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19 février 2015 4 19 /02 /février /2015 10:19

Zoonymie (étude du nom) du papillon le "Marbré vert oriental" Pontia edusa (Fabricius, 1777).

La zoonymie (du grec ζῷον, zôon, animal et ónoma, ὄνομα, nom) est la science diachronique qui étudie les noms d'animaux, ou zoonymes. Elle se propose de rechercher leur signification, leur étymologie, leur évolution et leur impact sur les sociétés (biohistoire). Avec l'anthroponymie (étude des noms de personnes), et la toponymie (étude des noms de lieux) elle appartient à l'onomastique (étude des noms propres).

Elle se distingue donc de la simple étymologie, recherche du « vrai sens », de l'origine formelle et sémantique d'une unité lexicale du nom.

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Résumé.

— Pontia Fabricius 1807 : parmi les 49 noms de genre créés par Fabricius, il s'agit d'un des 19 noms inspirés d'une épithète de la déesse Aphrodite (Vénus). Aphrodite Pontia ( "de la mer") était le nom par lequel elle était vénérée en ses temples du littoral méditerranéen depuis la période archaïque jusqu'à la période hellénistique comme protectrice du transport maritime et, par métaphore, des "transports" amoureux. La déesse de la beauté, née de l'écume de la mer avant d'aborder l'île de Cythère puis celle de Chypre, est liée au domaine maritime et a reçue aussi les épithètes d'Euploia ( de l'heureuse navigation) et de Limenia (gardienne des ports), qui ont donné nos noms de genre Euploea et Limenitis. Fabricius avait divisé nos Pieridae actuels en deux genres, Colias (autre épithète d'Aphrodite) pour les espèces à ailes jaunes, et Pontia, pour celles aux ailes blanches ou à extrémités orange.

edusa (Fabricius, 1777). En 1758, Linné avait donné à sept Nymphales des noms de di indigetes, divinités primitives romaines invoquées lors des actes de la vie quotidienne et du développement des enfants (voir rumina, levana, prorsa, lucina, maturna, cinxia, et, en 1761, dia). En 1766, Hufnagel avait ajouté le nom d'un dieu des premiers pas, Statilinus. Fabricius, disciple et ami de Linné, complète la série avec le nom de la déesse à laquelle les Romains offraient des sacrifices lorsque l'enfant, une fois sevré, absorbait des aliments solides. Edusa vient du latin edere, "manger". Le nom ne tente pas de décrire ou de qualifier l'espèce, mais de poursuivre une série onomastique, par hommage au maître.

— Cette espèce n'a pas été distinguée par un nom vernaculaire français jusqu'au XXI siècle, où elle est nommée, pour des raisons évidentes, "Le Marbré-de-vert oriental" et "Le Marbré de Fabricius".

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NOM SCIENTIFIQUE.

1. FAMILLE et TRIBU.

1°) Famille des Pieridae Swainson, 1820 : [Piérides ou Piéridides]

  • Sous-famille des Dismorphiinae Schatz, 1888 : [Dismorphiines : Piérides]

  • Sous-famille des Coliadinae Swainson, 1827 : [Coliadines : Coliades et Citrons].

  • Sous-famille des Pierinae Duponchel, 1835 : [Piérines : Piérides et Aurores].

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2°) Sous-famille des Pierinae Duponchel, 1835 : [Piérines : Piérides et Aurores].

  • Tribu des Anthocharini Scudder, 1889

  • Tribu des Pierini Duponchel, 1835.

3°) Tribu des Pierini Duponchel, 1835.

  • Sous-tribu des Pierina Duponchel, 1835
  • Sous-tribu des Aporiina Chapman, 1895

4°) Sous-tribu des Pierina Duponchel, 1835 :

  • Genre Pontia Fabricius, 1807
  • Genre Pieris, Schrank, 1801.

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2. NOM DE GENRE : Pontia, Fabricius, 1807.

— Description originale : 23. Pontia, "Systema glossatorium", in "Die Neueste Gattungs-Eintheilung der Schmetterlinge aus den Linneischen Gattungen Papilio und Sphinges", "Nach Fabricii systema glossatorum Tom 1" , in Johann Karl Wilhelm Illiger*, Magazin für Insektenkunde, Karl Reichard Braunschweig [Brunswick] (6) page 283.

Pour la zoonymie du nom de genre Pontia, voir Zoonymie du "Marbré-de-vert" Pontia daplidice.

 


3. NOM D'ESPECE :  Pontia edusa (Fabricius, 1777).

 C'est selon Funet une espèce non discernable extérieurement de P.daplidice. Le nom désigne les formes orientales de P. daplidice, en Europe centrale, voire à l'est de notre frontière, mais observable en France à l'occasion de migrations.

a) Description originale : 

 Papilio edusa, [1777], Joh. Christ. Fabricii ... Genera insectorum eorumque characteres naturales secundum numerum, figuram, situm et proportionem omnium partium oris, adiecta mantissa specierum nuper detectarum.1776 Litteris M. F. Bartschii in Chilonii , 310 pages, page 255.

Description :

Papilio D[anaus] C[andidi] alis rotundatis integerrimis albis fusco maculatis : posticis subtus virescentibus albo maculatis. Habitat Chilonii Dom. de Sehestedt.  Statura & Magnitudo P. Cardamines. Antenna fuscae clava apice alba. Alae anticae albae in medio maculis duabus nigris altera ad marginem crassiorem, altera ad tenuiorem  : apice albae nigro punctatae. Posticae supra albae margine nigro maculato. Subtus anticae concolores , ad maculis magis virescentibus, posticae late virides maculis tribus baseos, fascia media admarginem tenuiorem interrupta maculisque marginalibus albis. 

Localité-type : Chiloni. La ville de Sehestedt est située sur le canal de Kiel, dans le district de Rendsburg-Eckenförde en Allemagne. J'ai mis du temps à découvrir le sens de Chiloni. 

Fabricius était depuis 1776 professeur d'économie de l'université de Kiel, initialement nommée Christina Albertina puis  Academia Holsatorum Chiloniensis à sa fondation en 1665 par Christian-Albert, duc de Holstein-Gottorp. En effet, Chiloniensis signifie "de Kiel", le nom latin de la ville étant Kilonia ou Chilonium.

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c) Origine et signification du nom edusa (Zoonymie)

Gustav Ramann (1870-1876) page 21:

"Edusa ist der etwas veränderte Name von edulica, welcher von edulis, essbar, stammt und die Göttin bezeichnet, welche den Kindern Speise giebt."

L. Glaser (1887) page 116 :

"Eig. "Essende". "

Anton Spannert (1888) page 21 :

"eine römische Göttin, welche  die Aufsicht bei Ernhährung der Kinder führte".

Arnold Spuler (1901-1908) page 10:

"Grieschische Göttin"

August Janssen (1980) page 38:

"...is gewijd aan den romeinse godin Edusa ; van edere = eten, de godin is de beschermster van het zogen der kinderen."

Hans Hürter (1988) page 79-80

Cet auteur donne d'abord les origines grecques suivantes :

-ἒδω, ἒδειν : manger, consommer, gaspiller.

-το ἒδεσμα, ης : nourriture, plat.
ἠ ἐδηιὐς, ὐος  : nourriture
 -ἠ ἐδωδ ή, ῇσ : nourriture, alimentation
-
έδώδιμος, η, ὁυ : comestible

-edo, edi, esum, edere : manger

-edulis, -e : comestible.

Puis il cite Pauly  1905 et Rorscher 1890-1894 :  "Edusa (von edere, essen, ) Göttin der indigitamenta" (offizielle Sammlung von gebetsanrufungsformeln) " gehört in den Kreis der Mächte, die über die körperliche Entwicklung des Menschen von seiner Geburt an Wache halten ; im Verein mit Potina (röm. Schutzgöttin der Kinder, denen sie das Trinken gedeihen läßt) lehrt sie das Kind, wenn es entwöhnt ist, essen und trinken." (Pauly, 1905 ).

"Diese Namensgebung berührt eine schwierige und unter gelehrten umstrittene Frage der römischen Religionsgeschichte, die Indigitamenta (von indiges -einheimisch ; als Substantiv/Hauptwort- einheimischer Gott oder heros, der als Schutzgott des landes verehrt wird ; von Staats wegen angerufene Gottheit). Bei der ängstlichen Gewissenhaftigkeit, mit der die Römer, besonders ältester Zeit, den Göttern gegenüberstanden, war es eine wichtige Aufgabe der Pontifices, einer Art Priester, Leuten, die sich in Fragen des Gebets und der Götteranrufung an sie wandten. Rat zu erteilen. Die Pontifices sahen zu diesem Zweck natürlich ihre Bücher, die Libri pontificales, ein ; unter ihnen befindet sich eins, das, so unvollständig die daraus erhaltenen Notizen auch sind, Auskunft über den Charakter der Gebetsformen ältester Zeit gibt, die Indigitamenta. Die darin vorkommenden Gottheiten waren solche auf das Leben eines jeden Menschen in Wirksamkeit treten und als solche in Gegensatz zum Génius gestellt werden, der ihn das ganze Leben hindurch begleitet. Andererseits bezog  sich ein Teil dieser Gottheiten auf den Landbau. Die charakteristische Eigentümlichkeit der Indigitamentengottheiten bestand in der eng begrenzten Wirksamkeit in fest bestimmten Fällen. Nicht lebendiger Volksglaube an die Mächte des Himmels und der Erde, sondern eine von Priester erfundene und vorgenommene Vergöttlichung abstraker Begriffe liegt vor ; Indigetes wie Cinxia, Lucina usw.sind Erfindungen der Priester.

Edusa (auch educa, Edulia, Edula) war die Göttin, unter deren Schutz die Kinder das Essen lernten".


 


 

Discussion.

Linné avait débuté en 1758 dans son Systema naturae une série de noms puisés parmi les divinités primitives romaines ou  di-indigetes pour les attribuer à des Nymphales : 

  • rumina (Zerynthia rumina),  Déesse de l'allaitement.

  • levana (Araschnia levana,  Déesse antique romaine de la reconnaissance de l'enfant par le père.

  • prorsa (Araschnia levana), Déesse antique romaine  des accouchements. Parfois couplée à sa sœur Porrima.

  • lucina (Hamearis lucina), Déesse antique romaine de la naissance ; Épithète de Junon.

  • maturna (Hypodryas maturna), Déesse antique romaine présidant à la maturité du blé.

  • cinxia ( Melitaea cinxia), Déesse antique romaine de la "nuit de noce" où se dénoue la "ceinture" (cinxia) de la femme, puis épithète de Junon protectrice des mariages .

  • Venilia  (Pantoporia venilia), Déesse romaine des eaux douces.

En 1767, il y ajouta  dia (Bolora dia),  divinité de la jeunesse ou de la croissance agricole.

Hufnagel avait créé en 1766 statilinus (Hipparchia statilinus),  dieu protégeant l'enfant dans ses premiers pas.

Fabricius, en 1777, poursuit donc cette série avec Edusa (ou Edula, Edulia, Edulica), divinité veillant à l'alimentation du jeune enfant. On lui faisait des offrandes lorsqu'on sevrait l'enfant et qu'il commençait à absorber des aliments solides. De même, Potina présidait à la boisson de l'enfant.

Les divinités primitives romaines, noms de papillon attribués par Linné.

Di indiges ? Indigitamenta ? Je ne sais plus comment les nommer, mais cela n'importe pas. Ce qui compte, c'est que Linné, dans la dixième édition (fondatrice) du Systema Naturae de 1758, alors qu'il édifiait la première Onomastique (système de Noms Propres) des Lépidoptères en la fondant sur la mythologie gréco-romaine, et surtout grecque autour de l'Iliade et de la Guerre de Troie, a effectué un pas de coté à la page 480 de son ouvrage pour donner à six ou sept de ses Nymphales (aux noms de Nymphes a priori) des noms de déesses romaines primitives.  Linné honore ici ces divinités particulières de la première Rome, dans sa période italique, divinités étrangères à l'influence de la religion grecque, mais au contraire proche de concepts animistes, car elles sont des puissances tutélaires des actes de la vie plutôt que les habitantes de quelque Panthéon ou Olympe hiérarchisé. Elles sont, surtout, mal connues, car le nom de la plupart nous sont parvenus par les Pères de l'Église (Tertullien et Augustin en tête) au sein de diatribes soulignant l'absurdité apparente, face à leur proposition d'un Monothéisme Révélé, de cultes voués aux actes les plus prosaïques et les plus féminins de la vie quotidienne.  Ces Pères citaient Varron, ou plutôt les bribes que Nommius a recueilli des textes perdus de Varron :

 "La liste des indigitamenta est dressée par Varron. De cet ouvrage de Varron, nous ne savons rien qui ne nous soit transmis par des auteurs chrétiens, au premier rang (chronologique) desquels vient Tertullien (vers 150 - vers 230) , Ad Nationes, « Aux Nations » livre I  suivi d’Arnobe (vers 250 - 327) Adversus nationes, « Contre les Nations », et d’Augustin d'Hippone (354-430), De civitate Dei, qui y puisent pour railler la religion païenne et avancer leur propre programme de propagande religieuse en affirmant - le fait est loin d’être certain - que Varron a dressé une liste de divinités. Leur emboite le pas Macrobe (vers 370 - après 430) Les Saturnales, Livre I  et quelques autres scoliastes." (Wikipédia) 

Ancre    Ces divinités apparaissent souvent  comme la sacralisation d'un mot, et notamment d'un mot du corps et des fonctions corporelles, ce nom commun devenant leur Nom Propre dans une élévation du langage au statut de dieu : les invoquer (in-vocare), c'est prononcer le nom de la fonction dont on souhaite la protection. 

Comment Linné a-t-il eu connaissance de leur existence ? Lisait-il saint Augustin ou Tertullien ? John Heller (1983 -Studies in Linnaean Method and Nomenclature  ) s'est attaché à répondre à cette question, et, après avoir démontré que les Fables d'Hyginus suffisaient à expliquer la quasi totalité des autres noms attribués par le savant suédois, il a constaté que ces six noms prouvaient que Linné avait une autre source, les Syntagmata de Giraldi. Cet ouvrage de L. G. Giraldi est une somme colligeant tous les noms cités dans les textes de l'Antiquité. Les Di indiges sont énumérés dans le chapitre des Miscellani dei, Voici le passage consacré à Edusa :

 

"Edusa, & Potina, deae praesides existimatae eduliis & potionibus infantum, ut Nonnius ex Varrone legere videtur. Alii vero non Edusam, sed Edulicam deam hanc appellant, ut Augustinus, qui ait Edulicam deam vocatam, quae escam praeberet. Aelius vero Donatus in Terentiana Phormione, edulicam & poticam has deas vocavit. Ita enim scribit : Ubi initiabunt quidam cibo & potu, quidam sacris : ubi legitur apud Varronem initiari pueros Edulicae & Poticae et Cubae, divis edendi & potandi & cubandi, ubi primum a lacte & a cunis transferunt. Ut Vergilius : Nec deus hunc mensa, dea nec dignata cubili est. Hoc annotavit Probus. Sed Terentius Apollodorus sequitur, apud quem legitur, in insula Samothra cum a certo tempore pueros initiari, more Athenientium : quod ut in palliata, probandum est magis. Haec Donatus, sed Epulicam potius, & Potina, legit August. In quarto & sexto de Civita Dei . Sunt qui apud Donatum Educam legant, & potinam. Arnobius tamen libro tertio contra Gentes : Victuam & Potuam sanctissimas victui potuiq.. procurant . Ô egregia numinum, & singularis interpretatio potestaum : nisi postes virorum adipali unguine oblinerentur a sponsis, nisi virginalia vincula omnia feventes dissolverent, atque imminentes mariti nisi potarent & manderent, homines dei nomina non haberent. & haec quidem Arnobius, ut videas, quantum gentes infanierint."

En 1787, Fabricius nomma du même nom une autre espèce qu'il classera plus tard — en 1807— dans son genre Colias. Sa description dans  page 23 est proche, mais différente de la précédente : elle concerne aussi un Papilio Danai Candidi, mais "alis rotundatis integerrimis fulvis ; puncto margineque nigris subtus virescentibus ; anticis puncto nigro, posticis argenteo.". Il lui donne comme référence le Papilio hyale d'Esper, et comme habitat, l'Espagne. Le nom de Colias edusa, fut longtemps utilisé pour désigner Colias croceus, avant de constater que Geoffroy avair droit à l'antériorité par sa description de 1785, et que son nom avait priorité. Voir Hemming, The Generic names, page 168.

http://www.lavieb-aile.com/article-zoonymie-du-papillon-le-souci-colias-crocea-geoffroy-in-fourcroy-1785-121108095.html


 

II. NOMS VERNACULAIRES.

Je donne ici, pour le XVIIIe et le XIXe siècle, les noms vernaculaires de Pontia daplidice, qui ne pouvait être distinguée alors de l'espèce edusa sans étude des genitalia.

I. Les Noms français.

1."L'Aurore, variété ", Geoffroy (1762)

Geoffroy, E. L. 1762. Histoire abrégée des insectes qui se trouvent aux environs de Paris, dans laquelle ces animaux sont rangés suivant un ordre méthodique. Tome II. Durand, Paris. 690 pp. page 72.

2. " Le Papillon blanc marbré de vert", Engramelle, 1779.

Jacques Louis Engramelle 1779 Papillons d'Europe, peints d'après nature, Volume 1 page 216  Planche n° 50 fig. 106 a-c dessinée par J.J Ernst

 

3. La Piéride Daplidice,  Latreille et Godart 1819

Latreille et Godart Encyclopédie méthodique, Paris : Vve Agasse tome 9, page 128.

Cet article permet de disposer de l'ensemble des références bibliographiques sur cette espèce, notamment par les auteurs germaniques, autrichiens ou suisses.

Les auteurs classent Papilio edusa Fabricius Gen. ins. 1777 et Mantissa 1787 sous ce nom.

 

4. "Piéride Daplidice" , Godart 1821,

Jean-Baptiste Godart, Histoire naturelle des lépidoptères ou papillons d'Europe, Paris : Crevot 1821, page 48-15 n° XII. Planche 2 quart. peinte par Vauthier et gravée par Lanvin.

 

 

5. La revue des noms vernaculaires par Gérard Luquet en 1986, et le nom vernaculaire actuel.

Dans la révision des noms vernaculaires français des rhopalocères parue dans la revue Alexanor en 1986, Gérard Christian Luquet ne mentionnait pas Pontia edusa, mais seulement P. dapplidice.

Elle ne figure pas non plus en 2013 dans la Révison taxonomique et nomenclaturale de Dupont, Luquet, Demerges et Drouet, consacrée aux Rhopalocera et Zygaenidae de France métropolitaine. Malgré que ce ne soit pas une espèce autochtone, un nom vernaculaire lui a été attribué : "Le Marbré vert oriental" ou "Marbré de Fabricius" (Wikipédia 2015). De même, son nom anglais est The Eastern Bath White" qui ajoute au nom vernaculaire de Pontia daplidice la mention "eastern".

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Published by jean-yves cordier - dans Zoonymie des Rhopalocères.
18 février 2015 3 18 /02 /février /2015 12:17

Zoonymie (étude du nom) du papillon la "Piéride du Réséda" ou "Marbré de vert" Pontia daplidice.

La zoonymie (du grec ζῷον, zôon, animal et ónoma, ὄνομα, nom) est la science diachronique qui étudie les noms d'animaux, ou zoonymes. Elle se propose de rechercher leur signification, leur étymologie, leur évolution et leur impact sur les sociétés (biohistoire). Avec l'anthroponymie (étude des noms de personnes), et la toponymie (étude des noms de lieux) elle appartient à l'onomastique (étude des noms propres).

Elle se distingue donc de la simple étymologie, recherche du « vrai sens », de l'origine formelle et sémantique d'une unité lexicale du nom.

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Résumé.

Pontia Fabricius 1807 : parmi les 49 noms de genre créés par Fabricius, il s'agit d'un des 19 noms inspirés d'une épithète de la déesse Aphrodite (Vénus). Aphrodite Pontia ( "de la mer") était le nom par lequel elle était vénérée en ses temples du littoral méditerranéen depuis la période archaïque jusqu'à la période hellénistique comme protectrice du transport maritime et, par métaphore, des "transports" amoureux. La déesse de la beauté, née de l'écume de la mer avant d'aborder l'île de Cythère puis celle de Chypre, est liée au domaine maritime et a reçue aussi les épithètes d'Euploia ( de l'heureuse navigation) et de Limenia (gardienne des ports), qui ont donné nos noms de genre Euploea et Limenitis. Fabricius avait divisé nos Pieridae actuels en deux genres, Colias (autre épithète d'Aphrodite) pour les espèces à ailes jaunes, et Pontia, pour celles aux ailes blanches ou à extrémités orange.

daplidice (Linnaeus, 1758) : ce nom fait aussi partie d'une série, celle des noms des cinquante filles du roi Danaos, les Danaïdes. En 1758, Linné avait placé les Pieridae actuels dans sa phalange Danaus, dans la section intitulée" Danai candidi ", les Danai blancs; l'autre section," Danai festivi ", les Danai gaiement colorés, renferme principalement des Satyrinae. A propos des premiers, Linné a écrit dans une note 'Danaorum Candidorum nomina a filiabus Danai ... mutuatus sum', " j'ai attribué aux Danai candidi les noms des Danaïdes." Dans la Troisième Phalange de Linné, le sous-groupe Candidi Danai comporte 19 espèces, dont 9 reçoivent le nom de leur plante-hôte (crataegi, brassicae, rapae, napi etc...) et 10 celui d'une Danaïde. Outre daplidice, citons evippe, glaucippe, pyranthe, arsale, hyparete, damone, trite, hyale et hecabe. etc..Hübner reprendra cette série en 1800 pour son Papilio callidice ("Piéride du Vélar"). Les noms de leurs maris, les fils d'Égyptos, que les Danaïdes assassinent durant la nuit de noce, sont donnés aux Danai festivi : pamphilus, hyperanthus, xanthus, mais le nom du mari de Daplidice, Pugno, ne fut pas attribué à une espèce. Sur le modèle daplidice et callidice, Brahm créa de toute pièce en 1804 bellidice (actuellement une forme printanière de P. daplidice), et en 1813 Hübner le Papilio chloridice, selon un procédé de "rime en référence" déjà utilisé par Denis et Schiffermüller.

— Le pharmacien londonien James Petiver a donné la première description de cette espèce en 1699 sous le nom de The greenish marbled Half-mourner, "le Demi-deuil marbré de vert". Le terme "demi-deuil" fait allusion aux taches noires et blanches des ailes de la femelle, et "marbré de vert" aux suffusions gris-vert de la face inférieure des ailes. En 1765, Seba la nomma "Le papillon persillé bâtard". En 1779, Engramelle reprit le nom de Petiver sous la forme de "Le papillon blanc marbré de verd" ; en 1821, Godart se contenta de nommer cette espèce "La Piéride Daplidice", et au début du XXe siècle Oberthür la désigne comme "la Daplidice". Ce n'est qu'en 1986 que Gérard Luquet reprend le nom d'Engramelle en l'abrégeant en "Le Marbré-de-vert". Il initie ainsi une courte série de "Marbrés" ("Marbré kurde" pour Pontia chloridice ; "Marbré de Lusitanie" pour Euchloe tagis, "Marbré-de-vert oriental" pour Pontia edusa, etc.). G. Luquet propose aussi le nom de "Piéride du Réséda" dans la série "Piéride + plante-hôte" crée en nom scientifique par Linné. Les Réséda Reseda lutea et R. luteola sont des plantes jaunes, et le nom germanique Walda (Reseda) désigne la principale teinture végétale jaune sous le nom de Gaude en France, de Weld en Angleterre et de Wau en Allemagne. Waufalter fut ainsi le nom de P. daplidice à Vienne en 1775.

— Le nom vernaculaire anglais Bath White est expliqué ainsi par son créateur William Lewin, en 1795 : " On l'a nommé le blanc de Bath ; il doit ce nom à un petit ouvrage à l'aiguille, fait à Bath [Somerset] par une jeune demoiselle, qui avait pris pour modèle un individu de cette espèce, qu'on disait avoir été trouvé près de la ville." (The insects of Great Britain ).

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NOM SCIENTIFIQUE.

1. FAMILLE et TRIBU.

1°) Famille des Pieridae Swainson, 1820 : [Piérides ou Piéridides]

  • Sous-famille des Dismorphiinae Schatz, 1888 : [Dismorphiines : Piérides]

  • Sous-famille des Coliadinae Swainson, 1827 : [Coliadines : Coliades et Citrons].

  • Sous-famille des Pierinae Duponchel, 1835 : [Piérines : Piérides et Aurores].

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2°) Sous-famille des Pierinae Duponchel, 1835 : [Piérines : Piérides et Aurores].

  • Tribu des Anthocharini Scudder, 1889

  • Tribu des Pierini Duponchel, 1835.

3°) Tribu des Pierini Duponchel, 1835.

  • Sous-tribu des Pierina Duponchel, 1835

  • Sous-tribu des Aporiina Chapman, 1895

4°) Sous-tribu des Pierina Duponchel, 1835 :

  • Genre Pontia Fabricius, 1807

  • Genre Pieris, Schrank, 1801.

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2. NOM DE GENRE : Pontia, Fabricius, 1807.

Description originale : 23. Pontia, "Systema glossatorium", in "Die Neueste Gattungs-Eintheilung der Schmetterlinge aus den Linneischen Gattungen Papilio und Sphinges", "Nach Fabricii systema glossatorum Tom 1" , in Johann Karl Wilhelm Illiger*, Magazin für Insektenkunde, Karl Reichard Braunschweig [Brunswick] (6) page 283.

Description :

"Taster zwei, lang, dreigliedrig : Glieder ziemlich gleich : drittes feiner, kegelförmig. Fühler vorgestrekkt geknopst (Gleiche Füsse)."

"Pap. crataegi, rapae, daplidice, Elathea, Belia. 94 Art."

Espèce-type:

Papilio daplidice Linnaeus, 1758, sélectionné par Curtis en 1824.

Ce genre contient deux espèces en France :

  • Pontia daplidice (Linnaeus, 1758) Marbré-de-vert.

  • Pontia callidice (Hübner, [1800]) Piéride du Vélar.

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c) Origine et signification du nom Pontia (Zoonymie)

— Hans Hürter (1988) page 59-60 :cf.

— A. Maitland Emmet (1991) page 154 :

" πόντιος (pontios), of or from the sea, an epithet of Thetis (see Thetis, genus), the nereids (sea-nymphs) and especially Aphrodite (Venus), who was born from the sea, as depicted in Boticelli's painting, the birth of Venus ; ita was also the name of a rocky islet off the coast of Latium. Fabricius divided the present Pieridae into two families, Colias, comprising those that were yellow, and Pontia, embracing all the whites and orange-tips; the latter name is now restricted to this small genus. There is no obvious reason for the choise of name."

— Luquet in Doux et Gibeaux (2007) page 40 :

"-Pontia : du grec pontios, "issu de la mer" ; surnom de Thétis, des Néréides, et plus spécialement d'Aphrodite (Vénus), qui était née de la mer. Le choix de ce nom par Fabricius a peut-être été inspiré par la couleur du revers des ailes postérieures, évoquant celle de la mer (?)."

— Perrein et al. (2012) page 158 :

" étymologie : obscure, peut-être du grec pontios, nom d'une mer, épithète de Thétis, ou d'une nymphe larine. C'était aussi un groupe de six petites îles de la mer Tyrrhénienne au large du Latium, les Pontiae Insulae. Un jeu de mots est également possible, en pendant avec Colias Fabricius, d'après Emmet (1991)."

Discussion.

Une fois de plus, Fabricius se soumet à la règle qu'il s'est fixé, celle de choisir ses noms de genre des espèces diurnes parmi les épithètes de Vénus.

Je rappelle en effet que selon Zimmer, dans son commentaire sur Vanessa (http://www.d-e-zimmer.de/eGuide/Lep2.1-T-Z.htm) Fabricius, dans sa présentation du Systema glossatorum ( in Zeitung für Literatur und Kunst in den Königl . Dänischen Staaten [ Kiel ] , Septembre 11 1807, p. 83), donne des indications précieuses sur ses règles d'attribution des noms : il écrit qu'il est en train de changer un certain nombre de nom donnés par Linné car il souhaite faire apparaître le nom de la plante hôte. "Les noms de genre ne posent pas de problèmes importants, il faut seulement éviter qu'ils soient trop longs, et qu'ils ne soient pas déplaisants à l'oreille. Pour les papillons de jour, j'ai choisi différents épithètes [cognomina] de Vénus, et pour les papillons de nuit, ceux de Diane. Ils semblent être les plus appropriés. Leurs homologues grecs [qualificatifs d'Aphrodite ou d'Artémis] ont tendance à être durs, longs et désagréables."

Si cette déclaration de Fabricius était méconnue, il suffirait d'examiner la liste des 49 noms de genre qu'il créa pour constater que 18 de ces noms correspondent à des épithètes de Vénus.

http://www.lavieb-aile.com/article-sur-les-noms-de-genre-des-lepidopteres-crees-par-fabricius-en-1807-124781429.html

1. Urania Ourania : « amour celeste »

2. Amathusia de la ville d'Amathus, à Chypre

5. Morpho : (aux belles formes, aux formes changeantes)

7. Castnia : du Mont Kastion, en Pamphylie

8. Eupolea (euploea) : de l'heureuse navigation

9. Apatura : Aphrodite apatouria ou apatouros, « la décevante»

10 Limenitis : des ports

17. Paphia de Paphios, à Chypre.

18. Melanitis : de la nuit.

19. Argynnis : Venus argennis, d'Argennus, favorite d'Agamemnon.

21. Idea : Mont Ida, lieu de naissance de Zeus.

22. Doritis : Vénus doritis, "la bienfaitrice" qui avait selon Pausanias son temple à Cnide

23. Pontia : de la mer profonde

24. Colias : du temple de Colias, en Attique

25. Haetera ; Hétaïra, protectrice des courtisanes.

26. Acraea : Protectrice des acropoles et des lieux élevés.

27. Mechanitis : l'ingénieuse à ourdir des ruses, son surnom à Megalopolis.

33. Erycina : du mont Erix, en Sicile.

On pourrait ajouter 36 Nymphidium "protectrice de mariages" (Aphrodite Nymphia).

Le nom Pontia doit donc être considéré sous la plume de Fabricius comme une référence à l'épithète de Vénus, d'autant qu'il se situe au sein d'une série des n°17 à 27.

Vénus Pontia peut se traduire comme "[ déesse] de la mer profonde". Le nom vient du grec ancien Πόντος / Póntos, « le flot », et, dans la mythologie grecque, Pontos est une divinité primitive, personnification mâle de la Mer dont le pendant féminin est Thalassa, la Mer féconde. Pontia devient un qualificatif de la déesse grecque de la beauté, Aphrodite, car cette dernière est en relation étroite avec l'élément humide et liquide. Les Grecs reconnaissaient en elle une déesse de la mer, peut-être à cause de l'influence de la lune sur le flux et le reflux, peut-être aussi parce que, conçue, à titre d'Uranie, comme déesse du beau temps, elle devait favoriser la navigation.

Son nom et son origine la rattache à la mer : Dans la Théogonie d'Hésiode et selon la tradition la plus populaire, Aphrodite naît de la mer fécondée par le sexe d'Ouranos, tranché par Cronos : « tout autour, une blanche écume sortait du membre divin. De cette écume une fille se forma ». Ainsi, selon l'étymologie populaire de son nom Aphrodite,, elle est « née de l'écume» (ἀφρός / aphrós). Poussée par les Vents , elle vogue jusqu'à Cythère, puis Chypre. Ainsi s'expliquent, selon Hésiode, ses principaux surnoms : « Cypris » et « Cythérée ». On la qualifiait de pontia, einaliê, thalassaiê et on l'évoquait, portée par Zéphyre, dans la molle écume, des parages de Cythère à Chypre, où l'accueillent les Heures aux bandelettes d'or. (Daremberg et Saglio, 1877) C'est ainsi que Botticelli la figure dans "La Naissance de Vénus" (1484-1486)

 

Les épiclèses qui témoignent de cette profonde nature marine d'Aphrodite sont par exemple celles de Alegina, "née de la mer", Anadyomène, "Sortie des flots", Aphrogeneia, "née de l'écume", Galenœe, "qui calme la mer", Limenia, "protectrice des ports", Pélagia, déesse de la navigation, ou Pontia.

Denise Demetriou a étudié une série d’épigrammes hellénistiques  et quelques témoignages littéraires et épigraphiques qui attestent le culte d’Aphrodite en tant que protectrice de la navigation :  les temples de la déesse occupaient souvent une position littorale, non parce qu’ils étaient, comme cela s'est dit, des lieux où la « prostitution sacrée » était pratiquée, mais plutôt en raison de l’association d’Aphrodite avec la mer et de son rôle de patronne des marins. 

L'un de ses épithètes cultuelles est Aphrodite euploia, "celle qui  rend la navigation bonne" . Cette épithète est déjà attestée dès le début du 4ème siècle à Peiraieu et à Cnide, et plus tard à Olbia, Mylasa, Kilikia,et Delos.

British Museum, Aphrodite Euploia :

 

 La déesse était aussi appelé "Galenaia" (Calme) dans deux autres épigrammes, indiquant Aphrodite capacité de calmer les mers.

D'autres épithètes de culte soulignent le double rôle d'Aphrodite en tant que protecteur de la navigation et des ports, et ils sont attestés de différentes périodes et endroits le long de la côte méditerranéenne:  la déesse a été adorée comme "Epilimenia" (Gardienne des ports) en Égide.

Elle a également été nommée "Pontia" (de la mer)  à Kos, Nisyros, Erythrai,  Olbia,Teiristasis en Thrace, Histria,  et Kyzikos;  et, Pausanias mentionne qu'à Hermione la déesse a été appelé avec la double épithète «Pontia kai limenia" (de la mer et du port)

 auteurs anciens souvent construits métaphores sur le pouvoir d'Aphrodite sur la navigation de se référer à son pouvoir sur le sexe.

Deux inscriptions de Kos  fournissent des preuves montrantr que Aphrodite était adorée comme Aphrodite Pontia sur cette île  : ce culte a été consacrée à Aphrodite Pandamos et Pontia , et malgré les deux cultes différents il n'y avait qu'une prêtresse pour désservir le culte. 

 

En conclusion, les textes examinés par Denise Demetriou  dans ce document montrent le lien étroit entre la situation côtière des sanctuaires d'Aphrodite, ses épithètes Euploia, Pontia, Limenia et Epilimenia, et les rôles maritimes de la déesse, qui semblent faire partie de son culte de l'époque archaïque jusqu'à l'époque hellénistique et au-delà dans toute la Méditerranée. Aphrodite était une divinité qui avait pouvoir sur la mer et qui fournissait une navigation sûre à tous ceux qui se déplaçait sur mer. Dans ce groupe ont été inclus les marins et les capitaines, les armateurs, les commerçants, et toute autre personne dont la profession est liée à la navigation. La déesse offrait le succès dans les batailles navales et des entreprises commerciale. Pourtant, elle n'a jamais été dépouillé de ses pouvoirs dans le domaine de la sexualité; plutôt, ses deux rôles  ont toujours été lié dans l'esprit des anciens Grecs, en comparant la navigation sur une mer agitée avec les fatigues et les turbulences de l'amour.  L'amant est souvent dépeint comme un marin, naufragé quand il / elle est infructueuse, ou lancé sur une mer d'amour. De même l'acte sexuel est comparé à une navigation dont on demande qu'elle mène l'amant à bon port.

 

© Staatliche Kunstsammlungen Dresden 2015 Statue der Aphrodite, Typus Aphrodite Pontia-Euploia Um 130 - 150 n. Chr. (späthadrianisch-frühantoninisch) nach einem späthellenistischen Vorbild (120 - 80 v. Chr.)

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3. NOM D'ESPECE : Pontia daplidice (Linnaeus, 1758) .

a) Description originale

Papilio daplidice Linnaeus, C. 1758. Systema naturæ per regna tria naturæ, secundum classes, ordines, genera, species, cum characteribus, differentiis, synonymis, locis. Editio decima, reformata. Holmiæ. (Salvius). Tomus I: 1-824, page 468. [http://www.biodiversitylibrary.org/page/727379#page/490/mode/1up]

Description :

P[apilio] D[anaus] C[andidi] alis integris rotundatis albis margine fuscis subtus luteo-griseis albo-maculatis.  "Papillon parmi les Danai blancs, aux ailes entières (non découpées), arrondies, blanches mais noires en périphérie, avec le dessous gris-jaunâtre tacheté de blanc". 

Habitat in Europa australi & Africa.

Statura P. napi. Alae apicibus primorum imprimis nigra cum macula una alterave obsolete fusca ; omnes subtus venis dilatatis luteo griseis albo maculatae. In Mare  alae posticae supra albae immaculatae. "De la taille de Papilio napi. L'extrémité des ailes antérieures est essentielement noir avec des taches d'un noir délavé ; toute la face postérieure a les nervures dilatées, gris-jaunâtre à taches blanches. Chez le mâle la face supérieure des ailes postérieures est d'un blanc immaculé." (traduction au péril de mon incompétence).

Références données par Linné :

  • James Petiver, Gazophylacii t.1 fig.7

  • John Ray Historia insectorum page 116 fig. 10.

Consultation de ces références :

"A. 7. Papilio Leucomelanus CANTABRIGIENSISnobis. Papilio Leucomelanus subtus viridescens marmoreus Mus. Pet. 304. Vernon's half-MournerI know not of any that hath met with this in ENGLAND, but Mr. Vernon about Cambridge, and there very rare."

Comme on le constate, James Petiver renvoie lui-même à sa description du Musei petiveriani, que nous allons donc découvrir :

"​A. 304. Papilio Leucomelanus subtus viridescens marmoreus. The Greenish marbled half-MournerThe only one I have seen in England, Mr. Will. Vernon caught in Cambridgeshire. Mr Jezreel Jones, F.R.S. Has observed the same about Lisbon."

 

"Papilio mediae magnitudis, alis supina parte albis cum maculis nigris rarioribus, prona ex albo & viridi v ariis. Pap. Leucomelanos, subtus viridescens marmoreus, The greenish marbled Half-mourner, Mus. Pet. 304. Papilio leucomelanos Cantabrigiensis, Pet. Gaz. Tab.1 fig..7.

"Alae exteriores ad extimum marginem circa mediam longitudinem, (ut & interiores) maculam habent majusculam nigram, ad latus interius infra mediam longitudinem minorem : ima parte prope exterius latus ductum longum transversum, nigrum, ultra mediam alae latitudinem extensum. Infra hunc ductum ad imum alae marginem 4 vel 5 puncta nigra, cujusmodi & in interioribus alis cernuntur. Alae interiores prona parte albo & sordide viridi coloribus variae sunt, ad modum fere Papilionis albae, suntus viridi colore marmoreatae, Mus. Pet. 305,306. Color viridis majorem partem alae occupat. Colores autem tralucent, & in supinis alis apparent, non tamen viridis specie sed cinerei, qui in imis alis exteriorem partem occupant, inferius sordide virent.

"A.D. Vernon habui, qui in agro Cantabrigiensi eam invenit. Eandem D. Jezreel Jones circa Lisbonam observavit, referente D. Petiver."

https://archive.org/stream/jacobipetiveriop11767peti#page/n5/mode/2up

https://books.google.fr/books?id=cAUTW-ax-SgC&pg=PA271&lpg=PA271&dq=the+slight+grenish+petiver&source=bl&ots=S19203wuWC&sig=FXgskZ8nzsIzMu7hUXCm8Q3IjXk&hl=fr&sa=X&ei=87bkVIjJH4n9Uuypg8AK&ved=0CCQQ6AEwAA#v=onepage&q=the%20slight%20grenish%20petiver&f=false

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Résumé et commentaire des descriptions antérieures à Linné :

Le premier britannique qui captura un P. daplidice (femelle) fut William Vernon à Gamlingay dans le comté de Cambridge, en mai 1702, quelques semaines après que la reine Anne soit montée sur le trône. Le pharmacien londonien James Petiver a  donné la première description de cette espèce en 1699 sous le nom de The greenish marbled Half-mourner, "le Demi-deuil marbré de vert", en le décrivant comme un papillon noir et blanc avec la face inférieure marbrée de vert. En 1702, il  le décrit  sous le nom de Papilio leucomelanos Cantabrigiensis "Papillon noir et blanc de Cambridge", ou Mr's Vernon's Half-Mourned, "Le Demi-deuil de Mr Vernon". Il mentionne que Jezreel Jones l'avait aussi trouvé à Lisbonne. John Ray cite en 1710 ces données, et donne une description plus complète du papillon. En 1717, dans Papilionum Britanniae Icones, Petiver décrit le mâle et la femelle comme deux espèces différentes, "The slight greenish Half-mourner" (fig. 8) et "Vernon's greenish Half-mourner" (fig.9)  respectivement. Il en donne les deux figures l'une en dessous de l'autre dans sa Planche II des Papillons Britanniques Jaunes, Blancs et Mixtes.

 Le qualificatif "marbré" figure dans toutes les descriptions, en latin (marmoreus) et en anglais (marbled).

http://www.dispar.org/reference.php?id=11

 

 

b) Localité-type et Description :

Localité-type : " nord-ouest de l’Afrique, lectotype désigné par Wagener (1988). Cette désignation porte à discussion (Honey et Scoble , 2001*)

*Honey, M. R. & Scoble, M. J. 2001. "Linnaeus's butterflies (Lepidoptera: Papilionoidea and Hesperioidea)". Zoological Journal of the Linnean Society, 132(3): 277-399, page 316.

Selon Dupont & al. (2013) "cette espèce atlanto-méditerranéenne est présente en Afrique du Nord, dans la péninsule Ibérique et en France. Elle est aussi présente aux Canaries, en Corse et en Sardaigne. C’est une espèce qui possède des capacités migratrices importantes."

Description Wikipédia :

"La longueur de l'aile antérieure de la Piéride du réséda varie de 19 à 24 mm. De couleur majoritairement blanche, l'apex des ailes postérieures et antérieures est taché de noir.

"La génération printanière a le dessous des ailes postérieures vert foncé et la tache discoïdale atteint le bord du dessus de l'aile antérieure. La génération estivale a le dessous de l'aile antérieure vert jaune et la tache discoïdale ne touche plus le bord de l'aile. Les spécimens femelles sont plus chargés de noir que les spécimens mâles. Ce papillon aime les lieux fleuris, les luzernes, les brassicacées (crucifères) et le réséda sauvage

"Les œufs, de couleur orange, sont posés isolément et ont un temps d'incubation de 7 jours. Les chenilles sont présentes de mai à octobre. La couleur principale de la chenille est le bleu vert avec une bande jaune sur les flancs. De nombreuses taches noires sont présentes en général sur les zones bleues. La chrysalide, soit donne le papillon en environ 15 jours (en été), soit hiverne. Les adultes volent de mars à octobre avec deux à quatre générations selon la latitude. En Côte d'Azur, le papillon peut être présent dès janvier et disposer d'une cinquième génération partielle.

"Il hiverne dans sa chrysalide, au stade nymphal. La plante hôte de la chenille est Reseda lutea, le réséda jaune ou réséda sauvage mais aussi des brassicacées comme le diplotaxis à feuilles étroites (Diplotaxis tenuifolia), le tabouret perfolié (Thlaspi perfoliatum) et la fausse roquette de France (Erucastrum gallicum).

"La Piéride du réséda est autochtone en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Asie jusqu'au Japon et en Europe, en Espagne et dans la moitié sud de la France, Bretagne comprise, sur les îles Canaries, la Corse et la Sardaigne. Elle était déclarée résidente avant 1980 dans le nord de la France, en Belgique et au Luxembourg, mais la population autochtone n'y a plus été observée depuis. Elle est actuellement reconnue migrateur dans ces zones. C'est un migrateur qui peut se rencontrer par exemple dans le nord de l'Europe ou dans les Îles Britanniques parfois en grand nombre comme en 1945."

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c) Synonymes INPN (Muséum) et sous-espèces.

Liste des synonymes :

  • Leucochloe daplidice (Linnaeus, 1758)

  • Papilio daplidice Linnaeus, 1758

  • Pieris daplidice bellidice (Ochsenheimer, 1808)

  • Pieris daplidice (Linnaeus, 1758)

Ochsenheimer (1808)  a décrit la génération de printemps de P. daplidice comme f. bellidice. La forme nominale, f. daplidice, est utilisée pour décrire la génération d'été.

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c) Origine et signification du nom daplidice (Zoonymie)

A. Maitland Emmet (1991) page 149 :

"-The name of one of the daughters of Danaus, King of Argos. Linnaeus placed the present Pieridae in his phalanx Danaus, in the section entitled "Danai Candidi", white Danai ; the other section, "Danai festivi", gaily-coloured Danai, embraced mainly the Satyrinae. Of the former he wrote in a footnote "Danaorum Candidorum nomina a filiabus Danai ...mutuatus sum", I have derived the nams of the Danai Candidi from the daughters of Danaus. For some sisters of Daplidice, see C. palaeno and C. hyale ; for the kind of girls they were, see A. hyperantus."

Luquet in Doux et Gibeaux (2007) page 40 :

" : nom de l'une des filles de Danaus, roi d'Argos".

Perrein et al. (2012) page 158 :

"étymologie : de Daplidicé, nom d'une des filles de Danaus, roi d'Argos, dans la Mythologie grecque".

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Discussion.

Il n'y a guère à ajouter au commentaire de A.M. Emmet : Daplidice est le nom de l'une des filles de Danaos, roi d'Argos. Linné avait placé les Pieridae actuels dans sa phalange Danaus, dans la section intitulée" Danai Candidi ", les Danai blancs; l'autre section," Danai festivi ", les Danai gaiement colorés, renferme principalement des Satyrinae. Parmi les premiers, Linné a écrit dans une note 'Danaorum Candidorum nomina a filiabus Danai ... mutuatus sum', "j' ai attribué aux Danai Candidi les noms des Danaïdes. Pour certaines sœurs de Daplidice, voir C. palaeno et C. hyale; pour le genre de filles qu'elles étaient, voir A. hyperantus ".

Voir http://www.lavieb-aile.com/article-noms-des-lepidopteres-crees-par-linne-dans-le-systema-naturae-de-1758-121691934.html

Dans la Troisième Phalange de Linné, en 1758, le sous-groupe Candidi Danai comporte 19 espèces, dont 9 reçoivent le nom de leur plante-hôte (crataegi, brassicae, rapae, napi etc...) et 10 celui d'une Danaïde. Outre Daplidice, citons evippe, glaucippe, pyranthe, arsale, hyparete, damone, trite, hyale et hecabe. Les noms de leurs maris, les fils d'Égyptos, que les Danaïdes assassinent durant la nuit de noce, sont donnés aux Danai festivi : pamphilus, hyperanthus, xanthus, etc..

C'est Gaius Julius Hiyginus (-64/17) qui cite le nom de cette Danaïde dans ses Fabulae chap. 170. Les Fables d'Hygins sont selon Heller l'une des sources privilégiées de Linné pour le choix de ses noms propres.

Hübner reprendra cette série en 1800 pour son Papilio callidice ("Piéride du Vélar"). Sur le modèle daplidice et callidice, Brahm créa de toute pièce en 1804 bellidice (actuellement une variété de P. daplidice), et en 1813 Hübner le Papilio chloridice, selon un procédé de "rime en référence" déjà utilisé pour d'autres espèces par Denis et Schiffermüller en 1775. Ces constructions peuvent laisser penser que ces auteurs ont supposé une racine grecque -diké, "Parole, droit, justice" du nom de l'une des trois Heures (comme dans nos mots syndic, syndicat ) et ont construit d'autres noms  Belli- (bellis latin, nom de la Paquerette)  et chloro- (kloros, "vert").

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d) quelques descriptions post-linnéennes.

- Albertus Seba 1765,  Thesaurus. T. IV tab. 23 fig.II 12-15-16 :"Le papillon persillé bâtard". Le Thesaurus de Seba a été publié en deux éditions, Latin-Français et Latin-Néerlandais. Le Tome IV consacré aux insectes a été publié en 1765 à Amsterdam après la mort de Seba en 1736.  

- Esper, Die Schmetterling in Abbildungen page 62 : Der Grüngefleckte Weißling. ("Le papillon blanc taché de vert"). http://www.biodiversitylibrary.org/item/53441#page/88/mode/1up

-Denis & Schiffermuller (1775) nomme cette espèce "Waufalter", du nom allemand  du Réséda, Wau, issu du germanique Walda".

-Autres noms : Goez "Der Petersilienvogel" ou "Papillon-Persil", Mvill (Muller?)  "Der Afrikanische Weisling", Pallas "Der Heiderischschmetterling". Il a été aussi décrit par Fuessli, Fabricius, Muller et Schaeffer.

-Hübner : 

 

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e) Description de la plante-hôte et des formes précoces.

Ni Petiver, ni Ray, ni Linné ne décrivent la chenille ou ne mentionnent sa plante nourricière. Engramelle en 1779 déclarent tout ignorer de la chenille et de la chrysalide, a fortiori de la plante-hôte.  Mais le Reseda lutea est mentionné en 1779 par Bergsträsser, en 1790 par Riossi.

La chenille est décrite (avec exactitude ?) par Charles de Villers en 1789 (II, p.644). 

Au XXe siècle, on ddécrira les formes intermédiaires ainsi : Chenille gris cendré bleuâtre avec deux liserés jaunes de chaque coté, des points noirs, tête jaune-vert, ventre gris bleu, Chrysalide verte, brunâtre ou grise avec des lignes latérales blanc jaunâtre sur l’abdomen. 


 

II. NOMS VERNACULAIRES.

 

I. Les Noms français.

1. "L'Aurore, variété ", Geoffroy (1762)

Geoffroy, E. L. 1762. Histoire abrégée des insectes qui se trouvent aux environs de Paris, dans laquelle ces animaux sont rangés suivant un ordre méthodique. Tome II. Durand, Paris. 690 pp. page 72.

On peut reprocher à Geoffroy, comme le fait Godart, d' "avoir pris cette espèce pour une variété d'Aurore", alors que Linné avait décrit son daplidice 4 ans avant. En effet, Geoffroy, après avoir décrit l'Aurore, dont il crée le nom vernaculaire, écrit :

 "J'ai une variété de la femelle, où les nervures vertes du dessous des ailes inférieures sont plus grandes, plus larges, et plus marquées, et où les ailes supérieures, outre le bout qui est panaché de même, ont encore dans le milieu du bord supérieur une large bande verte qui s'avance jusqu'au milieu de l'aile".

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2. " Le Papillon blanc marbré de vert", Engramelle, 1779.

Jacques Louis Engramelle 1779 Papillons d'Europe, peints d'après nature, Volume 2 page 216  Planche n° 50 fig. 106 a-c dessinée par J.J Ernst.

Cet auteur décrit la femelle comme le mâle et réciproquement. En effet, la femelle se distingue en réalité du mâle par le plus grand développement des dessins noirs, particulièrement à l’aile postérieure qui est presque blanche chez le mâle. 

 

3. La Piéride Daplidice,  Latreille et Godart 1819

Latreille et Godart Encyclopédie méthodique, Paris : Vve Agasse tome 9, page 128.

Cet article permet de disposer de l'ensemble des références bibliographiques sur cette espèce, notamment par les auteurs germaniques, autrichiens ou suisses.

Les auteurs classent Papilio edusa Fabricius Gen. ins. 1777, et Papilio edusa Fabricius Mantissa 1787 sous ce nom.

De même, ils considèrent que le Papilio Chloridice de Hübner comme une variété plus petite, de Sibérie et Russie. De même, ils considèrent Papilio bellidice de Brahm comme une variété de leur Piéride Daplidice. Ils donnent à cette dernière comme plante-hôte le Réséda qu'ils nomment la Gaude reseda lutea.

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4. "Piéride Daplidice" , Godart 1821,

Jean-Baptiste Godart, Histoire naturelle des lépidoptères ou papillons d'Europe, Paris : Crevot 1821, page 48-15 n° XII. Planche 2 quart. peinte par Vauthier et gravée par Lanvin.

"Geoffroy a pris cette espèce pour une variété de l'Aurore, et Engramelle s'est trompé sur les sexes."

"Le dessus des ailes est blanc. Les premières ont vers le milieu de leur bord antérieur une tache noire, presque carrée, et divisée par un trait blanchâtre en zig-zag. Leur sommet est noir, avec une rangée transverse de quatre points blancs. Dans la femelle, il y a en outre une tache blanche près de l'angle interne. Les secondes ailes sont sans taches dans le mâle ; dans la femelle au contraire elles ont une bordure noire, que divise un rang de taches blanches."

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Planche 2 Quart BHL

 


 

5. Piéride Daplidice, Duponchel, 1849.

Philogene Auguste Joseph Duponchel, 1849  Iconographie et histoire naturelle des chenilles, pour servir de complément à l'Histoire naturelle des Lépidoptères Paris Tome I ... page 55, Planche IV fig. 11,a-b. peinte et dirigée par Duménil.

"Cette chenille se trouve sur le réséda jaune (Reseda lutea) , la tourette glabre (Turritis glabra) , la fausse roquette (Brassica erucastrum), le sysimbre des sages (Sysimbrium sophia) et le tlaspi des champs (Thlaspi arvensis)".

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BHL http://www.biodiversityheritagelibrary.org/item/38600#page/69/mode/1up

 

Boisduval et Guenée, en 1836, n'utilisent plus que le nom scientifique, et cet abandon du nom vernaculaire va se poursuivre en France jusqu'en 1986 !

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6. La revue des noms vernaculaires par Gérard Luquet en 1986, et le nom vernaculaire actuel.

Dans la révision des noms vernaculaires français des rhopalocères parue dans la revue Alexanor en 1986, Gérard Christian Luquet proposait comme nom principal "Le Marbré-de-vert" et comme nom accessoire "La Piéride du Réséda" ; "La Piéride marbrée" cité par Raphy Rappaz en 1979 ; "La Piéride du Radis" utilisé par Charles de Villers en 1789. Il réprouve l'emploi de "Le Marbré" par Rémy Perrier en 1926 en renvoyant à sa note [30] :

[30] : "Il convient de rejeter le nom de "Marbré" s'il n'est pas accompagné d'un déterminatif, car il a été employé pour désigner Carcharodus lavatherae."

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7. Étude du nom vernaculaire par les auteurs précédents:

  • Luquet in Doux et Gibeaux, (2007) page 40 :

​"Marbré-de-vert : allusion aux mots du revers des ailes postérieures".

  • Perrein & al. (2012) page 157 :

​"Le nom français créé par Engramelle (1779) est calqué sur celui de "veiné de vert" donné à Pieris napi par Geoffroy (1762)."

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8. Noms vernaculaires contemporains :

Charles Oberthür et Constant Houlbert , dans leur Faune armoricaine de 1912-1921, utilisent le nom scientifique de "P. SDaplidice" mais n'utilisent pas de nom vernaculaire.

Bellmann / Luquet 2008 : "La piéride du réséda, le Marbré-de-vert"

— Chinery / Leraut 1998 : non mentionné.

— Doux & Gibeaux 2007 : "Le Marbré-de-vert ".

— Lafranchis, 2000 : " Le Marbré-de-vert, la Piéride du réséda" .

— Perrein et al. 2012 : "Marbré-de-vert, Piéride du Réséda".

— Tolman & Lewington / P. Leraut 2009 : "Marbré de vert".

— Wikipédia : "La Piéride du réséda ou Marbré de vert".

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III. LES NOMS VERNACULAIRES dans d'autres pays.

  • Pòntia comuna en catalan

  • Rezedalepke en hongrois

  • Sinappiperhonen en finnois

  • Bělásek rezedkový en tchéque

  • Blanquiverdosa en espagnol

  • Resedawitje en néerlandais

  • Grönfläckig vitfjäril en suédois

  • Grønbroget kålsommerfugl en danois

  • Vandrehvitvinge en norvégien

  • Beneklimelek en turc

  • Reseda-Weißling en allemand 

  • Рапсовая белянка en russe.

  • Rukiewnik zachodni en polonais

  • Harilik reseedaliblikas en estonien

  • Stepinis baltukas en lithuanien.

  • Mlynárik rezedový en slovène

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Langues celtiques :

1. langues gaéliques : irlandais (gaeilge) ; écossais (Gàidhlig ) ; mannois ( gaelg : île de Man).

  • en irlandais

  • en mannois.

  • "Bánóg Bath " en gaélique écossais* 

2. Langues brittoniques : breton (brezhoneg) ; cornique (kernevek); gallois (Welshcymraeg).

  • pas de nom en breton ;

  • "Gwyn smotiog " en gallois. 

*Liste des noms gaéliques écossais pour les plantes, les animaux et les champignons. Compilé par Emily Edwards, Agente des communications gaélique, à partir de diverses sources. http://www.nhm.ac.uk/research-curation/scientific-resources/biodiversity/uk-biodiversity/uk-species/checklists/NHMSYS0020791186/version1.html

Voir aussi :http://www.lepidoptera.pl/show.php?ID=70&country=FR

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IV. LES NOMS VERNACULAIRES EN ANGLAIS ( d'après M. Salmon 2000).

Première description par Petiver ? 1699, 1717.

Selon le site Ukbutterflies  http://www.ukbutterflies.co.uk/species.php?species=daplidice  ..."c'est un migrateur extrémement rare dans les îles britanniques et, qui peut ne pas être observé du tout pendant plusieurs  années. Cependant, à l'occasion, il peut apparaître en grand nombre, comme lors de la grande migration de 1945. Le premier spécimen a été enregistré dans les îles britanniques à la fin du 17ème siècle. Entre 1850 et 1939, il y eut très peu d'observations, ne dépasssant la dizaine que lors de  rares années. L'exception a été en 1906, lorsque plusieurs centaines auraient été vus sur les falaises de Durdle Door, dans le Dorset, bien que ces enregistrements soient considérés comme suspects. Les grandes années pour cette espèce, toutefois, furent entre 1944 et 1950, avec plus de 700 observations en 1945, principalement à Cornwall. Cette espèce a été extrêmement rares depuis, avec moins de 20 individus enregistrés depuis 1952. On croit que cette espèce ne peut survivre à notre hiver, bien que certains descendants résultant de l'invasion de 1945 ont peut-être survécu à l'année suivante dans les îles britanniques. L'espèce était potentiellement capable de produire deux ou trois pontes dans les bonnes années. Le papillon a été  connu à l'origine comme "Vernon's Half Mourner" après la capture par William Vernon dans le Cambridgeshire abord reconnu mai 1702, bien que des  observations antérieures soient maintenant connues. Cependant, le nom commun de ce papillon vient d'un morceau de broderie qui figurait cette espèce,  montrant prétendument un spécimen pris  ou près de Bath en 1795, et le nom semble avoir «pris racine». Cette espèce est un migrateur rare dans les îles Britanniques. Bien que la plupart des dossiers proviennent de la côte sud de l'Angleterre, cette espèce a été signalée au nord jusqu'à Lincolnshire et le Yorkshire en Angleterre, ainsi que dans le comté de Wexford, Sud Est de l'Irlande (un record de 1893)."

 

  • The greenish marbled half-Mourned : Petiver, 1699.
  • The Vernon's half-Mourned : Petiver, 1702
  • The Bath White : Lewin 1795*
  • The Green Chequered White : Haworth, Jermyn, Stephens, Newman.
  • The Rocket : Rennie.
  • The White Chequered : Morris

​* William Lewin, dont l'ouvrage de 1795 The insects of Great Britain est écrit en anglais et en français, nomme le papillon The Bath White / Le Blanc de Bath page 63 esp. XXXIII Pl. 29 avec le commentaire suivant :

"Le papillon de cette espèce est rare en Angleterre, et il est vrai de dire, que la plupart de ceux, qui ont fait des collections relatives à cette branche de l'histoire naturelle, ont beaucoup douté qu'il ait jamais été trouvé dans ces royaumes. On l'a nommé le blanc de Bath ; il doit ce nom à un petit ouvrage à l'aiguille, fait à Bath [Somerset] par une jeune demoiselle, qui avait pris pour modèle un individu de cette espèce, qu'on disait avoir été trouvé près de la ville. Lorsque j'examinai les insectes achetés par Mr. J.T. Swainson à la vente du cabinet d'histoire naturelle de feu la duchesse douairière de Portland, je trouvai cet insecte avec la femelle du bout de l'aile orangé ; et alors je jugeai que quelqu'un avait assemblé des papillons dans cette boite, qu'il avait ensuite envoyée à la duchesse, et que cela grande ressemblance de ce papillon avec la femelle du bout de l'aile orangé avait empêché de distinguer cette rare espèce. Il est assez naturel de supposer, que cet insecte avait été recueilli par la même personne, et peut-être dans le même temps que la mouche commune appelée le bout de l'aile orangé [with the common fly, the orange tip]».

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Curtis, J. (1823-1840). British Entomology; being illustrations and descriptions of the genera of insects found in Great Britain and Ireland: containing coloured figures from nature of the most rare and beautiful species, and in many instances of the plants upon wich they are found. Vol. V. Lepidoptera, Part. I. Londres, planche 48.

http://www.archive.org/download/britishentomolog05curt/page/n29_w324

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Bibliographie, liens et Sources.

Funet : Pontia

— Inventaire national du patrimoine naturel (Muséum) : Pontia daplidice

— Lepiforum : Pontia daplidice 

UKbutterflies : Pontia daplidice

— Jardinsauvage : Pontia daplidice

 

Denise Demetriou, « Tῆς πάσης ναυτιλίης φύλαξ: Aphrodite and the Sea », Kernos. URL : http://kernos.revues.org/1567 

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Bibliographie générale de ces Zoonymies : http://www.lavieb-aile.com/article-zoonymie-des-rhopaloceres-bibliographie-124969048.html

 
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14 février 2015 6 14 /02 /février /2015 15:25

Diane et Actéon (1597) de Hoefnagel au Louvre. Inventaire entomologique.

Je poursuis mon examen des miniatures de Joris Hoefnagel pour tenter d'établir à mon petit niveau un inventaire entomologique de son œuvre, complétant ainsi ce que Jean Leclercq avait initié en 1989.

Voir sur ce blog sur Hoefnagel :

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DIANE ET ACTÉON (1597) de Joris et Jacob Hoefnagel.

L'œuvre fait partie des collections de département Arts graphiques du Louvre sous la référence REC 85 et est consultable en ligne, avec une notice, ici :

http://arts-graphiques.louvre.fr/detail/oeuvres/12/503980-Diane-et-Acteon-max


Description :

Il s'agit d'une aquarelle avec des rehauts d'or sur un vélin collé en plein sur un panneau de bois et mesurant 22 cm de haut sur 33,9 cm de large. Une signature en bas au milieu : 'Georgius Houfnaglius Pa. et Jacobus Fi.F.F. Anno MCCCCCXCVII', soit Georgius Houvnaglius Pa[ter] et Jacobus Fi[lius] F[ieri] F[ecit] incite à l'attribuer à Joris (Georgius) Hoefnagel (Anvers, 1542 - Vienne,1601) et à son fils Jacob (Anvers, 1575-1630) : L. Duclaux et F. Lugt ont supposé que Georg Hoefnagel était l'auteur du décor de fleurs, d'animaux et d'insectes qui constitue la bordure. Son fils, Jacob, serait l'auteur de la scène mythologique. La critique a suivi unanimement cette proposition. (E. Starcky in cat. d'exp. 'Le paysage en Europe du XVIe au XVIIIe siècle', Paris, musée du Louvre, 1990, n° 19).

Joris Hoefnagel avait été peintre à la cour des ducs de Bavière Albert V et Guillaume V jusqu'en 1590, puis au service de l'empereur Rodolphe II à partir de 1591, séjournant à Francfort jusqu'en 1594, puis à Regensburg jusqu'en 1596, en 1597, date de Diane et Actéon, il séjournait entre Prague (Palais de Rodolphe II) et Vienne. A 55 ans, il avait réalisé l'essentiel de son œuvre, consacrée à l'histoire naturelle. En 1592, son fils Jacob, formé à la gravure, et alors âgé de 19 ans, avait publié Archetypa studiaque, une reprise des dessins de son père en gravure sur cuivre.

INVENTAIRE

L'exercice est rendu difficile par la qualité médiocre de l'image disponible en ligne sur le site du Musée.

I. Le cadre.

Le cadre en bois actuel couvre une partie des bords du vélin d'origine, qui a peut-être été massicoté  : en effet, on ne voit pas le faux cadre qui, dans toutes les autres œuvres de ce type, sert de support apparent aux deux patères à volutes qui reçoivent les inscriptions. La composition fictive présente la scène mythologique comme un tableau à l'encadrement perlé : ce motif de perles bleus interrompues par des oves dorées est aussi celui du cadre ovale de l'Allégorie de la Vie et de la Mort de 1598 au British Museum. Ce "tableau" est maintenu entre les deux patères, mais il est aussi fixé, comme par un axe horizontal, de chaque coté, au dispositif qui supporte les deux vases. Cet appareillage, que l'on peut supposer en bois doré ou en cuivre, est complété dans les deux coins inférieurs par deux élégants arceaux. Il faut compléter cette description par celle des rubans accrochés aux axes latéraux, dont une extrémité retombe en une courbe gracieuse pour se nouer sous les vases, tandis que l'autre s'évase en draperie, frise, et s'achève sur un gland à frange. D'autres brins, alourdis par des perles, tracent plus bas leur courbe et allègent d'une guirlande le massif inférieur. Mais, sans à peine s' apercevoir qu'on entre alors dans le monde animal, on se surprend à intégrer à cette architecture les deux branches de corail vermillon serties sur la patère, puis les deux escargots qui font office d'atlante soutenant l'entablement, et même les deux Lycènes qui coiffent le fronton, comme deux pilastres voisinant avec des pots à feu.

II. La Flore.

  • deux tulipes dans leur vase,
  • accompagnées de myosotis Boraginaceae, Myosotis sp. (M. arvensis ?)
  • et de  ?

III. La Faune.

La bordure qui entoure la scène mythologique est composée en deux ensembles symétriques qui se répondent (presque) en miroir : il suffira de décrire la moitié gauche, et de multiplier le nombre des espèces par 2. On dénombre 9 animaux par coté. Description par Ordre, puis  de haut en bas.

a) Mollusque ; Gastéropodes :

b) Cnidaria Gorgonacea Coralliidae Coralium rubrum "Corail rouge".

c) Insecta : 7 individus

— Orthoptera : 

— Lepidoptera : six exemplaires 

  • Nymphalidae imago
  • Geometridae chenille
  • Lycaneidae imago
  •  ? chenille

Cette moisson est donc décevante, puisqu'il est globalement impossible de préciser l'espèce, et même le genre, des animaux représentés. Le résultat serait-il meilleur si, doté d'une loupe, on examinait l'œuvre originale ou une photographie d'excellente qualité ? Je l'ignore, mais je me félicite déjà du privilège d'une consultation en ligne, dans les conditions que procure le Musée du Louvre.

 

 

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Published by jean-yves cordier - dans histoire entomologie - Hoefnagel
14 février 2015 6 14 /02 /février /2015 12:37

Sur un poème zodiacal d'Ausone : Allégorie de l'Hiver et de l'Été par Jacob Hoefnagel, 1618.

Voir dans ce blog sur Hoefnagel :

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I. ALLÉGORIE DE L'HIVER.

a) Source : NKD NetherlandsInstitute of Art History.

La photographie noir et blanc provient d'une vente aux enchères de Sotheby Mak van Waay (Amsterdam) le 26-11-1984, lot n° 49 (avec l'Été, lot n° 50). L'œuvre proviendrait d'une collection privée de Percy Carew, Essex, Royaume-Uni, selon une lettre d'Essex publiée dans The Connoisseur mars 1930 [Dacosta Kaufmann, 1985, p. 255].

Selon Kaufmann page 255, "Les dessins préparatoires (avec les dessins des compositions manquantes, le Printemps et l'Automne) se trouvent à Leyde (Prentenkabinet, Rijksuniversiteit, n° inv. AW 1056-59)". Il ajoute : "Ce tableau est peut-être enregistré sous le numéro 146 dans l'inventaire (établi en 1619) des œuvres de la Hofburg de Vienne".

b) Description :

Cette miniature appartient à une série allégorique des Quatre Saisons dont seuls L'Hiver et l'Été sont conservés. Il s'agit d'un dessin à la plume à l'encre noire, peint à la gouache et rehaussé d'or, sur vélin ; ce rectangle horizontal mesure 148 x 152 mm.

L'artifice de mise en scène.

Le motif (Hiver) s'inscrit dans un cercle central bordé d'une marge naturaliste. Ce dispositif s'inspire de celui des Allégories de Lille et du Louvre (respectivement la "Brièveté de la vie" (1591), et les "Quatre saisons" (1589), de Joris Hoefnagel mais l'idée d'un tableau central en trompe-l'œil n'est retrouvé que dans "Diane et Actéon" (1597, Louvre), "Allégorie de la vie et de la Mort" (1598, British Museum), ou encore dans "Lethaevs Amor" (1611, 16,8 x 24,1 cm, coll. privée, Sotheby's Londres juillet 2002) soit des œuvres plus tardives et attribuées à Jacob Hoefnagel, fils de Joris, ou à la collaboration des deux artistes. Ici, dans ces peintures de 1618, ne se trouve que la signature de Jacob Hoefnagel puisque Joris est décédé en 1601.

Comme dans les œuvres précédentes, deux cartouches, supérieur et inférieur, reçoivent des inscriptions. Le cartouche supérieur, suspendu par des anneaux fictifs à un faux cadre, se prolonge par le tableau central qui est ainsi également suspendu. Le cartouche inférieur pourrait servir de console d'appui à ce tableau, mais semble en être séparé. Enfin, quatre anneaux fixés sur le médaillon permettent, toujours en trompe-l'œil, de fixer les tiges des rameaux botaniques. Cet équipement est complété par les deux vases latéraux. Cette composition confirme l'intention de l'artiste de créer l'illusion d'une vitrine de Cabinet de curiosités abritant, soit des spécimens de la collection d'histoire naturelle de l'empereur (si on le considère comme le récipiendaire), soit des exemplaires de sa collection de peintures. Ce dédoublement du regard et du sujet, cet effet de "tableau dans le tableau" est une manière, plus théâtrale encore que les premières miniatures de Joris Hoefnagel, de jouer sur l'illusion de la mise en scène pour susciter une méditation sur les leurres de l'existence. L'être humain, comme toute la nature, est le jouet du Temps et de ces cycles, dont l'éternel recommencement souligne le caractère dérisoire de son existence.

Le motif principal :

Les Allégories des Quatre Saisons du Louvre comportaient chacune trois médaillons représentant les signes zodiacaux correspondant. Ici, les signes du Zodiaque sont représentés au sein de la scène comme des personnages d'une Fable. Cette série pourraient donc être intitulée "Allégorie zodiacale des Saisons", au vu de l'importance donnée, dans l'image comme dans les inscriptions, au thème astronomique.

Adossé à trois arbres dépourvus de leur feuillage, par un temps de neige, l'Hiver est personnifié sous les traits d'un vigoureux vieillard barbu, torse et jambes nus, couronné de rameaux secs, tenant les pointes de sa barbe des deux mains. Autour de lui, trois putti font une ronde. L'un tient un cabri, pour le signe du Capricorne. L'autre se tourne vers le spectateur pour présenter un Poisson, et tient le second poisson dans l'autre main. Le dernier verse le contenu d'un vase, et représente ainsi le Verseau. La caractéristique de ce choix iconographique est d'ôter aux signes zodiacaux leur aspect stéréotypé et emblématique, sévères et savants pour les transformer en joyeux éléments de la nature, inscrits dans ses Cycles comme dans une danse.

La bordure ; inventaire naturaliste.

En partant du coin supérieur gauche, on remarque l'écureuil, deux oiseaux [mésange charbonnière ?], le hibou, la pie, corbeau , le pinson du nord?, le lièvre, le martin-pécheur, la pie-grièche ?, le renard.

Les plantes des vases et les fruits qui composent la guirlande ne sont pas identifiables mais le site RKD y reconnaît la grenade , la pomme de terre , des noisettes , des glands , des châtaignes, les radis , la cerise [?] , la nèfle , l'oignon , le pavot, et le lierre ,

Les inscriptions :

— Inscription supérieure : Hyems : "Hiver"

— En bas au centre ..pvit HYEMS simiusq[ue] Capru Dei [?] aedu. F.../ .....uas fundit, madidos . Febru... inscription endommagé, certaines parties illisibles. On s'attend à y trouver les mots Capricornus, Aquarius et Pisces.

— signé en dessous : dans le cartouche de gauche Ia: Hovfnagl. Forme abrégée de Iacobus Houfnaglius, soit "Jacob Hoefnagel". Dans le cartouche de gauche : FE PRAGAE (AE : lettres conjointes), abréviation de Fecit Pragae, "fait à Prague".

— 1618

Jacob Hoefnagel a été peintre de la cour de Rodolphe II à Prague de 1602 à 1613. A Prague, il appartenait à un cercle de marchands flamands et hollandais, artistes et savants, dont certains ont été Protestants. Il fut diplomate à la cour à un moment où Prague a joué un rôle central dans les affaires européennes. En 1614 il a obtenu la citoyenneté à Prague et a épousé sa quatrième épouse. (Wikipédia)

II. Allégorie de l'Été par Jacob Hoefnagel, 1618.

a) Source :

​-  NKD Netherlands Institute of Art History.  https://rkd.nl/nl/explore/images/63295

-  https://www.vialibri.net/552display_i/year_1618_50_0.html

b) Description.

La photographie noir et blanc provient d'une vente aux enchères de Sotheby Mak van Waay (Amsterdam) le 26-11-1984, lot n° 50 (avec l'Hiver, lot n° 49). L'œuvre proviendrait d'une collection privée de Percy Carew Essex, Royaume-Uni, selon une lettre d'Essex publiée dans The Connoisseur mars 1930 [Dacosta Kaufmann, 1985, p. 255]

b) Description :

Cette miniature appartient à une série allégorique des Quatre saisons dont seuls L'Hiver et l'Été sont conservés. Il s'agit d'un dessin à la plume à l'encre noire, peint à la gouache et rehaussé d'or, sur vélin ; ce rectangle horizontal mesure 148 x 152 mm.

L'artifice de mise en scène.

... est le même que pour l'Hiver, supra.

Le motif principal :

L'Allégorie de l'Été est une femme vêtue d'une grande robe blanche à manches mi-courtes, tenant la faux pour la moisson des foins et la faucille pour la moisson des grains. De la main gauche, elle retient trois melons calés entre ses cuisses. Elle est assise à l'ombre d'un bosquet, à coté d'une gerbe de blé et d'une ruche. L'arrière-plan montre un saule (?) au bord d'un lac, et un ferme devant des champs clos par une barrière.

Comme pour l'hiver, les signes zodiacaux apparaissent menés par des putti, sous la forme très naturelle d'une femme couronnée de verdure et marchant pieds nus, la Vierge Virgo, sous celle d'une "écrevisse" * (autre animal emblématique du Cancer), et enfin celle d'un lion débonnaire, le Lion Leo. 

*Il me semble que ce décapode, cet Astacidae possède les fortes pinces du Homard Homarus vulgaris, et les longues antennes de l'Écrevisse Astacus.

La bordure ; inventaire naturaliste.

 Quatre oiseaux occupent les coins de la peinture : un oiseau (perruche?) dans un arbre à baies , un perroquet, une cigogne et une oie blanche Anser anser. La loupe permet de voir que cette dernière tend le cou vers ses cinq oisons. Le vase de gauche reçoit des lis blancs, sur lesquels une libellule cherche à se poser. Je crois voir une chrysalide noire et blanche en bas à  gauche. Le site NKD y discerne des courges, pommes, prunes, poires, et cerises. Et des groseilles, non ?
 

Inscriptions :

— Inscription supérieure : AESTAS : "Été".

— inscription en bas au centre :  Cum Cancro remeat Phoebo, Leo fervidus [per]urit  F------ a colens in sidere Virginis A-s-f . . "Avec le signe du Cancer Phoebus [le soleil] revient, le Lion brûle de l'ardeur de ses feux, [ ..]sous le signe de la Vierge

en bas au centre : signé par monogramme et date  H. J / 1618

Discussion. L'influence d'Ausone et de Bède ?

L'interrogation d'un moteur de recherche ne permet pas de reconnaître la source de cette inscription, néanmoins, les trois mots Leo fervidus perurit sont reconnus comme appartenant exclusivement à un poème de Ausone. Or, ce poète est très apprécié par Hoefnagel, qui a souvent cité des vers de son Idylle De Rosis Nascentibus : cela accroit la valeur de cet indice.

Ausone est un poète aquitain du IVe siècle qui fut conseiller et professeur du Bas-Empire romain, et précepteur du flis de l'empereur Valentinien Ier. Il fut Presteur du palais impérial de Trèves, Préfet des prétoires des Gaules, Consul puis proconsul d'Asie, il se retira à Bordeaux âgé de 73 ans. Outre ses chefs d'œuvre les Parentales, les Roses, la Moselle et le Crucifiement de l'Amour,  il a composé des œuvres de circonstance, souvent traduits des anthologies grecques.

Le poème en question figure dans ses Églogues et s'intitule  In quo mense quod Signum fit ad cursum solis.

"En quel mois le soleil entre dans chaque Signe" . J'en donne un extrait :

Maius Agenorei miratur cornua tauri

Junius aequatos caelo videt ire Laconas

Solsticoi ardentis cancri fert Julius astrum

Augustum mensem Leo fervidus igne peruit.

Sidere virgo tuo Bacchum September opimat.

 

"Mai admire les cornes du taureau d'Agénor.

Juin voit passer dans le Zodiaque les Gémeaux de Lacédémone.

Juillet supporte pendant le solstice les brûlantes chaleurs du signe de l'Ecrevisse.

Le Lion brûle tout dans le mois d'Août par l'ardeur de ses feux.

Septembre fait grossir la vendange sous le signe de la Vierge."

(Oeuvres d'Ausone, traduites en français, par M. l'abbé Jaubert,..1769).

On en retrouve les vers dans les calendriers de Martyrologes dès le IXe siècle (Martyrologium d'Usuard, moine de Saint-Gremain-des-Prés). Ici, le médaillon de la Vierge (enluminure du Martyrologium de Dijon) est entouré du vers Sidere Virgo tuo Bacchum September opimat :

 

On le retrouve aussi dans une version versifié de De Ratione temporum  par Bède le Vénérable (725) Caput XVI.

Le vers est aussi inscrit autour du signe du Zodiaque de l'église romane de Wormbach

La fin de l'inscription a colens in sidere Virginis ne correspond pas exactement, mais est suffisament proche du texte d'Ausone pour reconnaître celui-ci. 

Les dernières lettres A--s- pourraient correspondre à Ausonius en abrégé, et non à Aestas qui est déjà mentionné dans le titre.

Hoefnagel a déjà fait appel dans son corpus d'inscriptions, non seulement à Ausone, mais aussi à Palingène, l'auteur du Zodiacus vitae : mais je n'y ai pas trouvé cette citation, de même que je n'y ai pas reconnu les inscriptions correspondants à l'Hiver.

 

http://www.loebclassics.com/view/ausonius-eclogues/1919/pb_LCL096.189.xml

SOURCES ET LIENS.

— DACOSTA KAUFMANN (Thomas), 1985, L' Ecole de Prague- la peinture à la cour de Rudolphe II, Paris 1985, p. 255.

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Published by jean-yves cordier - dans histoire entomologie - Hoefnagel
10 février 2015 2 10 /02 /février /2015 09:24

Rencontre de Hoefnagel et de Théodore de Bèze dans Diane et Actéon (1597) au Louvre. Hoefnagel et calvinisme.

Poursuivant mon examen des miniatures de Joris Hoefnagel pour tenter d'établir à mon petit niveau un inventaire entomologique de son œuvre, je m'arrête un instant sur l'inscription latine encadrant Diane et Actéon : une Épigramme de Théodore de Bèze. Quels sont les liens incitant Hoefnagel à citer le calviniste Théodore de Bèze, dans une de ses "erreurs de jeunesse" (Juvenilia) ? Quels sont les liens entre Hoefnagel et le calvinisme ? C'est à peine une digression, car l'entomologie naissante est et restera longtemps étroitement liée à la Réforme, à tel point que la France catholique y restera à l'écart, jusqu'au travail d'un janséniste, Etienne-Louis Geoffroy en 1762.

Voir dans ce blog sur Hoefnagel :

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DIANE ET ACTÉON (1597) de Joris et Jacob Hoefnagel.

L'œuvre fait partie des collections de département Arts graphiques du Louvre sous la référence REC 85 et est consultable en ligne, avec une notice, ici :

http://arts-graphiques.louvre.fr/detail/oeuvres/12/503980-Diane-et-Acteon-max


Description :

Il s'agit d'une aquarelle avec des rehauts d'or sur un vélin collé en plein sur un panneau de bois et mesurant 22 cm de haut sur 33,9 cm de large. Une signature en bas au milieu : 'Georgius Houfnaglius Pa. et Jacobus Fi.F.F. Anno MCCCCCXCVII', soit Georgius Houvnaglius Pa[ter] et Jacobus Fi[lius] F[ieri] F[ecit] incite à l'attribuer à Joris (Georgius) Hoefnagel (Anvers, 1542 - Vienne,1601) et à son fils Jacob (Anvers, 1575-1630) : L. Duclaux et F. Lugt ont supposé que Georg Hoefnagel était l'auteur du décor de fleurs, d'animaux et d'insectes qui constitue la bordure. Son fils, Jacob, serait l'auteur de la scène mythologique. La critique a suivi unanimement cette proposition. (E. Starcky in cat. d'exp. 'Le paysage en Europe du XVIe au XVIIIe siècle', Paris, musée du Louvre, 1990, n° 19).

Joris Hoefnagel avait été peintre à la cour des ducs de Bavière Albert V et Guillaume V jusqu'en 1590, puis au service de l'empereur Rodolphe II à partir de 1591, séjournant à Francfort jusqu'en 1594, puis à Regensburg jusqu'en 1596, en 1597, date de Diane et Actéon, il séjournait entre Prague (Palais de Rodolphe II) et Vienne. A 55 ans, il avait réalisé l'essentiel de son œuvre, consacrée à l'histoire naturelle. En 1592, son fils Jacob, formé à la gravure, et alors âgé de 19 ans, avait publié Archetypa studiaque, une reprise des dessins de son père en gravure sur cuivre.

Inscriptions :

Inscription en haut au centre : 'VENATOR CASSES, ET CASSES TENDIT AMATOR,/ QUOS SAEPE INCASSUM TENDIT UTERQUE TAMEN/ EX AEQUO PLUVIAS, ET VENTOS SPERNIT UTERQUE,/ DAMNOSOS NUTRIT STULTUS UTERQUE CANES'.

Inscription en bas au centre : 'ATTAMEN HOC DISTANT QUOD CUM FAERA STERNITUR ALTER/ PRAEMIA SOLLICITI IUSTA LABORIS HABET/ TUM DEMUM VERO INFELIX SUPERATUR AMATOR,/ CUM SIMILIS VICTAE PRAEDA SUPINA IACET'.

La source des inscription : une épigramme de Théodore de Bèze.

Les deux inscriptions sont tirées du poème Comparatio amantis cum venatore, l'un des Epigrammata ("Les épigrammes") du volume Poemata (1548) de Théodore de Bèze. Voici l'épigramme en entier avec sa traduction :

Comparatio Amantis cum Venatore

Dum leporem nuper nemorosa per auia sector,

Antiquae in mentem mihi rediere faces,

Nec mirum, studio cum delectentur eodem

Cui Dictynna placet, cui Cytheraea placet.

Ille etenim leporem sectatur, & iste leporem

Resfugitiua lepus, res fugitiua lepos,

Venator casses, & casses tendit amator,

Quos saepe in cassum tendit uterque tamen.

Ex aequo pluuias & uentos spernit uterque

Damnosos nutrit stultus uterque canes

Attamen hoc distant, quod cum fera sternitur, alter

Praemia solliciti iusta laboris habet.

Tum demum uero infoelix superatur amator

Cum similis uictae praeda supina iacet.

"Comparaison entre l'amant et le chasseur.

"Alors que je poursuivais un lièvre par les bois ombreux,

me revinrent à l'esprit les brûlures d'un amour ancien.

Et ce n'est pas étonnant, puisque l 'émule de Dictynne et celui de Cythérée sont épris d'une même passion.

L'un poursuit un lièvre, l'autre la séduction ; le lièvre est fuyant, comme est fuyant l'objet de séduction ;

le chasseur tend des pièges et ce sont des pièges aussi que tend l'amant, et tous deux les tendent souvent en vain.

L'un et l'autre méprisent également le vent et la pluie,

l'un et l'autre, dénués de réflexion, nourrissent des chiens qui les ruinent.

Pourtant la différence est là : une fois que la bête gît à ses pieds, le premier recueille la juste récompense de sa peine.

Alors que l'amant infortuné est vaincu lorsque sa proie s'est allongée, comme si elle était en son pouvoir."

Théodore de Bèze, Juvenilia, Lutetiae, ex officina C. Badii, 1548, traduction Hélène Casanova-Robin Voir aussi Gallica, sd page 61

Le poème est commenté ainsi par H. Casanova-Robin : "Un texte de Théodore de Bèze, construit autour de la notion de plaisir, pousse plus avant l'assimilation entre l'amant et le chasseur : jouant sur les termes lepos « grâce, charme» / lepus « lièvre », il établit une équivalence entre Dictynna –Diane et Cytherea – Vénus, révélatrice de l'échange de valeurs entre ces deux déesses."

Les Poemata de Bèze.

On lit sur Wikipédia que Théodore de Bèze (Vézelay,1519-Genève,1605) fut un humaniste, théologien protestant, traducteur de la Bible, professeur, ambassadeur et poète. Il fut le porte-parole de la Réforme en France au colloque de Poissy, puis pendant les guerres de religion. Il fut le chef incontesté de la cause réformée dans toute l’Europe et le successeur de Jean Calvin à la tête de l'Académie de Genève.

http://en.wikipedia.org/wiki/Theodore_Beza

 

 

 

 

C'est ce personnage, auteur du Psautier huguenot et éditeur d'une nouvelle version du Nouveau Testament en grec, qui tenta toute sa vie de se justifier d'un recueil de poésies légères composé à 29 ans, les Poemata.  L’ouvrage comporte cinq parties dont les quatre premières sont assez formelles : Les Sylves, les Icônes, les Elégies et les Epitaphes. La cinquième partie,  les Epigrammata  est inspirée des épigrammes de Catulle composées pour  Lesbia : rebaptisant Candida sa fiancée Claudine Denosse, il reprend le même mètre, le doux endécasyllabe phalécien, et chante l'agrafe de Candide (ad fibulam), ses pieds (ad pedem Candidae), sa chevelure caressée par le Zéphyr, ses baisers, ou bien, s'inspirant de Martial, crée des pièces plus osées où il est question de mentula, de rimula et de telum. Ces frivolités datent de son sèjour parisien. Mais l'année même de cette publication, tombant sévèrement malade, comme l'écrit dans un style dévot l'auteur de l'article Wikipédia,  "dans sa détresse physique, se révélèrent à lui ses besoins spirituels. Peu à peu, il vint à la connaissance du salut en Christ, qu’il accepta avec une foi joyeuse. Il résolut alors de trancher les liens qui le rattachaient au monde et se rendit à Genève, ville qui était un refuge pour les évangéliques (les adeptes de la Réforme). Les fugitifs [Théodore et sa fiancée] arrivèrent à Genève le 24 octobre 1548." Avant de s'exiler, il trouva néanmoins le temps de confier son manuscrit de poèmes latins à l’imprimeur Conrad Bade (le fils de Josse Bade)  qui  les publia  in extremis aux ides de Juillet 1548, avant de quitter lui aussi Paris. Sur un autre ton, Alexandre Malard écrivait : "Bref, de Bèze, devenu grave, et représentant d'un parti qui se piquait d'austérité, fit alors un choix sévère : semblable au stoïcien de la fable, il se mutila, sous couleur de s'émonder."

Le volume est dédié à son maitre de Belles-Lettres Melchior Wolmar(1497-1560) qui lui avait fait part dans une lettre de Tubingen de son admiration, partagée par Joachim Camerarius: « Par désir de gloire et pour contenter les vœux d’un maitre à qui je devais tout, je fus entrainé à publié ce petit livre ». En effet, le jeune Théodore avait été envoyé à l’âge de neuf ans, à Orléans et confié à l'helléniste allemand protestant Wolmar qui avait déjà enseigné le grec à Calvin et lui avait inspiré le goût de la Réforme. En marge de ses études de droit civil, Jean Dampierre lui enseigna en 1535 la poésie latine et les hendécasyllabes. Après ce séjour à Orléans de 1528 à 1535, Théodore suivit bientôt son maître Wolmar à Bourges, où l’avait appelé la duchesse Marguerite d'Angoulême, sœur de François Ier. Bourges était en France un des endroits où soufflait le plus fort le vent de la Réformation. Quand, en 1534, François Ier publia son décret contre les innovations dans l’Église, Wolmar retourna à l’université de Tübingen où il enseigna le droit, le latin et le grec

Malgré son exil et sa conversion, la publication de ces poèmes  rendit le nom de Théodore de Bèze (en latin Bezia)  fort célèbre comme un des meilleurs auteurs de poésie latine de son temps. Trois éditions successives de piètre qualité virent le jour sans nom d’éditeur. Théodore de Bèze se résolut alors à réviser le texte, à en expurger les passages les plus scabreux et à publier une deuxième version augmentée, à Genève, chez Henri Estienne, en 1569. Cette version expurgée porte  le titre de Juvenilia qu'il faut comprendre comme "erreur de jeusesse" . 

 Les Poemata ont été publiés dans leur intégralité  et traduits en français par Alexandre Machard chez Isidore Lizeux en 1889 et cette édition est aussi consultable en ligne sur Gallica. Elle conserve les Epigrammata qui avaient été éliminés par les censeurs genevois, et ne donne pas en traduction les Silves, les Icones et les Élégies.

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La justification de Théodore.

Une lettre à André Dudith,  ancien évêque de Knin et de Pécs (Hongrie), passé à la Réforme en 1567,  sert de préface à la seconde édition des Poemata, (Genève, Henri Estienne, 1569) : en voici l'éloquent début :

 

 http://www.unige.ch/lettres/framo/calliope_chrestienne/data/beze.poemata.pref.pdf

"Quelqu’un s’étonnera peut-être (et à juste titre) qu’un homme de mon âge qui se livre à des préoccupations plus sérieuses et à qui, surtout, une première édition de tels versiculets a aussi mal réussi, non seulement reprenne, après tant d’années, ces vieilles sornettes, comme s’il retombait aujourd’hui en enfance, mais qu’il en rajoute encore comme par un nouvel excès de sottise. Donc, pourquoi il en est ainsi, je pense que cela demande une explication plus complète afin de dissiper les critiques injurieuses des uns et peut-être aller au-devant des calomnies futures des autres. Attaché à la poésie depuis mon enfance, je m’y suis consacré avec application, d’une part grâce à une certaine inclination naturelle qui attirait mon tempérament vers la pratique de celle-ci, d’autre part aussi sous l’impulsion de Melchior Volmar Rufus de Rottweil, homme d’une érudition et d’une honnêteté exemplaires, qui, à l’époque où il était mon précepteur à Bourges, m’encouragea non seulement à étudier les autres disciplines qui conviennent à la jeunesse, mais également à faire, avec assiduité, des exercices de style en poésie. Ensuite, aux alentours de ma dix-septième année , après que je fus arrivé à Orléans sur l’initiative de mon père pour y entreprendre des études de droit, je fis la connaissance de plusieurs personnes cultivées qui, brûlant de la même passion que moi, étaient déjà dotés d’un goût sûr et d’une culture remarquable : Jean Dampierre, poète dont la veine très féconde produisait avec bonheur des hendécasyllabes et qui était alors supérieur d’un couvent situé dans les environs de la ville (depuis, j’ai pleuré sa disparition), Antoine de Saint-Anthost, plus tard président au Parlement de Rouen, décédé il n’y a pas si longtemps , Jean Truchon, Maclou Popon , Louis Vaillant, tous, je pense, encore en vie et honorés des charges les plus prestigieuses de France. Après mon arrivée à Orléans, donc, non seulement je ne délaissai pas mon amour de la poésie, mais au contraire, comme si un désir d’émulation était née entre nous, je persévérai dans cette voie en redoublant d’efforts, et les Muses (soit dit sans exciter l’envie) s’avérèrent si bien disposées à mon égard que selon le propre témoignage de ces hommes si illustres et si instruits (encore aujourd’hui je garde précieusement parmi mes trésors plusieurs petites pièces qu’ils m’avaient adressées en signe de notre grande amitié), j’avais déjà à cette époque-là, semble-t-il, les moyens de me distinguer tant soit peu dans ce genre littéraire. Or, je m’étais alors proposé, en composant des bucoliques et de petites silves, d’imiter Virgile, le prince des poètes ; en écrivant, d’autre part, des élégies, j’imitais Ovide, dont l’ingénieuse abondance me séduisait plus que l’élégance d’un Tibulle. Pour ce qui est des divertissements que sont les épigrammes, genre que j’affectionnais par-dessus tout en raison de certaines dispositions naturelles, c’étaient, encore et toujours, Catulle et Martial ; je les appréciais au point que, chaque fois que je m’écartais de mes études plus sérieuses (qui étaient, en réalité, des tâches parfaitement accessoires), c’est nulle part ailleurs que dans leurs jardins, si l’on peut dire, que je désirais me donner carrière . En effet, même si (et je le dis avec sincérité) leur obscénité me choquait au point qu’il m’arrivait de détourner les yeux de certains passages au cours de la lecture, manquant pourtant de prudence à cet âge-là, j’étais séduit tant par la douceur du premier que par le mordant du second, si bien que je m’efforçais de leur ressembler (je parle du caractère de leur style) autant que je le pouvais. C’est ainsi que fut écrite la majeure partie des poésies que j’ai publiées quelques années plus tard, et non seulement celles-ci mais encore quelques autres qui ou bien ont disparu depuis longtemps ou bien continuent de circuler entre les mains de certains amis. En effet, bien loin de garder ces poèmes par-devers moi – s’il m’était arrivé parfois d’en produire en abondance –, je dus, lorsque j’eus pris la décision de les publier, en partie les tirer moi-même du sanctuaire de ma mémoire, en partie les mendier auprès de mes amis. Mais ce furent surtout les vifs encouragements du célèbre Melchior, mon ancien précepteur, qui fournirent un prétexte favorable à la publication ; comme il m’était arrivé de lui envoyer je ne sais plus quelles pièces (en

pour suivre l’appel du Christ ; c’est ainsi qu’en compagnie de celle qui, depuis quelque temps déjà, était ma fiancée, j’abordai dans le havre qu’est Genève, comme si Dieu en personne m’avait conduit par la main. Après y avoir été accueilli de la manière la plus chaleureuse par le grand et illustre Jean Calvin, j’y restai jusqu’à ce que l’on m’appelât à Lausanne, à l’Académie des Bernois, pour y enseigner la langue et la littérature grecques, alors même que je n’avais jamais eu pareille ambition. Convoqué, je m’y présentai et à l’occasion de l’enquête qui fut menée sur moi (conformément à l’usage établi dans nos Eglises par l’Apôtre), je fis spontanément mention des épigrammes que j’avais publiés afin que la présence, parmi eux, de quelques pièces amoureuses et par moments même franchement licencieuses – toujours, il est vrai, à l’imitation des Anciens –, ne pût porter préjudice à effet, je lui écrivais fréquemment comme il sied à un disciple qui ne veut point être ingrat, et lui, en retour, m’a toujours traité avec les égards dus à un fils), alors qu’il enseignait le droit à Tübingen sous l’autorité du très illustre prince le duc de Wurtemberg, il n’eut de cesse que je ne lui dédiasse ces balivernes réunies au hasard dans un fascicule. En effet, de retour d’Orléans à Paris – m’étant ainsi retrouvé dans l’école la plus florissante du monde et ayant fait la connaissance de personnes avec qui je pouvais me former dans n’importe quelle discipline –, j’avais du reste déjà composé un certain nombre de pièces de ce genre selon que se présentaient diverses occasions propres à libérer l’esprit des études plus sérieuses ; ces poèmes (soit dit sans offenser personne) avaient été appréciés par les hommes les plus doctes de cette académie, hommes que je comptais parmi mes amis les plus chers (il s’agissait alors de Jean Strazeel, Adrien Turnèbe, George Buchanan, Jean Tevius, Antoine de Gouvea, Mellin de Saint-Gelais et Salmon Macrin), au point qu’ils m’avaient attribué à l’unanimité, si mes souvenirs sont bons, alors que je venais de terminer l’Horoscope de François II, le premier rang parmi les auteurs d’épigrammes. Séduit, comme je l’étais alors, par je ne sais quel espoir de parvenir à une vaine petite gloire et souhaitant, en partie également, donner satisfaction, dans la mesure de mes possibilités, au désir de mon précepteur, qui avait toujours fait preuve à mon égard d’un si grand dévouement, je ne pus retenir ce modeste livre, qui reçut de la part de mes compatriotes français et même de la part des Italiens un accueil tel que j’avais honte d’accepter les félicitations des premiers ; pour ce qui est des seconds, celui qui était alors considéré comme le plus brillant d’entre eux, Marc Antoine Flaminio, alla jusqu’à annoncer haut et fort à qui voulait l’entendre que les Muses, il le reconnaissait désormais, avaient enfin franchi les Alpes pour pénétrer en France. Et de fait il s’en serait fallu de bien peu que dans mon imprudence je ne reste collé à ce rocher des Sirènes si le Seigneur ne m’avait forcé, comme sous l’impulsion des vents de son Esprit et bien que cela se fît contre mon gré, à conduire ma barque plus loin. Mais abrégeons : éveillé par Dieu vers la même époque et brûlant du désir de déclarer publiquement mon attachement à une religion plus pure (ce que l’on ne pouvait alors faire en France sans mettre sa vie en grand péril), j’abandonnai tout pour suivre l’appel du Christ ; c’est ainsi qu’en compagnie de celle qui, depuis quelque temps déjà, était ma fiancée, j’abordai dans le havre qu’est Genève, comme si Dieu en personne m’avait conduit par la main. Après y avoir été accueilli de la manière la plus chaleureuse par le grand et illustre Jean Calvin, j’y restai jusqu’à ce que l’on m’appelât à Lausanne, à l’Académie des Bernois, pour y enseigner la langue et la littérature grecques, alors même que je n’avais jamais eu pareille ambition. Convoqué, je m’y présentai et à l’occasion de l’enquête qui fut menée sur moi (conformément à l’usage établi dans nos Eglises par l’Apôtre), je fis spontanément mention des épigrammes que j’avais publiés afin que la présence, parmi eux, de quelques pièces amoureuses et par moments même franchement licencieuses – toujours, il est vrai, à l’imitiation des Anciens –, ne pût porter préjudice à l’Eglise. L’assemblée de nos frères décida que je n’en pouvais pas moins assumer cette charge au sein de l’Eglise : d’une part, parce qu’il leur semblait tout à fait injuste de tenir rigueur de cette faute à un homme qui venait de passer dans le camp du Christ en tournant le dos au papisme un peu à la manière dont on renonce au paganisme et qui, du reste, avait mené une vie honnête et irréprochable ; d’autre part, parce que je m’étais engagé à montrer publiquement combien je regrettais cette étourderie. Dès cette époque-là, en effet, je pressentais ce qui est arrivé depuis, à savoir que ceux-là mêmes qui auparavant avaient fait leurs délices de mes versiculets (aussi longtemps du moins que je fréquentais leurs lieux de débauche) allaient ensuite, par haine de l’Evangile, me reprocher leur publication et qu’ils ne trouveraient évidemment rien à m’imputer si ce n’est des crimes manifestement inventés de toutes pièces. Quant à savoir si, dans les faits, j’ai tenu l’engagemennt que j’avais pris, une double préface en témoignera, l’une en français, placée en tête de la tragédie intitulée Abraham sacrifiant et imprimée voici dix-huit ans par Conrad Badius ; l’autre en latin, ajoutée à ma Confessio et également publiée il y a longtemps. Depuis que j’ai passé, par un bienfait vraiment singulier de Dieu, au vrai christianisme, je ne m’oppose pas le moins du monde à ce que mes adversaires même fassent des enquêtes très scrupuleuses pour savoir comment je me comporte, grâce à Dieu, en public et en privé. En effet, ils prétendent que j’ai été chassé de Lausanne, histoire dénuée de tout fondement, car imaginée de bout en bout par ces gens sans scrupules : en seront témoins non seulement la ville de Lausanne elle-même, avec laquelle je continue d’entretenir des relations très amicales, mais encore le très influent Sénat de Berne, dont j’éprouve tous les jours les bonnes dispositions à mon égard. Etc..." Théodore de Bèze à André Dudith* : lettre préface à la seconde édition des Poemata, Genève, Henri Estienne, 1569 http://www.unige.ch/lettres/framo/calliope_chrestienne/data/beze.poemata.pref.pdf

 

http://le-bibliomane.blogspot.fr/2012/07/theodore-de-beze-les-poemata-une-erreur.html : La page de titre de l’édition originale des Poemata publiée chez Conrad Bade en 1548.

 

 

 

 

Diane et Actéon arts.mythologica.fr © Musée du Louvre

 

 

 

 

 

II. L'épigramme Comparatio amantis  (1548) et  le Diane et Actéon (1597)   des Hoefnagel.

Le lien qui réunit l'épigramme de T. de Bèze et la scène mythologique de Diane et Actéon, inspirée d'Ovide, n'est pas direct. On connaît l'histoire du chasseur Actéon, qui surprend un jour, au cours d’une chasse, la déesse Artémis prenant son bain. Furieuse, elle le transforme en cerf. Impuissant, Actéon meurt déchiré par ses propres chiens qui ne le reconnaissent pas et sont rendus fous de rage par la déesse. 

Citons d'abord  Les Métamorphoses d'Ovide : livre III vers 177 à 181, 189 à 193

Qui simul intravit rorantia fontibus antra,
Sicut erant, viso nudae sub pectora nymphae
Percussere viro subitisque ululatibus omne
Implevere nemus circum fusaeque Dianam
Corporibus texere suis ; tamen altior illis (...)

"A peine (Actéon) est-il entré dans la grotte à la source ruisselante, que les nymphes qui se trouvaient nues, à la vue d'un homme frappèrent leurs poitrines et remplirent toute la forêt environnante de leurs cris subits ; pressées autour de Diane elles la protégèrent de leurs corps ; mais Diane est plus grande qu'elles."

sic hausit aquas vultumque virilem
Perfudit spargensque comas ultricibus undis
Addidit haec cladis praenuntia verba futurae :
"nunc tibi me posito visam velamine narres,
Si poteris narrare, licet. "

 "ainsi, Diane prit de l'eau, la jeta à la face de l'homme et aspergeant sa chevelure avec l'eau vengeresse, elle ajouta ces paroles, annonciatrices du malheur à venir : "maintenant, va raconter que tu m'as vue sans voile, si tu le peux, je te l'accorde."

"Nec plura minata 
Dat sparso capiti vivacis cornua cervi,
(...) velat maculoso vellere corpus 
Additus et pavor est ;

"Et sans proférer davantage de menaces, elle fait apparaître sur la tête ruisselante d'Actéon les cornes du cerf vivace (...) elle couvre son corps d'une peau tachetée ; elle y ajoute même une nature craintive."

Le dessin oppose, à gauche, Actéon encore prit par l'élan de sa chasse, mais la tête déjà affublée des cornes du cerf, et, à droite, parmi six nymphes nues, Diane / Artémis  sortant du bain, faisant face à l'intrus et l'aspergeant d'eau. L'élément le plus frappant, c'est la confrontation soudaine des deux gestes, l'effet de surprise foudroyant, et la victoire de la déesse. 

De même que Hoefnagel est d'une fidélité scrupuleuse aux modèles naturels (insectes ou fleurs) qu'il reproduit, de même respecte-t-il parfaitement le texte d'Ovide, bien que ses nymphes semblent plus préoccupées à leur toilette, à leur miroir  et à leurs jeux qu'à abriter leur maîtresse qui se passe d'ailleurs bien de cette protection ; ses pouvoirs lui suffisent.

Puisque l'épigramme choisi ne commente pas directement la scène mythologique, son choix suppose une réflexion préalable et délibérée proposant une interprétation originale du mythe. A la lecture de de Bèze, nous sommes amenés à comprendre le sort qui frappe le chasseur Actéon comme celui de tout amant, qui se croit vainqueur et qui, par un seul regard, est dominé par celle qu'il croyait posséder et est dévoré par les chiens de sa propre passion. Le thème souvent traité en poésie par Ronsard ou par Maurice de Scève, et qui évoque la métaphore du regard féminin comme un arc dont la flèche empoisonne le cœur de l'amant.

Cette transformation du prédateur en proie est aussi le sujet du poème du protestant Jean de Sponde, qui fut l'élève de Théodore de Bèze à Bäle vers 1581 : 

"Je meurs, et les soucis qui sortent du martyre 

Que me donne l'absence, et les jours et les nuicts

Font tant qu'à tous momens je ne sçay que je suis, 
Si j'empire du tout ou bien si je respire.

Un chagrin survenant mille chagrins m'attire, 
Et me cuidant aider moy-mesme je me nuis ; 
L'infini mouvement de mes roulans ennuis
M'emporte, et je le sens mais je ne le puis dire.

Je suis cet Actéon de ses chiens deschiré ! 
Et l'esclat de mon ame est si bien altéré
Qu'elle, qui devrait me faire vivre, me tüe :

Deux Deesses nous ont tramé tout nostre sort,
Mais pour divers sujets nous trouvons mesme mort, 
Moy de ne la voir point, et luy de l'avoir veüe." (Les Amours, V, 1598)

 

...

Mais si de Bèze avait, devenu calviniste, tout fait pour escamoter son œuvre de jeunesse, comment comprendre que Jacob ou Joris Hoefnagel, calvinistes également, en ait ostensiblement inscrit un passage et ait rendu hommage à l'une de ses Épigrammes reniés et banni ? Alors que Joris Hoefnagel a surtout peint des miniatures consacrées au thème de la fragilité et de la vanité de l'existence rendue dérisoire face au temps qui passe, en utilisant les spécimens d'histoire naturelle comme des exemples d'un destin éphémère, et des citations morales (Psaumes, Adages d'Érasme) ou poétiques (Les Roses d'Ausone) selon un dessein parfaitement compatible avec la morale calviniste, comment expliquer ces nymphes nues et cette citation de de Bèze ?

 

 

III. Éros dans la Prague rodolphinienne .

   Diane et Actéon de Joris et Jacob Hoefnagel doit être considéré au sein de la production des artistes de la cour impériale de Rodolphe II à Prague. Parmi les quelques vingt-cinq artistes de Rodolphe II, et à coté des études de nature de Joris Hoefnagel et de Savery, presque tous exé­cutèrent des œuvres qui correspondaient avant tout au goût pour les tableaux dont les sujets étaient tirés de la littérature classique. Ovide et Apulée constituaient probablement leur source principale. Les œuvres d'artistes de la Renaissance  italienne étaient copiées, et  Heintz et Von Aachen firent des copies d'après Corrège, tandis que Heintz copiait L'Amour taillant son arc, de Parmesan ;  Vénus et Adonis de Van Ravesteyn, reprend l'œuvre de Titien. Par ailleurs, Rodolphe II détenait  dans ses collections une série de poésie mythologiques, compositions contenant des nus qui venaient de l'atelier de Titien et qu'il avait héritées de son père, Maximilien II ;  En 1601, il acquit la Danaé de Titien. Puis il parvint à obtenir les célèbres Amori de Corrège. Des œuvres semblables, de Parmesan, Pordenone, Jules Romain, Palma Vecchio et Paris Bordone se trouvaient dans les collections de Prague. Pour Rodolphe II, Véronèse et Tintoret peignirent plusieurs scènes mythologiques sur des sujets amoureux. Ces pein­tures de Corrège, Titien, et bien d'autres artistes italiens répondent à un goût pour les thèmes de la mythologie classique, dont la vogue n'a cessé de grandir pendant la Renaissance.

Il est donc logique que Jacob Hoefnagel ait produit lui-aussi une scène mythologique, et que celle-ci illustre une des Métamorphoses d'Ovide. C'est le reflet de son statut de peintre de cour plutôt que celui de ses propres choix.

De même, le caractère érotique et dénudé de la scène doit-elle être mise en relation avec les erotica, les images suggestives de Spranger et de Van Ravesteyn : ces scènes érotiques représentent un quart des collections de l'empereur, et,  pour les tableaux de Spranger  cette proportion s'élève approximativement à la moitié. 

Ces nus s'inscrivent dans une longue tradition dans toute l'Europe, chez les Princes comme chez les bourgeois. Certains critiques y ont vus le reflet de goûts particuliers de Rodolphe II, d'autres ont  vu dans ces scènes mythologiques des allégo­ries morales ou philosophiques en relation avec le succès dans les cercles praguois des interprétations ésotériques et mystiques et le penchant de Rodolphe pour le mystique et l'occulte, mais son aversion pour les scènes religieuses. Les héros et les dieux de Spranger, Von Aachen et Heintz ont pu être interprétés comme des images de l'harmonie cosmique.

Afin d'enrichir le regard critique porté sur Diane et Actéon de Hoefnagel, je me propose de citer l'article Éros et poesia : la peinture à la cour de Rodolphe II de Thomas DaCosta Kaufmann. En particulier son analyse des peintures érotiques de Sprangler, présentées comme des poésies. J'ai, je l'avoue et j'en met en garde le lecteur, soumis le texte de Kaufmann à des coupes et raccourcis parfaitement intempestifs, et chacun se devra de consulter la publication originale, disponible en ligne. Je donne ici ce que j'ai "surligné" pour mon usage propre.

 "Aucun document spécifique émanant des milieux praguois ne permet d'éta­blir que les peintures étaient destinées à être interprétées de manière allégorique. Il y avait sans doute à Prague un milieu humaniste érudit ; mais on ne peut supposer que ses membres pouvaient discerner systématiquement des vérités philoso­phiques dans des sujets d'un érotisme flagrant. Il existait certes dans le milieu de la cour une littérature de tournure allégorique, comme l'at­teste le célèbre ouvrage d'alchimie, l'Atalanta fugiens de Michael Maier. Mais il semble diffi­cile d'appliquer cette lecture à toute la poésie spécifiquement erotique, produite en latin et en allemand par des personnalités marquantes associées à la cour telles que Valens Accidalius, Hieronymus Arconatus, Elizabeth Jane Weston et, en particulier, Salomon Frenzelius et Theobald Hôck. Du reste, nous ignorons le contexte original et la fonction de beaucoup de peintures erotiques faites à Prague, qui auraient pu favori­ser une interprétation allégorique cohérente.

"Le recours aux conseils d'érudits ne consti­tue en aucun cas une «règle invariable». On possède peu de renseignements précis sur le rôle des conseillers humanistes dans l'élaboration des peintures à Prague. En fait, certains artistes au service de l'empereur comme Hoefnagel étaient eux-mêmes des humanistes capables d'inventer des emblèmes très savants. D'autres peintres impériaux, tel Arcimboldo, ont pu travailler avec des humanistes, mais ils pouvaient eux aussi inventer des thèmes ou exécuter les propres inventions de l'empereur. Ottavio Strada ne semble pas avoir joué un rôle quelconque dans l'élaboration de programmes de peintures (à distinguer des emblèmes) pour des artistes au service de Rodolphe II. L'interprétation érudite des erotica rodolphiniens risque d'oublier leur contenu manifeste. . De même, la recherche de significations complexes et cachées ne doit pas faire oublier la sensualité évidente des nus de Spranger. Aucun texte ne peut entièrement rendre compte de cet aspect des peintures, pas plus qu'une recherche de source textuelle ne suffit pour Titien. Entre les deux objets traditionnels de la poésie, la délectation semble primer l'instruction.

"Les poésie de Spranger : En interprétant les peintures rodolphiniennes à sujet érotique comme des poésie de la Renaissance, nous pouvons faire porter l'atten­tion sur leur forme et leur style, souvent éludés auparavant par la critique. Les peintures de Spranger du début des années 1580, représentant des couples amoureux, fournissent à notre dis­cussion des exemples appropriés : c'est celui dont l'œuvre comporte le plus grand nombre d'erotica.  Dès le xvne siècle,  des compositions picturales pouvaient être considérées comme des poésie, c'est-à-dire des inventions poétiques. Les descriptions de poètes comme Ovide, dont le style vivace convie à passer facilement du mot à l'image, y invitaient. 

La notion, bien connue de la critique huma­niste, que les peintures, considérées comme comparables aux poèmes, sont régies par des principes similaires — ut pictura poesis —, était très répandue en Europe Centrale

En fait, du temps même de Rodolphe II ou peu après, les peintures de Spranger étaient pré­cisément qualifiées de «poétiques».  Ses scènes mythologiques sont riches d'antithèses, d'anaphores, de chiasmes (ou complexio) et d'ironieL'antithèse, sous des formes variées, est impor­tante dans toutes ses œuvres mythologiques, et se manifeste dans l'emploi répété du contrapposto,  figures qui se tournent sur elles-mêmes pour former une figura serpentinata, créant un effet qui participe d'une forme idéale de beauté, et accentue ainsi leur grâce. Dans ce groupe d'œuvres, beaucoup de figures sont décrites dans des mouvements complémen­taires. Le teint des hommes et des femmes est également contrasté.  Les ornements ne sont pas utilisés uniquement pour eux-mêmes : ici, les diagonales croisées renforcent l'effet des antithèses et des anaphores. L'utilisation d'éléments similaires, en parti­culier d'antithèses picturales, relie entre elles beaucoup d'œuvres de ce groupe, en particulier les compositions en paires qu'on peut dater du début des années 1580.  L'utilisation d'éléments pictu­raux opposés dans beaucoup de scènes mytholo­giques de Spranger met aussi en relief leur contraste thématique.  Grâce à ces contrastes ornementaux et thé­matiques, les thèmes erotiques sont mis en valeur par leur présentation formelle. Cette dépendance apparemment consciente à l'égard du contrapposto, alliée à l'utilisation d'un type de figure élégant, raffiné et idéalisé, ont bien sûr conduit au qualificatif de «manié-riste». Mais nous aimerions mettre l'accent sur un autre aspect de l'utilisation de tels éléments dans l'élaboration des thèmes, à savoir l'esprit considéré ici à l'origine à la fois de l'ironie et de l'humour. Cet élément spirituel est une carac­téristique essentielle qui différencie les poésie de Spranger des années 1580 et d'autres erotica rodolphiniens des œuvres de Titien et des artistes italiens. C'est même une composante remar­quable de leur érotisme. Spranger accentue de la même façon l'hu­mour espiègle à connotations sexuelles et ce recours à l'humour  tend à désamor­cer plutôt qu'à alourdir le caractère erotique de ses compositions des années 1580. L'accent porté par l'ar­tiste sur les aspects humoristiques des con­tes amoureux très élaborés des Métamorphoses sied assurément à Ovide.  Les peintures de Spranger se rattachent à une tradition poétique et picturale dans laquelle des sujets d'un genre élevé ou erotique peuvent être traités à la fois avec humour et élégance. Les amours de personnages nobles sont traités dans l'esprit de î'épigramme qui emploie le dystique élégiaque, combinaison du mètre héroïque et du mètre lyrique utilisé pour les sujets erotiques. Ainsi, alors que des erudits ont trouvé des parallèles aux peintures mythologiques italiennes chez les poètes épiques de la Renaissance, l'Arioste pour Titien, Le Tasse pour Carrache. c'est à l'épigramme de la Renaissance, dont l'expression spirituelle concentrée et piquante s'appuie souvent sur l'antithèse, qu'il convient de comparer le talent de Spranger. L'épigramme était le genre favori de poésie latine en Bohême à cette époque. De fait, lorsque dans les années 1580 Spranger créait ces œuvres pleines d'un esprit acéré, Frenzelius travaillait à ses recueils d'épigrammes.

Cet esprit de badinage sérieux, de serio-ludere dont on peut rapprocher la démarche de Spranger, qui combine éros et humour (parfois aussi thanatos !) était très répandu dans la Prague rodolphinienne. On l'a déjà noté dans des images érotiques plus tardives de Van Aachen et Spran­ger , et on peut caractériser d' « épigrammatique» les illustrations de l'aphorisme «Sine Baccho et Ccrcre friget Venus». L'esprit de gravité ludique correspond à une attitude qui façonna l'art rodolphinien depuis ses débuts. Par exemple, les allégories impériales d'ArcimboIdo, ses «plaisanteries sérieuses» sous la forme spiri­tuelle de têtes composites, si elles avaient été d'abord créées pour Maximilien II, étaient parti­culièrement appréciées par Rodolphe II. Arcimboldo fit d'ailleurs le portrait de celui-ci dans une tête composite de Vertumne ."

Cette analyse incite à apprécier dans Diane et Actéon un érotisme poétique, gai et cultivé, et dans le choix d'un Epigramme de Théodore de Bèze non le reflet d'un prosélytisme protestant et l'indice d'un sens allégorique secret, mais la simple citation d'un poème dont la forme est adaptée à la composition de la peinture. 

 

III. Joris Hoefnagel et le calvinisme.

 

La famille Hoefnagel vers 1571. F. Pourbus, Musées des Beaux-Arts, Bruxelle.

Meilleure image ici :

http://www.blamont.info/zoom.html?images/georgeshoefnagel1.jpg

Je devrais le rappeler sans cesse, mais particulièrement ici : je n'ai aucune compétence pour traiter les deux versants, artistique et religieux, de ce sujet. Je me constitue plutôt une documentation personnelle. Néanmoins, certaines données peuvent être réunies.

 

a) Les parents de Joris Hoefnagel étaient sans doute calviniste eux-mêmes.

b) Les études de Joris Hoefnagel le conduisirent dans des foyers du calvinisme (Bourges). 

c) Les différents postes et les villes où il vécut témoignent d'exils imposés par cette foi.

d) Les responsabilités de son fils Jacob au sein de l'église réformée furent importantes.

e) Sa sœur  et son beau-frère Huyghens sont enterrés derrière le chœur de l'église  Sint-Jacobskerk de La Haye, église de culte protestant depuis l'iconoclasme de 1566.

 


 

a) La famille de Joris Hoefnagel était sans doute calviniste .

Les parents de Joris Hoefnagel, son père Jacob diamantaire ou plutôt  marchand en pierres précieuses et tapisseries à Anvers et sa mère Élisabeth Veselaer  étaient-ils calvinistes ? On peut le penser puisqu' ils furent ruinés après la prise et le saccage d'Anvers par les Espagnols catholiques en 1576 .

Jacob Hoefnagel, qui était un homme très riche, était aumônier et régent de l'Hôpital Van der Biest. Le couple eut douze enfants dont sept se marièrent. Plusieurs s'établirent comme marchands à l'étranger , et cela même avant que la pression religieuse et politique ne forcent les Protestants à quitter Anvers : Gilles et Jacob sont signalés comme marchands à Londres dans les années 1560 , de même que Guillaume en 1561. Daniel résidera en permanence à Vienne à partir de 1585-1587 ; Melchior tenta de s'établir à Francfort (Hendrix et Vignau-Willberg, 1992 p. 23).

http://smaak.home.xs4all.nl/Kwartierstaten-Christiaan-Huygens.htm#ID10

Anvers fut reprise par les calvinistes de la république d'Anvers de 1577 à 1585. Puis, après la chute d'Anvers en août 1585, plus de la moitié des 100 000 habitants quittèrent la ville pour les Provinces-Unies.

D'autre part, le réseau d'amis du jeune Joris, et l'éducation qu'il reçut, suppose aussi que ses parents aient été de confession protestante.

b) Les études de Joris Hoefnagel le conduisirent dans des foyers du calvinisme. 

De 1560 à 1562, Joris Hoefnagel séjourna en France pour étudier dans les universités d'Orléans et de Bourges, étape indispensable de toute peregrinatio academica. Il dessina des vues de ces deux villes, mais aussi de Poitiers, de Tours et d'Angers, et de Blamont.

 Selon J. Hiernard, on doit à A. Montballieu la découverte d'un sauf-conduit daté du 18 août 1562 comportant cinq noms écrits en capitales et accompagnés de la date de 1561 : il devait servir à assurer le retour à Anvers de plusieurs fils de marchand, étudiants à Bourges et demeurant chez « maître Robert Janss van Giffenen ». Parmi eux figurait Joris Hoefnagel (GEORGIVS HOVFNAGLIVS) de Anvers, Robert Van Haeften (ROBERTVS VAN HAEFTEN) de Anvers, Guillaume Mostaert (GVILHELMVS MOSTAERT) de Anvers, et Jan Van Blommendael (IOANNES A BLÖMEDAEL), de Vianen près d'Utrecht, tous fils de riches marchands, calvinistes ou de sympathie calvinistes, et de leur paedagogus Robert Jans Van Giffen (OBERTVS GYFANIVS BVRANVS), originaire ( en 1533 ou 34) de Buren en Gueldre (Gederland), promis à la gloire puisqu'il allait devenir procureur de la nation germanique à Orléans (1566-1567), enseigner l'éthique et la jurisprudence à Strasbourg de 15701 à 1577, puis à Altdorf près de Nuremberg et à Ingolstadt où il avait été appelé en 1590 par la faveur du duc Albert V de Bavière et où il revint au catholicisme, et mériter le nom de « Cujas de la Germanie », avant de terminer sa carrière comme conseiller (Reichsofrat) et asséseur à la Cour Suprême Impériale de Rodolphe II à Prague où il mourrait en 1604. (Hiernhard page 255).

 

L'exposition "Réforme et Contre Réforme à travers les vues de Bourges" précise que " la plupart des "graveurs géographes" étaient originaires d'Europe du Nord, lieu de grande implantation du Protestantisme dès la Renaissance. Mieux : à cette même époque, l'Université de Bourges est à son apogée et les plus importants professeurs (Wolmar, Alciat, Beaudoin, Duaren) sont acquis aux thèses de la Réforme tout comme nombre de leurs étudiants, tel Joris Hoefnagel, artiste de renom et graveur d'une célèbre "vue de Bourges" en 1587 ... Le grand Jean Calvin viendra lui aussi étudier à Bourges  (1530-31), dans cette cité bien connue pour son importante communauté protestante au point que Théodore de Bèze l'appelait "une des trois sources du protestantisme avec Orléans et Toulouse". Il faut en outre souligner  les racines profondes du protestantisme  en Berry et ce, dès le XVe siècle,  notamment avec Marguerite de Navarre, grande protectrice des premiers réformés. L’avènement de l’imprimerie et de la gravure élimina la possibilité de perpétuer le statu quo dont profitait depuis des siècles la Papauté catholique. Avec des milliers d’imprimés et des centaines d’estampes, la pensée et l’esthétique réformées purent conquérir le monde grâce cette diffusion qui rencontra d’innombrables lecteurs à travers l’Europe. De nombreux professeurs, humanistes de grand renom comme André Alciat, Melchior Wolmar, François Hotman, furent des Réformés convaincus, d'autres en secret tel Jacques Cujas. L'université de Bourges a été un foyer de débats et de diffusions orales des idées nouvelles de la Réforme, avec un rayonnement européen. "

"Le jeune Joris Hoefnagel est envoyé en France avec ses compatriotes étudiants (François van Haeften, Guillaume de Kemperer et Mathieu de Lannoy) sous la férule de leur précepteur Robert Jans van Giffenen, appelé aussi par le monde savant « Obertus Gyfanius ». On trouve leurs traces à l’Université de Poitiers (Joris Hoefnagel , dessin de la pierre d’un dolmen couvert de signatures gravées par les étudiants) puis à la Faculté de droit de Bourges. Ces étudiants sont donc à Bourges en 1562, date à partir de laquelle la ville est occupée par une troupe protestante et ce, de la mi-mai jusqu’à la mi-août de cette même année, lorsque la troupe du Duc de Guise, accompagnée de la Régente Catherine de Médicis et du jeune Roi Charles IX son fils, fait le siège de la ville de Bourges qui capitule finalement le 1er septembre 1562. Ces hostilités entre catholiques et protestants décident les familles des étudiants hollandais à envoyer un voiturier à Bourges pour ramener les jeunes gens et leur maître à Anvers, sans doute dès le début du siège (seconde quinzaine d’août 1562). Après son passage dans les Universités de France, on pense qu’il suit les cours du peintre Hans Bol (Malines, 1534 – Amsterdam, 1593). En 1569, il est en Angleterre puis retourne un an plus tard à Anvers où naîtra son fils Jacob en 1575. "

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c) Les différents postes et les villes où il vécut témoignent de cette foi.

A l'automne 1577, après que les troupes catholiques espagnoles eurent envahi Anvers, Hoefnagel voyage dans le sud de l’Europe - passant par Venise - en compagnie du célèbre cartographe Abraham Ortelius.  En 1578, il devient peintre de la Cour d'Albert V de Bavière à Munich pour se retrouver au service de l'archiduc Ferdinand du Tyrol avant de gagner Prague en 1590 où il est définitivement attaché à la Cour impériale de Rodolphe II. La Contre-Réforme catholique va à nouveau le chasser et l’obliger à partir pour Francfort dès 1591 puis pour Vienne, où il  travailla et  vécut jusqu'à sa mort en 1600. 

d) Les responsabilités de son fils Jacob au sein de l'église réformée sont importantes.

e) Sa sœur Suzanna, son beau-frère Christian Huyghens et son neveu Constantin Huyghens.

Après la mort de son père, elle alla avec sa mère protestante en Hollande, puis à Hambourg puis dans une communauté d'émigrés protestant avant de se marier en 1592 à Amsterdam avec épousa Christiaan Huygens  (1551-1624) secrétaire du Conseil d'Etat

http://resources.huygens.knaw.nl/vrouwenlexicon/lemmata/data/Hoefnagel

 

 

 

 

 

 

 

 

III. Joris Hoefnagel et Théodore de Bèze.

 

IV. Hoefnagel, les emblèmes, et Théodore de Bèze.

a) Hoefnagel et les emblèmes.

Bien plus encore que tout lettré de son temps, Joris Hoefnagel, peintre mais aussi poète érudit, se passionnait pour les Emblèmes ; il se décrivit dans le livre de Modèles calligraphiques conservé à Vienne comme "inventor hieroglyphicus et allegoricus". Toute son œuvre peinte est emblématique, tissée de citations de la Bible, de poèmes latins d'Ausone, d'Ovide et d'Adages d'Érasme : chaque miniature comporte les trois éléments (emblema triplex) des recueils d'emblème du XVI et XVIIe siècles : un titre (inscriptio, títulus, motto, lemma) placé au-dessus de l’image, ou dans le cadre de celle-ci, et qui forme son "âme". Une image (pictura, icon, imago, symbolon),  qui forme le « corps » de l’emblème et joue un rôle mnémotechnique. Et un texte explicatif en vers,(subscriptio, epigramma, declaratio) qui élucide le sens caché de l’image et de la devise.  Certes les peintures de Hoefnagel, bien qu'elles répondent à ces régles, sont d'abord des œuvres picturales et non des Emblemata, mais elles relèvent du même esprit.

C'est ainsi le cas, indirectement, pour le Missale romanum, le Mira calligraphiae et le Schriftmüsterbuch de Vienne et, directement, pour les Quatre Éléments (J. Paul Getty Museum), les Allégories (Louvre ; Lille ; British Museum ; Coll. privées). Les Archetypa studiaque edités par son fils Jacob  sont aussi  un parfait exemple d'emblema triplex. 

Il est donc évident que le calviniste Hoefnagel a accueilli avec intérêt les Emblemata de Théodore de Bèze.

 

 

b) Théodore de Béze et ses Emblemata.

 En 1580, Théodore de Bèze avait composé un nouvel ouvrage justement apprécié ; c'est le volume des Icones id est verae imagines...Emblemata,. 1580, Genève, Jean de Laon.

 la version de 1580.

Le livre réunit deux ensembles bien différents et étrangers l'un à l'autre. Le premier, nommé  les icones, présente par des biographies et des portraits sur bois un grand nombre des plus grandes figures de la Réforme, y compris Hus, Erasme, Savonarole, Zwingli, Marot, Michel L'Hôpital, Marguerite de Valois, Budé, Josias Simler, Gessner, Calvin, et d'autres encore. Les réformateurs anglais et écossais sont aussi représentés tels que Cranmer, Latimer, Wyclif, John Knox, alors que les martyres de John Rogers, John Philpot , John Bradford, William Hunter et d'autres sont brièvement discutés. Il y a au total 37 portraits, mais 54 cadres vides sont réservés pour de futurs portraits avec l'indication du nom. Le but est de présenter la Réforme comme un vaste phénomène international dépassant les frontières.  La seconde partie est constituée de 44 emblèmes, qui sont les premiers du genre chez les Protestants. Dans cette édition originale, ils ne comportent  aucun slogan ou titre. Dans la plupart des emblèmes, le contexte de la foi religieuse est implicite, mais il ya aussi un certain nombre d'emblèmes qui expriment une position anti-catholique forte et qui montre l'engagement de l'auteur comme calviniste. Au-dessus des gravures sur bois, qui sont enfermés dans un cadre , figure simplement un numéro d'emblème, et au-dessous suit une strophe versifiée en latin. Comme d'autres humanistes protestants, de Bèze était opposé à la présence d'images dans les églises qui favorisaient à leurs yeux de vaines superstitions et éloignaient les fidèles de Dieu. Mais pour de Bèze, les emblèmes étaient acceptables, et même souhaitables, si ils permettaient de faire passer des idées graves et pieuses dignes de contemplation soutenue. En outre, il a estimé que ces emblèmes, et les leçons qu'ils procuraient, pourraient entrer plus facilement dans l'esprit du lecteur pieux  après avoir été transférés du livre  vers  des supports tels que les murs, les mosaïques ou les réceptacles domestiques. De Bèze se réfère au sens du mot tesselatus, "pièce de marqueterie ou de mosaïque" dans un concept de construction en pierre, sorte de maçonnerie miniature emboitant divers emblèmes. Les emblèmes de la Renaissance associent images, devises, et versets explicatifs pour constituer un "théâtre de la mémoire" personnelle, tout comme ils avaient été des éléments des bâtiments publics et autres espaces architecturaux » ['Mnemonic emblems in the humanist discourses of knowledge', in Aspects of Renaissance and Baroque Symbol Theory, ed. Peter M. Daly and John Manning, New York, 1999.] (Je me suis inspiré d'une notice du libraire ViaLibri). Mais l'une des raisons qui ont conduit De Bèze à composer ce recueil est, peut-être, le désir de renouer avec la poésie latine de sa jeunesse en cherchant à combiner cet intérêt littéraire avec ses convictions religieuses. Notons aussi qu'André Alciat, maître milanais des études juridiques et célèbre auteur des Emblemata (1534), avait séjourné une première fois à Bourges de 1529 à 1533, précédant de dix ans Théodore de Bèze.

 Les 44 emblèmes sont sur ce site de Glasgow :

http://www.emblems.arts.gla.ac.uk/french/contents.php?id=FBEa

 Le livre de de Bèze fut traduit  l'année suivante en français par son collègue protestant Simon Goulart, qui lui succèdera  à la charge de modérateur de la Compagnie des pasteurs de 1607 à 1612 : Les vrais pourtraits Des hommes illustres [...] plus, quarante Quatre emblèmes chrestiens (Genève: Jean de Laon, 1581). Tous les emblèmes sont sur le site :

http://www.emblems.arts.gla.ac.uk/french/contents.php?id=FBEb

 

 

https://books.google.fr/books?id=07m6BAAAQBAJ&pg=PA114&lpg=PA114&dq=Mnemonic+emblems+in+the+humanist+discourses+of+knowledge&source=bl&ots=P81HTJCGfq&sig=X3tPiN0f7-6YWAhNEe2vlgxOfwU&hl=fr&sa=X&ei=BUrbVJCsDYr1UrzhgfgI&ved=0CC8Q6AEwAg#v=onepage&q=mnemonic&f=false

 

 

Emblemata : Th de Bèze, " Bèze, Th. de xxiv, 516"

 

http://www.emblems.arts.gla.ac.uk/french/books.php?id=FBEa

 

Autre indice : en 1605, la famille Huygens prépara  la représentation de l'Abraham sacrifiant, de Th. de Bèze. 

Joris Hoefnagel a su se livrer à des travaux de Cour comme cet Horoscope de Rodolphe II  Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Cod. Min.31 fol.1r (Kaufmann p. 10)

SOURCES ET LIENS

 

 

ANDROSSOV (Sergey) 1994. "Two Drawings by Hoefnagel," The Burlington Magazine, 136 (1095) : 369-372.

 BÈZE (Théodore de) Poemata Edition 1557 Lyon page 120 :

https://books.google.fr/books?id=Cg5AAAAAcAAJ&pg=PA120&lpg=PA120&dq=b%C3%A8ze+cytheraea+placet&source=bl&ots=zvXw-scXIo&sig=N8UU5YD-B4xsrNqN22LiDJANqgQ&hl=fr&sa=X&ei=v9bZVPrxIcfxUrShg4AO&ved=0CDQQ6AEwAw#v=onepage&q=b%C3%A8ze%20cytheraea%20placet&f=false

— BÈZE  (Théodore de), 1580 Icones, id est, Verae Imagines Virorum Doctrina Simul Et Pietate Illustrium: Quorum Praecipue ministerio partim bonarum literarum studia sunt restituta, partim vera Religio in variis orbis Christiani religionibus, nostra patrumque memoria fuit instarata: additis eorundem vitae & operae descriptionibus, quibus adiectae sunt nonnulae picturae quas Emblemata vocantGenève, Jean de Laon éditeur .

CASANOVA-ROBIN (Helène ) 2006, "Diane de Poitiers et le mythe" in L'Italie et la France dans l'Europe latine au XVIIe siècle, par la Société française des études néo-latines, Publication des universités de Rouen et du Havre page 109-126 page 118.

— CASANOVA-ROBIN (Helène ), 2003 Diane et Actéon. Éclats et reflets d'un mythe à la Renaissance et à l'âge baroque, Paris, Honoré Champion, (Thèse)

— DACOSTA KAUFMANN (Thomas), 1985, traduit de l'anglais par Coignard Jerôme. "Éros et poesia : la peinture à la cour de Rodolphe II". In: Revue de l'Art, 1985, n°69. pp. 29-46. 

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rvart_0035-1326_1985_num_69_1_347522

 — DACOSTA KAUFMANN (Thomas), 1985,  L'école de Prague, la peinture à la cour de Rodolphe II, Flammarion, Paris.

— DUFOUR (Alain) Théodore de Bèze, poète et théologien 

https://books.google.fr/books?id=Aq565EDD3UoC&pg=PA15&lpg=PA15&dq=poemata+b%C3%A8ze+catulle&source=bl&ots=378QQQ7g1i&sig=qaLJ9qUw78tt-8SB6PY8ylZBXdw&hl=fr&sa=X&ei=4A3aVK3UHoKBUbuMhKgK&ved=0CCEQ6AEwAA#v=onepage&q=poemata%20b%C3%A8ze%20catulle&f=false

 FETIS (Edouard) 1857 Les artistes belges à l'étranger: études biographiques : en ligne ici http://www.blamont.info/textes813.html : biographie de Joris Hoefnagel.

— HENDRIX (Marjorie Lee),1984,  "Joris Hoefnagel and the Four Elements Study in Sixteenth- century Nature Painting" thèse de doctorat Princeton 1984

—HIERNARD (Jean), 2006, "Les Germani à l'Université de Poitiers au temps de Rabelais" in Les grands jours de Rabelais en Poitou, actes du colloque international Droz ed.pages 229-257

https://books.google.fr/books?id=uuBG6Xt-HvsC&pg=PA255&lpg=PA255&dq=hoefnagel+bourges&source=bl&ots=M_BR-aUgZ4&sig=ZFxAOCIdREZKebAILrywVLV7SQk&hl=fr&sa=X&ei=ed7ZVPGvIMv9UueChJAK&ved=0CCgQ6AEwAjgK#v=onepage&q=hoefnagel%20bourges&f=false

 

 LUGT ( F.), 1968 'Musée du Louvre, Cabinet des dessins - Inventaire général des dessins des écoles du nord - Maîtres des Anciens Pays-Bas nés avant 1550', Paris, 1968, n°373, repr.

MACHARD Alexandre, Les Juvenilia de Théodore de Bèze, texte latin complet, avec la traduction des Épigrammes et des Épitaphes et des Recherches sur la querelle des Juvenilia,  Isidore Lizeux, Paris 1889

https://archive.org/stream/lesjuveniliadet00machgoog#page/n9/mode/2up

— MONBALLIEU (Adolf) 1980Joris Hoefnagel bij Obertus Gyfanius te Orleans en te Bourges Deurne : Drukkerij Antigoon, 1980 P. 99-112, 24 cm Jaarboek 1980 Kononklijk Museum voor schone kunsten-Antwerpen

VIGNAU-SCHUURMAN [ou VIGNAU-WILBERG] (Théa A.G.), 1969, Elemente im Werke Joris Hoefnagels Leyde 1969

 

 

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Published by jean-yves cordier - dans histoire entomologie - Hoefnagel
7 février 2015 6 07 /02 /février /2015 18:26
Les Allégories des Quatre Saisons de Joris Hoefnagel au Musée du Louvre, 1591. Début d'inventaire entomologique.

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Voir dans ce blog sur Hoefnagel :

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En 1987, l'entomologiste belge Jean Leclercq écrivait dans son article "Qui fut le premier entomologiste belge ? Je propose Joris Hoefnagel (1542-1600)" les lignes suivantes : "Mais je pense que les entomologistes belges ne doivent pas laisser indéfiniment aux historiens de l'art, la charge d'analyser, de situer les œuvres de ces pionniers. Ils devraient pour le moins s'occuper de l'identification aussi précise que possible des insectes figurés par les artistes de ces premiers siècles d'une nouvelle curiosité scientifique".

En 2015, malgré les travaux des historiennes de l'art Théa Vignau-Wilberg et Lee Hendrix, et l'inventaire réalisé pour l'Archetypa studiaque et pour Mira calligraphiae, ce travail d'identification, essentiel pour l'histoire de l'entomologie, doit être poursuivi. Aucun entomologiste n'a publié sur ce sujet depuis deux articles de Jean Leclercq. Et aucun n'a été examiner à la loupe les planches originales à la précision fabuleuse. Je procède donc, avec ma bonne volonté d'amateur, à un début d'inventaire, en espérant stimuler les efforts de scientifiques compétents.

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Les Allégories du Louvre.

Outre leur intérêt propre, ces quatre Allégories de 1589 s'enrichissent de leur comparaison et rapprochement avec deux œuvres de mêmes dimensions (H. 0,123 ; L. 0,180), monogrammées et datées : GHF 1591, et légendées sur des cartouches apposés dans le bas, représentant des Allégories de la brièveté de la vie, conservées au Musée des Beaux-Arts de Lille. Elles ont été étudiées dans ce blog précédemment .

J'utiliserai dans mon texte les données trouvées sur le site de l'Inventaire des Arts Graphiques du Musée du Louvre http://arts-graphiques.louvre.fr/, dans les notices rédigées par Michèle Gardon.

    Ces quatre miniatures conservées au Cabinet des dessins Fonds des dessins et miniatures du Musée du Louvre présentant une allégorie des saisons. Des inscriptions latines associent chaque saison à une étape de la vie : Amor (le printemps), Honor (l’été), Labor (l’automne) et Dolor (l’hiver). La Vanitas, caractère éphémère de la vie humaine, y est le personnage central, symbolisé ici par le défilé des saisons, celui des signes zodiacaux, le crâne ailé symbolisant la nuit et la mort, les fruits mûrs, et les insectes dont le temps sur terre est lui aussi compté.

    "Vanitas : L’inscription du phylactère en haut de la miniature qui signale son appartenance à un ensemble illustrant les quatre âges de l’homme ainsi que la présence d’insectes et de fleurs symbolisant le caractère éphémère du passage sur terre, font de cette miniature une allégorie de la brièveté de la vie. Le souci de naturalisme qui transparaît dans la représentation exacte des divers éléments et la disposition parfaitement symétrique de ceux-ci se retrouvent dans tous les petits tableaux de Goerg Hoefnagel. Il y dispose des insectes, des petits animaux, des fleurs, des fruits mais aussi des éléments plus directement symboliques, tel le crâne entouré d’ailes de chauve-souris symbolisant la mort. Les éléments de cette miniature se retrouvent dans un livre constitué par son fils Jacob : l’Archetypa Studiaque Patris Georgii Hoefnagelii qui regroupe des planches gravées recensant les divers motifs et les diverses épigrammes représentés dans les œuvres de Georg." (M.G)

    Humaniste et naturaliste

    "L’empereur Rodolphe II faisait grand cas des œuvres naturalistes et des allégories savantes, du savoir scientifique et de la connaissance du passé de l’histoire naturelle et philosophique. A sa cour, et avant d’y être, Georg Hoefnagel illustre nombre d’ouvrages. Il est à la fois un peintre minutieux, naturaliste précis mais il est aussi d’une grande érudition qui se reflète dans toutes ses œuvres où il fait largement appel aux textes classiques, aux proverbes, à la Bible. Pour Ferdinand de Tyrol, il enlumine le célèbre Missale Romanum (entre 1582 et 1590), pour Rodolphe II, il illustre, entre 1591 et 1594, deux livres de modèles d’écriture composés par le secrétaire impérial Georges Bocskay. Il réalise surtout un grand traité en quatre volumes symbolisant Les Quatre éléments (eau, air, terre, feu) mêlant à la fois la manière d’un traité d’histoire naturelle (représentations d’animaux et de végétaux) et la façon d’un livre d’emblèmes (devises, citations de la Bible). Des quatre volumes aujourd’hui démembrés et dispersés, le Louvre possède quatre folios."(M.G)

    Pour la Kunstkammer de Rodolphe II ?

    "Hoefnagel peint aussi de nombreuses miniatures sur parchemin dont les quatre petits tableaux formant une Allégorie des saisons. Ces œuvres sont probablement destinées au cabinet de curiosités (Kunstkammer) de l’empereur. Dans cette salle étaient présentées des collections artistiques (les artificialia) mais aussi des collections zoologiques et botaniques (les naturalia), des appareils d’astronomie, des globes…(les scientifica), des collections ethnographiques et des objets extraordinaires (les mirabilia). Deux ensembles sur le thème des quatre saisons sont signalés dans l’inventaire de la Kunstkammer, établi de 1607 à 1611 ; celui du Louvre est peut-être l’un d’eux. Trois autres miniatures, qui faisaient sans doute partie d’un second ensemble aujourd’hui dispersé, ont été retrouvées : un Eté et un Hiver à Vaduz, un Automne à Bruxelles." (Michèle Gardon)

    Description générale :

    Catalogue RF 52483 à RF 52486. Détrempe (liant à l'oeuf) et or sur vélin marouflé sur panneau. Cadre en bois sculpté redoré, travail autrichien du XIXe siècle. Restauré en 2001. H. 00,125m ; L. 00,185m Signée du monogramme et datée à droite, sur le phylactère : GHF / 1589.

    L'ensemble appartenait à la même famille depuis 1823 et a été acquis par le Musée en 2001 (vente à Clermont-Ferrand).

    La structure d'ensemble est la même pour les quatre miniatures, et s'apparente à celle des deux Allégories de Lille et d'autres œuvres d'Hoefnagel : un faux cadre de cuivre est censé maintenir un appareil d'anneaux, de cartouches et de supports (que je nomme "patères"). J'ai interprété cette présentation comme une fausse vitrine de cabinet de curiosité, ce qui s'accorde avec l'hypothèse que ces œuvres étaient accrochées dans le Kunstkammer de Rodolphe II. Ici, il s'y ajoute une fausse tenture écartée à la manière d'un rideau et retenue par un cordon dont le gland aux franges dorées passe négligemment devant le faux cadre. Comme à Lille, la patère centrale qui comporte la devise-titre sert à suspendre comme pour un Mobile de Calder une succession d'élément : une plaque portant un signe du zodiaque, puis le phylactère recevant l'épigramme, puis un motif allégorique (sphère armillaire ; fléaux ; crâne sur des ailes de chauve-souris ; cœur embrasé). Le phylactère, comme une bannière de fête, est tendu en travers de la vitrine par des pinces entre deux supports en C dont la branche inférieure porte un élément du zodiaque. Chaque dessin comporte donc, comme dans les calendriers des Livres d'Heures, trois signes zodiacaux sur des médaillons traités à la manière d'intailles sur fond de lapis lazuli.

    Les deux tiers supérieurs de cette mise en scène exposent comme en un Naturalia divers animaux, qui, pour accroître la vraisemblance, prennent appui sur l'appareillage précédemment décrit, ou bien sont suspendus par un fil à un plafond imaginaire. Mais cette vraisemblance disparaît lorsque ce sont un singe, un castor, un phoque ou des chiens qui sont couchés sur la banderole. On peut alors imaginer, comme ce fut le cas dans ces vitrines au XVIIe siècle, que les spécimens réels sont disposés dans des boites aux parois peintes ou brodées.

    Le tiers inférieur est censé être le plancher de la boîte-vitrine, et les objets ou spécimens y projettent une ombre sous l'effet d'un éclairage venant de la gauche : ils sont de taille plus importante, proche de la grandeur nature, et la proportion respective des spécimens est globalement respectée. Ce seront sur les espèces qui y sont exposés que portera mon inventaire.

    Theatrum naturae, theatrum mundi et Theatrum insectorum

    L'importance des textes dans les autres œuvres de Hoefnagel et la manière dont les courbes, les déliés et les artifices de leur calligraphie se retrouvaient dans les volutes des patères en "style Joris" et dans les formes des tiges et des pétales, des corps, des antennes ou des queues des spécimens naturels m'avait conduit à comprendre que Hoefnagel considérait son travail d'observateur des plantes et des animaux comme équivalent à la lecture du Livre de la Nature : Dieu y avait écrit à l'intention de l'Homme un texte qu'il devait déchiffrer avec autant d'attention que les Livres sacrés de la Bible. Mais sans renier cette analyse où la Nature est un Livre , ici, mon étude de la composition des Allégories m'incite à comprendre que Hoefnagel développe la métaphore de la Nature comme Théâtre. Il monte les tréteaux de la scène, soigne l'éclairage, lève le rideau, et il donne à voir un spectacle pour lequel, par ses inscriptions, il donne quelques pistes d'interprétation.

    Cette métaphore est loin d'être anecdotique. Elle s'apparente à l'idée baroque parfaitement contemporaine du Theatrum mundi où les êtres jouent tous un rôle, consciemment ou malgré eux, sur la grande scène du monde et sont des pantins dont les ficelles sont tirées par le grand horloger. La réplique de la pièce de Shakespeare Le Marchand de Venise "Je tiens ce monde pour ce qu'il est : un théâtre où chacun doit jouer son rôle." "Le monde entier est un théâtre/" date de 1596, celle de Comme il vous plaira "Et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs/ Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles." date de 1599, année où le Théâtre du Globe présentera à ses spectateurs l'épigramme Totus mundus agit histrionem "Le monde entier fait l'acteur ".

    C'est aussi en 1595 que Jean Bodin publie son Amphithéâtre de la nature suivi en 1596 de son Universae naturae theatrum . Ajoutons qu'en 1577 Hoefnagel avait accompli avec le cartographe Abraham Ortelius un voyage de Anvers vers l'Italie, et qu'en 1584 Ortelius avait publié son recueil de cartes sous le nom de Theatrum Orbis Terrarum. En réalité, autour de 1580, le terme theatrum prend la place de celui de speculum ou de Miroir pour donner un titre à un ouvrage encyclopédique sur un sujet donné.Mais c'est surtout dès 1589 ou 1590 que le médecin anglais Thomas Moffet crée la page de titre de son Insectorum sive Minimorum Animalium Theatrum. Décrire la Nature comme une scène, c'est concevoir les plantes et les animaux comme des acteurs d'un scénario divin. Dans la conception humaniste ou de la Réforme, un nouveau devoir devient évident, celui d'être un spectateur attentif à l'ordre qui régit les insectes (minimorum animalium), l'ordre de ce microcosme étant analogue à celui du macrocosme. Cet ordre, Hoefnagel en cherche les grandes divisions dans ses Quatre Éléments, dans les Quatre Saisons, dans les deux temps de la Vie et de la Mort (ou du Jour et de la Nuit). Le Temps est à la fois mobile comme la succession des Douze signes du Zodiaque, et à la fois figé dans la répétition de cycles cosmiques immuables.Il est le véritable éclairagiste du Théâtre du Monde.

    Dans ce changement de paradigme où l'Homme spectateur prend en charge la description de la Nature comme objet de son investigation, les choses les plus banales, comme une poire ou une pomme, une abeille ou une mouche deviennent des centres d'intérêt et prennent place sur la scène.

    Un autre ensemble allégorique portant le même titre Amor, Honor, Labor, Dolor  a été dessiné et gravé en 1591 dans un style très différent par Raphael Sadeler d'après Maerten de Vos

     225 x 260mm (Image : Vente aux enchères 2006 Bonhams). Les épigrammes en 8 vers en sont différents.

     

     

     

    I. Allégorie : l'Automne (LABOR).

    Images : https://rkd.nl/nl/explore/images/record?query=joris+hoefnagel&start=70 

    Louvre : http://arts-graphiques.louvre.fr/detail/oeuvres/11/508929-Labor-Allegorie-de-lAutomne-max

    Description.

    Signes zodiacaux de la Balance, du Scorpion et du Sagittaire. Élément central : globe où quatre fléaux s'entrecroisent (symbole du Labeur ?). Guirlande de fruits et de légumes.

     

    Inscription :

    Chaque composition porte sa légende sur une banderole. Ici :

    Incipit autonus finito labore virilus aevi terrenae res aninumque gravant. : "L'automne commence lorsque prend fin le bonheur de l'âge adulte." Source inconnue.

     

    Inventaire :

    N.B. Tenir compte de la décoloration : seul le bleu (lapis lazuli) des médaillons zodiacaux a bien résisté.

    — Registre supérieur : 16 animaux.

    Hermine ; Genette ;  écureuil ; Perdrix ; Huppe fasciée ; singe ;  lézard ; escargot ; scarabée ; papillon ; deux chrysalides (Pieridae ?) accrochées au cadre supérieur.

    — Registre inférieur : 11 animaux.

    Noisettes Corylus avellana . Poire coupée Pyrus communis ("Conférence" ?). Abricot Prunus armeniaca

    - Lazertidae (Lézard)

    -Lepidoptera Nymphalidae Inachis io "Paon-du-jour" chenille.

    - Lepidoptera Pieridae Anthocaris cardamines "Aurore de la Cardamine"

    -Orthoptera Ensifera femelle

    -Lepidoptera Geometridae Abraxas grossulariata "Zérène du groseillier"

    - 3 petits insectes (Coleoptera ?) dont un présente une lointaine ressemblance avec Pyrrhocoris apterus ou Corysus hyoscyami ; une chenille, non identifiable ; un escargot.

    Note : Les noisettes et la poire Conférence sont des fruits d'automne, cohérents avec le thème allégorique, mais les abricots sont mûrs en été. L'Aurore de la Cardamine vole au printemps. Abraxas grossulariata vole de juin à mi-août. Le choix des espèces n'est pas guidé par la saison thématique, ou bien les connaissances sont insuffisantes (peu probable).

     

     

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    Joris Hoefnagel, 1589, Labor, allégorie de l'Automne, Louvre.

     

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    II. Allégorie : l'Hiver (DOLOR).

    Description :

    Inscription : DOLOR. Bruma senectutis priget aemnosa dolore vitaq fluxa perit bullula sicut novae. "Le malheureux hiver de la vieillesse est raidi par la douleur et la vie chancelante arrive à son terme comme une bulle d'eau." Source de cette inscription inconnue.

    Une troisième inscription est écrite sur une bande de papier posée à droite : Decipimur votis et tepore fallimur et mors deridet curas anxia vita nihil : "Nous sommes les jouets de nos vœux. Le temps nous trompe, la mort rit de nos peines, et notre vie abreuvée d'inquiétudes n'est rien".  Il s'agit d'une devise empruntée à un monument funéraire antique, et qui fut adoptée par le cardinal et Prince  de Lièges Érard de la Marck. Un jeton rappellant la mort d'Erard de la Mark la comporte au dos des armoiries et du chapeau de cardinal du prince-évêque (1638). Citée aussi par Léonard de Vinci dans une lettre au cardinal D'Este. On présente aussi cette épitaphe comme un épigramme composé par Paulina Valeria.

    Ce qui m'intéresse d'avantage est d'apprendre qu'il s'agissait de la devise de Philippe de Clèves, comte de la Marcke (1546-1528), puisque Hoefnagel a enluminé le Livre d'heures ou Studenbuch (1485) qui lui avait appartenu. 

    Deux médaillons ronds bleus et or portant les signes zodiaquaux du Capricorne et des Poissons, et un médaillon ovale portant le signe du Verseau. Ce dernier prend les traits d'un homme âgé, qui fait penser à Saturne, maître du Verseau et du Capricorne, à queue de poisson, qui évoque le Capricorne et les Poissons, laissant s'échapper l'eau d'un vase. 

    Tête de mort porté par des ailes de chauve-souris (comme dans l'Allégorie de Lille), coiffé d'un disque d'or appartenant à un dispositif que je ne peux détailler (cristal ?).

     

    Inventaire :

    — Registre supérieur : 14 animaux.

    Deux crabes ; cinq oiseaux dont un Martin-Pêcheur Alcedo atthis et une Mouette rieuse Chroisocephalus rigundus en plumage d'hiver; un Castor Castor fiber ; un Phoque (Phoque gris Halichoerus grypus ??) ; trois chrysalides ; deux escargots.

    Composition végétale en guirlande où se reconnaissent les faînes du hêtre,  les glands, les  galles [d'Hymenoptera Cynipidae] et les feuilles mortes d'un chêne pédonculé Quercus robur. Arbuste à baies rouge et arbuste à baies noires

     

    — Registre inférieur :

    Éléments végétaux : 7 espèces :

    noisette infecté par un charançon Curculio nucum le Balanin des noisettes. Gousse sêche de haricot Phaseolus vulgaris. Cerneau de noix, entier, dans une demi coquille (Juglans regia). Glands de chêne pédonculé Quercus robur. Haricot . Demi orange Citrus sinensis Orange douce ou Citrus aurantium Orange amère ou Bigaradier. Rameau fleuri de ?

    Note : la noix, dont le fruit ressemble à un cerveau, et la coque ressemble à un crâne, n'est pas placé par hasard sous la tête de mort.

    Éléments animaux : 9 espèces.

    Souris Mus musculum : Coquille Gastropoda : [Cassidae ? Galeoda echinophora ? Cassis cornuata ?] ; coquille d'escargot ; deux chrysalides (dont l'une chevauche le cadre) ; quatre insectes de petite taille, dont une mouche morte.
     

     

    https://rkd.nl/nl/explore/images/115447 

    http://arts-graphiques.louvre.fr/detail/oeuvres/8/508926-Dolor-Allegorie-de-lHiver-max

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    Joris Hoefnagel, 1589, Dolor, allégorie de l'Hiver. Louvre

     

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    III. Allégorie Le Printemps (AMOR) 1589

    https://rkd.nl/nl/explore/images/115449

    http://arts-graphiques.louvre.fr/detail/oeuvres/9/508927-Amor-Allegorie-du-Printemps-max

    Inscriptions :

    AMOR.  Vernat Homo teneris annis et flagrat maore multiplis studi i cupit. "L'homme dans les années de Vénus est dans son printemps, il brûle de s'instruire en multiples domaines ; il désire apprendre à connaître toutes choses." Source de cette inscription inconnue.

    Médaillons zodiacaux du Bélier, du taureau et des Gémeaux. Emblème suspendu : cœur enflammé transpercé de deux flêches.

    Inventaire 

     

    — Registre supérieur : 21 espèces animales. Deux chiens ; six oiseaux dont deux hirondelles Delichon urbicum et deux Tourterelles; deux serpents menaçant des papillons ; papillons et autres insectes ; une salamandre.

    — Registre inférieur :

    Espèces végétales : Lilium [martagon] : Rosa gallica ; ? ; ?; ...

    Espèces animales : 19 espèces :

    -Lepidoptera Lycaenidae [Polyommatus icarus]

    - 2 Tipulidae in copula. Possible Ctenophora Thorax noir, abdomen annelé, ptérostigmas noirs, voire même Ctenophora flaveolata !

    -Vespoidea Eumenes [pomiformis] Guèpe maçonne ou potière.

    -2 petits insectes à identifier

    -Lepidoptera Nymphalidae Lasiommata 

    -Lepidoptera chenille [Pieris brassicae ??]

    -Lepidoptera Nymphalidae Pyronia tithonus

    -Lepidoptera Lycaenidae [Polyommatus icarus] (mâle)

    -Escargot Helix [pomatia]

    -Ichneumonidae

    -Coccinellidae Adalia bipunctata ?

    -Coleoptera

    -Araneae Araignée

    -Ichneumonidae

    -Lepidopteridae chenille [Geometridae]

     

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    Joris Hoefnagel, Amor, Allégorie du Printemps. Louvre.

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    IV. Allégorie l'Eté (HONOR)

    https://rkd.nl/nl/explore/images/115451

     

    http://arts-graphiques.louvre.fr/detail/oeuvres/10/508928-Honor-Allegorie-de-lEte-max

    Description.

    Inscription.

    HONOR.  Aestatem vitea juvenis traductit honori divitiss... ves...ae jusque studens...  "L'été de sa vie, l'homme dans la force de l'âge le passe en recherchant la gloire, les richesses..." Source de cette inscription inconnue.

    Trois médaillons zodiacaux du Cancer (écrevisse), du Lion et de la Vierge. Emblème suspendu : sphère armillaire.

    Inventaire. (partiel)

    — registre supérieur : 14 espèces animales ; anémones et bleuets.

    Un Iguane ; 9 oiseaux parmi lesquels deux oiseaux de proie ; celui de gauche semble porter un mantelet. une perruche à collier ? . Plusieurs papillons dont un probable Papilio machaon. 

    — registre inférieur : 15 espèces animales de gauche à droite :

    éléments botaniques : fraise des bois ; gousses de petits-pois Pisum sativum ; abricot Prunus armeniaca. Poire commune [Conférence] Pyrus communis ; groseillier à grappes Ribes rubrum ;  Lavande Lavandula

    -Lepidoptera Nymphalidae 

    -Chilopoda Scolopendra

    -Orthoptera Acrididae "Criquet"

    -Formicidae

    -Lepidoptera Lycaenidae [Polyommatus icarus "Azuré de la Bugrane" ?] Une paire entourant  l'axe central : mâle à gauche (ailes bleues) sur la poire).

    -Lepidoptera Nymphalidae Vanessa atalanta "Vulcain"

    -Lepidoptera Sphingidae Hyles euphorbia chenille

    -Lepidoptera Nymphalidae Polygonia c-album "Robert-le-diable"

    -escargot

    -Ichneumonidae

    -Diptera

     

    .

    Joris Hoefnagel, 1589, Honor, Allégorie de l'Eté. Louvre.

     

    .

     

     

    Source et liens.

    - GARDON Michèle, sd, Notice de "Dolor, Allégorie de l'hiver"  in site du Musée du Louvre département des Arts Graphiques XVIe siècle  :http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/dolor-allegorie-de-l-hiver

     

    - VIGNAU-WILBERG (Théa), 1989-1990 « Unbekannte Kabinettminiaturen von Joris Hoefnagel », in Jahrbuch der Kunsthistorischen Sammlungen in Wien, vol.85-86, 1989-1990, p.67-77

    - VIGNAU-WILBERG (Théa), 1994  Archetypa Studiaque Patris Georgii Hoefnagelii, 1592. Natur, Dichtung und Wissenschaft in der Kunst um 1600, München, Staatliche Graphische Sammlung, 1994

    - HENDRIX (M. Lee), Joris Hoefnagel and the « Four Elements » : a Study in Sixteenth-Century Nature Painting, Ph. Diss., 1984, Ann Arbor, 1984

    -  KAUFMANN (Thomas DaCosta) L’École de Prague, Paris, 1985

    — KAUFMANN (Thomas DaCosta) KAUFMANN (Virginia Roehrig), 1991, "The sanctification of nature : Observations on the Origins of Trompe l'œil in Netherlandish Book Painting of the Fifteenth and Sixteenth Centuries". ; in The J. Paul Getty Museum Journal : vol. 19 pp 43-64 https://books.google.fr/books?id=wm8mAgAAQBAJ&pg=PA62&lpg=PA62&dq=stundenbuch+hoefnagel&source=bl&ots=3YVFO9JTgX&sig=6Ab1LvQ1ULA0iXo8SrH73lByEag&hl=fr&sa=X&ei=rpnTVJyXGYXmaOnEgYgO&ved=0CDcQ6AEwBA#v=onepage&q=stundenbuch%20hoefnagel&f=false

     

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    Published by jean-yves cordier - dans histoire entomologie - Hoefnagel
    6 février 2015 5 06 /02 /février /2015 23:42

    Le théâtre de la nature de Joris Hoefnagel, et le Musée de l'innocence d'Orhan Pamuk.

    Voir dans ce blog sur Hoefnagel :

    .

    I. Joris Hoefnagel (Anvers 1542-Vienne 1601).

    De nombreuses miniatures du peintre flamand Joris Hoefnagel se présentent comme des vitrines du Cabinet de curiosités d'un naturaliste, montrant les fruits ou les insectes enfermées dans un petit théâtre pour modifier notre regard et le focaliser sur les choses banales et naturels : alors que précédemment les plantes et les animaux étaient toujours englobés dans un contexte symbolique et/ou religieux, il les découpe du sens avec lequel nous les interprétions et, par là, nous les négligions et nous les tends comme ce qu'il propose qu'ils soient, des objets à considérer comme tels, des objets d'étude. Ce nouveau regard prélude d'une part à ce qui sera l'Histoire naturelle (et notamment l'Entomologie), et d'autre part, dans l'Art, aux Natures mortes du XVIIe siècle.

    C'est ce qui donne toute son importance au cadre et à l'appareillage dans lequel ces objets naturels sont présentés : anneaux et pinces de fixation, supports et fils d'accrochage, patères, petits mobiles censés se balancer autour de l'axe central, banderoles, etc. Ces vitrines sont des castelets de Guignols, des petits théâtres où, par convention, chacun joue un rôle dans un monde fictif. A commencer par les objets exposés. Chez Hoefnagel, le trompe-l'œil est à la fois une démonstration de virtuosité magistrale, et à la fois le principe fondateur : tendre un piège au spectateur pour le transporter dans un autre monde, en jouant, comme au théâtre, sur la duplicité de la salle qui n'est jamais complètement dupe.

    Mais ces fausses vitrines accueillent systématiquement un autre acteur : le Temps. Par des inscriptions stoïciennes ou bibliques sur la fuite du temps, sur le caractère éphémère de l'existence, par un sablier, par une tête de mort succédant à celle d'un angelot, par des médaillons timbrés des signes zodiacaux, et, plus secrètement, par le choix des plantes et des insectes ( Éphémères, Myosotis "Ne-m'oublies-pas", Hémérocalle ou "Belle-d'un-jour", ...), les naturalia exposés baignent ou flottent dans un éther temporel afin que leur contemplation s'accompagne d'un mouvement de l'âme : la prise de conscience de la fragilité de l'existence, incommensurablement dérisoire face au mystère de la Création. Car les fleurs, les fruits, les insectes, suspendus dans ce Temps interrompu, nous dévisagent silencieusement dans l'énigme de leur propre existence. Tant de complexité, tant de compétences pour se reproduire et se métamorphoser, tant de génie pour résoudre ce qui est, à nous aussi humains, le défi majeur et que Spinoza nommera le conatus : l'effort pour persévérer en son être ! "Chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de persévérer dans son être" (Éthique III), et la réalisation de cet effort est source de joie. Mettre en scène les plantes et les petits animaux scrupuleusement, consciencieusement, obstinément tendus dans cette course, avec leurs graines et leurs fruits, avec leurs chenilles et leurs chrysalides, suscite sans-doute aussi la joie.

     Les œuvres de Joris Hoefnagel sont :

    — Missel Romain pour Ferdinand de Tyrol, 1581-1590. 658 folios : Missale Romanum (Vienne, Österreichische Nationalbibliothek)

    — Enluminures complémentaires sur le Livre d'Heures de Philippe de Clèves

    — Les Quatre éléments : Feu, Terre, Eau, Air. Les insectes appartiennent au premier volume Ignis. 1575-1585. Washington, (National Gallery of Art, Department of Prints and Drawings).

    — Schriftmusterbuch (livre de modèle de calligraphie) 1591 1594 calligraphie de Georg Bocskay (Vienne, Kunsthistorisches Museum, Schatzkammer) 127 folios

    Mira calligraphiae monumenta : 1591-1596 Paul Getty Los Angeles

    Archetypa studiaque : 1592 (gravures, publiées par son fils Jacob)

    — Miniatures isolées :

    • Un jardin et deux nymphes, 1579, Berlin https://rkd.nl/nl/explore/images/record?query=joris+hoefnagel&start=297
    • 2 Allégories de la brièveté de la vie, Musée des Beaux-Arts de Lille.
    • 4 Allégories des Quatre Saisons, 1589,  Musée du Louvre
    • Diane et Actéon,1597  Musée du Louvre
    • Lethaeus Amor 1589 http://www.lavieb-aile.com/2015/01/joris-hoefnagel-amor-lethaos-1598.html
    • Amoris monumentum Matri chariss. Nature morte avec papillon et escargot, 1589, http://www.metmuseum.org/toah/works-of-art/2008.110
    • Amicitiae monumentum Abrahamo Ortelio 1593 https://rkd.nl/nl/explore/images/121325
    • Amicitis non est utendum Ioanni Radermacher 1589 https://rkd.nl/nl/explore/images/record?query=joris+hoefnagel&start=10
    • Leda et le Cygne 1591 :

    Analyse de Dolor, Allégorie de l'Hiver.

    La structure d'ensemble est la même pour les quatre miniatures, et s'apparente à celle des deux Allégories de Lille et d'autres œuvres d'Hoefnagel : un faux cadre de cuivre est censé maintenir un appareil d'anneaux, de cartouches et de supports (que je nomme "patères"). J'ai interprété cette présentation comme une fausse vitrine de cabinet de curiosité, ce qui s'accorde avec l'hypothèse que ces œuvres étaient accrochées dans le Kunstkammer de Rodolphe II. Ici, il s'y ajoute une fausse tenture écartée à la manière d'un rideau et retenue par un cordon dont le gland aux franges dorées passe négligemment devant le faux cadre. Comme à Lille, la patère centrale qui comporte la devise-titre sert à suspendre comme pour un Mobile de Calder une succession d'élément : une plaque portant un signe du zodiaque, puis le phylactère recevant l'épigramme, puis un motif allégorique (sphère axillaire ; fléaux ; crâne sur des ailes de chauve-souris ; cœur embrasé). Le phylactère, comme une bannière de fête, est tendu en travers de la vitrine par des pinces entre deux supports en C dont la branche inférieure porte un élément du zodiaque. Chaque dessin comporte donc, comme dans les calendriers des Livres d'Heures, trois signes zodiacaux sur des médaillons traités à la manière d'intailles sur fond de lapis lazuli.

    Les deux tiers supérieurs de cette mise en scène exposent comme en un Naturalia divers animaux, qui, pour accroître la vraisemblance, prennent appui sur l'appareillage précédemment décrit, ou bien sont suspendus par un fil à un plafond imaginaire. Mais cette vraisemblance disparaît lorsque ce sont un singe, un castor, un phoque ou des chiens qui sont couchés sur la banderole. On peut alors imaginer, comme ce fut le cas dans ces vitrines au XVIIe siècle, que les spécimens réels sont disposés dans des boites aux parois peintes ou brodées.

    Le tiers inférieur est censé être le plancher de la boîte-vitrine, et les objets ou spécimens y projettent une ombre sous l'effet d'un éclairage venant de la gauche : ils sont de taille plus importante, proche de la grandeur nature, et la proportion respective des spécimens est globalement respectée. Ce seront sur les espèces qui y sont exposés que portera mon inventaire.

    Theatrum naturae, theatrum mundi et Theatrum insectorum

    L'importance des textes dans les autres œuvres de Hoefnagel et la manière dont les courbes, les déliés et les artifices de leur calligraphie se retrouvaient dans les volutes des patères en "style Joris" et dans les formes des tiges et des pétales, des corps, des antennes ou des queues des spécimens naturels m'avait conduit à comprendre que Hoefnagel considérait son travail d'observateur des plantes et des animaux comme équivalent à la lecture du Livre de la Nature : Dieu y avait écrit à l'intention de l'Homme un texte qu'il devait déchiffrer avec autant d'attention que les Livres sacrés de la Bible. Mais sans renier cette analyse où la Nature est un Livre , ici, mon étude de la composition des Allégories m'incite à comprendre que Hoefnagel développe la métaphore de la Nature comme Théâtre. Il monte les tréteaux de la scène, soigne l'éclairage, lève le rideau, et il donne à voir un spectacle pour lequel, par ses inscriptions, il donne quelques pistes d'interprétation.

    Cette métaphore est loin d'être anecdotique. Elle s'apparente à l'idée baroque parfaitement contemporaine du Theatrum mundi où les êtres jouent tous un rôle, consciemment ou malgré eux, sur la grande scène du monde et sont des pantins dont les ficelles sont tirées par le grand horloger. La réplique de la pièce de Shakespeare Le Marchand de Venise "Je tiens ce monde pour ce qu'il est : un théâtre où chacun doit jouer son rôle." "Le monde entier est un théâtre/" date de 1596, celle de Comme il vous plaira "Et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs/ Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles." date de 1599, année où le Théâtre du Globe présentera à ses spectateurs l'épigramme Totus mundus agit histrionem "Le monde entier fait l'acteur ".

    C'est aussi en 1595 que Jean Bodin publie son Amphithéâtre de la nature suivi en 1596 de son Universae naturae theatrum . Ajoutons qu'en 1577 Hoefnagel avait accompli avec le cartographe Abraham Ortelius un voyage de Anvers vers l'Italie, et qu'en 1584 Ortelius avait publié son recueil de cartes sous le nom de Theatrum Orbis Terrarum. En réalité, autour de 1580, le terme theatrum prend la place de celui de speculum ou de Miroir pour donner un titre à un ouvrage encyclopédique sur un sujet donné.Mais c'est surtout dès 1589 ou 1590 que le médecin anglais Thomas Moffet crée la page de titre de son Insectorum sive Minimorum Animalium Theatrum. Décrire la Nature comme une scène, c'est concevoir les plantes et les animaux comme des acteurs d'un scénario divin. Dans la conception humaniste ou de la Réforme, un nouveau devoir devient évident, celui d'être un spectateur attentif à l'ordre qui régit les insectes (minimorum animalium), l'ordre de ce microcosme étant analogue à celui du macrocosme. Cet ordre, Hoefnagel en cherche les grandes divisions dans ses Quatre Éléments, dans les Quatre Saisons, dans les deux temps de la Vie et de la Mort (ou du Jour et de la Nuit). Le Temps est à la fois mobile comme la succession des Douze signes du Zodiaque, et à la fois figé dans la répétition de cycles cosmiques immuables.Il est le véritable éclairagiste du Théâtre du Monde.

    Dans ce changement de paradigme où l'Homme spectateur prend en charge la description de la Nature comme objet de son investigation, les choses les plus banales, comme une poire ou une pomme, une abeille ou une mouche deviennent des centres d'intérêt et prennent place sur la scène.

    Hoefnagel 1589 Allégorie des saisons : l'Hiver, © Musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais - Photo M. Beck-Coppola

    Hoefnagel 1589 Allégorie des saisons : l'Hiver, © Musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais - Photo M. Beck-Coppola

     

    II. Orhan Pamuk (Istanbul 1952-)

    Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature en 2006, a publié en 2008 Le Musée de l'innocence, où il décrit le fétichisme amoureux du narrateur : Kémal, qui entre dans une maroquinerie y acheter un sac pour sa fiancée, tombe amoureux de la vendeuse Füsun. A défaut de pouvoir l'épouser, il va devenir cleptomane de tous les objets familiers que la jeune fille a touché et devenir, à la fin de sa vie, le gardien d'un musée rassemblant ces trésors..

      Mais parallélement à ce livre, et pour la première fois dans l'histoire de la littérature, Orhan Pamuk a créé à Istambul un véritable "Musée de l'Innocence", basé sur le musée décrit dans le roman, et qui rassemble de nombreux objets dont il est question dans le récit. Le musée se trouve dans une bâtisse du quartier de Çukurcuma à Beyoğlu et rassemble une collection évoquant la vie quotidienne et la culture à Istanbul au cours de la période pendant laquelle se déroule le récit. Après de longs délais, le musée a finalement été inauguré en avril 2012.

     

     

    Musée de l'Innocence à Istambul. Image scannée du livre L'innocence des objets Gallimard 2012.

    Musée de l'Innocence à Istambul. Image scannée du livre L'innocence des objets Gallimard 2012.

    En complément de ce roman et de ce musée, l'auteur a écrit "Orhan Pamuk, l'innocence des objets" où il explique sa démarche et dresse le catalogue de 74 vitrines.

    http://www.masumiyetmuzesi.org/?Language=ENG

    Ainsi se mêle la fiction et la réalité, la robe à fleurs de Füsun et son permis de conduire (boite 73), les 4213 mégots qu'elle fuma et écrasa dans le cendrier (boite 68), et la poignée en porcelaine de sa chasse d'eau (boite 37).

    Or, par leur encadrement désuet, par leur forme de boites, par leurs suspensions, par l'éclairage soigneux, par les objets confinés dans leur solitude muette mais criante, ces vitrines partagent de nombreux points communs avec les montages en trompe-l'œil de Hoefnagel. Du temps de l'artiste flamand, le mot Musée n'existait pas, mais le Kunstkammer  de l'empereur Rodolphe II n'est pas très différent, à la taille prés, du Masumiyetmuzesi de Pamuk.

     

    "Boites" du Musée de l'Innocence . Image scannée du livre L'innocence des objets Gallimard 2012.
    "Boites" du Musée de l'Innocence . Image scannée du livre L'innocence des objets Gallimard 2012.
    "Boites" du Musée de l'Innocence . Image scannée du livre L'innocence des objets Gallimard 2012.
    "Boites" du Musée de l'Innocence . Image scannée du livre L'innocence des objets Gallimard 2012.
    "Boites" du Musée de l'Innocence . Image scannée du livre L'innocence des objets Gallimard 2012.

    "Boites" du Musée de l'Innocence . Image scannée du livre L'innocence des objets Gallimard 2012.

    Certains citations de "L'Innocence des objets" d'Orhan Pamuk peuvent nourrir cette reflexion sur le changement de statut des objets lorsqu'ils sont ainsi exposés, et, par là, avec notre propre statut au sein de notre environnement et dans le cours du temps, car, fatalement, c'est un peu nous-mêmes qui nous retrouvons derrière la vitre.

    "..parvint finalement au douloureux constat que, sans objets, le monde comme sa propre existence n'avaient aucun sens. Ils emble pratiquement impossible de découvrir le secret des objets sans un immense chagrin. Et nous devons humblement admettre la vérité de cet ultime secret".

    "Le musée de l'Innocence a été fondé par des gens qui croyaient à la magie des choses. Ce qui nous a inspiré, c'est la foi de Kémal en les objets. Mais à la différence du collectionneur pssionné, nous étions mus par le désir fétichiste de posséder des choses, mais par l'envie de percer leurs secrets ! A mseure que notre âme se concentre sur des objets, nous sentons l'unité du monde entiers dans nos cœurs brisés et nous en venons à accepter nos souffrances" (p.195)

    "De même que, dans la Physique d'Aristote, le temps émerge quand les instants retournent à leur substrat, les objets se dépouillent de leur histoire quand ils reviennent à eux-mêmes. C'est alors que l'innocence des objets devient apparente. Notre musée a été construit sur deux désirs contradictoires : celui de relater l'histoire des objets et celui de montrer leur innocence intemporelle." (p. 141, "la consolation des objets").

    http://tmagazine.blogs.nytimes.com/2014/03/20/small-museums/?_php=true&_type=blogs&hpw&rref=t-magazine&_r=1  :

     http://www.itsnicethat.com/articles/museum-of-innocence   :

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    Published by jean-yves cordier - dans histoire entomologie - Hoefnagel
    4 février 2015 3 04 /02 /février /2015 21:52

    L'Arbre de Jessé de la Baie 110 de la cathédrale du Mans. Milieu du XIIIe siècle.

    La cathédrale du Mans renferme deux vitraux consacrés au thème de la généalogie davidique de Jésus : l'Arbre de Jessé de la baie 9, dans la chapelle de la Vierge, datant de 1230-1240, et celui de la baie 110, éclairant le déambulatoire dans son coté sud, et datant de la moitié du XIIIe siècle. Le premier, par son appartenance aux Arbres du groupe dionysien (Saint-Denis / Chartres / le Mans) et par la découverte que j'y fis d'une citation de Hildebert de Lavardin dans l'inscription, a retenu toute mon attention, mais je dois présenter, ne serait-ce qu'en contre-point, le second.

    Voir dans ce blog lavieb-aile des articles consacré aux Arbres de Jessé de Bretagne:

    Et les vitraux :

    Et en comparaison avec les œuvres bretonnes :

    Sur la cathédrale du Mans, voir : Les stalles de la sacristie de la cathédrale du Mans.

    Les vitraux du XIIe siècle de la cathédrale du Mans

    Baie 110 : cinq lancettes et 2 écoinçons de 4 m de haut et 5,50 m de large. Ces cinq lancettes sont entièrement consacrées à la Vierge, à sa Vie, aux miracles et à sa Glorification. La lancette centrale est celle de l'Arbre de Jessé, en 5 registres. La généalogie s'élève en un seul axe vertical (selon le modèle inauguré à Saint-Denis et encore utilisée au XIIIe siècle avant de se diviser plus tard en chandelier), avec 5 mandorles tressées par les branches de l'arbre De chaque coté, un prophète rappelle que la venue d'un Sauveur né d'une vierge a été annoncé par un corpus de citation vétéro-testamentaires.

    La formule employée ici est : Jessé + 2 rois + Vierge + le Christ / 8 personnages latéraux dont quatre nimbés / 2 anges.

    Le Mans, Baie 110, vue générale.

    Le Mans, Baie 110, vue générale.

    Le Mans, Baie 110, lancettes B, C, D. Au centre, l'Arbre de Jessé.

    Le Mans, Baie 110, lancettes B, C, D. Au centre, l'Arbre de Jessé.

    Premier registre : le songe de Jessé.

    Jessé, père du roi David et ancêtre du Christ dans la généalogie énoncé dans les Évangiles de Matthieu et de Luc, est ici à demi-allongé sur son lit, adossé à des cousins. Il est difficile de dire s'il a les yeux fermés. Il est coiffé d'un bonnet rouge qui le caractérise comme Juif. Comme toujours (mais la restauration de fragments rend le mouvement moins lisible), il soutient  de la main droite sa joue dans l'attitude stéréotypée du songeur. Le tronc de son arbre généalogique s'élève du milieu de son bassin, pour ne pas dire de sa semence. Un dais sommaire est constitué avec des tentures. On note l'absence de la lampe qui se trouve habituellement suspendue dans la pièce.

    De chaque coté, sous une arcature, un personnage, debout, tient un phylactère: il s'agit a priori de deux prophètes tenant le texte du verset biblique par lequel il ont prédit que Jessé aurait une longue descendance de rois, et que de sa tige, un sauveur naîtrait d'une Vierge. Mais dans cette verrière, l'un des deux porte un bonnet juif, et l'autre est nimbé. Cette alternance se poursuit aux autres registres. Le nimbe est-il reservé à un auteur du Nouveau Testament (Évangéliste) ?

    Le fond est rouge, une couleur fragile car le verre, très fin, est plaqué sur un verre blanc : des points blancs de corrosion du verre rouge sont visibles.

    Le Mans, Baie 110, Arbre de Jessé : Jessé songeur.

    Le Mans, Baie 110, Arbre de Jessé : Jessé songeur.

    Deuxième registre : un roi de Juda (David ?).

    Aucune harpe ne permet d'identifier ce roi, mais sa couronne et son sceptre affirme par contre son rang. Comme dans tous ces Arbres du XII et XIIIe siècle, le roi s'appuie des deux pieds sur les branches, et se retient d'une main à leurs prolongements. Mais ici, il est assis dans un rameau fourchu.

    Deux prophètes ou auteurs bibliques sur le coté.

    Fond rouge pour la scène, fond bleu dans la mandorle, les couleurs rouge, vert, bleu, jaune étant utilisée selon une startégie surtout dictée par la régle de varier les tons. Le blanc est reservé au tronc de l'arbre, aux visages et aux phylactères. 

    Le Mans, baie 110, Arbre de Jessé deuxième registre : le roi "David".

    Le Mans, baie 110, Arbre de Jessé deuxième registre : le roi "David".

    Troisième registre : un roi de Juda (Salomon ?).

    Ce roi est semblable, à la couleur près, au précédent.

    Le Mans, Baie 110, Arbre de Jessé : troisième registre, le roi "Salomon".

    Le Mans, Baie 110, Arbre de Jessé : troisième registre, le roi "Salomon".

    Quatrième registre : la Vierge.

    La Vierge est couronnée, et elle tient une palme.

    Cinquième registre : Le Christ.

    Entre deux anges thuriféraires, le Christ bénit de la main droite et tient un livre de la gauche. Trois colombes, symboles des Dons de l'Esprit, converge vers le nimbe crucifère, et les quatre autres vers sa poitrine. Elles sont nimbés et circonscrites dans un ovale.

     

    Le Mans, Baie 110, Arbre de Jessé : la Vierge ; le Christ  et les Dons de l'Esprit.

    Le Mans, Baie 110, Arbre de Jessé : la Vierge ; le Christ et les Dons de l'Esprit.

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    Published by jean-yves cordier - dans Vitraux Le Mans
    31 janvier 2015 6 31 /01 /janvier /2015 16:35

    Les vitraux du XIIe siècle de la cathédrale Saint-Julien du Mans (I). Baie XIV et XV.

    Voir aussi sur ce blog sur la cathédrale du Mans :

    Les parties les plus anciennes de la cathédrale du Mans, datent du dernier tiers du XIe siècle. Le chœur entrepris par l'évêque Vulgrin vers 1060 s'écroula peu après et l'évêque Arnaud en fit raser les ruines pour bâtir un nouveau chœur, œuvre achevé par Hoël* sous son pontificat de 1085-1096, faisant achever le transept, commencer la nef et ornant le chœur et les croisillons de vitraux. Hildebert de Lavardin** (1096-1126) termina la nef et les collatéraux et l'édifice fut consacré en 1126 ; on sait qu'il commanda des vitraux pour la salle capitulaire. Deux incendies de 1134 et 1138 imposent la restauration de la cathédrale jusqu'en 1158, date de la nouvelle dédicace par Guillaume de Passavant, dotant l'édifice d'une nef de 55 m de haut et 23 m de large. On ignore si tous les vitraux de Hoël et de Lavardin ont été détruits par les incendies. De 1220 à 1257, l'ancien chœur d'Arnaud est démoli et remplacé par un nouveau chœur à double déambulatoire et chapelles rayonnantes. De nouvelles verrières à thèmes légendaires (ceux du XIIIe siècle, gothiques) sont créés pour ces chapelles vers 1235.

    *Hoël, ayant rapidement achevées travaux de l'élévation du transept commencé par son prédécesseur Arnaud, implanta les murs extérieurs de la nef du bâtiment actuel, il fit paver le chevet d'Arnaud et le décora, comme les deux bras du transept, de beaux vitraux. Vitreas quoque, per ipsum cancellum perque cruces circumquaque, laudabili sed sumptuosa nimium artis varietata disponeus, Actus pontificum Cenomannis in urbe degentium, Busson in Ledru, Archives historiques du Maine, 1901 p. 383. Eugène Hucher avait émis l'hypothèse, qui n'a pas été réfutée définitivement, que les 4 panneaux de l'Ascension dataient de Hoël.

    ** Hildebert de Lavardin, Actus pontificum p. 400 :...domum capituli , que ibi, ex multo tempore, nulla penitus habebatur, laudabili opere cepit a fundementia construere, eamque decenter et undique vitreis illustravit ... L'attribution des vitraux du XIIe à son épiscopat a été discutée par Hucher, par A. Dieudonné (1898) (Hildebert de Lavardin, évêque du Mans, page 80) et par C. Brisac (1981) mais surtout par Anne Granboulan (1991)

    Outre ceux de Hoël et de Lavardin, les premiers vitraux, romans, durent être réalisés de 1136 à 1158. Nous n'en conservons que les éléments fragmentaires de ce qui a du être un groupe de l'Ascension, un Jugement Dernier, une suite de l'Enfance du Christ, la Vie ou le Martyre de saint Étienne, et la Vie de saint Julien, patron de la cathédrale. Seul ce dernier ensemble est encore à sa place initiale dans la fenêtre occidentale. Les autres furent utilisés en bouche-trous des verrières gothiques après les destructions des huguenots en 1562. En 1876, les maîtres-verriers Steinheil et Coffetier récupérèrent les panneaux du XIIe siècle disséminés, et les regroupèrent dans la nef, où ils se trouvent actuellement, non sans montages factices, et recompositions contestables. Aujourd'hui, il n'est pas possible de décrire la disposition initiale de ces vitraux, ni d'être certain de la date de leur création.

    La Baie XIV : Jugement Dernier. Vers 1160.

    Lancette de plein cintre de 2,30 m de haut et 1 m. de large, composite, faite d'un fragment d'un Jugement Dernier en 3 médaillons superposés. Ces fragments témoignent selon C. Brissac d'une vaste composition à l'origine, de taille monumentale, incluant des médaillons avec d'autres apôtres, des anges, des morts sortant de leurs tombeaux. Ce thème privilégié du val de Loire (peintures murales) était généralement placé au revers des façades occidentales. Le Christ en croix est très restauré, et, initialement, cette représentation eschatologique était au centre d'un cercle à fond rouge et le nimbe crucifère empiétait sur l'encadrement aujourd'hui disparu.

    Par contre, les deux médaillons à fond clair sont relativement bien conservés.

    "La distribution spatiale des personnages qui mordent sur le cadre, le découpage des drapés en plages triangulaires, les expressions pensives des visages longs et tristes soulignent la sensibilité de cet atelier aux nouveaux courants byzantinisants? Ces derniers modifient les données formelles dans beaucoup de centres artistiques européens dès les années 1150. [...] Ces contacts avec l'Orient méditerranéen ont été revivifiés par la pénétration anglaise après l'union d'Aliénor et d'Henri II Plantagenet en 1152. Enfin, la simplification du décor des filets d'encadrement et des fermaillets annonce déjà les modèles de la seconde moitié du XIIe siècle".

    Les vitraux du XIIe siècle de la cathédrale du Mans (I).
    Christ en buste, montrant ses plaies (incomplet, très restauré).

    Christ en buste, montrant ses plaies (incomplet, très restauré).

    Le Mans, Baie XIV : Quatre apôtres assis.

    Le Mans, Baie XIV : Quatre apôtres assis.

    Baie XIV, détail.

    Baie XIV, détail.

    Deux anges présentant la croix.

    Deux anges présentant la croix.

    Les vitraux du XIIe siècle de la cathédrale du Mans (I).

    Baie XV. Composite.

    Baie en plein cintre de 2,30 m de haut et 1 m. de large faite de trois registres de médaillons vers 1150 au centre et de 4 registres de scènes insérées en bordure et datant de vers 1200.

    Restauration en 1900-1902 par Steinheil.

    Baie XV (détail)

    Baie XV (détail)

    Baie XV, médaillon supérieur : quatre personnages, v.1150.

    Baie XV, médaillon supérieur : quatre personnages, v.1150.

    Jésus parmi les docteurs (v. 1150).

    Jésus parmi les docteurs (v. 1150).

    Baie XV : Descente aux Limbes (v. 1150).

    Baie XV : Descente aux Limbes (v. 1150).

    L'Église couronnée par saint Pierre (bordure, 1er élément en bas à gauche), 1200.  Inscription ECCLESIA PETRUS.

    L'Église couronnée par saint Pierre (bordure, 1er élément en bas à gauche), 1200. Inscription ECCLESIA PETRUS.

    Baie XV : Pèlerins d'Emmaüs, v. 1200. Bordure gauche, 2ème registre à partir du bas.

    Baie XV : Pèlerins d'Emmaüs, v. 1200. Bordure gauche, 2ème registre à partir du bas.

    Baie XV, Apparition du Christ à Marie-Madeleine (Noli me tangere) v. 1200. Bordure, 3ème registre gauche.

    Baie XV, Apparition du Christ à Marie-Madeleine (Noli me tangere) v. 1200. Bordure, 3ème registre gauche.

    Baie XV, Ange (v.1200). Bordure, registre supérieur gauche.

    Baie XV, Ange (v.1200). Bordure, registre supérieur gauche.

    Baie XV, ange (v. 1200) Bordure, registre supérieur droit.

    Baie XV, ange (v. 1200) Bordure, registre supérieur droit.

    Baie XV, Saint Pierre coupant l'oreille de Malchus, serviteur du Grand prêtre. v. 1200.

    Baie XV, Saint Pierre coupant l'oreille de Malchus, serviteur du Grand prêtre. v. 1200.

    Baie XV. Pilate se lavant les mains (v. 1200). Bordure droite, 2ème registre.

    Baie XV. Pilate se lavant les mains (v. 1200). Bordure droite, 2ème registre.

    Baie XV : la Synagogue soutenue par un prophète ou un Patriarche (v.1200)

    Baie XV : la Synagogue soutenue par un prophète ou un Patriarche (v.1200)

    SOURCES ET LIENS.

    AUBERT M. 1954 "Les vitraux de la cathédrale du Mans » Une cathédrale en son pays. VIIe centenaire de la cathédrale du Mans p.23-27

    BRISAC (Catherine), 1981, "Les vitraux du XIIe siècle", in La cathédrale du Mans, sous la dir. de André Mussat, Berger-Levraut pp. 60-69.

    BUSSON G. Actus pontificum Cenomannis in urbe degentium, in Ledru, Archives historiques du Maine, 1901 p. 383 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k736761/f538.image

    CALLIAS BEY (Martine), CHAUSSÉ (Véronique), PERROT (Françoise), GRODECKI (Louis) 1981, Les vitraux du Centre et des Pays de la Loire, Corpus Vitrearum Recensement II, CNRS éditions, Paris.

    DEBIAIS (Vincent),2010, Corpus des inscriptions de la France médiévale 24 Maine-et-Loire, Mayenne, Sarthe (Région Pays de la Loire) CNRS éditions, Paris. page 200. page 244.

    DIEUDONNÉ (A.) 1898 Hildebert de Lavardin, évêque du Mans, archevêque de Tours (1056-1133): Sa vie.--Ses lettres Paris, Mamers https://archive.org/details/hildebertdelava00dieugoog

    GRANBOULAN (Anne) 1991 "Une identification nouvelle pour un vitrail du XIIe siècle à la cathédrale du Mans" in Revue historique et archéologique du Maine, 3e série, t. 11, 1991, p. 297-304 ou dans Vitrea Revue du Centre international du vitrail 1990 30-35

    GRANBOULAN (Anne) 1994, "De la paroisse à la cathédrale : une approche renouvelée du vitrail roman dans l'ouest" Revue de l'Art Volume 103 pp. 42-52 Persée.fr :http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rvart_0035-1326_1994_num_103_1_348108

    GRANBOULAN PASCAUD (Anne) 1991 La tradition picturale des provinces de l'ouest de la France dans le vitrail du douzième siècle Thèse en Art et archéologie sous la direction de Anne Prache, Paris IV.

    Résumé : Trois ensembles de vitraux, créés pour des églises paroissiales rurales des diocèses de Tours et d'Angers dans le deuxième tiers du douzième siècle, constituent une base pour l'étude des plus anciens vitraux de l'ouest de la France: vitraux de Chemille-surindrois (Indre-et-Loire), et de Chenu (Sarthe) conserves à Rivenhall (Essex). Par leur technique et par leur style, ils appartiennent au groupe des plus anciennes series de vitraux des grands édifices de l'ouest: cathédrales du Mans, d'Angers, de Poitiers, et abbatiale de Vendôme; le vitrail des Essards peut être attribue à l'atelier de l'ascension du Mans. L'iconographie de ces vitraux illustre la spiritualité de l'époque et est liée au combat contre l'hérésie; elle a sans doute été inspirée par les clercs patrons des édifices: archevêque et trésorier de Tours (les Essards et Chemille), et chapitre de Saint-Martin de Tours (Chenu) ces images illustrent la prédication contemporaine, notamment celle de Hildebert de Lavardin et de Geoffroi de Vendôme. Le style de ce groupe de vitraux, tres graphique et linéaire, est l'héritier de la peinture murale et surtout de l'enluminure dans la vallée de la Loire autour de 1100; il est également très proche du style d'œuvres peintes et enluminées dans le Maine, l'Anjou et la Touraine jusqu'au milieu du douzième siècle, notamment de livres enlumines à Tours et à Vendôme vers 1150. En conclusion, ces verrières témoignent de la peinture sur verre a tours au douzième siècle, de la circulation des artistes, et elles montrent l'importance de la tradition picturale de Tours et de sa région dans la diffusion de ce style dans la peinture sur verre.

    — GRODECKI (Louis) 1961 Les vitraux de la cathédrale du Mans

    GUÉRIN (Paul) 1888, Les petits Bollandistes : vies des saints de l'Ancien et du Nouveau Testament, des martyrs, des pères, des auteurs sacrés et ecclésiastiques ..., notices sur les congrégations et les ordres religieux, histoire des reliques, des pèlerinages, des dévotions populaires, ..."Paris https://archive.org/stream/lespetitsbolland05gu#page/n5/mode/2up

    HUCHER (Eugène) et LAUNAY (Abbé), 1864, Calques des vitraux de la cathédrale du Mans Calques des vitraux peints de la cathédrale du Mans... par M. Eugène Hucher et l'abbé Launay. Introduction historique : école primitive de peinture sur verre au Mans, par l'abbé Lottin. Paris, Didron

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    Published by jean-yves cordier - dans Vitraux Le Mans
    31 janvier 2015 6 31 /01 /janvier /2015 16:02

    Les vitraux du XIIe siècle de la cathédrale du Mans (II).

    La verrière de l'Ascension, dont la création daterait d’avant 1120, est le plus vieux vitrail du monde sur site. Elle forme, avec l'Émail Plantagenet (XIIe siècle) du Musée de Tessé et l'instrumentarium de la voûte de la Chapelle de la Vierge, l'un des trois trésors de la cathédrale du Mans.

    Baie XVI. Verrière de l'Ascension. (1140-1145).

    Lancette de plein cintre de 2,30 m de haut et 1 m de large.

    De 1562 à 1875, quatre panneaux du XIIe siècle ont été remployés dans une baie de la chapelle de la Vierge, avant que Henri Gérente n'en remarque le caractère particulier. La verrière a alors été restaurée en 1900 par Steinheil et Gaudin puis en 1955 par Max Ingrand et en 1978 par J.J. Gruber.

    Les personnages ont été bien préservés, et seule la tête de l'apôtre de l'extrémité gauche du registre supérieur est moderne.

    "Le fond, alternativement partagé en rectangles bleus et rouges sur lesquels se détachent les figures, évoquent immédiatement ceux des peintures murales des années 1100 dans le Val de Loire. Les protagonistes, posés en équilibre sur des monticules stylisés figurant le sol, ont tous une attitude différente, les uns de face, les autres de profil. Tantôt ils écartent les jambes, tantôt ils les croisent en des mouvements saccadés. les bras et les mains, souvent paume ouverte en signe d'acceptation, sont tendus et les visages, encadrés de chevelures à fines bouclettes, rejetés en arrière. Les vêtements, ornés d'orfrois et de larges barrettes, accentuent la force de cette image par leurs découpes allongées, presque géométriques. C'est en fait, l'exemple qui, par les qualités de son traitement, exprime le mieux l'originalité du style roman de l'Ouest au début du XIIe siècle. La facture est linéaire, jouant sur l'épaisseur du trait pour affirmer les formes plus que les volumes. En contrepartie, le modelé est réduit à un simple lavis. Aucune œuvre de cette époque a poussé aussi loin la symbiose entre, d'une part, la forme et l'expression, et, d'autre part, le mouvement et la spatialité, ce qui contribue à lui donner une cohérence remarquable." (C. Brisac, 1981)

    "On a souvent comparé ce chef d'œuvre aux peintures murales de la voûte de l'ancienne abbatiale de Saint-Savin-sur-Gartempe (Vienne), notamment celles du cycle de Noé." (idem)

    http://decouverte.inventaire.poitou-charentes.fr/monuments-romans/saint-savin.html

    " Dans le domaine de l'enluminure, les miniatures du Sacramentaire de Limoges (Paris, Bibl. nat. ms lat. 9438) exploitent les mêmes formules stylistiques dans les premières années du XIIe siècle. On y reconnaît la même vigueur formelle, la même tension des protagonistes  " (C. Brisac, 1981)

     

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Sacramentaire_de_Saint-%C3%89tienne_de_Limoges

     

     

    "Plus récemment la morphologie des visages a été rapprochée de ceux d'un manuscrit poitevin, la Vita Radegundis de Fortunat ( Poitiers, B.M ms 250, une œuvre plus récente que les précédentes, exécutées probablement autour de 1120. (L. Grodecki, Le Vitrail roman, p.58). " (Idem)

     

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Radegonde_de_Poitiers

    "Ces liens soulignent la dépendance de la composition mancelle avec des foyers artistiques du Centre-Ouest plutôt qu'avec ceux de sa propre région. Ils montrent aussi ceux que posent la date de son exécution. La fin du XIe siècle ne semble pas crédible malgré sa qualité exceptionnelle qui en fait "la tête de série de tout l'art du vitrail roman  de l'ouest de la France" Attendre la reconstruction de la cathédrale après le second incendie de 1137 semble trop tardif. On adopterait volontiers comme repère chronologique le premier quart du XIIe siècle ; peut-être l'Ascension fut-elle réalisée pour la dédicace "politique" de 1120 sous l'évêque Hildebert de Lavardin, mais aucune évidence archéologique ne nous permet d'adopter cette date." (C. Brisac, 1981)

    En 1994, Anne Granboulan poursuit :

    "...le procédé d'application de la peinture. Il nous conduit aux mêmes rapprochements et témoigne en outre de la grande maîtrise des peintres de nos petites verrières ru­rales. Ceux-ci ont utilisé le trait, as­sez largement appliqué et opaque pour les contours principaux, et l'ont doublé de stries plus fines et plus di­luées pour rendre les détails des vi­sages, barbes, chevelures, muscles et drapés. Cette technique d'application de la peinture presque exclusivement linéaire, où il n'y a pas d'ombre pour rendre le modelé, est riche d'enseignement pour deux rai­sons. D'une part elle ne suit pas la dé­marche préconisée par Théophile dans son livre de recettes, qui consiste à rendre le modelé en ac­compagnant le trait de contour par deux lavis. Dans cette technique dite des «trois valeurs» on a voulu voir peut-être abusivement une technique générale au XIIe siècle, alors qu'elle n'a été suivie ni dans certains vitraux de la cathédrale du Mans — l' Ascension, le Sommeil des mages, le Miracle de saint Julien, et le Songe de Nabuchodonosor —  [...]et qu'elle n'a été mêlée que parcimo­nieusement à la facture linéaire au chevet de la cathédrale de Poitiers, et dans les panneaux de saint Pierre et de la Légende des saints Gervais et Protais au Mans. D'autre part cette prédilection marquée pour la ligne se circonscrit à un milieu géographique situé au­tour de la Loire, dans un laps de temps limité, puisqu'au Mans et à Poitiers elle s'estompe après le milieu du siècle, et qu'elle s'est amollie et transformée à Angers vers 1180-1200; enfin elle n'est pas réservée à la peinture sur verre, puisqu'elle était largement implantée dans l'enlumi­nure et la peinture murale de l'Ouest depuis le XIe siècle."

    Ce graphisme linéaire qui condi­tionne en quelque sorte la technique d'application de la peinture dans nos trois ensembles paroissiaux et dans quelques unes des séries les plus an­ciennes des vitraux des grands édi­fices de l'Ouest est aussi la marque de l'enluminure du Maine, de la Touraine et de l'Anjou, à la fin du XIe siècle. On le remarque dans quel­ques légendaires provenant de la Couture au Mans, quelques ma­nuscrits célèbres de Saint-Aubin d'Angers, une Vie du saint, une Bible et un Psautier, deux Commentaires sur les Psaumes et les feuillets de deux missels tourangeaux. La peinture murale offre aussi des té­moignages contemporains et conver­gents, notamment à la Tribune de Saint-Savin et dans les fresques de la Trinité de Vendôme. Dans les deux premiers tiers du XIIe siècle, ce goût pour le trait se maintient : plusieurs livres enluminés à Angers (Bibl. mun. ms 25, fol. 1.) et au Mans  en témoignent, ainsi que l'œuvre remarquable d'un peintre dont on connaît huit livres, qui a tra­vaillé à la Trinité de Vendôme après avoir peut-être été formé à Tours. Cet artiste a en effet par­ticipé à la décoration d'un livre ex­ceptionnel, les Moralia in Job, dont l'appartenance au Trésor de la cathé­drale tourangelle n'est attestée que depuis le XVe siècle, mais qui par son style doit être attribué au milieu tou­rangeau, et par sa richesse à la cathédrale  (fig. 16. Moralia in Job, initiale figurée, Tours, Bibl. mun. 321, fol. 106). Pour cette pé­riode la peinture murale illustre égale­ment cette prédilection pour le trait : les fresques d'Allouis et du Liget sont à cet égard assez convaincantes.

    Outre ces qualités graphiques dans le traitement de la figure, communes à un vaste milieu, le style de nos vitraux montre « dans l'agen­cement des scènes, une intensité dynamique» pour reprendre la formule que François Avril applique à la pein­ture romane de l'Ouest. Les compositions sont claires et organi­sées autour d'un axe central, les per­sonnages se détachent nettement sur les fonds, leurs attitudes aux silhou­ettes longilignes et incurvées sont dy­namiques, les membres très fins se tordent et se meuvent en imprimant un rythme à la scène, les personnages communiquent entre eux par le re­gard. Ces caractères donnent une im­pression générale de mouvement, de tension, de rythme et, en même temps, d'élégance, de calme et de re­tenue." (Granboulan, 1991).

    Anne Grandoulan compare alors un vitrail du "calvaire"  du village de Les Essards en Touraine avec l'Ascension du Mans :

    "le style de ce petit Calvaire se retrouve presque à l'iden­tique, malgré la différence d'échelle, dans la célèbre Ascension de la cathé­drale du Mans. En effet, si les proportions des personnages sont légèrement plus courtes aux Essards, leur minceur, la courbure de leur silhouette et le rythme que celle-ci donne à l'image sont comparables dans les deux vitraux; on ne retrouve cette élégance que dans le médaillon très mal conservé de l'An­nonciation de la cathédrale d'Angers. Ni le vitrail de Chemillé, ni celui de Chenu, pas même les pan­neaux de la cathédrale du Mans at­tribués par L. Grodecki à l'atelier de l' Ascension — Sommeil des mages, Saint Pierre délivré de ses liens, et le Miracle de saint Julien du Mans — ne montrent autant de raffinement et de retenue dans les attitudes et les drapés.

    La position du saint Jean des Es­sards rappelle celle des apôtres à gauche du registre inférieur de l'As­cension du Mans . Détail plus technique, la coupe très délicate dans un même verre du visage et de la main de la Vierge des Essards, ainsi que la découpe en pointe effilée de sa robe bleue, dont la précision à cette échelle témoigne d'une extraordinaire maîtrise, sont des constantes au Mans.

    D'autre part le dessin des visages est si proche que les deux Vierges semblent avoir la même expression, et celui des drapés présente des ana­logies frappantes : outre le pli en V, fréquent à l'époque romane, mais ici particulièrement aigu et étroit, on remarque la courbe précise qui sou­ligne le genou et les stries rayon­nantes plus fines et plus diluées qui l'accompagnent, et les mêmes « dou­bles croches » qui ponctuent les dra­pés dans le bas des retombées. Autres similitudes : les voiles des deux Vierges, la large manche de saint Jean et celles de plusieurs apôtres, les plis ronds sur les bustes qui vont en mourant vers l'épaule, les retroussés du périzonium du Christ et du voile de la Vierge des Essards, des robes des apôtres ou de celle de la Vierge dans l' Ascension.

    Enfin un dernier élément rap­proche les deux œuvres : on constate qu'au Mans comme aux Essards, la technique de l'enlevé qui consiste à gratter les motifs décoratifs dans une couche de peinture uniforme, afin de les faire apparaître en clair, est moins utilisée qu'ailleurs.

    Toutes ces analogies incitent donc naturellement à attribuer le Calvaire des Essards à l'atelier qui a exécuté l'Ascension du Mans [...]

    L'attribution du Calvaire des Es­sards à l'atelier et vraisemblablement au peintre de l' Ascension du Mans, ainsi que les liens stylistiques de ces deux vitraux avec l'enluminure mancelle permettent alors de proposer une hypothèse pour leur date d'exécution, et ensuite de redéfinir la chronologie des verrières du XIIe siè­cle au Mans puis de préciser leurs liens avec celles de Poitiers.

    En effet, bien que jusqu'ici la da­tation de l' Ascension ait suscité des opinions diverses, les auteurs s'accor­daient pour la situer avant 1150. L'hypothèse la plus haute, c'est-à-dire vers 1120, a été récemment soutenue par A. Mussat et C. Brisac, en en faisant une œuvre de l'épiscopat d'Hildebert de Lavardin, alors évêque du Mans de 1096 à 1125 avant d'être archevêque de Tours ; et l'on sait par les « Actes des évêques du Mans » qu'il poursuivit les travaux de construction de ses prédécesseurs et fit faire des vitraux pour la salle capitulaire. Pour sa part l'hypothèse basse, c'est-à-dire vers 1140, avait été proposée naguère par L. Grodecki qui pensait qu'aucune verrière entière ou partielle n'avait pu résister aux in­cendies de 1134 et 1137. La person­nalité rayonnante d'Hildebert nous conduit à estimer que la parenté sty­listique et technique avec le vitrail des Essards, malgré la différence d'échelle, rend très séduisante la da­tation haute, qui de plus concorde avec les autres comparaisons stylisti­ques, car Hildebert en quittant en 1125 le siège du Mans pour celui de Tours où il resta jusqu'à sa mort en 1132, a sans doute pu poursuivre son œuvre de commanditaire avec les mêmes artistes. Comme le nouvel archevêque entreprit dès son élection une visite de son diocèse, il paraît lo­gique qu'il ait effectué à cette occasion des donations, en particulier dans l'église des Essards qui lui ap­partenait et dont il devait entretenir le chœur. Dans cette hypothèse le Calvaire des Essards daterait donc de l'épiscopat d'Hildebert à Tours, et il aurait été conservé lors de la re­construction du chœur un siècle plus tard."

     "Les panneaux conservés de l'As­cension, complétés par un registre su­périeur aujourd'hui disparu et par une bordure végétale, fermaient une ouverture un peu plus large que celle des bas-côtés où ils se trouvent ac­tuellement, peut-être une fenêtre basse du chœur dont Hildebert fit rénover la décoration pour la dédi­cace de 1120. Cette Ascension démembrée et le Sommeil des mages auraient survécu aux incendies dont on ne connaît pas vraiment le degré de gravité." Anne Granboulan, 1994

     

     

     

    Baie XVI, vue générale.

    Baie XVI, vue générale.

    Baie XVI, les quatre panneaux du XIIe siècle.

    Baie XVI, les quatre panneaux du XIIe siècle.

    Les vitraux du XIIe siècle de la cathédrale du Mans (II) Verrière de l'Ascension.
    Les vitraux du XIIe siècle de la cathédrale du Mans (II) Verrière de l'Ascension.
    Baie XVI : registre inférieur gauche :Ascension, groupe de trois apôtres (v.1140-1145).

    Baie XVI : registre inférieur gauche :Ascension, groupe de trois apôtres (v.1140-1145).

    Baie XV, registre inférieur droit. Trois apôtres (v. 1140-1145).

    Baie XV, registre inférieur droit. Trois apôtres (v. 1140-1145).

    Baie XVI, registre supérieur gauche : trois apôtres à la droite de la Vierge (v. 1140-1145)..

    Baie XVI, registre supérieur gauche : trois apôtres à la droite de la Vierge (v. 1140-1145)..

    Baie XVI, registre supérieur droit : trois apôtres à la gauche de la Vierge (v. 1140-1145)..

    Baie XVI, registre supérieur droit : trois apôtres à la gauche de la Vierge (v. 1140-1145)..

    Baie XVI, registre supérieur  :  Vierge couronnée et nimbée (v. 1140-1145)..

    Baie XVI, registre supérieur : Vierge couronnée et nimbée (v. 1140-1145)..

    Restauration.

    Source : Ouest-France 8 novembre 2008.

      Prêté au Louvre en 2004 pour une exposition sur « La France romane », le vitrail  a ensuite passé près de trois ans au Laboratoire des monuments historiques de Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne) où il a été restauré. Après la guerre, le vitrail avait déjà subi une première restauration. Mais les techniques n'étaient pas aussi scientifiques. « On a effectué toute une série de prélèvements et d'analyses pour évaluer ce qui avait été fait », explique la conservatrice régionale Fleure Morfoisse-Guenault. Dans les années 70, un film a été posé sur le verre pour le protéger. « Heureusement, on a pu le décoller sans retirer de matière. » Pour les opérations techniques, le choix s'est porté sur une verrerie mancelle : Vitrail France. La restauration a duré cinq mois. « Aucun geste n'a été fait sans l'avis d'une collégiale de décideurs, indique le maître verrier Didier Alliou. On a cherché à traiter les pathologies du verre. »

    Sur un vitrail de 900 ans, la matière s'est naturellement altérée au fil du temps. « La principale cause d'altération est due à l'eau. L'eau de pluie qui vient de l'extérieur et l'eau qui se dépose à l'intérieur par condensation, précise Didier Alliou. On a dû enlever la partie abîmée sans retirer de verre. Et puis on a posé une double verrière dehors. » Évalués à 20 000 €, ces travaux ont été financés dans leur totalité par un mécenat de GDF. 

    Il a été remis en place dans la nef en 2008.

     

    SOURCES ET LIENS

    BRISAC (Catherine), 1981, "Les vitraux du XIIe siècle", in La cathédrale du Mans, sous la dir. de André Mussat, Berger-Levraut pp. 60-69.

    CALLIAS BEY (Martine), CHAUSSÉ (Véronique), PERROT (Françoise), GRODECKI (Louis) 1981, Les vitraux du Centre et des Pays de la Loire, Corpus Vitrearum Recensement II, CNRS éditions, Paris.

    DEBIAIS (Vincent),2010, Corpus des inscriptions de la France médiévale 24 Maine-et-Loire, Mayenne, Sarthe (Région Pays de la Loire) CNRS éditions, Paris. page 200. page 244.

    GRANBOULAN (Anne). "De la paroisse à la cathédrale : une approche renouvelée du vitrail roman dans l'ouest." In: Revue de l'Art, 1994, n°103. pp. 42-52.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rvart_0035-1326_1994_num_103_1_348108

    LEDRU, (Ambroise) 1895 "Le vitrail de l'Ascension à la cathédrale du Mans", Province du Maine, t.3, 1895, p. 153. Gallica."C'est une peinture ascétique exécutée entre un reliquaire et un missel, quelque chose comme un croquis chinois et une peinture du Mont Athos" disait de cette verrière de l'Ascension M. Hucher".

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    Published by jean-yves cordier - dans Vitraux Le Mans

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