La Vierge allaitante (bois polychrome et or, XVIe siècle) de la chapelle de Kermaria an Iskuit à Plouha (22).
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—Voir sur cette chapelle :
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Le porche de la chapelle de Kermaria-an-Iskuit en Plouha I. Les peintures de la voûte (fin XVe).
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L'intérieur du porche (fin XVe) de Kermaria an Iskuit. II. Vierge à l'Enfant, Anges et culots.
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La cloche de 1638 de la chapelle de Kermaria-an-Iskuit en Plouha et son blason.
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—Voir sur ce thème :
- Onze statues de Vierges allaitantes en Finistère.
- Vierges allaitantes I : Notre-Dame de Tréguron à Gouezec: les Vierges.
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Vierges allaitantes III : Chapelle de Quillidoaré à Cast, la Vierge..
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Vierges allaitantes V : Saint-Venec à Briec. Notre-Dame de Tréguron et les autres statues.
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Vierges allaitantes V : Saint-Venec à Briec : sainte Gwen Trois-mamelles et ses fils
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Vierges allaitantes VI : Kerluan à Chateaulin : la Vierge ressuscitée
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Vierges allaitantes IX : Chapelle de Bonne-Nouvelle à Locronan.
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Vierges allaitantes X : La chapelle St-Denis de Seznec à Plogonnec.
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La Vierge allaitante de Saint-Vénec au château de Kerjean (29).
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Le retable de Notre-Dame-du-Bon-Secours, église de La Roche-Maurice (29).
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La Vierge allaitant de la chapelle de Languivoa à Plonéour-Lanvern (29).
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Les sablières et les statues de la chapelle de Lanjulitte à Telgruc.
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La Vierge allaitant l'Enfant, statue de l'église de Plougoulm (29).
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Chapelle Sainte-Marine à Combrit : la Vierge allaitante et la bannière Le Minor.
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Vierge allaitante : Notre-Dame de Kergornec à La Forest-Fouesnant.
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La Vierge allaitante de la chapelle de Notre-Dame-du-Tertre à Châtelaudren.
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La Vierge allaitante de la chapelle de la Présentation, cathédrale de Burgos.
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PRÉSENTATION.
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La seule description spécifique de cette statue se trouve sur la base Palissy sous le titre "Vierge à l'Enfant allaitant" : il y est seulement indiqué qu'elle est en bois et date du XVIe siècle, qu'elle a été restaurée, et classée depuis le 13 octobre 1960. La notice est illustrée d'une photo noir et blanc (de 2013?).
Il me semble qu'on puisse la décrire davantage. On peut d'abord la rapprocher de la quinzaine de statues de "Vierge au sein", "Vierge à l'Enfant allaitant" ou Virgo lactans décrits dans mes liens, principalement en Finistère, mais aussi, pour les Côtes d'Armor, à Châtelaudren.
On peut ensuite en mentionner le propos théologique, car ces représentations d'allaitement permettent de mettre en scène la double nature, divine et humaine du Christ. Selon les cas, ce sera le premier aspect qui sera souligné, et l'Enfant sera représenté tourné vers le sein, y posant tendrement la main, voire le têtant. Ou au contraire, comme ici, l'Enfant s'en détournera plus ou moins ostenciblement pour se tourner vers le Monde et sa mission de Salut de l'Humanité.
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Rappel du thème scripturaire selon Séverine Ferraro 2012 :
Le récit de la Nativité livré par l’Évangile selon saint Luc ne fait pas mention de l’allaitement de l’Enfant par la Vierge. Cependant, l’auteur y fait allusion plus tardivement lorsqu’il relate certains enseignements que Jésus prodigue au peuple, juste après le repas chez Marthe et Marie. Enthousiasmée par ses paroles, une femme s’écrie alors : « […] Heureux le sein qui vous a porté, et les mamelles que vous avez sucées ! » .
Au contraire de l’évangile canonique, plusieurs sources textuelles font état de l’allaitement de l’Enfant dans le cadre du récit de la Nativité. Parmi les évangiles apocryphes relatifs à l’Enfance du Christ, cet aspect particulier est mentionné par le Protévangile de Jacques, puis par la Vie de Jésus en arabe et l’Évangile arménien de l’Enfance, le dernier précisant, en outre, que le nouveau-né s’est assis de lui-même après avoir pris le sein de sa mère.
Il convient de mentionner ici l’existence d’un autre évangile apocryphe, contemporain du Protévangile, qui évoque le thème de l’allaitement de l’Enfant. Il s’agit d’un texte connu sous l’appellation d’Ascension d’Isaïe, qui se compose de deux parties distinctes. La première relate le martyre du prophète tandis que la seconde révèle ses visions, dont celle de la naissance du Christ. L’auteur précise que Jésus « […] tétait comme un enfant, il tétait selon l’usage, afin de ne pas être connu » . Dans ce texte, l’allaitement ne constitue pas un geste naturel mais un acte délibéré destiné à cacher aux yeux du monde la divinité du nouveau-né.
Le thème de l’allaitement est ensuite réutilisé d’une manière plus allusive par Maxime le Confesseur dans sa Vie de la Vierge. L’auteur précise qu’après avoir été emmailloté dans des bandelettes, « Celui qui nourrit tout était nourri de lait […] » .
D’une manière analogue, l’Arbre de vie de saint Bonaventure indique que l’Enfant était « nourri de lait virginal » sans pour autant évoquer l’acte de l’allaitement en lui-même.
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On peut aussi rappeler que ces images peuvent faire l'objet d'une contemplation mystique d'Imitation du Christ, et d'aspiration à être nourri métaphoriquement par la Vierge, dans cet élan de spiritualité illustré par la scène de la Lactation de saint Bernard de Citeaux.
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DESCRIPTION.
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La Vierge est assise sur une cathèdre recouverte de son manteau bleu clair. Sa tête est légèrement inclinée et penchée vers la tête de son Fils, et elle lui présente son sein droit, tenant le mamelon entre index et majeur selon un geste souvent retrouvé dans l'iconographie.
Ses cheveux bruns sont recouverts d'un voile blanc qui passe derrière sa nuque, regroupant ainsi ses nattes avant que celles-ci s'échappent devant les épaules : ce "bandeau rétro-occipital" (pour lui donner un nom) est très fréquemment retrouvé sur les Vierges à l'Enfant bretonnes du XVIe siècle.
Le visage est serein et attentif, les traits sont tendres et maternels, malgré le front et les sourcils épilés conforment à la mode de l'époque. La posture d'allaitement est parfaitement saisie, dans toute son humanité.
Le manteau bleu revient en pans qui révèlent leur revers rouge. La robe est toute dorée, avec un décolleté carré (lancé par Anne de Bretagne), une ceinture bleue nouée, et un revers rouge identique à celui du manteau. C'est l'aspect actuel après restauration, il faudrait disposer du dossier technique de celle-ci pour savoir quels étaient les indices renseignant sur l'état et les pigments d'origine.
Les solides chaussures noires, habilement dévoilées par le plissé et l'alliance des couleurs bleu, rouge et or, sont propres à l'art du XVIe siècle, et on les retrouve aussi sur les groupes d'Anne trinitaires.
L'Enfant témoignent de son tendre attachement à sa Mère par son bras droit et sa main posée sur son cou, mais son visage et son regard se détournent tandis que la main gauche s'interpose entre sa bouche et le sein maternel. Les jambes croisées accentuent cet élan de refus, comme s'il s'apprêtait à s'éloigner.
Il est vêtu d'une tunique rouge à revers sombre, entrouvert sur son corps nu, et aux manches retroussées.
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SOURCES ET LIENS.
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— AUBERT (Octave Louis), [1928] , La chapelle de Kermaria-Nisquit, édition de la Bretagne touristique, 16 pages.
https://bibliotheque.diocese-quimper.fr/items/show/3460
—BÉGULE (Lucien), 1909, La chapelle Kermaria-Nisquit et sa Danse des morts, H. Champion, Paris, 1909, 52 p.
— CHARDIN (Paul), 1894, La chapelle de Kermaria-Nisqit en Plouha, Revue archéologique 1, pages 246-259
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k203636c/f249.item
—COUFFON, René. Répertoire des églises et chapelles du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier. Saint-Brieuc : Les Presses Bretonnes, 1939. p. 374-375
—COUFFON, René. Quelques notes sur Plouha. Saint-Brieuc : Francisque Guyon éditeur, 1929. p. 27-35
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3346690r
— FERRARO (Séverine), 2012. Les images de la vie terrestre de la Vierge dans l’art mural (peintures et mosaïques) en France et en Italie : des origines de l’iconographie chrétienne jusqu’au Concile de Trente. Art et histoire de l’art. Université de Bourgogne, 2012.
https://theses.hal.science/tel-00841816/document
—LE LOUARN-PLESSIX (Geneviève ) , 2013, Plouha, Chapelle de Kermaria an Iskuit Mémoires SHAB
https://m.shabretagne.com/scripts/files/5f464c1e917b93.94134739/2013_50.pdf
https://docplayer.fr/108538314-Plouha-chapelle-de-kermaria-an-iskuit.html
—LÉVY (Tania), 2015, « La chapelle Kermaria-an-Isquist. Les peintures murales », Congrès archéologique de France. 173e session. Monuments des Côtes-d'Armor. « Le Beau Moyen Âge ». 2015, Société française d'archéologie, pp. 303-311 (ISBN 978-2-901837-70-1).
— PICHOURON ( Patrick) - L'HARIDON ( Erwana) 2005, La chapelle de Kermaria-an-Isquit Inventaire général ; Dossier IA22005349
"La chapelle Kermaria-an-Isquit a été fondée au cours de la 1ère moitié du 13ème siècle par Henry d'Avaugour, comte de Goëlo. Elle a été agrandie au 15ème siècle...
— THIBOUT (Marc), 1949, « La chapelle de Kermaria-Nisquit et ses peintures murales », Congrès archéologique de France. 107e session. Saint-Brieuc. 1949, Société française d'archéologie, 1950, p. 70-81.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k32118665/f72.item
—Base Palissy
https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/palissy/PM22000937
—Collection Musée de Bretagne, carte postale
http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo166162
—Photo titrée "pietà" sur Wikipedia :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chapelle_de_Kermaria_an_Iskuit#/media/Fichier:Kermaria_2_Pi%C3%A9t%C3%A0.JPG