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18 mars 2023 6 18 /03 /mars /2023 14:31

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Zoonymie des Odonates : avant l'ère des noms, celle des enluminures. Dix libellules du Bréviaire Grimani (1510-1520) à la Bibliothèque Marciana de Venise.

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Voir aussi :

 

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INTRODUCTION.

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Le Bréviaire Grimani est un bréviaire à usage franciscain  actuellement conservé à la Biblioteca Marciana à Venise.  Ce  manuscrit enluminé  réalisé en Flandres entre 1510 et 1514 est l'un des plus célèbres manuscrits de l'école ganto-brugeoise. Il est décrit de façon détaillé sur l'article Wikipédia  Breviarium-Grimani en néerlandais, et par Kren  & Mckendrick sous leur n°126 page 420 . Son premier propriétaire a été Antonio Siciliano, ambassadeur du duc de Milan Maximilien Sforza à la cour de Marguerite d'Autriche à Malines en 1514. Il le vendit pour 500 ducas d'or au cardinal Dominico Grimani.

 

Le manuscrit contient parmi ses 832 folios les 12 miniatures pleines pages et les 12 miniatures de bas de page du calendrier, mais aussi 50 miniatures en pleine page et 18 miniatures de grande taille et 18 autres de plus petite taille ainsi que de nombreuses bordures historiées.

Le style des enluminures est typique du style de l'école ganto-brugeoise du XVIe siècle. Plusieurs mains sont distinguées. Les miniatures les plus archaïsantes sont attribuées au peintre Alexandre Bening. La plupart des autres sont attribuées à son fils Simon Bening et à son atelier. Quelques miniatures— celles du Calendrier—  ont été toutefois attribuées au Maître de Jacques IV d'Écosse (depuis identifié à Gerard Horenbout) et d'autre à Gérard David et au « Maître des scènes de David du Bréviaire Grimani ».

Il comporte 

— Un calendrier. Les enluminures en diptyque attribuées aujourd'hui au Maître de Jacques  IV d'Ecosse sont inspirées de celles des frères Limbourg pour les Très Riches Heures de Jean de Berry. Ce modèle était à cette époque à Malines, dans la bibliothèque de Marguerite d'Autriche  et était donc probablement accessible au peintre.

le Temporal : 14v-174v. 

Des Rubriques

Un Psautier :  ff 286v-400v : 8 enluminures par le «Maître des scènes de David dans le bréviaire de Grimani», élève du Maître de Jacques IV d'Ecosse. Elles   débutent par la Chute d'Adam et Éve et se poursuivent en illustrantle Psaumes 1, 26, 38, 68, 80 et 97.  

le Commun des saints Commune sanctorum ff 401-448.

L'Office des Morts et les Heures de la Vierge ff.449v-476v.

Le Propre des saints Propium sanctorum ff. ou Sanctoral ff 468v-831v.

L'encadrement des enluminures sont de trois types.

1.Soit les miniatures pleine page se passent d encadrement.

2.Soit elles ressemblent à un retable en bois, dans un cadre ayant une couleur de bois doré.

3.Soit il s'agit de la bordure propre au style ganto-brugeois, soucieux de naturalisme et de réalisme, d'illusion de relief avec des ombres portées, et d' une disposition aérée éloignée de la saturation médiévale par horror vacui. Trois sous-types sont distingués : 

  • Une marge colorée en jaune avec des fleurs éparpillées, des oiseaux et des insectes : c'est là que nous trouverons nos libellules. C'est le type 3a de l'auteur de l'article Wikipédia

  • Une marge colorée décorée de rinceaux de feuilles d'acanthes séparés par des insectes et des oiseaux. Les libellules y seront aussi recherchées

  • Une marge colorée ornée de bijoux et de perles.

Comme pour la plupart des manuscrits, les opinions des historiens de l'art divergent sur les miniaturistes qui ont contribué au bréviaire. Tout d'abord, il y a ceux qui attribuent l'illumination à Gérard Horenbout  et à Alexander Bening  et à son fils Simon Bening . D'autres parlent de maître de Jacques IV d'Ecosse, identifié dans les œuvres plus anciennes avec Gérard Horenbout et le maître Maximilien qui à son tour est identifié comme Alexander Bening. Certaines miniatures sont attribuées à Gerard David . 

De nos jours, en 2013, la plupart des historiens d'art s'accordent sur les interventions du  maître de Jacques IV d'Ecosse, Alexander Bening, les scènes de Maître de David dans le Bréviaire Brimani , Gerard David et Simon Bening.

En 1977 Erik Drigsdahl a cru reconnaître dans une inscription de bordure du folio 339v les lettres   A  . BE . NI . 7I.  Il a pensé y voir la signature d'Alexander Bening suivi de son âge de 71 ans , et suggère que cet artiste avait 71 ans en 1515. A. BE + NC + 71 [A.(lexander) BE(ni)NC 71] . Thomas Kren a fait l'éloge de cette observation, pourtant bien audacieuse.

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LE BRÉVIAIRE GRIMANI ET LES ODONATES (LIBELLULES).

 

Ce bréviaire est célèbre parmi les entomologistes et notamment les odonatologistes car il renferme au folio 781v (donc, dans le Propre des saints) une miniature comportant dans son coin inférieur droit une magnifique libellule. Elle a été signalée dans la revue Odonatologica en 1991 par R. Rudolph — un spécialiste qui a publié notamment en 1973 sur l'histologie de la larve de Aeshna cyanea — qui y a reconnu le genre Aeshna , en s'appuyant sur les travaux de Pichetti 1949 sans en donner les références bibliographiques :

"An Aeshna is illustrated in the Italian "Breviario Grimani" dating from 1495-1500 (PICHETTI, 1949)."

La même année et dans la même revue Odonatologica, Philip S. Corbet, éminent spécialiste des Libellules, signale aussi ce Bréviaire.

"Much later, we find dragonflies beautifully depicted in the Gutenberg Bible of 1453 (Rudolph, 1991) and in certain medieval breviaries, for example the Breviario Grimani (Conci & Neilsen, 1956), the Belleville Breviary from the workshop of Jean Pucelle in Paris (Hutchinson, 1978) and the Livre d’Heures d’Anne de Bretagne illustrated by Jean Bourdichon (Frain, 1989)."

Dans l'ouvrage de C. Conci et C. Neilsen cité en référence,  Fauna d’Italia, Vol. 1. Odonata. Calderini, Bologna,  1956, on peut lire l'identification d'un "Escnide" sans-doute pour "Aeshnidae ".:

"Nessuna notizia riguardante gli Odonati ci è pervenuta dall'antichità. Il primo documento su questi Insetti, a quanto ci è noto, è un fregio miniato rappresentante, in grandezza naturale e con sorprendente efficacia, un Escnide, riportato nel foglio 181 v. del Breviario Grimani (Venezia, Biblioteca di S. Marco), databile fra gli anni 1490 e 1500 (PICCHETTI, 1949). Abbiamo riprodotto nella tavola fuori testo tale preziosa miniatura. Il primo naturalista che scrisse sulle fu Ulisse Aldrovandi."

La publication initiale est donc celle d'Enricho PICCHETTI, "Libella-ula,  Atti Ist. Veneto Sc. Lett. E Arti, CVII, II, pp.269-279, 1949", dont je parviens à retrouver le texte. C'est lui qui, dans un article passionnant de Zoonymie, donne la meilleure description (seule la foliation est inexacte) et prend parti pour le genre Aeshna :

"Esistono pero documentazioni iconografische anteriori. Al foglio 181v del Breviario Grimani (Venezia, Biblioteca di S. Marco), che con sufficente esattezza collocare fra gli anni 1490-1500, si puo vedere raffigurato, nell' angolo destro inferiore del fregio miniato marginale, un bell'esemplare di « Aeschna », in grandezza naturrale, screziato di azzurro, verde, giallo, ritratto con sorprendente efficacia veristica."

"Mais il y a des images iconographiques antérieures. Sur la feuille 181v du bréviaire de Grimani (Venise, Biblioteca di S. Marco), qui avec une précision suffisante peut être daté entre les années 1490-1500, un bel exemple de "Aeschna" peut être vu dans le coin inférieur droit de la frise marginale de la miniature. », en grandeur nature, marbré de bleu, vert, jaune, et  dépeint avec une efficacité réaliste surprenante."

Enfin, dans la partie historique (chapitre 4) de leur publication Les Libellules de France, Belgique et Luxembourg, Daniel Grand et Jean-Pierre Boudot ont fait figurer la reproduction du folio 781v du Bréviaire Grimani, sans la décrire.

En définitive, cette libellule n'a pas été décrite sauf par Picchetti, et pas davantage le folio qui la contient. 

En outre, le Bréviaire contient au moins neuf autres Libellules. Comme il n'est pas numérisé et consultable en ligne, ce décompte dépend du hasard des pages accessibles.  Mais je dois remercier  Philippe Sevestre, conservateur en chef du patrimoine et auteur d'une vidéo sur ce Bréviaire, qui m'a fourni des clichés complémentaires à mon enquête initiale.

C'est à la description de ces dix libellules que je vais me consacrer maintenant.

 

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1°) Le folio 781v Saint Luc faisant le portrait de la Vierge.

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 781v.

 

Cette enluminure du Propre des Saints est attribuée soit à Simon Bening, soit à son père Alexander Bening " ou Maître du Premier Livre de Prière de Maximilien (Alexander Bening ?) " selon E. Morrison et T. Kren en 2007. 

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 — Alexander Bening appelé aussi Sanders Bening est un peintre enlumineur actif entre 1469 et 1519 en Flandre.

Originaire de la ville de Gand, il est actif dans cette ville ainsi qu'à Bruges et Anvers. La première mention dans les archives à son propos est son inscription à la guilde de Saint-Luc en 1469, cautionné par Hugo van der Goes et Joos van Wassenhove.

— Simon Bening est généralement considéré comme le dernier grand miniaturiste flamand avant Joris Hoefnagel, d'Anvers.

Il naît vers 1483, à Gand ou à Bruges. Il est fils d'Alexandre Bening  et de Catherine van der Goes (probablement une nièce ou la sœur du peintre Hugo van der Goes). Il fait son apprentissage dans l'atelier d'enluminure de son père, à Gand puis s'installe ensuite (vers 1500) à Bruges, où il acquiert rapidement une grande renommée. Il devient membre de la Guilde de Saint Luc de Bruges  en 1508 . Il connut un succès rapide et fut au moins trois fois doyen des calligraphes, libraires, enlumineurs et relieurs de la Guilde de  Saint Luc. Selon Smeyers son nom apparaît régulièrement depuis 1517 en charge de la confrérie.

En 1519, Simon Bening devint citoyen de Bruges, où il s'installa apparemment à l'époque de la mort de son père. En 1555, il payait toujours sa contribution annuelle à la confrérie de Bruges, il avait donc une longue carrière et était aussi un artiste célèbre de son vivant. Francisco da Hollanda , le critique d'art portugais, l'a appelé le plus grand miniaturiste en Europe et Vasari l' appelle aussi un excellent enlumineur. Il meurt à Bruges le 6 novembre 1561.

Dans l'art de la miniature flamande, il a été un innovateur de la représentation de la nature et du paysage dans la continuation du Maître de Jacques IV d'Écosse et d' autres membres de l' école de Gand-Bruges .

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La miniature principale et le texte.

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La miniature centrale montre saint Luc, identifiable par son Taureau, dans sa chambre (lit, cheminée, meubles) devant un chevalet où il peint le portrait de la Vierge, puisque la Tradition voulait que ce soit lui qui ait été l'auteur du premier portrait de Marie. C'est cette tradition qui fait de Luc le patron des peintres, et qui explique que les Guildes des imagiers flamands aient pris son nom. Le sujet a été peint par Rogier van der Weyden en 1435 pour la Guilde de Bruxelles, par Jean Fouquet pour les Heures de Jean Robertet vers 1460, par Bourdichon au folio 19v des Grandes Heures d'Anne de Bretagne vers 1503, etc...

(On notera que Jean Fouquet a peint, pour montrer l'excellence de son talent à rendre l'illusion du réel, des fioles en verre sur une étagère).

La rubrique qui indique IN : FES : S : LUCE : EUUANGELISTE :  ORATIO. précède l'Oraison :

In festo sancti luce Euangeliste : oratio.  Interueniat pro nobis quesumus domine sanctus tuus lucas euangelista qui crucis mortificationem iugiter in suo corpore pro tui nominis honore portauit. (voir Bréviaire)

La rubrique suivante se lit HIERONYMUS IN LIBRO ILLUSTRIUM VIRORUM : LECTIO : PRIMA.

 

La Lecture qui suit  est extraite du chapitre 17 du De viri illustribus de Saint Jérôme, texte qui appartient bien au Propre du Bréviaire pour la saint Luc le 18 octobre (2ème Nocturne de l'Office  de nuit)  :

 Lucas, medicus Antiochensis, ut eius scripta indicant Graeci sermonis non ignarus fuit. sectator apostoli Pauli et omnis eius peregrinationis comes, scripsit evangelium de quo idem Paulus: Misimus, inquit, cum illo fratrem cuius laus est in evangelio per omnes ecclesias, et ad Colossenes: Salutat vos Lucas medicus carissimus, et ad Timotheum: Lucas est mecum solus. aliud quoque edidit volumen egregium quod titulo apostolicorum πραξεων praenotatur, cuius historia usque ad biennium Romae commorantis Pauli pervenit, id est, usque ad quartum Neronis annum, ex quo intelligimus in eadem urbe librum esse compositum.

Lucas d'Antioche médecin de profession, et savant dans la langue grecque, comme il paraît par ses écrits, fut disciple de l'Apôtre saint Paul, et le compagnon de tous ses voyages. Il a écrit l'Évangile, et c'est de lui que le même Apôtre dit : Nous avons envoyé avec lui un des frères qui est devenu célèbre par l'Évangile dans toutes les Églises. Et dans la Lettre aux Colossiens : Notre très cher Luc Médecin vous salue. Et dans celle à Timothée : Luc est seul avec moi. Il a composé un autre excellent Livre, intitulé les Actes des Apôtres, dont l'histoire s'étend jusques aux deux ans que saint Paul demeura à Rome, c'est à dire jusqu'à la quatrième année de Néron. Ce qui nous a fait juger que c'est dans cette ville que ce Livre a été composé.

 

Au bas de la seconde colonne débute  la Leçon 5:

Igitur de laudibus  pauli & tecle, & totam baptizati leonis fabulam, inter apocryphas scripturas computamus. Quale enim est, ut individuus comes Ap[osto]li, inter ce[teras ejus res hoc solum ignoraverit ?]

Nous mettons donc au nombre des écritures apocryphes les voyages de Paul et de Thècle et toute la fable du baptême d'un lion. Car quelle apparence y a-t-il que le compagnon inséparable de l'Apôtre ait ignoré cette seule chose de toutes celles qui sont arrivées ?

Note : on trouve habituellement Igitur  periodos  [περιοδους] Pauli et Theclae (ici)

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Les bordures.

On y voit deux sortes de violettes (la violette bleue Viola odorata ? et la violette blanche V. alba ?), disposées soigneusement, soit en boutons, soit épanouies alignées ou en sens croisé le long des marges.  Un papillon diurne appartenant aux Nymphalidés et sans-doute aux Satyrines  n'est pas éloigné du Fadet commun, par exemple. Je ne tenterai pas d'identifier la mouche qui descend la marge extérieure. Outre la présence des ombres des objets naturels sur le fond jaune, l'impression de réalité est rendue par un verre d'eau posé sur une surface en coin, comme celui d'une table, et par les reflets du verre, par le niveau de l'eau et par les tiges des violettes qui y ont été placées.   Mais l'effet de trompe-l'œil est surtout rendu par la position en diagonale de la libellule du coin inférieur, vue du dessus, et dont tout concoure à nous faire croire qu'elle s'est posée là, attirée par les fleurs, pendant que le peintre faisait sêcher ses derniers coups de pinceaux. Car non seulement la transparence de ses ailes laisse voir les spécimens botaniques, non seulement les ailes gauches sortent de la fiction picturale et débordent la marge blanche extérieure en franchissant allègrement la double ligne du fin encadrement,  non seulement la queue croise le cadre de la colonne droite du texte, non seulement les pattes sont posées, non pas au hasard, mais sur les pétales ou le calice, mais enfin les ailes droites, croisant les deux colonnes du texte, laissent voir les caractères de l'écriture liturgique

Cet exemple de trompe-l'œil est le seul type d'illusionnisme trouvé dans le Bréviaire Grimani (Morrison et Kren 2007 p. 176 note 459-89) :  « Voyez aussi un petit livre d'heures illustré par Simon Bening et ses associés à Francfort, dans lequel une libellule est peinte de manière similaire avec ses ailes transparentes s'étendant hors au dessus du texte dans la bordure et dans une partie de la marge extérieure. (Francfort , Museum für Kuntsthandwerk, Ms LM 56 fol. 17) ».

"459–89. Elizabeth Moodey reminds me that this striking example of trompe l’oeil on the page with a portrayal of Saint Luke is the only instance of this kind of illusionism found in the Grimani Breviary. See also a small book of hours illustrated by Simon Bening and associates in Frankfurt, in which a dragonfly is similarly portrayed with transparent wings extending over text, decorated panel borders, and part of the outer margin (Frankfurt, Museum für Kunsthandwerk, Ms. LM 56, fol. 17).

Significantly, this occurs once again on a page with a miniature of Saint Luke, and it is again the only instance of this kind of bravura trompe l’oeil involving text, decorated border, and margin in the manuscript in which it appears; see color reproduction in the catalogue of the exhibition at the Städelsches Kunstinstitut und Städtische Galerie, Frankfurt am Main: Jochen Sander, Die Entdeckung der Kunst: Niederländische Kunst des 15. und 16. Jahrhunderts in Frankfurt (Mainz: P. von Zabern, 1995), 172, fig. 164, 198, no. 25. 17. See the discussion of related notions by Robert G. Calkins, “Sacred Image and Illusion in Late Flemish Manuscripts,” in Essays in Medieval Studies: Proceedings of the Illinois Medieval A"

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Pourtant, on retrouve ce procédé utilisé en 1503-1508 par Jean Bourdichon, exclusivement avec des libellules, dans les Grandes Heures d'Anne de Bretagne : les ailes débordent soit sur la marge blanche extérieure, soit sur le texte placé à l'intérieur. Deux à sept ans avant la date estimée de ce Bréviaire.

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Il est certainement significatif que Simon Bening réalise ici quelque chose d'exceptionnel : en tant que membre et doyen de la Guilde de Saint-Luc, et plusieurs fois doyen, il se devait de créer pour ce folio consacré au patron des peintres quelque chose comme un chef d'œuvre, une démonstration de son savoir-faire. 

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Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 781v. Saint Luc faisant le portrait de la Vierge.

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 781v. Saint Luc faisant le portrait de la Vierge.

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La libellule.

Sa description est limitée par la résolution assez limitée des images qui nous sont proposées. Les entomologistes ont-ils pu voir l'original, ou le fac-similé paru chez Salerno Editrice ? Les critères concernant la nervuration des ailes ne sont pas utilisables, et d'autres critères vont également devoir être écartés.

Ses ailes sont étendues  sur le coté, comme les Anisoptères, mais les ptérostigmas ne sont pas visibles sur ces clichés. Les yeux, bleus, sont en contact par leur partie interne sur une certaine longueur, ce qui définit les Aesnidae (clef de détermination  Grand et Boudot p. 154). L'angle anal des ailes postérieures est très marqué, comme dans le genre Aeshna. L'abdomen est noir à marques bleues, j'écarte donc A. isoceles (corps brun à roux) et A. grandis (couleur générale brune, ailes très enfumées). Le thorax est sphérique, noir avec des taches en mosaïque : j'écarte A. caerulea, au thorax brun, aux marques bleues de l'abdomen laissant peu de noir entre elles, et qui n'est pas observée (aujourd'hui) dans les Flandres et dans la moitié nord de la  France. 

On voit très bien, sur le deuxième segment S2 de l'abdomen, une marque jaune "en clou" (la tête du clou vers le thorax). Cette marque est présente chez A. mixta et chez A. Cyanea. J'écarte ainsi l'Aeschne printanière, qui, de toute façon,  est du genre Brachytron et non Aeshna. J'observe aussi que S1 est bleu, que l'abdomen s'étrangle un peu sous S2, et que les dernières taches bleues, lorsqu'elles croisent le montant du cadre factice, sont réunies en une seule. 

Or, voici ce que je lis sur l'Aeschne bleue A. cyanea :

"Le mâle et la femelle aeschne bleue (Aeshna cyanea) sont aisément reconnaissables à leurs deux grosses taches claires sur le dessus du thorax et aux deux derniers segments de leur abdomen dont les taches confluent pour former un bandeau clair caractéristique. 

Les ailes postérieures du mâle adulte sont anguleuses à leur base, le deuxième segment de son abdomen présente un étranglement important." (Odonates costarmoricains)


"Un des critères infaillibles de reconnaissance de l'espèce est facilement visible quand l'insecte est posé : la disposition des points bleus au bout de l'abdomen : les deux taches présentes sur chaque segment abdominal tendent à se rapprocher au fur et à mesure que l'on s'éloigne du thorax, puis fusionnent et forment une unique tache sur chacun des trois derniers segments.
Seul le mâle est vert-noir-bleu, la femelle n'a pas de bleu." (Wikipédia)

Aeshna mixta Wikipédia et Costarmoricain

Aeshna juncea Wikipedia et Costarmoricain

Aeshna cyanea Wikipedia et Costarmoricain

Un moyen très utile est de comparer ces clichés du Brévaire à la Comparaison des Aeschnes sur Odonates costarmoricains

 

Au total, je proposerai volontiers de reconnaître dans cette libellule de Simon Bening, non seulement le genre Aeshna, mais aussi l'espèce A. cyanea. Mais je ne suis pas docteur. Je laisse le micro aux spécialistes.

Dans tous les cas, le miniaturiste a bien réussi son coup, et a réalisé un chef-d'œuvre qui va marquer l'histoire de l'odonatologie.

Trois-quart de siècle plus tard, le miniaturiste Joris Hoefnagel va effectuer la même performance.

 

 

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 781v. Saint Luc faisant le portrait de la Vierge.

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 781v. Saint Luc faisant le portrait de la Vierge.

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Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 781v. Saint Luc peignant la Vierge.

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 781v. Saint Luc peignant la Vierge.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 781v. Saint Luc peignant la Vierge.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 781v. Saint Luc peignant la Vierge.

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2°) Le folio 135r .

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 135r. Bordure : deux libellules, deux  sauterelles et une chenille.

Les libellules sont peut-être des Zygoptères (ailes dressées) au corps annelé bleu (mâle ?) et femelle ?

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Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

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3°) Le folio 167v .

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 167v.

 

Ce folio 167v est disposé  en deux colonnes d'oraison et une bordure verticale sur fond jaune comporte des fleurs et un insecte avec un soin particulier donné à la vraisemblance naturaliste .

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La bordure du folio 167v :  La fleur centrale est peinte avec beaucoup de précision. Les botanistes y reconnaitront-ils l' Iris germanica Iris violet, Iris bleu d'Allemagne, Iris flambe ? .

La libellule a les yeux séparés et les ailes dressées, comme les Zygoptères. Les ptérostigmas ne sont pas peints.  Les yeux sont translucides.  Le thorax est jaune crème, dilaté et trapézoïdal. L'abdomen de couleur verte, fin, sans dilatation, est divisé en segments réguliers ; six sont visibles sur l'illustration. Il ne porte aucune marque. L'artiste s'est peut-être inspiré d'un membre de la famille des Lestidae  (du genre Lestes), sans fidélité entomologique exacte.

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Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Libellule (Zygoptère) sur un Iris, Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 167v.

Libellule (Zygoptère) sur un Iris, Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 167v.

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5°) Le folio 404v .

 

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 404v : semé de fleurs et libellule bleue non identifiable.

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Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

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6°) Le folio 442r .

 

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 442r. Semé de fleurs et une libellule jaune aux yeux bleus, aux ailes dressées.

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Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

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7°) Le folio 467v .

 

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 467v. Une libellule jaune au corps annelé, aux ailes dressées, aux yeux blancs. Inscription du vase JHESUSR MARIAM GESAN-. Le vase contient des oeillets rouges. La queue de la libellule empiète sur la marge, par effet de trompe-l'oeil.

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Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

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8°) Le folio 478v .

 

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 478v : sainte Anne entre David et Salomon.

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Je puise ce cliché dans le fac-similé publié par F. Ongania. Le folio 478v appartient au Sanctoral, et il est consacré à sainte Anne. Elle est assise sous un dais gothique devant une tenture portant des inscriptions (NOMEN ..) et elle tient un livre sur ses genoux.  Marie est montrée dans son ventre comme un petit enfant, indiquant qu'Anne est enceinte de sa fille, comme sur le vitrail de l'église de Brennilis (29) . Elle est entourée de David et Salomon, les deux rois de Juda, comme un abrégé de l'Arbre de Jessé, tandis que dans les nuées en haut à droite, Dieu le Père bénit cette conception miraculeuse.

Cette peinture est décrite par l'abbé Delaunay en 1864 (Les Evangiles.., L. Curmer, page 195), ce qui donne accès aux inscriptions : celle qui sort de la bouche d'Anne et se dirige vers Dieu dit FRVCTVS MEVS HONORIS E HONESTATIS "Mon fruit est un fruit d'honneur et d'honnêteté" et celle qui provient de Marie in utero dit QVI ILLUCIDANT PER VITAM ETERNAM HABEBVNT, "Ceux qui me glorifient auront la vie éternelle" (Ecclésiaste 29:31). David s'écrit QVERITUR PECCATVM ILLIUS ET NON INVENIETVR "on cherchera son péché et on ne le ntrouvera point" (Ps. 9:36). Enfin l'inscription qui sort de la bouche de Salomon est rédigé de façon rétrograde et dit : PROGREDITVR QVASI AVRORA CONSVRGENS, "Elle s'avance comme l'aurore à son lever" , reprenant le Cantique des Cantiques 6:9. Dieu, vêtu d'une robe rose, tenant le globus cruciger, répond par un autre verset du Cantique des Cantiques (attribué à Salomon) : TOTA PVLCHRA EST, AMICA MEA NON EST IN TE "Tu es toute belle, ma bien-aimée, et il n'y a pas de tache en toi" (Cantique 4:7). 

On voit que cette miniature reprend les arguments chers aux franciscains en faveur de l'Immaculée Conception, comme dans ce vitrail de la Collégiale de Moulins datant vers 1486.

Cette  miniature est entourée d'une marge dans le style Gent-Bruges avec des fleurs alignées, des oiseaux et des insectes, objets naturels dont le relief est rendu par les ombres portées. Les fleurs sont des roses blanches, symbole de virginité, en bouton, semi ouvertes ou épanouies, alternant avec d'autres roses probablement rouges (la Chair ou l'Incarnation). Deux oiseaux ne sont pas identifiables, ils accompagnent un escargot, trois chenilles (qui renvoient aux mystères des métamorphoses), six papillons blancs à ocelles noirs, et une libellule.

La qualité et le caractère monochrome de l'image ne permet pas de nous étendre sur la description de cet Odonate, malgré une apparence très prometteuse. Les ailes sont semi-dressées, l'abdomen incurvé (comme dans la posture de ponte) est assez épais et porte une ligne latérale de marques blanches et noires. Le thorax porte trois bandes blanches obliques assez caractéristiques. La position des ailes n'est pas incompatible avec un Anisoptère (une Aeschne ??) en train de pondre, mais je n'irai pas jusqu'à penser que l'artiste ait déliberemment choisi cette posture en relation avec la situation de sainte Anne portant sa Fille.

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Image : https://archive.org/stream/lebreviairegrima00meir#page/n153/mode/2up

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Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 478v : sainte Anne entre David et Salomon.

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 478v : sainte Anne entre David et Salomon.

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 478v : sainte Anne entre David et Salomon.

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 478v : sainte Anne entre David et Salomon.

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Je bénéficie plus tard du cliché de Philippe Sevestre.

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La couleur de la tête, du thorax et de la partie ventrale du corps de la libellule est jaune. La partie dorsale de l'abdomen est sombre avec des anneaux jaunes. Les yeux ne sont pas séparés et ronds comme ceux des Zygoptères. Je ne peux pas aller plus loin, bien que l'on puisse exclure de nombreuses exspèces d'Anisoptères.

Les ombres créent un effet de réel. L'artiste joue avec le regard du lecteur en entremélant la queue de l'insecte et celle de la rose. Un bouton de rose est à cheval sur le cadre.

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Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

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9°) Le folio 556v .

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 556v. Semé de fleurs coupées, avec une libellule bleue et un papillon (un "Gazé" ?).

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Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

Cliché Philippe Sevestre. Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520.

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10°) Le folio 646v .

 

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 646b :  Saint Pierre délivré de prison par un ange. 

Dans le même Sanctoral du Bréviaire, une grande enluminure montre saint Pierre dans sa prison du Carcer Tullianum ou Mamertine de Rome. L'Apôtre y aurait baptisé ses geôliers et 47 prisonniers avec l'eau d'un puits. Puis, il aurait été délivré par un ange, qui apparaît ici en grande cape (cappa magna). Le galon de cette cape damassée est brodée de perles traçant une inscription illisible (NEC ---RVES). À l'arrière-plan, nous voyons Pierre et l'ange s'éloigner.

Comme dans le cas du folio précédent, la miniature est encadrée d'une bordure dans le style Gent-Bruges. Mais les roses blanches ou rouges, épanouies ou en bouton sont fixées au parchemin  par douze épingles en trompe-l'œil. Là encore, je ne me précipiterai pas à y voir un rapport avec les douze Apôtres, ou avec les fers par lesquels Pierre est incarcéré, mais j'y verrai un procédé supplémentaire de la panoplie d'illusionniste de Simon Bening pour convaincre le propriétaire de ce Bréviaire que le texte liturgique est placé dans l'herbier d'un humaniste soucieux de l'exploration encyclopédiste des petits objets de la Création.

Outre ces 18 roses épinglées, nous trouvons aussi sept papillons (Lepidoptera), un criquet (Orthoptera) et une libellule (Odonata).

Cet Odonate vu de haut et de 3/4 a les ailes réunies et dressées. Son abdomen qui s'affine vers son extrémité est clair dans sa partie dorsale, avec des marques triangulaires effilées noires. Les yeux semblent se toucher en leur bord interne.

 

Image : https://archive.org/stream/lebreviairegrima00meir#page/n195/mode/2up

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 646b :  Saint Pierre délivré de prison par un ange. 

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 646b :  Saint Pierre délivré de prison par un ange. 

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 646b :  Saint Pierre délivré de prison par un ange. 

Venise, Biblioteca Nazionale Marciana, Ms lat. I 99. Bréviaire du cardinal Domenico Grimani, Flandres, vers 1510-1520. folio 646b :  Saint Pierre délivré de prison par un ange. 

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CONCLUSION.

Après les Grandes Heures d'Anne de Bretagne enluminées par Jean Bourdichon entre 1503 et 1508 avec 377 plantes individuelles légendées et 91 libellules, dont l'une au moins semble identifiable, le Bréviaire Grimani enluminé vers 1510 offre de nouveaux exemples de représentations au naturel de plantes, de papillons et de libellules. À la différence des Grandes Heures, le manuscrit de la Biblioteca Nazionale de Venise n'est pas (encore) numérisé et consultable in extenso, et l'inventaire entomologique n'est pas possible.  À ma connaissance, aucun entomologiste italien ou autre ne s'est rendu sur place pour se livrer à cet exercice. 

L'exemple naturaliste le plus connu et le mieux reproduit est la libellule du folio 781v, impressionnante par le réalisme accentué par des procédés de trompe-l'œil uniques dans ce manuscrit. Dès 1949, Enrico Picchetti l'a identifié comme appartenant au genre du genre Aeshna, ce qui n'a pas été démenti par les plus fins spécialistes des Odonates. Personne n'a osé s'aventurer néanmoins dans la détermination  de l'espèce, et c'est avec beaucoup de vergogne et en toute incompétence que je suggère d'y voir une Aeschne bleue. Ce qui est intéressant, c'est de voir cette espèce splendidement  reprise (et dûment déterminée récemment comme A. cyanea ) par Joris Hoefnagel, dernier héritier de la tradition d'enluminure flamande, vers 1575, alors que la période intermédiaire 1510-1575 ne donne aucune illustration convaincante d'un Odonate, et qu'ensuite, après la diffusion de l'imprimerie, les gravures des ouvrages d'Aldrovandi en 1602 puis de Mouffet en 1634  n'égaleront pas, tant s'en faut,  cette enluminure de 1510.

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Aeshna cyanea, miniature de Joris Hoefnagel dans le volume Ignis (feu) des Quatre Éléments, vers 1575.

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Les  autres Odonates sont placés ici afin de les signaler à l'attention des entomologistes, ou de ceux qui pourraient en donner des images plus précises, car il n'est pas encore établi qu'une détermination de famille ou de genre soit impossible, ou que d'autres considérations ne naissent d'un examen des peintures en couleur.

Même si l'Aeshne de Simon Bening ait été la première  à avoir été connue, pour le XVIe siècle,  des entomologistes préoccupés de l'histoire de leur science, ces libellules du Bréviaire Grimani ne sont pas les seules qui soient issues des peintures sur velin de l'École des miniaturistes de Bruges et de Gand : mes recherches en révèlent un certain nombre, et un inventaire plus approfondi des productions de cette École en trouvera bien d'avantage, maintenant que la numérisation sort peu à peu les manuscrits de la confidentialité des réserves des Musées et des Collections. L'avenir dira si l'une d'entre elles peut rivaliser, dans cette période 1475-1561 des miniaturistes d'influence flamande, avec  celle du folio 781v.

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SOURCES ET LIENS.

http://manuscripts.org.uk/chd.dk/misc/ABGrim.html

— La signature d'Alexander Bening 

http://manuscripts.org.uk/chd.dk/misc/AB1515.html

— CORBET (Philip S.)  1991, A brief history of odonatology , Adv. Odonatol. 5 : 21-44

http://natuurtijdschriften.nl/download?type=document;docid=593082

— MELY (de) : Les inscriptions du manuscrit Grimani, Revue de l'art

http://www.tpsalomonreinach.mom.fr/Reinach/MOM_TP_071800/MOM_TP_071800_0003/PDF/MOM_TP_071800_0003.pdf

— PICCHETTI, (Enrico), 1949,  "Libella-ula,  Atti Ist. Veneto Sc. Lett. E Arti, CVII, II, pp.269-279, 1949"

http://www.beic.it/it/articoli/periodici-istituto-veneto-di-scienze-lettere-ed-arti

http://gutenberg.beic.it/view/action/nmets.do?DOCCHOICE=7895663.xml&dvs=1519053491494~816&locale=fr&search_terms=&show_metadata=true&adjacency=&VIEWER_URL=/view/action/nmets.do?&DELIVERY_RULE_ID=7&divType=&usePid1=true&usePid2=true

— PICCHETTI, Enrico. (1960-63): Le denominazioni della libellula nel dominio linguistico italiano, in «Atti dell’Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti», Classe di Scienze Morali e Lettere, CXIX (1960-1), pp. 745-788; CXXI (1962-3), pp. 513-560.

http://www.beic.it/it/articoli/periodici-istituto-veneto-di-scienze-lettere-ed-arti

http://gutenberg.beic.it/view/action/nmets.do?DOCCHOICE=9224878.xml&dvs=1518640134260~418&locale=fr&search_terms=&show_metadata=true&adjacency=&VIEWER_URL=/view/action/nmets.do?&DELIVERY_RULE_ID=7&divType=&usePid1=true&usePid2=true

— RUDOLPH (R.)  (1991) Paintings of Zygoptera in the Gutenberg Bible of 1453 Odonatologica 20(1): 75-78

http://natuurtijdschriften.nl/download?type=document;docid=591936

"An Aeshna is illustrated in the Italian "Breviario Grimani"dating from 1495-1500 (PICHETTI, 1949)."

RATTU, ( Roberto), 2009, Le denominazioni popolari della libellula nelle varieta sarde meridionali https://dialnet.unirioja.es/descarga/articulo/3623166.pdf

— SEVESTRE (Philippe) : le bréviaire Grimani : vidéo

https://www.dailymotion.com/video/x8gvg6o

https://www.youtube.com/watch?v=Tetj8jRov-o

— SIEGERT (Bernhart), Cultural techniques : Grids, Filters, Doord and other articulations of the real.

Sources Google

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La page 15 :

http://www.salernoeditrice.it/grimani/pagine/15.html

 

 

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Published by jean-yves cordier - dans Zoonymie des Odonates Enluminure
10 novembre 2020 2 10 /11 /novembre /2020 19:02

Dévotion franciscaine aux Plaies du Christ à la cour ducale de Bretagne au XVe siècle : l'exemple d'Isabelle Stuart méditant devant la Pietà, étudié par les enluminures.

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Voir aussi :

Le Puits de Moïse (Claus Sluter et atelier. 1395–1404 ) de la Chartreuse de Champmol à Dijon

 

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Le point de départ de ma réflexion est l'enluminure du folio Fv du Livre des vices et des vertus ou la Somme du Roi du frère Laurent dans le manuscrit BnF, français 958 daté de 1464.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52506341n/f16.item

Cette peinture est décrite ainsi dans la Notice de la BnF :

"Une peinture frontispice en pleine page  représentant Isabelle Stuart et ses deux filles Marguerite, épouse du duc François II, et Marie, épouse de Jean II de Rohan, en prière devant une Vierge de douleurs placée à l’écart sous un dais. Chacune est présentée par un saint, respectivement saint François d’Assise, Pierre le Martyr et sainte Marie-Madeleine; tout autour de la miniature, les armes parties de Bretagne et d’Ecosse surmontées de la couronne ducale à fleurons se détachent sur la bordure florale.

Le décor est l'œuvre d'un peintre anonyme, dont François Avril a rapproché le style de celui des Heures de Pierre II de Bretagne (Paris, BnF latin 1159) et des portraits d’Isabelle Stuart et François Ier dans l’un des livres d’heures d’Isabelle Stuart (Paris, BnF latin 1359)."

La Somme le Roi ou Livre des vices et des vertus est un manuel d’instruction morale et religieuse à destination des laïcs, constitué à partir d’un autre traité contemporain anonyme, le Miroir du monde. Cet ouvrage de piété, que Philippe III le Hardi commanda en 1279  à son confesseur dominicain, Frère Laurent d’Orléans, s’inscrit dans la lignée de l’effort pastoral entrepris à la suite du IVème Concile de Latran en 1215 pour favoriser chez les laïcs l’examen de conscience et la confession des péchés.

"Ainsi que l’indique son colophon (f. 122v), le présent manuscrit fut copié en Bretagne en 1464 par le scribe Jean Hubert pour Isabelle Stuart, fille de Jacques Ier d’Ecosse et duchesse douairière de Bretagne par son mariage avec François Ier de Bretagne. Le penchant de celle-ci pour la bibliophilie est attesté par trois autres livres lui ayant appartenu, tous des livres d’heures (Paris, BnF latin 1359, NAL 588 et Cambridge, Fitzwilliam Museum, ms. 62)."

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Droits réservés BnF Gallica.

Droits réservés BnF Gallica.

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Ce que ne décrit pas l'auteur de la notice, ce sont les rayons rouges de la stigmatisation de saint François, dont la source est, en haut et à droite, une figure rouge du séraphin au corps marqué d'un crucifix ; ce séraphin se reconnaîtra  après avoir consulté l'iconographie traditionnelle par Giotto.

Ainsi, saint François en même temps qu'il reçoit, sur l'image, les stigmates, incite la duchesse Isabelle à contempler les plaies du Christ gisant dans les bras de Marie, et à ressentir, dans ce face à face participatoire, ce que lui-même a ressenti sur le mont La Verna en 1264.

Plus encore, saint François, par son geste de patronage d'Isabelle Stuart  l'expose au flux des traits de sang issus du séraphin-crucifix, dont l'un  passe par le sommet de la couronne avant d'atteindre la main  gauche du saint, et les deux autres par la poitrine de la duchesse avant d'atteindre les pieds nus de François. 

 

 

En somme, la duchesse reçoit alors l' "onction sanguine" d'une initiation mystique. Mais cet ondoiement sanguin est sanctifié puisque les rais rouges passe l'un par le nimbe du Christ (et le front ensanglanté par les épines), les deux autres par la plaie de son flanc.

Alors que, dans la tradition franciscaine, c'est la contemplation du Christ en croix qui génère cette effusion, ici, c'est la contemplation de la Vierge de Pitié  qui est opérante, comme si la Pietà était plus adaptée comme médiatrice à la féminité de ces trois femmes.

 

Il y a une mise en abîme puisque  si la duchesse n'a pas vécu réellement cette scène,  c'est cette enluminure d'un manuscrit qui lui est destiné, qui devra générer lors de la lecture cette contemplation, et susciter ce bouleversement dévot du cœur.  En somme, c'est ici plutôt une "onction du regard" (Didi-Huberman) que la duchesse va recevoir en ouvrant son livre. 

n.b. Le folio Fv est le versant gauche d'une double page, qui s'accompagne à droite du don des Tables de la Loi à Moïse, acte fondateur des Dix Commandements (folio 1r).

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Ses filles assistent à la même initiation à la dévotion aux Plaies du Christ. Marguerite porte la couronne de duchesse et sur sa robe les armes pleines de Bretagne comme épouse depuis 1455 du duc François II, et Marie porte la couronne de vicomtesse et les armes parti de Bretagne et de Rohan, comme épouse depuis 1462  de Jean II de Rohan.

J'ignore la raison du choix de Pierre de Vérone (identifié par le couteau planté sur son crâne) pour patronner Marguerite de Bretagne vers cette initiation dévote. Par contre, le choix de Marie-Madeleine est particulièrement éloquent, puisqu'elle est, pour les chartreux et les Franciscains, LE modèle de cette dévotion, associant participation émotionnelle pour la souffrance du Rédempteur, contrition pour les fautes de l'Humanité, effusion par les larmes et amour mystique.

C'est Marie-Madeleine qui est au pied de la Croix où s'écoule le sang de la Crucifixion, ou qui embrasse la main ou les pieds de Jésus lors de la Mise au Tombeau, sur les enluminures du XVe siècle, puis plus tard sur tous les calvaires , et sur les Maîtresse-vitres de Bretagne. Mais surtout, c'est elle qui figurait agenouillée au pied de la Croix sur le Puits de Moïse de la Chartreuse de Champmol. 

La représentation de Marie-Madeleine agenouillée au pied de la Croix  a pris naissance au XIIIe et XIVe siècle en Italie (Toscane et Ombrie) comme modèle de Piété (Imitatio Pietatis) pour son amour profond pour le Christ, son dévouement, sa pénitence et son humilité, mais aussi pour rendre visible son interaction physique avec le Christ, en particulier avec ses pieds lavés   avec ses larmes et séchés par ses longs cheveux à Béthanie puis oints de parfum après sa mort. C'était un modèle d'imitation et d'identification par les fidèles.

http://www.lavieb-aile.com/2019/09/le-puits-de-moise-de-la-chartreuse-de-champmol-a-dijon.html

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Droits réservés BnF Gallica.

Droits réservés BnF Gallica.

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De plus, les plaies du Christ sont soigneusement peintes en rouge, tant celles du front, des mains et des pieds que celles infligées par les plombs du fouet de flagellation.

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On remarquera aussi que la duchesse porte autour de la taille la cordelière des franciscains ou Capucins.

(Elle porte aussi comme ses filles le collier de l'Épi, le surcot ouvert  doublé d'hermines des princesses —elle est la fille du roi d'Écosse Jacques Stuart—, et une robe parti aux couleurs de Bretagne et d'Écosse, tandis qu'elle est coiffée de l'escoffion au voile de dentelle, mais cela nous détourne de notre sujet).

Cette cordelière est si importante pour les ducs de Bretagne que François II en fera l'un de ses emblèmes, repris par sa fille Anne de Bretagne qui créera un Ordre (féminin) de la Cordelière. Elle témoigne de l'attachement de François I et de François II pour leur patron saint François d'Assise, puisque ce cordon aux nœuds de capucin fait partie de l'habit franciscain.

Notons en outre qu'Isabeau demanda dans son testament de 1485 estre ensepulturé en l'eglise monsieur saint françois de la ville de Nantes. Ce vœu ne fut pas respecté.

Que connaît-on des confesseurs d'Isabeau Stuart ? Je relève :

un dominicain, le frère Jehan Blouyn du couvent de Nantes.

"messire Yves le Petit, nostre chappelain et ausmonier et messire François Denais, chappelain". (testament 1485) Est-ce Yves Le Petit,  recteur de la paroisse de Renac en 1497 et qui fonda en 1515, dans la cathédrale de Vannes, la chapellenie de Notre-Dame-de-Pitié et de saint Vincent, martyr ?.

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Nous avons donc sur cette image la réunion :

-de la vénération de saint François dans le duché de Bretagne

-de la dévotion à la Vierge de Pitié (avec de nombreuses enluminures, d'innombrables sculptures au pied ou au nœud des calvaires),

-de la dévotion aux Cinq plaies (avec de nombreux retables ou motif sculptés en Bretagne),

-de la dévotion au Précieux Sang (avec l'apparition d'anges hématophores sur les Crucifixions peintes, peintes sur verre ou sculptées en granite et kersanton des calvaires),

-du culte de Marie-Madeleine, dans les Livres d'Heures à coté de sainte Catherine et de sainte Marguerite, en statue dans les églises et chapelles, en vitraux, etc.

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Je développerai en Annexe la notion que la contemplation, par un fidèle (le plus souvent un moine) de la Vierge de Pitié est une tradition franciscaine qui s'est greffée sur celle, plus ancienne, de la méditation devant le Crucifix.

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Droits réservés BnF Gallica.

Droits réservés BnF Gallica.

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Comme le souligne François Avril, c'est le même artiste qui a illustré le livre d'Heures à l'usage de Rome BnF lat. 1369 d'Isabelle Stuart. 

Or, de nombreuses enluminures de ce Livre vont reprendre, de façon moins didactique certes, mais en multipliant les approches, ce culte des Plaies du Christ et du sang qui s'en écoule. Ce sont, parmi les 51 enluminures du manuscrit, celles des 8 pages suivantes :

 

p. 38 : le duc François II présenté par saint François.

p.56 : la duchesse Isabelle présentée par saint François.

p.51 : la messe de saint Grégoire.

p.162 : la Crucifixion (Marie-Madeleine au pied de la Croix)

p. 294 : la Vierge de Pitié avec le Stabat Mater

p. 299 : le Trône de Gloire

p. 320 : Saint François recevant les stigmates

p. 410 : la Sainte Plaie du Christ.

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Nous allons les examiner en suivant leur séquence dans le livre d'Heures. Notons auparavant que la Somme du Roi de 1464 est d'une date proche de celle du Livre d'Heures, dont la date inconnue est forcément postérieure à 1455 puisqu'il contient un Suffrage à saint Vincent Ferrier canonisé à cette date. Si la Somme du Roi était antérieure , son enluminure Fv de La Somme du Roi servirait  de référence mémorielle dans l'esprit de l'artiste, et de la lectrice, se retrouvant citée en éclatée dans les pages 38, 56, 294 et 320, avant de trouver son condensé dans celle de la page 410.

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1. Saint François d'Assise présentant le duc François I à la page 38 du livre d'Heures d'Isabelle Stuart BnF latin 1369 .

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52501939c/f48.item

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 François 1er, duc de Bretagne est présenté par son saint patron; dans l'encadrement deux écus armoriés, l'un avec les armes du duc (de Bretagne Plein), l'autre celles de la duchesse (parti de Bretagne et d'Écosse).

"Le portrait de François 1er, duc de Bretagne , soulève un problème d'ordre chronologique. Et d'abord, il ne saurait y avoir de doute sur l'identité du personnage; son costume, sa couronne ducale, son patron saint François d'Assise qui se tient derrière lui, ses armes qui figurent dans l'encadrement avec celles de sa femme: tout indique qu'il s'agit de François 1er, duc de Bretagne, qui épousa en 144:( Isabeau d'Écosse, fille de Jacques 1er, et qui mourut le 17 (ou le 18) juillet 1450. D'autre part,  saint Bernardin de Sienne, canonisé le 24 mai 1450, figure dans les litanies (p. 215) ; en outre, parmi les suffrages (p. 317), se trouvent une antienne et une oraison en l'honneur de saint Vincent Ferrier, canonisé le 29 juin 1455. Le manuscrit est donc postérieur à cette dernière date. Or, François 1er, duc de Bretagne, mourut le 17 (ou le 18) juillet 1450. Comment expliquer la présence de son portrait dans un manuscrit exécuté après 1455 ? Ou bien le portrait est antérieur au livre d'Heures ou il lui est contemporain. La seconde hypothèse paraît plus vraisemblable. On ne remarque en effet aucune différence ni dans la qualité du parchemin ni dans le format du feuillet. De plus, si le portrait avait été exécuté du vivant de François 1er, il est peu probable qu'on eût fait figurer dans l'encadrement les armes d'Isabeau, celle-ci n'étant pas héritière du trône d'Écosse. On observe en outre que le même feuillet qui contient le portrait du duc (p. 38) renferme un peu plus loin (p. 56) celui de la duchesse, ce double feuillet constituant le premier et le dernier d'un quaternion qui va de 37 à 56. Il s'agit donc selon toute vraisemblance d'un portrait exécuté plusieurs années après la mort de François 1er par les soins d'Isabeau d'Écosse." (Leroquais,  Manuscrits ... p.189)

 

 

Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369.  Droits réservés BnF Gallica.

Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369. Droits réservés BnF Gallica.

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2. La Messe de saint Grégoire à la page 51 du Livre d'Heures d'Isabelle Stuart BnF Latin 1369.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52501939c/f61.item

Quatre pages avant l'enluminure où saint François présente la duchesse, une enluminure montre le miracle de la Messe de saint Grégoire, dans une présentation  où, devant le célébrant et son diacre, le Christ apparaît en vision, entouré des instruments de la Passion ; et c'est le sang qui s'écoule de la plaie du flanc qui vient remplir le calice posé sur l'autel. L'enluminure illustre un poème en l'honneur des Instruments de la Passion :

Cruci, corone spinee clavis,que due lancee honorem inpendamus : hec sunt vexilla regia perque corone gaudia perpetue speramus. V. Adoramus te Christe et benedicimus tibi. 

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Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369.  Droits réservés BnF Gallica.

Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369. Droits réservés BnF Gallica.

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3. Saint François stigmatisé présentant Isabelle Stuart à la page 56 du  Livre d'Heures d'Isabelle Stuart BnF latin 1369 .

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52501939c/f66.item

Isabeau d'Écosse, femme de François 1er, duc de Bretagne, porte au cou le collier de l'ordre de l'Épi, comme sur l'enluminure de la Somme du roi ; derrière elle, saint François d'Assise; dans l'encadrement, deux écus armoriés, l'un avec les armes du duc (de Bretagne Plein), l'autre celles de la duchesse (parti de Bretagne et d'Écosse).

Cette enluminure est pour l'artiste comme pour sa noble lectrice, une auto-citation  abrégée de celle de la Somme du Roi, à laquelle elle renvoie. Et elle est aussi l'écho de l'enluminure de la page 38, comme si la duchesse optait délibérément pour le saint patron de son époux, où qu'ils partageaient tous deux la même démarche de contemplation mystique.

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Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369.  Droits réservés BnF Gallica.

Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369. Droits réservés BnF Gallica.

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4. La Déposition à la page 162 du Livre d'Heures d'Isabelle Stuart BnF Latin 1369.

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Est-ce la Vierge  qui est représentée au pied de la Croix ? C'est discutable, car malgré son manteau bleu et le geste de saint Jean pour la retenir dans sa pâmoison, cette sainte a les cheveux longs et non couvert d'un voile. D'autre part, c'est Marie-Madeleine qui est traditionnellement représenté au pied de la Croix, les yeux levés vers le Christ, tandis que la Vierge, effondrée, regarde vers le bas. Quoiqu'il en soit, le sang des plaies est manifeste, avec son écoulement le long des membres, et vers le sol.

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Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369.  Droits réservés BnF Gallica.

Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369. Droits réservés BnF Gallica.

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5.  La Vierge de Pitié à la page 294 du Livre d'Heures d'Isabelle Stuart BnF Latin 1369.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52501939c/f304.item

Les Prières à la Vierge ont débuté au folio 287 avec l'O Intemerata

Dans cette enluminure, le Christ est allongé vers la droite, la tête reposant sur les genoux d'une des deux saintes femmes ( a priori Marie-Madeleine, qui acquiert donc un statut privilégié). Surtout, la plaie du flanc est ostensible, tout comme le saignement s'écoule jusqu'à la jambe droite.

La miniature illustre le texte inscrit en dessous  Stabat mater dolorosa Juxta crucem lacrimosa dum pendebat filius, "Elle se tint là, sa mère endolorie Toute en larmes, auprès de la croix, Alors que son Fils y était suspendu".

Même si le Stabat Mater appartient très souvent à ces Prières de la Vierge, il est ici significatif que le texte de cette prière soit  attribué au moine franciscain Jacopone da Todi (1236 environ) : l'influence franciscaine est renforcée.

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Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369.  Droits réservés BnF Gallica.

Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369. Droits réservés BnF Gallica.

Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369.  Droits réservés BnF Gallica.

Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369. Droits réservés BnF Gallica.

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6.  Le Trône de Gloire à la page 299 du Livre d'Heures d'Isabelle Stuart BnF Latin 1369.

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Après les Prières à la Vierge viennent les Suffrages des saints. Mais la première enluminure, consacrée à la Trinité, choisit un Trône de Grâce où Dieu le Père tient le corps du Fils mort, auquel il est relié par la colombe de l'Esprit volant devant ses lèvres. L'effet d'écho en version paternelle de La Vierge de Pitié est claire. Comme pour cette dernière, les plaies du front, des mains, des pieds et du flanc sont marquées de peinture rouge (un peu pâlie), ainsi que l'écoulement le long de la cuisse et de la jambe.

Texte :  Te invocamus te adoramus te laudamus ... Omnipotens sempiternel Deus 

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Ce folio porte en bas la signature YSABEAU. Cela pourrait être significatif, mais cela se retrouve aux pages 303, 305, 307, 312, 316, 318, 320, 346, 348, et 382.

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Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369.  Droits réservés BnF Gallica.

Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369. Droits réservés BnF Gallica.

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7.  Saint François recevant les stigmates à la page 320 du Livre d'Heures d'Isabelle Stuart BnF Latin 1369.

Nous retrouvons ici le séraphin in cruce positum projetant les cinq rayons de sang vers le corps de saint François.

Texte : O martyr desiderio francisce quanto studio compatiens hunc sequeris quem passum libro reperis quem aperuisti tu contuens in aere seraph in cruce positum ex tunc in palmis, latere, et pedibus effigiem feris plagas Christi.

(Officium impressionnis SS stigmatum)

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Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369. Droits réservés BnF Gallica.

Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369. Droits réservés BnF Gallica.

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 La "Sainte Plaie", Plaie du côté du Christ, ou Plaga lateris Christi à la page 410 du Livre d'Heures d'Isabelle Stuart BnF Latin 1369.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52501939c/f420.item.zoom

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a) Après les Suffrages, le livre d'heures présente aux pages 385 à 405, entre les enluminures de l'Annonciation p.385 et de la Vierge à l'Enfant p. 394,   des Prières de la Vierge en vers français : "Vierge tres desirree honoree sur toutes par ta noble" ; "Marie, dame toute belle", "Ave Royne de paradi Toute excellente en fais en dits Plaise ton bon vouloir m'apprendre ..." , "Maria vierge de pitie la princesse de humanite", Gracia toute gracieuse la couronne tres precieuse"

 


Marie, dame toute belle,

Vierge pucelle, pure et munde,

De Dieu, mère et ancelle,

En qui tout grace habunde.

Tu es celle dont sourdit londe

qui le pechie de adam lava.

Je te salue royne du monde

En disant Ave maria

A qui tu vouldroyes ayder

Nully ne le pourrait grever

Car ie scay bien vierge marie

Que apres dieu tu es sans per

Metresse te doit on clamer

A bonte oncques ne varia

Pource te vueil saluer

En disant Ave maria

[...] Je te salue tresdoulce vierge en disant Ave Maria"

Soit en tout 6 huitains d'octosyllabes (ababbcbc)

 

b)  Puis vient pages 405   une prière à saint François. Ora pro nobis beate Francisce ut digni efficiamur promissione Christi. Ce chant est présent dans l'antiphonaire de la bibliothèque de Saint-Gall .

Deus qui ecclesiam tuam beati francisci meritis fetu nove prolis amplificas tribue nobis ex eius imitacione terrena despicere et celestium donorum semp participatione gaudere per.

https://www.e-codices.unifr.ch/en/csg/0388/440

c) Cette prière se poursuit jusqu'à la page 409, puis vient l'enluminure de la page 410 :

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Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369 f. 410v. Droits réservés BnF Gallica.

Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369 f. 410v. Droits réservés BnF Gallica.

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-c1. Elle est précédée page 409 de la mention (rubrique) :  De vulnere Domini. Papa lnnocencius secundus concessit cuilibet hanc orationem dicenti quatuor milia dies de indulgencia.

Le pape Innocent II promet donc 4000 jours d'indulgence au fidèle qui prononce l'oraison de la Blessure de Notre Seigneur (vulnere Domini).

La notion d'onction du regard et celle d'effet opératoire de l'image se double ici d'un bénéfice immédiat à celui qui lit la très courte prière placée sous l'image, et qui est couplée à elle. La vision de l'enluminure suscite la compassion dans le cœur du fidèle et, dans le même temps de balayage oculaire de la page, la prononciation labiale du texte lui assure un bénéfice dans la comptabilité sotériologique, tout cela par une participation corporelle (regard / lèvres/cœur) plus qu'intellectuelle.

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-c2. L'enluminure est centrée par un losange rouge qui la barre verticalement. Le fond noirâtre du losange aide à comprendre qu'il s'agit d'une plaie sanglante, et son centre est occupée par un cœur blessé et qui saigne. Dans l'imaginaire dévot, la lance de Longin, pénétrant par le flanc droit, a transpercé le cœur et a donné le coup de grâce (dans les faits, ce coup de lance sur la plèvre s'assurait du trépas).

L'inscription de l'encadrement du losange est : Hec est munera [sic, pour mensura] plage domini nostri ihesus christus  secundum quod revelatum fuit sancto Dyonisio de Bargona. La transcription est donnée par Leroquais, le dernier nom étant incertain à ma lecture. Je ne trouve aucune donnée sur ce saint Denis de Bargona (on pense, dans ce contexte à Denys le Chartreux). On peut déduire de l'inscription que l'artiste a voulu donner une image grandeur nature de la Plaie. Or elle mesure ici 7 cm, par estimation de la moitié du feuillet de 14 cm. La largeur est environ de 3,5 cm.

Ces mesures auraient été déduites de celles de la Sainte Lance, dont une des reliques (brisée) avait été acquise par saint Louis en 1244. Mais il existe ou a existé bien d'autres authentiques reliques de la Sainte Lance. L'une d'elles, conservée à la Hofburg de Vienne, mesure 510 mm, pour sa pointe.

 

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c3. La plaie du Christ est accompagnée de la prière: « Ave, vulnus lateris Nostri redemptoris, Fons summe dulcedinis. "Salut, plaie du flanc de Notre Rédempteur, source de la douceur extrême". Puis les prières se poursuivent (Ave plaga lateris largua et profunda, etc.) jusqu'à la page 412.

Dans cette dévotion, à coté de Isabeau Stuart, il faut mentionner Jeanne de France (1464-1505) :

"Au XVème siècle, la fille de Louis XI, Jeanne de France, s’inscrit dans la filiation de la Devotio moderna (Dévotion moderne), à travers la figure de saint François d’Assise. Une même ferveur dans la dévotion aux cinq plaies du Christ se retrouve dans toute sa vie. Elle dit que les cinq plaies sont cinq sources de salut où les hommes doivent puiser les eaux du salut (Isaïe 12, 3). La fondatrice de l’Annonciade, accompagnée dans cette dévotion par le Père franciscain Gilbert Nicolas (le bienheureux Gabriel-Maria), reçoit avec une forte émotion le Saint Sacrement, accompagnant l’offrande du Corps et du Sang du Christ de ses propres larmes : pleurs mystiques qu’elle assimile à un vin marial de couleur blanche répandu à côté d’un vin écarlate issu du pressoir de la Croix. Elle dit qu’on ne peut appeler dévot, celui qui ne s’enivre pas de ce vin une fois par jour."  (Isabelle Raviolo)

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Cette curieuse image se retrouve aussi (avec la même inscription) dans les Heures de Pierre II de Bretagne BnF lat. 1159, fol. 141, pl. LII. Ce manuscrit n'est pas numérisé sur Gallica. Le duc Pierre II (1418-1457) était le frère de François Ier de Bretagne, et le fils du duc Jean V et de Jeanne de France. La proximité du Livre d'Heures d'Isabeau Stuart (après 1455) et celui de son beau-frère Pierre II, duc de 1450 à 1457, est importante. 

On  trouve aussi cette image dans un manuscrit illustré par Jean Le Noir à Paris avant 1349,  le Psautier de Bonne de Luxembourg, (duchesse de Normandie) associé aux Arma Christi. (Met.museum, Cloisters 1969 folio 331. Cette page est précédée d'une enluminure f.328r qui montre un couple de fidèles (destinataires du livre) agenouillé devant la Croix où le Christ désigne la plaie de son flanc droit.

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Psautier de Bonne de Luxembourg (Met.museum, Cloisters 1969 folio 331)

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https://www.metmuseum.org/art/collection/search/70012435

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On trouve encore cette plaie dans un manuscrit de l'Image du monde de Gossouin de Metz, réalisé vers 1320 pour Guillaume Flote et qui appartint en 1401 à la bibliothèque de Jean de Berry : le BnF fr. 574  au folio 140v.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84526412/f294.item.zoom

 Elle est plus intéressante car la  peinture, qui occupe les trois quarts de la page, associe l'image lenticulaire de la plaga lateris  entourée des clous, de la tunique de la Passion  à deux autres registres.  Dans la scène du bas  un évêque et un moine vénèrent la Sainte Plaie, séparés par  la colonne de la Flagellation, encadrée des instruments de la Passion (fouets, manteau de la dérision ?) ; scène du milieu : représentation de la plaie du côté et instruments de la Passion : clous, tunique . Dans la scène du haut, le Christ crucifié est entouré de Marie en pâmoison avec deux Sainte Femmes, à sa droite, et Jean, le bon Centenier et deux membres du Sanhédrin (Joseph d'Arimathie et Nicodème ?) à sa gauche. On trouve aussi en registre supérieur la lance, et le roseau d'hysope. Mieux encore, la peinture est bordée à gauche de textes liturgiques extraits de « De corona spina – in 1.Vesperis » :  

o christo plebs dedita tot christi donis predita iucunderis hodie tota sis devote erumpens in iubilum depone mentis nubilum tempus est leticie cura sit semota ecce crux et lancea clavi corona spinea arma regis glorie tibi commendantur omnes terre populi laudent auctorem seculi per quem tantis gracie signis gloriatur.

omnis terra adoret te deus (et) psallat tibi et psalmum dicat nomini tuo

Quaesumus omnipotens deus ut qui sacratissima redemptionis nostre insignia temporaliter veneramur per hec indesignenter nulmiti eternitatis gloriam consequamur. Per dominum nostrum ihesus christum filium qui tecum vivit et regnat nibnirare spiritus sancti deus per comma secula seculorum amen

http://hlub.dyndns.org/projekten/webplek/CANTUS/cgi-bin/LMLO/LMLO.cgi?X=%5BXC67%5D&raw_text=true

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BnF français 574 f.140v. Source Gallica BnF.

 

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BnF Fr. 574 f.140v

 

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Revenons à notre manuscrit :

Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369 f. 410v. Droits réservés BnF Gallica.

Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF Latin 1369 f. 410v. Droits réservés BnF Gallica.

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Le troisième manuscrit du même artiste (?), et pour la même duchesse de Bretagne est le Livre d'Heures NAL 588.

Parmi les 14 enluminures, je ne retiens ici que celle qui répète la présentation de Isabeau Stuart par saint François. La comparaison avec les précédentes montrent des différences stylistiques, une inversion de la partition des armoiries de la robe, l'absence du collier de l'Épi, etc., mais la configuration est la même.

 

Saint François présentant Isabeau Stuart sur l'enluminure du BnF NAL 588 folio 33v.

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https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8555843r/f72.item

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Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF NAL 588 f.33v . Droits réservés BnF Gallica.

Livre d'Heures d'Isabeau Stuart BnF NAL 588 f.33v . Droits réservés BnF Gallica.

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DEUXIÉME PARTIE. LA DÉVOTION FRANCISCAINE AU PRÉCIEUX SANG ET AUX CINQ PLAIES.

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Mon propos n'est pas de traiter l'ensemble de ce sujet, ni même de me restreindre à son iconographie (cf le Vulnéraire du Christ par L. Charbonneau-Lassay), mais d'illustrer très sommairement  comment l'enluminure de la Somme du Roi s'ancre dans une longue tradition iconographique.

A. Remarquons d'abord que l'image sacrée  est au centre même de la conversion de saint François, puisque celle-ci  survient alors qu'il prie devant le crucifix de la chapelle Saint-Damien d'Assise. C'est face à ce crucifix qu'il entend une vois lui demandant "de réparer son église en ruine".

Remarquons aussi que l'image, qui devient alors une théophanie, est au cœur du récit de la stigmatisation , récit composé par le frère mineur Thomas de Celano composa en 1228, pour la canonisation de François.  L'événement survenu près d'un ermitage du mont Alverne. François, deux ans avant son décès « vit dans une vision un homme, semblable à un séraphin doté de six ailes, qui se tenait au-dessus de lui, attaché à une croix, les bras étendus et les pieds joints. Deux ailes s'élevaient au-dessus de sa tête, deux autres restaient déployées pour le vol, les deux dernières lui voilaient tout le corps ».  Dans la Legenda chori, Thomas de Celano ne parle plus d'un homme ressemblant à un séraphin, mais bien d'un séraphin à six ailes, que François vit descendre du ciel, ce qui introduit l’idée d ’un mouvement, d'un surgissement. Cet ange prononça des paroles très énergiques (verba efficacissima), que François ne voulut révéler à personne. Enfin, Thomas de Celano ne dit pas explicitement que le séraphin est crucifié, il a les mains étendues, le flanc droit blessé et les pieds percés in modum crucis (à la manière du supplice de la croix).

Dans les deux cas, l'image du Christ en croix s'accompagne de paroles performatrices : déterminant François à l'action, ou le marquant en son corps. L'image parlante ne convainc pas tant l'esprit que le corps et le cœur.

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B. Cette relation à l'image sacrée opérante, et capable d'ébranler les sens et le corps des fidèles, va susciter le développement d'une iconographie spécifique.

À un premier niveau, c'est Marie-Madeleine qui est peinte, au pied de la Croix, dans une extase et presque une transe (elle est cambrée, mains jointes tordues ou bras écartés) associant la douleur, l'amour, la compassion, le regret et la fusion mystique. Elle fait face au flot de sang qui s'écoule le long de la croix.

À un niveau suivant, ce sont des spectateurs commanditaires ou destinataires de la peinture qui sont représentés face à la Croix, en méditation, mais cette croix s'anime et opère puisque la figure du Christ émet, par ses plaies (et, au premier chef, par la plaie du flanc) un jet de sang qui atteint ou se dirige vers les fidèles. 

À un niveau suivant, le Christ crucifié est remplacé par le Christ mort dans les bras de sa Mère (Vierge de Pitié) ou de son Père (Trône de Grâce).

 

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La tradition franciscaine a longuement nourri les correspondances entre le regard, l'image et sa substance. Cette interaction fait même partie des origines de l'ordre, à travers l'épisode du crucifix de San Damiano qui a suscité la conversion de François. Ici s'amorce une relation entre le saint et cet objet qui aboutira, au moment de la stigmatisation, à l'identification absolue entre le poverello et le Christ en croix. Dès lors, les crucifix deviennent partie intégrante de la piété propre aux Frères Mineurs, de leur mode de communiquer le message chrétien. Il est d'ailleurs significatif que ce soient les crucifix peints des ordres mendiants – eux-mêmes des références au Crucifix de Beyrouth – qui aient préparé le chemin pour le succès de l’Imago Pietatis. Ils en sont en quelque sorte les géniteurs comme l’Imago Pietatis l'est pour la Pietà. Il y a comme une filiation dévotionnelle qui les relie et qui va, au moins avec l'Onction de Pesaro, jusqu'à l'usage symbolique du matériau." (Petrick 2012)

"Saint François et les Franciscains utilisent de façon privilégiée les représentations du Christ sur la croix tout au long du XIIIe siècle. L'analyse des crucifix ombriens montre le recours constant que fait François à l'image du crucifié : témoin de la Passion, il est stigmatisé sur les hauteurs de l'Alverne et devient ainsi la vivante image du Christ. Puis, par un plus grand souci de narratif, les Franciscains rejoignent une évolution en cours dans les ateliers de peinture depuis le début du siècle : le Christ triomphant s'humanise peu à peu et s'efface devant le nouveau type du  Christ de douleur qui s'affirme vers 1250-1255. Dans le même temps, autour d'Assise, s'élabore un style franciscain qui enrichit le vieux fonds ombrien local de tout un nouvel apport spirituel. Après 1270, saint François est placé au pied de la croix. Ainsi se dessine sur tout le XIIIe siècle l'histoire nuancée des rapports des Franciscains à l'image." (Russo 1984)

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La Dévotion des Cinq Plaies et du Sang n'est pas spécifique aux Franciscains, et est également adoptée par les Dominicains ainsi que par la "société civile" des nobles et bourgeois adeptes d'une dévotion individuelle et intime.

 

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Les images parleront désormais sans que j'ai à les commenter. Je citerai ici Émile Mâle, figure princeps de l'Iconographie (L'art religieux à la fin du Moyen-Âge) :

 

https://ia800504.us.archive.org/32/items/lartreligieuxdel00mleem/lartreligieuxdel00mleem.pdf

"Veut-on voir maintenant ce qu'imagine le XIVe siècle ? Ouvrons les Révélations de sainte Brigitte, un de ces livres ardents qui ont laissé une trace profonde.

C'est la Vierge elle-même qui parle à la sainte, et qui lui raconte tout ce qu'elle a souffert. Elle a vu mettre son fils en croix, et elle s'est évanouie; et voici dans quel état elle l'a revu, quand elle est revenue à elle : « Il était couronné d épines, ses yeux, ses oreilles et sa barbe ruisselaient de sang... Ses mâchoires étaient distendues, sa bouche ouverte, sa langue sanguinolente. Le ventre, ramené en arrière, touchait le dos, comme s'il n'avait plus d'intestins. »

A la dévotion qu'on avait pour les instruments de la Passion s'associait naturellement le culte des plaies de Jésus-Christ. Cette forme nouvelle de la piété remonte peut-être jusqu'à saint Bernard, s'il est vrai qu'il soit l'auteur de l'hymne qu'on lui attribue. C'est une suite d'apostrophes pathétiques qui s'adressent à toutes les parties du corps de Jésus-Christ qui souffrirent pour les hommes. Saint Bernard, disait-on, après avoir composé ces strophes, les avait récitées devant un crucifix qui s'était incliné vers lui et l'avait embrassé. Il est probable que l'hymne, s'il remonte réellement au XII siècle, a été remanié et amplifié au XIVe. C'est au XIVe siècle, en effet, que commence à se répandre la dévotion aux cinq plaies. Sainte Gertrude méditait sur ces cinq plaies et les voyait briller comme le soleil. Elle pensait qu'elles avaient dû s'imprimer dans son cœur. C'est alors aussi que les oraisons aux cinq plaies commencent à apparaître dans les livres d'Heures .

Au XVe siècles, des confréries se créent sous le vocable des cinq plaies. De riches bourgeois fondent des messes en l'honneur des cinq plaies. Une prière que l'on récitait en l'honneur des cinq plaies passait pour empêcher de mourir « de vilaine mort». L'art essaya de s'associer comme il put à ces sentiments. Au XVe siècle, on inventa un blason des plaies, comme on avait imaginé, au XIVe, un blason des instruments de la Passion. On voyait, à Limoges, sur le saint sépulcre de l'église Saint-Etienne, un écusson «avec les cinq plaies au naturel sur fond d'or ».

Les Allemands et les Flamands crurent faire mieux en mettant sur un écu chacun des membres coupés. D'autres fois, ils enferment l'Enfant Jésus dans un cœur blessé et disposent tout autour deux pieds et deux mains transverberés. Ces vieilles gravures sur bois, images populaires dont le paysan décorait le manteau de sa cheminée, nous font pénétrer fort avant dans le génie secret du xv" siècle. C'est un monde étrange. On y respire une atmosphère de piété ardente et presque sauvage. Une de ces images nous montre un religieux au pied de la croix. Quatre longs fils unissent sa bouche à quatre plaies de Jésus-Christ. En face, un laïque est rattaché de la même manière à six péchés capitaux. Cette petite image enseigne, comme les mystiques, que toute sagesse, toute vertu découle des plaies de Jésus- Christ, et qu'il faut, comme dit Tauler, « coller sa bouche sur les blessures du crucifié ».

 

Des cinq plaies, celle du côté était regardée comme la plus sainte. On croyait en savoir la dimension exacte qui était donnée par celle du fer de la sainte lance. Dans une Image du monde, manuscrit de la première partie du XIVe siècle [ (BnF fr.574 f.140v, vers 1320], qui a appartenu plus tard au duc de Berry, on voit déjà la plaie du côté représentée avec sa grandeur réelle ; au XVe siècle, on rencontre fréquemment dans les livres d'Heures imprimés une image de cette plaie. Deux anges semblent la porter dans une coupe d'or.

Mais il y a quelque chose de plus émouvant que les plaies du Christ, c'est le sang qui coule de ces plaies. Combien de chrétiens, avant Pascal, avaient médité sur ce sang d'un Dieu dont chaque goutte avait sauvé des milliers d'âmes. La Vitis mystica, qu'on attribuait à saint Bernard, compare la Passion à une rose sanglante. Saint Bonaventure, dans le Lignum vitae, s'écrie que Jésus, arrosé de son propre sang, lui apparaît vêtu de la pourpre pontificale. Mais c'est au XIVe et au XVe siècle que le sang divin ruisselle. Sainte Brigitte, sainte Gertrude, Tauler, Olivier Maillart voient ce sang couler comme un fleuve. Ils voudraient s'y baigner. Les visions de la bienheureuse Angèle de Foligno lui montrent sans cesse le sang de son Dieu. Lorsque, dans l'église de Saint-François, au moment de l'élévation, pendant que les orgues jouent doucement, son âme est ravie « dans la lumière incréée », elle voit presque toujours Jésus couvert de sang. Quelques instants avant de mourir, elle dit qu'elle venait de recevoir le sang de Jésus-Christ sur son âme, et qu'elle l'avait senti aussi chaud que s'il descendait de la croix.

Ce sang divin, dès le XIVe siècle, les artistes nous le font voir. Non seulement ils représentent le sang coulant des plaies de Jésus, mais il leur arrive souvent de nous montrer son corps tout marbré de taches rouges. Chose curieuse, les vieilles gravures populaires du XVe siècle, qui représentent le Christ en croix ou le Christ de pitié, sont souvent relevées de rouge pour que le sang et les plaies frappent d'abord le regard .

L'idée de souffrance, unie à l'idée de rédemption, a donné naissance à toute une suite d'œuvres d'art où est exaltée la vertu du sang. Je veux parler du thème mystique connu sous le nom de Fontaine de vie. Du centre d'une grande vasque s'élève la croix. De longs jets de sang jaillissent des plaies du Sauveur et emplissent la cuve autour de laquelle se pressent les pécheurs. Plusieurs ont déjà dépouillé leurs vêtements et s'apprêtent à entrer dans ce bain salutaire. C'est là, sans doute, un symbole eucharistique, mais qui ne pouvait naître que dans l'âge violemment réaliste où nous sommes entrés. Il fallait, pour l'imaginer, avoir la pensée sans cesse occupée de ce sang- divin. D'ailleurs, ces Fontaines de vie me paraissent être, à l'origine, en relation étroite avec le culte qu'on rendait au Précieux Sang dans diverses églises.

Dès le temps des croisades arrivèrent en Occident, dans des reliquaires de cristal, quelques gouttes du sang divin. Il semblait qu'on eût enfin trouvé ce Saint Graal que les chevaliers de la Table Ronde avaient cherché par toute la terre. A Bruges, dans la petite chapelle de Thierry d'Alsace, le rêve des poètes devenait une réalité. Tout chrétien pouvait y voir le sang qui avait sauvé le monde. Une immense poésie rayonnait du sanctuaire de Bruges. Aucun doute alors ne pouvait effleurer le croyant et ternir la beauté de la légende. Bientôt il y eut des gouttes du Précieux Sang en France, en Italie, en Allemagne, en Angleterre. Le Saint Sang que l'on montrait à l'abbaye de Fécamp avait été trouvé caché dans le tronc d'un antique figuier que la mer avait jeté à la côte. Le figuier venait de la Terre-Sainte, et c'était le neveu de Joseph d'Arimathie, Isaac, qui avait enfermé la relique dans l'écorce de l'arbre. Ainsi les poèmes du Saint Graal devenaient féconds et faisaient naître de réelles merveilles. .

La dévotion au Précieux Sang, qui fut toujours très vive, s'accrut encore à la fin du moyen âge. A Bruges, ce fut seulement au XIVe siècle que la confrérie du Saint Sang prit naissance et que commença la fameuse procession du mois de mai. Ce fut au XVe siècle que s'éleva, au-dessus de la vieille crypte romane de Thierry, la haute chapelle gothique, plus digne de l'insigne relique.  Au XVe siècle, le culte du Saint Sang s'organise, et on voit apparaître des proses écrites en son honneur. Ce fut alors aussi que les peintres imaginèrent le thème de la Fontaine de vie, qui est, à sa manière, une sorte d'hymne au Précieux Sang.

On peut presque affirmer, je crois, que ce motif nouveau est né dans une des villes qui rendaient un culte à la sainte relique. On sait que la Fontaine de vie du Musée de Lille, œuvre de Jean Bellegambe, fut peinte pour l'abbaye d'Anchin. Or l'abbaye d'Anchin possédait depuis 1239 quelques gouttes du Précieux Sang." (E. Mâle, 1908)

 

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Simone Martini.

Simone Martini.

Calvaire avec un moine chartreux, Louvre.

Calvaire avec un moine chartreux, Louvre.

Chartreux au pied d'un crucifix.

Chartreux au pied d'un crucifix.

De modo orandi, 1.

De modo orandi, 1.

De modo orandi, 2.

De modo orandi, 2.

Retable de Boulbo, Le Louvre.

Retable de Boulbo, Le Louvre.

Fra Angelico, saint Dominique au pied de la Croix.

Fra Angelico, saint Dominique au pied de la Croix.

Fra Angelico, Crucifixion.

Fra Angelico, Crucifixion.

Fra Angelico Saint Dominique, au pied de la Croix.

Fra Angelico Saint Dominique, au pied de la Croix.

Fra Angelico un saint moine au pied de la Croix.

Fra Angelico un saint moine au pied de la Croix.

Fr Angelico, Juan de Torquemada.

Fr Angelico, Juan de Torquemada.

Jean de Baumetz, calvaire avec un moine chartreux.

Jean de Baumetz, calvaire avec un moine chartreux.

Ludolphe le Chartreux.

Ludolphe le Chartreux.

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LA VIERGE DE PITIÉ  

 

"Le thème iconographique de la Vierge de Pitié ou de Compassion (Pietà en italien) apparaît dans les pays germaniques, au milieu du XIVe siècle. Il est formé de la Vierge assise, tenant le Christ mort couché sur ses genoux, au soir du Vendredi-Saint. Ce motif est apocryphe, il n’a pas de fondement scripturaire ; la piété des croyants est venue enrichir la tradition. Il se répand à la fin du Moyen Age, en lien avec une dévotion plus intime et centrée sur la Passion du Christ (devotio moderna), sous l’influence des ordres religieux (Franciscains). Cette nouvelle image s'est formée selon le processus d'extraction du motif principal d'une scène plus vaste, la Déploration ou Lamentation sur le Christ décloué de la croix." (source)

 

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 Del Garbo ou dei Carli ou dei Capponi, Raffaellino (Florence, vers 1466 - Florence, en 1524), Pieta avec Saint Benoît, Saint François, Saint Jean et Sainte Marie-Madeleine vers 1500-1525 Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris

https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/petit-palais/oeuvres/pieta-avec-saint-benoit-saint-francois-saint-jean-et-sainte-marie-madeleine#infos-principales

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Dévotion franciscaine aux Plaies du Christ à la cour ducale de Bretagne au XVe siècle : l'exemple d'Isabelle Stuart.

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Le Pérugin, Gonfanon avec la Pietà , 1472 environ,  Galerie nationale de l'Ombrie à Pérouse.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Gonfanon_avec_la_Piet%C3%A0

 

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Dévotion franciscaine aux Plaies du Christ à la cour ducale de Bretagne au XVe siècle : l'exemple d'Isabelle Stuart.

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Annibale Carracci Pietà avec saint François et sainte Marie-Madeleine (1602-1607), Musée du Louvre

https://www.wikiart.org/fr/annibale-carracci/pieta-avec-saint-francois-et-sainte-marie-madeleine-1607

Dévotion franciscaine aux Plaies du Christ à la cour ducale de Bretagne au XVe siècle : l'exemple d'Isabelle Stuart.

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Peter Paul Rubens et atelier Pietà avec saint François, Musée royaux de Belgique

https://www.fine-arts-museum.be/fr/la-collection/peter-paul-rubens-et-atelier-pieta-avec-saint-francois

 

 

 

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Dévotion franciscaine aux Plaies du Christ à la cour ducale de Bretagne au XVe siècle : l'exemple d'Isabelle Stuart.

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CONCLUSION.

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L'enluminure f. Fv de l'exemplaire de La Somme du Roi copié en 1464 pour Isabeau Stuart est explicite : la duchesse, reprenant pour son compte le patronage de François d'Assise, saint patron de son époux le duc François Ier (décédé 14 ans plus tôt), y est peinte contemplant les plaies du Christ tenu dans les bras de la Vierge, et cette contemplation mystique est mise en parallèle à la stigmatisation du saint (concomitante sur l'image) pour en indiquer le but. L'image de la Vierge de Pitié n'est pas là pour aider la duchesse dans ses prières latine et en illustrer le sens, elle s'impose comme un exercice spirituel d'identification et d'imitation du Christ. 

Considérées ainsi, les enluminures de ses livres d'Heures apparaissent comme autant de nouvelles voies d'accès à cette participation émotionnelle aux souffrances du Christ, participation par le corps et par les sens où il s'agit moins de comprendre que de ressentir dans sa chair les vérités de la Rédemption.

La plaie du flanc droit du Christ lors de la Crucifixion devient le point focal de cette dévotion sensorielle. On comprend qu'il soit essentiel de donner à voir, à toucher (et sans doute à embrasser) cette plaie dans la réalité de sa longueur, de sa largeur, et — par l'effet d'ombrage — de sa profondeur, et d'en proposer un fac-simile convaincant, alors même que l'image est fort pauvre  pour sa valeur esthétique ou son contenu. 

Cette dévotion individuelle hors des offices menés par les clercs, a été celle des Chartreux, des Franciscains et des Dominicains, et la contemplation des plaies du Crucifix, puis de celle du Christ dans les bras de la Vierge, va largement orienter la production artistique, puisque les peintures, qui vont devenir privées (fresques des cellules monastiques puis retables portatifs et panneaux de petite dimension), en seront le support. (Bien-sûr, la même réflexion pourrait être mené concernant la création musicale pour éclairer l'ouverture du sens auditifs).

Nous avons un témoin de cette pratique à la cour ducale de Bretagne sous François Ier et sa seconde épouse Isabeau Stuart, puis sous son frère Pierre II. Pourrait-on la retrouver sous Anne de Bretagne ? En tout cas, nous disposons d'un autre témoignage, concernant le dominicain Yves Mahyeuc (1462-1541), évêque de Rennes qui fut confesseur d'Anne de Bretagne, de Charles VIII puis de Louis XII (même si deux homonymes, peut-être l'oncle et le neveu, sont réunis sous ce nom) : il portait sur ses vêtements des croix imprimés et une goutte de sang, "baillés" par Brigitte de Suède (canonisés en 1391), dont les Révélations, qui  furent traduites en français à Lyon en 1536 (cf. Augustin Pic).

Ce qui est certain, c'est que les calvaires de Bretagne fleurirent au XVe et XVIe siècle, notamment en pierre de kersanton par l'atelier des Prigent de Landerneau, et que ceux-ci sont les nouveaux supports, accessibles à tous, de cette piété. On y voit partout des anges hématophores (recueillant le sang des plaies du Christ dans des calices), des Marie-Madeleine agenouillées devant le fût de la croix, des Vierge de Pitié, et des saints personnages dont les larmes sont soigneusement sculptées.

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SOURCES ET LIENS.

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https://fr.wikipedia.org/wiki/Plaies_du_Christ

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pri%C3%A8re_%C3%A0_J%C3%A9sus_crucifi%C3%A9

— BERNAZZANI (Amélie), Un seul corps, la Vierge, Madeleine et Jean dans les lamentations italiennes.

https://books.openedition.org/pufr/8077?format=toc

 

— BOZOKY (Edina), 2009,« Les romans du Graal et le culte du Précieux Sang », Tabularia [Online], Precious Blood: Relics and worship, 

https://journals.openedition.org/tabularia/1108?lang=en

— DIDI-HUBERMAN (Georges), 1986, Didi-Huberman, La dissemblance des figures selon Fra Angelico , Mélanges de l'école française de Rome 98-2 pp. 709-802

https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5110_1986_num_98_2_2879

— LEROQUAIS (abbé V.), 1927, Les Livres d'Heures manuscrits de la Bibliothèque nationale, vol. I.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k15129612.image

http://petruccilibrary.ca/files/imglnks/caimg/5/57/IMSLP501534-PMLP812258-39087007733399_v.1.pdf

— MÂLE (Émile), 1908, L’art religieux de la fin du Moyen Âge en France. Étude sur l’iconographie du Moyen Âge et sur ses sources d’inspiration, 3e éd., Paris, Armand Colin, 1925, p. 87 sq. Sur le sang, p. 108 sq. [3e éd., Paris, Armand Colin, 1925]

https://ia800504.us.archive.org/32/items/lartreligieuxdel00mleem/lartreligieuxdel00mleem.pdf

— PETRICK (Vicki-Marie), 2012, « Unctio : la peinture comme sacrement dans la Pietà de Giovanni Bellini à la Pinacothèque Vaticane », Images-Revues, 9, 2012 [en ligne] http://imagesrevues.revues.org/1899

— PETRICK (Vicki-Marie), Le Corps de Marie-Madeleine et ses représentations en Italie du Duecento à Titien. Thèse soutenue le 27 juin 2012.

—  RAYNAUD (Christiane) , 1991, La mise en scène du coeur dans les livres religieux de la fin du Moyen Âge, in LE « CUER » AU MOYEN ÂGE © Presses universitaires de Provence, 1991 p. 313-343https://books.openedition.org/pup/3121?lang=fr#bodyftn16

— RUSSO (Daniel), « Saint François, les Franciscains et les représentations du Christ sur la croix en ombrie au xiiie siècle »,. Recherches sur la formation d'une image et sur une sensibilité esthétique au Moyen Âge, MEFRM (Mélanges de l'école française de Rome ), 96 (1984), n° 2, p. 647-717.

https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5110_1984_num_96_2_2772

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Published by jean-yves cordier - dans Enluminure

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  • : Le blog de jean-yves cordier
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  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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