.
Cette scène est célèbre, d'autant que le thème de Goupil (ou Renart) et les poules est fréquent dans les sablières et autres sculptures bretonnes. Sophie Duhem, docteur en Histoire à Rennes 2 puis maître de conférences en Histoire de l'art moderne à l'Université de Toulouse-Le-Mirail, y a consacré un article dont je donne les extraits suivants :
DUHEM (Sophie), 1998, « Quant li goupil happe les jélines... », ou les représentations de Renart dans la sculpture sur bois bretonne du XVe au XVIIe siècle
"Le renard se démarque de ses congénères par sa nature maléfique.
Mais Renard est surtout connu pour le rôle de premier plan qu'il joue dans la vaste épopée qui porte son nom. Ce roman satirique, rédigé par des clercs successifs entre 1170 et 1250, remporte un vif succès en France et donne naissance à un genre parodique où le monde animal présente un reflet de la société humaine et de ses excès. C'est ce monde que parcourt le goupil, et ce sont ses aventures que bon nombre d'artistes trouvent plaisir à illustrer dans les divers domaines de l 'art, tout au long du Moyen Âge. Ainsi Renard apparaît à de nombreuses reprises dans la sculpture bretonne, sur des supports de bois qui remontent pour les plus anciens à la fin du XVe siècle, et sur quelques décors de charpentes plus tardifs, pour certains datés du milieu du XVIIe siècle !
Les aventures de Renaît qui inspirent ces représentations sont certainement bien connues des populations bretonnes, sans cloute véhiculées par les conteurs et les conteuses lors des veillées. Noël du Fail évoque à plusieurs reprises le goupil dans les descriptions qu'il fait du milieu paysan des campagnes rennaises au X VIe siècle.
Renart prêchant les poules, une image appréciée des artisans bretons à la fin du Moyen Âge.
L'illustration d'un thème original, celui de Renart prêchant les poules, apparaît sur quelques décors de bois. Cette image présente le goupil revêtu d'un habit monacal, placé debout dans une chaire et s 'adressant à une assemblée de poules attentives.
La figure caricaturale de l'animal travesti en moine doit être rattachée aux écrits satiriques inspirés du roman ; Ysengrimus, un manuscrit réalisé en Flandres vers 1150 évoque déjà la figure de l 'animal travesti en moine — ici le loup Ysengrin — qui annonce celle plus tardive de Renart camouflé, jouant sournoisement de cet artifice pour tromper son entourage.
Une illustration de Renart apparaît sur le jubé de la chapelle Saint-Fiacre au Faouët, décoré par le sculpteur Olivier Le Loërgan dans les années 1480. La saynète située au niveau de la clôture, face à la nef, raconte en quatre épisodes les péripéties de Renart. À gauche, il est monté en chaire, prêchant les gelines placées face à lui. Il dévore l'une d'elles sur le relief suivant ; les autres volailles se regroupent et l'attaquent, et dans la dernière scène, aidées du coq, écorchent vif le goupil. Plus que l'envers parodique de l'enseignement prêché par l'Église, il a conféré consciemment ou non à son discours une portée moralisatrice dont témoigne la fin tragi-comique du faux moine, écorché par les poules.
La figure insolite de « Renart escorché »
Un épisode particulier, associé aux représentations de Renart prêchant, met en scène un goupil écorché, cruellement dévêtu de sa fourrure par les poules courroucées. À nouveau, le thème semble puiser ses racines dans le fonds littéraire de l'épopée satirique rapportant l'histoire du goupil : ainsi, la chasse qui s'engage contre le renard est-elle surtout motivée par l'espoir de le déposséder de son manteau.
L'animal apparaît sur la face est du jubé de la chapelle Saint-Fiacre au Faouët, dans la bouche d'un homme qui escorche le renard .
Renart, acteur de saynètes comiques sur les reliefs sculptés des XVIe et XVIIe siècles
En marge des thèmes anciens, des images de Renart dans le cadre de séquences comiques ornent les sablières plus tardives, datées des XVIe et XVIIe siècles. L'animal est cette fois pourchassé par une fermière pour avoir dérobé poissons et saucisses.
Le thème de la paysanne frappant l'animal avec sa quenouille est connu des illustrateurs de manuscrits et des sculpteurs depuis le XIIIe siècle.
Dépourvus de modèle iconographique défini, il semble que les artisans se soient inspirés des images sculptées dans les bourgs voisins — les supports sont localisés — tout en les enrichissant de détails puisés dans leur propre fond culturel. L'observation de ces exemples conduit également à un constat : le choix des sculpteurs s'est davantage porté au XVIe siècle sur les épisodes comiques plutôt que sur les images intellectualisées de Renart prêchant ou de Renart écorché.
Le renard et les poules : la naissance d'un modèle stéréotypé (XVIe-XVII siècles)
Les représentations inventives que nous avons présentées ne constituent pas l'essentiel des images du goupil sculptées sur les sablières des XVIe et XVIIe siècles. Le thème du renard attaquant les poules, isolé du cycle narratif de Renart prêchant dans lequel il était inséré à la fin du Moyen Âge, apparaît sur de nombreux décors. Dans la chapelle Saint-Sébastien au Faouët, où la charpente est précisément datée de 1600-1608, une poutre de belle facture montre l'animal aux prises avec plusieurs gélincs: il tord le cou à l'une d'entre elles mais cstassailli de tous côtés par des volailles de grande taille qui dévorent ses oreilles et piquent son arrière-train. Les décors stylisés de la charpente sculptée de l'église de Trémeur présentent des figures enchevêtrées parmi lesquelles se distinguent quelques poules et plus loin Renart attrapant l'une d'elles.
Si le thème de l'animal en quête de nourriture et dévorant sa proie est fréquent dans la décoration des sablières, la vengeance des volailles apparaît peu, en dehors des représentations anciennes montrant le goupil écorché. Une sablière de Gourin illustre néanmoins la fin tragique de l'animal : la facture de l'ensemble est très rudimentaire, mais la séquence est des plus insolites ! D'un côté un coq apparaît, de l'autre le Goupil, suspendu horizontalement, empalé sur deux broches .
Pourtant, sur bien des reliefs la saynète est réduite à sa plus simple expression, celle d'une image stéréotypée montrant la poule menacée par le prédateur.
L'étude de ces images laisse entrevoir le changement des goûts qui s'opère entre la fin du XVe siècle et le XVIIe siècle dans le milieu des sculpteurs sur bois. Jusqu'au début du XVIe siècle, les artisans s'accommodent parfaitement de la représentation satirique du renard qu'ils insèrent de façon cohérente et réfléchie dans leurs programmes décoratifs. L'absence de représentations sur les sablières postérieures à 1 5 1 3 accuse une désaffection pour le thème, alors qu'apparaît l'image plus distrayante du goupil et de la paysanne. Si quelques artisans traitent de manière personnelle et originale cette nouvelle représentation, et ceci jusqu'au milieu du XVIIe siècle 31, la plupart simplifient le thème originel, créant ainsi l'image binaire et stéréotypée de type renard I poule. Cette simplification iconographique amène une remarque : elle est l'expression d'un désintérêt des sculpteurs pour les séquences narratives, un désintérêt qui est probablement lié à une incompréhension des modèles originaux. La méconnaissance des récits épiques et satiriques aurait graduellement détourné les sculpteurs des représentations élaborées de Renart, en vogue dans les ateliers bretons à la fin du Moyen Âge."
"INVENTAIRE Images de Renart dans la sculpture sur bois bretonne.
— Représentations de Renart prêchant aux poules et de Renart écorché : Le Faouet (Ch. St-Fiacre, v. 1480), Le Faouët (Ch. Ste-Barbe, XVIe s.), Grâces-Guingamp (1506-1512), Plumelec (Ch. St-Aubin, 1513), Saint-Gilles-Pli- geaux (XVe-XVIe s.), Tréflévenez (XVIe s.).
— Représentations de Renart et la fermière et variantes : Cléguérec (Ch. de laTrinilé, milieu XVIe s.), Guilligomarc'h (Ch. St-Éloi, XVIe s.), Meslan (1527), Ploërdut (Ch. de Crénenan, 1652), Plougras (Ch. du Cimetière, XVIe s.), Plourac'h (XVIe s.), Pont-Aven (Ch. de Trémalo, XVIe s.), Saint-Nicolas-du-Pé- lem (Ch. St-Éloi, milieu XVIe s.), Séglien (Ch. St-Jean, XVIe s.) .
— Renart et les poules : Callac (Ch. St-Treffrin, XVP/XVIF s.), Châtelaudren (Ch. Notre-Dame-du- Tertre, XVIe s.), Edern (Ch. du Niver, XIXe-XXe s.?), Le Faouët (Ch. St-Sebastien, 1600-1608), Gourin (XVIe s.), Guern (Ch. de Quelven, XVe-XVIc), Guimiliau (lere moitié du XVIIe s.), Landerneau (Ég. Si-Thomas, XVIe s., représentation disparue), Landudal (XVIe-XVIP s.), Langast (Ch. St-Jean, XVIe s.), Lanvénégen ( XVIe s.), Magoar (XVIe s.), Neuillac (Ch. de Carmes, XVIe s.), Plévin (Ch. St-Abibon, XVIIe s.), Plouay (Ch. de Locmaria, XVIe s.), Plourac'h (XVIe s.), Le Quillio (Ch. St-Maurice, XVIe s.), Séglien (Ch. de Locmaria (XVIe s.), Suscinio (Château, fragment provenant de l'église de la Roche-Bernard, XVIe s.), Trémeur (milieu XVIe s.)
— Autres images de Renart : Daoulas (Abbaye, XVe s.), Hopîtal-Camfrout (XVIe s.), Loqueffret (XVIe s.)." (S. Duhem)
Nous avons donc ici un Renart attaquant les poules, et attaqué par les poules et le coq, dans le cadre d'un cycle narratif dont les divers épisodes, détaillés à la chapelle Saint-Fiacre et rappelés à la chapelle Sainte-Barbe du Faouët, devait être suffisamment connu des paroissiens pour que la scène fonctionne comme rappel de l'ensemble, et comme mascotte surdéterminée par des interprétations libres.
Voici l'image que j'avais admiré à Saint-Fiacre, et qui sert manifestement de modèle ici. Je la place entre la scène précédente (Renart prêchant) et la scène suivante (Renart dépecé par les poules et le coq). Cliquez sur l'image.
.