La clôture de chœur de l'ancienne abbaye de la Trinité à Vendôme est digne d'intérêt d'une part comme un bel exemple de la sculpture de la Renaissance, avec ses cartouches, des masques, ses trophées. D'autre part, elle témoigne du rôle de commanditaire des deux abbés qui se succédèrent à la tête de l'abbaye Louis de Crevant et son neveu Antoine. Dans ce cadre, il est intéressant de créer des liens thématiques entre les diverses œuvres qu'ils nous ont laissés : les vitraux, les stalles, et la clôture de chœur. Le point commun, comme le fil d'un collier, associe 1. la relique de la Sainte Larme possédée par l'abbaye depuis le XIe siècle et source de pèlerinages sur le chemin de Compostelle (elle guérissait les yeux), 2 le culte de Marie-Madeleine d'une part comme sœur de Lazare, mais aussi comme modèle du repentir, du chagrin avec effusion de larmes, 3. l'écoulement du sang du Christ lors de la Crucifixion et la valeur rédemptrice de cet écoulement, 4. l'Agneau pascal égorgé.
Ces 4 éléments se renvoient l'un à l'autre avec la même idée centrale : les larmes versées par le fidèle (le moine) sont le sang de l'âme (Augustin), elles sont la réponse de gratitude du chrétien devant le sacrifice du Sauveur.
Ce discours, malgré la profondeur spirituelle qu'il porte, est finalement très simple, et constitue la clef indispensable à la compréhension du décor mis en place par les deux abbés au XVIe siècle.
C'est ainsi qu'on ne sera pas surpris de voir la chapelle Sainte Madeleine placée, dans le déambulatoire, juste en face de l'armoire qui renfermait la relique de la Sainte Larme. Ou de trouver le vitrail représentant la sainte baignant de ses larmes les pieds du Christ. Ou de voir que les armes de l'abbaye représente la Sainte Larme entourée par l'Agneau pascal. Puis, dans le chœur, de voir les jouées des stalles montrer, au sud, Marie-Madeleine au pied de la Croix entourée des Instruments de la Passion et, au nord, la Sortie du Tombeau surmontée de la Pietà, parangon du chagrin de Marie. De trouver, dans le transept, la baie 25 qui présentent le Sang du Christ alimentant la Fontaine de vie (avec une analogie avec le retable de l'Agneau mystique).
De ce fait, il devient passionnant d'examiner les détails de la clôture du chœur et d'y trouver le décor de grosses larmes, les instruments de la Passion, l'Agneau pascal sur les armes de l'abbaye, les inscriptions honorant les larmes du Christ lors de la mort de Lazare, et les armoiries des deux abbés commanditaires.
C'est non seulement passionnant, mais, comme la reprise d'un leitmotiv en musique, ces convergences, répétitions, développements en échos, accentuent l'émotion esthétique ressentie par le visiteur ému d'une telle cohérence dans l'ornementation du chœur.
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En 2, la Sainte Larme, et en 8 la chapelle de Marie-Madeleine :
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I. Le coté nord de la clôture.
Tandis que dans les 3 pans les plus orientaux la clôture est entièrement préservée, les parties hautes avec leurs colonnades et balustres en claire-voie n'ont pas été conservées sur les cotés nord et sud du chœur.
L’armoire contenant, dans quatre reliquaires, la Sainte Larme, se trouvait jusqu'à la Révolution dans cette clôture de chœur au nord, face à la chapelle Sainte-Madeleine. C'est bien logique puisque cette Larme (en fait, un cristal de quartz contenant, par une particularité géologique, une goutte d'eau) avait été offerte à Geoffroy Martel comme ayant été émise par le Christ devant la tombe de Lazare. Recueillie par un ange, elle aurait été remise à Marie, sœur de Lazare (assimilée à Marie-Madeleine). Celle-ci apporta la relique en Provence et, à l’approche de sa mort, la donna à saint Maximin, évêque d’Aix. La relique demeura dans cette ville jusqu’à la fin des persécutions contre les chrétiens. L’empereur Constantin l’emporta ensuite à Constantinople où elle resta jusque vers 1040 avant d'être offerte à Geoffroy Martel, fondateur de l'abbaye, en remerciement de services militaires. (Isnard 2009).
La clôture de chœur montre, du coté nord, à gauche de l'autel, la partie basse de l’armoire au décor Renaissance. Récemment l’extérieur de la clôture et l’armoire ont été couverts d’une peinture ocre jaune.
Les panneaux doivent être examinés un par un. Les Instruments de la Passion, les armes de l'abbaye, et un décor de grosses larmes, précèdent l'inscription descriptive.
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Clôture de chœur de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
Clôture de chœur de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Le panneau de droite rassemble les "instruments de la Passion" en dix groupes ; on les retrouve sur la jouée sud-est des stalles.
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Clôture de chœur de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Sur le panneau suivant, deux putti présentent les armes de l'abbaye de la Trinité, D'azur à un agneau pascal d'argent, la tête contournée, portant dans sa patte dextre une croix de sable à laquelle pend une banderole d'argent chargé d'une larme de gueules.
Cette réunion sur le même écu du motif de l'agneau pascal égorgé et de la larme me semble résumer la thématique du décor.
L'arrivée de la relique à Vendôme n'est pas éloignée de la vie de sainte Elisabeth de Hongrie '1207-1231), qui adopta la règle de vie franciscaine et reçut "le don des larmes", cette eau du cœur que saint Augustin (Sermon 351) qualifia de sanguinis animae, de sang des âmes.
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Clôture de chœur de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Ensuite vient le panneau à grosses larmes, précédant une colonne portant en diagonale l'inscription LE-TRONC.
Un gag ? La signature d'un artiste qui a perdu toute chance d'être identifié ?
Voici, précédé d'une description générale, ce qu'en dit G. Plat :
"Le monument de la Sainte-Larme se divisait en deux parties. L'une, la plus ancienne, se composait de l'arcade, des colonnettes qui la portaient et, sans doute, des statues qui l'ornaient. J'y reviendrai tout à l'heure. L'autre, dont toute la base subsiste encore comprenait un mur plein élevé au xvie siècle, exactement en 1528, en même temps que le reste de la clôture du choeur. L'analogie du travail et des motifs sculptés, le rapprochement des dates, enfin l'usage où l'on était à Vendôme de s'adresser aux artistes tourangeaux ( C'est un orfèvre tourangeau, Adrien, qui avait fourni en 1492 la châsse de saint Eutrope donnée par Aimery de Coudun. On a vu plus haut que c'est à un sculpteur tourangeau, au moins de domicile, qu'on s'adressa pour le tombeau de Louis de Crevant. ll se trouve aussi que les grands travaux de l'abbatiale de Marmoulier s'achevaient, dans la première décade du xive siècle, quand on commençait ceux de l'abbatiale de Vendôme.), me font croire que ce magnifique ensemble est le chef d'oeuvre de l'atelier auquel on doit le portail de Saint-Symphorien près de Tours (1526-1531).
Ce mur plein se composait d'un soubassement qui subsiste encore et se trouve au même niveau que le soubassement des parties intactes de la clôture du choeur. Il est décoré de sculptures et porte deux inscriptions dans des cartouches, l'une grecque, l'autre latine, toutes deux relatives à la Sainte-Larme.
Un autre cartouche, dans une partie légèrement bombée du soubassement, porte cette inscription brève : « Le tronc. » Le tronc, ainsi signalé pour que nul n'en ignore, est formé d'une sorte de trémie, ou de pyramide renversée, aboutissant à un espace carré qui forme caisse et qui s'ouvrait, par une petite trappe basse, sur l'emplacement réservé au moine qui faisait vénérer la relique. Cette trappe était fermée d'une porte solidement scellée.
L'emplacement réservé au moine s'ouvrait sur le bas côté par une fenêtre plus large que haute, séparée en deux parties par un petit pilastre détruit par Edde, ainsi que la frise qui le surmontait, mais dont les traces étaient encore visibles (Grâce à M. l'abbé Gougeon, archiprêtre de la Trinité, qui a fait généreusement les frais de la restauration, le petit pilastre et la frise ont été rétablis dans l'état primitif.). Cette fenêtre était garnie de barreaux dont les scellements se devinent sur la pierre d'appui. Une rainure horizontale pratiquée dans le mur à l'intérieur de l'emplacement permettait au moine debout ou assis dans cet étroit espace de placer ses pieds sans trop de gène ou de fatigue.
Au-dessus de la fenêtre et du tronc, ainsi que derrière l'arcade de l'armoire, le mur plein du xvie siècle continuait, absolument nu du côté du sanctuaire, décoré au contraire de sculptures vers le bas côté. Il était couronné d'une décoration de balustres et de clochetons semblable à celles qui ornaient les autres panneaux de la clôture du choeur (Mabillon, op. cil., p. 55. — l'intérieur de l'église de la Trinité en 1791, plan annexe.)."
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Clôture de chœur de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Après un panneau orné d'une plante dont les fruits évoquent des larmes, viennent deux inscriptions en grec et en latin du même texte, et la date de 1528 :
Ad bustum amici Christus olim flens dedit testem hanc amorisque et doloris lachrymam, et deux vers grecs dont voici le sens : « Viens à moi, Lazare, dit Jésus ; et ces yeux divins, qui ne connaissaient point les pleurs, laissèrent tomber d'abondantes larmes."
Je propose en traduction du latin ceci : "Sur la tombe d'un ami le Christ éploré donna autrefois cette larme en preuve de son amour et de son chagrin."
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Clôture de chœur de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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LE PAN SUIVANT DE LA CLÔTURE.
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Les colonnes et les entablements fourmillent de détails témoignant de l'influence des ornemanistes de la Renaissance (masques, putti, rubans) mais les oves qui se succèdent avec insistance un peu lourde dans la partie haute sont peut être assimilables à des larmes.
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Clôture de chœur de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
Clôture de chœur de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
Clôture de chœur de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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LE PAN SUIVANT : LES ARMOIRIES.
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Dans un décor à nouveau parfaitement Renaissance, les armes de l'abbaye et de son abbé sont représentées.
Tous les détails mériteraient d'être étudiés.
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Clôture de chœur de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Les armoiries de Louis de Crevant.
Elles figurent en partie haute au dessus d'une cuirasse à l'antique et sous un masque crachant des rubans.
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Clôture de chœur de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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On différencie les armoiries de l'oncle et du neveu par la présence d'un lambel à 3 pendants.
Je ne l'observe pas en partie haute de la clôture.
La partie basse, ou soubassement, montre par contre les armoiries de l'abbaye à coté de celles d'Antoine de Crevant dont le lambel est bien visible.
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Clôture de chœur de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
Clôture de chœur de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Les armoiries de l'abbaye (je n'y distingue pas la larme).
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Clôture de chœur de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Les armoiries de l'abbé Antoine de Crevant.
On les trouve aussi sur la jouée sud des stalles (au dessus de Marie-Madeleine au pied de la Croix), ainsi que sur un Bénédictionnaire à l'usage de l'abbaye de la Trinité de Vendôme, commandée par l'abbé, et placées juste en dessous d'une Marie-Madeleine au pied de la Croix : au cas où on n'ait pas compris son attachement à ce thème.
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Bénédictionnaire à l'usage de l'abbaye de la Trinité de Vendôme BM 015 folio f30v, armes d'Antoine de Crevant
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Les armes dotées de leur lambel sont placées sous le chapeau cardinalice, à dix fiocchis (l'abbé de La Trinité de Vendôme à droit au titre de cardinal).
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Bénédictionnaire à l'usage de l'abbaye de la Trinité de Vendôme BM 015 folio f30v, armes d'Antoine de Crevant
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Sur le panneau de la clôture, le lambel et le galero sont bien présent, ainsi que les cinq rangées de houppes 1-2-3-4-5, mêlés artistiquement à des rubans.
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Clôture de chœur de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Autre détail.
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Clôture de chœur de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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PAN SUD-EST.
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Plus sobre ? Les armes de l'abbé y sont tenus par un putti, on voit aussi une tête de mort, et bien d'autres choses.
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Clôture de chœur de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Vue globale (prise avant 1932)
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CONCLUSION.
Il ne m'est pas indifférent qu'à peu près à la même époque, un atelier de sculpture de Basse-Bretagne, celui des Prigent de Landerneau (1527-1577) se distingue des précédents en réalisant sur leurs calvaires des Pietà caractérisées par trois grosses larmes s'écoulant de chaque œil de Marie, Jean et Marie-Madeleine. Ni qu'il place au pied de la Croix une Marie-Madeleine agenouillée.
L'ÉGLISE PRIMITIVE DE LA TRINITÉ DE VENDOME PAR M. L'ABBÉ PLAT, SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE Scientifique et Littéraire DU VENDOMOIS ANNÉE 1925 PREMIER SEMESTRE
L'ARMOIRE A RELIQUES DITE DE LA SAINTE-LARME. — On vénérait autrefois à la Trinité une relique célèbre dont l'authenticité donna lieu à une polémique entre l'abbé Thiers, curé de Vibraye (J.-B. Thiers, Dissertation sur la sainte Larme de Vendôme, 1699), et l'illustre Mabillon (F, M. B., Lettre d'un Bénédictin à Monseigneur l'évêque de Blois, 1700,). Cette relique était conservée, avec d'autres presque aussi célèbres, dans une armoire de pierre qui se trouvait dans le sanctuaire, du côté de l'évangile, et faisait pendant au tombeau de Louis de Crevant. J'ai profité des fouilles pratiquées dans l'église pour rechercher les restes de cette armoire et les dispositions de la clôture du choeur dans laquelle elle se trouvait engagée. Ces recherches ont donné lieu à quelques trouvailles intéressantes que je crois devoir consigner ici, tout en faisant remarquer que, n'ayant pas spécialement recherché les vestiges de l'armoire de la Sainte-Larme, mais bien le mur roman du sanctuaire, je ne garantis pas rigoureusement l'exactitude des résultats obtenus. Néanmoins ils sont trop d'accord avec les documents écrits pour qu'on ne les juge pas exacts dans leur ensemble.
Mabillon (op. cil., p. 49) décrit ainsi l'armoire de la Sainte-Larme : « La sainte Larme est gardée dans une Armoire sous une petite Arcade, à costé droit du Grand Autel, c'est-à-dire du costé de l'Evangile. L'Arcade qui est de pierre, aussi bien que l'Armoire, est soutenue de deux piliers et terminée en forme de voûte. Les Figures sont entaillées dans la pierre. »
Un écrit anonyme, mais qui émanerait, au dire de l'éditeur, d'un des membres du clergé constitutionnel de la Trinité, ajoute d'autre détails : « Le monument, de la Sainte-Larme occupait toute la façade du sanctuaire (côté de l'évangile), depuis la porte qui conduisait derrière l'ancien autel jusqu'à la balustrade. Dans la partie du monument qui formait soubassement, étaient des encadrements en pierre sculptée où se trouvait une porte à deux vantaux, revêtus de cuivre doré, ornée de fleurs de lis... A la suite et à gauche du soubassement, était une ouverture comme une baie de porte, mais sans porte, on descendait une marche et l'on se trouvait dans un espace qui avait toute la profondeur du monument. Vis-à-vis de cette ouverture était une arcade à peu près de la même largeur, dans laquelle il y avait une espèce de fenêtre à deux vantaux pleins et revêtus extérieurement de lames de cuivre. C'était par là que le moine faisait adorer la Sainte-Larme. »
Mabillon donne du monument de la Sainte-Larme un dessin assez médiocre ; un autre dessin est conservé à la Bibliothèque nationale.
M. de Rochambeau estime que le dessin donné par Mabillon est une copie de ce dernier (Voyage à la sainte Larme de Vendôme, dans le Bulletin de la Société archéologique du Vendomois, t. XII, p. 157-212.). En réalité, ce sont deux originaux différents, et si le dessin de Mabillon ne vaut pas l'autre, il le complète néanmoins assez heureusement sur un point intéressant.
Il ressort de ces différents documents qu'au lieu d'être occupée par une clôture à jour, comme les autres arcades du sanctuaire, celle qui se trouvait du côté de l'évangile était close par un mur plein qui comportait un peu à droite une petite arcade portée par deux colonnes, au fond de laquelle s'ouvrait l'armoire de la Sainte-Larme, et à gauche une ouverture donnant sur le bas côté par une double petite fenêtre.
C'est de ces dispositions que j'ai retrouvé les restes en partie. Quand le monument de la Sainte-Larme fut détruit en 1803 par le sieur Edde, sacristain (Abbé Mêlais, L'église et l'abbaye de la Trinité pendant la Révolution, dans le Bulletin de la Société archéologique du Vendomois. I. XXV, p. 200206.), agissant évidemment d'après les ordres de la fabrique, celui-ci avait monté à sa place jusqu'à hauteur d'appui un mauvais mur de pierres tendres, et rempli de gravats l'espace compris entre ces pierres de taille et le fond du monument, vers le bas côté. Mais il s'était contenté de recouvrir les gravats d'une couche de plâtre. Celle-ci s'étant effritée, j'enlevai un jour quelques gravats et reconnus ainsi le fond de l'armoire de la Sainte-Larme ; puis, à gauche de l'armoire, un tronc de pierre en forme de trémie de moulin, ménagé dans la muraille même ; enfin, plus à gauche encore, l'emplacement où se tenait le moine pour faire vénérer la relique aux pèlerins qui défilaient dans le bas côté.
Ces résultats encourageants furent complétés lors de mes fouilles proprement dites où je retrouvai dans le sanctuaire la base d'une des colonnettes de l'arcade qui abritait l'armoire. C'était la base de la colonnette de droite. Elle se trouvait à l'angle d'un seuil usé qui avait été évidemment le seuil du monument.
En interprétant ces découvertes à l'aide des documents écrits et dessinés, j'ai pu établir des conclusions et dresser, un plan dans lesquelles l'hypothèse n'intervient que pour une part minime et, je l'espère, justifiée.
Le monument de la Sainte-Larme se divisait en deux parties. L'une, la plus ancienne, se composait de l'arcade, des colonnettes qui la portaient et, sans doute, des statues qui l'ornaient. J'y reviendrai tout à l'heure. L'autre, dont toute la base subsiste encore comprenait un mur plein élevé au xvie siècle, exactement en 1528, en même temps que le reste de la clôture du choeur. L'analogie du travail et des motifs sculptés, le rapprochement des dates, enfin l'usage où l'on était à Vendôme de s'adresser aux artistes tourangeaux ( C'est un orfèvre tourangeau, Adrien, qui avait fourni en 1492 la châsse de saint Eutrope donnée par Aimery de Coudun. On a vu plus haut que c'est à un sculpteur tourangeau, au moins de domicile, qu'on s'adressa pour le tombeau de Louis de Crevant. ll se trouve aussi que les grands travaux de l'abbatiale de Marmoulier s'achevaient, dans la première décade du xive siècle, quand on commençait ceux de l'abbatiale de Vendôme.), me font croire que ce magnifique ensemble est le chef d'oeuvre de l'atelier auquel on doit le portail de Saint-Symphorien près de Tours (1526-1531).
Ce mur plein se composait d'un soubassement qui subsiste encore et se trouve au même niveau que le soubassement des parties intactes de la clôture du choeur. Il est décoré de sculptures et porte deux inscriptions dans des cartouches, l'une grecque, l'autre latine, toutes deux relatives à la Sainte-Larme. Un autre cartouche, dans une partie légèrement bombée du soubassement, porte cette inscription brève : « Le tronc. » Le tronc, ainsi signalé pour que nul n'en ignore, est formé d'une sorte de trémie, ou de pyramide renversée, aboutissant à un espace carré qui forme caisse et qui s'ouvrait, par une petite trappe basse, sur l'emplacement réservé au moine qui faisait vénérer la relique. Cette trappe était fermée d'une porte solidement scellée.
L'emplacement réservé au moine s'ouvrait sur le bas côté par une fenêtre plus large que haute, séparée en deux parties par un petit pilastre détruit par Edde, ainsi que la frise qui le surmontait, mais dont les traces étaient encore visibles (Grâce à M. l'abbé Gougeon, archiprêtre de la Trinité, qui a fait généreusement les frais de la restauration, le petit pilastre et la frise ont été rétablis dans l'état primitif.). Cette fenêtre était garnie de barreaux dont les scellements se devinent sur la pierre d'appui. Une rainure horizontale pratiquée dans le mur à l'intérieur de l'emplacement permettait au moine debout ou assis dans cet étroit espace de placer ses pieds sans trop de gène ou de fatigue.
Au-dessus de la fenêtre et du tronc, ainsi que derrière l'arcade de l'armoire, le mur plein du xvie siècle continuait, absolument nu du côté du sanctuaire, décoré au contraire de sculptures vers le bas côté. Il était couronné d'une décoration de balustres et de clochetons semblable à celles qui ornaient les autres panneaux de la clôture du choeur (Mabillon, op. cil., p. 55. — l'intérieur de l'église de la Trinité en 1791, plan annexe.).
Mais la partie la plus intéressante du monument de la Sainte-Larme est celle qui, malheureusement, a été le plus complètement détruite, je veux dire l'arcade décorée de sculptures qui précédait et encadrait l'armoire. De son plan, tel que je le restitue, deux éléments m'ont été fournis par les fouilles : c'est la colonnette de droite et le fond de l'armoire. J'ai pu ainsi rétablir la profondeur de l'arcade, et sa largeur aussi, puisqu'il suffisait de placer l'autre colonnette dans une position symétrique à celle de la première. Quant au mur de l'arcade, derrière chaque colonnette, le dessin de la Bibliothèque nationale et celui de Mabillon permettent d'en restituer le plan sans trop d'incertitude. Le dessin de Mabillon en particulier permet de voir que la colonnette était montée sur un dosseret un peu plus étroit que le mur même, mais que le dégagement ainsi formé s'arrêtait à l'astragale du chapiteau et n'affectait pas non plus le tailloir.
Il est également évident, d'après les deux dessins, que le devant de l'armoire faisait saillie sous l'arcade. Par suite de cette saillie, les deux dessinateurs ne pouvaient apercevoir le bas de la scène qui ornait le tympan, ce qui fait que dans les deux dessins cette scène est tronquée dans sa partie inférieure. Il est bien probable que cette disposition n'existait pas dans l'origine, mais qu'elle ne remontait qu'au xvie siècle.
Au reste, lors même que les dessins n'auraient fourni à ce sujet aucune indication, il eût été facile de conjecturer que l'armoire formait saillie, en remarquant qu'elle eût été sans cela d'une étroitesse extrême et qui n'aurait pas permis de loger les reliquaires à l'intérieur. Je lui attribue approximativement 0 m. 40 de profondeur, ce qui permet de placer en arrière d'une double porte épaisse une tablette d'au moins 0 m. 20 de profondeur. Cet espace suffit pour le reliquaire de la Sainte-Larme qui n'avait que 0 m. 16 de large (environ 6 pouces, dit Mabillon). La tablette que je suppose n'a laissé d'autre trace dans le mur du fond de l'armoire que celle des trois scellements qui servaient à la porter.
Un point plus délicat à établir, c'est la date de l'arcade. La base de la colonnette appartient bien au xive siècle. La dépression de la scotie, l'aplatissement du tore permettent même de préciser assez rigoureusement l'époque : elle appartient à la seconde campagne de reconstruction qui comprit la partie supérieure des deux premières chapelles du déambulatoire, la travée du choeur et celle du bas côté qui lui correspond.
1320 conviendrait assez comme date moyenne de cette campagne. On aurait donc attendu que le chevet de l'église fût complètement achevé pour y replacer le monument de la Sainte-Larme. « Replacer » est le mot juste, car si les dessins que nous possédons semblent indiquer par les crochets et les trèfles qu'on y aperçoit sur une façade d'église sculptée en haut et à droite, que cette partie fut restaurée au xive siècle, l'ensemble de l'arcade évoque indiscutablement une date antérieure. L'imperfection des dessins est telle qu'on ne saurait rien établir de rigoureusement fondé sur les détails qu'ils représentent. Néanmoins, à cause des tailloirs ornés de figures d'anges et des mentonnières portées par les figures de femmes, j'inclinerais à voir dans l'arcade une oeuvre du commencement du xme siècle et de l'école angevine. Les statues elles-mêmes seraient de la même époque. Dans le dessin auquel nous nous' référons, on ne voit pas la base sur laquelle elles reposent, non plus que -les bases des colonnettes, parce que le sol du sanctuaire avait été relevé depuis le xive siècle, sans doute en 1632, quand on reconstruisit le maître-autel.
Il faut regretter que des querelles purement spéculatives sur l'authenticité de la Sainte-Larme, jointes au peu de respect que l'on professait jadis pour les vestiges du passé, aient amené la destruction d'un monument si curieux et qui, s'il avait à certains yeux le défaut de rappeler l'objet d'un culte discuté, aurait dû garder pour tous l'avantage d'être l'une des plus belles armoires à reliques qui aient jamais existé."
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SOURCES ET LIENS.
.— MABILLON , Jean 1700, Lettre d'un bénédictin à Monseigneur l'évesque de Blois : touchant le discernement des anciennes reliques, au sujet d'une dissertation de Mr Thiers, contre la sainte larme de Vendôme ([Reprod.]) / [par le père Mabillon] chez Pierre de Bats (Paris)
— ISNARD (Isabelle), L’abbatiale de La Trinité de Vendôme, Rennes, Presses universitaires de Rennes (collection Art & société), 2007, 1 vol., XII -331 p., illustrations noir et blanc, bibliogr., notes bibliogr., glossaire, index. ISBN : 978-2-7535-0370-0
Isabelle Isnard, Etude architecturale de l'abbatiale de la Trinité de Vendôme : le chantier gothique thèse soutenue en 2003 à Paris 4.
— ISNARD (Isabelle), 2009 - La Sainte Larme de l'abbaye de la Trinité de Vendôme ...
— JOUBERT (Fabienne)2006, L'artiste et le clerc: commandes artistiques des grands ecclésiastiques à la fin du Moyen Âge (XIVe-XVIe siècles), Presses Paris Sorbonne, pages 190-192
—SOCIÉTÉ DES AMIS DU MUSÉE NATIONAL DE LA RENAISSANCE AU CHÂTEAU D’ÉCOUEN Note d’information N° 298 –Février 2019 JOURNÉE A VENDÔME LE 19 DÉCEMBRE 2018
"la partie basse de l’armoire au décor Renaissance subsiste. La surface est couverte de figuration de larmes ; les pilastres portent des décors d’oiseaux affrontés au-dessus de riches rinceaux en candélabre, ou un réseau enserrant les emblèmes de la Passion. Deux putti italianisants sont placés en dessous de la niche de l’ostension de la relique. Deux inscriptions en grec et en latin sur un cartouche en trompe l’œil, figuré comme suspendu en biais en donnent le sens. Récemment l’extérieur de la clôture et l’armoire ont été couverts d’une peinture ocre jaune… Une clôture à claire-voie a été posée entre chaque pilier du tour du chœur. Chacune des travées est de structure et de type de décoration différents ; la plus ambitieuse étant celle d’axe. L'élément de clôture face à la chapelle des Saints vendômois allie le gothique flamboyant et l'art de la Renaissance avec sur la base deux grands médaillons ; des pilastres et des balustres placés au sommet, très ornés, avec des bandeaux latéraux décorés de perles, de denticules, d'oves et de dards. L'intérieur de la clôture que l'on observe du chœur montre à la fois une sculpture très travaillée, des motifs très imaginatifs, souvent pittoresques, en général antiquisants, faisant appel au répertoire de la première Renaissance. On observe des personnages légèrement sculptés, Apollon ailé et nu tenant son arc, des putti joueurs, des crânes, des animaux monstrueux… On remarque dans l’exécution des différences de qualité, avec des parties plus frustes, en particulier dans les zones plus discrètes. On peut penser que plusieurs tailleurs de pierre ont œuvré selon des dessins très ambitieux. Notons aussi les armoiries de l'abbaye (l’agneau). "
La première abbaye de la Trinité, affiliée à Cluny, fut fondée en 1032 par Geoffroy Martel, comte de Vendôme ; l'église fut consacrée en 1040, puis remaniée un siècle plus tard : parmi ces derniers travaux, il faut rappeler la construction de la chapelle de la Majesté-Notre-Dame, à l'est du croisillon sud du transept pour laquelle un atelier de l'école angevine pourrait avoir exécuté le vitrail du XIIe siècle, dit »de la Vierge de Vendôme ».
À la fin du XIIIe siècle, l'édifice ainsi aménagé ne paraît plus convenir aux moines qui obtiennent les moyens de reconstruire leur église ; les travaux débutent peu après 1280 par l'élévation du chœur et du déambulateur qui se trouvent simultanément pourvus de vitraux par un donateur de l'entourage du roi, peut-être Jeanne de Châtillon. Cette récente datation des vitraux du chœur (Lillich, 1973) fait reculer leur ancienneté d'une quinzaine d'années par rapport aux dates précédemment retenues.
Les travaux de reconstruction de l'édifice se poursuivent vers l'ouest par la surélévation de l'ancien transept puis la construction de la nef en plusieurs campagnes qui s'échelonnent sur les XIVe et XVe siècle , et jusque vers 1507. Le XVIe siècle est représenté dans les vitraux de la Trinité, du fait des travaux menés après 1492 par Louis de Crevant, 32e abbé de La Trinité de 1487 à 1522. Ce dernier porte le titre de cardinal-abbé de la Sainte-Trinité. Son neveu Antoine de Crevant, dernier abbé régulier (élu) avant le régime de la prébende, lui succède de 1522 à 1539. Il embellit l'abbatiale par la clôture de chœur, le monument de la Sainte-Larme, les stalles et le tombeau de Louis de Cravant, réalisé vers 1530.
La baie 25 qui nous intéresse étant située dans le transept, elle peut être datée du premier quart du XVIe siècle.
Certains vitraux ont été restaurés en 1875 par l'atelier Lorin, d'autres en 1900 par l'atelier Bonnot, puis en 1920 les baies du haut-chœur sont réorganisées, , avant une restauration générale après la seconde guerre en 1955-1960 par J.J. Gruber.
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LA BAIE 25, ou VERRIÈRE DE LA FONTAINE DE VIE AVEC LES RESSUSCITÉS.
Elle occupe le mur sud du transept nord.
Ses 3 lancettes trilobées et son tympan forment une baie de 4 m. de haut et 2,10 m de large. Outre le tympan à 3 soufflets et écoinçons comportant un buste du Christ et des anges du XIXe siècle, et un registre inférieur de verres losangés rouges, les 18 panneaux figurés sont consacrés à une Crucifixion centrale dont le sang alimente une vasque placée dans une cuve hexagonale formant bassin. Le sang de la vasque s'écoule dans cette cuve par des déversoirs en tête de lion.
Le long des parois de la cuve, des dignitaires laïcs (à droite) et religieux (à gauche) sont agenouillés en adoration.
Dans la vasque sont figurés les quatre évangélistes, assis.
De chaque coté de la cuve, debout sur une pelouse, saint Pierre et saint Paul énoncent dans des phylactères les versets de leur épître soulignant que c'est par son sang versé que le Christ a lavé l'humanité de ses fautes.
Enfin, dans l'axe inférieur de l'écoulement du sang, un panneau de grisaille (l'une des faces de la cuve) porte un pavé de citations développant l'argumentation théologique.
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Les intérêts de cette verrière sont multiples. Pour moi, qui vient de décrire le "Puits de Moïse" de la Chartreuse de Champmol et d''y avoir déceler une Fontaine de vie à la croix surplombant une pile hexagonale, il me plait de développer les comparaisons entre les deux réalisations, à plus d'un siècle d'intervalle (le Puits de Moïse date de 1402 environ). Le point commun, c'est cette théologie mystique qui place au centre de sa pratique la contemplation du sang du Christ s'écoulant du Crucifix.
L'intérêt vient aussi de la période de datation, correspondant à un renouveau des représentations des Miracles eucharistiques, du culte du Saint-Sacrement, et du débat initié par les théologiens protestants sur la communion sous les deux espèces et sur la présence réelle.
Mais l'un des apports de cet article va être de décrypter le corpus des inscriptions (je n'ai pas trouvé d'auteurs qui se soit livré à cet exercice), et de dévoiler ainsi les références faites aux épîtres de Pierre et de Paul, qui sont placés ici en puissance tutélaire.
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L'iconographie des Fontaines de vie.
On peut, comme Émile Mâle a commencé à le faire, suivre ce thème iconographique de la Fontaine de vie, et l'associer à celui du Pressoir Mystique.
Le thème de la Fontaine de vie a été étudié par Émile Mâle en 1908, et il en donne, outre le vitrail de Vendôme, les exemples suivants :
Le culte du sang du Christ inclut aussi celui des Cinq Plaies, de Saint Longin et de la Sainte Lance, du Pressoir mystique, et la représentation des anges hématophores autour des crucifix (depuis Cimabue et Giotto, et en 1400 à Bruges), mais aussi la légende du Précieux Sang et celle du Graal. Il aurait été interdit par le pape Pie II en 1464. En 1960, le pape Jean XXIII fit du mois de Juillet celui du Très Précieux Sang. Je trouve en ligne ce texte sur un site catholique:
"L’amour et la dévotion au Précieux Sang de Notre Seigneur est présent dès les Epîtres de saint Paul et dans les écrits des Pères de l’Eglise. Ils constituent une méditation sur le sacrifice parfait du Fils de Dieu, qui éteint les vains sacrifices qui, depuis celui d’Abel le Juste, étaient incapables de restaurer pour nous la pleine communion avec le Père Eternel, communion rompue depuis le péché originel. En Occident, la dévotion envers le Très-Précieux Sang s’est développée tant sous l’impulsion de plusieurs mystiques (sainte Catherine de Sienne ou sainte Marie-Madeleine de Pazzi par exemple) que sous celle de nombreux miracles eucharistiques. L’institution en 1849 de la fête du Précieux Sang, qui est comme un complément liturgique de la Fête-Dieu (elle-même complément du Jeudi Saint) revient au Bienheureux Pie IX, lorsque le Pape, chassé de Rome par les révolutionnaires de 1848, revint de son exil de Gaète".
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Il faut l'associer aussi au thème de l'Agneau mystique, qui réunit la figure christique de l'agneau égorgé de l'Apocalypse (Ap 5,6.8.12.13 ; 6,1.16 ) et la référence à saint Jean-Baptiste (Jn 1:29 ) présentant Jésus en disant "Voici l'Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde". En Israël, le mouton constituait le sacrifice le plus fréquent, et lors de la très ancienne fête de Pâque, c’est un agneau que la famille immolait puis mangeait ensemble (cf. Ex 12 ; 34,18 ; Lv 25,5-8 ; Nb 28,16-25; Dt 16,1-8). C'est ce que les frères Van Eyck ont représenté sur le Polyptyque de Gand en 1420-1432.
Il inclut aussi le culte des Stigmates reçues par saint François au XIIIe siècle, ou plus généralement de toutes les blessures sacrées,comme celles infligées à saint Sébastien.
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Le culte du Sang du Christ : l'aspersion des fidèles et l'épître de Pierre.
Mais en réalité, il faut peut-être en trouver l'origine dans le début de la première épître de l'apôtre Pierre : 1Pierre 1:1-2 : "Pierre, apôtre de Jésus Christ, à ceux qui sont étrangers et dispersés dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l'Asie et la Bithynie, et qui sont élus selon la prescience de Dieu le Père, par la sanctification de l'Esprit, afin qu'ils deviennent obéissants, et qu'ils participent à l'aspersion du sang de Jésus Christ: que la grâce et la paix vous soient multipliées!"
Dans une tournure encore plus frappante, Jean-Paul II concluait ainsi son audience aux pèlerins de Sanguis Christi : "dans l'amour de Celui qui nous a "aspergés de son sang" (cf. 1 P 1, 2), je vous bénis tous de grand coeur.".
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Une pratique dévotionnelle monastique : la contemplation de l'aspersion par le Crucifié.
De nombreux documents iconographiques montrent un moine (notamment saint Dominique) contemplant un crucifix sur lequel le Christ est ensanglanté de manière accentuée : non seulement les plaies des mains s'écoulent sur le sol, les plaies des pieds coulent le long de la croix et forment un ruisseau qui descend les pentes d'un Golgotha plus ou moins esquissé, mais surtout un jet puissant jaillit du flanc droit et dessine un arc en direction du moine, l'aspergeant sans néanmoins l'atteindre.
Cette pratique de dévotion participative (dont le but était de ressentir physiquement les douleurs et émotions du Christ lors de la Passion) est donc centrée sur l'écoulement du sang. Elle est illustrée dès le XIIIe siècle (1260- 1280) dans le De modo orandi.
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Un thème associé : Marie-Madeleine au pied de la Croix où ruisselle le sang du Christ.
La figure de Marie-Madeleine agenouillée au pied de la croix, les mains tendues vers le Christ, ou les bras étreignant la Croix (le sang passant alors dans l'arche de ses bras) est devenue un modèle pour les moines, d'autant qu'à l'écoulement du sang se mêlait celui des larmes : aspersion du sang et "baptême des larmes".
L'importance accordée à l'écoulement des larmes des fidèles comme participation à la Passion, écoulement de repentir et de compassion dont Marie-Madeleine est l'exemple, est d'autant plus présent à Vendôme où se vénérait la Sainte Larme, une relique des larmes versées par Jésus lors de la mort de Lazare. La relique recueillie par un ange aurait été confiée ensuite à Marie-Madeleine, puis serait arrivée de Constantinople à Vendôme dès le XIe siècle, et attirant ensuite les foules en pèlerinage. En 1528, un monument Renaissance décoré de larmes sculptées fut édifié autour de l'armoire à relique.
On n'oubliera pas également qu'en 1474, le comte de Vendôme y avait décidé la construction de l'église Sainte Marie-Madeleine avec le soutien des habitants, et des confréries de vigneron.
Certes, l'artiste n'a pas représenté la sainte sur ce vitrail, mais une chapelle lui est dédiée dans l'abbaye, avec un vitrail la montrant aux pieds du Christ lors du repas chez Simon. D'autre part, et surtout, la baie 25 de la Fontaine de vie était accompagnée, au transept nord, par un vitrail de Madeleine pénitente en baie 23, aujourd'hui perdu. Enfin, un bénédictionnaire la représente au pied de la Croix, la paume de la main placée sur le ruisseau de sang.
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Bénédictionnaire à l'usage de l'abbaye de Vendôme, 1522-1539, BM Vendôme ms 00015 f. 30v
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Ce n'est pas tout, puisque l'une des deux jouées des stalles (datant de cette période 1522-1539, postérieure à notre vitrail, où Antoine de Crevant était abbé) représente Marie-Madeleine au pied de la Croix. Le panneau inférieur est sculpté de deux grosses larmes.
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Joue sud-est des stalles de l'église de Vendôme. Photographie lavieb-aile.
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DESCRIPTION DU VITRAIL.
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Baie 25,la Fontaine de vie, XVIe s. transept nord de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
Baie 25, la Fontaine de vie, XVIe s. transept nord de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
Baie 25, la Fontaine de vie, XVIe s. transept nord de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Le circuit du Sang.
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Le sang s'écoule en flots continus des mains, du flanc et des pieds du Christ sous la forme de cinq épais rubans rouges. Ces cinq rubans convergent en un seul qui coule le long de la croix.
Il remplit alors une vasque, sur les bords de laquelle sont assis les quatre évangélistes (saint Jean est le 3ème à partir de la gauche).
La vasque se vide par des déversoirs en tête de lion dans une cuve hexagonale où Adam et Ève vénèrent la Croix, les mains jointes. .
Le long des parois de la cuve, des dignitaires laïcs (à droite) et religieux (à gauche) sont agenouillés en adoration.
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Baie 25, la Fontaine de vie, XVIe s. transept nord de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Baie 25, la Fontaine de vie, XVIe s. transept nord de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Le Christ en croix.
Le pan gauche du pagne est flottant, comme sur les gravures allemandes et rhénanes du temps.
La chevelure est peinte à la sanguine.
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Baie 25, la Fontaine de vie, XVIe s. transept nord de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Baie 25, la Fontaine de vie, XVIe s. transept nord de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Saint Pierre tenant sa clef, et un évangéliste (Matthieu ?) écrivant son Livre, au dessus d'Adam.
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Baie 25, la Fontaine de vie, XVIe s. transept nord de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Saint Pierre et son phylactère.
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Le texte :
Benedictus Deus et Pater Domini nostri Jesu Christi, qui secundum misericordiam suam magnam regeneravit nos in spem vivam, per resurrectionem Jesu Christi ex mortuis.
Première épître de Pierre 1:3 "Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ, qui, selon sa grande miséricorde, nous a régénérés, pour une espérance vivante, par la résurrection de Jésus Christ d'entre les morts,"
Le commanditaire n'a pas retenu le verset 2, aspersionem Jesu Christi, pourtant plus spectaculaire et plus adapté à l'image, et il faut donc replacer le verset 3 de la première épître de Pierre dans son contexte initial. Il faut aussi lire les versets explicites 18 à 23 :
"sachant que ce n'est pas par des choses périssables, par de l'argent ou de l'or, que vous avez été rachetés de la vaine manière de vivre que vous avez héritée de vos pères, mais par le sang précieux de Christ, comme d'un agneau sans défaut et sans tache, prédestiné avant la fondation du monde, et manifesté à la fin des temps, à cause de vous, qui par lui croyez en Dieu, lequel l'a ressuscité des morts et lui a donné la gloire, en sorte que votre foi et votre espérance reposent sur Dieu. [...] Car Toute chair est comme l'herbe, Et toute sa gloire comme la fleur de l'herbe. L'herbe sèche, et la fleur tombe; Mais la parole du Seigneur demeure éternellement."
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Baie 25, la Fontaine de vie, XVIe s. transept nord de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Adam dans la cuve et son phylactère-bulle.
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Le texte :
Sed in misericordiam suam, Salvos, nos fecit per lavacrum regenerationis et renonationis
Il s'agit de l'épître à Tite, 3:4 "[il nous a sauvés, non à cause des œuvres de justice que nous faisions,] mais selon sa miséricorde, par le bain de la régénération et en nous renouvelant par le Saint-Esprit". (trad. Crampon)
La référence au sang n'apparaît pas, mais le mot adapté à la scène est celui de Lavacrum "bain, purification" . Le sang du Christ lave l'humanité (figurée par Adam et Ève) de ses péchés.
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Baie 25, la Fontaine de vie, XVIe s. transept nord de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Saint Paul et son phylactère-bulle.
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Texte :
blasphemus fui, et persecutor, sed misericordiam consecutus sum, quia ignorans feci in incredulitate.
Paul épître à Timothée 1:13 "Je rends grâces à celui qui m'a fortifié, à Jésus Christ notre Seigneur, de ce qu'il m'a jugé fidèle, en m'établissant dans le ministère, moi qui étais auparavant un blasphémateur, un persécuteur, un homme violent. Mais j'ai obtenu miséricorde, parce que j'agissais par ignorance, dans l'incrédulité;"
Paul expose la grâce ou miséricorde dont il a bénéficié malgré ses torts envers le Christ et les chrétiens. Dans le contexte de la citation d'Adam, il a été lavé de ses péchés. Une citation plus importante d'une épître de Paul, celle aux Hébreux, sera donné dans le registre inférieur.
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Baie 25, la Fontaine de vie, XVIe s. transept nord de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Ève dans la cuve et son phylactère.
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sanguis Ihesu emundat nos ab omni peccato.
"le sang de Jésus Christ son Fils nous purifie de tout péché."
Il s'agit du verset Jean 1:4, et donc du tout début de l'évangile de Jean. Le verbe emundo "nettoyer, purifier" a donner en français "émonder".
C'est le verset clef, énonçant clairement que le sang s'écoulant du Christ crucifié lave et purifie de tout péché : la Fontaine de sang est une figuration du Salut ou Rédemption.
Je rappelle que Jean est représenté, comme Pierre et Paul les deux autres auteurs, au bord de la Fontaine.
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Baie 25, la Fontaine de vie, XVIe s. transept nord de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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LE REGISTRE INFÉRIEUR : LES RESSUSCITÉS, ET L'ARGUMENT THEOLOGIQUE.
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Le clergé à gauche.
Un pape est suivi par deux cardinaux et deux évêques, puis des hommes barbus (des laïcs) vêtus de capes .
Les papes entre 1503 et 1521 sont Jules II puis Léon X.
Baie 25, la Fontaine de vie, XVIe s. transept nord de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Les laïcs à droite.
Un empereur, un roi et une reine, d'autres personnages. Même emprunt à l'Agneau mystique
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L'inscription inférieure est difficile à déchiffrer hormis --- filii nostri.
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Baie 25, la Fontaine de vie, XVIe s. transept nord de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Les inscriptions centrales.
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1°) En haut.
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Si enim sanguis hircorum et taurorum, et cinis vitulae aspersus inquinatos sanctificat ad emundationem carnis: quanto magis sanguis Christi, qui per Spiritum Sanctum semetipsum obtulit immaculatum Deo, emundabit conscientiam nostram ab operibus mortuis, ad serviendum Deo viventi. épître aux Hébreux 9:13-14
"Car si le sang des taureaux et des boucs, et la cendre d'une vache, répandue sur ceux qui sont souillés, sanctifient et procurent la pureté de la chair, combien plus le sang de Christ, qui, par un esprit éternel, s'est offert lui-même sans tache à Dieu, purifiera-t-il votre conscience des oeuvres mortes, afin que vous serviez le Dieu vivant!"
Nous retrouvons le mot emundat, traduit ici par "purification". Saint Paul oppose les sacrifices animaux des Juifs, à but expiatoire (ou propiatoire), et le sacrifice du Christ lors de sa Passion qui a valeur de "rachat". Le texte, fondamental, est lu lors de l'office Pretiosissimi sanguinis
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2°) En bas à gauche.
qui dilexit nos, et lavit nos a peccatis nostris in sanguine suo,et fecit nos regnum, et sacerdotes Deo et Patri suo. Jean, Apocalypse 1:5-6
"A celui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, et qui a fait de nous un royaume, des sacrificateurs pour Dieu son Père."
Baie 25, la Fontaine de vie, XVIe s. transept nord de l'église de la Trinité à Vendôme. Photographie lavieb-aile août 2019.
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SOURCES ET LIENS.
— GRODECKI (Louis), PERROT (Françoise) FINANCE (Laurence de) et al. 1981, Les vitraux du Centre et des Pays de la Loire, Corpus vitrearum vol. II, ed. du CNRS
— MÂLE (Emile), 1908, L'art religieux à la fin du Moyen-Âge en France, Pari, page 103 et suiv.
https://archive.org/details/lartreligieuxde00ml/page/110 s
— PLAT (Gabriel),1934, l'église de la Trinité de Vendôme,
"Le grand vitrail de la " Fontaine de Vie », qui garnit une fenêtre du croisillon nord est d' un médiocre intérêt artistique, mais sa valeur théologique et son intérêt iconographique l ' ont rendu célèbre. Dans le même croisillon, un pittoresque panneau représente la Madeleine à la Sainte-Baume."
—VENARD MarcVenard, « Le Sang du Christ : sang eucharistique ou sang relique ? », Tabularia[En ligne], Les « Précieux Sangs » : reliques et dévotions, mis en ligne le 26 juin 2009, consulté le 28 septembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/tabularia/1128 ; DOI : 10.4000/tabularia.1128
La croix placée devant l'actuelle chapelle Saint-Laurent (qui, en 1952, remplaça l'ancien sanctuaire détruit par les bombardements) à Crozon, quartier de Tal-ar-Groas, n'occupe pas son site d'origine, et résulte en fait de la recomposition d'éléments sans doute disparate du milieu du XVIe siècle. En effet, selon les experts de l'Inventaire général, une Vierge de pitié en kersantite, laissée, sur le revers, sous le coup de l'outil, est réunie à un nœud et un crucifix en granite.
Mais l'examen attentif, aux jumelles, de la Vierge décèle, sur son visage, les trois larmes caractéristiques de la production des frères Bastien et Henri Prigent, actif à Landerneau autour de 1550 et responsable des calvaires monumentaux de Plougonven (1554) et de Pleyben (1555), tandis que leur compagnon Fayet a signé le calvaire de Lopérec. C'est dire, et le choc esthétique qu'il suscite le confirme, que nous avons ici, sur un emplacement qui n'a rien de touristique, un vrai petit chef d'œuvre dont la commune peut s'enorgueillir, car parmi les 14 croix et calvaires répertoriés à Crozon par l'Atlas, et dont la plupart sont des vestiges sommaires, la croix de Tal-ar-Goas sort du lot.
Il faut reconnaître qu'elle n'est pourtant pas favorisée. Placée au centre d'un petit triangle de pelouse devant une chapelle fort ingrate, entre une route, un hangar et une maison individuelle, elle est en outre mal "orientée", c'est à dire que le crucifix qui est sa face principale et sa raison d'être n'est pas tournée vers l'occident, face au soleil couchant dont le déclin s'accorde, en règle, avec la mort du Christ.
D'ailleurs, le BDHA de 1907, René Couffon en 1988 ou le numéro d'Avel Kornog sur Tal ar Groas en 2015 n'en disent rien. Yves-Pascal Castel la décrit brièvement dans son Atlas (398. Tal-ar-Groas no 1 g. k. 1,5 m. XVIè s. Trois degrés. Socle orné d’armatures trilobées. Fût rond. noeud gravé, sainte Face, anges avec instruments de la Passion. Croix à branches rondes, crucifix, Vierge de Pitié. ) en 1980. Emmanuelle Le Seac'h l'ignore dans son catalogue des œuvres de Bastien et Henri Prigent de 2014, et ce n'est que récemment qu'a été mis en ligne le dossier de l'Inventaire Général de 2010 soulignant " Le groupe de la Vierge de Pitié s'inscrit dans une production artistique de qualité qui caractérise les créations des sculpteurs finistériens du 16e siècle, notamment l'atelier des frères Bastien et Henry Prigent actif autour de 1550 (calvaires de Lopérec et Plougonven)". (Dossier IA29004861). Les trois larmes de la Vierge ne s'y trouvent pas décrites.
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Description.
Sur son emmarchement en schiste et microdiorite quartzite à trois degrés est posé un socle carré orné d'arcades trilobées, puis un fût circulaire en granite, qui reçoit un "nœud" de kersanton, qui transforme la section circulaire en une base carrée. Ce nœud est sculpté sous le crucifix d'un "voile de Véronique" ou Sainte Face, et de l'autre de deux anges séparés par une croix, et tenant l'un les clous et l'autre le marteau, deux instruments de la Passion. On remarque aussi une couronne d'épines entourant l'intersection de la croix. Ces anges ont la chevelure frisée en boules qu'affectionne l'atelier ducal du Folgoët.
Au dessus de ce nœud, et du coté principal, une croix à branches rondes, en granite, porte le Christ.
C'est du coté opposé (heureusement le mieux visible de la route) se trouve la Vierge de Pitié. On constate vite que le bloc a été brisé (ou même scié) , mais assez habilement réparé par du ciment pierre : le bras droit du Christ est en deux morceaux, sa jambe droite (et sans doute gauche) est sciée, le buste de la Vierge et ses jambes sont brisées, tandis que l'arrière semble avoir été frappé par une lourde masse. La sculpture a-t-elle réellement été "laissée, sur le revers, sous le coup de l'outil," ou simplement brisée ?
Je commencerai d'emblée en soulignant la présence des trois larmes sous chaque œil, d'abord parce qu'elles sont difficiles à voir sous l'éclairage habituelle, et surtout parce qu'elles constituent la signature la plus sûre de l'atelier de sculpture de la kersantite de Bastien Prigent et de son frère (ou fils?) Henri, établis à Landerneau et actifs entre 1527 et 1577.
Mais l'image montrera aussi immédiatement la qualité de l'œuvre, plus fine et racée que beaucoup de Pietà sortis de cet atelier.
On remarquera les yeux en amande aux larges paupières, l'arcade sourcilière en éventail très pur, le nez droit, la bouche sans amertume, à la lèvre inférieure discrètement avancée.
On verra aussi le voile "coqué" (pour reprendre le terme d'E. Le Seac'h), c'est à dire formant autour de la tête un habitacle de toile raide, plissée au dessus et en auvent sur le coté.
Et l'admirable enchevêtrement des plis de la guimpe .
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Vierge de Pitié (kersanton, Prigent, vers 1550), Croix de Tal ar Groas à Crozon. Photographie lavieb-aile septembre 2019.
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LA FACE SECONDAIRE : LA VIERGE DE PITIÉ.
Vue générale en fin de journée.
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Croix de Tal ar Groas à Crozon. Photographie lavieb-aile septembre 2019.
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Croix de Tal ar Groas à Crozon. Photographie lavieb-aile septembre 2019.
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La Pietà.
La Vierge, assise, avance le genou droit en équerre, et supporte ainsi le haut du tronc de son Fils, dont elle soutient la nuque de la main. L'autre jambe est plus fléchie, et reçoit le haut des cuisses du Christ, dont le corps est ainsi incliné . Elle le retient par sa main gauche.
Le Christ a les jambes parallèles (et non croisées, comme on le voit souvent), et son bras tombe avec beaucoup de naturel en formant une courbe. C'est si naturel qu'on sera surpris de voir, dans d'autres Pietà du même atelier, ce bras, alors trop court, descendre sans courbure le long de la jambe maternelle ; mais c'est là le moyen d'exposer la plaie de la paume, ici non apparente.
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Vierge de Pitié (kersanton, Prigent, vers 1550), Croix de Tal ar Groas à Crozon. Photographie lavieb-aile septembre 2019.
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Le contour rond de Marie forme une tente protectrice et tendre tandis que les lignes du corps de Jésus sont droites, cassées, croisées, inscrivant le drame de la Crucifixion et de la Mort.
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Vierge de Pitié (kersanton, Prigent, vers 1550), Croix de Tal ar Groas à Crozon. Photographie lavieb-aile septembre 2019.
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Vierge de Pitié (kersanton, Prigent, vers 1550), Croix de Tal ar Groas à Crozon. Photographie lavieb-aile septembre 2019.
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Vierge de Pitié (kersanton, Prigent, vers 1550), Croix de Tal ar Groas à Crozon. Photographie lavieb-aile septembre 2019.
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Le thorax du Christ ne porte pas la trace de la plaie du flanc droit, ce qui est très étonnant, mais s'accorde avec le fait que le sculpteur n'a pas représenté non plus les plaies des pieds et des mains. Plus encore, il n'a pas représenté sur la tête la couronne d'épines.
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Vierge de Pitié (kersanton, Prigent, vers 1550), Croix de Tal ar Groas à Crozon. Photographie lavieb-aile septembre 2019.
Vierge de Pitié (kersanton, Prigent, vers 1550), Croix de Tal ar Groas à Crozon. Photographie lavieb-aile septembre 2019.
Vierge de Pitié (kersanton, Prigent, vers 1550), Croix de Tal ar Groas à Crozon. Photographie lavieb-aile septembre 2019.
Vierge de Pitié (kersanton, Prigent, vers 1550), Croix de Tal ar Groas à Crozon. Photographie lavieb-aile septembre 2019.
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Le nœud : les anges tenant les instruments de la Passion autour de la Croix et de la Couronne d'épines.
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Croix de Tal ar Groas à Crozon. Photographie lavieb-aile septembre 2019.
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LA FACE PRINCIPALE : LE CRUCIFIX ET LA SAINTE FACE.
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Croix de Tal ar Groas à Crozon. Photographie lavieb-aile septembre 2019.
Croix de Tal ar Groas à Crozon. Photographie lavieb-aile septembre 2019.
Croix de Tal ar Groas à Crozon. Photographie lavieb-aile septembre 2019.
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CONCLUSION.
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Par la finesse des traits de la Vierge, par la souplesse de ses drapés, et la délicatesse du mouvement du bras du Christ, la Vierge de Pitié de Tal ar Groas apparaît, malgré son état de bric et de broc, un des plus beaux exemples des Pietà des Prigent, dont je vais présenter infra plusieurs exemples. On pourrait même en contester l'attribution, si les trois larmes divergentes n'en était une marque de fabrique bien assurée.
Je souhaite donc que mon article incite les passants et les curieux à s'attarder d'avantage à sa contemplation. d'où ces trois dernières photos :
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Vierge de Pitié (kersanton, Prigent, vers 1550), Croix de Tal ar Groas à Crozon. Photographie lavieb-aile septembre 2019.
Vierge de Pitié (kersanton, Prigent, vers 1550), Croix de Tal ar Groas à Crozon. Photographie lavieb-aile septembre 2019.
Vierge de Pitié (kersanton, Prigent, vers 1550), Croix de Tal ar Groas à Crozon. Photographie lavieb-aile septembre 2019.
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ICONOGRAPHIE : LES CROIX ET CALVAIRES DES PRIGENT, ET LEUR VIERGE DE PITIÉ.
D'après E. LE SEAC'H PAGES 166-170.
Outre les calvaires monumentaux de Plougonven (1554) et de Pleyben (1555), on conserve de l'atelier des Prigent 6 croix et 23 calvaires dont 13 sont complets. Sur ces 29 œuvres, 23 sont dans le diocèse du Léon, 6 dans celui de Cornouaille et 1 seul dans celui de Tréguier.
Les croix et calvaires peuvent être classés en :
1°) Croix à revers figuré d'une Vierge à l'Enfant ou d'une Pietà.
-Le Crucifié avec la Vierge à l'Enfant au revers .
Le Tréhou, croix de l'ouest du bourg
Guimiliau, croix de Laguen de 1572, signée des Prigent. Le sculpteur est Bastien, la Vierge à l'Enfant est tout à fait remarquable.
2°) Calvaire à un croisillon et 3 personnages C, V, J.. Le Christ crucifié est entouré de la Vierge et Jean sur le croisillon.
Calvaire du sud du bourg de Saint-Servais.
2°) Calvaire à un croisillon et 5 personnages (statues géminées du croisillon) ou 6 personnages (toutes les statues sont géminées, y compris celles du centre ).
Saint Derrien, 1557 ?, C, V, J, saint Georges et pietà.
Lanhouarneau, Croas-ar-Chor, saint Hervé au revers du Crucifié, le guide et le loup géminé avec la Vierge. Saint Houarneau sous le Crucifié
Pleyben, chapelle Saint-Laurent, 6 personnages : Crucifié/Christ ressuscité, Vierge / Laurent, Jean/évêque. On reconnaît ici le style de Bastien Prigent.
Bourg-Blanc, calvaire du cimetière, Crucifié/Christ aux liens, et croisillon à 3 personnages Vierge, Jean et Marie-Madeleine géminées aux trois acteurs de saint Yves entre le Riche et le Pauvre.
Saint-Divy, croisillon vide, le Crucifié/Christ aux liens et pietà en dessous, attribué à Henri Prigent.
3°) Calvaire à deux croisillons.
Loc-Brévalaire, église : Jean/Yves et Madeleine / Brévalaire, Christ aux liens/ pietà, selon le style délié de Bastien Prigent.
Les 17 vestiges de croix et calvaires :
Brignogan : calvaire de la chapelle de Pol : le Crucifié et l'ange orant, attribués à Henry Prigent Dans la chapelle elle-même, d'autres statues de Prigent, qui faisaient partie du calvaire, sont représentées dos à dos : celles de Saint Paul Aurélien et d'un saint non identifié, ainsi que de saint Nicolas une pietà et un "Christ ressuscité" .
Dinéault, Calvaire de l'église Sainte Marie Madeleine. les Prigent ont travaillé sur le piédestal supportant le calvaire, Bastien Prigent a sculpté Marie-Madeleine, la tête levée vers Jésus sur la croix et Jean-l'Évangéliste debout, la tête baissée et le front plissé, tandis que François d'Assise est représenté et, à l’avant du piédestal, un bas-relief représentant un moine tenant un tissu sur lequel est gravé un visage sacré. Ces œuvres datent de 1550. Les statues sur la traverse ne sont pas de l'atelier des Prigent, mais datent de 1696 et représentent des statues géminées de la Vierge jumelées à Saint Sébastien, un évêque soutenu par un pietà, Marie-Madeleine agenouillée soulève le couvercle de son pot à onguents et Jean l'évangéliste s'associe à Saint Pierre, tandis que la sculpture de Jésus crucifié renversé avec un "Christ aux liens" est attribuée à l'atelier de Roland Doré. Ce calvaire a une hauteur de 6,00 mètres. D'autres sculptures de Prigent peuvent être vues dans l'église Sainte Marie Madeleine elle-même
Guiclan, calvaires de la Croix-Neuve et de Kersaingilly. Il y a deux calvaires dans la région de Guiclan. Parmi les sculptures impliquées dans le calvaire de la Croix-Neuve, seules la statue de Sainte Véronique et la Vierge Marie avec son enfant sont de l'atelier Prigent. Le calvaire est simple et contient des statues de Sainte Véronique et de la Vierge Marie avec un enfant placé de chaque côté de la représentation du Christ crucifié. Le calvaire de Kersaingilly présente des représentations de Saint Yves, le Christ crucifié inversé avec la Vierge Marie avec son enfant et Saint Gilles. L'atelier des Prigent ne travaillait que sur la statue de Saint Yves. Bastien Prigent est attribué au travail. Saint Yves est représenté dans la robe d'un avocat. Cette statue venait de La Roche-Maurice et a été ajoutée au calvaire lors de sa restauration en 1889 par Yan Larhantec.
Guissény calvaire du cimetière de l'église. Il est inscrit "J. Habasc gouver (neur) 1555" et les statues sont attribuées à Henry Prigent. Le calvaire était à l'origine situé à la chapelle Saint-Yves à Kervézennec, mais après le pèlerinage de 1920 ("mission"), il a été érigé à Guissény par le restaurateur Donnart. Le calvaire a une représentation de la Vierge Marie adossée à une représentation de saint Yves, du Christ crucifié inversé avec un "Christ lié" et de Jean l'évangéliste soutenu d'une représentation d'un évêque. La tête de Jean l'évangéliste a disparu et la tête de l'évêque n'est pas la tête d'origine.
Kerlouan : Croix Saint-Sauveur : Trinité de Bastien Prigent.
La Forest-Landerneau : cimetière haut, statues géminées Jean/autre saint et Vierge/Madeleine et Pietà : présence des 3 larmes.
La Forest-Landerneau : cimetière bas : Marie-Madeleine agenouillée au pied de la Croix.
Landerneau : Le calvaire de la Croix-de-la-Vierge. Il y a une pietà de Henry Prigent mélangée à d'autres statues qui datent de 1681.
Lanneufret : Calvaire de l'église Des statues géminées de l'atelier Prigent de la Vierge, associées à un "Christ liė", une pietà et à Jean l'évangéliste, associées à un moine, sont associées à une crucifixion du XXe siècle.
Le Folgoët Calvaire de l'église Notre Dame La pietà de l'atelier Prigent sur la face ouest du calvaire est associé à une représentation du cardinal de Coëtivy par le maître du Folgoët et à une crucifixion attribuée à la Maître de Plougastel.
Le Folgoët, musée : vestige d'un Crucifié par Bastien Prigent.
Plonevez-Porzay : Calvaire de l'église Le Crucifié et d'un ange portant un titulus est attribuée à l'atelier de Prigent.
Ploudaniel, calvaire de l'église : Dans la chapelle Saint-Éloi se trouvent les restes de deux calvaires. Il y a une statue géminée de Jean/un autre saint et un "Christ aux outrages".
Ploudaniel : calvaire de la chapelle Saint-Pétronille de attribué à l'atelier de Prigent avec les statues de Saint-Pétronille et de Jean l'évangéliste de Bastien Prigent et près du corps de la croix, une Marie-Madeleine attribuée à l'atelier.
Quimper, jardin du cloître de l'église Notre-Dame de Locmaria de Quimper, restes d'un calvaire et l'atelier Prigent est attribué à une statue géminée de la Vierge/Saint-Pierre.
Plouider, calvaire à Brondusval : Il ne reste plus grand chose du calvaire mais les statues de saint Yves, de saint Fiacre et d'un saint non identifié sont attribuées à l'atelier de Prigent.
Plouhinec, calvaire de la "Maison du sculpteur Quillivic" Il s’agit d’un calvaire contemporain où l’image du Christ crucifié est remplacée par la partie supérieure du cadre d’une fenêtre gothique. Le calvaire a des statues géminée de la Vierge /saint Yves et Jean
Plouvorn, calvaire de la chapelle de Lambader : des statues de la Vierge Marie et de Marie Madeleine sont de l'atelier des Prigent qui ont également sculpté le blason d'Audren de Kerdrel et l'emblème des "Cinq-Plaies" .
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A cette liste, on peut ajouter les calvaires de Fayet, un compagnon des Prigent au style « si proche de celui des sculptures des Prigent qu'il est parfois difficile de le différencier », s'il n'avait signé de son nom le calvaire de Lopérec avec la date de 1552.
Celui-ci rentrerait dans la liste des calvaires à deux croisillons avec la Vierge/Pierre et Jean/Marie-Madeleine en bas, les deux cavaliers de la Passion sur le 2ème croisillon et le Crucifié au dessus, avec le Christ aux liens au revers et deux anges au calice sous le Crucifié. Marie-Madeleine est au pied de la croix.
E. Le Seac'h lui attribue aussi :
Le haut du calvaire du cimetière du calvaire de Laz : le Crucifié, les anges au calice, et l'Ecce Homo au revers.
Le Christ mutilé de Coat-Nant en Irvillac.
Le vestige du Crucifié du jardin du Doyenné au Folgoët.
Le vestige du Crucifié du pignon de l'école Notre-Dame du Tromeur de Landerneau
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Les Pietà de l'atelier des Prigent (selon E. Le Seac'h)
Landerneau : Le calvaire de la Croix-de-la-Vierge, rue de la Tour d'Auvergne. Il y a une pietà de Henry Prigent mélangée à d'autres statues qui datent de 1681. http://croix.du-finistere.org/commune/landerneau.html
Lanneufret : Calvaire de l'église. Des statues géminées de l'atelier Prigent de la Vierge, associées à un "Christ liė", une pietà et à Jean l'évangéliste, associées à un moine, sont associées à une crucifixion du XXe siècle. http://croix.du-finistere.org/commune/lanneuffret.html
Le Folgoët Calvaire de l'église Notre Dame. La pietà de l'atelier Prigent sur la face ouest du calvaire est associé à une représentation du cardinal de Coëtivy par le maître du Folgoët et à une crucifixion attribuée à la Maître de Plougastel.
La Vierge et Jean en larmes, calvaire de l'église de Saint-Derrien, atelier Prigent. Photo lavieb-aile.
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Pietà de l'atelier Prigent de l'église de Saint-Divy. Photographie lavieb-aile.
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Pietà (détail) de l'atelier Prigent de l'église de Saint-Divy. Photographie lavieb-aile.
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Pietà du calvaire de l'église de Saint-Servais par l'atelier Prigent. Photo lavieb-aile.
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Pietà (détail) du calvaire de l'église de Saint-Servais par l'atelier Prigent. Photo lavieb-aile.
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Pietà par B. Prigent, Le Folgoët, calvaire. Photo lavieb-aile.
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Lopérec, par Fayet.
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Pietà du calvaire de Lopérec par Fayet. Photo Bernard Bègne copyright Inventaire
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Enfin, il faut ajouter les Déplorations, souvent nommées "pietà" : celle de l'église Saint-Budoc de Plourin-Ploudalmézeau et celle de l'église Saint-Nicaise de Saint-Nic.
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Déploration par l'atelier Prigent de l'église de Plourin. Copyright cf. lien
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Calvaire monumental de Plougonven (Prigent, 1554). Photo lavieb-aile.
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Calvaire monumental de Pleyben (1555) par Bastien Prigent. Photo lavieb-aile
LA STYLISTIQUE « RÉALISTE » DE L'ATELIER PRIGENT.
Henri (frère ou fils de Bastien) est le moins habile. Bastien, par sa manières plus souple, qui produit un effet expressionniste, voire maniériste, contraste avec le hiératisme , la raideur des réalisations d' Henri.
a) Le Crucifié :
Les yeux en amande à l'arcade sourcilière cassée
Les mèches de cheveux qui ne sont pas collés au cou, laissant un vide = un espace ajouré entre les mèches de cheveu et le visage.
La couronne tressée
Les yeux clos
Les grandes narines
La bouche charnue aux lèvres entrouvertes.
Une barbe étagée ou bifide
un torse étiré, aux côtes horizontales déployées en éventail ; le nombril en forme de bouton
Un pagne volant, noué sur le coté par une grande boucle
b) La Vierge
Elle porte une guimpe montant jusqu'au menton et un voile coqué.
Trois ou cinq larmes coulent sur la joue , en forme de patte d'oiseau avec une larme plus grande au milieu
b') Vierge de pietà :
agenouillée, se tenant bien droite, le visage impassible, elle tient son Fils dans ses bras, le corps de celui-ci renversé en diagonale, en appui sur le genou de sa mère.
c) Marie-Madeleine agenouillée (Pleyben et Plougonven, Bastien Prigent) : tête inclinée en arrière, elle porte une robe aux plis lourds et harmonieux. Son voile a glissé sur son dos.
Par ailleurs
Les visages sont rectangulaires ou ovales, aux arcades sourcilières « aiguisées ». Les yeux sont taillés en un petit losange horizontal. Les drapés sont fluides.
Les trois larmes.
« Le trait commun aux deux Prigent se repère à un détail qui devient leur signe distinctif : trois larmes en relief roulent sur les joues de leurs Vierges éplorées au calvaire, leurs Vierges de Pitié , de Saint Jean et de Marie-Madeleine quand ils lui sont associés. L'appartenance au même atelier se reconnaît à quelques autres traits : l'arcade sourcilière nette, et les visages pointus."
l'association de la statuaire gothique et d'un décor renaissance, avec les fleurons godronnés entourés d'un galon décoratif, des consoles moulurées et des feuilles d'acanthe sur les culots.
— CASTEL (Yves-Pascal), 1983, La floraison des croix et calvaires dans le Léon sous l'influence de Mgr Roland de Neufville (1562-1613), Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest Année 1983 90-2 pp. 311-319
"LE « PUITS DE MOÏSE » RÉEXAMINÉ. – Connue pour une solide thèse de PhD sur l’enluminure amiénoise au XVe siècle , Susie Nash a plus récemment porté aussi ses recherches sur la sculpture des environs de 1400, en particulier celle d’André Beauneveu et Claus Sluter. Depuis la publication des comptes de la chartreuse de Champmol et l’achèvement en 2004 des travaux de restauration entrepris quinze ans plus tôt, on croyait tout savoir sur le « Puits de Moïse ». S. Nash a pourtant entrepris une révision de fond en comble de nos connaissances sur cette œuvre capitale d’où notre regard ressort étonnamment transformé. Aussi paradoxal que cela puisse paraître pour une œuvre aussi connue, documentée et étudiée, il semble en effet que les sources disponibles aient été jusqu’ici sous-exploitées et mal comprises. C’est du moins ce que d’emblée l’auteur laisse entendre, et la suite de sa démonstration le confirme.
Appelé improprement puits depuis la disparition de sa superstructure dans le courant du XVIIIe siècle, l’édicule, dit originellement « grant croix », était constitué de douves ou « puys », d’un pilier central de 8 mètres de haut depuis le fond, entouré des célèbres statues de prophètes dans sa partie supérieure, portant une terrasse de 2,8 mètres de diamètre et une "croix monumentale fichée dessus."
1. Sur la terrasse ne se trouvaient ni la Vierge ni saint Jean, mais seulement Marie-Madeleine vêtue de rouge étreignant de ses bras la base de la Croix.
Marie-Madeleine devient dès lors une figure clé du monument, comme modèle de la solitude et du chagrin.
"Le premier élément sujet à une révision radicale est précisément la composition du Calvaire sculpté placé sur la terrasse, dont on avait toujours considéré qu’il comportait, outre le Christ en Croix, des statues de la Vierge, saint Jean l’évangéliste et la Madeleine. Or, d’une Vierge et d’un saint Jean au pied de la Croix, il n’est pas la moindre trace dans toute l’histoire du monument, ni dans les comptes, très complets et détaillés pour ce qui le concerne, ni parmi les quelques fragments conservés. S. Nash démontre que ces deux statues n’ont jamais existé ! L’auteur s’appuie d’abord sur une reconstitution, à partir des archives comptables, de l’organisation méthodique du chantier de sculpture par Sluter, reconnaissant pour chaque phase la répétition d’un « pattern of work » (achat du matériau, sculpture proprement dite, transport et mise en place) qui permet de suivre précisément l’avancement des travaux d’avril 1395 à l’été 1404. En bonne logique, ceux-ci commencèrent par les figures les plus haut placées (Christ et Madeleine), puis les ailes des anges en contrebas et leurs corps taillés séparément, les unes solidaires du pilier, les autres rapportés, pour se terminer par les prophètes. Les documents relatifs à la polychromie de l’ensemble par le peintre Jean Malouel n’évoquent sur la terrasse qu’une « ymaige de Marie Magdelene » et l’examen de cette étroite terrasse traitée en sol rocailleux ne révèle aucune trace d’attaches pour d’autres figures."
L’auteur passe ensuite en revue les fragments retrouvés dans le puits au XIXe siècle et pointe diverses erreurs d’interprétation à leur sujet, erreurs transposées dans les modèles réduits modernes du monument, du fait qu’on a voulu à toute force y insérer un saint et une Vierge accolés à la Croix. La restitution à la statue de la Madeleine (et en aucun cas à une Vierge en deuil) de la paire de bras embrassés reconstituée à partir de plusieurs fragments est amplement confirmée tant par l’iconographie que par l’analyse technique. Enfin les copies anciennes de la Grant Croix de Champmol, telle la Belle Croix de l’hôpital du Saint Esprit de Dijon, réalisée en 1508, présentent la même originalité de parti : non pas une Crucifixion à plusieurs personnages, mais la Madeleine seule embrassant la Croix.
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La Croix elle-même fait l’objet du deuxième volet de l’enquête de Susie Nash publiée dans une autre livraison du Burlington Magazine. Là encore, l’étude croisée des sources comptables, des fragments subsistants et des copies anciennes conduit à une révision de l’interprétation traditionnelle et révèle une structure plus complexe qu’on ne l’imaginait. La Madeleine, en effet, n’embrassait pas directement le pied de la Croix, mais le fût d’une mince colonne dorée au sommet de laquelle le crucifix était juché, suivant un modèle qui s’apparente aux croix de carrefours ou de cimetières. Le tout devait culminer à près de six mètres de haut au-dessus de la terrasse. "
La représentation de Marie-Madeleine agenouillée au pied de la Croix a pris naissance au XIIIe et XIVe siècle en Italie (Toscane et Ombrie) comme modèle de Piété (Imitatio Pietatis) pour son amour profond pour le Christ, son dévouement, sa pénitence et son humilité, mais aussi pour rendre visible son interaction physique avec le Christ, en particulier avec ses pieds lavés avec ses larmes et séchés par ses longs cheveux à Béthanie puis oints de parfum après sa mort. C'était un modèle d'imitation et d'identification par les fidèles.
2. Le buste du Christ conservé au Musée archéologique : étranger au Puits de Moïse.
"Du crucifix proprement dit, initialement pourvu de chapiteaux armoriés à ses extrémités, ne semblent plus subsister que les jambes du Christ. S. Nash rejette en effet l’appartenance au monument – et l’attribution à Claus Sluter – du buste 3. aujourd’hui conservé au Musée archéologique de Dijon qui passait jusqu’ici pour être le principal vestige du Calvaire. Ce buste d’un Christ aux yeux clos ceint de la couronne d’épines ne fait pas partie des éléments retrouvés au fond du puits, mais provient d’une dépendance de l’hôpital du Saint Esprit de Dijon. Il ne montre pas l’équivalent de la riche polychromie présente sur les éléments certains du groupe sculpté ; contrairement à eux, il n’est pas reconstitué à partir de menus morceaux auxquels le Calvaire fut vraisemblablement réduit dans sa chute ; et surtout il n’est pas de la même pierre que les fragments de jambes. Comme le révèlent des prises de vue sous divers angles, ce buste n’a d’ailleurs pas été conçu pour être entraperçu de dos ou contemplé d’en bas, ce qui devait pourtant être le cas du Christ sur la Croix de Champmol. Enfin, il faut bien admettre avec S. Nash qu’il est d’une facture différente des œuvres de Sluter et de ses collaborateurs immédiats. Si toutes ces raisons conduisent à remettre en cause ce que l’on croyait assuré à propos de ce buste (date, attribution, provenance), bref à lui retirer son statut de chef-d’œuvre slutérien, il n’en demeure pas moins à mon sens une œuvre de grande qualité et fait toujours forte impression. Reste à lui retrouver une place dans l’art bourguignon du XVe siècle."
3. L'orientation de la croix vers l'entrée des moines (et non celle des visiteurs).
"Pour finir, l’auteur revient aussi sur l’implantation de l’édicule dans le cloître des chartreux et sur sa signification. Il semble que la croix ait été alignée sur un angle du pilier, et non sur le côté de Moïse ou celui de David comme il avait été proposé successivement, et qu’elle regardait vers l’entrée des moines et non vers l’entrée des visiteurs. Les prophètes sont disposés en conséquence. Ces considérations sur l’orientation de la croix et la rythmique du monument donnent la clef d’une dramatisation du programme sculpté bien dans l’esprit de Sluter. "
4. L'axe du monument : L'axe d'orientation de la croix n'était pas celui de David, mais passait par l'angle de l'hexagone entre David et Jérémie ce qui déplace la prévalence de David vers Jérémie, qui apparaît comme un portrait du duc Philippe le Hardi, commanditaire, et prend la place principale.
5. Le Puits de Moïse faisait l'objet de pèlerinages permettant l'obtention d'indulgences mais le grand public n'accédait pas facilement et en nombre à la Chartreuse. Pourtant, des ampoules (d'eau) de pèlerinage en plomb ont été retrouvées, aux armes du duc de Bourgogne, témoignant des vertus curatives, protectrices et de talisman de cette eau (Koldeweij 2007)
6. La posture et la gestuelle des anges peut être interprétée selon les pratiques liturgiques ou de prières des Dominicains ou des Chartreux, et rapprochées des fresques de Fran Angelico pur les cellules du couvent San Marco de Florence.
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Par Christophe.Finot — Travail personnel, CC BY-SA 2.5, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=2758454
La Chartreuse de Champmol est une double chartreuse de 2 fois 12 cellules fondée par Philippe le Hardi.
Le "puits" est placé au centre du cloître, un vaste carré de cent mètres de côté sur lequel donnaient les cellules des moines. Il se situe donc dans l’espace de la clôture, où seuls les moines chartreux ont accès, contrairement au tombeau du duc Philippe le Hardi, qui est dans l’église. L’enjeu est d’offrir aux moines une iconographie édifiante, visible de loin sous tous les angles. La "Grande Croix" qui surmontait le puits était (S. Nash) dirigée vers l'entrée du cloître, son fût était étreint par Marie-Madeleine .
Les factures de l'époque parlent en effet "d'une place au milieu du grand cloître des chartreux de Champmol, en laquelle place l'on fait un puits, au milieu duquel on aura une croix, fondée sur une pile étant au dit puits" (compte d'Amiot Arnaul, 1396)
Le choix de ces motifs est certainement l'aboutissement d'un discussion entre le duc Philippe, de ses conseillers artistiques et de ses théologiens, mais aussi de Jean de Vaulx, prieur des chartreux, et du sculpteur Claus Sluter. En soubassement d'un Crucifix et de Marie-Madeleine,aujourd'hui disparus, six prophètes relevant de la typologie médiévale (l'Ancien Testament annonçait le Nouveau) sont associés à six anges, relevant pour leur part de la mystique contemplative des Chartreux.
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Mon interprétation.
La croix rappelait la devise de l'ordre des Chartreux fondé par saint Bruno : Stat Crux dum volvitur orbis , "le monde tourne, la croix demeure". Mais sur cette croix était ostensiblement figuré l'écoulement du sang des cinq plaies du Christ, écoulement qui rejoignait celui des larmes de sainte Marie-Madeleine, avant d'irriguer et de donner sens (de "révéler") plus bas les versets des six prophètes. La pile hexagonale s'ancre ensuite dans un bassin rempli d'eau (le terrain porte le nom de Champmol en raison de sa nature marécageuse et de la proximité de l'Ouche). L'ensemble réalisait donc une Fontaine de vie (Fons Vitae), allégorie spirituelle où la Passion du Christ devenait source de Vie (comme dans les Pressoirs mystiques) dans la mesure où le sang de l'Eucharistie suscitait la prière et les larmes de la compassion, du repentir et de la participation émotionnelle des chartreux, et des pèlerins.
Chaque prophète renvoie, par son attitude et ses attributs, à la vocation spécifique des chartreux. : l’écriture ou la copie (Zacharie), la règle (Moïse et les tables de la Loi), la psalmodie (David), la lecture, le silence ou la solitude (Jérémie). Et Jérémie a les traits de Philippe Le Hardi, qui sera inhumé dans l'habit des chartreux.
Les six anges témoignent par leur tenue vestimentaire et par leurs gestuelle de la pratique liturgique (célébration de l'Eucharistie du canon de la messe selon la tradition cartusienne) et de la pratique d'oraison monastique (De Modo orandi). Mais l'une des particularités des documents iconographiques qui illustrent ces postures de prières est l'importance donnée au flux sanguin issu des plaies du crucifié et arrosant le fidèle (le moine) avant de former des ruisseaux aux flancs du Golgotha, même sur des crucifix dévotionnels. La fontaine de sang est une fontaine d'onction du fidèle.
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I. LE ROI DAVID.
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a) Description.
Le roi, coiffé d'une couronne fleurdelisée, tient dans la main droite une harpe, recouverte en grande partie par son manteau.
La statue est décorée d'un manteau de drap d'or doublé d'hermine et d'une tunique bleue coupée de longues bandes et constellée de soleils rayonnants dorés . Sur la bordure de la tunique court la lettre -d- , monogramme de David (tout comme les lettres -p- et -m- sont sculptées sur le portail de l'église de Champmol sous les statues de Philippe le Hardi et de Marguerite de Flandres).
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b) Polychromie par Jean Malouel (d'après Susie Nash).
"Sur la Grande Croix, le sens résidait dans la couleur autant que dans la forme plastique." S. Nash.
Jean Malouel succéda à Jean de Beaumetz comme peintre de la cour du duc de Bourgogne en 1397. De 1398 à 1402, il peint cinq retables pour la Chartreuse de Champmol, ainsi que le grand portail d l'église, il commença la dorure de la Grande Croix en juin 1400, puis travailla de 1402 à 1404 à peindre, le jour et la nuit à la lumières de torches, le Puits de Moïse. Il est l'oncle d'Hermann et de Jean de Limbourg, les fils de sa sœur Metta.
David, Jérémie et Moïse ont été les premiers à être mis en place par Sluter, et donc à être peints par Malouel. Hermann de Cologne l'assista pour la dorure.
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Une préparation blanche à la chaux a été appliquée sur toute la surface de la pierre d'Asnières-lès-Dijons, puis les parties destinées à être dorées étaient recouvertes d'une préparation à l'ocre jaune avant de recevoir des feuilles d'or de la meilleure qualité (papiers doubles, renforciez" selon les commandes, procurées par lots de 1500 feuilles par le marchand Perrenot Berbisey, (le plus grand "épicier" de Dijon de 1371 à 1437, marchand de sel dont il a le monopole pour 9 greniers à sel du duché de Bourgogne).
Les cheveux de David sont dorés, et c'est le seul des six prophètes à bénéficier de ce privilège.
Le blanc de plomb est utilisé pour ses propriétés siccatives et d'étanchéité comme sous-couche d'apprêt dans l'huile, mais aussi telle quelle, sur le blanc de chaux, pour les robes bordées d'hermines de David (et de Jérémie, Isaïe, Zacharie et Daniel).
Les bleus sont constituées de deux couches posées sur une première préparation au blanc de plomb puis une première couche d'azurite, un bleu plus pâle et moins intense, recouverte d'une onéreuse couche d'outremer provenant du broyage de lapis-lazuli (importé du Badakhshan). L'ajout d'un peu de blanc de plomb pour la robe de David empêchait l'outremer de s'assombrir au fil du temps. Mais dans la doublure de la robe de Daniel, en revanche, l’outremer est posé sur une base d’azurite mélangée à du noir de carbone , ce qui créerait un ton plus sombre. Et dans la doublure bleue du manteau de Moïse, ce qui semble être une laque rouge a été mélangée à une couche supérieure d’outremer, une technique qui augmenterait la teinte pourpre du pigment bleu.
Le bleu est la douleur dominante du Puits, présente sur tous les prophètes sauf Jérémie et pour trois des six anges,ainsi que sur la corniche
Pour les autres prophètes et anges, d'autres pigments seront utilisés : la mine de plomb rouge ou mine fine (lithiarge ?), le vermillon, le monoxyde de plomb jaune ou massicot, le vert-de-gris, une laque rouge de sinople (ou sinople d'engleterre), associé à l'huile de noix et au vernis transparent.
Le vermillon est largement utilisé pour les draperies rouge, au dessus d'une couche de blanc de plomb ou d'ocre jaune, soit parfois avec de la laque rouge.
Le jaune de plomb et d'étain était un pigment relativement coûteux, réservé principalement à une utilisation sur des peintures de panneaux de bois, pour autant que les comptes bourguignons l'indiquent. Sur le puits de Moïse, le pigment a été mélangé à du vert-de-gris pour créer diverses variétés de teintes vertes et, vraisemblablement, pour augmenter son opacité. Les mélanges sont particulièrement complexes dans le modelage et la couleur de la doublure de la robe de Jérémie, ainsi que dans l'ange entre Daniel et Isaïe, deux zones importantes sur le plan visuel et iconographique, marquant la vue avant et arrière de la croix, leur couleur éventuellement. transmettre d'autres significations particulières. Dans un échantillon pris dans la robe de l'ange, Malouel a construit la nuance particulière de vert en six couches. Cela suggère que des effets visuels subtils étaient recherchés, effets qui, dans leurs combinaisons de couches et de mélanges de pigments, semblent présenter des parallèles particuliers avec les techniques de peinture sur panneau.
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c) Inscription.
On lit sur le rouleau qu'il tient de la main gauche : FODERUNT MANUS MEAS ET PEDES MEOS DINUMERAVERUNT OSSA MEA
(de nombreux relevés de l'inscription donnent un texte qui n'est pas fidèle : "numeraverunt mea").
Le texte est gravé en lettres minuscules gothiques (textura) aux -e- ornées de petites queues.
« ils percèrent mes mains et mes pieds. Ils ont compté mes os » (Psaume [21] 22 : 17-18).
C'est le thème de l'Arbre de Jessé, rappelant par la généalogie (incipit de l'évangile de Matthieu) que Jésus est "de la race de David".
— La royauté en France
David couronné renvoie aussi au roi Charles VI et à Philippe le Hardi, fils de Charles V. Cela permet de rappeler la proximité entre le duc et les rois de France dont il a été le fils, le frère et l'oncle, ainsi que le régent.
— La Psalmodie des Chartreux.
David est représenté ici comme psalmiste (cf. les harpes de son manteau, et le verset de son phylactère). il témoigne d'une des grandes fonctions monastiques et d'une partie importante de la liturgie, le lecture des psaumes.
— typologie : Le verset du psaume 21 préfigure la Crucifixion, en y lisant une annonce des plaies des mains et des pieds, donc de cette source du sang rédempteur qui alimente la Fontaine de Vie. Ludolphe le Chartreux (dominicain puis chartreux en 1340) , dont la Vita Christi est un ouvrage majeur pour son Ordre, mentionne ce verset dans son chapitre IV.
Modèle réduit au tiers par Joseph Moreau, sous la direction de Charles Fevret de Saint-Mémin. 1840, bois et plâtre polychromé. Musée MBA de Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019
I. Le roi David. Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
I. Le roi David. Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
I. Le roi David. Moulage exposé au Musée des Beaux-Arts de Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
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L'ANGE Ia ENTRE DAVID ET JÉRÉMIE.
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Il occupe un angle de l'hexagone qui s'est avéré crucial d'après les travaux de S. Nash, puisque il était traversé par l'axe d'orientation de la Grande Croix.
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Description.
Les ailes largement déployées sont celles des oiseaux, chaque rémige étant sculptée dans leur accroissement (primaire, secondaire et tertiaire) et leur recouvrement en rangée.
Posture : bras croisés sur la poitrine, main droite sur main gauche. Il est penché en avant et son visage est tourné vers David.
Chevelure très abondante, bouclée en tortillons serrés (je qualifierai cette coiffure de "vermiculaire"). On la retrouve vers 1423 en Bretagne sur les anges sculptés par l'atelier ducal du Folgoët, pour les commandes du duc Jean V (qui avait passé sa minorité auprès de Philippe Le Hardi).
Visage rond terminé par un petit menton non moins rond. Les sourcils froncés, les yeux à la fente rétrécie, la bouche concave, entrouverte sur les rangées de dent évoquent l'affliction et les pleurs .
L'ange est vêtu d'une aube recouvrant les pieds, serrée à la taille par une ceinture ou un cordon recouverts par les plis bouffants. Le col plissé remonte en entourant le visage. Les poignets, le col, la fente basse de l'aube sont ornés d'une bande dorée au motif de croix s'inscrivant dans un cercle. L'aube blanche est peinte de soleils or ou azur. La couleur blanche correspond à celle de l'habit des Chartreux.
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Ange Ia, à droite :Puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
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Signification.
Le sens de l'expression dramatique du visage s'accorde mal à celui de la gestuelle des mains.
a) le chagrin et les pleurs.
C'est bien-sûr le chagrin entraîné par la mort du Christ, celui de Marie, de Jean et de Marie-Madeleine au pied de la Croix.
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b) les bras croisés. Acceptation, identification au Christ, ou geste liturgique.
—On retrouve ce geste chez Marie dans les Annonciations, en signe d'acceptation.
—Le croisement des bras reproduit la forme de la Croix, c'est alors une participation à la Passion témoignant d'un désir d'identification au Christ crucifié, du partage de sa douleur et de recevoir sa grâce par cette identification. Or, l'imitation du Christ lors de la Passion est le premier des six stades de contemplation de cette Passion, pour Hugues de Balma (moine chartreux du XIIIe siècle), Ludolphe de Saxe et d'autres auteurs chartreux, avec en 2ème la compassion, en 3ème l'émerveillement, en 4ème l'exultation, en 5ème la résolution, et en 6ème la quiétude.
Le Musée de Cleveland conserve l'un des 26 panneaux peints par Jean de Beaumetz, peintre officiel de Philippe le Hardi, entre 1389 et 1395 pour les cellules des moines de Champmol et dont 2 nous sont parvenus (l'autre est au Louvre), un dernier plus tardif au Musée de Dijon. On y voit un chartreux agenouillé avec cette gestuelle de prière des mains croisées au pied d'un crucifix particulièrement sanguinolent.
Le commentaire du Musée de Cleveland est explicite :
"Les Chartreux étaient intensément dévoués à la Passion du Christ; des images particulièrement sanglantes de la crucifixion décoraient souvent leurs cellules. Isolés les uns des autres, les moines ont contemplé le sacrifice du Christ (souligné ici par la présence d'un moine chartreux au pied de la croix) créant un lien empathique avec la souffrance de la Vierge qui s'évanouit dans les bras des deux Marie. Saint Jean l'évangéliste, à droite, incline la tête dans le chagrin. Le décor perforé dans le fond d'or représente les arbres de la vie et de la connaissance, soulignant le lien biblique entre Adam et Christ."
clevelandart.org/art/1964.454
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Calvaire avec un moine chartreux, Cleveland Museum of Art
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Calvaire avec un moine chartreux, (détail), Cleveland Museum of Art.
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Je me permets de souligner l'importance donnée sur ce panneau à l'effusion sanguine, puisqu'elle s'accorde parfaitement avec le verset choisi pour David et surtout avec la tradition de théologie mystique (opposée à la théologie spéculative) dominicaine et cartusienne. Aux cinq plaies des mains, des pieds et du flanc s'ajoutent celles de la couronne d'épines.
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Calvaire avec un moine chartreux (détail), Cleveland Museum of Art.
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— Dans la liturgie propre aux Chartreux, le prêtre adopte cette posture après la consécration de l'hostie, lorsqu'il prononce les mots Supplices te rogamus "Nous vous en supplions, Dieu tout-puissant, ordonnez que ces offrandes soient portées par les mains de votre saint Ange sur votre autel céleste, en présence de votre divine majesté, afin que nous tous qui recevrons, en participant à cet autel, le Corps et le Sang de votre Fils, nous soyons remplis de toute bénédiction céleste et de grâce. Par le même Christ" ...appelant sur les participants la sanctification et la grâce par les mains de l'Ange.
La forme précise du geste, avec le bras droit sur le gauche, est donnée dans les Statuta antiqua ordinis cartusiensis des Chartreux de 1259 : ", Ad supplices te rogamus, cancelatis ita quod sinistra inferior fit, inclinatur ante faciem altaris & dicens…," qui n'a pas changé jusqu'au XVIe siècle, (Nash 2008).
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Susie Nash suggère de suivre le chemin tracé par le sang rouge de la Croix et par la robe rouge et or de Marie-Madeleine pour constater que cet axe parvient ensuite à l'ange Ia, aux broderies et à la gestuelle en forme de croix.
"En commençant par le corps du Christ, il semblerait que le sang ait été créé uniquement à la peinture rouge , jusqu’au seul fragment subsistant, ses jambes - où il est visible entre ses orteils - si les peintures réalisées pour les cellules des moines à Champmol par Le prédécesseur de Malouel, Jean de Beaumetz, peut être utilisé comme une indication de l'intérêt des Chartreux pour cet aspect de la forme crucifiée du Christ. Cela aurait été une partie importante et vitale de l'effet visuel et de l'impact dévotionnel du monument. ne pouvait être transmis avec succès que par la couleur.
En descendant du corps du Christ, la figure de la Madeleine, qui fut un modèle important pour la dévotion intense des Chartreux à la Croix ainsi que pour leur vie contemplative, fut peinte en rouge et or, créant un accent dramatique au pied de la croix et en soulignant son association avec les blessures ci-dessus, en particulier celles des pieds du Christ, qu'elle a lavés et oints avant et après sa mort.
Le rouge a peut-être aussi eu d'autres connotations: selon l'écrivain chartreux Ludolphe de Saxe, il représentait une volonté d'être crucifié avec le Christ, l'un des thèmes récurrents de la dévotion chartreuse à la croix.
Juste en dessous d'elle, l'ange central, qui a des croix gravées dans les manches de sa robe, fait une croix avec les bras, la droite placée sur la gauche, geste que le spectateur chartreux aurait reconnu comme à la fois liturgique et dévotionnel: il a été fait par le prêtre à un moment donné de la liturgie des Chartreux et traduisait le souhait de s'identifier à la Crucifixion, de parvenir à la souffrance partagée et à la compassion et de recevoir la grâce par cette identification." (S. Nash)
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Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Ange Ia. Moulage exposé au Musée des Beaux-Arts de Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
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II. LE PROPHÈTE JÉRÉMIE.
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a) Description.
La statue portait autrefois un manteau d'or doublé de vert et une tunique azurée ou pourpre . C'est le seul prophète à porter ces couleurs et non du bleu comme les autres. Le pourpre est une couleur de la charité et de pénitence. Il s'agit par ailleurs d'une couleur très proche des velours cramoisis fréquemment portés par le duc Philippe le Hardi sur ses vêtements.
La bordure dorée du col et des poignets de la tunique porte des entrelacs . La tunique est serrée par une ceinture dorée aux trous cloutés.
Le visage est celui d'un homme âgé, aux paupières ridées, mais aux traits vigoureux . Les cheveux longs et bouclés sont coiffés d'un bonnet proche du bonnet florentin.
La statue avait été équipée de lunettes ou bésicles : un marché apprend qu'un orfèvre néerlandais établi à Dijon, Hennequin de Haacht (ou Att) avait fourni à la fin de 1402 "un buricle pour Jheremie le prophète" (ainsi qu'un "dyademe de cuivre pour l'ymaige de la Magdelene qui est sur la terrasse de la croix", ce qui en atteste la présence). On sait que le duc Philippe portait des bésicles.
Le livre comporte une reliure dont le rabat à fermoir est replié sur les premières pages.
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b) Inscription.
Jérémie porte un livre entre ses mains d'où tombe un phylactère portant les mots suivants, gravés (et non peints) en lettres gothiques minuscules : Õ VOS OMNES QUI TRANSITIS P[ER] VIA[M] ATTE[N]DITE ET VIDETE SI EST DOLOR SICUT DOLOR MEUS. QR LAMENTAT, « Ô vous tous qui passez sur le chemin, regardez-moi et voyez s'il est une douleur semblable à la mienne » (Lamentations, I, 12).
S. Nash rappelle que les Lamentations étaient le livre de Jérémie qui était le plus lu des chartreux, du dimanche de la Passion jusqu'au Vendredi saint, jour le plus fort de leur dévotion à la Croix. Le livre de méditation principal des chartreux était le Viae Syon Iugent de Hugues de Balma, or, ce titre est issu des Lamentations, et apparaissait dans la liturgie lors des Leçons des Ténèbres du Mercredi.
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c) Signification.
— du personnage : il illustre, avec son livre ouvert et ses bésicles, la LECTURE SILENCIEUSE, l'une des grandes parts de la pratique dévotionnelle des chartreux.
Jérémie est, pour les chartreux, un modèle au même titre que Marie-Madeleine, pour sa vie contemplative.
— de l'inscription : elle incite le moine, ou le visiteur contemplant le Christ en croix, à la compassion : et la participation émotionnelle à la souffrance du Christ mort.
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d) Couleurs : le vert et le pourpre.
"Sur Jérémie, sans surprise, la polychromie est particulièrement importante et choisie avec précision: lui seul ne porte pas de bleu, ce qui - bien que extrêmement coûteux en tant que pigment - ne l’était pas, dans le monde actuel des tissus par opposition au monde peint des images, la couleur qui suggère la dépense et le statut, et il était rarement, si jamais, porté par le duc.
La robe de Jérémie est plutôt rouge violacé et son manteau en or est tapissé de vert, il est le seul prophète à porter cette couleur.
Le vert était présent parmi les couleurs très limitées de la garde-robe du duc, et cela avait une signification particulière pour Philip - il le portait tous les 1er mai en l'honneur de saint Philippe, son patron. Le vert était aussi une couleur associée à Marguerite de Flandre (épouse de Philippe) et reprise par Jean sans Peur, son fils.
De plus, la couleur de sa robe proprement dite, une teinte violette particulière et apparemment soigneusement construite (à en juger par la complexité des couches de peinture évoquées ci-dessus), correspond bien à ce que nous savons du «meilleur» vêtement préféré de Philippe: des vêtements «cramoisy». - une couleur rouge violacé onéreuse, réalisée avec la coûteuse teinture de Kermes - bien plus que tous les autres dans son inventaire de 1404, tandis que les achats de velours cramoisis ont dominé ses dépenses en tissus de luxe. Cependant, le violet a peut-être eu un autre sens ici: dans les textes chartreux contemporains, notamment de Ludolf de Saxe, le violet est souvent désigné comme la couleur de la charité et de la pénitence. En fondant la chartreuse à Champmol, Philippe entreprit un acte de charité massif et, à travers sa pénitence, espéra le salut.
Le traitement spécial des robes peintes de Jérémie s'étend à sa chair: les volumes de son visage, contrairement aux autres sur le Puits, ont été soulignés par Malouel par des hachures visibles à l'oeil nu. De plus, des traces de bleu trouvées sous les tons oeillet sur ses mains suggèrent que les veines ont été prélevées dans les couches de peinture; encore une fois, il est le seul prophète sur lequel cela a été trouvé. Il semblerait que l'impression de vie sur cette figure aux allures d' effigie soit un objectif important de la peinture et de la sculpture.
Le but de cette image de Philippe sur ce monument sous l'apparence de Jérémie ne peut pas être pleinement exploré ici, mais il a clairement servi de rappel aux Chartreux afin qu'ils prient pour son âme, et lui a permis d'être présent, dans une prière perpétuelle, dans ce lieu, le plus sacré des espaces dans l'enceinte des Chartreux, où il avait l'intention de devenir un résident, mais où seuls les moines pourraient être enterrés." (Susie Nash)
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Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Jérémie.Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
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"Selon l'historienne de l'art anglaise Susie Nash, ce prophète pourrait justement reprendre les traits du duc Philippe II de Bourgogne lui-même, le commanditaire de l'œuvre. Elle note une ressemblance entre le visage de Jérémie et celui de la statue du duc présente dans le portail de la chapelle de la chartreuse sculptée également par Claus Sluter, mais aussi avec d'autres portraits connus de Philippe. Tout comme le duc, la statue de Jérémie est représentée glabre, chose inhabituelle dans les représentations médiévales d'un prophète de l'Ancien Testament. Enfin, le duc portait aussi des lunettes, tout comme la statue à l'origine. Par ailleurs, cette représentation pourrait s'expliquer par le fait que Jérémie était considéré comme le prophète le plus important pour les Chartreux, auquel ils s'identifiaient fréquemment. Philippe le Hardi réalisait ainsi en pierre ce qu'il n'avait pas pu faire dans sa vie : se retirer comme Chartreux dans le couvent qu'il avait fondé."
Voici le portait du duc sculpté par Claus Sluter, au portail de l'église de Champmol :
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Philippe le Hardi, portail de l'église de Champmol. Photographie lavieb-aile.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
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L'ANGE IIa ENTRE JÉRÉMIE ET ZACHARIE.
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Description.
Les ailes sont largement déployées aux plumes d'oiseaux comme l'ange Ia, mais ici, c'est toute la poitrine qui est couverte de plumes sous les vêtements. .
Posture : l'ange essuie du revers de sa main droite fléchie son œil droit comme un enfant qui pleure. La main gauche, poing serré, retient les pans du manteau en s'appuyant sur son ventre.
Il se tient droit, de face.
La chevelure toujours abondante, est lisse, et répartie en deux volumes latéraux formant volutes, mais un bandeau retient des cheveux bouclés sur le front.
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Le visage est, comme celui de l'ange Ia, très rond et particulièrement puéril, et toujours terminé par un petit menton . La petite bouche est entrouverte, mais n'est plus concave.
L'ange est enveloppé dans un manteau d'or dont les restes de polychromie indique qu'il était jadis rouge (à motifs de brocarts) avec un revers bleu orné de dessins or. La bande d' orfroi, également peinte en or, est simplement gaufrée de losanges.
Signification.
Il évoque un enfant essuyant ses larmes, et qu'on s'attendrait à entendre renifler. Il illustre donc la participation à la douleur du Christ crucifié, en réponse à la citation des Lamentations de Jérémie.
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Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
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III. LE PROPHÈTE ZACHARIE.
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a) Description.
Le prophète ouvre les bras portant d'une main une plume et de l'autre un encrier.
Il porte un bonnet conique aux hauts bords relevés, au dessus d' une étoffe qui recouvre ses oreilles et passe derrière la nuque, et d'où s'échappe un pan sur l'épaule droite. Cette coiffure évoque celle des grands prêtres juifs, du moins dans l'iconographie chrétienne
Il est vêtu d'un manteau en chasuble, dont les plis conservent des restes de polychromie rouge, au dessus d'une robe rouge si longue qu'elle cache ses pieds.
b) Inscription.
Son phylactère porte les mots: APPENDERUNT MERCEDEM MEAM TRIGINTA ARGENTEOS
« Ils pesèrent mon salaire à trente deniers d'argent » (Zacharie XI, 12).
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c) Signification.
— Typologie : La trahison de Judas. Le lien typologique est souligné par l'évangile de Matthieu 26:15 "alors l'un des douze, appelé Judas Iscariot, alla vers les principaux sacrificateurs et dit Que voulez-vous me donner, et je vous e livrerai ? Et ils lui payèrent trente pièces d'argent". Tandis que son remords est décrit en Matthieu 27:3-4 "Alors Judas, qui l'avait livré, voyant qu'il était condamné, se repentit, et rapporta les trente pièces d'argent aux principaux sacrificateurs et aux anciens en disant : J'ai péché, en livrant le sang innocent."
. Le verset de Zacharie est inscrit sur le panneau peint par Fra Angelico représentant Judas recevant sa récompense des mains du grand prêtre sur un panneau de l'Armoire aux vases sacrés :
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Fra Angelico, armoires aux vases sacrés.
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— Occupation des Chartreux : la copie, l'ÉCRITURE (plume, encrier).
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Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le prophète Daniel, moulage vers 1880, plâtre patiné, exposé au Musée des beaux-arts de Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
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L'ANGE IIIa ENTRE ZACHARIE ET DANIEL .
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Description.
La coiffure est spectaculaire, de type "vermiculaire" comme aspirée vers l'extérieur en plusieurs masses serpentines.
Posture : la main droite est posée sur la poitrine (posture des servants d'autel ou acolytes pour la main libre lors des offices) tandis que la paume de la main gauche est appliquée contre l'œil. La tête est tournée vers la gauche.
L'habillement est particulièrement riche et complexe. Un manteau bleu à col remontant derrière la nuque couvre, au dessous des genoux, une aube blanche. Ce manteau azur aux parements or est fendu sur les deux cotés, et la fente est ornée de deux glands à franges. Il s'enfile par la tête comme une chasuble, et il doit d'autant plus être reconnu comme un vêtement liturgique qu'un manipule entoure le poignet gauche. Son ornementation brodée associe des soleils et des étoiles.
Les bandes d'orfroi sont ornées d'un intéressant motif d'entrelacs de cordelettes.
Signification.
La posture pourrait évoquer un adolescent en train de sécher ses larmes, ou bien consterné par ce qu'il voit et tentant de se protéger de sa vision. C'est par exemple celle de Jean sur le tableau de Fra Angelico Calvaire avec Juan de Torquemada.
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Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Ange IIIa, moulage vers 1880, plâtre patiné, exposé au Musée des beaux-arts de Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
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IV. LE PROPHÈTE DANIEL.
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a) Description.
Daniel est tourné vers Isaïe à qui il parle, la bouche entrouverte. Son visage est plein de vigueur, sa barbe pointée vers l'avant accentuant sa force de conviction. Il porte un chaperon doré aux reflets bleus, un manteau d'or doublé d'azur dont les orfrois sont décorés d'un rinceau de feuilles de lierre, une tunique d'or aux manches à 12 boutons ronds, serrée par une ceinture à boucle ronde. Ses souliers sont bruns recouverts d'une sandale aux lanières et semelle dorées.
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b) Inscription.
Son phylactère qu'il désigne du doigt indique : POST EBDOMAD[AS] SEXAGINTA DUAS OCCIDETUR X~US [CHRISTUS]
correspondant au verset de la Vulgate du Livre de Daniel IX:26 : « Après soixante-deux semaines, Christ sera tué » ( ou "Après les soixante-deux semaines, un Oint sera retranché" pour Louis Segond, et " A la fin des soixante-deux septaines, un homme ayant reçu l’onction sera mis à mort" dans la Bible du Semeur).
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c) Signification.
— Typologie : Le décompte, élargi à celui de 70 semaines si on lit l'ensemble de la prophétie (7 + 62 +1) est appliqué à la vie de Jésus. Le verset est lu comme une prophétie de la Passion.
— activité des chartreux : pour S. Nash, Daniel illustre le rôle de la PAROLE.
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Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
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L'ANGE IVa ENTRE DANIEL ET ISAÏE.
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a) Description.
La chevelure reste très ample, bouclée mais moins vermiculaire, avec un groupe de boucles au centre.
Le visage, plus mûr d'allure que les anges précédents, peut sembler souriant, mais l'examen rapproché montre que le regard est vague, comme éperdu, et que la bouche est crispée.
La posture générale associe un déhanchement du corps et une inclinaison opposée de la tête vers la gauche. Les mains sont jointes, main gauche fléchie sur la main droite fermée, selon une gestuelle propre aux émotions intenses.
L'habillement est composé d'une chape et d'une aube blanche. La chape, sans-doute liturgique, est de couleur verte, avec un fermail formé d'un écusson dans une rose, entre deux médaillons à croix intégrés aux orfrois à végétaux trifoliés.
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b) Signification.
Cet ange est l'un des quatre qui, après les deux qui exprime la douleur, porte un habit liturgique.
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Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Ange IVa entre Daniel et Isaïe, moulage vers 1880, plâtre patiné, exposé au Musée des beaux-arts de Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
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V.LE PROPHÈTE ISAÏE.
a) Description.
Le prophète est penché légèrement du côté de Daniel, la tête nue, un livre sous le bras : son surcot en étoffe d'or était broché ( tissé) en rouge et bleu.
Sous le livre, il porte à la ceinture une escarcelle décorée de six glands, d'où sort un morceau de parchemin et auquel est attachée une écritoire.
b) Inscription.
On notera d'abord l'inscription du socle, difficile à déchiffrer. Il faut y lire YSAYAS PROPHE. Cette graphie issue du latin Isaias est bien attestée au XIIe siècle (Bestiaire de Ph. de Traon) et dans le texte Les Prophètes du Christ de S. Martial de Limoges d'après le Ms 1139 latin.
J'ignore s'il s'agit de la peinture d'origine.
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De la main gauche, Isaïe porte le phylactère : SICUT OVIS AD OCCISIONEM DUCET[UR] + [ET] QUASI AGNUS CORAM TONDENTE SE OBMUTESCET ET NON APERIET OS SUUM
Les lettres de gothique textura sont peintes en noir, en débutant par un beau S majuscule
: « Il sera mené à la mort comme une brebis qu’on va égorger ; il demeurera dans le silence sans ouvrir la bouche, comme un agneau est muet devant celui qui le tond. » (Isaïe, LIII, 7)
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c) Signification.
— Typologie du verset Is. 53:7 Ce verset appartient à la liturgie du temps pascal, dans laquelle les textes d'Isaïe sont souvent cités, notamment Isaïe 53:5 et 53:7 (tandis que les versets Isaïe V7: 14, IX 6 et 11: 1 sont repris aux temps de l'Avent et de la Nativité. Il fait allusion au Christ comme agneau pascal égorgé lors de la Passion.
— Valeur monastique : le Silence
— Activité monastique : l'ÉCOUTE.
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Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Posture générale hanchée. La main droite est posée sur la poitrine (posture des servants d'autel ou acolytes pour la main libre lors des offices), l'autre entoure entre pouce et doigts longs les joues en les creusant par leur appui.
Robe longue (laissant apparaître les pieds nus) ornée de larges bandes transversales gaufrées, selon le même motif qu'au poignets et au cou (ou le haut col s'évase) .
b) Signification.
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La gestuelle évoque celle de la perplexité, ou l'effroi.
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Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Ange Va entre Isaïe et Moïse, moulage vers 1880, plâtre patiné, exposé au Musée des beaux-arts de Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
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VI. MOÏSE.
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a) Description.
Le prophète est représenté avec deux cornes sur le front (selon la tradition qui, depuis saint Jérôme, a confondu le front embrasé par la Divinité et ces cornes ) et avec une longue barbe descendant jusqu'à la poitrine. Les cheveux et la barbe semblent témoigner, par leur élan centripète, de l'embrasement de Moïse qui a contemplé la face de Yahvé au Buisson Ardent. Son regard est tourné vers les Cieux (ou vers le sommet du monument) .Il tient de la main droite les tables de la Loi et de la main gauche un phylactère. Il porte une tunique rouge tenue par une ceinture à boucle ainsi qu'un manteau d'or doublé d'azur.
b) Inscription.
Le texte : IMMOLABIT AGNUM MULTITUDO FILIORUM ISRAHEL AD VESPERAM [PASCHAE] : « la multitude des fils d'Israël immolera l'agneau au soir [de Pâques] » (Exode, XII, 6) est une prescription donnée à Moïse par l'Eternel afin qu'il le transmette au peuple d'Israël. Cette prescription organise la Pâque juive lors de la sortie d'Égypte ou Exode. Saint Paul, dans la Première Épître aux Corinthiens, 5:7-8 a écrit Pascha nostrum immolatus est Christus "Le Christ notre Pâque a été immolé" (un verset chanté en grégorien, un hymne chanté pendant la messe de Pâques).
c) Signification.
Typologie.
Comme le verset d'Isaïe, celui-ci rappelle que pour les chrétiens qui ont repris la symbolique de la fête juive, le Christ est devenu l'agneau immolé pour sauver l'humanité de ses péchés.
Il est directement en lien avec le thème général du Christ comme Agneau immolé dont le sang s'écoule de la Croix pour remplir continuellement la Fontaine du Salut. (Cf Agneau mystique de Gand).
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Modèle réduit au tiers par Joseph Moreau, , sous la direction de Charles Fevret de Saint-Mémin. 1840, bois et plâtre polychromé. Musée MBA de Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
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L'ANGE Va ENTRE MOÏSE ET DAVID.
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a) Description.
Il est vêtu d'une chape bleue à fermail en cabochon pyramidal,posé sur une rose, et d'une aube blanche. Il porte deux accessoires de paramentique, l'étole, croisée sur la poitrine (insigne du prêtre lors de la messe ou de l'administration des sacrements) et le manipule au poignet gauche (autre insigne du prêtre pendant la messe). La chape remplaçait la chasuble des prêtres dans les cérémonies solennelles (mais non lors de la messe ?). Elle est bleu-clair frappée de soleils dorés, comme le manteau de David que l'ange surplombe.
L'orfroi de la chape, les poignets et la bordure de la fente inférieure de l'aube, l'étole et le manipule sont ornés du même motif gaufré en losanges dorés. Les extrémités du manipule sont frangées.
La chevelure est de type vermiculaire exubérant, avec un toupet au dessus du front.
Le visage est calme et détendu, la bouche fine est concave mais presque souriante, l'expression générale est celle d'une concentration ouverte, d'une gravité bienveillante.
Les mains ont été restaurées en 1842, mais elles correspondent à celles de la copie du Puits faite en 1508 à l'Hôpital Saint-Esprit de Dijon, qui servi de modèle à la restauration. De plus, on imagine mal quelle autre posture pourrait s'y adapter de façon satisfaisante.
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b) Signification. La célébration liturgique ; la méditation
— signification liturgique. Le geste mains levées est effectué par le célébrant après l'élévation, et on le trouve illustré ainsi dans les Instructions pour la messe du début du XIVe siècle BnF fr. 13342 folio 47v .
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Instructions pour la messe, début du XIVe siècle BnF fr. 13342 folio 47v . Copyright BnF Gallica
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— Posture de prière monastique.
La méditation est le 5ème mode de prière de saint Dominique. Les mains s'élèvent à la hauteur des épaules. On le trouve illustré dans De modo orandi par les moines en adoration devant le Crucifix vivifié et actualisé en fontaine de sang :
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De modo orandi, droits réservés Vatican
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Le puits de Moïse, de Claus Sluter et atelier. 1395–1404. (pierre d'Asnières, avec traces de dorure et polychromie). Chartreuse de Champmol, Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
Ange VIa entre Moïse et David, Puits de Moïse par Claus Sluter, Claus de Werve et Rogier de Westerhan. 1399-1401. Pierre d'Asnières avec traces de polychromie. Mains restaurées en1842. Photographie lavieb-aile août 2019.
Ange VIa entre Moïse et David, Puits de Moïse par Claus Sluter, Claus de Werve et Rogier de Westerhan. 1399-1401. Pierre d'Asnières avec traces de polychromie. Mains restaurées en1842. Photographie lavieb-aile août 2019.
Ange VIa entre Moïse et David, Puits de Moïse par Claus Sluter, Claus de Werve et Rogier de Westerhan. 1399-1401. Pierre d'Asnières avec traces de polychromie. Mains restaurées en1842. Photographie lavieb-aile août 2019.
Ange VIa entre Moïse et David, moulage vers 1880, plâtre patiné, exposé au Musée des beaux-arts de Dijon. Photographie lavieb-aile août 2019.
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LA GRANDE CROIX (détruite).
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Elle a disparue, mais une reconstitution avait donné lieu en 1840 à un modèle réduit au tiers par Joseph Moreau, sous la direction de Charles Fevret de Saint-Mémin, avec sur la terrasse trois personnages, la Vierge, saint Jean, et Marie-Madeleine levant les bras. Ce modèle est exposé au Musée des Beaux-arts de Dijon à coté des moulages.
Cette disparition ampute le monument de sa signification allégorique et de sa valeur comme icone de méditation pour les moines, puisque toute la tradition monastique insiste sur l'importance de la contemplation du Crucifix pour susciter la compassion et l'identification.
L'actuelle dénomination de "Puits de Moïse" qui remplace celle de Grande Croix, facilite la mauvaise interprétation en donnant le premier rôle au prophète de l'Exode alors que les six figures de l'Ancien Testament n'avaient de sens que par leur rôle d'infrastructure de la Croix que Marie-Madeleine baignait de ses larmes.
L'allégorie mise en image, ayant perdu son principe, est ininterprétable à moins d'en restituer par l'imagination et la documentation son premier terme.
Voici la première reconstitution :
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Puits de Moïse, modèle réduit au tiers par Joseph Moreau, sous la direction de Charles Fevret de Saint-Mémin, MBA Dijon. Photographie lavieb-aile.
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Les travaux de Susie Nash lui ont permis de proposer une nouvelle reconstitution, notamment par étude des archives, des pièces de scellement de la terrasse, et d'un fragment retrouvé, celui des bras de Marie-Madeleine, avec des traces de polychromie rouge et des traces d'outil à l'intérieur des bras, dont on conclue qu'ils enserraient la base de la croix.
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La Grande Croix selon S. Nash. Copyright.
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Les bras croisés de Marie-Madeleine. Claus Sluter 1399. Photo par Xaviateur sur Wikipedia. fragment rescapé du toit du Puits de Moïse par Claus Sluter et Jan van Prindale. 1398–99. Pierre d'Asnières , 17 x 36 cm. (Musée archéologique, Dijon).
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MARIE-MADELEINE AU PIED DE LA CROIX, MODÈLE DE PIÉTÉ.
ICONOGRAPHIE
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Marie-Madeleine au pied de la croix a été peinte par Simone Martini, vers 1333 sur, le Polyptique Orsini, dont on sait qu'au moins un panneau était présent à la Révolution dans la cellule du prieur de Champmol. On remarque la couleur rouge de la robe de Madeleine, mais aussi le ruissellement du sang des pieds, le "Précieux Sang" des mains étant recueilli par les anges non pas dans des calices comme habituellement, mais sur leur corps ailé.
Le sang coule le long du fût, passe par les mains et les bras croisés de Marie-Madeleine, atteint le sol où il rejoint un ossement (une mandibule) selon la tradition voulant qu'Adam ait été enterré au Golgotha.
Le sang de la cinquième plaie, celle du flanc ne doit pas être négligée. Elle s'écoule le long de la hampe de la lance de Longin, qui pointe son index vers sa paupière. Cela témoigne de la tradition qui veut qu'il ait été guéri par une goutte de ce sang d'un cécité, belle mise en image de la conversion.
Un autre exemple de ce motif est retrouvé par S.Nash dans la Descente de croix, au folio 156V des Très Riches Heures du duc de Berry peinte entre 1414 et 1416 par les Frères Limbourg, et donc postérieure au Puits de Moïse. Or, on peut penser que ces derniers connaissaient le travail de Claus Sluter à Champmol (et le retable Orsini) puisqu'ils étaient les neveux de Jean Malouel, le peintre chargé de la polychromie du Puits.
On y retrouve la posture de Marie-Madeleine, sa robe rouge, mais surtout l'écoulement du sang passant par ses mains et ses bras.
Vers 1442, une quarantaine d'année après la réalisation du Puits de Moïse, le frère dominicain Fra Angelico a peint à fresque une Crucifixion avec la Vierge, Marie-Madeleine et saint Dominique pour la cellule 25 du couvent de San Marco à Venise. (Marie-Madeleine apparaît aussi, avec une place majeure, dans le Noli me tangere de la première cellule, agenouillée devant les pieds du Christ dont les stigmates sont figurées par des fleurs rouges, et, toujours agenouillée pour embrasser les pieds du Christ, dans la Déploration de la cellule n°2 ).
Marie-Madeleine y apparaît comme le modèle de piété que saint Dominique propose aux Dominicains, et c'est elle qui reçoit l'onction sanguine du flanc et des pieds du Christ. L'écoulement descend le long de la croix pour suivre ensuite une rigole creusée sur le Golgotha jusqu'à la terre, dans cette couleur rouge qui colore aussi le sang coulant le long des bras, la robe de la sainte, les lettres du titulus et les bras du nimbe crucifère
Fra Angelico, Crocefissione con la Vergine, la Maddalena e San Domenico, 176 cm × 136 cm, Couvent San Marco cellule 25,
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La contemplation du "Crucifix saignant" (comment trouver une autre expression ?) est une constante de la pratique monastique des Dominicains et des Chartreux. Elle a été pratiquée et favorisée par la Vita Christi de Ludolphe le Chartreux, associée au culte du Cœur du Christ, (par une assimilation, fausse anatomiquement, entre la plaie du flanc droit et la blessure du cœur)
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« Le Cœur du Christ a été blessé pour nous d'une blessure d'amour, afin que nous par un retour amoureux nous puissions par la porte du côté avoir accès à son Cœur, et là unir tout notre amour à son divin amour, de façon à ne faire plus qu'un même amour, comme il en est du fer embrasé et du feu. Car l'homme doit… ordonner tous ses désirs vers Dieu par amour pour le Christ… et conformer en tout sa volonté à la volonté divine, en retour de cette blessure d'amour qu'il reçut pour l'homme sur la croix, quand la flèche d'un amour invincible perça son très doux Cœur… Rappelons-nous donc quel amour plus qu'excellent le Christ nous a montré dans l'ouverture de son côté en nous ouvrant par là large accès à son Cœur. Hâtons-nous d'entrer dans le Cœur du Christ, recueillons tout ce que nous avons d'amour pour l'unir à l'amour divin, en méditant sur ce qui vient d'être dit »
Ludolphe le Chartreux, — Vita Christi , Livre II, Chapitre 64
Maître de Jacques de Besançon — Ludolphe de Saxe, Vita Christi, 1474. University of Glasgow Library, Special Collections Department, Sp Coll T.C.L. f10 Vol. 1.
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LE PUITS DE MOÏSE, UNE FONTAINE DE VIE.
Je citerai Susie Nash.
"The Magdalene may have been seen in both cases [Cluses and Champmol] as particularly meaningful with respect to their juxtaposition with water, since an analogy was often drawn between the Magdalene and liquid, with her being compared to a fountain, which stemmed from the copious, efficacious and virtuous tears she she dover Christ: the papallegate and cardinal Eudes de Chateauroux (d.1273) expressed this relationship in one of his sermons as follows:
‘the lord made blessed Mary Magdalene, as it were, an overflowing fountain in the middle of his church in which sinners are able to wash away their sins’; Jansen, op. cit. (note 27), p.210; (« le Seigneur a fait de Marie-Madeleine , pour ainsi dire, une fontaine débordante au milieu de son église où les pécheurs sont capables de laver leurs péchés»
see also Büttner, op. cit. (note 27), pp.147–48. The efficacy of the Magdalene’s tears was emphasised in many medieval sermons and the need to weep during prayerful meditation is emphasised in Carthusian writings, for example those of Hugh of Balma and, very extensively, Ludolf of Saxony;see ,for instance, his Vita Christi; : "it is plain how powerful are the tears of prayer, especially those shed in remembrance of the passion of Christ" []« Il est clair que la puissance larmes de la prière est manifeste,, en particulier celles survenues en souvenir de la Passion du Christ ».. (S. Nash 2008)
Le thème de la Fontaine de vie a été étudié par Émile Mâle en 1908, et il en donne les exemples suivants :
Gand, Agneau mystique, Van Eyck, , 1442
Beauvais, église Saint-Etienne, vitrail, baie n°12 par Engrand Leprince vers 1522.
Le culte du sang du Christ inclut aussi celui des Stigmates reçues par saint François au XIIIe s, des Cinq Plaies, de la Saint Longin et de la Sainte Lance, du Pressoir mystique, et la représentation des anges hématophores autour des crucifix (depuis Cimabue et Giotto, et en 1400 à Bruges), mais aussi la légende du Précieux Sang et celle du Graal. Il a été interdit par le pape Pie II en 1464.
Mais devant ce thème profus et arborescent, je pense que le fil rouge le plus sûr et le plus adapté est celui qui part des pratiques dévotionnelles des moines au XIIIe siècle pour mener vers le Puits de Moïse.
—DEHAINES (Chretien Cesar Auguste), 1886, Documents et extraits divers concernant l'histoire de l'art dans la Flandre, l'Artois & le Hainaut avant le XVe siecle, par M. le chanoine Dehaisnes, Lille
— DUTHEILLET DE LAMOTHE (Sophie), Le corps vertueux. Théorie et pratique de la prière dans l’instruction des novices dominicains (XIII e - XV e siècles), Sophie Dutheillet de Lamothe. Le corps vertueux. Théorie et pratique de la prière dans l’instruction des novices dominicains (XIII e - XV e siècles). e-Spania - Revue interdisciplinaire d’études hispaniques médiévales et modernes, Civilisations et Littératures d’Espagne et d’Amérique du Moyen Âge aux Lumières (CLEA) - Paris Sorbonne, 2015, ff10.4000/e-spania.24931ff. ffhal-01442036f
— GAY ( Françoise), 1987, . Les prophètes du XIe au XIIIe s. (Épigraphie). In: Cahiers de civilisation médiévale, 30e année (n°120), Octobre-décembre 1987. pp. 357-367; doi : https://doi.org/10.3406/ccmed.1987.2381 https://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_1987_num_30_120_2381
— HOOD (William), 1986, Saint Dominic's Manners of Praying: Gestures in Fra Angelico's Cell Frescoes at S. Marco, The Art Bulletin, Vol. 68, No. 2 (Jun., 1986), pp. 195-206
— JUGIE (Sophie) et Daniel Russo, 2008, Autour du « Puits de Moïse ».Pour une nouvelle approche, Dijon, colloque, 16-18 octobre 2008.https://journals.openedition.org/cem/11075
— KAGAN (Judith), 1990 "Les moulages des vestiges de l'ancienne chartreuse de Champmol", Sluter en Bourgogne : mythe et représentations : catalogue d'exposition au musée des Beaux-Arts, Dijon, 1990, p.34-38
— KOLDEWEIJ (Jos), 2007, A pilgrim's badge and ampulae possibly from the Chartreuse of Champmol, in Sarah Bilck (ed.), Beyond Souvenir and Secular Badges. Essay in Honour of Brian Spencer, Oxford, p.64-72.
— LINDQUIST Sherry C. M. 2011, Visual Meaning and Audience at the Chartreuse de Champmol: A Reply to Susie Nash's Reconsideration of Claus Sluter's Well of Moses , Different Visions: A Journal of New Perspectives on Medieval Art (ISSN 1935- 5009) Issue 3, September 2011
— MONGET, Cyprien (1898). La Chartreuse de Dijon : d'après les documents des archives de Bourgogne / par Cyprien Monget,... ; dessins d'Etienne Perrenet. 1898.
— NASH (Susie), Le retables of Jacques de Baerze and Melchior Broederlam, A reconsideration of the sources .Collaboration and the Making of Meaning on the Well of Moses
— NASH (Susie), 2005 « Claus Sluter’s ‘Well of Moses’ for the Chartreuse de Champmol reconsidered, part I », The Burlington Magazine, vol. CXLVII, n° 1233, décembre 2005, p. 798-809
— NASH (Susie), 2006 « Claus Sluter’s ‘Well of Moses’ for the Chartreuse de Champmol reconsidered, part II », The Burlington Magazine, vol. CXLVIII, n° 1240, juillet 2006, p. 456-467.
— NASH (Susie), 2008, « Claus Sluter’s ‘Well of Moses’ for the Chartreuse de Champmol reconsidered, part III », The Burlington Magazine, Vol. 150, No. 1268, Sculpture (Nov., 2008), pp. 724-741
— NASH (Susie),, Between France and Flanders : Manuscript Illumination in Amiens in the Fifteenth Century, Londres - Toronto, 1999.
— NASH (Susie),, « No Equal in Any Land » : Andre Beauneveu, Artist to the Courts of France and Flanders, avec une contribution de Till-Holger Borchert, Londres, 2007.
— NASH (Susie),‘Pour couleurs et autres choses prise de lui …’: The Supply, Acquisition, Cost and Employment of Painters’ Materials at the Burgundian Court, c.1375–14191 Susie Nash
— PALAZZO (Eric), 2017, « La liturgie dévotionnelle et les cinq sens : les neuf modes de prière de saint Dominique », Perspectives médiévales [En ligne], 38 | 2017, mis en ligne le 01 janvier 2017, consulté le 23 septembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/peme/12269 ; DOI : 10.4000/peme.12269
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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PRESENTATION.
Entre presqu'île de Crozon, Pays du Porzay et Pays des bords de l'Aulne, la chapelle de Sainte-Marie du Ménez-Hom, siège jadis de foires très fréquentées, est l'une des perles touristiques d'une région qui n'en manque pas (la chapelle Saint-Côme et saint-Damien de Saint-Nic est toute proche).
Les sculptures sur pierre de kersanton du calvaire de l'enclos possèdent autant d'intérêt que les trésors de sculpture sur bois de l'intérieur de la chapelle, notamment par la participation du meilleur sculpteur de Basse-Bretagne au XVIIe siècle, Roland Doré, qui a complété par une superbe Vierge à l'Enfant les réalisations datant de 1544.
_Les fûts des croix des larrons sont cylindriques, posés sur un socle cubique chanfreiné de kersanton lui-même placé sur un massif de pierre et un emmarchement de granite à un degré.
_Le fût de la croix centrale est octogonal, posé sur un socle cubique chanfreiné de kersanton sur un emmarchement en granite à trois degrés. Les chanfreins du socle portent une inscription qui sera détaillée ensuite. Le fût reçoit les deux croisillons, le premier supportant les statues géminées de Jean opposé à Pierre et de Marie-Madeleine [et non la Vierge comme l'indique le Père Castel] opposée à saint Yves. Une Pietà centre ce croisillon du coté ouest, tandis que le coté opposé reçoit une Vierge à l'Enfant. Le second croisillon porte les deux cavaliers de la Passion entourant, à l'ouest, le Christ en croix dont deux anges recueille le sang, avec, à l'est, le Christ aux liens.
Lorsque Y-P. Castel a examiné le calvaire en 1980, les vestiges des cavaliers et des larrons étaient conservés dans la chapelle. Le calvaire a donc été restauré par la suite.
Les calvaires à deux croisillons ( à un ou trois fûts).
Le calvaire de Sainte-Marie-du Ménez-Hom, daté de 1544 est édifié au cœur de la période pendant laquelle on voit éclore, en Finistère à la limite du Léon et de la Cornouaille, notamment dans les enclos paroissiaux, des calvaires à deux croisillons, en kersanton dont la majorité répondent à la même organisation donnant place à deux statues géminées (avec la Vierge et Jean sur la face occidentale), les deux cavaliers de la Passion, une Pietà ou Déploration au centre et un Christ au lien sur l'autre face, et enfin Marie-Madeleine agenouillée au pied de la Croix . Il y a donc reprise par les ateliers de sculptures d'un modèle, jamais copié mais toujours développé.
Dans quelques cas, trois fûts ont été érigés, pour le Christ et les deux larrons, alors que ces derniers occupent dansd'autres cas le croisillon supérieur.
La liste chronologique suivante peut être proposée :
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Pencran nord, (1521 par inscription). Trois fûts. Marie-Madeleine agenouillée au pied de la croix. Deux cavaliers, Madeleine/ Yves, Jean/Pierre. Pietà, Vierge à l'Enfant .
Saint-Ségal, chapelle Saint-Sébastien (vers 1541-1554), par les frères Prigent.
Lopérec (1552) par Fayet, compagnon des Prigent. Marie-Madeleine agenouillée au pied de la croix. Trois fûts . Deux cavaliers, Christ aux liens, Jean ?/Marie-Madeleine / et Vierge/Pierre, Christ ressuscité.
Plougonven, (1554), Henri et Bastien Prigent. Calvaire monumental. Marie-Madeleine agenouillée au pied de la croix. les larrons sur des croix séparées (mais depuis le XIXe), saint Yves,
Pleyben (1555) par Henri et Bastien Prigent. Calvaire monumental. Marie-Madeleine agenouillée au pied de la croix.
Cléden-Poher (1575)
Loqueffret (1576?)
Plounéventer (1578)
Guimiliau (1581-1588)
Locmélar (vers 1600), par le Maître de Plougastel
Plougastel (1602-1604) par le Maître de Plougastel.
Saint-Thégonnec (1610). Trois fûts. Deux cavaliers, Pietà, Christ aux liens, Yves.
Les calvaires à deux croisillons.
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La mace et son inscription de 1544.
L'inscription en lettres romaines perlées est sculpté en réserve sur le chanfrein du socle, sur deux de ses bords. On admirera ses lettres conjointes (fusionnées, EH), ses empattements par élargissements des fûts (L, A, V), ses O et D en deux (), les X dont la patte antérieure fait un retour enjoué, le tilde remplaçant le N d'ALONDER, les lettres jamais mécaniques, et toujours différentes, les deux sortes de E, l'élision de [AN] avant la date, etc.
Elle indique :
JEHAN LE ALONDER FABRICQVE FEIST CESTE C / ROIX FAIRE L M VCC XLIIII
soit Jehan Le Alonder fabrique a fait faire cette croix en l'an 1544.
Le patronyme ALONDER a disparu en France depuis 1915, mais il est attesté, non à Plomodiern, mais dans la proximité du Ménez-Hom à Argol, (39), Dinéault, (20), Trégarvan, (8), Dinéault, Saint-Nic, Cast, 29025 (2), Chateaulin (2). La forme LALLONDER est toujours attestée, en Finistère essentiellement, surtout à Crozon mais aussi à Telgruc-sur-mer et Trégarvan. Albert Deshayes qui en donne en variante les graphies ALLONDER, LALONDER et LALLONDER, "ces deux dernières par agglutination de l'article LE", en signale l'origine française bourguignonne ARONDEL, diminutif de aronde, "hirondelle"., exprimant l'agilité du porteur de ce surnom. Il rappelle les liens entre la Bretagne et la Bourgogne, et le fait que le duc de Bretagne Jean V (1389-1442) avait passé sa minorité à la cour de Philippe Le Hardi.
La date de 1544 est remarquable, puisque c'est la plus précoce de toutes les dates inscrites dans le sanctuaire. En effet, si la chapelle d'origine date de la première moitié du XVIe siècle, les dates les plus anciennes portées sur le corps du bâtiment indiquent 1570, 1572, 1573 et 1574.
Elle situe ce calvaire chronologiquement après celui de Pencran, mais avant ceux de Lopérec, Plougonven, Pleyben et Saint-Sébastien en Saint-Ségal,et en pleine période d'activité des Prigent de Landerneau.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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SAINTE MARIE-MADELEINE AU PIED DE LA CROIX.
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La statue est indépendante du socle et elle a pu être déplacée. Elle est aujourd'hui positionnée de telle sorte qu'elle accolée au fût, auquel la sainte fait face. Marie-Madeleine est agenouillée, le visage levée vers le Christ en croix. Les bras aux coudes fléchis ont été brisés, mais pouvaient être légèrement écartés paumes tournés vers le haut en geste d'adoration autour du fût. Les cheveux longs sont un élément d'identification, ils descendent jusqu'aux reins. La sainte est vêtue d'une robe assez complexe, serrée par une ceinture fine, aux manches évasées, et dont l'arrière se relève en corolle dans un mouvement ondé spectaculaire et opulent avant de descendre vers le sol en plis serrés.
Cette posture et cette robe la rapprochent de la statue de Marie-Madeleine au pied du calvaire nord de Pencran, dont elle ne diffère principalement que par l'absence de foulard.
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calvaire nord de Pencran. Photo lavieb-aile
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Mais on retrouve ce type de statues également à Pencran, par Bastien Prigent sur la pelouse du placître, à Lopérec par Fayet, compagnon de Prigent, au Tréhou, à Commana, et à Saint-Ségal au pied du calvaire du bourg et de celui de la chapelle Saint-Sébastien. Ou sur les calvaires monumentaux de Plougonven et de Pleyben par les Prigent.
La place très particulière qui est réservée à Marie-Madeleine au pied de la Croix sur ces œuvres d'art dès le XIVe et XVe siècle a été bien analysée par les historiens de l'art (qui sont de plus en plus des historiennes) et mise en rapport avec sa place privilégiée dans les évangiles, soit comme modèle de contemplation silencieuse de Jésus avec la fameuse phrase "elle a choisi la meilleure part" (Luc 10:42) face à l'activisme ménager de sa sœur Marthe, soit comme modèle de compassion lors de la Passion ou de la Mise au Tombeau, soit comme premier témoin du Christ ressuscité prenant l'apparence d'un jardinier. Pendant tout le Moyen-Âge, Marie de Magdala a été assimilée à Marie de Bethanie, qui se livre à l'onction des pieds de Jésus par du parfum. Dans l'iconographie, elle est toujours placée aux pieds du Christ (Vermeer, 1655), notamment dans les Mises au Tombeau, où elle est souvent mise à part des autres saints personnages, agenouillée en avant du tombeau .
Ce simple lien avec les pieds du Christ pourrait justifier qu'elle embrasse le pied de la Croix, mais ce serait sous-estimer le culte qui lui fut rendue par les Ordres religieux qui en ont fait la figure du chagrin de compassion, de la contemplation silencieuse, du repentir et de l'humilité.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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LA FACE OCCIDENTALE : CRUCIFIX, CAVALIERS, PIETÀ, JEAN ET MARIE-MADELEINE.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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LE CROISILLON INFÉRIEUR : JEAN ET MARIE-MADELEINE AUTOUR DE LA PIETÀ.
Cette composition réalise une Déploration à trois personnages où Jean et Marie-Madeleine entourent la Vierge autour du Christ mort.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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La Pietà.
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La Vierge porte le corps de son Fils par sa main droite posée sur son genou, tandis que le genou gauche est posé au sol.
La tête de Marie est coupée. Seule cette tête est attribuée par E. Le Seac'h au sculpteur Roland Doré. Le grain de la kersantite y est bien différent et ponctué de multiples trous.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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Saint Jean.
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Sa main droite est brisée ; la main gauche est posée sur la poitrine. Il est tourné vers l'extérieur du calvaire, ce qui est incohérent et témoigne d'une modification lors du remontage . Nous pouvons supposer qu'à l'origine, il se tenait à gauche, et Marie-Madeleine à droite (ce qui inverse aussi les statues de Pierre et d'Yves orientées vers l'est), ou que le groupe ait été pivoté à l'envers : nous aurions alors à l'ouest Pierre et Marie-Madeleine, et à l'est Jean et Yves. Mais cette dernière possibilité doit être écartée car seuls Jean et Marie-Madeleine ont leur place autour de la Vierge de Pitié.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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Marie-Madeleine.
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Elle est identifiée par sa longue chevelure et par le flacon d'aromate dont elle soulève le couvercle. Elle est vêtue d'une cape, d'une robe à plis tuyautés, et aux manches bouffantes et plissées puis resserrées aux poignets, sans dentelle.
Le visage de facture assez malhabile frappe surtout par la petitesse de la bouche.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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LE CROISILLON SUPÉRIEUR : LES DEUX CAVALIERS AUTOUR DU CRUCIFIÉ.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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Le Crucifié.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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Les anges hématophores au pied de la Croix.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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Les cavaliers de la Passion.
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Sur le croisillon supérieur sont installés deux cavaliers tournés vers le calvaire. Celui de gauche pointe son index vers son œil gauche : c'est Longin, celui qui perça de sa lance le flanc droit du Christ (il est donc normal qu'il soit à sa droite). En face de lui, c'est le Centenier, ou Bon Centurion, qui, sur les enluminures les peintures et les vitraux, est accompagné d'un phylactère énonçant son acte de foi rapporté par Matthieu 27:54 : Vere filius Dei erat iste. Celui-là était vraiment le Fils de Dieu
Ce sont les mêmes qui figurent sur le calvaire nord de Pencran, ou sur celui de la chapelle Saint-Sébastien de Saint-Ségal, où je les ai décrits en détail.
Ici comme ailleurs, ils ont perdu (s'ils ont jamais existé) les objets qu'ils tenaient en main : la lance pour Longin, un étendard (ou un insigne de commandement) pour le Centenier.
Emmanuelle Le Seac'h les nomment Longin et Stéphaton, mais ce dernier est celui qui tend au bout d'une perche l'éponge imbibée de vinaigre : ce dernier nom est a priori inapproprié, car le binôme constant dans l'iconographie est celui de Longin et du Centenier, mais l'absence d'inscription ne permet pas d'être formel.
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1. Le cavalier Longin guéri de son trouble de vision par le sang du Christ.
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Il porte l'index vers sa paupière gauche, la tête levée. Il est vêtu d'une cape d'officier à large col arrondi, à 4 boutons ronds dans leur boutonnière et à ceinturon (cette attention aux détails d'habillement évoque l'atelier des Prigent), mais il est coiffé sur un bonnet à oreillettes d'un chapeau conique ceint par un turban et s'achevant (après un anneau) par une houppe, comme les Juifs de l'iconographie chrétienne du XVIe . Sa main droite est fermée en creux mais la lance est absente .
La barbe est courte, tendue vers l'avant, et dotée d'une moustache en épaisses virgules débutant sur le coté des narines.
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Il diffère peu du Longin du calvaire nord de Pencran, dont le manteau est long.
Calvaire nord de Pencran. Photo lavieb-aile.
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Il diffère par quelques détails du Longin de Saint-Sébastien de Saint-Ségal (qui portait une cuirasse sous une cape et dont le bonnet juif s'ornait de franges)
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Calvaire de la chapelle Saint-Sébastien en Saint-Ségal. Photographie lavieb-aile juillet 2019.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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J'illustrerai le thème de la guérison du trouble de vision par le sang qui jaillit du flanc du Christ sous l'effet de la lance par une enluminure du Missel de François d'Albon, abbé de Savigny, un manuscrit lyonnais, daté par F. Avril vers 1492-1500 et appartenant aux collections du Trinity College de Cambridge sous la côte ms. R. 17.22, folio 148 v : la Crucifixion.
L'artiste a représenté le sang qui longe la lance et atteint l'œil et la bouche du cavalier par de fins traits rouges. On remarquera aussi Marie-Madeleine au pied de la Croix, et le Centenier avec son phylactère. Et on s'amusera au passage du choix de l'artiste de remplacer les chevaux par des chameaux, plus exotiques.
Il associe comme son vis-à-vis une coiffure hébraïsante et des éléments vestimentaires propres aux officiers. Un manteau est porté enroulé sur les deux épaules. Le pourpoint n'est pas boutonné. La barbe taillée drue s'affirme avec vigueur.
La main gauche tient la rêne, alors que le bras droit s'élève, soit parce qu'il tenait un accessoire, soit parce qu'il appuie une élocution. Mais la tête et le regard ne sont pas dirigés, comme on s'y attendrait, vers le Christ.
Il est également représenté à Pencran ou à Saint-Sébastien de Saint-Ségal, mais aussi, seul, sur l'arc de triomphe d'Argol (paroisse voisine) où, depuis le XIXe siècle, on a choisi de le faire passer pour "le roi Gradlon", tout démenti de cette alléchante allégation étant vouée à l'échec. Il se distingue de ses collègues par une épée, et par une plume à son bonnet.
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Arc de triomphe d'Argol. Photographie lavieb-aile
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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Harnachement.
Le harnachement des deux chevaux est finement détaillé. La bride associe la têtière, le frontal, les montants, la sous-gorge, la muserolle et le filet. Celui-ci est remarquable par les longues et épaisses branches en S actionnées par les rênes, et par les bossettes en forme de fleur, qu'on imagine en métal doré.
Les sangles de poitrail (fleurie par un médaillon central) et d'avaloir sont ornées de piécettes rondes (Longin) ou plus larges (Centenier). Les queues sont tenues soulevées par une croupière.
Les étrivières soutiennent les étriers ; les cavaliers portent des éperons à molettes.
La Vierge est couronnée, et ses longs cheveux non attachés descendent librement dans son dos. Elle est vêtue d'un manteau dont elle reprend le pan droit par la main gauche, et une robe comportant un corsage ajusté et lisse et, séparée par une ceinture, une jupe plissée. Le pied et la jambe droite sont en avant, faisant pointer une chaussure à bout rond.
Elle tient dans sa main droite une sphère, que j'interprète comme une pomme, fruit auquel répond, dans la main gauche de l'Enfant, une sphère plus petite qui correspond à un globe terrestre.
On retrouve sur le visage très rond de Marie la vivacité du regard suscité par le creusement des pupilles, et la bouche en mi-sourire sur un petit menton volontaire : ce sont là les caractères par lesquels une Vierge de Roland Doré se reconnaît immédiatement.
Mais c'est l'Enfant qui exerce un charme exceptionnel, par son franc sourire teinté de malice qui fait rayonner son regard. Ce charme est accentué par le geste très tendre du bras droit passé autour du cou maternel.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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Saint Yves.
Statue de droite, géminée avec Marie-Madeleine.
L'Official (juge des affaires ecclésiastiques) de Tréguier est identifié par sa barrette, par sa cotte talaire recouverte d'un camail à capuchon, par le sac à procès (ou le livre dans sa couverte) tenue en main droite et le rouleau de parchemin de sa plaidoirie.
Il est présent entre autres sur le calvaire de Pencran (également géminé avec Marie-Madeleine), de Saint-Sébastien en Saint-Ségal, du bourg de Saint-Ségal, de Saint-Thégonnec (géminé avec Jean), etc.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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Saint Pierre.
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Il tient la clef et le livre (Livre des Apôtres).
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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LE CROISILLON SUPÉRIEUR : LE CHRIST AUX LIENS ENTRE LES CAVALIERS.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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LES DEUX LARRONS.
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Malgré les nombreux points de convergence de ce calvaire avec celui de Pencran, ces Larrons sont bien différents de ceux du calvaire nord de Pencran, mais aussi de celui de Lopérec, Locmélar, etc.
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1. Le Bon Larron.
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Ses bras sont liés à la traverse, son pied droit est lié au fût. Il a le visage tourné vers le Christ, en signe de sa conversion. Il est coiffé d'un bonnet entouré d'un turban fait de deux cordes, et vêtu, non d'un pagne, mais d'une culotte à taillades, comme celle d'un soldat Renaissance. Sa barbe taillée en pointe prolonge l'axe de son cou tendu vers le haut. Sa jambe gauche est fléchie, pour illustrer que, selon l'Évangile et comme son compagnon d'infortune, il a eu les jambes brisées.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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2. Le Mauvais Larron.
Il se détourne du Christ et il tire la langue.
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Calvaire (kersanton, 1544 et milieu XVIIe siècle) de Sainte-Marie du Ménez-Hom. Photographie lavieb-aile.
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SOURCES ET LIENS.
— ABGRALL (Jean-Marie), Inscriptions gravées ...
Arc de triomphe: 1739 Joli calvaire, un peu endommagé : JEHAN . LE . ALONDER . FABRICQVE . FElST • CESTE; . CROIX . FAlRE . L· M . Vc- XL . lIII
Un joli arc-de-triomphe, composé d'une grande porte centrale et de deux petites arcades latérales, forme l'entrée du cimetière. Sur la face ouest, tournée vers la route, on lit la date : 1739. Dans la niche est une statue de la Sainte- Vierge, et du côté opposé se trouve un Saint-Hervé guidé par Guic'haran, mais sans loup cette fois.
A Telgruc et à Argol, paroisses voisines, se trouvent aussi des arcs-de-triomphe à peu près semblables, mais de moindre importance ; celui d'Argol porte la date de 1659.
Calvaire.
Un calvaire, ayant beaucoup de rapport avec ceux de Loc-Mélar et de Lopérec, se trouve dans le cimetière, entre l'arc-de-triomphe et l'église. A la croix principale, sous les pieds de N.-S., sont deux anges recueillant le Précieux-sang dans un calice. Sur le croisillon supérieur est Saint-Longin, à cheval, coiffé d'une sorte de turban ou de bonnet pointu. La lance dont il perce le côté à N.-S. a disparu. Le centurion à cheval, qui lui faisait pendant de l'autre côté, est tombé aussi et se trouve tout mutilé dans le réduit de la vieille sacristie avec les débris des larrons.
Sur le croisillon inférieur sont les statues de Saint-Jean l'évangéliste et de l'une des trois Marie, portant un vase de parfums. Au milieu est N.-D. de pitié. Derrière, et sculptés dans les mêmes blocs de pierre que les statues précédentes, on voit Saint-Pierre et Saint-Yves qui porte un parchemin et son sac à procès. Il est coiffé du bonnet carré et a les épaules couvertes d'un camail avec chaperon. Saint-Yves, était, semble-t-il, très honoré dans ce pays, car nous retrouvons son image sur une autre croix à l'entrée du bourg de Plomodiern.
Au milieu, entre ces deux statues, se trouve celle de N.-D. debout, portant l'Enfant-Jésus. Au pied de la croix, la Madeleine est à genoux, les mains jointes, les yeux levés vers N.-S.
En haut du socle carré, qui sert de base à la croix, on lit cette inscription sculptée en jolies lettres gothiques fleuries : JEHAN. JE. ALONDER. FABRICQUE. FEIST. GESTE CROIX. FAIRE. L. M. V« XL. IIII (1544).
Deux autres bases et deux autres fûts restent seuls de ce qui constituait autrefois les croix des larrons.
Décembre 1891. J.-M. ABGRALL, prêtre.
— CASTEL (Yves-Pascal), 1980, Atlas des croix et calvaires du Finistère
1613. Sainte-Marie-du-Ménez-Hom, g. k. 7,50 m. 1544, vers 1630. Le soubassement se compose de trois emmarchements séparés, trois degrés pour celui du centre, un pour ceux des larrons. Socle cubique. Socle de la croix centrale: JEHAN LE ALONDER FABRICQVE FEIST CESTE CROIX FAIRE L M VCC XLIIII, statue de Madeleine à genoux. Fût à pans.
Croisillon bas, de facture lourde (restauration), statues géminées: Jean-Pierre, Vierge-Yves, au centre Vierge de Pitié (atelier Doré), au revers Vierge à l’Enfant (atelier Doré).
Croisillon haut, culots feuillagés, cavalier, le doigt à la paupière.
Croix à branches rondes, fleurons, crucifix, anges au calice, Christ attendant le supplice.
Dans la chapelle, vestige: cavalier, larron. [YPC 1980]
Arc de triomphe à grand fronton cintré et deux ouvertures secondaires (C.). Il porte l'inscription : "HERVE. LASTENNET. FABRICQVE. 1739 (ou 1759 ?)." Statues de la Vierge et du groupe de saint Hervé. Sur le placitre, calvaire à trois socles disposés en diagonale (C.). Les croix des larrons sont mutilées. La croix du Christ est à double traverse : sur le croisillon inférieur, statues géminées encadrant une Pietà et, au revers, une Vierge à l'Enfant. Sur le croisillon supérieur, cavaliers, anges au calice et, au revers, Christ attendant le supplice. Au pied de la croix, la Madeleine à genoux. Sur le socle, inscription : "IEHAN. LE. ALONDER. FABRICQVE. /FEIST. CESTE. CROIX. FAIRE. L. MVccXLIIII." Fontaine dans une prairie en contrebas, en ruines.
CHAPELLE SAINTE-MARIE DU MENEZ-HOM (C.) Edifice de plan irrégulier par suite d'adjonctions : il comprend une première travée accostée d'une ancienne sacristie au nord et de la tour au sud, - deux travées à bas-côté simple au sud et bas-côté double au nord, - puis deux travées à doubles bas-côtés, un vaste choeur occupant la cinquième et dernière travée. Le chevet plat est peu débordant. La chapelle remonte au XVIe siècle ainsi que l'indiquent les inscriptions de la nef : "I. MAVGVEN. FAB. LAN. 1574." et "AV. MOREAV. FAB. LAN 1597 (ou 1591 ?).", et celles du pignon ouest : "THO. MOREAV. F. EN. LAN. 1570." et : "H. OLIER. FA. EN. LAN. 1572." Mais elle a été modifiée au XVIIe siècle et au XVIIIe siècle, d'après d'autres inscriptions. Sur l'un des pignons, au sud, on lit : "MISSIRE. M. CRAVEC. RECTR /DE. PLOMODIERN. GVILL. LE / DOARE. PRETRE. VICAIRE/ C. ROIGNANT. F. 1766." Autre inscription, sur un pignon aveugle, au nord : "GVILLAVME. DHERVE. FAB." Le clocher, à deux galeries et un beffroi amorti par un dôme et deux lanternons, porte sur sa face sud des dates et des inscriptions : "IACQVES. NICOLAS / 1668." au-dessus du portail ; - "GERMAIN. HILI. F. 1773." sous la première galerie ; - "MISSIRE. MATHIAS / PLASSART. RECTEVR." et "IEAN. LE. QVINQVIS / FABRICQVE. 1772" sur le linteau de la chambre des cloches. Du type à nef obscure, la chapelle est lambrissée. Les voussures des grandes arcades, les unes en tierspoint, les autres en plein cintre, pénètrent directement dans les piliers. Plusieurs des sablières sculptées sont remarquables, particulièrement celles qui représentent une scène de labourage, une Fuite en Egypte (bas-côté nord de la quatrième travée). Ces sablières sont très proches de celles de Pleyben, seconde moitié du XVIe siècle. Mobilier : Le maître-autel et les deux autels latéraux en bois sculpté et peint s'apparentent à ceux de la chapelle Saint-Sébastien de Saint-Ségal dus à l'atelier Cévaër. Le maître-autel porte les inscriptions ; "VE. DI. ME. OL. BOVRDOVLOVS. R.", - "M. L. GVILLERMOV/ CVRE. 1710." et "NOEL. MOROS. F. 1703" - Et l'autel sud : "GVILLAVME. NICOLAS. F. 1715." et "V & D. MRE. OL. BOVRDOVLOVS. R." Les retables des trois autels (C.) recouvrent tout le mur est. Leur structure est celle des grands retables baroques de Bretagne : soubassement avec portes ornées, colonnes torses encadrant les statues, puissant entablement, mais ici pas de tableau central à cause des trois fenêtres. Le programme iconographique est ordonné : la Vierge et la Sainte Famille au maître-autel, les saints au retable du nord, les Apôtres au retable du sud. Statues des retables, toutes en bois polychrome : au maître-autel, Vierge à l'Enfant, un pied sur le globe, dite Ste Marie de Menez-Hom, saint Joseph, sainte Anne, saint Joachim. - A l'autel nord : saint Jean-Baptiste, saint Laurent, saint Louis et sainte Marie-Madeleine. - A l'autel sud : saint Jacques Le Majeur, saint Pierre, saint Paul et saint André. Nombreux bas-reliefs, dont : saint Louis portant la Couronne d'épines, saintes femmes au tombeau, sous les statues correspondantes de l'autel nord ; - Sacrifice d'Abraham sur la porte supérieure du tabernacle double, l'Annonciation, la Visitation, la Nativité et l'Assomption, au maître-autel ; - Pierre marchant sur les eaux et Pierre pleurant son reniement (sous des statues), Apparition de Jésus à Madeleine et les Pèlerins d'Emma³s (de part et d'autre du tabernacle), à l'autel sud. Autres statues anciennes - en pierre : Pietà (tour) ; - en pierre polychrome : saint Maudez, saint Laurent, groupe de saint Hervé et Guic'haran, saint abbé ; - en bois polychrome : Christ en croix, XVIIe siècle (C.), Ange de l'Eden, sainte Barbe, XVe siècle, saint Eloi. La balustrade et les stalles du choeur sont dues au sculpteur Toularc'hoat, de Landerneau. Inscriptions : "G. GOURLAN. F. 1891." sur la balustrade, - "1892" et les initiales "J. L. D. - M. A. P." (Jean Le Doaré - Marie Anne Péron, donateurs) sur les stalles. Le vitrail de la fenêtre axiale consacré à Sainte Marie du Ménez-Hom et signé "J.-L. NICOLAS père et fils, MORLAIX, 1872" n'existe plus. Cloche portant l'inscription : "... A BREST. EN. AVRIL. 1810. M. LEBEURRIER. MA. FAIT."