les couleurs d'autre part. Tacher, c'est donc, dans la profonde résonance du mot, teindre, colorer et, surtout peut-être barbouiller. Moins dans son sens péjoratif que dans son évocation de l'activité ludique de l'enfant ; et parce qu'il me conduit à brouillon

  L'adjectif brouillon possède deux sens. J'étais, je reste brouillon, désordre, presque foutraque. Mes cahiers de brouillon étaient couverts de tache d'encre violette. L'un parle de confusion, l'autre est synonyme d'esquisse. Mais personne ne contestera que le brouillon est le pays natal de la tache, son pré carré. Là où elle se donne libre cours.

  Certains éditeurs ont publié le fac-similé des brouillons de nos meilleurs écrivains, "respectant même les taches d'encre". Les manuscrits autographe de certains artistes, parce qu'ils conservent les taches de café ou de tabac de leur auteur, suscitent une émotion considérable. 

 

  Il me reste à établir un dernier lien, celui qui unit la tache, meurtrissure profanatrice de la perfection du trait, avec la déchirure et la béance. 

 Dans l'œuvre de Miró, les lacérations de la toile sont sans-doute plus rares que les taches, mais elles relèvent du même geste de défi lancé à l'arrogance des puritains du travail soigné. 

 

Post-scriptum à propos de Marie-Madeleine.

 

  J'oubliais l'essentiel de mes découvertes : la relation étymologique entre le nomp tache et le verbe latin tangere. Je constate que la traduction habituelle du verbe tangere, "toucher", telle qu'on la trouve dans le Gaffiot, laisse de coté des  sens plus péjoratifs, tels que "souiller", "flétrir", qui ne figurent pas dans les dictionnaires mais qui apparaissent dans les autres mots dérivés de ce verbe : consultons Le Robert historique de la langue française. 2010.

ENTAMER v. tr. est issu (1120-1150) du bas latin intaminare (IVe s.) « toucher à », proprement « souiller, profaner ». Ce verbe est un préfixé en in- de °taminare « souiller » que l'on retrouve dans le composé classique contaminare (→ contaminer) ; il se rattache à tangere, au supin tactum, « toucher » (→ entier, intact, tactile), à rapprocher peut-être du gotique tekan « toucher ».  

CONTAMINER v. tr. est emprunté (1215) au latin contaminare, proprement « entrer en contact avec », essentiellement attesté avec la valeur péjorative de « souiller par contact », plus généralement « souiller » (au physique et au moral). La langue littéraire l'emploie au sens spécial de « rendre méconnaissable en mélangeant ». Le mot, formé avec le préverbe cum (→ co-), a été rattaché par les Latins à tangere « toucher » (→ tangible). Il suppose un °taminare qui, à son tour, postule un °tamen, « fait de toucher, contact impur », lequel pourrait être un ancien terme du vocabulaire religieux.     ❏  Le mot est un terme religieux passé dans la langue médicale. Le sens initial de « souiller par un contact impur » est sorti d'usage au XVIIe s. et est qualifié de « vieux » par Furetière (1690).  ◆  Il a été repris en médecine (1863), se répandant dans le langage courant au détriment de contagionner. Les connotations péjoratives, liées au contexte de la pathologie, ont coloré le sens figuré, « changer la nature de qqch., altérer ». 

TANGENTE n. f. est emprunté (1626) au latin tangens, -entis, participe présent de tangere « toucher » (sens concret et abstrait), « toucher à », qui était employé dans de nombreuses acceptions figurées, dont une familière analogue à celle de taper « emprunter », en français moderne. Tangere est rapproché pour le sens du groupe germanique du gotique tekan « toucher » (Cf. anglais to take) mais le t germanique (qui suppose un ancien d) ne concorde pas avec le latin. Si les deux groupes sont apparentés, la consonne initiale étant inexpliquée, on supposerait un ancien thème °teg, təg- ; comme l'indoeuropéen n'admet pas de racines commençant et finissant par une sonore simple, le °deg- sur lequel reposent les formes germaniques n'est pas originel. Tangere n'est pas passé en français comme dans d'autres langues romanes ; il a été supplanté par le dérivé de l'onomatopée °tok- (→ toucher). 

Contagion :  Empr. au lat. class. contagio (composé à partir de cum et de la racine de tangere « toucher ») « contact, contagion, contamination », fig. « influence pernicieuse ». CNRTL

 CONTACT n. m. enregistré en 1611, peut-être attesté en 1586, est un emprunt relativement tardif au latin contactus, nom issu du participe passé de contingere « toucher » (→ contingent), composé d'aspect déterminé, en cum (→ co-) de tangere, de même sens (→ tangible). Contactus et contagio (→ contagion), issus du même verbe, désignent à la fois le toucher en général et le toucher infectieux en particulier.  

 CONTINGENT, ENTE adj. et n. m. est emprunté (1370) au latin impérial contingens, participe présent de contingere, proprement « toucher, atteindre » (→ contigu) et spécialement « arriver par hasard », d'où « échoir en partage ». En bas latin, contingens est spécialisé en philosophie et substantivé au sens de « ce qui peut être ou ne pas être », traduisant le grec to endekhomenon.

    

  Ces eléments lexicographiques permettent de sentir combien la tache, outre le caractère contingent de sa forme (qui échappe à la maîtrise du peintre), déclenche en nous les peurs ou angoisse lièe à la souillure, dans ses deux aspects religieux et médical. Elle est une effraction, une atteinte sacrilège ou contaminante de ce qui, auparavant, était Intact.

 Indépendamment de ceci, ces découvertes m'amènent à reconsidérer le sens du fameux Noli me tangere du Christ à Marie Madeleine : on le traduit régulièrement par "Ne me touches pas" (et le grec du texte originel mê mou haptou (μη μου απτου) par "ne me retiens pas", voire "ne m'étreins pas"), mais on peut aussi entendre entre les mots cette opposition entre le pur, l'immaculé Agneau sans tache, le Sacré, et l'impur humain à fortiori féminin et pécamineux, frappé du péché originel.

Si on traduit, certes abusivement,  Noli me tangere par "ne me souilles pas", les réflexions de Didi-Huberman découvrant des taches ou touches de peinture  et trois petites croix en terra rosa en guise de fleurs entre Madeleine et le Christ dans la fresque de Fra Angelico "Noli me tangere"  dans la cellule n°1 du couvent de San Marco prennent d'avantage de signification encore.

(Georges Didi-Huberman - "Fra Angelico, Dissemblance et figuration", Ed : Flammarion, 1995, pp38-39).

 Le Sacré, la Divinité relève de l'Intouchable, de l'Intact et de l'Intègre.

 La tache y porte toujours atteinte.

L'Incarnation est le risque de cette altération du divin, et les Stigmates  sont la marque de ces taches rédemptées. 

 

                                    

 

Résurrection du Christ - Noli me tangere (Giotto, chapelle Scrovegni, 1302-05)  

 

                            

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Published by jean-yves cordier
27 octobre 2013 7 27 /10 /octobre /2013 23:46

Exposition Miró aux Capucins de Landerneau, 

           Fonds Hélène et Édouard Leclerc.

                    Les sculptures.

                20131026 115252c

 

                  20131026 115833vvv

 

                                       sculptures 0042c

 

sculptures 9857v

 

                 sculptures 9856c

 

 

                 sculptures 9863v

 

                                     sculptures 9870c

 

 

                               20131026 120406cd

 

                                        sculptures 9874c

 

 

                                sculptures 9928v

 

 

                                                         sculptures 9877v

 

 

                                      sculptures 9988v

 

Attention : ceci n'est pas une œuvre de Miró :

                                        miro-expo-landerneau 9876c

                                sculptures 9991v

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Published by jean-yves cordier
27 octobre 2013 7 27 /10 /octobre /2013 23:30
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Published by Lavieb Aile
27 octobre 2013 7 27 /10 /octobre /2013 23:30

Exposition Joan Miró à Landerneau. (3)

                     Signé Miró.

 

Exposition Joan Miró aux Capucins de Landerneau, Fonds Hélène et Édouard Leclerc.

signatures 9929c

 

20131026 115507v

 

 


20131026 114005v

 

 

 

 

20131026 115633v

 

                            20131026 120025c

 

 

 

20131026 115032c

 

20131026 114645c

 

 

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                   20131026 114303v

 

 

                    20131026 114257c

 

 

20131026 114238v

 

 

20131026 114215v

 

 

20131026 114202(0)c

 

 

                             20131026 114156v

 

 

20131026 114135c

 

 

20131026 114125c

 

 

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20131026 114623c

 

 

20131026 114632v

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27 octobre 2013 7 27 /10 /octobre /2013 21:47
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  • : Le blog de jean-yves cordier
  • : 1) Une étude détaillée des monuments et œuvres artistiques et culturels, en Bretagne particulièrement, par le biais de mes photographies. Je privilégie les vitraux et la statuaire. 2) Une étude des noms de papillons et libellules (Zoonymie) observés en Bretagne.
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  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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